Les Filles errantes (Jean François Regnard)

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Œuvres complètes de Regnard, Texte établi par Charles Georges Thomas Garnier, E.A. Lequientome cinquième (p. 242-291).

ACTEURS

ARLEQUIN, aubergiste.

CINTHIO.

ISABELLE, amante de Cinthio, sous le nom de Claudine, servante d’Arlequin.

MEZZETN.

COLOMBINE, sœur de Mezzetin.

PIERROT, valet d’Arlequin.

M. CROQUIGNOLET, avocat. Mezzetin.

LE VALET DE CROQUIGNOLET. Arlequin.

UN CAPITAINE HOLLANDAIS. Mezzetin.

PASQUARIEL.

SPADASSINS.


La scène est à Paris.

ACTE I

scènes françaises.

Scène I

Cinthio, Colombine.

Cinthio et Colombine arrivent ensemble à l’hôtellerie d’Arlequin. Colombine fait part à Cinthio de l’infidélité d’Octave, et de l’embarras où elle se trouve en voyageant seule. Cinthio tâche de la rassurer, offre de l’accompagner, et lui persuade de se faire passer pour sa soeur. Il frappe à la porte d’Arlequin.


Scène II

Cinthio, Colombine, Arlequin.

Arlequin répond quelque temps sans paroître, et donne, dans l’intérieur de sa maison, des ordres extravagants : enfin, il entre sur la scène. Cinthio lui demande deux chambres voisines l’une de l’autre, pour lui et pour Colombine, qu’il fait passer pour sa soeur. Arlequin a quelques soupçons sur cette parenté, et le témoigne par des questions plaisantes ; enfin, il appelle sa servante : c’est Isabelle sous le nom de Claudine.


Scène III

Arlequin, Cinthio, Colombine, Isabelle, en servante, sous le nom de Claudine.


Isabelle

Que vous plaît-il, monsieur ?

Arlequin

Écoute, Claudine ; voici un gentilhomme qui vient loger chez moi avec sa soeur ; il faut que tu leur donnes deux chambres l’une contre l’autre.

Isabelle, reconnoissant Cinthio, à part.

Ciel ! Que vois-je ? Cinthio avec une autre que moi, qu’il fait passer pour sa soeur !

Arlequin

Claudine, tu ne me réponds point.

Isabelle, à part.

Le traître ! Il ne fait pas semblant de me connoître. J’ai tout quitté pour le chercher, et il ne daigne pas seulement me regarder.

Arlequin

N’entends-tu, Claudine ? Ce gentilhomme vient loger chez moi ; il lui faut deux chambres l’une auprès de l’autre. Entends-tu bien ?

Isabelle, toujours à part.

Est-ce là le prix de tant d’amour ? Ingrat ! Devais-je être traitée de cette manière ?

Arlequin

Que la peste te crève ! Claudine, me répondras-tu à la fin ?

Isabelle

Je vous demande pardon, monsieur ; ce sont des vapeurs dont je suis attaquée, et je ne sais ce que je dis.

À part.

Tu m’abandonnes, scélérat ! Et tu n’oses arrêter sur moi tes regards.

Arlequin, impatienté.

Ah ! Je te casserai, ma foi, la gueule, et je ferai bien passer tes pestes de vapeurs. Je te dis qu’il faut deux chambres l’une contre l’autre. M’entends-tu à cette heure ? Dis donc, parle.

Isabelle

Oui, monsieur, je vous entends : vous pouvez vous en aller ; je vais accommoder tout cela.


Scène IV


Cinthio, Colombine, Isabelle.


Cinthio, à Colombine.

Allons, ma sœur, entrez.

Colombine, considérant Isabelle.

Voilà une fille qui me semble bien surprise !

Elle entre.



Scène V


Cinthio, Isabelle.


Isabelle, arrêtant Cinthio qui veut entrer.

Cinthio ?

Cinthio

Que voulez-vous ?

Isabelle

Vous ne me dites rien ?

Cinthio

Je n’ai rien à vous dire.

Isabelle

Vous ne reconnoissez pas Isabelle ?

Cinthio, entrant brusquement.

Vous, Isabelle ? Je ne vous connois point.


Scène VI


Isabelle, seule.

Tu me méprises, perfide ! Mais je saurai me venger.

Elle entre dans l’hôtellerie.



Scène VII


Mezzetin, Pierrot, Colombine.


Mezzetin, apercevant Colombine.

Que vois-je, Pierrot ? Ai-je la berlue ? Oui… Non… Si fait : c’est elle ; c’est ma sœur.

Pierrot

Votre sœur ? Je n’en crois rien, monsieur, si je n’y touche.

Mezzetin

C’est elle-même. Et que faites-vous donc ici, madame la coureuse ?

Colombine

Ah, mon frère ! Ne vous emportez point ; je vous dirai…

Mezzetin

Et que me diras-tu, effrontée ? Tiens, il me prend envie de faire une capilotade de ton foie, de ta fressure, de ton gésier.

Colombine

Mon pauvre Pierrot !…

Pierrot

Mon pauvre Pierrot ! Votre frère a raison ; j’aime l’honneur, moi ; et je ne veux pas qu’une fille coure le guilledou.

Mezzetin

Parle donc ; dis-moi, quelle raison as-tu eue de sortir de la maison paternelle, carogne, carognissime ?

Pierrot

Voulez-vous parier, monsieur, que c’est l’amour qui l’a mise en campagne ? Les filles sont des vaisseaux qui ne vont d’ordinaire que de ce vent-là.

Colombine

Je vous dirai, mon frère, que sitôt que vous fûtes parti, il vint un jeune cavalier, le plus civil du monde, demander à loger dans notre hôtellerie : pour ne pas paroître moins civile que lui, je lui fis toutes les honnêtetés dont j’étois capable. Aussi pourquoi me laissez-vous seule ?

Elle pleure en disant ces derniers mots.
Pierrot

Je vous l’ai toujours dit, monsieur ; il faut de la compagnie aux filles, quand ce ne seroit qu’un manche à balai.

Mezzetin

Hé bien ?

Colombine

Sitôt qu’il fut arrivé, il me pria, mais le plus honnêtement du monde, de lui donner une chambre. Pour lui faire plaisir, je le menai moi-même, par civilité, dans la belle chambre qui est de plain-pied à la cour.

Pierrot

Par civilité ?

Colombine

Par civilité. Mais il ne voulut point y demeurer, appréhendant qu’elle ne fût malsaine, à cause de l’humidité.

Mezzetin

Il avoit raison.

Colombine

Voyant qu’il faisoit difficulté de rester dans cette chambre-là, et qu’il étoit si civil, je le conduisis dans une autre, qui donne sur la rue, au-dessus de l’écurie.

Pierrot

Par civilité ?

