Les Médailles d’argile/La Muse

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Les Médailles d’argileSociété du Mercure de France (p. 73-74).

LA MUSE


La Muse à qui mes mains ont tressé, l’autre année,
Pour sa tête divine à mon geste inclinée,
La couronne flexible et le souple bandeau
Où j’ai mêlé la rose ardente et l’iris d’eau
Avec l’algue marine et le lierre des bois,
La Muse au front orné par l’amour de mes doigts
Des fleurs du vert printemps et de l’automne rousse,
Elle que je connus hautaine m’a dit, douce,
Souriant à demi dans l’ombre, lentement,
Puis plus haut peu à peu et debout dans le vent :
« Certes il sied, ô toi qui m’es humble et fidèle,
D’aimer la pourpre chaste où tu me trouves belle
Et qui tombe à longs plis égaux et qui s’étale
Jusques à mon orteil que montre la sandale
Et d’où sort noblement d’un geste qui l’étire
Mon bras cerclé de bronze et qui porte une lyre ;
Mais ne va pas au moins oublier qu’en secret

Mon corps inattendu quelquefois apparaît
Au cher passant pour qui ma robe alors s’entr’ouvre
Et que, sous le tissu glorieux qui les couvre,
Palpite ma beauté et frissonne ma chair.
Ne sais-tu pas, non plus, que la source et la mer
Sont faites pour baigner ma peau et que le vent,
Debout à mon côté, de ses ongles, souvent
A dénoué ma chevelure pour la tordre
Éparse, et que ma bouche odorante aime à mordre
Les fruits voluptueux qui parfument la nuit ?
Et si, en m’appelant, dans l’ombre tu me suis,
Au retour de l’aurore, en retrouvant en moi
Le sourire hautain qui dompte et le pli droit
De ma robe sacrée où je suis haletante,
Tu verras, à travers sa pourpre transparente
Dont j’apparais à tous orgueilleuse et vêtue,
Marcher devant tes yeux la Muse pour toi nue. »