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Les Gens d’Auberoque/VII

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Calmann-Lévy (p. 147-175).

VII

Au temps qu’il était acoquiné avec une ancienne actrice du théâtre de la ville, M. l’inspecteur Duffart, lorsque les portes du Palais-Bourbon étaient closes, habitait Périgueux, où sa situation irrégulière se dissimulait mieux ; non point par vergogne, car il n’avait qu’une connaissance assez imparfaite de ce sentiment, mais par prudence. Après sa rupture, il songea à s’établir dans son canton, au moins pendant les vacances, et se détermina pour Auberoque. C’est là qu’il se sentait le plus ébranlé ; et puis il tenait à cultiver la connaissance de la richissime madame Chaboin. Celle-ci, qui comptait se servir du conseiller général, l’encouragea fort dans ce projet, en sorte qu’après la clôture de la session, ayant loué à quelques portées de fusil du bourg une maison appelée Belarbre, appartenant à M. Madaillac, monsieur et mademoiselle Duffart s’y installèrent en compagnie de « Baba », un affreux havanais, bouffi de graisse, aux yeux larmoyants, et, quelques jours après, commencèrent leurs visites.

Ils furent reçus assez fraîchement dans plusieurs maisons. Le « genre » de mademoiselle ne plaisait pas aux dames en général : on lui trouvait l’air trop libre, et aussi parfois la parole. Outre cela, les ouvriers qui avaient mis la dernière main aux réparations de Belarbre avaient raconté quelques-unes des excentricités de la veuve du capitaine, et rapporté au bourg certaines plaisanteries militaires un peu lestes, risquées en un moment de belle humeur. Et puis quelles toilettes tapageuses ! Les messieurs passaient volontiers sur tout cela, mais les dames !… jamais !… Il y eut pourtant des exceptions. Madame Desguilhem, née Porcher, elle, accueillit bien les deux visiteurs et leur raconta la chronique scandaleuse du pays, à la grande jubilation de mademoiselle Duffart. Puis elle finit par sonder l’honorable conseiller au sujet du bureau de tabac d’Auberoque, qu’elle ambitionnait. Le titulaire avait quatre-vingts ans et ne bougeait du lit : il ne pouvait aller loin…

M. Duffart promit chaleureusement de s’occuper de cette affaire : il promettait toujours. Il dut promettre encore chez le vétérinaire, où madame Grosjac joua fort à la femme du monde exilée, et supplia le conseiller de s’occuper, avec le député son cousin, de cette place à l’École de Toulouse : elle se mourait d’ennui dans cet horrible trou !

Mademoiselle de Caveyre reçut avec une cordialité charmante cette ancienne belle qui, savamment maquillée, faisait encore de l’effet, et avait « de l’allure », ainsi que disait Exupère, récemment congédié du service comme brigadier de lanciers. L’entrevue s’agrémenta d’un verre de chartreuse et d’une cigarette : tout de suite les deux femmes s’étaient comprises. Voyant cela, M. Duffart laissa là mademoiselle, et alla seul faire d’autres visites. Chez M. Lefrancq, le conseiller profita de la circonstance pour signaler au receveur quelques délinquants dignes de toute sa bienveillance : Campagnac, un brave homme chargé de famille…

— Et de condamnations aussi ! dit le receveur. C’est la septième fois qu’il est condamné pour délits de chasse ou autres…

— Vraiment ? Mais, cette fois, il paraît qu’il ne chassait pas… le procès-verbal a été fait un peu à la légère… Et puis, il y a aussi Germillat, l’aubergiste de Saint-Guérain, condamné pour n’avoir pas fermé son établissement à l’heure réglementaire…

— Son cas s’est compliqué de tenue de jeu clandestin, remarqua M. Lefrancq.

— Oh ! quelques amis qui jouaient du vin blanc à la « quadrette »… Enfin, monsieur le receveur, je recommande ces braves gens à votre bienveillance… S’il est besoin de parler à monsieur le directeur pour faire passer ces condamnations en non-valeur, j’irai un de ces jours à Périgueux…

Le receveur fit un geste qui signifiait : « Comme vous voudrez ! » et s’inclina légèrement pour répondre au salut de M. Duffart, qui s’en alla.

Pour les bonnes gens de la campagne, on n’allait pas les voir, mais ils venaient, et, selon les us anciens, ne venaient pas les mains vides. Les cadeaux affluaient à Belarbre : chapons, lièvres, perdreaux, belles carpes de la Vézère, grosses comme un enfant de dix mois, et barbeaux monstrueux dont la tête grasse est délicieuse au court-bouillon. Ces braves paysans ne s’offusquaient pas, eux, des façons lestes de mademoiselle Duffart. Au contraire, cette familiarité libre, qui provenait d’un défaut d’éducation, d’un manque de tact, d’habitudes soldatesques, leur paraissait procéder d’un esprit d’égalité populaire et démocratique, ce qui les flattait. Aussi, après avoir trinqué avec monsieur, avec mademoiselle, après avoir reçu de bonnes poignées de main et force promesses en échange de leurs présents, ils s’en retournaient disant :

— Ils ne sont pas fiers !

