Les Livres d’étrennes, 1880

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Les Livres d’étrennes, 1880
Revue des Deux Mondes3e période, tome 42 (p. 934-944).
LES
LES LIVRES D’ÉTRENNES

Si l’on voulait passer en revue tous les livres que ramène régulièrement la fin de décembre, la place et le temps manqueraient, car ils forment régulièrement, depuis quelques années, une vraie bibliothèque. Il y en a quelques-uns dans le nombre qui disparaîtront avec les circonstances, n’étant vraiment lisibles, et tout au plus, que du 15 décembre au 1er janvier. Il y en a quelques autres qui demeurent et qui sont dignes de demeurer. C’est de ceux-là seulement que nous voudrions dire quelques mots.

Premier Récit des Temps mérovingiens, par Augustin Thierry, avec six dessins de M. J.-P. Laurens. 4 vol. gr. in fo, Hachette.

Tirons d’abord de pair l’un des chefs-d’œuvre assurément de la littérature historique de notre temps, le premier de ces Récits des Temps mérovingiens, où pour la première fois les mœurs de nos farouches ancêtres, jusqu’alors déguisées sous la prose élégante et polie des écrivains du XVIIIe siècle, reparurent enfin dans toute la splendeur de leur barbarie. Les travaux ont pu s’accumuler depuis lors sur cette période obscure, embrouillée, mal connue de notre histoire. Mais si l’on a rectifié quelques dates, quelques faits, et peut-être l’orthographe de quelques noms propres, les récits d’Augustin Thierry n’en demeurent pas moins, par la solidité des dessous, par la justesse en même temps que par la sobriété de la couleur, par l’amour enfin avec lequel on sent que le grand historien a traité son sujet, l’œuvre la plus propre à donner de ces temps lointains l’idée la plus conforme et la sensation la plus vraie, car, en histoire, ce n’est pas tout d’être savant, et même il se pourrait que ce fût peu de chose : il faut encore être artiste.

Il n’était pas facile, d’illustrer un récit déjà si parlant et si vivant lui-même. Le dessinateur provoquait une comparaison redoutable. Il y a des conteurs qui défient la transposition d’art. Peut-on dire que M. J.-P. Laurens ait toujours égalé la tâche qu’il s’était imposée ? Nous craignons qu’il ne soit possible de critiquer plus d’un détail dans les compositions que nous avons sous les yeux. C’est que les procédés modernes favorisent ici, comme un peu partout, une liberté qui va souvent jusqu’à l’incorrection. Cependant, malgré cette réserve, qu’il fallait faire, les six compositions de M. J.-P. Laurens ne laissent pas d’avoir beaucoup de caractère et de donner aux yeux une vive idée de la barbarie des temps mérovingiens. Nous signalerons entre autres le convoi funéraire de Chlother. M. Laurens ici s’est retrouvé tout à fait sur son terrain. Peu d’artistes, en effet, dans le temps oui nous sommes, ont su traduire comme lui l’image de la mort, avec plus de vigueur tragique et de lugubre émotion.

Nous n’avons pas besoin d’ajouter que l’impression typographique est, comme aussi bien dans toutes ces publications de grand luxe, digne de la maison Hachette.


Mémoires de Philippe de Commynes, publiés d’après un manuscrit inédit ayant appartenu à Diane de Poitiers et à la famille de Montmorency-Luxembourg ; par M. R.Chantelauze, 1 vol. gr. in-8o, illustré de 4 chromolithographies, et d’un grand nombre de gravures sur bois ; Firmin-Didot.

