Les Hommes d’argent/02

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Les Hommes d’argent
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 89 (p. 698-718).
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LES
HOMMES D’ARGENT
DANS LA COMEDIE FRANCAISE[1]

II.

La révolution imposa silence à l’art dramatique, et les acteurs eux-mêmes furent enfermés comme suspects. Ceux qui avaient longtemps représenté des infortunes imaginaires ressentirent à leur tour des malheurs réels. Les Agamemnons, les Gérontes, les Sganarelles, les Turcarets, ces hommes gonflés d’argent qui avaient fait rire tant de générations, payaient un peu durement leurs relations intimes avec les ci-devant de l’aristocratie. Il y eut donc une lacune dans les destinées de la comédie, et l’on eut le temps d’oublier les financiers, aussi bien que les marquis, les abbés et les grandes coquettes. Comment songer à rire des victimes que la ruine et la persécution avaient ennoblies ? Les fermiers-généraux étaient devenus les égaux des seigneurs devant l’échafaud. D’ailleurs le mot même de financier changea de sens. L’assemblée constituante avait supprimé les intermédiaires entre les contribuables et l’état. Plus de partisans, plus de traitans, plus de maltôtiers ; les communes étaient désormais chargées du soin de lever les impôts. Il fallut des circonstances nouvelles pour rajeunir dans le pays les vieilles haines ; et au théâtre les vieilles plaisanteries contre les hommes d’argent. Une place demeurait vide dans les rancunes de la nation, elle ne tarda pas à être remplie par d’autres personnages, ceux qui par leur industrie rappelaient le plus fidèlement les anciens ennemis.

Il y a soixante-dix ans, sur le seuil de notre siècle, de cette ère nouvelle où l’argent devait jouer un si grand rôle, les banquiers, les hommes d’affaires (le mot est du temps), les entrepreneurs et fournisseurs de toute sorte se trouvèrent tout-puissans. Ils détenaient dans leurs mains tout le numéraire que possédait la France, et ne laissaient parvenir dans celles de l’état que le papier-monnaie, les bons d’arrérages, de délégation, que sais-je encore ? tous les chiffons imprimés qui avaient succédé aux assignats. Ces hommes prêtaient, empruntaient, achetaient, vendaient et surtout s’enrichissaient très vite au grand détriment du pays et de la morale publique. Contre eux, il n’y avait ni tribunaux ni décrets. « Le poète comique, » dit l’écrivain qui le premier risqua sur la scène quelques traits vengeurs, « le poète comique poursuit les coupables que la loi ne peut atteindre. » En effet, le théâtre dans cette circonstance ne faillit pas entièrement à sa mission. Les premiers financiers qui apparurent sur notre scène rouverte et restaurée, chose singulière ! furent la création d’un talent doux et ami du repos, de Collin d’Harleville. On a exagéré la mansuétude, l’indifférence même de l’auteur de l’Optimiste : on l’a confondu avec le héros de sa pièce, oubliant qu’il disait avoir pris pour modèle de ce caractère son père, un digne homme qui ne fit pas de comédies et qui aurait, s’il l’avait pu, empêché son fils d’en jamais faire. Pour que Collin d’Harleville fût en toute chose l’opposé de Fabre d’Églantine, son rival et son ennemi, on l’a représenté comme aimant tous les hommes également, honnêtes et méchans, ne voyant que les bons côtés de la société contemporaine, excusant tous les mauvais, n’ayant d’autre but que de conserver sa quiétude personnelle : on l’a travesti en Philinte. Sans doute Collin ne fut pas un Alceste ; il ne fut pas même un héros. Il n’a pas fustigé les financiers avec des verges bien cruelles, et il ne risqua ce châtiment que le 7 thermidor an VIII, huit mois après le 18 brumaire. Le sabre de Bonaparte avait mis les agioteurs en désarroi et forcé les commis des contributions à travailler ; l’ordre paraissait rentrer dans les finances. La galerie était donc pour le poète. L’autorité ne devait pas voir avec moins de faveur une pièce qui commençait par la critique des mœurs du temps, et qui finissait par l’éloge des officiers dans la personne d’un mari resté fidèle et tendre durant deux ans de captivité. Combien devaient être applaudis, non pour leur mérite poétique, il est vrai, les deux vers suivans :

O digne, excellent homme ! et que dans nos foyers
Puissent nous revenir ainsi tous nos guerriers ! Collin n’en avait pas moins le mérite de l’initiative, et la preuve qu’il y avait quelque courage à égratigner les hommes d’argent même après un changement de régime et huit mois de Bonaparte, c’est que la pièce rencontra de l’opposition.

Au reste, les financiers sont tout à fait épisodiques dans cet ouvrage, composé de peintures très générales et qui a pour titre les Mœurs du jour, ou l’École des jeunes femmes. L’héroïne de la pièce, une jeune étourdie dont la vertu est le point de mire d’une espèce d’incroyable, demeure chez son oncle, M. Morand, qui joue sur les fonds publics, prête sur gages et entretient un commerce secret avec les juifs. Autour de cet homme, très riche et travaillant avec acharnement à l’être davantage, s’agite un monde léger, frivole, corrompu : c’est un Paris nouveau où l’ancienne probité a disparu. Un des traits les mieux observés, c’est le contraste du financier et de son fils ; celui-ci met la même vitesse à dépenser que monsieur son père à s’enrichir. Quand il essuie des refus, il a un moyen assuré pour faire violence à l’épargne paternelle ; il sait pour quelle personne le vieux Crésus a des complaisances : une allusion lancée à propos fait tomber toutes les sévérités, les cordons de la bourse se délient comme par enchantement.

L’autre financier de la pièce est M. Basset, le subalterne, celui que le premier met en avant, et qui fait les commissions honteuses, Il est à la piste des héritiers pressés de vendre leur patrimoine, des joueurs en train de se ruiner ; il flaire les espèces sous toutes les formes, comme un limier lancé sur la bête, sachant qu’il aura sa part à la curée. Désormais nous trouverons de ces agens plus ou moins discrets, de ces financiers en second, dans la plupart des comédies modernes dont l’argent fournit le sujet, — financiers en second, quoiqu’ils soient les conseillers et les guides de ceux qui les emploient, enfans perdus de l’agiotage, travaillant au service de l’homme aux capitaux, parce qu’ils n’ont pas le nerf de la guerre, mais traînant après eux leur patron à la fortune ou à la déconfiture. Désormais les hommes d’argent au théâtre seront de deux sortes : ceux qui n’ont rien, mais qui ont bu toute honte et tentent les autres par les amorces du gain, et ceux qui possèdent, mais qu’une insatiable convoitise pousse à devenir les complices de ces maudits. On a vu dans un travail précédent que le Basset de Collin d’Harleville est un souvenir de l’ancien théâtre, au moins pour le nom et le physique du personnage. La comédie vit de ces emprunts, qu’elle change d’ailleurs et qu’elle renouvelle suivant les besoins nouveaux. A son tour Collin eut des emprunteurs parmi lesquels il faut compter Casimir Delavigne, qui a certainement pris dans les Mœurs du jour, non pas l’idée principale, mais le dessin presque entier et le dénoûment de l’École des vieillards. Ces deux écrivains étaient des talens de même famille, esprits ingénieux, natures tempérées et correctes, versificateurs spirituels. Diderot aurait sans doute appliqué aux pièces du second, ce qu’il dit de l’œuvre de début du premier : « C’est une pelure d’oignon brodée de paillettes d’or et d’argent. »

A propos d’un joueur qui a perdu sa dernière pistole, un personnage de la comédie de Collin fait cette plaisanterie :

Il s’en relèvera par une banqueroute.