Mademoiselle Duffart trouvait tout cela charmant : elle aimait à jouer à la femme politique et se complaisait à être sollicitée. Ravie d’être indirectement quelque chose « dans les huiles », comme elle disait pittoresquement, en l’absence du conseiller elle recevait les gens et leur promettait gravement sa protection.

De temps en temps, le frère et la sœur dînaient au château ; mais mademoiselle Duffart ne tenait pas beaucoup à ces invitations. Elle trouvait que « la Chaboin » posait trop à la grande dame ; et puis elle était toujours gelée comme une rave, ne parlait que d’affaires et avait une figure « jovente » comme un geôlier de prison.

Il est vrai que Maria Dissac, veuve Chaboin, depuis qu’elle avait dépassé la quarantaine, d’une nervosité excitée qui troublait parfois son intelligence, n’était guère aimable, ni même trop polie avec personne, surtout avec les femmes, qu’elle dédaignait comme des êtres futiles, toujours occupés de chiffons. Mademoiselle Duffart lui déplaisait particulièrement à cause de sa légèreté folle, de son bavardage de touche-à-tout ; et elle ne la tolérait qu’à cause du conseiller-inspecteur son frère, dont elle voulait utiliser les relations.

Enfin, après de bonnes vacances passées en plaisirs champêtres, chasses suivies de plantureuses ripailles, pêches aux écrevisses, le soir après souper, parties de crêpes, petits voyages d’agrément dans les environs, les contrevents verts de Belarbre se fermèrent, et, au moment où le vent d’automne faisait tourbillonner les feuilles mortes sur les chemins, les Duffart rentrèrent à Paris, chargés de commissions variées, après avoir fait des hottées de promesses, la plupart impossibles à tenir.

Mais en ce qui concernait l’affaire de la station, le conseiller n’avait garde de l’oublier : il comptait là-dessus pour « rabibocher » la farce du puits artésien, qui lui avait fait du tort ; et puis il voulait plaire à madame Chaboin, avec le secret espoir de ne pas la trouver ingrate. Quant à celle-ci, tout en se servant de M. Duffart, elle méprisait cet élu du peuple qui s’était ainsi laissé passer le collier, heureuse de rendre à un autre les sentiments qu’on avait pour elle.

Vers la fin de l’hiver, une lettre de M. l’inspecteur-conseiller apprit aux habitants d’Auberoque que la station serait construite dans les prés des Palus : pour cette fois, M. Duffart avait tenu ses promesses, ou plutôt son cousin, pour lui. Dès lors, tout marcha rapidement ; les ventes de terrain à l’amiable furent faites et les expropriations des récalcitrants préparées.

Madame Chaboin n’était pas de ces derniers, la brave femme, il n’y avait pas de danger ! Pour les voies et l’emplacement de la station avec des annexes considérables, on lui prenait une douzaine d’hectares, que l’on offrait de lui payer cent vingt mille francs. La terre d’Auberoque contenant environ douze cents hectares, on lui prenait à peu près la centième partie de la propriété qui lui avait coûté six cent mille francs, y compris le château qui seul valait ce prix.

Ainsi, en comptant pour rien cette demeure princière, l’hectare, bon ou mauvais, qui revenait à madame Chaboin à cinq cents francs, était revendu par elle dix mille francs, quoique les terrains pris fussent les plus mauvais de sa terre.

Et il n’y avait pas à dire que l’on payait ici un dommage causé, une dépréciation de ce beau domaine, car l’emprise était faite tout à l’extrémité de la propriété, à laquelle, au contraire, la facilité des communications allait donner une plus-value considérable, comme cela se vérifia plus tard.

On voit que madame Chaboin faisait une riche affaire. Pourtant, comme si elle eût pu être tentée de refuser, un haut employé vint de Paris, dare dare, afin de traiter avec elle. Cette précipitation et ce déplacement, qui n’étaient pas habituels, firent jaser quelque temps, mais ce fut tout.

Il est vrai qu’après la signature de l’acte de vente le conseiller vint emprunter à madame Chaboin un billet de mille francs. Prêter de la main à la main à M. Duffart, ou même autrement, c’était donner. Madame Chaboin donna donc le billet de mille, sans observations, en se disant :

« Le pauvre diable ! il a fait assez de démarches, monté assez d’escaliers et assez courbé l’échine… ça vaut bien ça ! »

M. Duffart s’était longtemps travaillé pour savoir combien il pouvait raisonnablement emprunter à « la Chaboin » sans courir le risque d’un refus. Il avait d’abord voulu lui demander trois mille francs, puis deux, et enfin, se méfiant de la pingrerie de la châtelaine, il s’était sagement réduit à mille. Après, il regrettait d’avoir été aussi modeste :

— Je lui fais gagner quatre-vingt mille francs au bas mot ! ça valait mieux que ça !