Parmi les livres d’histoire nous trouvons au premier rang la nouvelle et luxueuse édition des Mémoires de Philippe de Commynes, donnée par M. Chantelauze, d’après un manuscrit que M. Chantelauze, grand chercheur de documens comme on sait, et chercheur souvent heureux, a, sinon découvert, tout au moins, comme retrouvé sur les indications de M. Léopold Delisle. Ce ni est pas un manuscrit autographe, c’est au moins une excellente copie, dont on peut croire que la combinaison avec les autres nous nous fait approcher de bien près le texte authentique de Commynes. Aussi la valeur de cette publication ne serait-elle pas moins grande aux yeux même des érudits, qui lisent pour chicaner la position des virgules et des points sur les i, qu’aux yeux du public lettré, qui lit… pour lire et qui sait d’ailleurs que Commynes est parmi nos classiques l’un des premiers en date, je veux dire par là qu’il a su l’un des premiers, dans sa prose, traduire les idées générales ; par conséquent, l’un des premiers parler, comme nous, en parlons, des choses de la politique, de l’histoire et de la morale ; par conséquent encore, l’un des premiers, nous donner des modèles d’un style vraiment français, et ; non plus seulement, comme ses prédécesseurs, d’un style mi-partie gaulois, mi-partie germanique. Les Mémoires sont suivis d’une esquisse de la grammaire de Commynes et d’un vocabulaire qui font honneur à l’érudition de M. Chantelauze.


Les Chroniques de Froissart, édition abrégée, avec texte rapproché du français moderne, par Mme de Witt, née Guizot, 1 vol. gr. in-8o, contenant 11 planches en chromolithographie, 2 cartes, etc. ; Hachette. — Nouvelle Galerie des Écrivains français, par C.-A. Sainte-Beuve, orné de nombreux portraits gravés sur acier, 1 vol. gr. in-8o) Garnier frères.

Ce que nous disons de Commynes (1447-1509) n’est pas pour médire de Froissart (1337-1410), le chroniqueur des chroniqueurs, comme on devrait l’appeler et dont Mme de Witt vient de nous donner une belle édition, considérablement réduite, attendu qu’on ne contient pas l’agréable prolixité du plus curieux des chanoines en un seul, ni même en deux, ni même peut-être en trois in-octavo. Froissart, on l’accorde, n’égale Commynes ni pour la force de la réflexion ni pour la dignité de la pensée, mais comme conteur, ou, mieux encore, comme coloriste plutôt que comme écrivain, il lui est incomparablement supérieur. — J’espère qu’on ne trouvera pas le rapprochement trop artificiel si, faute d’en pouvoir dire plus long et nous référant au jugement d’un maître, nous saisissons l’occasion de rappeler une belle étude que Sainte-Beuve a consacrée jadis à Froissart, et que l’on vient de réimprimer précisément en tête d’une Nouvelle Galerie des Écrivains français, ornée de beaux portraits, et disposée de manière à donner, en courant de sommets en sommets, une idée générale de la littérature française. — On retrouvera, dans le volume de Mme de Witt, les plus célèbres endroits des Chroniques. Nous ne saurions trop louer, pour nos vieux écrivains, ce genre de publication par fragmens, par morceaux choisis, par épisodes qu’il faut connaître. C’est le vrai moyen de les mettre à la portée de tout le monde. Ajoutez que Mme de Witt ne s’est pas contentée de revoir le texte de Froissart, elle a pris la peine de le traduire ou tout au moins de rapprocher son français de celui que nous parlons. Je ne garantirais pas que Froissart n’y perdît un peu de ses grâces et de son charme ; mais d’autre part il serait difficile, sans cette précaution, de persuader au public de le lire. C’est dommage, mais il faut bien s’accommoder au temps. Tout cela, d’ailleurs, a été fait avec beaucoup de discrétion, beaucoup de goût, et le plus scrupuleux respect de tout ce que l’on pouvait conserver de l’original sans risquer d’arrêter le lecteur moderne ; de très belles illustrations, d’après les manuscrits, toutes authentiques, par conséquent, et quelques-unes d’une délicatesse d’exécution tout à fait rare. en chromolithographie, de nombreuses gravures dans le texte, choisies dans le même esprit de représentation fidèle des hommes et des choses du temps animent cet intéressant volume, et parmi les livres d’étrennes en font l’un des plus instructifs et des plus beaux pour 1881.


