Les Journées de Juin

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Muse populaire. Chants et Poésies
(p. 125-127).


LES JOURNÉES DE JUIN


CHANT FUNÈBRE


1848


 
La France est pâle comme un lis,
Le front ceint de grises verveines ;
Dans le massacre de ses fils,
Le sang a coulé de ses veines ;
Ses genoux se sont affaissés
Dans une longue défaillance.
O Niobé des temps passés,
Viens voir la douleur de la France !

Offrons à Dieu le sang des morts
De cette terrible hécatombe,
Et que la haine et les discords
Soient scellés dans leur tombe !

Quatre jours pleins et quatre nuits,
L’ange des rouges funérailles,
Ouvrant ses ailes sur Paris
A soufflé le vent des batailles.
Les fusils, le canon brutal
Vomissant à flots sur la ville
Une fournaise de métal
Qu’attisait la guerre civile.

Offrons à Dieu le sang des morts
De cette terrible hécatombe,
Et que la haine et les discords
Soient scellés dans leur tombe !

Combien de morts et de mourants,
Insurgés, soldats, capitaines !
Que d’hommes forts dans tous les rangs !
Peut-il rester encor des haines ?
Le pasteur tendant l’olivier,
D’une balle est atteint lui-même :

« Oh ! que mon sang soit le dernier ! »
Dit-il à son heure suprême.

Offrons à Dieu le sang des morts
De cette terrible hécatombe,
Et que la haine et les discords
Soient scellés dans leur tombe !

La faim aux quartiers populeux
Est une horrible conseillère ;
Le lion, que brûlent ses feux,
Rugit et quitte sa tanière.
Un peu d’or dans l’ombre semé,
Un flambeau de pourpre qui brille,
Font sortir tout un peuple armé
Quand le pain manque à la famille.

Offrons à Dieu le sang des morts
De cette terrible hécatombe,
Et que la haine et les discords
Soient scellés dans leur tombe !

Ce n’est pas sans avoir saigné
Que notre capitale est sauve ;
Grâce aux canons, l’ordre a régné,
On a traqué la bête fauve.
La mort a souillé l’eau des puits,
Des ruisseaux et de la rivière.
On n’a fait que peupler depuis
Les cachots et le cimetière.

Offrons à Dieu le sang des morts
De cette terrible hécatombe,
Et que la haine et les discords
Soient scellés dans leur tombe !

Il ne reste, après ce grand deuil,
D’autre profit de la bataille,
Que des frères dans le cercueil
Et des prisonniers sur la paille.

Ô République au front d’airain !
Ta justice doit être lasse ;
Au nom du peuple souverain,
Pour la première fois, fais grâce !

Offrons à Dieu le sang des morts
De cette terrible hécatombe,
Et que la haine et les discords
Soient scellés dans leur tombe !