Colombine

Par civilité. Il me témoigna encore qu’il ne pourroit pas y coucher, à cause qu’étant fatigué et ayant besoin de repos, les chevaux pourroient interrompre son sommeil pendant la nuit.

Mezzetin

Ouais ! Voilà un homme bien difficile à coucher.

Pierrot

Peut-être pas tant que vous pensez.

Colombine

Je trouvai qu’il n’avoit pas mauvaise raison ; car quand on repose, comme vous savez, on n’est pas bien aise d’être interrompu. Voyant donc qu’il avoit besoin de repos, et qu’il continuoit toujours avec les manières les plus civiles du monde, je me crus obligée de le mettre dans un lieu éloigné du bruit : vous savez que ma chambre est au bout du jardin ; je l’y menai,

Pierrot

Par civilité ?

Colombine

Assurément. Est-ce que tu ne l’aurois pas fait à ma place, dis, Pierrot ?

Pierrot

Sans doute, et j’enragerois qu’un autre fût plus civil que moi.

Mezzetin

Voilà du civil qui pourroit bien nous mener au criminel.

Colombine

Il trouva que ma chambre l’accommodoit assez, et me fit entendre qu’il seroit ravi d’y rester. Je lui dis aussitôt que, puisque cet endroit lui plaisoit, j’y ferois mettre un lit pour lui à côté du mien.

Pierrot

Par civilité ?

Colombine

Comment l’entendez-vous donc ? Mais comme il est extrêmement honnête, il refusa l’offre que je lui faisois, de peur de m’incommoder, et dit qu’il ne souffriroit point que ma chambre fût embarrassée pour l’amour de lui, et qu’il coucheroit plutôt dans l’écurie que de me causer la moindre incommodité.

Pierrot

Oh ! Dans une écurie ! Le pauvre jeune homme ! Cela me fait pitié.

Colombine

Son honnêteté me fendit le coeur : une fille n’est pas de bois ; et voyant que ma chambre lui plaisoit si fort, je lui dis… Mais vous allez vous fâcher.

Mezzetin

Non, non…

Colombine

Je lui dis… Me promettez-vous que vous ne vous mettrez pas en colère ?

Pierrot

Ouf ! Gare la civilité !

Colombine

Je lui dis qu’il n’avoit qu’à se coucher dans mon lit.

Pierrot

Par civilité ? Ma foi, monsieur, vous avez là une sœur bien élevée.

Mezzetin

Oh ! Ma sœur sait vivre ; ce n’est pas là un grand malheur… Tu allas coucher dans une autre chambre ?

Colombine

Bon ! Je n’en fus pas la maîtresse : il ne voulut jamais permettre que je m’incommodasse pour l’amour de lui ; il dit qu’il seroit au désespoir de m’avoir découchée, et…

Pierrot

Que voilà un garçon bien honnête !

Mezzetin

Comment donc ! Qu’est-ce que cela veut dire ?

Colombine

II me dit qu’il y avoit longtemps qu’il m’aimoit, qu’il vouloit être mon mari ; et il m’en donna sa promesse, que j’ai encore.

Mezzetin

Ah, malheureuse ! Faut-il, juste ciel !… Mais tu n’échapperas pas à ma vengeance, et…

Pierrot

Allez, monsieur, un bon mariage raccommodera tout cela.

Colombine

Je ne vois pas qu’il y ait un grand mal de coucher avec son mari.

Mezzetin

Il faut tâcher de remédier à tout ceci.

À Colombine.

Entrez dans cette hôtellerie-là, et prenez garde de dire que vous me connoissez.



Scène VIII


Pierrot, seul.

Ma foi, je n’en saurois revenir : voilà une fille bien civile. Donner jusqu’à la moitié de son lit à un garçon ; la pauvre enfant ! La pauvre enfant !

Il y a ici quelques scènes italiennes.

Scène IX


Monsieur Croquignolet, son Valet, portant un sac de nuit sur son épaule.


Le valet


Ghérardi jouoit ce rôle à visage découvert.

Parbleu ! Monsieur, je ne puis plus aller ; j’ai les fesses tout écorchées. La peste soit du voyage ! On vous envoie solliciter un procès, et vous allez voir l’armée.

Monsieur Croquignolet

C’est que j’ai le cœur martial.

Le valet

Je crois que monsieur Croquignolet votre père et madame Croquignolet votre mère vont être bien surpris, quand ils verront arriver dans leur boutique monsieur Mathurin Blaise Croquignolet, leur fils l’avocat, qui vient de Flandre.

Monsieur Croquignolet

Oh ! Je le crois.

Le valet

Tous les badauds du quartier vont venir fondre dans votre boutique, pour savoir de vous des nouvelles du combat.

Monsieur Croquignolet

Cela est assez drôle, da ! À un jeune praticien comme moi d’avoir déjà vu une bataille contradictoire, et d’en être revenu sain et entier.

Le valet

Oh ! Parbleu, monsieur, vous pouvez aller à toutes les occasions du monde comme à celle-là, je vous suis garant que vous n’y serez jamais blessé.

Monsieur Croquignolet

Il y faisoit pourtant chaud.

Le valet

Cela est vrai ; mais vous preniez le frais sur le mont Pagnotte, à trois bonnes portées du canon.

Monsieur Croquignolet

Je n’y allois pas pour m’y faire tuer. Quelque niais !… Cela n’auroit pas été honnête à moi d’y mourir, et j’aurois enragé le reste de ma vie si j’étois mort là comme un sot.

Le valet

Oh ! Vous avez raison. Mais, monsieur, gagnons pays, s’il vous plaît ; allons vite chez votre père, visiter son vin de Bourgogne ; car je sens que j’ai besoin de forces.

Monsieur Croquignolet

Oh ! Je n’ai garde de descendre chez mon père.

Le valet

Et d’où vient ?

Monsieur Croquignolet

On m’a mandé à l’armée que ma grande sœur Toinon avoit la petite vérole, et je ne serois pas bien aise d’en être marqué.

Le valet

C’est, morbleu, bien fait de conserver votre teint ; et il seroit fâcheux qu’un jeune homme que le canon a respecté fût exposé au caprice d’une maladie aussi insolente. Entrons donc dans la première hôtellerie. Je crois que voilà notre affaire…

Il frappe à la porte d’Arlequin.

Holà !



Scène X


Monsieur Croquignolet, son Valet, Isabelle, sous le nom de Claudine.


Isabelle

Bonjour, messieurs : que vous plaît-il ?

Le valet

Allons, ma fille, une chambre, du feu et grand’chère. Je m’arrête volontiers où il y a bon vin et jolie servante.

Isabelle

Messieurs, vous allez avoir tout ce qu’il vous faut : on ne manque de rien chez nous.

Monsieur Croquignolet

Allons, ma fille, viens me débotter.