Histoire des Romains, par M. Victor Duruy, membre de l’Institut, tome III, 1 vol. gr. in-8o, contenant 602 gravures, 8 cartes et plans, et 6 chromolithes raphies. Hachette.

Ce même procédé d’illustration, pour ainsi dire chronologique, est fort en faveur depuis quelque temps et l’on doit se féliciter que le goût public l’encourage. Il est bon que l’histoire parle ainsi quelquefois aux yeux, et l’on évite le danger que le lecteur courait jadis en feuilletant l’histoire des anciens illustrée par la fantaisie personnelle et souvent capricieuse d’un artiste trop moderne. Une médaille, une pierre gravée, la reproduction fidèle d’une fresque de Pompéi, voire de simples détails d’architecture, et pourquoi pas quelques ustensiles de l’usage familier, la marmite d’Euclion ou le hoyau de Ménédème ? en disent plus qu’une longue dissertation parfois. Ces illustrations sont certainement le moindre mérite, mais pour beaucoup de lecteurs sans doute, elles ne seront pas le moindre attrait de cette grande Histoire des Romains, de M. Victor Duruy, dont nous n’avons nous pas voulu cette année, non plus que les précédentes faillir à signaler un nouveau volume.


Les Fêtes chrétiennes, par M. l’abbé Drioux, ouvrage illustré de quatre chromolithographies, trente et une gravures sur acier et quarante compositions sur bois, 1 vol. gr. in-8o ; Furne et Jouvet., — Histoire de la mode en France. La Toilette des Femmes depuis l’époque gallo-romaine jusqu’à nos jours, par M. Augustin Challamel, orné de 21 planches gravées sur acier, 1 vol. gr. in-8o ; Hennuyer.

Nous louerons beaucoup plus modérément deux autres volumes, qui ne relèvent, à la vérité, que de l’histoire anecdotique. Ils seront peut-être fort étonnés d’être ainsi, rapprochés l’un de l’autre.

Le premier, c’est les Fêtes chrétiennes, par M. l’abbé Drioux, et l’autre l’Histoire de la mode en France, par M. Augustin Challamel, avec ce sous-titre : la Toilette des femmes depuis l’époque gallo-romaine jusqu’à nos jours. Ils pèchent tous deux d’abord un peu par la qualité de l’illustration. Le texte de M. l’abbé Drioux, quoique d’ailleurs intéressant, et nullement désagréable à lire, ne donne peut-être pas ce que le titre promettait. Et cependant il y aurait sans aucun doute un beau volume, — je dis un beau volume d’étrennes, — à faire sous ce titre. Mais il faudrait plus de choses dans le texte, dans l’illustration plus de choix, dans l’exécution plus de soin. Il. y a là quatre chromolithographies qui sont bien mauvaises et d’assez nombreuses gravures sur bois, qui sont assez médiocres. Seules, quelques gravures sur acier, tirées en bistre, méritent d’être exceptées de la critique, ou même louées. Le texte de M. Challamel est de beaucoup plus intéressant. L’illustration en est un peu, pour ainsi parler, gravures de mode : cependant les types sont assez généralement bien choisis. La lecture en est curieuse. M. Challamel sait beaucoup de choses et les dit avec bonhomie, sans autrement affecter l’érudition, dans un sujet qui, malgré son apparente et proverbiale frivolité, n’en est pas moins l’un des plus difficiles à traiter qu’il se puisse. Par exemple, il faut bien le dire, M. Challamel est moins heureux à parler des modes contemporaines que du costume au temps de Charlemagne ou de Chilpéric.


L’Égypte, deuxième partie. Du Caire à Philœ, par M. George Ebers, traduction de M. G. Maspero, orné de 332 gravures sur bois et d’une carte de la Haute-Égypte, 1 vol. petit in-f° ; Firmin-Didot.

