Les Joyeuses Commères de Windsor/Traduction Montégut, 1867

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Les Joyeuses Commères de Windsor
Traduction par Émile Montégut.
Œuvres complètes de William Shakespeare, Texte établi par Émile Montégut, Hachettetome 3 (p. 478-482).

PERSONNAGES DE LA COMÉDIE.

Sir JOHN FALSTAFF.
FENTON, jeune gentilhomme.
SHALLOW, juge de paix.
SLENDER, cousin de SHALLOW.
FORD,
PAGE,
deux bourgeois de Windsor.
WILLIAM PAGE, enfant, fils de PAGE.
Messire HUGH EVANS, curé gallois.
Le docteur CAIUS, médecin français.
L’HOTELIER de l’auberge de la Jarretière.
BARDOLPH,
PISTOL,
NYM,
compagnons de FALSTAFF.
ROBIN, page de FALSTAFF.
SIMPLE, domestique de SLENDER.
RUGBY, domestique du docteur CAIUS.
Mistress FORD.
Mistress PAGE.
ANNE PAGE, sa fille.
Mistress QUICKLY, servante du docteur CAIUS.
Serviteurs de PAGE, FORD, etc.


Scène. — Windsor et les localités avoisinantes.


LES
JOYEUSES COMMÈRES
DE WINDSOR.



ACTE I.



Scène PREMIÈRE.

Windsor. — Devant la maison de Page.


Entrent le juge SHALLOW, SLENDER et messire HUGH EVANS.

SHALLOW. — N’essayez pas de me persuader, Messire Hugh ; je ferai de cela une affaire de la chambre de l’Étoile : quand il serait vingt fois Sir John Falstaff, il ne se jouera pas de Robert Shallow, écuyer.

SLENDER. — Dans le comté de Gloster, juge de paix et coram.

SHALLOW. — Oui, cousin Slender, et Cust-alorum.

SLENDER. — Oui, et ratolorum aussi ; et un gentilhomme de naissance, Monsieur le curé ; un gentilhomme qui signe armigero sur tout billet, citation, quittance ou obligation ; armigero.

SHALLOW. — Oui, ainsi fais-je, et ainsi a-t-il été fait ces trois cents dernières années.

SLENDER. — Tous ses successeurs qui sont venus avant lui ont fait ainsi, et tous ses ancêtres qui viendront après lui feront ainsi ; ils peuvent montrer sur leur habit la douzaine de poulets blancs.

SHALLOW. — C’est un vieil habit.

EVANS. — La douzaine de pous laids blancs convient à merveille à un vieil habit ; cela le décore à merveille : c’est une pète familière à l’homme et elle signifie amour.

SHALLOW. — Le poulet est de la chair fraîche ; un vieil habit est de la conserve.

SLENDER. — Je puis écarteler, cousin ?

SHALLOW. — Vous le pouvez en vous mariant.

EVANS. — Cela vous rendra marri, ma foi, s’il écartèle.

SHALLOW. — Pas du tout.

EVANS. — Si, par Notre-Dame ; s’il a un quart de votre habit, il ne vous en reste plus que les trois quarts pour vous-même, selon mes humbles conjectures : mais cela ne fait rien. Si Sir John Falstaff vous a fait quelque chose qui ne fût pas à faire, je suis d’église, et je serai heureux d’employer mes bons offices pour amener entre vous réconciliation et compromis.

SHALLOW. — Le conseil en entendra parler : c’est un fait de désordre.

EVANS. — Il n’est pas convenable que le conseil entende parler d’un fait de désordre ; il n’y a pas de crainte de Tieu dans un fait de désordre ; le conseil, voyez-vous, aimera mieux entendre parler de la crainte de Tieu que d’un fait de désordre ; prenez vos mesures là-dessus.

SHALLOW. — Ah ! sur ma vie, si je redevenais jeune, l’épée finirait cette querelle.

EVANS. — Il faut mieux que fos amis soient l’épée et terminent l’affaire, et j’ai aussi dans ma zervelle un autre projet, qui par aventure pourrait être d’une ponne sagesse : il y a Anne Page, la fille de M. Georges Page, qui est une gentille virginité.

