Les Imposteurs démasqués et les Usurpateurs punis/Mahomet

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MAHOMET, en 568, 569 ou 570.


Il naquit à la Mecque ; sa naissance fut accompagnée, suivant les dévots musulmans, de différens prodiges qui se firent sentir jusques dans le palais de Cosroës. Eminah, sa mere, étoit veuve depuis dix mois, lorsqu’elle mit au monde cet enfant, destiné à être l’auteur d’une religion qui s’est étendue depuis le détroit de Gibraltar jusqu’aux Indes, & le fondateur d’un empire dont les débris ont formé trois monarchies puissantes. À l’âge de 20 ans, le jeune Mahomet s’engagea dans les caravanes qui négocioient de la Mecque à Damas. Ces voyages n’augmenterent pas sa fortune, mais ils augmenterent ses lumieres. De retour à la Mecque, une femme riche, veuve d’un marchand, le prit pour conduire son négoce, & l’épousa trois ans après. Mahomet étoit alors à la fleur de son âge ; & quoique sa taille n’eût rien d’extraordinaire, sa physionomie spirituelle, le feu de ses yeux, un air d’autorité & d’insinuation, le désintéressement & la modestie qui accompagnoient ses démarches, lui gagnerent le cœur de son épouse. Chadye (c’est le nom de cette riche veuve) lui fit une donation de tous ses biens. Mahomet parvenu à un état dont il n’auroit jamais osé se flatter, résolut de devenir le chef de sa nation : il jugea qu’il n’y avoit point de plus sûre voie pour parvenir à son but, que celle de la religion. Comme il avoit remarqué dans son voyage en Égypte, en Palestine, en Syrie & ailleurs une infinité de sectes qui se déchiroient mutuellement, il crut pouvoir les réunir, en inventant une nouvelle religion qui eût quelque rapport avec celles qu’il prétendoit détruire. À l’âge de 40 ans, cet imposteur commença à se donner pour prophete ; il feignit des révélations, il parla en inspiré, il persuada d’abord sa femme, & huit autres personnes. Ses prosélytes en firent d’autres, & en moins de trois ans, il en eut près de 50 disposés à mourir pour sa doctrine : il lui falloit, pour s’accréditer, des miracles vrais ou faux. Le nouveau prophete trouva dans les attaques fréquentes d’épilepsie, à laquelle il étoit sujet, de quoi confirmer l’opinion de son commerce avec le ciel. C’est au nom de Dieu qu’on a toujours trompé les hommes ; ce nom respectable est sans cesse dans la bouche sacrilege des fourbes. Il fit passer le tems de ses accès pour celui que l’Être-suprême destinoit à l’instruire, & ses convulsions, pour les vives impressions de la gloire du ministre que la Divinité lui envoyoit. À l’entendre, l’ange Gabriël l’avoit conduit sur un âne de la Mecque à Jérusalem, où, après lui avoir montré tous les saints & tous les patriarches depuis Adam, il l’avoit emmené la même nuit à la Mecque. Malgré la croyance qu’on ajoutoit à ses rêves, il se forma une conjuration contre le visionnaire. Le nouvel apôtre fut contraint de quitter le lieu de sa naissance pour se sauver à Médine. Cette retraite fut l’époque de sa gloire, & de la fondation de son empire & de sa religion : c’est ce que l’on nomma hégire, c’est-à-dire, fuite ou persécution, dont le premier jour répond au 16 Juillet de l’an 622 de J. C. la premiere année de l’hégire. Le prophete fugitif devint conquérant ; il défendit à ses disciples de disputer sur sa doctrine avec les étrangers, & de ne répondre aux argumens des contradicteurs que par le glaive : moyen très-efficace de mettre fin à toutes les disputes. Il disoit que chaque prophete avoit son caractere ; que celui de J. C. avoit été la douceur, & que le sien étoit la force. Pour agir suivant ses principes, il leva des troupes qui appuyerent sa mission. Les Juifs Arabes, plus opiniâtres que les autres, furent un des principaux objets de sa fureur. Son courage & sa bonne fortune le rendirent maître de leur place forte. Après les avoir subjugués, il en fit mourir plusieurs, vendit les autres comme des esclaves, & distribua leurs biens à ses soldats. La victoire qu’il remporta en 627 fut suivie d’un traité qui lui procura un libre accès à la Mecque : ce fut la ville qu’il choisit pour le lieu où ses sectateurs feroient dans la suite leur pélerinage. Ce pélerinage faisoit déja une partie de l’ancien culte des Arabes païens, qui y alloient une fois tous les ans adorer leurs divinités dans un temple aussi renommé parmi eux que celui de Delphes l’étoit chez les Grecs,