Tous les propriétaires ne furent pas aussi bien payés que madame Chaboin. Des voisins, qui avaient traité à un prix raisonnable, récriminaient amèrement :

Pourquoi, à côté des terrains de madame Chaboin acquis à raison de dix mille francs l’hectare, les leurs n’étaient-ils payés que sur le pied de trois ou quatre ?

Mais ces récriminations se perdaient dans l’enthousiasme général : Auberoque triomphait bruyamment de Charmiers. Seulement, ce succès devait finalement lui coûter cher.

Assommés un instant par ce coup terrible, les habitants de Charmiers reprirent courage pour se venger. Puisque Auberoque les accablait ainsi, au mépris de la raison et de l’équité, il fallait l’amoindrir en se séparant de lui. Et alors on ressuscita un ancien projet de séparation des deux sections de la commune. Un bonhomme qui avait grande envie d’être maire de Charmiers colporta dans toute la section une pétition tendant à cette séparation.

Cette pétition, envoyée à la sous-préfecture, fut la première pièce d’un dossier qui s’enfla successivement de plans, de budgets, de rapports, de procès-verbaux, d’enquêtes, de délibérations et de quelques autres paperasses encore. Tout cela prit du temps, et lorsque enfin le dossier fut complet, le conseil municipal, où la section d’Auberoque était représentée en majorité, donna un avis défavorable à la séparation, ce qui remit tout en question.

Et le dossier renvoyé à la sous-préfecture et transmis à la préfecture alla dormir dans un carton.

Pendant que tout cela se passait, madame Chaboin, affriandée par le succès, avait conçu un autre projet.

Les anciens seigneurs d’Auberoque avaient fait construire de grandes allées qui partaient du pied de la colline, orientées vers les quatre points cardinaux. Ces voies subsistaient encore et faisaient des avenues dignes du château. À l’égard de l’utilité, elles dégageaient la bourgade, en rendaient l’accès moins pénible, et facilitaient la montée des gens et des bestiaux aux foires mensuelles. Surtout, elles empêchaient l’encombrement et les accidents, lorsque, vers les trois heures, les divers foirails dégorgeaient hommes et animaux, marchands, charrettes, voitures, bêtes de somme, dans toutes les directions. Une de ces allées tracée en droite ligne traversait majestueusement la terre d’Auberoque, jusqu’à son extrême limite. Lorsqu’on l’embrassait de l’œil, avec sa large chaussée pavée et ses contre-allées bordées d’un double rang d’ormeaux, telle qu’elle était depuis trois cents ans, on admirait la belle arrivée qu’elle faisait à l’antique forteresse dans l’axe de laquelle elle était tracée ; et, avec un peu d’imagination, on revoyait les cavalcades seigneuriales faisant résonner les fers des chevaux sur les pavés frustes. Mais madame Chaboin n’était ni artiste, ni femme d’imagination ; c’était une femme d’argent : elle se plaçait donc à un autre point de vue. Elle se disait que cette allée, devenue un chemin public à la Révolution, coupait sa propriété en deux, et que sa disparition ainsi que celle de deux grands communaux qui l’avoisinaient réunirait en un seul tenant cet immense domaine, ce qui lui donnerait une énorme plus-value. Comme, en acquérant la terre d’Auberoque, elle avait voulu, non seulement satisfaire ses visées de gloriole, mais faire une spéculation, tout ce qui pouvait en augmenter la valeur vénale lui était bon.

Malheureusement pour elle, on n’était plus au siècle où le prince de Condé à Chantilly, le duc de Chevreuse et d’autres encore autour de leurs châteaux, enfermaient d’autorité dans leurs parcs les propriétés privées et publiques. En raison du malheur des temps, il fallait compter avec les manants ; mais madame Chaboin savait qu’avec un peu d’adresse il était encore possible de les mettre dedans honnêtement. Cela n’était qu’un jeu pour la femme qui avait su persuader à des milliers de gogos d’apporter leur bel argent à la création d’une mer allant du golfe de Gabès au cap Bojador avec port à Tombouctou, et qui avait eu l’habileté de s’approprier une bonne partie des millions souscrits, sans encourir d’autre peine qu’une flétrissure morale. Aussi ne demandait-elle pas qu’on lui cédât gratis l’allée et les communaux, non, la chère dame ! mais elle proposait de les échanger contre un terrain à elle, situé à l’entrée du bourg, vers l’ouest, propre à faire un foirail pour les cochons, foirail dont la commune avait besoin. Mais, comme il y avait une disproportion considérable entre les objets à échanger, madame Chaboin, n’osant offrir un troc de gentilhomme, promettait en guise de soulte une somme de seize mille francs pour la construction de la future église qui hantait les cerveaux des habitants d’Auberoque.