Il présente son pied botté à Isabelle.
Isabelle, le repoussant.

Vous débotter ! Pardi, monsieur, cherchez vos débotteuses ; ce n’est pas là mon affaire.

Monsieur Croquignolet

Est-ce que tu n’es pas aussi le valet d’écurie ?

Le valet

Monsieur, voilà une dondon qui me paroît assez résolue ; mais il me semble qu’elle vous saboule un peu.

Monsieur Croquignolet

La friponne est, ma foi, jolie. Viens çà, ma fille ; es-tu mariée ?

Isabelle

Non, monsieur, Dieu merci ; à moi n’appartient pas tant d’honneur : l’année n’est pas bonne pour les filles ; tous les garçons sont à la guerre.

Le valet

En voilà pourtant encore un qui n’y est pas. Si cette friponne-là vouloit, nous aurions bientôt conclu l’affaire.

Monsieur Croquignolet

Je sens quelque chose… là, qui me chatouille… Hé !… Tu m’entends bien ?

Isabelle hausse les épaules.

Voilà un vrai niquedouille.

Le valet, bas, à Isabelle.

C’est un Nicodème qui n’a pas le sens commun.

Monsieur Croquignolet, lui faisant des mines.

Si tu voulois un peu, pour me délasser de mes exploits guerriers… J’ai de l’argent, oui.

Isabelle

Bon ! Me voilà bien chanceuse avec votre argent ! Ce n’a jamais été ça qui m’a tentée : j’aime mieux un homme qui me plaît que tous les trésors du monde ; et, si vous voulez que je vous parle franchement, j’aimerois mieux votre valet que vous.

Le valet

La coquine est, ma foi, de bon goût. Allons, monsieur, retirez-vous ; ce n’est pas là de la viande pour vos oiseaux.

Monsieur Croquignolet, s’approche d’Isabelle.

Sais-tu bien, petite scélérate, que je viens de l’armée ?

Isabelle

Vous, de l’armée ! Vous voilà plaisamment fagoté, avec votre habit noir ! C’étoit donc vous qui portiez les billets d’enterrement des Hollandois qu’on y a tués ?

Monsieur Croquignolet

Comment, morbleu ! Si quelqu’un en doutoit, je lui ferois bien voir ce que c’est que Mathurin Croquignolet, volontaire en pied, suivant l’armée.

Le valet

Et avocat en parlement.

Isabelle

Oli ! Vous êtes un valeureux personnage ! Je crois qu’il ne faudroit encore qu’un Mathurin Croquignolet pour faire fuir tous les poulets de notre basse-cour.

Monsieur Croquignolet

Cette friponne-là n’est pas prévenue de mon mérite… Je suis pourtant un drôle avec les filles…

Il vent badiner.
Isabelle

Je vous prie, monsieur, encore une fois, de vous tenir en repos ; je n’aime pas à être tarabustée. Si vous voulez entrer chez nous, voilà la porte ouverte ; sinon, je suis votre très humble servante.

Elle veut rentrer dans l’auberge.
Monsieur Croquignolet, l’arrêtant.

Je ne saurois la quitter. Le joli bouchon !



Scène XI


Monsieur Croquignolet, son Valet, Isabelle, Cinthio.


Cinthio, sort précipitamment de l’auberge, et repousse Croquignolet.

En vertu de quoi, monsieur, s’il vous plaît, prenez-vous des familiarités avec cette fille-là ?

Monsieur Croquignolet

En vertu de quoi ?… En vertu que c’est mon plaisir.

Cinthio

C’est votre plaisir ! Croyez-moi, mon petit visage botté, ne m’échauffez pas les oreilles ; car je pourrois prendre le mien à telle chose qui vous déplairoit fort.

Monsieur Croquignolet

Monsieur, on ne traite pas comme cela un gentilhomme parisien, qui revient de Flandre.

Cinthio

Vous, de Flandre ?

Le valet, qui s’étoit caché, se rapproche.

Je veux que le diable m’emporte si nous n’en venons, et du camp de Fleurus.

Cinthio

Cet homme-là ?

Il lui montre Croquignolet.
Monsieur Croquignolet, se carrant.

Eh ! Non, nous n’y étions pas, quand notre général fit signifier un avenir aux ennemis ! Ils ne comparurent pas le dernier juillet, à une heure de relevée, pour plaider sur le champ de bataille ! Eh ! Non, non, nous n’y étions pas !

Cinthio

Oh, oh ! Voilà un style de guerre tout nouveau.

Monsieur Croquignolet

La cause fut appelée, qui dura plus de huit heures ; mais en vertu de bonnes pièces de canon, dont nous étions porteurs, nous fîmes bien vite déguerpir l’ennemi. Il voulut deux ou trois fois revenir par appel ; mais il fut toujours débouté de son opposition, et condamné en tous les dépens, dommages et intérêts, et aux frais, morbleu ! Aux frais… Eh ! Y étions-nous ? Eh ! Non, non, c’est que je me moque !

Cinthio

Voilà, je vous l’avoue, un plaisant récit de combat. Je vois bien, monsieur, que vous avez vu la bataille dans quelque étude de procureur.

Le valet

Je vais vous raconter cela bien mieux que mon maître ; car, entre nous, c’est un dadois. Premièrement, voilà les ennemis, et nous voilà. Le combat commença par les tambours ; à l’instant nous fîmes avancer nos vivandiers : les ennemis voyant cela, détachèrent cinq escadrons de leurs meilleurs voiliers. Oh ! C’étoit là où nous les attendions ; car aussitôt on lâcha toutes les galères pour enfoncer leur demi-lune… Après cela, la mousqueterie, pif, paf, Ah ! Je suis mort… Les brûlots… les canons… les trompettes, qui étoient chargées à cartouches ; pan, bedon… don… les… Je ne saurois vous dire le reste, car la fumée du canon m’empêcha de le voir.

Cinthio

Voilà qui est le plus joli du monde. Mais je vous prie, monsieur le vivandier, et vous, mon petit clerc de procureur, de passer votre chemin, et de ne pas regarder derrière vous : m’en tendez-vous ?

Monsieur Croquignolet
, faisant le brave.

Monsieur, prenez garde à ce que vous faites ; si Vous m’insultez…

Il prend son épée et la lève.
Cinthio met la main à la sienne.

Hé bien ?

Monsieur Croquignolet

Vous aurez affaire à mon valet.

Il se cache derrière son valet.
Le valet

Oh ! Ma foi, il aura bien affaire à vous ; je ne suis pas obligé de me faire tuer à votre place.

Cinthio

Allez, mon petit ami, je ne daigne seulement pas vous répondre ; mais si vous jetez seulement les yeux sur cette fille-là, je vous ferai mourir sous le bâton.

En s’en allant, il donne de ses gants dans le nez de Monsieur Croquignolet.

