Les Gens de bureau/XLVII

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Dentu (p. 304-307).
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XLVII


C’était le lendemain de la première représentation des Oisifs, qui avaient obtenu un immense succès.

Caldas, que l’émotion avait empêché de dîner la veille, déjeunait de bon appétit entre mademoiselle Célestine et Saint-Adolphe. Sa modeste chambre d’hôtel garni était la salle du banquet, mais le menu avait été fourni par Chevet.

Saint-Adolphe avait la parole :

— Savez-vous, disait-il à son collaborateur, que votre succès d’hier soir avance diablement mes affaires. L’Odéon met demain notre pièce en répétition.

— Et j’y aurai un rôle ? demanda mademoiselle Célestine.

— Il y en a un, reprit le galant chef de bureau, que j’ai écrit exprès pour vous. Mais revenons à la représentation d’hier. Tout l’Équilibre y était, et par ma foi, j’ai lieu d’être satisfait de nos bureaucrates.

— Je parie, dit mademoiselle Célestine, que chacun d’eux croyait avoir fait la pièce.

— Parbleu ! répondit Saint-Adolphe, qui croyait bien avoir fait la moitié du Zèle. J’ai vu dans des loges un directeur et deux chefs de division. Got a joué devant un parterre de chefs de bureau.

— Est-ce pour cela, dit Romain, que j’ai entendu deux coups de sifflet au troisième acte ?

— C’était mon ancien sous-chef, dit Saint-Adolphe ; quelle canaille !

— J’ai idée, reprit Romain, que ce doit être l’inconnu qui a hérité de mon tiroir et n’a pas jugé à propos de me rendre mon troisième acte. Il aura trouvé la seconde épreuve plus faible que la première ; il a fait preuve de goût.

Mademoiselle Célestine, de sa blanche main, servit le café aux convives.

Caldas prit une feuille de papier et, sous la dictée de Saint-Adolphe, il commença à écrire sa démission.

À ce moment la porte s’ouvrit, et M. Krugenstern apparut.

Il était radieux aujourd’hui, M. Krugenstern ; il avait eu un billet pour la première représentation, un billet de famille ; il y avait mené sa femme et ses deux demoiselles. Il avait ri, il avait pleuré, il avait applaudi surtout.

Quelque chose de la gloire de Romain rejaillissait sur lui, et il avait dit au foyer, dans un cercle de journalistes :

— C’édre moi gue che l’hapille !

Aussi il venait proposer à son client de lui faire douze habillements complets.

— Ah ! prenez garde, dit Romain, posant sa plume, c’est que je quitte le ministère.

— Che fus audorise, répondit M. Krugenstern.

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La réussite n’a point fait oublier à Caldas son savoir vivre. Il reconnaît encore ses amis, quand il les rencontre.

Sa démission envoyée officiellement par la poste, il se rendit au ministère prendre congé des gens à côté desquels il avait vécu.

M. Le Campion est le dernier qu’il eut l’honneur de saluer.

Cet homme impénétrable se départit en cette circonstance de son mutisme habituel :

— J’ai vu votre pièce, lui dit-il ; elle révèle un grand talent. Vous avez tort pourtant de quitter l’Administration ; votre écriture s’y était beaucoup améliorée.



FIN