Malgré cela, sa proposition, portée au conseil municipal, avait excité dans la bourgade une certaine rumeur. Une commission avait été nommée pour étudier le projet, et l’on attendait anxieusement. Les gens de la place y étaient hostiles ; ceux du faubourg de la Miséricorde le rejetaient fort et ferme. Il n’y avait que ceux du faubourg de la route de Périgueux, où se trouvait le terrain de madame Chaboin, qui en fussent satisfaits ; mais ils n’étaient pas les plus forts. D’ailleurs, à ces intérêts de quartier se mêlaient des intérêts particuliers. Ainsi M. Jammet, qui avait dû regagner l’oustal à la suite de quelques fortes culottes qui l’avaient mis à sec, malgré son habileté à aider le hasard, M. Jammet, donc, criait très haut contre ce projet qui devait détourner le commerce, du centre, du cœur même d’Auberoque, c’est-à-dire de la place où se trouvait l’Hôtel du Cheval-Blanc.

De même faisait M. Tronchat l’épicier ; et cette protestation avait plus de poids que celle de M. Jammet ; car, outre que celui-ci n’était guère considéré dans son propre pays, M. Tronchat était conseiller municipal.

M. Grosjac, lui, était pour l’aliénation des communaux. Il avait été appelé au château pour soigner des chevaux éclopés : « En conscience, disait-il, je ne puis faire autrement. »

M. Bourdal était favorable au projet, lui aussi : il espérait passer l’acte.

M. Lavarde, le maire, d’abord hostile, avait fini par céder sous la pression des objurgations verbeuses et comminatoires de M. Madaillac, son secrétaire, qui lui répétait à satiété tant les arguments serinés par M. Guérapin, son ami, que les siens propres.

Quant à l’intendant, il était naturellement pour le projet de sa maîtresse.

Le jour où la question devait être discutée au conseil municipal, M. Duffart revint de Paris pour plaider en faveur du « projet Chaboin », comme on l’avait baptisé. C’était un voyage, mais il faut dire qu’il avait un permis de circulation de la Compagnie, et que madame Chaboin l’hébergeait. Puis il faisait à son hôtesse quelques petits emprunts, en manière d’honoraires. Le rapporteur de la commission, qui était M. Farguette, fit ressortir d’abord combien il était peu sensé d’enclaver, sur la moitié de sa circonférence, le bourg d’Auberoque dans les propriétés de madame Chaboin ; de se fermer les trois ou quatre dégagements qu’il y avait de ce côté-là, en échange d’un terrain mal situé pour l’usage auquel on le destinait. À M. Duffart, qui objectait le peu d’intérêt des communaux, il répliqua qu’il suffisait qu’ils fussent utiles les jours de foire pour les conserver précieusement ; que ce serait une contradiction absurde de supprimer des voies d’accès, au moment où la ligne ferrée allait rendre les foires plus importantes. Enfin il dit que les localités avaient besoin d’air, d’ « aisines », de dégagements ; qu’il fallait que chacun, étrangers et habitants, pût aller et venir dans toutes les directions :

— Les communaux, dit-il, sont la commodité et la promenade des pauvres gens ; c’est là que font paître leurs bêtes ceux qui n’ont pas un pouce de terre : il ne faut pas les sacrifier à un caprice ou plutôt à une spéculation de propriétaire avide.

Le pharmacien ayant achevé, chacun se mit à parler de son côté, les uns approuvant, les autres rejetant le rapport de M. Farguette. Au milieu de discussions véhémentes entre conseillers opposés, s’entre-croisaient des interpellations idiotes et des exclamations dépourvues de sens. Dans ce tapage, les vociférations haineuses de M. Guérapin dominaient. Rouge comme un coq de redevance, la bouche crispée, il tendait le poing vers M. Farguette, qui souriait et levait les épaules, sachant bien quel pleutre il y avait dans cet énergumène fielleux.

Enfin, le maire ayant obtenu à grand’peine un silence relatif, M. Duffart put parler en faveur du « projet Chaboin ». Mais, malgré toute sa faconde, ledit projet fut rejeté à une bonne majorité. Il eut contre lui, d’abord tous les conseillers de Charmiers, plus quelques-uns de ceux d’Auberoque, entre autres le maire qui, au moment du vote, s’était ressaisi.

Le désappointement de madame Chaboin fut grand et la rendit même injuste envers le pauvre M. Duffart, qui pourtant avait fait tout son possible pour enlever l’affaire. Pendant quelque temps, elle bouda le conseiller général, qui s’en était retourné à Paris tout capot. Mais le fort de sa colère tomba sur M. Guérapin. Dans son grossier orgueil de millionnaire, l’ancienne spéculatrice avait cru pouvoir imposer sa volonté à tous ; et voici que, grâce aux conseillers de la section de Charmiers, principalement, la commune d’Auberoque, mise à ses pieds par ledit Guérapin, semblait regimber ! Cela l’irritait jusqu’à l’exaspération, et l’intendant reçut une bordée de mots grossiers, d’invectives humiliantes, qu’il laissa passer sans répondre, car il acceptait toutes les avanies et tous les mépris, qu’il allait ensuite déverser sur les malheureux à ses ordres.