Scène XII


Monsieur Croquignolet, son Valet.


Monsieur Croquignolet

Il s’en va pourtant… Hé ! Que dis-tu à cela ? Je ne lui ai pas mal rivé son clou.

Le valet

Oh ! Fort bien, monsieur. Voilà ce que c’est que d’avoir été à l’armée.


ACTE II


scènes françaises.



Scène I


Isabelle, Cinthio.


Isabelle

Hé bien, infidèle ! Me connois-tu présentement ? Suis-je Isabelle que tu as trahie, que tu as obligée de quitter sa patrie pour venir te reprocher ton inconstance, et se déguiser en servante ?

Cinthio

Je vous dis encore une fois que je ne vous connois point. Isabelle n’est pas capable d’un pareil emportement, ni de se jeter à la tête de tout venant, comme moi-même je vous ai vue faire. Vous vous moquez de moi.



Scène II


Arlequin, Cinthio, Isabelle.


Arlequin

Quel diable de bruit fait-on ici ? On diroit que le diable emporte la maison. Il me semble, monsieur, que vous pressez de près ma servante. Croyez-vous donc que l’on soit obligé de vous tenir hôtellerie de filles ? Ma foi, c’est pour votre nez qu’on vous en garde !

Cinthio

Oh, oh ! Voilà un hôte bien rébarbatif ; je vois bien que cet homme-ci ne parle d’ordinaire qu’à des chevaux. Monsieur, c’est un petit différend que j’avois avec Claudine ; je lui demandois quelque ustensile dont j’avois besoin.

Arlequin

Comment donc ! Monsieur, pour qui prenez-vous ma servante ? Je vous prie de croire que ce n’est pas un ustensile… Ouais !

Cinthio

Sans tant de bruit, voyons, monsieur, ce que je vous dois. Quand vous voudrez tenir hôtellerie, faites provision de servantes qui considèrent les gens de qualité.

Arlequin

Comment donc, coquine ! D’où vient que monsieur se plaint de vous ? Ne vous ai-je pas dit qu’une servante d’hôtellerie doit être douce et avenante aux étrangers ?

Cinthio

Eh, monsieur ! Elle ne l’est que trop.

Arlequin

Comment ! Elle ne l’est que trop ! Ce n’est pas d’aujourd’hui que je m’en doute. Voyez-vous la carogne, comme elle est brave ! Je ne l’avois prise que pour servir à la cuisine ; mais je vois bien que la friponne ne s’en tient pas là.

Isabelle

Si je suis brave, ce n’est pas à vos dépens. Est-ce que vous voulez que j’aille toute nue ?

Arlequin

Oui, je le veux. Une fille ne gagne pas tant d’argent à ne faire que des lits dans une hôtellerie.

Isabelle, à part.

Il faut se tirer d’affaire.

Haut.

Et qu’ai-je donc fait pour faire tant de bruit ? Ce beau monsieur-là est bien plaisant d’amener des filles dans notre hôtellerie pour le servir, et emporter tous nos profits !

Arlequin

Comment donc ! Est-ce qu’il y a un peu de gravelure à son fait ?

Isabelle

Il dit que c’est sa soeur. Hé ! Oui, voilà encore une belle parenté ! Il ne passe point de monsieur dans l’hôtellerie dont je ne puisse bien être de même la sœur, si je voulois m’en donner la peine. Oh bien, monsieur, je ne veux point souffrir qu’une autre prenne ma place.

Arlequin

Claudine a raison, monsieur, cela ne se fait point : quand il y a une servante dans une hôtellerie, on ne doit se servir que d’elle ; et d’ailleurs Claudine est très habile in utroque, c’est-à-dire qu’elle fait aussi bien une chambre qu’un ragoût.

Cinthio

Je conviens, monsieur, qu’elle sait parfaitement bien son métier de fille ; mais c’est une petite imprudente, qui sert au premier venu ce qu’elle ne devroit servir qu’à moi seul. N’ai-je pas lieu de me plaindre ?

Arlequin

Assurément, elle a tort. Je vous dirai cependant, monsieur, qu’on est ici fort exact à donner aux compagnies ce qu’elles demandent. Tout à l’heure encore, je n’ai pas voulu donner au coche un chat de garenne que le messager avoit retenu. D’où vient donc, coquine, que vous faites de ces impertinences-là ?

Isabelle

Moi, servir à un autre ce que je vous ai promis ? Dites monsieur, que vous n’avez pas voulu vous contenter de ce que vous aviez choisi vous-même, et que l’appétit vous est venu en mangeant.

Arlequin

Pardi, monsieur, si vous êtes si fantasque, il n’y a pas moyen de vous contenter.

Isabelle

Voyez, je vous prie, si ce n’est pas assez pour le repas d’un homme seul je lui présente une jeune poularde, tendre, grasse jusqu’au bout des ongles, comme moi ; monsieur n’est pas content ; il en veut encore une autre.

Arlequin

Diable ! Monsieur, comme vous y allez ! Il ne faudroit encore qu’un homme comme vous pour mettre toute une rôtisserie à feu et à sang.

Cinthio

Hé ! Ne la croyez pas. Je me serois fort bien contenté de la poularde ; je ne suis pas si grand mangeur : mais je sais qu’on la présente à tout venant ; on l’a déjà servie sur vingt tables différentes, et je ne suis pas homme à m’accommoder du reste de toute la terre.

Arlequin

Ah ! Parbleu, monsieur, prenez garde s’il vous plaît à ce que vous dites ; je ne m’entends point à ce tripotage-là, et l’on ne sert chez moi que des viandes neuves. Parlez, a-t-on jamais vu manger ici la même poularde deux fois ?

Isabelle

Bon ! Ne voyez-vous pas bien que monsieur ne sait ce qu’il dit ? Jamais personne n’y avoit touché ; c’étoit une volaille délicate que j’avois pris soin d’élever, et que je nourrissois à la brochette avec autant de plaisir que si c’eût été moi-même ; elle faisoit envie de manger à tous ceux qui la voyoient, et cependant je ne la gardois qu’à monsieur. Allez, cela est bien vilain de reconnoître si mal les soins que l’on prend pour vous.

Arlequin

C’est peut-être que vous n’aimez pas la viande bardée ; une autre fois on vous la fera larder.

Cinthio

Bardé, lardé, cela m’est indifférent : quand les choses sont bonnes, je les trouve telles ; je ne m’y laisse point attraper.

Isabelle

Il faudroit, pour satisfaire le goût de monsieur, lui servir quelque vieille volaille racornie, quelque doyenne de basse-cour. Oh ! Ce seroit là le moyen de gagner ses bonnes grâces.

Arlequin

Oh ! Parbleu, monsieur, si vous aimez la viande coriace, nous vous en donnerons tout votre soûl.

