Les Grandes Mystifications littéraires/Clotilde de Surville

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Les Grandes Mystifications littérairesPlon-Nourrit et Cie, imprimeurs-éditeurs (p. 103-123).




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CLOTILDE DE SURVILLE


(1802)



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CLOTILDE DE SURVILLE
(1802)


Colonel-Général infanterie, ci-devant régiment de Picardie, débaptisé par Louis XVI en l’honneur du prince de Bourbon-Condé, comptait depuis sept ans, en 1789, Joseph-Etienne, marquis de Surville, au nombre de ses capitaines.

L’officier avait alors trente-quatre ans. De vieille souche cévenole, ses ancêtres, depuis des générations, tenaient en leur mouvance le fief de Vesseaux, dans le bailliage de Viviers : un Déranger de Surville, gendarme de Xaintrailles, était mort sous Orléans en 1429 ; un autre, Jehan, avait taillé à Fornoue les estradiots de Ludovic le More.

Homme d’entreprise, nature audacieuse et romanesque, la jeunesse du marquis s’était complu aux aventures.

Avec Lafayette et Rochambeau, en compagnie de tant d’autres volontaires illustres : les Coigny, les Talleyrand-Périgord, les Lauzun, les Vaudreuil, les Ségur, il avait franchi l’Océan, porté aux insurgents d’Amérique le secours de son bras. Et, de sa camaraderie avec les « Enfants des Montagnes Vertes », des mêlées de Monmouth et de Yorktown, il rapportait en France une haine furieuse de l’Anglais, dont la frénésie indiscrète s’affirmait en toute occasion. On contait de lui, à ce propos, une extravagante équipée. À Schlestadt, où il tenait garnison, il s’était pris de querelle avec un compagnon de table d’hôte. Rodney, affirmait l’impétueux marquis, enivrait si bien ses équipages avant de les mener à la bataille, qu’il fallait ensuite hisser les prisonniers sur le pont des frégates françaises, « ainsi que des paquets de linge sale ». Or, le voisin était un « milord » et releva le propos. Un prodigieux duel s’ensuivit. D un commun accord, les adversaires résolurent de se battre en armures, « comme au combat des Trente ». Le jour convenu, dûment caparaçonnés d’acier, ils échangèrent force estocades. On ramassa les deux champions moulus, échinés, assommés, rompus, mais en somme sans grand dommage, et la don-quichottesque rencontre finit par un souper.

En outre, le capitaine était poète. Après avoir initié Brin d’Amour et La Tulipe aux beautés de la charge en douze temps, Joseph — Etienne rimait l’ode à Chloris, tournait le madrigal à Sylvie, — un guerrier d’Hélicon. Même, un recueil avait paru des gentillesses de son Phébus, sous ce titre engageant : Œuvres lyriques d’un chevalier français. Hélas ! Polymnie autant qu’Erato se montraient rebelles à leur adorateur. On a retrouvé, de nos jours, ces élucubrations du marquis, La platitude du style le dispute à la pauvreté des idées, à l’incohérence des images.

C’est une épode intitulée l’Amérique délivrée, où se lisent ces vers :

Ainsi de Washington, l’influence motrice,
Des ligues sans vigueur qu’unissait le caprice,
Vers le plus noble objet dirigea les serments
Et d’un peuple héros jeta les fondements.

Ou bien encore cette apostrophe :

Vous, qu’après tant d’hivers, pouisuit la noire envie,
Mânes infortunés, souffrez que mes accents

Vengent de sa fureur non encore assouvie
L’inimitable objet de mon premier encens.

Du pur galimatias. Nous sommes loin de Chénier, même de Lebrun ou de Thomas.

Un autre « tracassin » tourmentait encore Surville. Il s’en était mystérieusement ouvert à deux de ses amis, le comte de Fournas et le marquis de Brazais, exigeant de ces messieurs la promesse du secret. À l’en croire, il possédait d’inappréciables manuscrits, trésor lyrique d’une lointaine aïeule, et s’occupait à les transcrire. Leur publication ferait événement dans les Lettres, et c’est à cette pieuse tâche familiale, qu’en l’austère compagnie d’un feudiste, il consacrait dorénavant son labeur.

