Les Forces éternelles/Calme soir

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Comtesse de Noailles ()
Arthème Fayard & Cie, éditeurs (p. 188-189).

CALME SOIR



Six heures du soir en été,
Paix, silence, immobilité.
Des écharpes de soleil dorment
Dans l’herbe épaisse, sous les ormes.
Le temps est dans l’ombre arrêté :
C’est un moment d’éternité.
Un magnolier que le soir creuse
Donne son odeur somptueuse.
Les jardins ont, tout engourdis,
La fixité du paradis.
— Ô calmes cieux, tièdes pelouses.
Mon fiévreux esprit vous jalouse ;
Repliement de l’air et des prés,
Laissez-moi ne rien désirer ;
Que je sois, comme vous, unie.
Longue, stable, sage, aplanie,

Captive sous le frais réseau
Du vert parfum des bois, des eaux.
— Oui, rien ne bouge, rien ne change
Dans ce soir tiède, mol, étrange.
On croirait que tout est dissous.
Qu’il n’est plus de temps, plus de nombre,
Qu’il ne fera plus jamais sombre.
Si, détournant son œil si doux,
Le mouvant soleil, tout à coup,
N’avait mis ce rosier dans l’ombre…