C’est à peu près là le sujet traité par Picard l’année d’après, en 1801, et l’aventure de son financier Durville, un banquier qui veut sortir d’embarras par la porte dérobée de la faillite frauduleuse. Voici encore un auteur d’humeur douce et facile que les circonstances ont armé au moins un jour du fouet d’Aristophane. Ce bon Picard, qui disait que le but de la comédie était de faire rire les braves gens, perdit sa gaîté inoffensive dans Duhautcours, ou le Contrat d’union. A son tour, il suppléa aux lois impuissantes, et les auditeurs s’étonnèrent de le trouver cette fois si sérieux. Aussi bien que Collin d’Harleville et non moins à tort, il a été regardé comme une âme timide, comme un caractère insouciant, au milieu des redoutables péripéties de la révolution. Comme lui aussi, il a prouvé un jour que le courage ne lui manquait pas, et il a bravé la colère de puissans fripons.

Duhautcours est, à l’exemple du Basset de Collin, un obscur aventurier de la Bourse, un agent secondaire au service du financier ; mais quelle différence pour la verve et le mouvement qui l’animent ! Autant Picard est inférieur à son contemporain par les détails du style, autant il l’emporte par la vivacité des scènes et par l’entrain des personnages. Ce Duhautcours aime son métier de passion, cela se devine. Quand il expose le plan de la banqueroute, quand il prépare ses batteries, on dirait un général qui va livrer bataille. Le bal, le feu d’artifice, les décorations, tout ce qui doit éblouir la foule et la tromper sur l’état des affaires de Durville, il veille sur tout, il a l’œil à toute chose. Il a fixé le moment où l’événement de la banqueroute doit éclater ; il a réglé d’avance l’attitude que doit garder, les paroles que doit prononcer son patron. Le rôle même de Mme Durville est tracé ; le moment où elle doit s’évanouir, le cri qu’elle doit pousser est prévu. Il faut le voir dans le combat même, au milieu de l’assemblée des créanciers : c’est un capitaine qui dans la mêlée conserve tout son sang-froid et porte ses forces partout où l’ennemi semble prendre l’avantage. Il se heurte à forte partie : un neveu du banquier, Franval, qui est au nombre des créanciers, qui a même refusé d’être soldé à part, soutient ceux-ci quand ils s’ébranlent. Ce terrible homme de bien les empêche de consentir à leur défaite et de signer le contrat d’union que l’intrigant leur allait arracher. Il force même Durville à se reconnaître, à répudier son crime ; le mari et la femme se décident à tout perdre, mais Duhautcours, intrépide jusqu’à la fin, tient tête à la mauvaise fortune. La défection au milieu du combat ne le trouble pas ; il se tourne contre Durville lui-même et le menace. Vaincu sans ressource, il conserve son audace, et son dernier mot à son vainqueur Franval est sublime d’impudence : « Les honnêtes gens ne me font pas peur. »

Cette situation de l’assemblée des créanciers appartient en propre à Picard : il a les mêmes droits d’inventeur sur une foule de détails ; mais le fond de sa comédie était déjà dans cette vieille pièce du Théâtre-Italien, le Banqueroutier, dont nous avons parlé ; déjà le ménage Persillet offrait la première ébauche du ménage Dur-ville, un mari faible et vaniteux accouplé à une femme légère et folle ; déjà la théorie de la faillite frauduleuse professée au Théâtre-Français de la république avait été exposée à l’hôtel de Bourgogne par les comédiens italiens de sa majesté le roi Louis XIV. D’ailleurs l’auteur de Duhautcours, donnant un exemple assez peu suivi, avouait lui-même ses emprunts dans sa préface, à une époque, il est vrai, où les préfaces n’étaient pas un moyen de glorification personnelle. Plus honnête que les deux financiers de sa pièce, Picard reconnaissait sa dette, et par là même il montrait ce que l’idée primitive avait gagné entre des mains plus habiles. Une esquisse capricieuse et par momens puérile était devenue une peinture vivante. Ces hommes d’argent, on les reconnaissait à leurs procédés, à leurs paroles ; on se retournait de tous côtés pour chercher les originaux, on les montrait au doigt. Dans une ville de province, il arriva par hasard que l’acteur, prononçant des paroles sévères contre cette classe de personnes, dirigea sa main vers un point de la galerie où se trouvaient assis certains particuliers bien connus. Des applaudissemens éclatèrent et furent répétés jusqu’à ce que le comédien, d’abord étonné, dut comprendre la cause de cette émotion. Le lendemain les mêmes spectateurs, déterminés à braver les huées du public, vinrent s’asseoir à la même place, et, comme l’auteur glissait sur le passage périlleux avec une prudente réserve, le parterre déconvenu demanda avec des cris : « les gestes ! les gestes ! » L’œuvre de Picard se changeait beaucoup plus que ne l’avaient prévu et les acteurs et l’auteur en une œuvre vengeresse.

Cette liberté du théâtre ne dura qu’autant qu’elle servit la politique du consulat ; on laissa faire Aristophane une année ou deux parce que ses traits profitaient au gouvernement ; les colères de la comédie tombaient sur des enrichis du directoire. Au bout de ce délai, soit que l’administration eût purgé la France des Turcarets de la république, soit que les hommes d’argent eussent cédé aux guerriers toute leur puissance et leur crédit, soit que les financiers nouveaux fussent désormais à l’abri derrière le pouvoir absolu de l’homme qui était tout à la fois financier, guerrier et administrateur, le théâtre garda le silence sur les banquiers et gens d’affaires ; Aristophane fut mis de côté faute d’emploi. Ce n’est pas que le consulat et l’empire n’aient eu leurs enrichis, mais la guerre et la victoire furent leurs principaux courtiers. La France fermait les yeux parce qu’elle n’était sérieusement victime que de l’impôt du sang, dont, hélas ! elle a toujours été prodigue ; les maltôtiers de ce régime ne firent sentir qu’au dehors leur aveugle rapacité. Nous avons su depuis si la haine des nations réclame avec usure le règlement de ce genre de comptes. D’autres circonstances tendaient au même résultat. Quand par hasard des négocians dont l’empereur demandait le secours se faisaient la part trop belle, il était juge et partie, et un beau décret de confiscation rétablissait l’équilibre. Quand l’intérêt de l’argent, montant trop haut, était sur le point de troubler le bien-être où s’endormait la France, le conquérant arrivait, chargé de capitaux étrangers et le faisait descendre. Il n’y avait réellement au monde qu’un financier dont tous les autres étaient les commis, et celui-là n’était pas de ceux qu’on met en comédie. Le théâtre ne vit donc pas de rôles nouveaux sous l’empire pour représenter les folies, les excès ou la tyrannie de l’argent, et cette période ne présente à notre étude que les deux ouvrages de Collin d’Harleville et de Picard. C’est là seulement qu’on put deviner ce que deviendrait au XIXe siècle ce genre de personnages rhabillés par la révolution et cependant reconnaissables sous leur travestissement.