Après la résistance de la commune, madame Chaboin allait rencontrer des résistances particulières.

Il n’y avait pas beaucoup à Auberoque de ces hommes de cœur qui ne craignent pas de montrer aux riches cupides, aux parvenus insolents, qu’il y a sur ce globe terraqué autre chose que l’argent ; mais il y en avait, et, comme le disait un jour M. Farguette au receveur, ceux-là se trouvaient dans le peuple, chez les paysans, parmi les artisans.

La maison d’un vieux forgeron appelé Gardet était bâtie à peu de distance des terrasses qui soutenaient les jardins situés au pied du château. L’espace étant assez resserré entre le chemin et les terrasses, la maison, faute de pouvoir s’étendre à son aise, s’était développée en hauteur, de sorte que, de sa fenêtre, le forgeron avait vue sur les parterres.

C’était encore une des manies maladives de madame Chaboin que de ne vouloir être aperçue de personne lorsqu’elle était chez elle. Or, un jour qu’elle se promenait entre les plates-bandes de fleurs, elle avisa l’homme, qui, de sa fenêtre, la considérait fixement en prenant une prise. Le regard de Gardet n’avait rien de bien sympathique, il est vrai ; mais il n’en fallait pas tant à madame Chaboin, qui remonta au château et fit appeler son intendant.

Après avoir reçu les instructions de la châtelaine, M. Guérapin se fit un petit plan d’opérations, et, le lendemain, se transporta chez Gardet, qu’il trouva en train de forger une serpe. Après divers propos préliminaires et pas mal de circonlocutions préparatoires, M. Guérapin finit par aborder la question :

— Si quelqu’un voulait acheter votre maison, la vendriez-vous ?

— Non.

— Mais si on vous en donnait un bon prix ?

— Je vous dis que je ne veux pas la vendre.

— Pourtant, si on vous en offrait deux fois ce qu’elle vaut : quatre mille francs ?

— J’en demanderais huit.

— Vous n’êtes pas aisé, mon pauvre Gardet !

— Je suis comme ça, mon pauvre Guérapin !

L’intendant devint rouge en se voyant traité avec une familiarité qu’il croyait être permise à lui seul ; mais, désireux de mener à bien cette négociation, il ne dit rien et s’en fut.

Le lendemain, il revint et dit au bonhomme qui « se riait » en lui-même :

— Eh bien, alors, l’affaire est faite.

— Quelle affaire ? dit l’autre, ayant l’air de tomber des nuages.

— Mais la vente de votre maison : madame Chaboin vous la paiera huit mille francs comptant.

— Oui, mais j’y ai pensé depuis hier : j’en veux seize mille francs !

M. Guérapin sursauta :

— Vous voulez rire ?

— Non, c’est tout de bon.

Lorsque madame Chaboin, déjà de fort mauvaise humeur d’être obligée de payer une maison trois fois sa valeur, connut les prétentions de Gardet, elle eut un violent accès de colère. Ah ! comme cette fille de paysans, comme cette parvenue orgueilleuse regretta de n’être plus au bon temps où le seigneur d’Auberoque eût pu faire jeter ce manant dans un cul de basse-fosse et s’emparer de sa maison ! Elle renvoya M. Guérapin avec une insulte obscène, puis s’enferma chez elle, rageuse, affolée.

Le lendemain, à son lever, elle aperçut de sa chambre le vieux forgeron qui la regardait d’un air narquois. Aussitôt elle ferma bruyamment la fenêtre et sonna M. Benoite :

— Faites atteler le coupé et dites à Julie de venir m’habiller.

Une demi-heure après, madame Chaboin partait pour Paris.

De Paris, le lendemain, elle écrivit à M. Guérapin d’en finir avec ce Gardet… d’en finir à tout prix… elle ne voulait plus le voir !…

Pour la troisième fois, l’intendant se transporta chez le forgeron et le trouva assis au bout de sa table, mangeant des châtaignes blanchies qui fumaient sur la nappe grise ; à côté, un pichet de piquette et un gobelet.

— Eh bien ! fit M. Guérapin avec son air le plus aimable, ce qui n’était guère ; que dites-vous de bon aujourd’hui ?

— Je dis que si vous voulez manger deux châtaignes, vous pouvez vous mettre là.

— Merci, répondit l’intendant qui était gourmand et ne vivait pas de châtaignes. Mais, autrement, et l’affaire en question ?

— L’affaire en est toujours là.

— Si vous vouliez nous en finirions.

— Je le veux bien.

— Alors, sans lanterner, dit M. Guérapin qui croyait le forgeron au bout de ses exigences, madame Chaboin consent à vous payer votre maison seize mille francs.

