Les Fautes, Sérénités/Jours bleus

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JOURS BLEUS


I


J’ai choisi lointaine la clairière où nous nous aimerons. Lorsque luit le tendre soleil de mai, il pleut là des gouttes d’or à travers les feuilles. Les coquelicots triomphants et les pudiques pervenches y dansent les anciennes pavanes. Auprès des lilas frais éclos, les gazons semés de boutons d’or nous offrent, avec pour dentelles les mousses, une couche parfumée où sombreront en un rut formidable sa foi et ma pensée. J’ai souventes fois parcouru le chemin mystérieux qui conduit au sanctuaire. Ainsi les herbes foulées sembleront plus douces à ses pieds délicats. Un matin parmi l’hymen universel des choses nos bouches se baiseront ; puis, un grand trouble dans les yeux nous serons profondément l’un à l’autre. Une langueur nous viendra au souvenir de l’heure exquise, et nous mourrons de l’intensité de ces ivresses vécues au delà du monde. J’ai choisi lointaine la clairière où nous nous aimerons.


II


Ma maîtresse sera très svelte, nubile à peine, si blanche que les impériales Lesbiennes s’agenouilleront devant elle. Oh ! sous les cils courbes la caresse cruelle de son regard ! Virginale, mais vicieuse, elle sollicitera les malsaines voluptés, sans que les attouchements de l’homme mettent un incarnat à ses joues pâles. Sur son passage, comme ils chantent les oiseaux, lorsque nue, fièrement, elle va à l’étang prochain mirer dans l’eau émue l’impeccable gracilité de ses formes. Sa chair, inconsciemment, appelle la brutalité du mâle, tandis qu’un sourire, — aurore et printemps, fleurit la sensualité de ses lèvres. Ce que j’admirerai le plus en l’Amie, ce ne sera ni sa gorge énamourée, ni ses flancs formés pour les puissants accouplements, — non plus, la musique de sa voix ou la grâce lubrique de ses mouvements. Je m’extasierai sur ses cheveux rouges, fauve ensoleillement, à son front bas de jeune déesse. Ma maîtresse sera très svelte, nubile à peine, si blanche que les impériales Lesbiennes s’agenouilleront devant elle.


III


Qu’adviendra-t-il de nous ? L’amour de mon épouse est de celles qui tuent. Mais, à jamais, elle a pris tout mon être. Quelque soir, en un boudoir aux tentures éteintes ou sous le ciel mélancolique des Automnes, jalouse, la Mort nous ravira aux innommables béatitudes. Qu’adviendra-t-il de nous ? L’amour de mon épouse est de celles qui tuent.


IV


Hélas ! Où est-elle ? Pourquoi si longtemps l’attendre ? Je vis isolé des fanges humaines, sans estime ni mépris pour mes pareils. Et voici que désireux d’emporter en la vie éternelle la mémoire d’un Eden ici-bas rêvé, j’ai vainement espéré la venue de la chère inconnue. Hélas ! Où est-elle ? Pourquoi si longtemps l’attendre ?