Passons de l’histoire à la géographie. Voici justement un ouvrage où l’histoire, la géographie beaucoup d’autres choses encore, s’entremêlent et cependant ne s’embrouillent mi ne se nuisent. C’est l’Égypte de M. George Ebers, l’auteur de plusieurs romans, pharaonesques ou nabuchodonosoriens, qui ne valent pas le Roman de la momie de Théophile Gautier. Il nous étonnerait que nous fussions les seuls à préférer en M. George Ebers l’égyptologue au romancier. Aucun ouvrage n’est mieux fait que celui-ci pour mettre le lecteur au courant des choses d’Égypte, et quand on parcourt tel ou tel chapitre de ce second volume, — la Rénovation de l’antique Égypte, par exemple, ou encore, Thèbes et l’Époque brillante de l’Égypte, — on admire ce que M. George Ebers a pu faire tenir en si peu de pages de renseignemens essentiels. Ce second volume vient s’ajouter à celui que nous annoncions l’année dernière à pareille époque, et complète l’ouvrage. Il est donc inutile de répéter l’éloge que nous en avons fait. Rappelons seulement que la traduction est de M. Maspero, l’homme de France assurément le plus capable, non-seulement de traduire un tel livre, mais encore de le corriger, de le rectifier et de le remettre, en raison du temps écoulé depuis sa première apparition, au niveau de la science égyptologique. On doit lui savoir le plus grand, gré d’avoir pris la peine de traduire l’intéressant ouvrage de M. George Ebers.


De Parte à Samarcand, Le Ferganah, le Kouldja et la Sibérie occidentale, par Mme de Ujfalvy-Bourdon, ouvrage contenant 273 gravures sur bois et 5 cartes, 1 vol. petit in-f° ; Hachette.

C’est dans une autre région que nous transporte le livre de Mme de Ujfalvy-Bourdon : de Paris à Samarcand. Impressions de voyage d’une Parisienne. Comme le titre l’indique, c’est un vrai voyage d’exploration, et, à certains égards, de découverte. M. de Ujfalvy avait été chargé, par le ministère de l’instruction publique, en 1876, d’une mission en Russie et dans l’Asie centrale. Mme de Ujfalvy n’hésita pas à le suivre, et c’est la partie pittoresque, anecdotique du voyage que ce gros volume, largement illustré, nous raconte.

Les traits de mœurs et les historiettes abondent. Nous en citerons une qui nous a paru d’un goût tout à fait russe : « Un beau jour d’été, le général Kauffmann, gouverneur-général du Turkestan, recevait à dîner un grand nombre d’officiers de retour d’une expédition dans l’Alaï, aux environs du Pamir. On avait eu soin de donner à la montagne la plus élevée de la contrée nouvellement explorée le nom de Pic Kauffmann. On dînait en plein air, et les convives pouvaient rester couverts. Au potage, le général s’adressant à un jeune colonel du génie, lui dit : « Avez-vous rencontré des montagnes bien hautes dans l’Alaï ? — Oui, Votre Haute Excellence. — Quelle est la montagne la plus élevée ? demanda le général. — Le pic de Votre Haute Excellence, » réplique l’officier, debout, la main droite à son képi, la main gauche sur la couture de son pantalon. Au relevé du potage, le général s’adresse de nouveau au colonel : « Ces montagnes sont-elles en réalité si hautes ? — Oui, Votre Haute Excellence, — Où sont celles qui sont le mieux situées ? — Autour du pic de Votre Haute Excellence, » répondit l’officier en se levant et saluant de nouveau. Au rôti, le général lui demanda pour la troisième fois : a Avez-vous vu beaucoup de neige dans la vallée de l’Alaï ? — Oui, Votre Haute Excellence. — Où avez-vous vu le plus de neige ? — Sur le pic de Votre Haute Excellence, « répondit l’officier toujours en se levant et dans l’attitude militaire. » Beaucoup de lecteurs trouveront peut-être que l’anecdote n’est pas si russe ; en effet, à mesure que nous la transcrivons, il nous semble qu’elle pourrait bien être un peu de tous les temps et de tous les pays.

