Les Historiettes/Tome 1/14

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Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 1p. 87-91).


LA REINE MARGUERITE DE VALOIS.


La reine Marguerite[1] étoit belle en sa jeunesse, hors qu’elle avoit les joues un peu pendantes, et le visage un peu trop long. Jamais il n’y eut une personne plus encline à la galanterie. Elle avoit d’une sorte de papier dont les marges étoient toutes pleines de trophées d’amour. C’étoit le papier dont elle se servoit pour ses billets doux. Elle parloit phébus selon la mode de ce temps-là, mais elle avoit beaucoup d’esprit. On a une pièce d’elle, qu’elle a intitulée : La Ruelle mal assortie[2], où l’on peut voir quel étoit son style de galanteries.

Elle portoit un grand vertugadin, qui avoit des pochettes tout autour, en chacune desquelles elle mettoit une boîte où étoit le cœur d’un de ses amants trépassés, car elle étoit soigneuse, à mesure qu’ils mouroient, d’en faire embaumer le cœur. Ce vertugadin se pendoit tous les soirs à un crochet qui fermoit au cadenas, derrière le dossier de son lit.

On dit qu’un jour M. de Turenne, depuis M. de Bouillon, étant ivre, lui dégobilla sur la gorge en la voulant jeter sur un lit.

Elle devint horriblement grosse, et avec cela elle faisoit faire ses carrures et ses corps de jupes beaucoup plus longs qu’il ne le falloit, et ses manches à proportion. Elle étoit coiffée de cheveux blonds, d’un blond de filasse blanchie sur l’herbe. Elle avoit été chauve de bonne heure ; pour cela elle avoit de grands valets de pied blonds que l’on tondoit de temps en temps.

Elle avoit toujours de ces cheveux-là dans sa poche, de peur d’en manquer ; et, pour se rendre de plus belle taille, elle faisoit mettre du fer-blanc aux deux côtés de son corps pour élargir la carrure. Il y avoit bien des portes où elle ne pouvoit passer.

Elle aima sur la fin de ses jours un musicien nommé Villars. Il falloit que cet homme eût toujours des chausses troussées et des bas d’attache, quoique personne n’en portât plus. On l’appeloit vulgairement le roi Margot[3]. Elle a eu quelques bâtards, dont l’un, dit-on, a vécu, et a été capucin[4]. Ce roi Margot n’empêchoit point que la bonne Reine fût bien dévote et bien craignant Dieu, car elle faisoit dire une quantité étrange de messes et de vêpres.

Hors la folie de l’amour, elle étoit fort raisonnable. Elle ne voulut point consentir à la dissolution de son mariage en faveur de madame de Beaufort. Elle avoit l’esprit fort souple et savoit s’accommoder au temps. Elle a dit mille cajoleries à la feue Reine-mère[5], et quand M. de Souvray[6] et M. de Pluvinel[7] lui menèrent le feu Roi, elle s’écria : « Ah ! qu’il est beau, ah ! qu’il est bien fait ! que le Chiron est heureux qui élève cet Achille ! » Pluvinel, qui n’étoit guère plus subtil que ses chevaux, dit à M. de Souvray : « Ne vous disois-je pas bien que cette méchante femme nous diroit quelque injure ? » M. de Souvray[8] lui-même n’étoit guère plus habile. On avoit fait des vers dans ce temps-là qu’on appeloit les Visions de la cour, où l’on disoit de lui qu’il n’avoit de Chiron que le train de derrière.

Henri IV alloit quelquefois visiter la reine Marguerite[9], et gronda de ce que la Reine-mère n’alla pas assez avant la recevoir à la première visite.

Durant ses repas, elle faisoit toujours discourir quelques hommes de lettres. Pitard, qui a écrit de la morale, étoit à elle, et elle le faisoit parler assez souvent.

Le feu Roi s’avisa de danser un ballet de la vieille cour, où, entre autres personnes qu’on représentoit, on représenta la reine Marguerite avec la ridicule figure dont elle étoit sur ses vieux jours. Ce dessein n’étoit guère raisonnable en soi ; mais au moins devoit-on épargner la fille de tant de rois.