— Oui, mais moi, je ne veux plus la donner à ce prix-là : J’en veux trente-deux mille francs.

M. Guérapin oyant cela, tomba, du coup, assis sur une chaise, rouge, suffoqué.

— Autant dire que vous ne voulez pas la vendre ! fit-il, lorsqu’il se fut un peu remis.

— Vous deviez comprendre ça dès le commencement, vous et votre maîtresse, répondit Gardet. Tenez ! quand vous me donneriez, contrat en mains, le château et toute la propriété d’Auberoque en échange de ma maison, je ne la lâcherais pas !

— Il y a de l’étendue, pourtant, dans la terre de madame Chaboin !

— Oui, mais je ne l’envie point !… Pour moi, c’est une personne nuisible à la société que celle à qui sept journaux de terre ne suffisent pas !

— Je le veux bien ; mais tout de même, seize mille francs vous mettraient joliment à votre aise.

— À mon aise ? J’y suis. Lorsqu’on se contente d’un déjeuner comme ça, dit le forgeron en montrant les châtaignes, on n’a que faire de tant d’argent !

Madame Chaboin revint le lendemain, comptant en avoir fini avec son odieux voisin. Elle avait cru à une ruse de paysan exploitant une richarde, et se disait que, dans son intérêt même, Gardet n’avait pas dû pousser plus loin ses prétentions, de crainte de rebuter son acheteur. Elle ne connaissait du paysan que cette âpre convoitise de la terre, que cette économie tenace de sous empilés l’un sur l’autre, que cette obstination héroïque dans la marche vers le but poursuivi, toutes choses dont il ne faut pas médire, car elles nous ont affranchis ; mais elle ignorait qu’il y a des exceptions plus nombreuses qu’on ne le croit généralement, et que certaines âmes rustiques, contentes de leur pauvreté libre, atteignent sans effort au mépris des richesses et des riches. Aussi, lorsqu’en arrivant elle apprit le résultat de la dernière démarche de son intendant, la femme qui avait ausculté les remplaçants à cru fut prise d’une colère frénétique, qui tomba d’abord sur Guérapin.

— Vous êtes un maladroit ! une ganache ! un âne ! un… Je vous chasse ! foutez-moi le camp !…

Elle ne put en dire davantage et se laissa aller sur un canapé, folle furieuse, hurlant.

Julie accourut donner à sa maîtresse les soins nécessaires. Pour les gens de la maison et le public, ces accès étaient des crises hépatiques :

« Madame avait rapporté ça de Gabès. »

À la suite de cette scène, madame Chaboin changea d’appartement, tant la seule vue de la maison de Gardet l’irritait.

Vraiment, pour cette fois que la richissime propriétaire sacrifiait sans compter quelques billets de mille francs à une manie capricieuse, elle n’avait pas de chance. Ordinairement, elle calculait et liardait avec les fournisseurs, les ouvriers, les malheureux journaliers payés trente sous pour des journées de quatorze heures, et leur faisait longtemps attendre leur dû. En ce moment même, elle était en différend avec un maître maçon pour des travaux faits au château. Après avoir donné des ordres contradictoires, après avoir fait faire et défaire des murs et modifié des alignements, elle se refusait à supporter les conséquences des fausses manœuvres imposées par ses caprices. L’ouvrier, un très honnête homme, qui avec un caractère indépendant avait aussi le sentiment de la justice, refusait d’accepter le règlement léonin de madame Chaboin : c’était un procès en expectative.

Dans cette conjoncture, la châtelaine comprit qu’elle avait eu tort d’être un peu raide avec son compatriote M. Caumont, qui pouvait lui être utile ; et, pour réparer sa faute, elle l’invita à dîner avec madame Caumont. Il n’était pas très flatteur pour une honnête dame de s’asseoir à la table d’une femme ayant les antécédents de madame Chaboin, et le juge le sentait bien. Néanmoins, comme il était très satisfait d’entrer en relations avec la millionnaire, et très flatté d’être convié le premier, dans la crainte de la mécontenter, il décida que madame Caumont agréerait l’invitation.

Ce fut un événement bientôt connu dans la bourgade, grâce à la couturière appelée pour rafistoler une vieille robe de soie de madame. Ce n’était pas par économie, oh non ! mais on n’avait pas le temps d’en faire venir une du Louvre.

M. Caumont, qui était un peu « porté sur son ventre », selon l’expression locale, revint absolument enchanté de sa compatriote, ou plutôt du menu d’icelle. En narrant aux autres qui l’écoutaient, jaloux, les splendeurs du service, la succulence des mets et l’excellence des vins, le juge en avait encore plein la bouche. De ce jour, il devint, comme M. Duffart, le très humble complaisant de l’ancienne financière, et mit à sa disposition sa personne et l’influence que lui donnaient ses fonctions.