Il serait superflu d’insister longuement sur l’intérêt du voyage en lui-même. Le bruit qui se fait depuis déjà quelques années autour des contrées de l’Asie centrale, du Turkestan, du Ferganah, du Kouldja suffirait à donner le désir de lire ce livre, agréablement écrit d’ailleurs et vivement mené. Donnera-t-il à beaucoup de Français, selon le vœu de l’auteur, le désir aussi « de visiter l’Asie centrale ? » Je les avertis au moins qu’ils trouveront à Tachkend un restaurant français, tenu par un Français qui maintient là-bas la réputation culinaire de la France à l’étranger.


La Hollande à vol d’oiseau, eaux-fortes et fusains, par M. Maxime Lalanne, 1 vol, in-4o ; Decaux et Quantin.

Revenons en Europe avec le livre de M. Henry Havard, la Hollande à vol d’oiseau, il nous suffit d’avoir nommé l’auteur pour avoir dès lors suffit d’avoir nommé l’auteur pour avoir dès lors recommandé le livre. Depuis quelques années en effet, M. Havard s’est fait des choses de Hollande une spécialité. Le pays, les mœurs, l’histoire, l’histoire de l’art surtout, et jusqu’à l’histoire des faïences, lui sont également familiers. Comme le titre de l’ouvrage l’indique, c’est une description rapide et courante, une vraie description à vol d’oiseau de l’un des pays les plus curieux qu’il y ait au monde, — j’entends où la civilisation la plus raffinée n’a pourtant pas encore détruit les anciens usages ni passé sur les mœurs d’autrefois l’insupportable niveau de son uniformité. Mais le principal intérêt du récit de M. Havard, c’est qu’il est avec cela le récit d’un voyage fait à petites journées, à la manière hollandaise, dirons-nous, et posément quoique rapidement. Les chemins de fer assurément sont une belle invention, mais ils invitent à brûler le pays : on va courant de grande ville en grande ville, et l’on ne séjourne qu’aux lieux où les guides adressent leur clientèle de voyageurs pressés. Le lecteur qui voudra bien se confier à M. Havard apprendra que la Hollande est riche de beaucoup de choses que la précipitation des touristes laisse maladroitement échapper. Le livre est illustré de croquis dans le texte, d’eaux-fortes et de fusains de M. Maxime Lalanne, reproduits par l’héliogravure. Les croquis sont agiles : il nous, a seulement paru que le procédé ne convenait guère aux fusains et qu’il les brouillait parfois étrangement.


Tous ces livres sont des livres, non pas graves sans doute, mais livres de bibliothèque, et qui ne paraissent en ce temps plutôt qu’en un autre que parce qu’ils sont illustrés. Ils peuvent convenir aux lecteurs les plus difficiles. Il y en a d’autres qui sont plus spécialement livres d’étrennes en ce sens qu’il sont plus particulièrement à l’usage des jeunes lecteurs.


Les Souliers rouges, nouveaux contes, traduits par MM. E. Grégoire et Louis Moland, 1 vol. in-8o ; Garnier frères. — Pendragon, par M. Alfred Assollant, 1 vol. in-8o ; Hachette. — Le Pays du soleil, par MM. Charles Deslys et Richard Cortambert, 1 vol. in-8o ; Hachette. — Prisonniers dans les glaces, par M. George Fath, 1 vol.

in-8o ; Pion. — Feu de paille, par, Mme E. Colomb., 1 vol. in-8o ; Hachette. — Grand-Père, par M. J. Girardin, 1 vol. in-8o ; Hachette. — Contes de Saint-Santin, par M. de Chennevières, 1 vol. in-8o ; Plon.