Cinthio

Eh, monsieur !

Arlequin

J’ai une oie qui me sert depuis trois mois à faire mes soupes ; vous en aurez la fleur. Il n’y a point encore eu de postillon assez hardi pour mettre la dent dessus.

Isabelle

Voilà justement l’affaire de monsieur.

Arlequin

Allons, taisez-vous ; que je ne vous entende pas souffler ; rentrez là-dedans. Je vois bien que monsieur ne se connoît pas mieux en servantes qu’en poulardes : on vous mettra une aile de bœuf sur le gril.

Scènes italiennes.

Scène III


Isabelle, Colombine.


Colombine

Rien n’est plus vrai que ce que je vous dis. Ce gentilhomme, appelé Cinthio, qui vous aimoit, qui vous juroit un amour éternel, m’en a dit tout autant ; et sans la connoissance que vous me donnez de son infidélité, je ne sais si dans la suite il ne m’auroit pas un peu écorné le cœur.

Isabelle

Est-il possible, mademoiselle, que tant d’amour soit suivi de tant de perfidie ? Non, je ne croirai jamais que les hommes soient infidèles jusqu’à ce point-là.

Colombine

Les hommes ! C’est bien la plus maudite engeance !… Je ne sais qu’un secret pour n’en être point trompée ; c’est de les tromper les premiers.

Isabelle

Le perfide ! Après m’avoir engagé son cœur par une promesse de mariage !

Colombine

Promesse de mariage ? Ah ! Je n’y croirai jamais. Trébuchet à dupes, trébuchet à dupes.

Isabelle

Il fut obligé de me quitter pour un duel, où il tua son ennemi : l’amour me fit voler sur ses pas ; je suis venue à Paris ; je me suis déguisée sous l’habit d’une servante ; et sous le nom de Claudine, je suis venue demeurer dans cette hôtellerie, où je l’ai revu avec plaisir, dans le temps que je devois l’oublier pour toujours ; mais, hélas ! Le moyen, quand on a le cœur sincère et qu’on n’est pas née scélérate !

Colombine

Oh ! Il faut le devenir ; on ne fait rien en amour autrement ; et la vertu la plus nécessaire à une femme, dans le siècle où nous sommes, c’est un peu d’inconstance, assaisonnée quelquefois de perfidie.

Isabelle

D’où vient donc, mademoiselle, qu’avec toutes vos connoissances, vous vous êtes laissé attraper comme une novice ? Car il me paroît, dans votre histoire, que vous avez été un peu maltraitée.

Colombine

J’avoue que je n’en ai pas été quitte à meilleur marché que vous ; mais je ne savois pas ce que je sais, et avec le temps je me rendrai encore plus connoisseuse.

Isabelle

C’est-à-dire, mademoiselle, que vous ne prétendez pas en demeurer là, et que vous ne voulez pas être fille à une aventure.

Colombine

J’ai quitté Rome, comme vous, pour suivre un amant infidèle appelé Octave. Cinthio est venu à la traverse pour prendre parti sous mes étendards ; et, si vous ne me l’aviez fait connoître pour un déserteur de profession, je ne sais si je ne l’aurois pas enrôlé. Dame ! En temps de guerre on prend ce que l’on trouve.

Isabelle

Quel bonheur, mademoiselle, de pouvoir changer si facilement ! Et que je serois contente si, pour me venger de mon infidèle, je le pouvois haïr autant qu’il le mérite !

Colombine

Ne vous embarrassez point de votre vengeance ; remettez seulement vos intérêts entre les mains d’une coquette de ce pays-ci, dont il sera amoureux ; je vous promets qu’elle le fera aller bon train.

Isabelle

Non, non ; je ne me croirois pas assez vengée de m’en rapporter à une autre. Si une femme l’aimoit une fois, elle l’aimeroit toujours ; et puis on n’est peut-être pas sujette au changement en France.

Colombine

Oh ! L’on n’a garde ! Vous ne savez donc pas que Paris est la boutique de la légèreté ? Il ne vient point d’étranger qui n’en emporte sa provision. Bon ! Je vous dis que c’est le magasin de toute l’inconstance qui se débite en Europe.

Isabelle

Est-il possible ? Je ne l’aurois jamais cru. Hélas ! Quand un François dit qu’il vous aime, il vous le dit d’une manière si tendre et si passionnée, qu’il semble que son amour doive durer pour le moins vingt ans après sa mort.

Colombine

Vingt ans après sa mort !… Eh ! Oui… Les femmes seroient trop heureuses si leur tendresse duroit seulement vingt jours.

Isabelle

Vous me surprenez.

Colombine

La variété de leurs modes ne marque-t-elle pas l’inconstance de leur humeur ? Aujourd’hui ils portent des perruques qui leur pendent jusqu’aux genoux, demain ils en auront d’autres qui ne leur passeront pas les oreilles ; ils sont quelquefois habillés le plus simplement du monde, deux jours après il faut les chercher dans leurs dentelles et leurs rubans ; tantôt ils sont serrés dans leurs habits et empaquetés comme des momies, et quelquefois une pièce de drap ne suffit pas pour leur faire une manche d’été : enfin, tout est girouette dans un François, depuis les pieds jusqu’à la tête.

Isabelle

Cela peut être vrai pour l’ajustement et la manière de s’habiller ; mais pour le cœur, je ne les crois point si sujets au changement.

Colombine

Oh ! Vous avez raison ; ce sont des miroirs de fidélité. Voulez-vous que je vous représente un François qui veut surprendre la tendresse d’une jeune personne ? Premièrement, je vous avertis que la braise n’est pas plus chaude. Ah, ma chère enfant ! Ma princesse ! Que de beautés ! Que de charmes ! Les dieux ont-ils jamais rien fait d’aussi parfoit que vous ? Non, mon amour ne peut aller plus loin, et je suis au désespoir de n’avoir que des termes ordinaires pour vous l’exprimer. Voulez-vous que j’expire à vos pieds ? Vous ne me dites rien. Il faut donc mourir, puisque votre cruauté l’ordonne ! Là-dessus, on pleure, on laisse échapper un gros soupir, on se donne de la tête contre un coin de la cheminée : il n’en faut pas davantage ; voilà une femme dans la nasse.

Isabelle

Mais vraiment, je le crois bien ; un homme qui s’explique de la sorte est fort aimable. Le moyen de résister à ces gros soupirs-là ! J’avoue qu’il ne m’en faudroit pas beaucoup d’un pareil style pour me persuader. Je sens que j’ai le cœur françois.

Colombine

Voilà qui est le plus joli du monde ; mais regardons le revers de la médaille. Je m’en vais vous faire voir un François sur son retour de tendresse, c’est-à-dire huit jours après la déclaration.

Isabelle

Voyons.