Il débuta par conseiller au maçon récalcitrant d’accepter les offres de madame Chaboin :

« Au fond, il avait peut-être raison, mais, en refusant, il perdrait la pratique du château, où madame Chaboin voulait faire de grands travaux. Mieux valait en passer par ses offres, quitte à se rattraper à la première occasion… »

Mais l’autre repartit tout nettement que madame Chaboin avait été gâtée par l’affaire de la « Mer nouvelle de Tombouctou », et qu’avec elle il n’y avait pas de l’eau à boire pour les ouvriers ; que par ainsi, non seulement il ne tenait pas à la pratique du château, mais même qu’il ne voulait plus jamais avoir affaire à madame Chaboin : puisque les ouvriers parisiens travaillaient à meilleur marché, comme elle disait, elle n’avait qu’à les faire venir…

Maria Chaboin n’en revenait pas de trouver des hommes, là où elle avait compté ne trouver que de très humbles serviteurs. Sans doute, ces hommes n’étaient qu’une très infime minorité perdue dans le nombre, mais cela l’offusquait : son grossier orgueil de richarde, sa vanité inquiète s’irritaient que de pauvres diables méprisassent ainsi cet or qui lui avait fait commettre tant de vilenies ; il lui semblait que c’était une insulte personnelle, un affront humiliant.

Un soir, elle en faisait ses doléances à monsieur et à madame Monturel, invités à dîner à leur tour. Le percepteur mettait cela sur le compte des journaux de l’opposition, qui, en ce temps-là, étaient pourtant tenus la bride haute. Même, il lui paraissait tellement monstrueux que des gens sans un sol vaillant, qui n’avaient d’autres ressources que leurs bras, en vinssent ainsi à mépriser la puissance de l’argent, qu’il n’était pas éloigné de croire à l’existence de quelque société secrète propageant les doctrines révolutionnaires dans ce bourg qui s’était toujours distingué par son esprit de soumission au gouvernement, quel qu’il fût, aux autorités civiles et ecclésiastiques, aux nobles et aux riches de la terre… Oui, et il soupçonnait bien quelqu’un à Auberoque, mais « c’était des choses trop graves pour prononcer des noms sans preuves… »

Madame Chaboin donnait la réplique au percepteur et faisait montre de ses intentions excellentes à l’égard des habitants d’Auberoque : « Elle avait des projets qui feraient le bonheur de tous ; elle n’aspirait qu’à être la bienfaitrice du pays et elle ne rencontrait que des ingrats… Ainsi, ce conseil municipal qui avait rejeté ses propositions si bienveillantes, si avantageuses pour le bourg qu’elles devaient transformer… eh bien, elle ne comprenait pas à quel mobile il avait pu obéir, non, vraiment !… »

Pendant cette conversation, madame Monturel, droite sur sa chaise Henri II fabriquée au faubourg Antoine, ne disait mot. C’est que la bonne dame, très à cheval sur le cérémonial, comme on sait, avait d’abord absolument refusé d’accepter l’invitation de madame Chaboin, qu’elle qualifiait d’inconvenante. Qu’elle invitât M. Monturel, à la bonne heure ; mais inviter des dames respectables dans ce château acquis avec un or impur, il fallait être une effrontée pour cela ! Néanmoins, à la suite d’une scène violente, elle avait dû céder à l’autorité maritale et suivre M. Monturel qui, pour être bien avec madame Chaboin, eût non seulement mené sa femme dîner au château, mais l’y eût portée au besoin : aussi, elle protestait par son attitude.

Après le percepteur et sa femme, dînèrent au château monsieur et madame Foussac, puis le « docteur » Grosjac et madame. Celle-ci ne garda pas le silence glacial de madame Monturel : au contraire, elle s’efforça de se poser en femme du monde, et tâcha d’imposer à madame Chaboin par l’observation stricte de ces minuties changeantes que les riches oisifs et ceux qui ont la prétention d’être « comme il faut » inventent pour se distinguer du vulgaire : par exemple, prendre son verre à deux mains, rompre son pain au lieu de le couper ; mettre ses gants dans les verres à bourgogne et à champagne, — pour les dames seulement ; — briser les coquilles d’œufs sur son assiette, etc., etc. Madame Grosjac avait appris une foule de belles choses de ce genre à l’école de la « comtesse Philogène », qui professait le savoir-vivre mondain dans un petit journal de modes à quatre francs par an, et elle en faisait parade. Quant à M. Grosjac, c’était un rustre qui ne mangeait pas beaucoup, mais en revanche buvait comme quatre et n’avait pas la moindre idée des usages du monde. Aussi, lorsqu’à la fin du dîner le maître d’hôtel apporta les rince-bouche pleins d’une eau tiède et parfumée à la menthe, le vétérinaire l’avala bravement, sans voir le coup d’œil fulgurant que lui adressait sa moitié.