Les bravos du parterre purent être agressifs ; les deux pièces de Collin et de Picard ne l’étaient pas. Elles conservaient la marque de l’esprit de leurs auteurs et contenaient surtout une leçon morale. Ces deux hommes d’une profonde honnêteté avaient été frappés de l’altération des mœurs publiques ; ils s’efforçaient d’y porter remède. Autrefois on s’amusait aux ridicules des financiers. Lesage avait fait plus, il les avait châtiés ; mais lui et ses devanciers n’avaient vu dans ces hommes qu’une sorte de tribu à part qu’il fallait livrer à la risée ou au mépris. Maintenant il s’agissait de préserver la nation de leurs exemples funestes, et les hommes d’argent traduits sur la scène étaient tels ou tels de nos voisins. Ils cessaient d’appartenir à une profession et devenaient de plus en plus des caractères. De là ce double rôle de capitalistes et d’agens, de corrompus et de corrupteurs ; de là les Morand et les Basset, les Durville et les Duhautcours. Les uns n’ont pas de position dans la société ; les autres, à défaut d’honneur, ont une honorabilité apparente. Ceux-ci sont entourés d’une famille que l’argent gâte jusqu’à la moelle et que le luxe précipite. Ils veulent à la fois le profit de s’enrichir très vite et le plaisir de passer pour honnêtes. Cette contagion de mauvaises mœurs entraîne celle du mauvais langage : ce n’est pas seulement d’aujourd’hui que la Bourse conspire la ruine de la bonne langue française, et que les agens de change, à la tête de l’armée des courtiers, font des dégâts dans cet idiome admirable que nous ont légué les deux grands siècles précédens. Il n’y a pas longtemps que cette expression : comme c’est nature ! est passée de mode, elle est dans Duhautcours. Quand le peuple de Paris se sert du mot de conséquent pour considérable, il ne se doute pas qu’il lui est venu en droite ligne des financiers de la même époque. Collin et Picard s’accordent également pour le leur attribuer.

La restauration fut comme une sorte d’âge d’or pour la banque. Le crédit, grâce au repos qui fut accordé à la France, grandit peu à peu sans tomber dans l’excès de l’agiotage, au moins durant les premières années. L’argent, dans les mains de la bourgeoisie, se conserva-quelque temps innocent de tout scandale. Il était d’ailleurs rallié à l’opposition constitutionnelle : il frayait volontiers avec les généraux de Bonaparte ; les banquiers étaient populaires. Deux financiers éminens donnaient le ton à l’opinion publique ; leurs salons réunissaient tous les représentans de la science, du haut commerce, de la politique et de la littérature. Ils étaient les chefs du parti libéral. Une aristocratie nouvelle se formait qui déjà contrebalançait l’ancienne par la puissance du crédit, et avait sur elle l’immense avantage de plaire au peuple. Par les capitaux, elle tenait les quartiers commerçans ; par les souvenirs de l’empire, elle se faisait pardonner sa richesse dans les faubourgs. Ce qu’on appelle en langage de bourse les grandes affaires se négociait à l’étranger ou était livré à des débats plus sérieux que les jeux du théâtre. Les premiers emprunts de ce régime furent souscrits en Angleterre, et s’il y eut des trafics sur certaines liquidations, ils furent l’objet de privilèges que l’opposition parlementaire ne tarda pas à dénoncer. Dans tout cela, il n’y avait aucune place pour la comédie.

Le seul spectacle curieux dont l’argent ait été l’objet à cette époque fut donné loin des feux de la rampe par le fameux Ouvrard au commencement de la guerre d’Espagne. Ce hardi financier ouvrit la campagne par une véritable situation de théâtre ; la mise en scène qu’il employa appartient presque à notre sujet. Il réunit les notables de Tolosa dans une salle au centre de laquelle était une table que couvraient des piles de pièces d’or. Quand la séance fut ouverte, il prit la parole comme Duhautcours dans la pièce de Picard, et commença par annoncer que ces pièces d’or allaient être distribuées à titre d’avances. Puis il déclara que les vivres qui seraient livrés avant telle heure seraient payés dix fois leur valeur, l’heure suivante neuf fois, et ainsi de suite. Ces promesses magnifiques se répandirent avec la vitesse de l’éclair : aussitôt les paysans d’accourir et le marché de se couvrir de provisions ; la ville et les routes qui aboutissaient aux portes furent encombrées d’une abondance qui ne s’était jamais vue. L’offre dépassa tellement la demande, que les vivres furent bientôt vendus au prix le plus modéré. Le tour était joué ; mais qui pouvait se plaindre d’en être la dupe ? L’état prétendit que ce n’étaient pas les paysans espagnols, mais lui-même, et en effet, assistant en silence à l’assemblée, lui qui payait, il remplissait entre tous le rôle le plus comique. On fit plus tard un procès au banquier pour avoir par fraude imposé au gouvernement des marchés onéreux. Il n’y avait pas encore de comédie à faire sur cette histoire : n’était-elle pas toute faite ?

Cet exemple d’une grande affaire ne fut sans doute pas perdu plus tard, mais alors il dépassait la mesure des ambitions et, il faut le dire aussi, la portée des capitulations de conscience. La banque libérale et patriote était plus probe et plus sage ; l’argent, entouré de considération, conservait des scrupules. Une comédie de 1827, les Trois Quartiers, dont le succès a laissé des traces au théâtre, reproduit fidèlement cette situation honorable des financiers de ce temps dans l’opinion publique. Ainsi les banquiers ont fait un progrès nouveau depuis la fin du XVIIIe siècle : ils étaient des bienfaiteurs publics et des modèles de vertu, les voilà maintenant des seigneurs puissans et, qui plus est, populaires. Ces trois quartiers qui ont fourni le titre de la pièce de Picard et Mazères sont l’image de la hiérarchie sociale d’alors. Le théâtre divise la population en trois classes : la noblesse, séparée des autres par l’épaisseur de ses parchemins, qu’elle croit énorme, mais qui s’en rapproche par le moyen de l’argent, dont elle n’a garde de nier la valeur : c’est le quartier Saint-Germain ; — la finance, qui se regarde au moins comme l’égale de la noblesse et, malgré qu’elle en ait, lui porte envie : c’est la Chaussée-d’Antin ; — le commerce, qui vend à l’une et à l’autre en se disant tout bas qu’il vaut bien la finance : c’est la rue Saint-Denis. N’oublions pas que ce classement est de 1827. Entre ces trois quartiers, celui du milieu est prépondérant ; il fait la loi aux autres, et son amour-propre seul peut lui arracher des concessions. En effet, ni le commerce ni la noblesse ne se peuvent passer de lui. Martigny, le banquier, a des loges à tous les théâtres ; il donne des dîners diplomatiques, il s’entoure de députés, de pairs de France, d’étrangers de la plus haute distinction, il a des concerts, des soirées littéraires : point d’élégies romantiques, de tragédies classiques, d’épopées grandioses, de chansons libérales, dont ses invités n’aient la primeur. Avec la rue Saint-Denis, il est bon prince ; avec le faubourg Saint-Germain, il est tantôt aimable, tantôt ombrageux, toujours par orgueil. Il se rend aux invitations de la noblesse, et il est bien aise d’en attirer chez lui quelques représentans, mais la question du rang le trouve constamment sur le qui-vive. Au moindre froissement, il redevient démocrate et se promet de redoubler de faste, de magnificence, pour écraser les gentilshommes. Si nous l’en croyons, ce n’est pas lui qui voudra s’allier à une noble famille, ou reconstruire à grands frais quelque vieux manoir, quelque castel tombant en ruines. Et cependant il finit par donner sa sœur à un colonel du noble faubourg à qui il a prêté une certaine somme, et par épouser lui-même une comtesse, qui reçoit la permission de devenir Mme Martigny, grâce aux écus dont l’éclat relèvera l’obscurité de ce nom bourgeois. Ce sont là des ridicules, mais qui ne diminuent pas son importance. On voit assez le chemin que les hommes d’argent ont fait dans l’espace d’une vingtaine d’années. Ce n’est pas tout : le nœud de la comédie des Trois Quartiers accuse nettement le rôle des écus dans toutes les classes de la société. Le marchand de nouveautés refuse sa fille à un de ses commis qu’elle aime parce qu’il est sans fortune ; le banquier est orgueilleux de sa richesse et libéral par jalousie ; les marquises et comtesses sont aristocrates, mais les millions les font passer pardessus les préjugés.