Colombine, passe de l’antre côté, et contrefoit l’amant et la maîtresse alternativement.

Ma foi, madame, je suis bien las de vos manières ; je ne viens pas chez vous que je n’aie quelque sujet de chagrin. – Vous y venez si peu, monsieur, qu’au moins n’en avez-vous pas souvent. – Parbleu, madame, on a ses affaires. – Quand vous commenciez à m’aimer, vous n’en aviez point d’autres que votre amour. Est-ce là la tendresse que vous m’aviez jurée ? – Mais, madame, cela ne peut pas toujours durer. – Vous m’aviez tant fait de serments que votre passion seroit éternelle ! – Madame, je le croyois. – Ingrat ! Infidèle ! – Oh ! Madame, point d’injures : vous pouvez mettre écriteau à votre porte ; prendra le bail de votre cœur qui voudra ; adieu… Voilà mon François parti.

Isabelle

Mais vraiment, mademoiselle, si cela est comme vous voulez me le faire entendre, un François pour une femme n’est pas une meilleure pratique qu’un Italien.

Colombine

Encore pis. Croyez-moi, tenons-nous comme nous sommes. Pour moi, infidèle pour infidèle, j’aime autant Octave qu’un autre. Adieu, mademoiselle ; je vous promets que je n’entreprendrai rien sur le cœur de votre amant, et qu’à mon égard vous n’aurez point sujet de crier au voleur.

Isabelle

Un cœur est pourtant un larcin dont les femmes aujourd’hui ne se font pas grand scrupule.

Scènes italiennes.

Scène IV


Arlequin, Pierrot.


Arlequin

Viens çà, Pierrot ; je vais à une grande expédition ; je te laisse maître en ma place : prends bien garde à la maison, et surtout qu’il ne se passe rien autour de nos filles.

Pierrot

Oh ! Mordi, laissez-moi faire ; si elles me trompent, elles seront bien fines.



Scène V


Pierrot, seul.

C’est pourtant un maudit bétail à gouverner ; c’est du naturel des anguilles, cela frétille toujours. Il faut appeler Claudine, et lui faire une petite exaltation. Claudine !



Scène VI


Pierrot, Isabelle, sous le nom de Claudine.


Pierrot, prend un fauteuil.

Regarde-moi, Claudine… L’honneur est un joyau ; mais un joyau qui se gâte quand on le laisse exposé à l’air. Une fille est comme une bouteille d’eau de la reine d’Hongrie ; elle perd sa vertu si elle n’est bien bouchée : c’est ce qui fait qu’un grand philosophe dit qu’il faut qu’une femme demeure enfermée dans son logis. Il n’a pas parlé des filles ; car elles étoient fort clairsemées dans son temps, aussi bien que dans celui-ci.

Isabelle

Que veux-tu donc dire, avec tout ton galimatias ? Es-tu fou ?

Pierrot

Comment, si je suis fou ! Vous ne savez donc pas que je suis présentement votre pédagogue ?

Isabelle

Me voilà vraiment dans de bonnes mains !

Pierrot

Je suis à votre égard ce que la bride est à un cheval, un bâton à un aveugle, un gouvernail à un vaisseau : je suis la bride, et vous êtes le cheval ; je suis le bâton, vous êtes l’aveugle ; vous êtes le vaisseau, et moi le gouvernail : mais un gouvernail avec lequel j’empêcherai que vous n’alliez donner contre les rochers des garçons ; car ce monde est une mer, et les vents soufflent dans cette eau qui bouillonne… ce qui fait que la raison dans… cette mer…

Isabelle

Vite, vite, au secours ! Voilà un homme qui se noie.

Pierrot

Que la raison, dis-je, la… Enfin, Arlequin m’a laissé dans la maison pour vous garder.

Isabelle

Je te suis trop obligée ; je t’assure que je me garderai bien moi-même.

Pierrot

Nenni pas, s’il vous plaît ; je ne me fie plus aux filles ; j’y ai été attrapé.

Isabelle

Comment donc ? Est-ce que tu entretiens commerce avec des filles ?

Pierrot

Bon ! Quand on est fait d’une certaine manière, on en a à revendre de cette marchandise-là. Une petite carogne me pria de lui donner un baiser. Dame ! Moi, il ne faut pas me le dire deux fois : 0je ne fus ni fou ni étourdi ; je m’approchai ; elle me donna un grand soufflet : depuis ce temps-là, j’ai bien juré que je n’en baiserois plus.

Isabelle

C’est très bien fait, Pierrot. Crois-moi, ne te joue point aux filles ; il n’y a rien à gagner.

Pierrot

Si ce n’est quelque bon soufflet à la rencontre. Allons, point tant de raisonnements ; rentrez, et marchez devant moi.

Isabelle rentre ; Pierrot la suit des yeux.

Scène VII


Pierrot, seul.

Perdez cela de vue, autant de gobé.

Scènes italiennes.


ACTE III


scènes françaises.

Scène I


Arlequin, en spadassin, se disant frère d’Isabelle ; Pasquariel, et autres Spadassins.


Arlequin

Hé ! L’Espérance, Brise-Fer, Poudre-à-Canon, l’Effroi-des-Poulets ! Hé bien, mes enfants ! Que vous dit le coeur ? Y a-t-il longtemps que vous n’avez mangé de chair humaine ?

Pasquariel

Vous n’avez qu’à dire, mon capitaine ; je fais d’abord main basse.

Il met l’épée la main, et pousse de tous côtés, comme s’il avoit plusieurs personnes à combattre.


Arlequin

Voilà, mordi ! Un bon garçon. Ce drôle-là a tué plus de poulets à lui seul que toute ma compagnie ensemble.

Pasquariel, recommence le même jeu.

Holà ! Holà ! En voilà assez d’échinés. Il ne faut pas laisser refroidir cette ardeur-là : allons chercher Cinthio.



Scène II


Cinthio, Arlequin, Pasquariel, Spadassins.


Arlequin

Qui est cet homme-là ? Il me semble qu’il a assez l’encolure d’un dénicheur de filles. Qui êtes-vous, mon ami ? Ne vous appelez-vous pas Cinthio ?

Cinthio, le regardant du haut en bas.

Hé ! Qu’en avez-vous affaire ?

Arlequin

Comment, ventrebleu ! Ce que j’en ai affaire ! Si vous étiez Cinthio, ou que vous fussiez seulement cousin, petit-cousin, arrière-petit-cousin de Cinthio, par la ventrebleu ! Je veux que le diable m’emporte, vous verriez beau jeu.

Cinthio, froidement.

Ne pourroit-on pas savoir, monsieur, en quoi ce Cinthio vous a tant offensé ? Car vous me paraissez bien échauffé.