Durant tout le dîner, madame Grosjac avait tellement entretenu la châtelaine de musique, d’opéras, et de son talent de pianiste, que lorsque les convives furent au salon, madame Chaboin ouvrit un grand piano à queue et y installa la dame, qui aussitôt préluda avec une énergie à laquelle les vins généreux de son hôtesse n’étaient peut-être pas étrangers, car elle n’avait mis ses gants dans aucun de ses verres. Pendant ce temps, le « docteur » était allé faire un petit tour et prendre l’air dans la cour d’honneur. Après avoir copieusement arrosé dans l’ombre une superbe corbeille de pétunias, M. Grosjac revint au salon, où il ingurgita plusieurs petits verres de cognac « grande champagne », de chartreuse du R. P. Garnier et de kummel authentique ; après quoi il s’enfonça dans un fauteuil où il ne tarda pas à s’assoupir, malgré les roulades et les grands éclats de voix de son épouse.

Quant à madame Chaboin, elle bâillait nerveusement à se décrocher la mâchoire.

Au retour, les époux avaient à peine franchi le pont-levis que madame reprocha véhémentement à monsieur sa sottise et son ignorance mondaine. Était-il possible qu’on pût prendre le contenu d’un rince-bouche pour un breuvage !… Et même, cette eau n’était plus destinée à se rincer la bouche : les gens qui savaient vivre se bornaient maintenant à y tremper délicatement le bout des doigts… Il fallait être vraiment crétin pour ignorer ces choses-là.

Le vétérinaire essuya sans broncher la bordée de sa douce moitié ; puis, lorsqu’elle eut fini, il lui « riva son clou », comme on dit vulgairement, avec le mot illustré par Cambronne, ou par Michel, ou par d’autres : car, quoique la justice n’ait pas dédaigné de s’en occuper, cet important problème historique, qui a fait couler pas mal d’encre, n’est pas encore résolu, semble-t-il.

C’était la manière de répondre de M. Grosjac, lorsqu’il avait fait une bêtise, ce qui arrivait quelquefois.

Monsieur et madame Lavarde, invités à leur tour, s’étaient excusés, lui sur son âge et madame Lavarde sur sa santé.

Après le « médecin des chevaux », comme disait l’appariteur, furent conviés ensemble M. Bourdal, qui était veuf, M. Reversac, qui l’était presque, M. Madaillac, le secrétaire influent, et M. Capgier, qui fut compris dans la catégorie des invités hors de puissance de femme, parce que madame Capgier, avec son modeste bonnet de linge, ne fréquentait pas la « bonne société » d’Auberoque. Il était visible que, tout en satisfaisant sa gloriole de parvenue, qui étalait son luxe d’ostentation pour éblouir les petites gens, madame Chaboin tâchait encore, dans l’intérêt de ses projets, de se concilier les sympathies des principaux habitants, de se faire des partisans.

Et elle en avait grand besoin pour atténuer l’effet de ses caprices et de ses maladresses. Les espoirs qu’avait fait naître sa venue s’étaient évanouis ; et les gens d’Auberoque s’étaient un peu refroidis en voyant qu’au lieu de faire du bien dans le pays, de se faire pardonner une fortune scandaleusement acquise, elle ne donnait pas un sou aux pauvres, ne cherchait qu’à « rapier » sur les fournisseurs, à exploiter les ouvriers et à duper la commune.

Et puis, elle mécontentait toujours quelqu’un en particulier. C’était un voisin chicané pour une branche d’arbre pendant sur la propriété du château ; un autre, pour une chèvre qui avait brouté les ronces d’une haie, ou encore pour un oison entré dans un pré. Toutes ces misères prenaient dans son esprit, d’une susceptibilité exaspérée, et excité par Guérapin, que M. Duffart avait fait rentrer en grâce, des proportions énormes. Elle se croyait si supérieure à tous, elle jouait si sérieusement son rôle de seigneuresse d’Auberoque, que, lorsqu’elle avait une affaire de ce genre, elle mandait le juge ; et M. Caumont, toujours plat, montait incontinent au château. De temps en temps elle recevait une leçon de quelqu’un moins souple d’échine. Un jour qu’elle avait envoyé querir le brigadier de gendarmerie pour lui porter contre un pauvre diable une plainte futile, celui-ci, ancien brisquard de chasseurs d’Afrique, répondit à l’intendant chargé de la commission :

— Si madame Chaboin veut me dire quelque chose, elle n’a qu’à venir.

Cette réponse avait mis l’archi-millionnaire en fureur : elle avait tempêté, crié, juré qu’elle ferait casser le brigadier. Mais, éconduite par le capitaine, sa plainte était restée vaine et le brave Pageyrac continua comme devant à fumer tranquillement sa pipe et à faire régner l’ordre et la concorde dans la caserne de gendarmerie, ce qui n’était pas peu méritoire : car, de commander à quatre hommes, ce n’est pas une affaire ; mais de maintenir en paix et bonne amitié cinq ménages comprenant des femmes, des belles-mères et une douzaine de moutards, c’est chose difficile et dont plus de quatre grands administrateurs et diplomates seraient du tout incapables.