Les Turcarets véritables ne sont pas fréquens, mais le spectacle de leur richesse fait en tout temps des imitateurs en petit, et la religion du veau d’or remplace peu à peu par des convoitises plus ou moins dissimulées le désir légitime de parvenir à l’aisance. Tout le monde n’avait pas assez de fortune ou d’audace pour mener de front la bourse et l’usure comme le Morand de Collin d’Harleville ou pour préparer une éclatante faillite comme le Durville de Picard. Tout le monde ne pouvait, à l’exemple du Martigny de M. Mazères, tenir en échec la noblesse à force d’écus. La conscience des uns était encore trop sensible, l’escarcelle des autres trop légère pour marcher sur des traces si hardies. L’agiotage sur les fonds publics et la multiplicité des actions industrielles vinrent malheureusement au secours de ces escarcelles modestes et de ces consciences timorées. Il semblait que le secret était trouvé pour enrichir tout le monde en peu de temps et avec peu d’argent. Les dernières années de la restauration virent les commencemens de cette folie, qui depuis n’a été coupée que par des momens trop rares de lucidité. Le théâtre, provoqué par de nouveaux ridicules, ne manqua point à l’appel : il produisit à cette occasion une comédie estimable, l’Agiotage, et un vaudeville amusant, les Actionnaires. Nous n’insisterons par sur ces deux ouvrages, qui n’offrent pas de types méritant un souvenir. Ils correspondent à un état des mœurs publiques, mais ils n’ont pas réussi à personnifier ces mœurs dans des figures vivantes. M. Empis ne fit que reproduire le cadre de la comédie de Picard, dont il s’assura d’ailleurs la collaboration. Son Durosay n’est qu’un Duhautcours affaibli, et l’on ne saisit pas de différence sensible entre son avocat Saint-Clair et le banquier Durville. Il fut mal inspiré de fournir à Picard ce que dans sa vieillesse celui-ci ne détestait pas, l’occasion de se répéter. Ce n’était pas la peine de refaire la pièce primitive du Dancourt de la république pour ne l’enrichir que de tirades et de leçons de morale. On s’aperçoit trop que M. Empis était un fonctionnaire de la maison du roi Charles X ; sa pièce est officiellement vertueuse et ennuyeuse. D’ailleurs autant le sujet de la banqueroute était vif et dramatique, autant celui de l’agiotage uniforme et connu d’avance d’un bout à l’autre. Rien n’est plus contraire à la comédie que ces vices ou ces manies qui sont également dans tous les personnages d’une pièce. Quel amusement peuvent promettre au spectateur neuf personnes qui n’ont d’autre soin que d’agioter en cachette les unes des autres ? Toute la maison de Saint-Clair joue à la Bourse comme le maître ; dans cette maladie commune, il n’y a de variété que le petit clerc qui joue au trente-et-un et la femme de chambre à la loterie.

La hiérarchie dramatique de 1829 n’existe plus, et peu importerait, à nos yeux, que les Actionnaires de Scribe fussent mêlés de couplets, s’il y avait dans cette œuvre une peinture morale ; mais nulle part l’auteur n’a plus donné au paradoxe et au tour de force. M. Piffart avec sa plaine des Sablons qu’il veut mettre en prairies par le moyen des puits artésiens, avec sa vente des bois de Bretagne qu’il substitue à cette première entreprise, séance tenante, devant les actionnaires qui refusent de se jeter dans les puits artésiens, M. Piffart est le plus drôle et le moins comique des charlatans. Il faut qu’un personnage croie en lui-même pour être comique. L’industriel de M. Scribe n’est même pas un voleur ; il se trouve à la fin que la vente des bois de Bretagne est une bonne affaire pour tout le monde. Le directeur, son secrétaire, son agent chargé d’allumer le crédit, font leur fortune, et les actionnaires qui ont été bernés pour l’ébaudissement du public touchent de beaux dividendes. L’auteur est content ; il a soutenu le contraire de ce qui semble vrai et possible, il a fait rire. La morale n’a rien à lui reprocher ; il s’en tire par une plaisanterie, et voilà toute sa pièce. M. Piffart ne mérite donc pas plus que Durosay ou Saint-Clair une place dans la liste des financiers du théâtre. L’histoire des mœurs et de la comédie n’a rien à voir dans ces créations qui n’ont rien de sérieux. le ne sais si le théâtre en de telles situations peut le disputer à la ne réelle pour le comique et la passion ; mais après M. Scribe la pièce des Actionnaires était à refaire. Pour qu’il y eût comédie, il fallait un intérêt sérieux, un industriel audacieux, capable de tout, engageant la lutte contre des hommes non moins âpres au gain que lui-même. Ce combat tristement plaisant a trouvé une main pour le peindre avec une grossièreté triviale et non sans vérité. Peut-être les auteurs de cette violente ébauche avoueraient-ils eux-mêmes qu’ils ont pris à Scribe sa scène des Actionnaires sans y rien changer. Voyez l’effet d’une pensée qui anime une situation : le dialogue est peu changé, l’effet est tout différent. Il a suffi de draper dans la robe de chambre de M. Piffart un bandit réel, un vrai voleur. Le lecteur a deviné qu’il s’agit ici de Robert Macaire ; mais cette pièce à scandale est d’un autre temps et d’un autre régime. En résumé, le théâtre de la restauration respecta la popularité de la banque. S’il tenta de moraliser à l’occasion des agioteurs et de s’amuser à propos des actions industrielles, il ne vit l’agiotage que dans les étourdis qui en sont les dupées, non les moteurs : il ne rit qu’aux dépens des actionnaires. Il se moqua des victimes. Les financiers proprement dits furent à l’abri de ses coups.

