Les Forces éternelles/L’adolescence

La bibliothèque libre.

Comtesse de Noailles ()
Arthème Fayard & Cie, éditeurs (p. 380-381).

L’ADOLESCENCE


Peut-être n’avons-nous aimé que le plaisir.

Malgré la scrupuleuse et l’ascétique vie,
Malgré l’enchantement innocent des loisirs
(Sans tentation nette et presque sans envie,
Tant l’azur, l’horizon, l’imagination
Comblent une excessive et vague passion),
Peut-être n’avons-nous, femmes candides, sages,
Aimé que le plaisir. Peut-être n’avons-nous,
À travers la beauté des calmes paysages
Où le profond bonheur semble enclos et dissous,
Jamais rien aperçu, jamais rien voulu même
Que le désordre ailé des instants où l’on aime !
— Bourgeonnement du chant des oiseaux au matin,
Lac où la blanche barque ondule sous sa tente,
Bonté, compassion, rêve, mémoire, attente,

Berline aux gais grelots passant dans le lointain,
Sacrifice accepté, refus de ce qui tente,
Tout ce que nous avons aimé, donné, souffert,
Amour pour les humains, amour pour l’univers,
Notre vie épandue, active, combattante,
Peut-être n’étiez-vous, — ô multiple soupir ! —
Que la forme infinie et sainte du plaisir…