Avec tant d’autres, la tourmente révolutionnaire devait emporter cet édifiant projet. L’héritier de la poétesse n’attendit par la chute des lis, l’avènement de la grande égalité nationale sous le couperet de la guillotine. Prudemment et des premiers, il mit la frontière entre sa personne et le « rasoir à Chariot ». Puis, à l’armée des princes, il s’en fut sabrer les grenadiers de la République. Après Wattignies, il se trouvait à Dusseldorf. La capitale du grand-duché de Berg était alors le rendez-vous d’un certain nombre d’émigrés, fuyant les lurons de l’« Une et Indivisible ». Tout ce beau monde, nécessiteux et déconfit, fréquentait entre soi. Chez un Allemand, M de Jacobi, Surville fit la rencontre d’un gentilhomme exilé comme lui, Marie-Martin-Charles Boudens, vicomte de Vanderbourg. Cette autre victime des « temps nouveaux » avait aussi porté l’uniforme, obtenu commission de lieutenant sur les vaisseaux de Sa Majesté. Les deux officiers se lièrent d’amitié ; de mutuelles affinités contribuaient à les rapprocher.

Vanderbourg, également, sacrifiait à la Muse. Aux jours heureux, il rimait dans les almanachs. Le marquis confia ses douleurs à son nouvel ami Les « brigands » avaient, au pays d’Ardèche, brûlé les inestimables manuscrits de sa grand’mère, en même temps que tous ses parchemins de noblesse. Mais l’habile homme avait eu le temps d’en achever la transcription. Il soumit à l’enthousiasmé Vanderbourg quelques-unes des pièces dont il se proposait de publier le recueil, une Héroïde à Bérenger de Surville, un Chant royal à Charles VIII, et souffrit même qu’il en prît une copie.

Trop brèves effusions, intimités combien fugitives ! Bientôt, un ordre venu de Blankenbergue expédiait M. de Surville au périlleux honneur d’une mission en France, « commissaire désigné du Roi, pour les pays de Velay, de Forez et de la Haute-Auvergne » ; Vanderbourg, pour vivre, acceptait un salaire d’intendant, làbas au boutdu monde, dans les Antilles danoises.

Et le temps s’enfuit. Au Directoire avait succédé le Consulat. La « France régénérée » s’était donné un maître. Lassé de sa commanderie de nègres, Vanderbourg regagnait l’Europe. Il avait sollicité, obtenu sa radiation de la liste des émigrés.

Mué en homme de lettres, à présent il vivait à Paris des travaux de sa plume. Traducteur édulcoré de Lessinget d’Horace, il commençait cette aimable carrière qui le devait mener jusqu’à l’Académie des Inscriptions ou, comme on disait alors, la classe d’histoire et de littérature ancienne de l’Institut.

Æquam mémento rébus in arduis
Servare mentem…

Quoi qu’en affirme le poète de Tibur, la pitance était dure à gagner, l’ancien marin se prenait souvent à regretter le carré de la Calypso. En cette pénurie, il se souvint de sa rencontre à Dusseldorf. Pardieu, quelle aubaine si Ton pouvait exhumer ces merveilles du passé, et pour leur découvreur, quel fructueux profit ! Mais d’abord il fallait retrouver Surville. Vanderbourg se mit en quête. Ce qu’il apprit était bien fait pour le décourager.

Le « Commissaire du Roi » avait eu une tragique destinée. Dix-huit mois durant, traqué par la police de Barras, il avait erré par les brandes cévenoles, pourchassé d’asile en asile. Un « Judas » l’avait dénoncé ; le brigadier de gendarmerie Delaigue, dit l’Empereur, le surprenait le 15 fructidor an VI avec quatre de ses compagnons, en un souterrain des gorges de l’Ance, creusé sous une maison isolée dans la commune de Tiranges.

Aussitôt le conseil de guerre, puis la fusillade expéditive, comme barbet et faux monnayeur. Or, la dernière pensée du marquis avait été pour ses chers manuscrits, confiés à des mains sûres et que, dans les termes les plus chaleureux, il recommandait à sa femme.

« Du cachot du secret, prison du Puy, ce je ne sais trop quel quantième d’octobre, veille de ma mort.

« Peut-être ne me restera-t-il pas assez de jour, ma chère amie, pour te tracer ici mes derniers adieux. J’aurais voulu honorer ma vie par des actions dignes de mes aïeux et de la cause auguste que j’ai trop en vain soutenue, honore du moins par tes regrets la mémoire de celui que tu devais mieux connaître et qui te consacre ses derniers instants… Je ne peux te dire maintenant où j’ai laissé quelques manuscrits (de ma propre main), relatifs aux œuvres immortelles de Clotilde, que je voulais donner au public ; ils te seront remis quelque jour par des mains amies à qui je les ai spécialement recommandés.