Ce qu’ils devinrent après la révolution de juillet se pouvait aisément prévoir. Quand même ils n’auraient eu aucune part au pouvoir, on les aurait soupçonnés de l’exercer sans partage. Ils furent ou parurent les maîtres. A chacun d’eux, on attribua tout au moins l’ambition d’être

Et le roi des banquiers et le banquier des rois,


c’est-à-dire de dicter des lois au crédit et de souscrire les gros emprunts. Quelques-uns siégeaient à la chambre ou dans le conseil du souverain. S’ils n’étaient pas ministres, ils pouvaient au moins en faire. On regardait la baisse comme un arrêt de mort pour un cabinet. Il fallait pour les hommes d’état remporter des victoires à la Bourse aussi bien qu’à la tribune. Et cependant ce n’était pas l’argent, c’était l’intelligence et la liberté qui avaient fait la révolution nouvelle. Il y avait erreur ou excès dans l’opinion à cet égard ; mais l’opinion est la reine du monde, surtout en politique. Le nouveau régime avait pris naissance dans l’hôtel d’un financier, et il avait adopté une somme d’argent pour limite de la capacité politique. Un de ses premiers soins fut d’établir la balance entre la baisse produite par les événemens et la hausse prise en défaut. Ce fut assez pour donner au gouvernement sa marque. Gouvernement des banquiers fut le mot consacré, et il faut confesser que les hommes mêmes qui en faisaient partie ne songeaient guère à rectifier cette méprise. Des paroles bien imprudentes furent prononcées et répétées. Tandis que les uns déclamaient contre l’argent, et que les autres en proclamaient aveuglément la puissance, la nation se persuada qu’elle était livrée pieds et poings liés aux mains des publicains. Le moyen de s’étonner que le théâtre partageât les idées reçues ? Les Turcarets nouveaux furent affublés de fonctions politiques, de titres et de grands cordons. On les fit députés, conseillers-généraux, barons du Saint-Empire.

Au-dessous de la haute banque, de celle qui se respectait, il y avait un commerce d’argent subalterne, équivoque, celui des coureurs d’aventures. Ces hommes, qui étaient à l’affût des petits capitaux et faisaient la chasse aux économies du peuple, furent comparés aux loups-cerviers. Ils avaient pour leur proie le même sourire, le même regard séduisant que ces animaux carnassiers. Comme eux aussi ils sautaient sur elle, et quand elle était saisie, ils lui suçaient le sang, ils lui ouvraient la tête pour lui manger la cervelle. Le théâtre n’eut garde de les laisser passer inaperçus, et, comme il y avait une tendance générale à l’exagération, la scène montra les types les plus étranges, le public applaudit aux caricatures les plus audacieuses.

On a fait beaucoup d’honneur à la farce de Robert Macaire : à l’occasion de cette parade d’un acteur de talent, on a prononcé le mot de comédie sociale ; on a fait de ce brigand facétieux un idéal des vices, des passions, des prétentions du temps, presque une image de l’esprit national dans un moment de crise hideuse. Des historiens passionnés, mais sérieux, ont fait place à cette bouffonnerie dans leur réquisitoire contre le régime de juillet. Ils n’ont vu dans la pièce que la scène des actionnaires, et en effet, c’est la seule situation vraiment comique : il leur semble que ce voleur de grand chemin soit apparu tout à coup pour venger la morale des excès de la Bourse. Faut-il compter Robert Macaire parmi ces Turcarets dont nous faisons l’histoire ? Un bandit beau parleur passe pour mort et recommence sur de nouveaux frais la carrière déjà parcourue. Il ne change pas d’industrie. Il vole une sacoche au premier acte ; au second, il ferait main basse sur une valise, s’il ne reconnaissait dans le voyageur qui la possède son confrère Bertrand. Au troisième, il se trouve qu’il a fait passer une montre du gousset d’un riche Anglais dans le sien : c’est à la veille même du jour où il assemble sa compagnie pour l’assurance contre les voleurs. Remarquez bien la nature de l’entreprise, et comme elle se rattache à la profession de Macaire. C’est par là même que la situation est le plus plaisante. Au sortir de là, ses exploits reprennent leur cours ; à vole, en signant le contrat, son beau-père, qui lui rend la pareille ; il vole à l’écarté. Cet acte au reste est très bien rempli, et le héros ne le laisse pas languir un moment. Au quatrième acte, il ne vole rien, si ce n’est le lit et le bonnet de nuit du commissaire, qu’il a endormi avec de la poudre narcotique. Au dénoûment, reconnaissance générale : le baron de Wormspire est le père de Macaire, Eloa est la fille de Bertrand ; ils s’embrassent tous, et la parade est complétée par une apothéose. Robert et Bertrand s’enlèvent dans un ballon orné de guirlandes et de verres de couleur. Est-ce là une satire contre les hommes d’argent, et Macaire est-il un financier ? Son beau discours philanthropique touchant « les mauvaises passions qui se déchaînent sur l’ordre social avec la fougue du torrent » prépare assez bien la proposition d’une entreprise commerciale. Le travail mis entre les mains des actionnaires, M. Gogo qui demande le dividende, le nouvel appel de fonds dissimulé sous le projet d’une nouvelle compagnie pour diriger la police du royaume, enfin la défaillance de Robert qui s’évanouit pour n’être pas obligé de répondre à M. Gogo, tout cela est un épisode des tripotages financiers de la pire espèce, mais ce n’est qu’un épisode. Les auteurs l’ont trouvé tout fait dans Scribe et dans Picard. Déjà le M. Clairénet de Scribe réclamait le dividende comme M. Gogo ; déjà la Mme Durville de Picard s’évanouissait à point nommé comme Macaire. Ce qu’ils ont trouvé tout fait et à demi oublié, ils l’ont pris et mis à leur usage : ils ont eu raison. C’est un coup de maître d’avoir mis un voleur à la tête d’une assurance contre les voleurs ; mais c’est une raison de plus pour croire que le héros ne revêt l’emploi de financier que par hasard, et que les auteurs y avaient à peine songé. Le public s’est chargé d’en faire l’application. Au fond, Robert Macaire est une parodie des théories ambitieuses, des faux sentimens et de la littérature outrée de 1830 à 1834. Patriotisme, probité, amour paternel, passion, tendresse de cœur, tout y passe pour être couvert de boue et foulé aux pieds. Le coryphée du romantisme, dans la personne d’un acteur populaire sur les boulevards, se chargea de faire rire 4 de toutes les émotions qu’il avait su produire. Il fit la satire de son art et de son talent. A toute poésie, à toute éloquence, il jeta le mot de blague qui termine et couronne la pièce.

