Les Imposteurs démasqués et les Usurpateurs punis/Hypace

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HYPACE, l’an 532.


Lempereur Anastase étant monté sur le trône, éleva Hypace, son neveu, aux emplois. Il eut beaucoup de part au commandement sous le regne de son oncle, & ne vit qu’avec peine l’affoiblissement de son autorité, lorsque la mort le lui enleva. Pendant le regne de Justin, il sut borner son ambition, mais dès que ce prince fut mort, il vit qu’il pouvoit régner, & il n’oublia rien pour obtenir le sceptre.

La faction des Verds & des Bleus désola le commencement du regne de Justinien ; il y eut plusieurs séditions : dans une de ces révoltes, le peuple s’étant soulevé avec fureur, proclama Hypace empereur ; on l’éleva sur un bouclier, faute de diadème : on lui posa sur la tête un collier d’or. Dans ces momens de crise & de trouble, ce n’est pas le cas de dire que la voix du peuple est la voix de dieu : lorsqu’on est aveuglé par la fureur, peut-on mettre quelque discernement dans le choix ?

Bélisaire, général de Justinien, tâcha de ramener les esprits ; le peuple fut bientôt divisé en deux partis, les émissaires du chambellan Narsès avoient gagné à force d’argent une partie de la faction bleue qui avoit proclamé Hypace. Les uns crioient de toute leur force, vivent l’empereur Justinien & l’impératrice Théodora, tandis que les autres crioient vivent Hypace & Pompée ; en même tems ils se battoient avec fureur, mais ils furent bientôt confondus ensemble par un sanglant carnage. Bélisaire & les autres, dans le Cirque où ils étoient rassemblés, fondent sur eux, on les perce de traits ; on les charge à grands coups d’épée ; tout fuit, on se presse, on se renverse, on s’écrase ; les portes trop étroites pour donner passage à tant de fuyards à la fois, laissent aux soldats le tems de les massacrer. Trente mille hommes périrent dans cette fatale journée ; & ce fut principalement au zele & au courage de Bélisaire disgracié, que Justinien fut redevable de sa conservation.

À la vue de cet horrible spectacle, Hypace glacé de frayeur, n’avoit pas assez de force pour prendre la fuite ; Boraïde & Juste, neveux de Justinien, se saisirent de lui, & le traînerent à Justinien, avec son frere Pompée, qu’on trouva armé d’une cuirasse sous sa robe ; ces malheureux se jettent aux pieds de l’empereur, & voulant donner le change pour obtenir plus facilement leur grace : « Seigneur, lui dirent-ils, nous sommes enfin venus à bout, mais non sans peine, de rassembler vos ennemis dans le cirque, pour les livrer à votre vengeance : fort bien, répondit l’empereur ; mais si vous saviez vous en faire obéir, que ne m’avez-vous rendu ce service, avant qu’ils eussent brûlé & saccagé la ville » ? Il commanda à ses gardes de les conduire dans la prison ou palais : on les enferma tous les deux dans le même cachot.

Pompée qui n’avoit jamais éprouve aucun revers, & qui n’avoit point acquis cette forces d’esprit qui soutient l’ame, & qui l’empêche de s’abattre, s’abandonnoit aux gémissemens & aux larmes. Hypace, plus accoutumé aux disgraces, & affermi par les malheurs, lui reprochoit sa foiblesse, & vouloit lui persuader que les pleurs étoient indignes de ceux qui mouroient innocents ; qu’on les avoit malgré eux enveloppés dans la révolte, & qu’ils n’étoient coupables que parce qu’ils avoient mérité l’affection du peuple. Le lendemain on les étrangla dans la prison, & leurs corps furent jettés dans la mer ; celui d’Hypace ayant été rejetté sur le rivage, l’empereur le fit enterrer au lieu destiné à la sépulture des criminels.

Dans la suite, Justinien fit grace aux enfans d’Hypace, de Pompée, & de tous les autres : il leur rendit même les biens de leurs peres excepté ceux dont il avoit fait donation ; il auroit été injuste de les rendre les victimes des entreprises téméraires de leurs peres. Ces malheureux exemples ne sont néanmoins que trop fréquens.