Les Frères Zemganno/10

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G. Charpentier, éditeur (p. 81-83).

X

Un matin, à son réveil, Nello apercevait étalées sur une chaise des choses, des choses désirées, inespérées, que, depuis des mois, la nuit mensongère montrait à ses rêves. Il se frottait un instant les yeux, ne pouvant se croire éveillé, puis tout à coup, se jetant à bas de son matelas, il se mettait à s’assurer, avec des doigts tremblants de bonheur, de la réalité de ces objets aux riantes couleurs, où l’émoi de son toucher remuait des paillettes. Il y avait là un maillot fait sur mesure pour son petit corps, un caleçon bouffant bleu de ciel, tout constellé d’étoiles d’argent, une paire de bottines minuscules à la garniture de fourrure. L’enfant tâtonnait, retournait le maillot, le caleçon, les bottines, et tour à tour les embrassait. Soudainement, il prenait entre ses bras son aimable travestissement, et dans un cri de joie allait réveiller sa mère pour qu’elle lui mît « ses belles affaires ». Stépanida dans son lit, et presque hors de son lit, l’habillait lentement avec les pauses, les arrêts, les contemplations satisfaites des mères essayant à leur chéri un habillement neuf, et trouvant, sous l’habillement nouveau, un nouvel enfant à aimer encore un peu plus. Quand il fut costumé, c’était la plus mignonne miniature qui puisse se voir d’un Alcide de foire. Alors la Talochée, dans ses cheveux blonds qui commençaient à brunir, s’amusait à lui faire avec un fer chaud, au-dessus du front, deux cornes qui donnaient à l’espiègle quelque chose d’un diablotin. Ainsi accommodé, le saltimbanque, dans son maillot un rien trop large et faisant sur les côtés, aux jarrets, deux plis, demeurait immobile avec des yeux abaissés et admiratifs de sa coquette personne, heureux comme avec une envie de pleurer, tout craintif d’abîmer, en bougeant, son frais costume.