À propos de ballets, une fois qu’on en dansoit un chez elle, la duchesse de Retz la pria d’ordonner qu’on ne laissât entrer que ceux qu’on avoit conviés, afin qu’on pût voir le ballet à son aise. Une des voisines de la reine Marguerite, nommée mademoiselle Loiseau, jolie femme et fort galante, fit si bien qu’elle y entra. Dès que la duchesse l’aperçut, elle s’en mit en colère, et dit à la Reine qu’elle la prioit de trouver bon que pour punir cette femme elle lui fît seulement une petite question. La Reine lui conseilla de n’en rien faire, et lui dit que cette demoiselle avoit bec et ongles ; mais voyant que la duchesse s’y opiniâtroit, elle le lui permit enfin. On fit donc approcher mademoiselle[10] Loiseau, qui vint avec un air fort délibéré : « Mademoiselle, lui dit la duchesse, je voudrois bien vous prier de me dire si les oiseaux ont des cornes ? — Oui, madame, répondit-elle, les ducs en portent[11]. » La Reine, oyant cela, se mit à rire, et dit à la duchesse : « Eh bien ! n’eussiez-vous pas mieux fait de me croire ? »

J’ai ouï faire un conte de la reine Marguerite qui est fort plaisant. Un gentilhomme gascon, nommé Salignac, devint, comme elle étoit encore jeune, éperdument amoureux d’elle ; mais elle ne l’aimoit point. Un jour, comme il lui reprochoit son ingratitude : « Or çà, lui dit-elle, que feriez-vous pour me témoigner votre amour ! — Il n’y a rien que je ne fisse, répondit-il. — Prendriez-vous bien du poison ? — Oui, pourvu que vous me permettiez d’expirer à vos pieds. — Je le veux, » reprit-elle. On prend jour ; elle lui fait préparer une médecine fort laxative. Il l’avale, et elle l’enferme dans un cabinet, après lui avoir juré de venir avant que le poison opérât ; elle le laissa là deux bonnes heures, et la médecine opéra si bien que, quand on vint lui ouvrir, personne ne pouvoit durer autour de lui. Je crois que ce gentilhomme a été depuis ambassadeur en Turquie.

  1. Je ne dirai que ce qui n’est point dans ses Mémoires, ni dans ceux que M. de Peiresc a laissés à M. Dupuy. (T.) — Marguerite de France, reine de Navarre, première femme de Henri IV, née en 1552, morte le 27 mars 1615. On a d’elle des Mémoires fort curieux, qui ont eu beaucoup d’éditions.
  2. Cette pièce ne paroît pas avoir été imprimée.
  3. Margot étoit le nom abrégé et familier que Charles IX donnoit à sa sœur Marguerite. « En donnant ma sœur Margot au prince de Béarn, je la donne à tous les huguenots du royaume. » En effet, les faveurs de la princesse passoient déjà pour être partagées par un assez grand nombre d’élus.
  4. Bassompierre en a parlé. « Le soir (du 5 août 1628), ce capucin, fils de la feue reine Marguerite et de Chauvalon, nommé Père Archange, me vint trouver et me dit force impertinences. » (Mémoires de Bassompierre, deuxième série des Mémoires relatifs à l’Histoire de France, t. 21, pag. 162.)
  5. Marie de Médicis, qui l’avoit remplacée dans la couche de Henri IV, et au couronnement de laquelle Henri IV exigea qu’elle parût.
  6. M. de Souvray, ou de Souvré, étoit gouverneur de Louis XIII.
  7. Il étoit sous-gouverneur et premier écuyer de la grande écurie. (T.)
  8. Ce M. de Souvray, à ce qu’on prétend, disoit Bucéphale en lieu de Céphale, en cet endroit de Malherbe (Ode à la Reine-mère du Roi, sur sa bienvenue en France) où il y a :

    Quand les yeux même de Céphale
    En feroient la comparaison. (T.)

  9. Elle avoit fait bâtir un hôtel à l’entrée de la rue de Seine (sur l’emplacement des maisons qui commencent la rue à droite). Les jardins s’étendoient le long de la rivière jusqu’à la rue des Saints-Pères. La première fois que Henri alla la voir, il lui dit, en la quittant, qu’il la prioit d’être plus ménagère. « Que voulez-vous, répondit-elle, la prodigalité est chez moi un vice de famille. »
  10. On ne donnoit alors que la qualification de demoiselle aux femmes bourgeoises ; celle de madame n’appartenoit qu’aux femmes de qualité.
  11. Madame de Retz étoit galante. (T.) — Ménage, qui croyoit cette anecdote plus récente, la rapporte ainsi : « Madame Loiseau, bourgeoise, étoit à Versailles. Le Roi, voyant qu’elle s’avançoit fort près du cercle, dit à madame la duchesse de *** : « Questionnez-la un peu, madame. » Madame la duchesse de ***, l’ayant fait approcher, lui dit : « Madame, quel est l’oiseau le plus sujet à être cocu ? » Elle lui répondit : « C’est un duc, madame. » (Ménagiana, édition de 1762, tom. I, pag. 264.)