Je te prie d’en communiquer quelque chose à des gens de lettres, capables de les apprécier, et d’en faire, d’après cela, l’usage que te dictera ta sagesse. Fais en sorte que ces fruits de mes recherches ne soient pas totalement perdus pour la postérité, surtout pour l’honneur de ma famille… »

La « sagesse » de Mme de Surville se trouvait fort en peine. Elle ignorait totalement quelles pouvaient être les « mains fidèles » dépositaires des chefs-d’œuvre. Sur le conseil d’un ami commun, M. de Cambis, Vanderbourg s’abouche avec la veuve. Ils désespéraient d’aboutir, quand une dame de Chabanolle, habitant l’Auvergne, fit tenir à la marquise les papiers du supplicié. Tous les manuscrits s’y trouvaient.

Aussitôt, Vanderbourg commence fiévreusement les démarches « qui doivent apporter le cadeau le plus précieux à la littérature française ». Il intéresse à son grand projet le libraire Henrichs qui vient d’éditer sa traduction du Laocoon et, par une coïncidence bizarre, publie en ce moment même les pseudo-Poèmes occitaniques, de Fabre d’Olivet[1] ? Didot reçoit la commande de caractères neufs. Mais, au cours de son travail, le prudent imprimeur hésite et se ravise. Il a trouvé dans l’Ode à Bérenger des allusions politiques :

Banny par ses subjects, le plus noble des Princes
Erre, est proscript en ses propres remparts.
De chastels en chastels et de villes en villes,
Contraint de fuyr lieux où debvrait régner,
Pendant qu’homme félons, clercs et tourbes serviles
L’osent, ô crime, en jusdment assigner !
Non, non ! ne peut durer tant coupable vertige.
    Ô peuple franc, reviendras a ton roy !

Diable ! le « Grand Consul » goûtera fort peu cette déplaisante prophétie, et la police du grand Juge a les mains fâcheusement lourdes. Bref, l’héritier des Alde et des Elzévir refuse d’encourir si périlleuse responsabilité. Il réclame une autorisation expresse, que Chaptal, ministre de l’intérieur, se soucie fort peu d’accorder. Heureusement, Mme de Surville a connu autrefois la vicomtesse de Beauharnais et la vicomtesse de Beauharnais est présentement devenue la « consulesse " des Français. Joséphine se charge d’emporter le consentement malaisé.

Le 19 mai 1803, Henrichs lançait son volume : Poésies de Marguerite-Éléonore Clotilde du Vallon-Chalys, dame de Surville, poète français du quinzième siècle, un fort plaisant in-octavo, ma foi, avec frontispice d’un gothique fleuri et vignettes en trophées. Il comprenait trente-sept pièces de vers, épîtres, rondeaux, triolets, héroïdes, et Vanderbourg l’avait accompagné d’une copieuse préface.

On y trouvait contée une mirifique histoire.

Clotilde, née vers 1405 au château de Vallon, dans le Bas-Vivarais, aurait été l’émule de Christine de Pisan, la rivale d’Alain Chartler. Fille d’un preux chevalier, Louis-Ferdinand de Vallon, et d’une mère bel esprit « disciple de Froissart », Pulchérie de Fay-Collan, elle avait grandi à la cour de Gaston Phébus, élevée dans l’amour des belles-lettres et le « culte des muses » ; à onze ans, elle traduisait Pétrarque, éblouissant son entourage par son génie précoce. Cette enfant si bien douée s’était, pour complément de fortune, entourée de compagnes choisies, « dont l’esprit charmant et le goût délicieux contribuèrent à former son jugement », Rose de Beaupuy, Louise d’Effiat, Tullie de Royan et une « adorable » Italienne, la belle Rocca. On peut juger, continuait la préface boniment, « combien Clotilde eut à gagner avec de pareilles amies. Il est à peu près certain qu’elles travaillèrent, de concert, à former cette langue poétique jusqu’alors étrangère parmi les Français ». Et, d’après les indications posthumes laissées par Surville, Vanderbourg rattachait Clotilde à une extraordinaire famille de « trouveresses », dont les noms semblaient empruntés à quelque roman de chevalerie : Amélie de Montendre, Flore de Rose, Sainte des Prés, « qui lui avaient transmis les traditions littéraires qu’elles tenaient d’Héloïse, femme d’Abeilard ».