La vraie satire des parasites du crédit, aventuriers de la Bourse et loups-cerviers, c’est Mercadet. Avec cette réserve que nul dans la pièce n’est réellement honnête, ni entièrement dupe, si ce n’est Mme Mercadet et un couple d’amoureux, l’auteur a réuni dans son drame toutes les variétés des faiseurs d’affaires véreuses, des courtiers de valeurs apparentes, des vendeurs d’actions décréditées. Ici plus que jamais la maladie de l’argent est contagieuse ; tour à tour les personnages sont trompeurs ou trompés. Il n’y a pas de victimes, si ce n’est du hasard ou d’une supériorité dans la ruse. Mercadet est corrompu, cynique même ; ce bourgeois, ce père de famille a passé par l’école de Robert Macaire. « Voici l’honneur moderne, » dit-il à sa femme, en tirant de sa poche une des rares pièces de 5 francs qu’elle contient encore. « Qu’y a-t-il de déshonorant à devoir ? Est-il un seul état en Europe qui n’ait ses dettes ?… Et n’emprunte pas qui veut. Ne suis-je pas supérieur à mes créanciers ? J’ai leur argent, ils attendent le mien, je ne leur demande rien, et ils m’importunent ! Un homme qui ne doit rien, mais personne ne songe à lui !… » En effet, il est le débiteur de tout le monde et possède le secret de ne payer personne. L’homme d’affaires Goulard est éconduit par un mensonge ; il ne sort pas, il s’enfuit de chez Mercadet pour aller aux nouvelles sur des valeurs qu’on lui fait croire compromises. L’usurier Pierquin consent à un délai moyennant des actions qui n’ont plus de valeur. Le courtier Violette, en se plaignant avec éloquence, obtient à peu près de toucher les intérêts de sa créance ; celui-là est si pauvre, il est un habitué si fidèle du mont-de-piété, qu’il pourrait bien se faire qu’il fût honnête. Mercadet n’est pas tout à fait sans cœur, il a la générosité de lui avancer quelques écus sur cette dette, qui est toute la fortune du malheureux. L’ami de la maison, Verdelin n’accorde un ajournement pour ses avances que sur la menace que fait Mercadet de se faire sauter la cervelle. Inutile de dire que le propriétaire Brédif ne peut obtenir ni argent ni congé. Tel est Mercadet. Est-il victime ? est-il coupable ? Il se sauve de la faillite par un moyen digne de Scapin ; plagiaire de Regnard, il refait la scène la plus audacieuse du Légataire universel, il travestit un compère en son ami et associé Godeau, qui est aux Indes et ne songe pas à revenir. On peut rire des Scapins et des Frontins, parce que c’est dans un monde de convention qu’ils font leurs tours pendables ; dans le monde réel, les Mercadets vont au bagne. Et pourtant on est tenté par momens de s’intéresser à cet homme. On craint qu’il n’effectue son projet de se jeter à la Seine ; on ne sait si le rasoir qu’il prépare ne doit pas être pris au sérieux. Il n’est pas douteux que l’auteur affectionne son héros ; Mercadet, par momens, est fait à son image. Balzac n’est jamais tombé dans de pareilles misères ; mais, s’il en faut croire ceux qui ont parlé de sa vie intime, cette lutte infatigable contre les créanciers ressemble à une confidence. Il était réservé à l’auteur de cette comédie de rendre un financier intéressant et de placer dans la caverne de l’agiotage les péripéties d’un drame douloureux.

Mercadet, presque autant que Robert Macaire, nous représente le dessous de la société, la ténébreuse région où vivent à des étages différens les diverses espèces de la friponnerie. Si le théâtre prétendait avec ces deux pièces donner une idée du monde de l’argent sous le gouvernement de juillet, ce serait simplement une calomnie. Il y aurait une lacune dans l’arbre généalogique des financiers, qui ne se compose pas seulement de si basses branches. Un homme d’esprit, qui s’est fait autant remarquer par la souplesse facile du talent que par l’honorable ténacité de ses convictions politiques, M. Étienne Arago, vers la fin de ce régime, s’efforça de remplir cette lacune. Dans la comédie des Aristocraties, il fit en vers, souvent excellens une guerre assez vive à ces banquiers qu’il était convenu de regarder comme des puissances souveraines. À supposer que ces Turcarets de la politique fussent aussi redoutables qu’il voulait bien les faire, il dut reconnaître qu’ils étaient des seigneurs bien clémens, et qu’ils se laissaient attaquer d’assez bonne grâce. La censure théâtrale, dont on faisait alors grand bruit, laissait poliment passer des tirades éloquentes que la haute finance recevait en pleine poitrine. En revanche, elle interdisait, par zèle, pour la pudeur publique, des pièces telles que Robert Macaire et Mercadet, qu’en d’autres temps on eût laissé jouer : la morale était seule à réclamer.

S’il est permis de contester que les banquiers aient jamais tenu sous la clé de leur caisse les destinées de la nation, il est juste de dire que la paix, la prospérité générale, le progrès de la richesse, placèrent à côté des classes privilégiées d’autrefois une sorte d’aristocratie de l’argent. Dans cette mesure, M. Étienne Arago a raison ; encore faudrait-il rabattre un peu d’une faveur trop grande qu’il montre pour l’aristocratie impériale, et qui serait sans doute aujourd’hui de sa part l’objet de quelques corrections. Le banquier Verdier invitant chez lui ses électeurs et faisant espérer la main de sa fille à des comtes et à des barons est un portrait d’après nature. Comme père et comme homme, ses mouvemens ne sont pas toujours vrais ; un écrivain plus occupé de son art l’aurait fait quelquefois parler et agir d’une autre sorte. Comme financier ambitieux d’honneurs, c’est un rôle qui a sa place dans notre théâtre. Verdier flatte les conservateurs pour être député, les libéraux pour être conseiller municipal.


C’est clair… l’homme d’argent est de tous les partis.


Un emprunt qu’il souscrit en Allemagne lui vaudra un cordon jaune et le titre de baron de Burkthal. C’est un pis-aller ; quand le pouvoir refuse d’honorer son mérite, il faut bien qu’il se contente d’une noblesse de l’autre côté du Rhin, mais il se vengera :

Je me rends à la Bourse… elle est le thermomètre
Qui règle le crédit des hommes du pouvoir…


Le cabinet est perdu : Verdier va jouer à la baisse. Plus d’un banquier a été dupe des mêmes illusions que celui de M. Arago, et il suffit au théâtre de la vraisemblance. Voilà donc les financiers au comble de leur gloire ! Si la comédie est un miroir un peu fidèle de la société, quel chemin a donc fait l’argent ? O Basset, ô Bredouille, ô Turcaret, et vous autres, Morand et Duhautcours, que diriez-vous si, revenant à la vie, vous pouviez contempler vos petits-fils dans un tel degré d’éclat et de puissance ? Rien n’est durable en ce monde, et surtout la richesse. C’est l’argent qui est puissant, non pas l’homme ; le premier dure toujours, le second est sujet à la mort, et il meurt d’autant plus complètement qu’il n’a possédé que des écus. Son héritage est fragile quand il ne se compose pas d’autre chose, et c’est pourquoi l’aristocratie de l’argent est un mot qui a peu de sens.

Dans une comédie du second empire (nous avons eu l’occasion de montrer que la seconde république n’en pouvait avoir), il y a une page remarquable dont la pensée est directement opposée à ce que nous venons de dire. Le marquis d’Auberive, des Effrontés, avec l’esprit qui ne fait jamais défaut à l’auteur, recueille les traits de ce qu’il appelle l’aristocratie financière.