Il n’y a pas encore longues années, la littérature enfantine se réduisait à quelques contes plus ou moins heureusement imités des Contes de Perrault ou des Contes du chanoine Schmid, voire des Mille et une Nuits. C’est à ce genre qu’appartiennent encore les récits du célèbre conteur danois Andersen, dont MM. Ernest Grégoire et Louis Moland nous offrent une nouvelle série cette année. Seulement le genre est ici, comme on sait, singulièrement relevé par la richesse d’imagination et le rare talent de l’écrivain ; Je ne sais, en vérité, pourquoi l’on a fait d’une manière générale, à tous ces récits de pure imagination, poussés parfois jusqu’au fantastique, le reproche de fausser les jeunes intelligences et de peupler les jeunes cervelles de superstitions dangereuses. Quoi qu’il en soit, dans les récits qu’on écrit aujourd’hui pour les enfans, on se fait presque un devoir d’éliminer l’élément du merveilleux et de le remplacer par tout ce qu’on y peut mêler de connaissances certaines, voire de notions scientifiques. Tantôt c’est de l’histoire, qu’on y fait entrer par bribes, comme dans le Pendragon de M. Alfred Assollant, où l’on voit passer Alexandre, Perdiccas, Lysimaque, Séleucus ; tantôt c’est de la géographie, comme dans le Pays du soleil, où M. Richard Cortambert met en œuvre les derniers renseignemens que nous devions aux explorateurs de l’Afrique centrale, et comme dans Prisonniers dans les glaces, où M. George Faih, lui-même illustrateur de son propre texte, nous emmène aux contrées du pôle, et, perdus parmi cette foule, c’est à peine si nous pouvons indiquer quelques livres où les auteurs ne se soient proposé rien de plus que d’amuser leurs jeunes lecteurs sans leur donner d’autres leçons que de bonne conduite. Voici les volumes de Mme Colomb, de M. J. Girardin, de M. de Chennevières. Ce dernier est illustré de croquis assez amusans.


Histoire d’une montagne, par M. Elisée Reclus, 1 vol. in-8o. — Les Quatre Filles du docteur Marsch, par M. P.-J. Stahl, 1 vol. in-8o. — La Frontière indienne, par M. Lucien Biart, 1 vol. in-8o. — La Maison à vapeur, par M. Jules Verne. — Histoire générale des grands voyages, par M. Jules Verne, 1 vol. in-8o. Hetzel.

Nous mettrons à part les vingt-trois volumes nouveaux dont s’est enrichie cette année la collection Hetzel. C’est qu’on n’a peut-être dépensé nulle part ni plus d’efforts ni plus de persévérance pour constituer cette littérature nouvelle à l’usage de la jeunesse ou de la première enfance. Tous les genres ici sont représentés, depuis le simple album, le Premier Chien et le Premier Pantalon, et depuis le conte d’enfans, tels que le Prince Chenevis de Léon Gozlan, ou tels encore que la Véritable Histoire de Gribouille, sous la signature de George Sand, jusqu’au roman scientifique, dont M. Jules Verne reste toujours le maître, et jusqu’au livre, on serait tenté de dire de science pure, tel que l’Histoire d’une montagne de M. Elisée Reclus, si l’on ne se souvenait à temps de quel charme de style M. Elisée Reclus sait envelopper ce qui nous semblait au collège si parfaitement ingrat, le détail de la géographie physique. Parmi tous les récits maintenant qui trouvent leur place entre ces deux extrémités, nous ferons une mention toute spéciale des Quatre Filles du docteur Marsch, arrangé par M. P.-J. Stahl, d’après un roman américain et de la Frontière indienne, de M. Lucien Biart.

