Les Historiettes/Tome 1/61

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Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 1p. 334-335).


M. DE MAYENNE[1].


Le dernier duc de Mayenne, fils du duc de Mayenne de la Ligue, étoit un homme fort bien fait, plein de cœur, plein d’honneur, et sur la parole duquel on auroit tout hasardé. Il étoit en grande réputation. Ce n’étoit pas un homme d’une grande vivacité d’esprit, mais il avoit un grand sens. Il a été galant. Le tour que fait Hilas dans l’Astrée, par le moyen d’un miroir où il avoit mis son portrait, est une malice que M. de Mayenne fit à son frère, le comte de Sommerive, et que le comte de Sommerive ne lui voulut jamais pardonner. Cela arriva à Soissons, et Dorinde en cet endroit-là est une madame Payot, femme d’un trésorier de France, au bureau de cette ville-là.

J’ai vu à Bordeaux une dame qu’on appeloit madame de Tastes, qui avoit un fils fort bien fait. On disoit qu’il étoit fils de M. de Mayenne. Ce garçon mourut fort jeune. Je me souviens que comme nous étions enfants, on joua à Bordeaux une tragédie d’Ixion, où l’on représentoit les enfers. Les autres enfants qui allèrent sur le théâtre ne vouloient point approcher de ces enfers ; celui-là seul alla hardiment partout. On disoit tout haut : « Voyez, il ne se dément point. » Cette femme, à ce qu’on m’a dit, quelquefois en l’embrassant, ne pouvoit s’empêcher de l’appeler mon petit prince.

M. de Mayenne a été regardé du peuple comme descendu de ces défenseurs de la foi catholique ; de sorte que quand il fut tué à Montauban d’un coup de mousquet dans l’œil, comme il regardoit entre des gabions, le peuple de Paris s’émut, et alla brûler le temple de Charenton. Celui qui l’avoit tué fut pendu par sa faute. Cet homme fut pris comme il se sauvoit de la ville avec une fille qui étoit amoureuse de lui. Elle offrit mille livres de rançon pour eux deux ; et comme elle les alloit quérir, cet impertinent s’alla vanter étourdiment qu’il avoit tué M. de Mayenne. Quand sa maîtresse revint, elle le trouva pendu. On lui dit pour raison que le traité de la rançon n’étant point conclu, et elle ayant dit seulement qu’elle alloit quérir de quoi se racheter, on avoit pu le traiter comme on avoit fait. La vérité est que le plus fort fit la loi au plus foible.

M. de Mayenne n’étoit point marié. On parloit de le marier, mais on ne sait, fier comme il l’étoit, s’il y eût consenti : c’étoit à une sœur de Combalet. Combalet étoit cadet, mais gentilhomme. Cette fille, voyant M. de Mayenne mort et M. de Luynes ensuite, eut assez de cœur pour se faire carmélite ; elle vit encore.

  1. Henri de Lorraine, duc de Mayenne, grand-chambellan de France, gouverneur de Guienne, fils du ligueur, mort sans postérité en 1621, à l’âge de quarante-trois ans, au siége de Montauban.