Les Jeux rustiques et divins/Les Corbeilles

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Les Jeux rustiques et divins. La Corbeille des Heures
Mercure de France (p. 209-213).


LA CORBEILLE DES HEURES


À ANDRÉ GIDE


LES CORBEILLES


Tresse l’osier au saule et le brin à la branche ;
Écoute l’eau qui fuit où le Temps s’est miré
Et fixe l’anse verte à la corbeille blanche.

C’est le soir. L’ombre est douce au sommeil étiré
De celui qui s’endort paisible dans la joie
D’avoir vécu son jour et d’avoir espéré.

Avec l’osier flexible et le saule qui ploie
Il a fait en chantant de l’aurore à la nuit
Une corbeille ronde où les Heures qu’envoie

L’insatiable Hier au-devant d’Aujourd’hui,
Une à une, pieds nus dans l’herbe qui les frôle,
Apporteront les fleurs qu’elles cueillent pour lui.

L’osier rit dans le vent où s’argente le saule
Et les Heures sont là qui, la main dans la main,
Le regardent dormir, épaule contre épaule.


Puis viendra le réveil et le nouveau matin ;
L’été mystérieux au printemps qui l’appelle
Mêlera sa voix grave à son rire incertain ;

Enfant, tu tresseras la guirlande nouvelle !
Et comme l’orgueil clair dirigera tes doigts
Tu poliras l’argent que le marteau cisèle ;

Las de l’osier et las du saule et las de toi,
Tu voudras au métal qui pèse et qui résiste
Entrelacer les fleurs de les jours d’autrefois.

Les Heures reviendront lasses et déjà tristes
Et joignant à leurs mains où leur geste les tord
L’opale soucieuse et la pâle améthyste.

Elles, qui de leurs fleurs paraient l’enfant qui dort,
Invisibles jadis et faites de tes songes
T’apportent les fruits faux à qui ta bouche mord ;

Tu verras s’entasser dans l’argent qu’elle ronge,
Avec la poire acide et l’acide citron,
La grappe sans douceur dont la pourpre est mensonge,

Puis les saules d’argent, en pleurs, s’effeuilleront,
L’osier au bord de l’eau gémira dans la vase,
Et les oiseaux d’exil au ciel gris passeront.


Et toi, pour évoquer ton ancienne extase
Et les soleils décrus par delà l’hiver mort,
Tu voudras, près de l’âtre où le sarment s’embrase,

Forger avec tes mains une corbeille d’or ;
Tu la feras plus vaste et la feras plus belle
Que celle d’argent même et d’osier, et, encor

Les Heures reviendront vers toi qui les appelles,
Une à une, à pas lents, en silence et toujours,
Cortège que ta vie eut sans cesse auprès d’elle,

Les Heures de tristesse et les Heures d’amour
Et celles qui jadis jusqu’à toi sont venues
Y reviendront verser la cendre de tes jours…

Tu fermeras les yeux, car elles seront nues.