« Les travers du vainqueur sont la consolation du vaincu : consolation bien innocente. Vous nous avez renversés, et je me gaudis à voir ce que vous avez mis à notre place. — L’égalité. — Elle est jolie votre égalité, parlons-en ! Vous avez substitué une caste à une autre, voilà tout. — Il n’y a plus de castes en France. — Vous croyez cela ? Écoutez le récolement de la vôtre : vous ne vous mariez qu’entre vous, comme nous faisions. Vous dites : Ça n’a pas le sou ! comme nous disions : Ça n’est pas né ! Vous avez vos quartiers de richesse, comme nous avions nos quartiers de noblesse, le millionnaire de la veille traitant sous la jambe celui du jour. Vous avez le monopole du pouvoir comme nous, l’hérédité comme nous. » Ce marquis de M. Emile Augier en rappelle un autre, celui qui confond non pas avec plus de finesse, mais avec une bien autre verve le misérable Turcaret, son créancier, son usurier ordinaire, son ancien laquais. M. d’Auberive est plus poli ; mais ses reproches sont-ils aussi naturels et ses paroles vont-elles bien à leur adresse ? A qui en a-t-il, ce noble personnage ? Est-ce bien à un homme d’affaires sous le règne du second Napoléon ? Mais quoi ! le banquier pourrait lui répondre : « Nous sommes à deux de jeu, et je réclame ma place parmi les vaincus. Que j’aie des relations avec les vainqueurs, qu’ils fassent avec moi des marchés qui me profitent, cela est possible. Je suis avec eux dans la situation d’un négociant avec l’ennemi quand la ville est prise. J’y gagne de l’argent, et quelquefois j’en perds, et c’est un jeu où je n’ai pas toujours les atouts. J’y suis souvent compromis, et quelquefois, car les vainqueurs ne se piquent pas toujours de délicatesse, je passe sous les fourches caudines. Est-ce là ce que vous appelez être vainqueur ? » Le marquis d’Auberive se trompe de date : il aurait dû tenir ce langage sous le régime précédent, quand la Bourse passait pour avoir supplanté Versailles et Trianon. Ses argumens si spirituellement tournés, n’en auraient peut-être pas été meilleurs ; Charrier, toutefois eût été mis en demeure d’y répondre. Par des méprises de ce genre, M. Emile Augier s’est exposé plus d’une fois au blâme de se tromper sur le courant de l’opinion publique et de prendre des faibles pour point de mire. Au lieu de venger l’ancien régime sur les banquiers, qui n’en peuvent, mais son marquis d’Auberive devait se taire ou accuser leur soumission banale à la force et leurs trafics de connivence avec les puissans. Financiers sans pudeur et magistrats sans conscience, voilà quels étaient les véritables effrontés ; mais il n’y aurait eu ni auteur pour écrire une telle comédie, ni théâtre pour la recevoir, ni acteurs pour la jouer. Nous l’avons aujourd’hui, au moins en partie cette comédie lamentable, avec des noms qui ne sont pas d’emprunt, écrite sur des pièces qui sont officielles. Il était à peine possible d’en deviner l’existence, et si le théâtre avait pu représenter quelque chose de pareil, le grand public, composé d’hommes honnêtes et désintéressés, aurait refusé d’y croire.

Ces considérations suffisent, pour faire entrevoir ce qu’aurait pu être et ce que n’a pas été le théâtre dans les dix-huit dernières années. Il ne faut pas à la comédie une trop ample matière, et la richesse trop grande de sa moisson l’appauvrit au lieu de la fortifier. C’est précisément quand elle aurait trop à dire qu’elle ne dit rien ou peu de chose. Nous avons en beaucoup de discours à effet sur l’amour de l’argent, sur la fièvre de la Bourse ? jamais la scène n’avait si bien argumenté en prose comme en vers, et souvent en beaux vers. En assistant à ces effusions d’éloquence dont le public ne se montrait pas fatigué, on aurait juré que les anciennes mœurs et l’antique probité refleurissaient de toutes parts. J’imagine cependant, que Lesage se serait défié de toute cette belle morale, et qu’il aurait tenu pour très équivoques des mœurs dont on osait à peine tracer de sérieuses esquisses, ou que l’on allait chercher dans un monde inférieur qui n’a rien à perdre aux vengeances du théâtre.

Le rang oblige aussi bien que la noblesse. Il semble que l’argent, renonçant au bénéfice de l’égalité première, se soit moins respecté et que, perdant sa part, quelque modérée qu’elle fût, de pouvoir politique, il ait conservé un moindre sentiment de sa responsabilité. En gardant pour lui toute la puissance, le gouvernement avait montré aux sujets le commerce et la banque et leur avait dit : « Voilà votre domaine ! » Les sujets ne l’écoutèrent que trop. Cependant il ne se tint pas pour content, et, de ce domaine qu’il laissait seul à l’activité nationale, il voulut avoir sa portion. Il n’y avait pas de délégué de la dictature qui ne pût, s’il était sans conscience, vendre chèrement sa signature : La Bourse appartint aux gouvernés moyennant prime. Tel fut, il faut bien le reconnaître aujourd’hui, l’état réel des choses. Était-il possible d’en trouver au théâtre une peinture, même adoucie ?

MM. Emile Augier et Damas fils ont essayé de nous la donner, l’un dans les Effrontés, qui nous ont fourni tout à l’heure l’occasion de nous expliquer sur l’aristocratie financière, l’autre dans la Question d’argent. M. Emile Augier a représenté trois degrés d’effronterie Vernouillet, Giboyer et Charrier. Écartons Giboyer, le journaliste bohème, l’insulteur salarié, qui n’appartient pas à notre sujet, et qui d’ailleurs, par son ignorance ingénue de toute morale, par quelques sentimens généreux, inspire çà et là un intérêt mêlé de pitié. Dans Charrier et Vernouillet nous retrouvons Morand et Basset, Durville et Duhautcours, les deux degrés ordinaires de corruption, les deux complices habituels, dont l’un, agent honteux, entraîne l’autre. Il y a pourtant une différence entre la conception de M. Augier et celle de ses devanciers. Charrier n’en est pas à son coup d’essai ; son dossier porte déjà un ancien démêlé avec la justice. Un vieux journal qui joue un rôle important dans la pièce contient la preuve de cette plaie à son honneur, une plaie qui ne guérit jamais, et qui se rouvre à la moindre crise. Triste souvenir de famille ! car le banquier Charrier est père, et il est condamné finalement à rougir devant son fils. « Les financiers n’ont pas de famille, » dit Labruyère, qui ne leur avait découvert un cœur et des entrailles que pour leur coffre-fort. Ces hommes n’allaient pas s’embarrasser de ces liens du sang, ou ils s’en affranchissaient comme Turcaret. Le financier de M. Augier, sans être plus délicat, est plus tendre, et les écus ont laissé pour ses enfans une place dans son amour. Contrairement à tous les hommes d’argent que nous avions vus jusque-là sur la scène, il a des momens pour les jouissances du foyer et un goût pour la vie patriarcale. Le Morand de Collin d’Harleville enverrait bien au diable son mauvais sujet de fils, si celui-ci n’avait le secret de ses fredaines d’arrière-saison. Mercadet est impatient de marier sa fille, mais à un gendre bailleur de fonds. Charrier vaut mieux, il veut assurer le bonheur de la sienne, et, quoique son fils se plaise à contrarier ses idées, il l’aime de tout son cœur. C’est le financier doué de toutes les vertus bourgeoises sauf la probité traditionnelle. Sans doute on a rencontré de tout temps de ces coupables à qui la nature avait donné la fibre de l’amour paternel ; mais le théâtre avait reculé devant cette combinaison, comme s’il eût craint de profaner la sainteté du nom de père. Il fallait la dextérité de M. Augier pour que ce mélange d’abaissement et de vertu ne fût pas odieux. Il a voulu donner cette leçon à la bourgeoisie, qu’il n’a pas ménagée, notons-le en passant, depuis les défaites qu’elle a subies. Sa tentative a réussi : son financier nous attriste comme une ironie douloureuse ; c’est cependant un personnage à la fois vrai et nouveau.