Arlequin

Assurément, je le suis. C’est un drôle qui va de fille en fille avec une promesse de mariage circulaire. Oh ! Parbleu, si je vous rencontre, mon petit ami, vous tiendrez la parole que vous avez donnée à ma sœur, ou vous aurez les étrivières de ma façon.

Cinthio, toujours froidement.

Cela est bien scélérat de tromper comme cela les filles.

Arlequin

Par la tête ! Par la mort ! Je voudrois le tenir pour cent pistoles.

Cinthio, très froidement.

Touchez là, monsieur ; je veux vous faire gagner plus de cinquante louis aujourd’hui : donnez-m’en trente, je vous dirai où est Cinthio ; et, afin de ne pas vous tenir plus longtemps en suspens, c’est moi.

Arlequin, tout étonné.

C’est vous ? C’est vous ? Ah ! Par ma foi, j’en suis bien aise. Vous ne voulez donc pas, monsieur, épouser ma soeur ?

Cinthio

Bon ! Sommes-nous dans un siècle à épouser ?

Arlequin

Non ? Oh ! Parbleu, nous verrons : vous la prendrez, quand je devrois vous la faire avaler dans une médecine. Laissez-moi faire seulement.

Cinthio

Je me moque de vos menaces ; et pour vous faire voir que je ne vous crains, ni vous ni vos spadassins, je vais vous attendre dans cette hôtellerie-là.


Scène III

Arlequin, Pasquariel,Spadassins.


Arlequin, aux Spadassins, après que Cinthio est sorti.

Qu’on me suive cet homme-là, et qu’on me le garde à vue. Voilà, mordi ! Comme il faut sortir vigoureusement d’une affaire.

Scènes italiennes.

Scène IV


Un Capitaine Hollandois, avec une jambe de bois, Arlequin.


Le Hollandais

Gouten tag, minher, gouten tag.

Arlequin

Gouten tag, gouten tag.

Le Hollandais

Moi l’être un étrangir qui cherchir à logir dans sti ville.

Arlequin, le contrefaisant.

Sti ville, monsir, l’être à vous bien obligir.

À part.

Ma foi, voilà un croustilleux corps.

Le Hollandais

Enseignir moi, s’il plaît à monsir, où être un logiment pour mon chevau et pour mon personne.

Arlequin

C’est une hôtellerie que vous cherchez, n’est-ce pas, monsieur ?

Le Hollandais

Oui, monsir, l’être une hôtellerie.

Arlequin

Tenez, monsieur, en voilà une où vous serez parfaitement bien ; il y a de bon vin, et vous y trouverez aussi de jolies filles ; et voilà ce que vous demandez ; j’entends à demi-mot.

Le Hollandais

Moi demandre excuse à monsir, si ne parlir pas bon français ; mais mon pensir l’être beaucoup plus meilleur que mon parlemente.

Arlequin

Allez, monsieur, vous ne l’écorchez pas mal. Croyez-moi, monsieur, allez vous reposer dans cette hôtellerie-là : car un homme qui n’a qu’une jambe doit être une fois plus las qu’un autre.

Le Hollandais

Adieu, monsir ; moi remercir vous bien fortiment.

Il frappe à la porte.
Arlequin

Il faut que je sache un peu qui est cet étranger qui va loger chez moi. Venez çà, monsieur ; ne peut-on pas savoir de quel pays vous êtes, et le sujet qui vous amène en cette ville ?

Le Hollandais

Moi l’être un gentilhomme hollandois de Hollande, qui vient dans sti ville pour affaire de grand importement.

Arlequin, à part.

Vous verrez que c’est un de ces sots qui se sont laissé prendre.

Le Hollandais

Moi avoir toujours fait mon service sur la mer, et j’ai commandir un vaisseau de guerre des États dans le combat naval.

Arlequin

Comment, diable, monsieur ! Hé ! Que venez-vous faire ici ? Apparemment que vous avez un bon passeport ?

Le Hollandais

Moi venir expressément de mon pays, de la part des États, pour demandir à la cour qu’on me rendre mon vaisseau, que sti tiaple de François avoir fait griller comme du poudin.

Arlequin

Oh ! Vous avez raison ; voilà de méchants diables que ces Français ! Il falloit crier au feu ; quelqu’un seroit venu à votre secours.

Le Hollandais

N’être pas là tout, monsii. ; moi avoir encore perdu mon jambe, qui sti enragés m’ont emporté dans la bataille.

Arlequin

Si vous avez perdu votre jambe, ce n’est pas ma faute ; je vous assure, monsieur, que je ne l’ai point trouvée.

Le Hollandais

Moi redemandir mon membre à la cour.

Arlequin

Ma foi, monsieur, si vous voulez que je vous parle sincèrement, je ne crois pas qu’on vous rende votre jambe.

Le Hollandais

Hé ! Pourquoi, monsir ?

Arlequin

Bon ! S’il falloit, à la cour, que l’on rendît à vos confrères les Hollandois tous les membres que les François leur ont emportés cette année, il n’y auroit plus ni bras ni jambes en France.

Le Hollandais

Mais, monsir, comment faire pour servir ? Moi, n’avoir plus ni jambe, ni vaisseau.

Arlequin

Je vous conseille, monsieur, d’aller servir aux Invalides. À ce que je vois, monsieur le Hollandois, vous avez été un peu démâté, hé, hé, lié…

Le Hollandais

Moi ne rire point, monsir ; moi l’être un gentilhomme. Das, dick, der, dondre, vernetre.

Arlequin

Das, dick… Mon petit ami, vous sentez votre vieux rossé. Je vous renverrai à Fleurus.

Ils se battent ; le Hollandois tombe, et fait plusieurs lazzis avec sa jambe de bois.
Scènes italiennes.

Scène V


Arlequin, en commissaire ; Pierrot, en clerc ; Cinthio, Isabelle, Gardes à la suite du commissaire.


Arlequin

Allons, dépêchons-nous vite ; tire ton écritoire, ferme la porte, chasse les chiens, prends une chaise, mouche ton nez, laisse de la marge, écris gros.

Pierrot, tire une grosse écritoire, dans laquelle est une petite plume.

Monsieur, faisons vite, s’il vous plaît ; j’ai un cours de ventre, comme vous savez, qui ne me permet pas d’être longtemps en place.

Arlequin

J’aurai bientôt fait.

À Cinthio.

Comment vous appelez-vous ? Dites-moi votre nom, surnom, qualité, patrie, rue, paroisse, logis, appartement. Avez-vous un père, une mère, des frères, des parents ? Que faites-vous à Paris ? Y a-t-il longtemps que vous y êtes ? Qui voyez-vous ? D’où venez-vous ? Où allez-vous ? Écrivez donc, greffier.

Il donne un coup sur l’épaule de son clerc.
Pierrot, jetant son écritoire.

Ah ! J’ai l’épaule cassée. Voilà un clerc estropié.