Puis la fable se poursuivait. Clotilde épousait en 1421 Béranger de Surville, qui la quittait bientôt, « appelé par l’honneur » aux côtés du dauphin Charles. L’épouse aimante et délaissée composait alors la fameuse Héroïde, au charme si tendrement mélancolique :

Clotilde, au sien amy, doulce mande accolade.
A son espoulx, salut, respect, amour !
Ah ! tandis qu’esplorée et de cœur si malade.
Te quier la nuit, te redemande au jour
Que deviens ? Où cours-tu, loing de ta bien-aymée ?

Devenue veuve, privée de ses amies dispersées, en butte aux rancunes envieuses d’Alain Chartier, Clotilde se retirait ensuite à Vallon, où tous les malheurs venaient accabler sa vieillesse. Elle trépassait enfin nonagénaire, oubliée, et, l’Hymne à Charles VIII pour célébrer la victoire de Fornoue avait été son chant du cygne.

L’ingénieux Vanderbourg ne s’était pas abusé en escomptant la réussite. Le public fit à Clotilde un accueil triomphal. Trois éditions, chiffre considérable pour l’époque, furent épuisées en dix-huit mois. Les « âmes sensibles » partageaient l’émotion « d’une tendre mère, d’une épouse embrasée des feux d’un chaste amour ». Toutes les belles dames à turban, en tuniques à la grecque, surent bientôt et chantèrent les Verselets au premier-né, mis en musique par Berton.

Ô cher enfantelet, vray pourtraict de ton père,
Dors sur le sein que ta bouche a pressé !
Dors petiot ; clos, amy, sur le sein de mère,
Tien doulx œillet par le somme oppressé !

De fait, ce morceau, d’autres encore, les Trois plaids d’or, des Chants d’amour, sont vivifiés par un véritable souffle poétique. La grâce de l’inspiration y alterne avec la force et la sensibilité. La langue en est souple, pure, harmonieuse et le style, phénoménale exception à l’époque où l’on faisait remonter l’auteur, touchait à la perfection.

Tant de si rares beautés éveillèrent les méfiances de la critique. Si les écrivains royalistes, Michaud, dans le Mercure, l’académicien Sainte-Croix, se prononcèrent pour l’authenticité, l’école voltairienne regimba et discuta. Dans sa Décade philosophique, l’admirateur de Rousseau, Ginguené, dénonce le pastiche, « où tout décèle une main moderne, où les efforts pour imiter le style du quinzième siècle sont sensibles partout, parfois puérils et très souvent malheureux ».

Le Journal de Paris va plus loin encore. Son rédacteur, Invagator, le tribun Garrion-Nizas, élève neuf objections « irréfutables » contre l’existence de Clotilde. Pour lui, le marquis de Surville est l’auteur unique des prétendus poèmes de son aïeule.

Vanderbourg essaie cependant de réfuter. Il proclame sa bonne foi, il s’indigne.

« L’ignorance où ses contemporains et la posténité ont tenu, jusqu’à lui, la dame de Chalys n’a rien qui doive surprendre. N’en fut-il pas ainsi de Charles d’Orléans, jusqu’aux travaux de l’abbé Sallier ! Et quant à l’absence des manuscrits originaux, il faut bien s’incliner devant le fait brutal : leur disparition dans l’ouragan révolutionnaire. »

Vains efforts ; le seul résultat de son intervention fut de déplacer les responsabilités et de lui faire attribuer une paternité à tout prendre flatteuse. M. de Ségur le lui répète avec bonne grâce dans la Bibliothèque française, et plus ironiquement Cazalis, secrétaire général des Gobe-Mouches, lui envoie le diplôme de la société.

Au surplus, le malin préfacier avait-il atteint son but, à présent il est célèbre et désormais il ne protestera plus.

Bientôt, quand l’Institut lui ouvrira ses portes, en remplacement de Mercier, c’est en grande partie à cette présomption de paternité qu’il devra une élection heureuse.