Mahomet, fier de ses premiers succès, se fit déclarer roi, sans renoncer au caractere de chef de religion, qui lui avoit frayé le chemin au trône, & qui l’y soutint. Cet apôtre sanguinaire oubliant la treve qu’il avoit faite deux ans auparavant avec les habitans de la Mecque, met le siege devant cette ville, l’emporte de force ; & le fer & la flamme à la main, il donne aux vaincus le choix de la religion ou de la mort. Tous ceux qui n’ont pas le don de la grace, & qui résistent au prophete guerrier & barbare, sont passés, au fil de l’épée. Le vainqueur, maître de l’Arabie, & redoutable à tous ses voisins, se crut assez fort pour étendre ses conquêtes & sa religion chez les Grecs & chez les perses. Il commença par attaquer la Syrie, soumise alors à l’empereur Héraclius ; il lui prit quelques villes, & rendit tributaires les princes de Dauma & Deyla. Ce fut par ces exploits qu’il termina toutes les guerres où il avoit commandé en personne, & où il avoit montré l’intrépidité d’Alexandre. Ses généraux, aussi heureux que lui, étendirent encore ses conquêtes, & lui soumirent tout le pays à 400 lieues de Médine, tant au levant qu’au midi. C’est ainsi que Mahomet, de simple marchand de chameaux, devint un des plus puissans monarques de l’Asie. Il ne jouit pas long-tems du fruit de ses crimes ; il s’étoit toujours ressenti d’un poison qu’il avoit pris autrefois. Une Juive voulant éprouver s’il étoit prophete, empoisonna une épaule de mouton qu’on devoit lui servir. Le fondateur du mahométisme ne s’apperçut que la viande étoit empoisonnée qu’après en avoir mangé un morceau. Les impressions corrosives du poison le minerent peu-à-peu ; il fut attaqué d’une fievre violente qui l’emporta la soixante-unieme année de son âge, la vingt-troisieme depuis qu’il avoit usurpé la qualité de prophete, l’onzieme de l’hégire, & la 631 de Jesus-Christ. Sa mort fut l’occasion d’une grave dispute entre ses disciples. Omar, qui de son persécuteur étoit devenu son disciple, déclara, le sabre à la main, que le prophete de Dieu ne pouvoit pas mourir ; il soutint qu’il étoit disparu comme Moïse & Elie, & jura qu’il mettroit en pieces quiconque oseroit le contredire ; il fallut qu’Abubeker lui prouvât par le fait, que leur maître étoit mort, & par plusieurs passages de l’alcoran, qu’il devoit mourir. L’imposteur fut enterré dans la chambre d’une de ses femmes, & sous le lit où il étoit mort. C’est une erreur populaire de croire qu’il est suspendu dans un coffre de fer qu’une ou plusieurs pierres d’aiman tiennent élevé au haut de la grande mosquée de Médine ; son tombeau se voit encore aujourd’hui à l’un des angles de ce temple : c’est un cône de pierre placé dans une chapelle dont l’entrée est défendue aux prophanes par de gros barreaux de fer. Le livre qui contient les dogmes & les préceptes du mahométisme, s’appelle l’Alcoran : c’est une rapsodie de 6000 vers, sans ordre, sans liaison, sans art. Les contradictions, les absurdités, les anachronismes, y sont répandus à pleines mains ; le style, quoique empoulé, & entiérement dans le goût oriental, offre de tems en tems quelques morceaux touchans & sublimes. Toute la théologie du législateur des Arabes se réduit à trois points principaux : le premier est d’admettre l’existence, l’unité de Dieu à l’exclusion de toute autre puissance qui puisse partager ou modifier son pouvoir ; le second est de croire que Dieu tout-puissant, créateur universel, connoît toutes choses, punit le vice, & récompense la vertu non-seulement dans cette vie, mais encore après la mort ; le troisieme est de croire que Dieu regardant d’un œil de miséricorde les hommes plongés dans les ténebres de l’idolâtrie, a suscité son prophete Mahomet pour apprendre les moyens de parvenir à la récompense des bons, & éviter les supplices des méchans. Cet illustre imposteur adopta, comme l’on voit, une grande partie des vérités fondamentales du christianisme, l’unité de Dieu, la nécessité de l’aimer, la résurrection des morts, le jugement dernier, les récompenses & les châtimens ; il prétendoit que la religion qu’il enseignoit n’étoit pas nouvelle, mais qu’elle étoit celle d’Abraham & d’Ismaël, plus ancienne, disoit-il, que celle des Juifs & des Chrétiens. Outre les prophetes de l’ancien testament, & quelques Arabes, ils reconnoissent Jesus, fils de Marie, né d’elle, quoique vierge, messie, verbe & esprit de Dieu, mais non pas son fils : c’étoit, selon ce sublime charlatan, méconnoître la simplicité de l’Être divin, que de donner au pere un fils, & un esprit autre que lui-même. Quoiqu’il eût beaucoup puisé dans la religion des Juifs & des Chrétiens, il haïssoit cependant les uns & les autres : les Juifs, parce qu’ils se croyoient le premier peuple de la terre, parce qu’ils méprisoient les autres nations, & qu’ils exerçoient contre elles des usures énormes ; les Chrétiens, parce qu’ils étoient sans cesse divisés entre eux, quoique leur divin législateur eût recommandé la paix & l’union. Il imputoit aux uns & aux autres la prétendue corruption de l’ancien & du nouveau Testament, la circoncision, les oblations, la priere cinq fois par jour ; l’abstinence du vin, des liqueurs, du sang, de la chair de porc, le jeûne du mois Ramadan, & la sanctification du vendredi, furent les pratiques extérieures de sa religion. Il proposa pour récompense à ceux qui la suivoient un lieu de délices, où l’ame seroit enivrée de tous les plaisirs spirituels, & où le corps ressuscité avec ses sens, goûteroit par ses sens même toutes les voluptés qui lui sont propres. Un homme qui proposoit pour paradis un serrail, ne pouvoit que faire des prosélytes, sur-tout dans un pays où le climat inspire la volupté. C’est en les trompant agréablement qu’il parvint à être cru. Il n’y a point de religion ni de gouvernement qui soit moins favorable au sexe que le mahométisme : l’auteur de cette religion accorde aux hommes d’avoir plusieurs femmes, de les battre quand elles ne voudront pas obéir, & de les répudier si elles viennent à déplaire ; mais il ne permet pas aux femmes de quitter des maris fâcheux, à moins qu’ils n’y consentent. Il ordonne qu’une femme répudiée ne pourra se remarier que deux fois ; & que si elle est répudiée de son troisieme mari, & que le premier ne la veuille point reprendre, elle renonce au mariage pour toute sa vie. Il veut que les femmes soient toujours voilées, & qu’on ne leur voie pas même le col ni les pieds ; en un mot, toutes les loix à l’égard de cette moitiés du genre humain, qui, dans nos pays, gouverne & maîtrise l’autre, sont dures, injustes & très-incommodes.