Le premier de ces deux volumes est un intéressant récit, peut-être encore un peu long, — mais il y a vraisemblablement force lecteurs qui ne s’en plaindront pas, — où l’histoire d’une même famine est racontée avec cet art particulier qu’ont les romanciers anglais ou américains de mettre en œuvre des sentimens très simples, très honnêtes, si naturels qu’en France on les trouve un peu bourgeois et qu’ils y semblent médiocrement s’accommoder à ce que nous demandons dans le roman de drame et de passion. Le traducteur, ou plutôt le collaborateur, a élagué de l’original américain toutes les prédications honnêtes, mais profondément ennuyeuses, qui l’encombraient. En Amérique, le roman, trop souvent, n’est qu’une forme du tract. On ne l’écrit pas pour amuser les autres ni pour s’amuser soi-même, on l’écrit pout faire pénitence et pour convertir les infidèles. Cela n’empêche pas que le talent et, par conséquent, l’intérêt s’y rencontrent. Il faut seulement qu’une main habile s’emploie à les faire valoir et qu’un excellent arrangeur se dévoue. Ils sont déjà nombreux ceux à qui M. P.-J. Stahl a rendu ce service.

Pour le volume de M. Lucien Biart, c’est un agréable récit de mœurs d’outre-mer, vivement conté, relevé de cette pointe d’originalité très personnelle que M. Lucien Biart sait mêler à tout ce qu’il conte. Ajoutez qu’il ne ressemble pas à tant d’auteurs de récits de voyages, et qu’ayant sur la plupart d’entre eux cette grande supériorité d’avoir voyagé, le lecteur s’aperçoit aisément qu’on ne lui décrit pas ici des mœurs de convention dans des cadres de fantaisie. Contentons-nous de mentionner en finissant les deux volumes de M. Jules Verne, la Maison à vapeur, et un nouveau volume de l’Histoire générale des voyages. Celui-ci, consacré tout entier aux voyageurs du XIXe siècle, contient en trois parties le résumé de l’histoire de la colonisation et de l’exploration de l’Afrique, le résumé des grandes expéditions polaires, enfin le journal des principaux voyages de circumnavigation accomplis de notre temps.


Souvenirs de la Nouvelle-Calédonie. — L’Insurrection canaque, par M. Henri Rivière, 1 vol. in-8o, orné de 45 vignettes. Calmann Lévy.

Dans quelle catégorie placerons-nous bien les Souvenirs de la Nouvelle-Calédonie de M. Henri Rivière ? Il me semble qu’ils tiendront assez bien leur rang dans les annales de l’histoire de notre marine. En effet, c’est ici plus qu’un récit de voyage, plus qu’une vive description d’un pays lointain par un écrivain dont les lecteurs de la Revue connaissent depuis longtemps les œuvres si originales : c’est un récit d’histoire. Si c’était ici le lieu d’enfler la voix, nous oserions dire que l’opinion, mal éclairée, ne rend peut-être pas toujours, à ceux de nos compatriotes qui se font une carrière de risquer régulièrement leur vie dans un dur métier pour la gloire du nom français, toute la justice qu’ils mériteraient : malheureusement ce n’en est ni le lieu ni le temps, et nous avons déjà peut-être en deux lignes abusé de l’occasion. Contentons-nous de dire qu’il est impossible de raconter d’une manière plus modeste que ne le fait M. Rivière des événemens graves auxquels on a pris part, dont on a soi-même été presque la plus grande part, en même temps que d’une manière plus sobre et moins prodigue d’ornemens inutiles.


Géographie universelle, par M. Elisée Reclus, t. VI. — L’Asie russe, 1 vol. in-8o, contenant 8 cartes en couleurs, 182 cartes dans le texte et 89 gravures sur bois.

