Les Historiettes/Tome 1/3

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Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 1p. 20-22).


LE MARÉCHAL DE BIRON LE FILS[1].


Ce maréchal étoit si né à la guerre, qu’au siége de Rouen, où il étoit encore tout jeune, il dit à son père, à je ne sais quelle occasion, que si on vouloit lui donner un assez petit nombre de gens qu’il demandoit, il promettoit de défaire la plus grande partie des ennemis. « Tu as raison, lui dit le maréchal son père, je le vois aussi bien que toi, mais il se faut faire valoir ; à quoi serons-nous bons, quand il n’y aura plus de guerre[2] ? »

Il étoit insolent et n’estimoit guère de gens. Il disoit que tous ces Jean… de princes n’étoient bons qu’à noyer, et que le Roi sans lui n’auroit qu’une couronne d’épines. Ce qui le désespéra, c’est qu’étant avide de louanges, et le Roi ne louant guère que soi-même, jamais il n’avoit sur sa bravoure une bonne parole de son maître[3]. D’ailleurs il ne se crut pas assez bien récompensé. On trouva pourtant que Henri IV, dans la lettre qu’il écrivit à la reine Élisabeth, quand il lui envoya le maréchal de Biron, l’appeloit « le plus tranchant instrument de ses victoires, » et après sa mort il témoigna assez le cas qu’il en faisoit, quand la mère de feu M. le Prince dit qu’elle vouloit aller à Bruxelles pour être aimée de Spinola, qu’elle appeloit le Biron de la Flandre, comme elle l’avoit été du Biron de la France, car il ne put souffrir cette comparaison, et dit qu’on faisoit grand tort au maréchal de mettre ce marchand en parallèle avec lui.

Il n’étoit pas ignorant, et on dit que Henri IV étant à Fresnes, demanda l’explication d’un vers grec qui étoit dans la galerie. Quelques maîtres des requêtes, qui par malheur se trouvèrent là, ne firent pas semblant d’entendre ce que Sa Majesté disoit ; le maréchal en passant dit ce que le vers vouloit dire et s’enfuit, tant il avoit honte d’en savoir plus que des gens de robe ; car, pour s’accommoder au siècle, il falloit avoir plutôt la réputation de brutal que celle d’homme qui avoit connoissance des bonnes lettres[4]. À la bataille d’Arques, le ministre Damours se mit à prier Dieu avec un zèle et une confiance la plus grande du monde : « Seigneur, les voilà, disoit-il, viens, montre-toi, ils sont déjà vaincus, Dieu les livre entre nos mains, etc. — Ne diriez-vous pas, dit le maréchal, que Dieu est tenu d’obéir à ces diables de ministres ? »

Il étoit assez humain pour ses gens. Son intendant Sarrau[5] le pressoit, il y avoit long-temps, de réformer son train, et lui apporta un jour une liste de ceux de ses domestiques qui lui étoient inutiles. « Voilà donc, lui dit-il, après l’avoir lue, ceux dont vous dites que je me puis bien passer, mais il faut savoir s’ils se passeront bien de moi. » Et il n’en chassa pas un[6].

  1. Charles de Gontaut, duc de Biron, né vers 1562, décapité à Paris en 1602.
  2. Le vieux maréchal s’effrayoit beaucoup de l’activité et de l’ardeur de son fils : « Biron, lui disoit-il, je te conseille, quand la paix sera faite, que tu ailles planter des choux en ta maison, autrement il te faudra perdre la tête en Grève. »
  3. Il étoit difficile à contenter, celui dont Henri avoit dit : « Voilà le maréchal de Biron que je présente, avec un égal succès, à mes amis et à mes ennemis. »
  4. Est-ce à la fausse honte, à la dissimulation de Biron sur ce point, qu’il faut attribuer le crédit qu’a trouvé généralement parmi les contemporains du maréchal l’opinion toute contraire à celle que Tallemant exprime ici ? « Je ne puis m’empêcher de remarquer, dit Sully, à l’avantage des lettres, qu’autant que le maréchal de Biron le père avoit de lecture et d’érudition, autant le fils en avoit peu. À peine savoit-il lire. »
  5. Père du conseiller qui a écrit. (T.) Claude Sarrau, conseiller au parlement de Rouen, a été en relation avec beaucoup de savants, et son fils Isaac a publié, en 1654, un choix de ses lettres.
  6. C’est sans doute parce que les détails de la malheureuse fin de Biron, décapité dans l’intérieur de la Bastille, à l’âge de quarante ans, le 31 juillet 1602, sont trop connus, que Tallemant ne les a pas donnés ici.