La-meilleure édition de l’Alcoran est celle de Maraci, en Arabe & en Latin, in-folio, 2 volumes, Padoue, 1698, avec des notes. Duryer en a donné une traduction Françoise ; mais cette traduction est très-infidelle : & d’ailleurs comme il a inséré dans le texte les rêveries & les fables des dévots & des commentateurs mystiques du mahométisme, on ne peut distinguer par cette traduction ce qui est de Mahomet d’avec les traditions & les imaginations de ses sectateurs zélés. On attribue encore à Mahomet un traité fait à Médine avec les chrétiens, intitulé : Testamentum & pactiones initæ inter Mehammedum & Christianæ fidei cultores, imprimé à Paris, en Latin & en Arabe, en 1630 ; mais cet ouvrage paroît supposé. Gottinger, dans son Histoire orientale, page 248, a renfermé dans quarante aphorismes ou sentences toute la morale de l’Alcoran. Albert Widmanstadius a expliqué la théologie de cet imposteur dans un dialogue latin, curieux & peu commun, imprimé l’an 1540, in-4o. Voyez la Vie de Mahomet, par Prideaux & par Gaignieres ; & pour sa doctrine, voyez Reland de Religione Mahammadica.

De tous les imposteurs dont nous avons parlé, Mahomet & Cromwel ont été les plus célebres : tous les autres ont péri du dernier supplice ; eux seuls ont su se faire respecter & craindre jusqu’à leur mort : aucun n’a excité d’aussi grandes révolutions que Mahomet ; il régna sur les peuples & sur les esprits, sans laisser une impression passagere, puisqu’on le regarde encore aujourd’hui comme un grand prophete, & qu’on adopte aveuglément toutes les fictions merveilleuses à l’aide desquelles il se fit des sujets. Tous ceux qui se sont annoncés au nom de Dieu ont toujours fait des prosélytes, sur-tout lorsqu’ils ont eu l’adresse d’y réunir la force. Un homme qui est au-dessus du vulgaire est toujours cru, lorsqu’il parle avec autorité : la hardiesse & le courage d’esprit en ont souvent plus imposé que les armes. Quand on a le don de persuader, on a celui de se faire obéir.