Les Jeux rustiques et divins/Héroïde

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Mercure de France (p. 101-102).


HÉROÏDE


Quand j’eus cueilli la fleur qui pousse au rameau d’or
Et qu’il faut respirer pour aller vers la Mort
À Perséphone en pleurs réclamer Eurydice,
Sans que la main tressaille ou que le front pâlisse
De revoir femme encor celle qui fut une ombre ;
Ayant passé le fleuve et nourri les colombes
Qui volent vers l’Amour et mènent vers l’Espoir,
Je m’arrêtai, parmi les arbres du bois noir,
Attendant que la nuit fît face à mon Destin
Où rien n’avait comblé le désir de mes mains,
Ni la fleur d’or, ni l’eau du fleuve et les colombes
Ni l’amour, ni l’espoir enfuis avec cette Ombre
Qui détourna la tête et ne répondit plus.
C’était le soir dans la forêt, quand j’aperçus,
Parmi le tourbillon, là-bas, d’un feu qui fume,
La flamme d’une forge ardente où, sur l’enclume,
On forgeait au marteau, sonores, des épées !
Et j’en pris une, et la branche que j’ai coupée

Ne refleurira plus sa fleur de songe et d’or,
Et j’ai tué les colombes et j’ai encor
Frappé du glaive clair l’Ombre mystérieuse,
Et mon âme, depuis, est cette furieuse
Qui, dans le bois tragique et près du fleuve sombre,
Erre, odieuse aux fleurs et funeste aux colombes.