Quelles que soient les critiques adressées à M. Alexandre Dumas fils pour le choix de quelques-uns de ses sujets ou pour ses prétentions philosophiques, il a une franchise de talent, une originalité d’inspiration qui rachète bien des défauts. Point d’artifices pour rajeunir une figure, point d’efforts pour remettre à neuf une situation. Il puise directement dans la nature les observations qu’il transporte sur la scène, et ses inventions, rudes quelquefois, brutales souvent à plaisir, portent le cachet de la réalité dont elles sont tirées. S’il blesse les esprits délicats par ses vulgarités, il les ramène et les gagne par le jet spontané de ses pensées et par les trouvailles heureuses de son expression. Nous ne lui connaissons guère d’autre classique et d’autre modèle que Balzac, mais c’est lorsqu’il abandonne les traces de ce maître pénible et martelé, c’est lorsqu’il suit sa propre veine qu’il est bon et quelquefois excellent. Demandez-lui par exemple comment tombent dans une tête les idées qui enrichissent un homme : où Balzac aurait profité de l’occasion pour loger une grosse période emphatique, il glisse une tirade triviale, incorrecte, comme celui qui la prononce, mais leste et parfaitement en situation.

« Avez-vous une idée, une simple idée comme celle qu’a eue un monsieur, un jour, d’acheter en gros, pendant trois ans, aux boulangers de Paris toute la braise qu’ils vendaient en détail aux petits ménages parisiens ? Il a revendu trois sous ce qu’il payait deux, et il a gagné 500,000 francs. Ayez une idée de ce genre-là, votre fortune est faite ; mais vous ne l’aurez pas : ces idées-là ne viennent qu’aux gens qui se promènent l’hiver à six heures du soir, sous une petite pluie fine, avec un habit râpé, dans des souliers douteux, en regardant s’ils ne trouveront pas dix sous entre deux pavés, et en se demandant comment ils souperont. J’ai passé par là, moi, je sais ce que c’est ; mais vous, vous n’êtes pas un pauvre, vous êtes un homme qui n’est pas assez riche… »

Ainsi s’exprime le financier de M. Dumas fils, le Jean Giraud de la Question d’argent. Turcaret a commencé par être laquais dans la maison de M. le marquis, son valet Frontin lui succédera. La domesticité engraissée par le vol était la souche des financiers du théâtre et souvent du monde réel. Il n’en est plus tout à fait de même. Jean Giraud, fils de jardinier, n’a pas plus d’éducation qu’eux ni de sens moral, mais il n’est pas un parasite, et même au début il ne porte d’autre livrée que celle de la misère. Il s’est élevé tout d’un coup de la rue, et à force de battre le pavé en a fait jaillir une fortune. Maintenant qu’il a des chevaux, des voitures, un hôtel et une galerie de tableaux, il cherche un autre meuble d’une acquisition plus difficile pour lui, une femme bien élevée. Que lui importe une dot de 200,000 ou 300,000 francs ! « Qu’est-ce que c’est que ça ? « Il ne veut pas d’une demoiselle qui « ferait sauter ses petits millions dans une fricassée de dentelles, de cachemires et de diamans, » car ses discours sont toujours ceux d’un jardinier, et si c’est là du naturel, il faut avouer que M. Dumas fils en a beaucoup plus que Lesage. Jean Giraud ne manque pas de perspicacité : il sent que l’argent tout seul ne fait pas un homme considéré ; il voit même que la finance a ses charges, et que tout n’est pas bénéfice dans la position d’un pauvre sire parvenu d’un coup à la richesse. On le visite, mais en se cachant et pour avoir part à ses profits. Quant à ceux qui ne se cachent pas de son amitié, ce sont des gens qui boivent le vin, fument les cigares de M. Jean Giraud, et détournent Mlle Flora de ses devoirs. Il n’est d’ailleurs ni fier ni glorieux, et il offre au fils de son ancien patron de lui faire sa fortune. Turcaret n’était pas si bon enfant, et il oubliait qu’il avait porté le marquis sur ses bras. Jean Giraud a plus de mémoire, et il ne peut souffrir qu’un gentilhomme que son père servait aille à pied, tandis que lui-même se promène en phaéton avec des chevaux qu’il ne sait pas conduire et deux domestiques qui se demandent pourquoi ils sont derrière et Jean Giraud devant M. Dumas fils, afin de mieux rabaisser son financier, lui a donné la conscience très claire de sa bassesse. Turcaret était odieux et ne faisait rire que par ses disgrâces, Jean Giraud est amusant de verve et de bonne humeur : il n’inspire pas de haine, à peine un peu de dégoût ; il n’est ridicule que parce qu’il est mal élevé. Au dénoûment, il est vrai, on vous lui fait une bonne semonce, c’est pour la morale de la fable ; mais l’auteur a si peu voulu l’accabler que le personnage finit par une véritable bouffonnerie. Comme on lui fait remarquer qu’il prend le chapeau d’un autre, « je l’aurais rapporté, mademoiselle ! » répond-il.

Voilà donc les deux principaux financiers mis au théâtre sous le dernier régime : Charrier, le bourgeois, l’honnête père de famille qui s’est exposé., sinon à une condamnation, du moins à des considérans qui le déshonorent, — Jean Giraud, l’esprit grossier qui a su s’élever de la fange du cuisseau jusqu’au faîte de l’opulence, et qui, dans cette brusque ascension, n’a pas eu le loisir de se pourvoir de beaucoup de délicatesse et de moralité. Des Charrier, nous en avons eu sans doute ; s’ils ont assisté aux épreuves du héros de M. Augier, ils ont dû affecter de ne pas se reconnaître : l’auteur nous semble avoir fourni à leur conscience ce faux-fuyant, en déplaçant l’époque et la mise en scène par certains mots politiques tels que ceux du marquis d’Auberive. Les Jean Giraud n’ont pas manqué ; peut-être se sont-ils reconnus, mais ces subalternes sont-ils les plus dangereux, et les éclats de rire du théâtre suffisent-ils pour les punir ?

Les sujets me manquaient pas à la comédie contemporaine : elle n’a pas osé, qui sait si elle a pu les traiter complètement ? Après plus de cent cinquante ans, Turcaret demeure le modèle des hommes d’argent, et Lesage a peut-être laissé derrière lui ses successeurs non-seulement par le talent, mais par le courage. En commençant cette étude sur les financiers, nous disions que l’histoire des temps et les annales du théâtre se prêtaient mutuellement des lumières. L’histoire des temps montre avec une inflexible sincérité les originaux que la scène devait reproduire. Ne comptons pas trop cependant ni sur l’exactitude de l’ouvrage, ni sur la fermeté de l’ouvrier ; les annales du théâtre prouvent que, s’il y a souvent des traits de ressemblance entre ces originaux et leurs copies, il ne faut pas toujours compter sur la fidélité de la peinture.


Louis ETIENNE.

  1. Voyez la Revue du 1er octobre.