En tout cas, il laisse passer sans broncher, en 1812, les Questions de littérature légale et les observations railleuses de Nodier… de Nodier qui, mystificateur impénitent, adorant ce qu’il a brûlé, va quelques années plus tard, de complicité avec le baron de Roujoux, publier un second recueil de Clotilde, invraisemblable salmigondis, où l’on voit l’étonnante poétesse réfuter le De Natura Rerum, avant que le Pogge en ait retrouvé le texte, discuter le système de Copernic et chanter les satellites de Saturne, découverts deux siècles après sa mort [2]

Pour toute la grande école critique de 1830, la cause était entendue. Il n’y avait pas de « question survillienne ». Vanderbourg ou le marquis devaient être tenus pour responsables d’une adroite supercherie de lettres. Villemain applaudissait au tour de force. » La fraude une fois prouvée, reste le mérite de la fraude elle-même. » Il admirait « la petite construction gothique élevée à plaisir par un moderne architecte ». Sainte-Beuve s’est donné la peine de dresser un formidable réquisitoire. Je renvoie les curieux à la savante notice qu’il a consacrée à Clotilde de Surville dans son Tableau de la Poésie française au seizième siècle. L’auteur des Lundis incrimine formellement le condamné de vendémiaire an VII.

Les Trois Plaids d’or sont une imitation des Trois Manières de Voltaire ; les Verselets au premier-né, qui faisaient pâmer nos grand’mères, une paraphrase enjolivée de la romance de Berquin :

Dors, mon enfant, clos ta paupière,
Tes cris nie déchirent le cœur…

Les découvertes de la bibliographie moderne doivent quelque peu modifier une opinion si formidablement assise. Il y a bel et bien « un problème survillien », et M. Henry Vaschalde a pu dresser la très longue liste des ouvrages qui le discutent.

Dans la personne de M. Antonin Macé, Clotilde a trouvé un champion de son existence. Cet estimable professeur de faculté s’est pris pour elle d’une admiration passionnée. Ses conclusions sont affirmatives et réitérées : la poétesse a vécu réellement. Même il a retrouvé son acte de mariage, l’acte aussi du baptême de son fils Jehan.

En homme prudent autant qu’en linguiste averti, M. Antonin Macé ne prétend cependant pas que l’héritage littéraire de Clotilde nous soit parvenu dans son intégrité. Le marquis aurait fortement remanié les manuscrits originaux, rajeunissant ou vieillissant le texte à sa fantaisie.

Dirai-je que les arguments de M. Macé, volontiers sentimentaux, apparaissent médiocrement persuasifs ? De l’existence plus ou moins constatée d’une Clotilde de Surville, il ne s’ensuit pas nécessairement qu’elle soit l’auteur des poésies publiées sous son nom.

Son apologiste a néanmoins exhumé d’archives familiales vingt et une lettres de Vanderbourg à Mme de Surville qui jettent sur le débat une lumière nouvelle. La bonne foi, le désintéressement, au moins pécuniaire, du traducteur d’Horace apparaissent avec la plus évidente clarté. Indubitablement, il est innocent du pastiche. Lavons du moins sa mémoire d’une accusation à laquelle il dut sa fortune. Reste alors le marquis. Les échantillons que j’ai donnés de son génie poétique rendent bien incertaine une telle attribution. Comment, par quel miracle, le désastreux auteur de ce pathos aurait-il pu s’élever soudain à la grâce naïve des Verselets, à la vigueur enflammée du Chant royal ?

Pourtant la mystification est là ; qui donc peut être le mystificateur ? Assurément un témoin désolé, un ennemi de la Révolution, les transparentes allusions politiques de l’Héroïde à Bérenger le démontrent. Or, ne l’oublions pas, Surville avait soumis ses manuscrits à son intime, le marquis de Brazais. Ils se retrouvèrent durant l’émigration. Et M. de Brazais, lettré distingué, en correspondance avec André Chénier, était poète lui aussi, même poète de talent. Voulut-il aider aux desseins de son ami, lui servir de complice et, fut-il quelque peu « la Sapho moderne et la muse de l’Ardèche » ? Adhuc sub judice lis est.

  1. Voir l’étude suivante.
  2. On sait que le premier fut observé par Huyghens en 1655 et le septième par Herschell en 1789. Clotilde n’en célèbre pas moins

    Le vaste Jupiter et le loiaiaia Saturne
    Dont sept jjlobules nains traînent le char nocturne.

    Ce recueil des « Poésies inédiles de Clotilde de Vallon et Chalys, depuis Mme de Surville, poète français du quinzième siècle », parut en 1821 chez l’éditeur Nepvcu. Un avis du libraire faisait connaitre que les pièces qui s’y trouvaient contenues H avaient pu subir une amélioration dans l’expression des vers » et que ces changements étaient due sans doute au marquis de Surville.