Arlequin

C’est punctum interrogationis. Quel diable d’ignorant !

À Cinthio.

Et vous, mon petit gentillâtre, vous ne voulez donc pas répondre ? Écrivez qu’il n’a rien dit.

Cinthio

Comment voulez-vous, monsieur, que…

Arlequin

Vous croyez donc, mon ami, que j’ai le loisir d’entendre toutes vos sottises ? Savez-vous que j’ai encore aujourd’hui trois fripons à faire pendre sans vous ?

Pierrot

Et cinq ou six demoiselles à faire déménager ?

Cinthio

Monsieur, je m’appelle Cinthio ; je loge chez Arlequin.

Pierrot

Je le connois ; c’est un fripon.

Arlequin, lui donne encore un coup.

Songe à ce que tu fais, animal ! Punctum admirationis. Connaissez-vous cette soi-disant fille-là ?

À Isabelle.

Et vous, la belle aux yeux escarbillards, connoissez-vous ce pèlerin-ci ?

Isabelle

Hélas, monsieur ! Je ne le connois que trop ; c’est un ingrat qui m’a trompée avec une promesse de mariage.

Pierrot

Voilà qui est bien noir !

Arlequin

Si toutes les filles d’aujourd’hui avoient autant de maris que de promesses de mariage, elles en auroient assez pour en changer par saison.

À un Garde.

Qu’on aille dire à la chaîne qu’elle ne parte pas encore ; j’ai ici de quoi l’augmenter.

À Isabelle.

Mais cela est-il bien vrai ?

Isabelle

Tenez, monsieur, la voilà ; lisez.

Arlequin, l’ouvre.

Me voilà bien embarrassé ; j’ai depuis deux jours un rhumatisme sur l’oreille, qui fait que je ne vois goutte.



Scène VI


Un Garde, Les Personnages précédents.


Le garde, au Commissaire.

Monsieur, la chaîne ne partira pas que vous n’y soyez.

Arlequin, à Pierrot.

Tenez, lisez.

Pierrot

Moi, monsieur, vous savez bien que je n’ai jamais appris qu’à écrire.

Arlequin, à Isabelle.

Lisez donc ; je vous cède mes droits de magistrature.

Pierrot écrit.

Lequel a déclaré ne savoir ni lire, ni écrire, attendu sa qualité de juge.

Isabelle, lisant.
Je soussigné…
Arlequin

En moment. Que dites-vous à cela, monsieur le fripon ?

Cinthio

Je dis, monsieur, que l’on ne traite point de la sorte un homme de ma qualité.

Arlequin

Ah ! Mon petit compagnon, vous voulez faire le plaisant ! Nous allons voir si vous avez bon air à danser au bout d’une ficelle.

Isabelle

Non, monsieur le Commissaire, il n’y a point de supplice assez cruel pour punir sa perfidie. À quoi le désespoir ne m’a-t-il pas réduite ? J’ai quitté mes parents pour le suivre ; je me suis exposée à mille hasards ; car vous savez les risques que court une fille toute seule.

Arlequin

Elle en court encore plus quand elle est avec quelqu’un.

Isabelle

Je me suis mise servante dans l’auberge d’Arlequin, où j’ai caché mon nom sous celui de Claudine. Il est venu loger dans cette hôtellerie, pour son malheur et pour le mien ; car, enfin, il est bien rude de voir pendre ce que l’on a si tendrement aimé… Hi… Hi…

Elle pleure.
Pierrot

Hé, hé…

Il pleure.
Arlequin

Tu me le paieras, coquin, de faire pleurer mon secrétaire. Que la corde soit bien grosse ; voilà un fripon qui a la vie dure.

Cinthio

J’avoue ma faute ; mais, monsieur le Commissaire, il faut pardonner à l’amour.

Il donne de l’argent au Commissaire.
Arlequin, prend l’argent.

Non, non ; je prétends faire ma charge avec honneur… Je me servirai de cet argent-là pour vous faire une pompe funèbre.

Cinthio

Mais, monsieur le Commissaire, un peu de quartier ; je suis prêt à l’épouser.

Pierrot

Il a raison ; il vaut encore mieux être marié que pendu.

Isabelle

Moi, traître ! T’épouser, après toutes tes infidélités ! Je renonce à ta tendresse ; je ne veux point d’un cœur aussi corrompu que le tien.

Cinthio, se mettant à genoux.

Hé ! De grâce, mademoiselle, que l’amour vous fasse oublier un crime que l’amour même a fait commettre !

Arlequin


Pierrot aussi aux genoux d’Isabelle.

Écoutez, mademoiselle ; quand il sera sec, vous n’en serez pas plus grasse ; vous l’êtes assez.

Pierrot

Pourvu qu’il paye grassement mes écritures, je vous conseille de lui pardonner ; il est assez puni d’avoir une femme.

Isabelle

Ingrat ! Je devrois vous haïr, et je sens que je ne le puis.

Arlequin

Ah ! Vous voilà donc bons amis ! Présentement que l’affaire est toisée, il est bon de vous dire que le commissaire et le clerc sont deux fripons qui ont pris cet habit-là pour vous faire marier ensemble.

Pierrot

Cela est vrai. Ma foi, voilà une procédure qui m’a donné bien de la peine !

Arlequin

Monsieur, en faveur de cette noce-là il faut se divertir. Allons, qu’on fasse venir les violons, et qu’on appelle toute l’auberge.


Divertissement
Tous les Comédiens sortent chacun avec une guitare, et parodient la chaconne de Cadmus.
Le choeur

Suivons, suivons l’amour ; laissons-nous enflammer.
Ah, ah, ah ! Qu’il est doux d’aimer !

Mezzetin, chante.

Pour l’hymen qu’on destine,
Tous, d’un même ton,

Chantons une chanson.
Morbleu ! Vive Claudine !
Car, dans sa saison,
On verra la coquine
Donner un fils de sa façon.

Le choeur


Suivons, suivons l’amour ; laissons-nous enflammer.
Ah, ah, ah ! Qu’il est doux d’aimer !

Mezzetin


Une fille a beau feindre,
L’hymen est charmant ;
Elle a beau se contraindre,
Il lui faut un amant ;
Et rien n’est tant à craindre
Que l’âge de quinze ans.

Le choeur


Suivons, suivons l’amour ; laissons-nous enflammer.
Ah, ah, ah ! Qu’il est doux d’aimer !

Trio, chanté par Arlequin, Mezzetin et Pasquariel.

Un amant aux abois,
Las d’un choix,
Veut quitter prise ;
Mais l’on n’est pas de bois,
Et l’on fait quelquefois
Une sottise.

Le choeur


Suivons, suivons l’amour ; laissons-nous enflammer.
Ah, ah, ah ! Qu’il est doux d’aimer !