Nous arrivons aux livres presque exclusivement scientifiques, qui d’ailleurs nous semblent être moins nombreux cette année que les précédentes. Nous retrouvons encore ici M. Elisée Reclus, avec le VIe volume de cette grande Géographie universelle dont l’éloge n’est plus à faire. Ce volume, qui renferme la description de l’Asie russe, est comme la carte générale du pays dont l’auteur de Paris à Samarcand a plus particulièrement exploré une ou deux provinces. Il présentera le même genre d’intérêt général et actuel. Nous signalerons particulièrement quelques-unes de ces pages où M. Reclus, généralisant pour ainsi dire la géographie, fait ressortir, dès qu’on la prend de haut, le caractère philosophique des inductions qu’on en tire. Voilà bien des siècles que le conflit de l’Europe et de l’Asie résume l’histoire même du monde. Marathon, Actium, Poitiers, les croisades, la découverte du passage des Indes, l’ouverture de la Chine aux Européens, autant d’étapes d’un même drame qui semble aujourd’hui dénoué par la victoire définitive de l’Europe. « Quoique les apports de la civilisation occidentale soient mélangés de beaucoup de mal, cependant on peut dire que le continent spécialement aryen de l’ouest est le foyer d’éducation pour les peuples d’Asie. » Ainsi s’exprime M. Reclus. Les rôles sont renversés, puisque ce même continent asiatique fut jadis le berceau de toutes les races, de toutes les religions, ]de tous les arts et de toutes les sciences.


Les Grands Froids, par M. Emile Bouant, 1 vol. in-18 ; Hachette. — Les Télégraphes, par M. Ternant, 1 vol. in-18 ; Hachette. — Les Poissons d’eau douce et la Pisciculture, par M. P. Gauckler, 1 vol. in-8o ; Germer-Baillière.

Deux ouvrages, moins importans, viennent s’ajouter à la Bibliothèque des Merveilles. C’est vraisemblablement le rude hiver de 1879-1880 à qui nous devons le livre de M. Bouant sur les Grands Froids. Comme le froid et le chaud, de temps immémorial, sont sujets en possession d’intéresser, tout le monde voudra lire ce petit livre. Les amateurs de Statistique y trouveront de nombreux renseignemens. L’autre ouvrage traite des Télégraphes. Il a pour auteur M. Ternant. On y trouvera l’histoire de la découverte et des premiers essais du télégraphe électrique, ainsi que la description des principaux procédés en usage.

Est-ce bien un livre d’étrennes que le livre de M. Ph. Gauckler, ingénieur en chef des ponts et chaussées, sur les Poissons d’eau douce et la Pisciculture ? Je n’en répondrais pas. Signalons-le tout au moins comme un ouvrage d’une valeur scientifique et surtout d’un intérêt pratique incontestables. Il ne s’agit en effet de rien moins que des moyens d’arrêter le dépeuplement des cours d’eaux. Dépeuplement des cours d’eaux, déboisement des montagnes, épuisement des mines de houille, il semble, pour le dire en passant, qu’il y ait dans ce sens, depuis quelques années tout un ordre d’inquiétudes nouvelles, comme si l’on prévoyait le moment où les richesses de la nature et du sol viendront à faire défaut aux besoins de l’homme.


Les Oiseaux dans la nature, texte de M. Eugène Rambert, illustrations de M. Paul Robert, 2 vol. in-f° ; Paris, Lebet.

Parmi ces publications, il n’en reste donc vraiment qu’une qui soit véritablement publication de luxe, aussi bien par les soins donnés à l’impression que par le caractère de l’illustration. Ce sont deux beaux volumes, intitulés les Oiseaux dans la nature, dont le texte est de M. Eugène Rambert et l’illustration de M. Paul Robert. Le texte et l’illustration assurément sont de deux amis des oiseaux et de la nature. M. Rambert est lyrique, presque poète, à parler, en quelques lignes, de la mésange et du chardonneret, mais lyrique sans trop d’affectation et poète sans trop d’exagération. Quant aux planches de M. Robert, les planches tirées en chromolithographie surtout, remarquablement venues, elles traduisent les allures et les mœurs des petits êtres qu’elles représentent avec une vérité, une vivacité surprenantes. On sait qu’il ne faut pas toujours aveuglément se fier aux éloges que les éditeurs eux-mêmes décernent à leurs publications. Nous conviendrons cependant volontiers pour cette fois que la préface de ce livre, ou plutôt de cet album, ne promet rien que l’album ne tienne. En tout temps, c’est quelque chose, mais au temps des étrennes c’est beaucoup.