SLENDER. — Mistress Anne Page ? elle a les cheveux bruns et elle parle d’une petite voix flûtée comme une femme.

EVANS. — C’est tout juste la fraie personne que vous pouvez désirer ; son grand-père, (que Tieu lui accorde une joyeuse résurrection !) lui a laissé à son lit de mort sept cents livres, en or et argent, dont elle jouira dès qu’elle aura atteint ses dix-sept ans. Ce serait une ponne détermination, si vous laissiez là vos bisbilles et vos chamailleries, pour arranger un mariage entre M. Abraham et Mistress Anne Page.

SHALLOW. — Est-ce que son grand-père lui a laissé sept cents livres ?

EVANS. — Oui, et son père faut encore une meilleure somme.

SHALLOW. — Je connais la jeune dame, elle a d’heureux dons.

EVANS. — Sept cents livres et les espérances, ce sont d’heureux tons.

SHALLOW. — Eh bien, voyons l’honnête M. Page : Falstaff est-il ici ?

EVANS. — Vous dirai-je un mensonge ? je méprise un menteur comme je méprise quelqu’un qui est faux, ou comme je méprise quelqu’un qui n’est pas vrai. Le chevalier, Sir John, est ici, et je vous en conjure, laissez-vous guider par ceux qui vous veulent du pien. Je vais vrapper à la porte pour demander M. Page. (Il frappe.) Holà ho ! Tieu pénisse votre maison ici !

Entre PAGE

PAGE. — Qui est là ?

EVANS. — C’est la pénédiction de Tieu, et votre ami, et le juge Shallow, et aussi le jeune M. Slender, qui pourra vous entretenir d’autre chose, si l’affaire vous sourit.

PAGE. — Je suis heureux de voir Vos Honneurs en bonne santé. Je vous remercie de votre gibier, Monsieur Shallow.

SHALLOW. — Monsieur Page, je suis heureux de vous voir ; je souhaite que cela vous fasse plaisir. J’aurais désiré que votre gibier fût meilleur, il avait été mal tué. Comment va la bonne Mistress Page ? je vous aime toujours de tout mon cœur ; là, de tout mon cœur.

PAGE. — Monsieur, je vous remercie.

SHALLOW. — Monsieur, je vous aime ; que vous le croyiez ou non, je vous aime.

PAGE. — Je suis heureux de vous voir, mon bon Monsieur Slender.

SLENDER. — Comment va votre lévrier fauve, Monsieur ? on me dit qu’il a été dépassé aux courses de Cotsale.

PAGE. — La chose ne pourrait être décidée, Monsieur.

SLENDER. — Vous ne voulez pas l’avouer, vous ne voulez pas l’avouer.

SHALLOW. — Cela, non il ne le fera ; vous avez eu mauvaise chance, mauvaise chance : c’est un bon chien.

PAGE. — Un simple mâtin, Monsieur.

SHALLOW. — Monsieur, c’est un bon chien et un beau chien : peut-on en dire davantage ? il est bon et beau. Sir John Falstaff est-il ici ?

PAGE. — Il est là dedans, Monsieur, et je voudrais pouvoir interposer entre vous mes bons offices.

EVANS. — Voilà qui est parlé comme des chrétiens doivent parler.

SHALLOW. — Il m’a outragé, Monsieur Page.

PAGE. — Monsieur, il le confesse jusqu’à un certain point.

SHALLOW. — Si la faute est confessée, elle n’est pas réparée : n’est-ce pas la vérité, Monsieur Page ? Il m’a outragé, oui vraiment, il m’a outragé, croyez-moi ; Robert Shallow, esquire, dit qu’il a été outragé.

PAGE.. — Voici venir Sir John.

Entrent Sir JOHN FALSTAFF, BARDOLPH,
NYM et PISTOL.

FALSTAFF. — Eh bien ! Monsieur Shallow, vous voulez vous plaindre de moi auprès du roi ?

SHALLOW. — Chevalier, vous avez battu mes gens, tué mon daim et enfoncé la porte de mon parc.

FALSTAFF. — Mais je n’ai pas embrassé la fille de votre garde.