Les Médailles d’argile/Ode

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Les Médailles d’argileSociété du Mercure de France (p. 208-210).

ODE


Amour !
J’ai voilé ta face au fond de mes songes,
Amour !
J’ai voilé ta face au fond de mes jours
Et tes yeux clairs et ta bouche lente
Qui me parlait à l’oreille dans l’ombre ;
J’ai couronné ta chevelure tiède et longue
De feuilles et de violettes en guirlandes
Et j’ai lâché, à l’aube, tes colombes
Et j’ai éteint du pied ta torche noire
Et j’ai brisé ton arc et dispersé tes flèches,
Amour !
J’ai voilé ta face au fond de ma mémoire
Et de mes jours.

Parce que le Printemps chantait dans l’aurore
Le long du calme fleuve et des jeunes roseaux,

Parce qu’Avril riait dans la grotte sonore
En filant sur le seuil l’argent de ses fuseaux,
Parce que le bois frais pleuvait de soleil clair
Et que les sentiers bleus entraient dans la forêt
Et que l’étoile enfin se levait sur la mer,
La même qui monta derrière les cyprès,
Amour aux yeux cruels de langueur et de honte
Par qui tant de printemps me furent sans douceur,
J’ai voilé ton regard et j’ai laissé dans l’ombre
Ton visage aux yeux clairs de rire et de langueur.

Si l’Été roux de blés et rouge de roses,
Si l’Été
Mystérieux de force et de maturité,
Si l’Été des soirs d’or et des matins fauves
Avec ses fruits mûrs qui jutent en gouttes chaudes
Aux lèvres lasses qui les mordent,
Si l’Été
De soleils éclatants, de midis et d’étoiles
Qui chante au vent de tout l’or mûr de ses blés lourds,
Qui crie et saigne de toutes ses roses,
N’avait pas enivré mon sang, ô doux Amour,
Eussé-je ainsi voilé ta bouche
De lourde rose
Douce à ma bouche ?


Voici l’Automne.
Le Printemps et l’Été sont morts, heure par heure ;
L’Automne de toutes ses fontaines les pleure :
Jet d’eau qui sanglote, vasque qui chantonne,
Sources qui bruissent,
Grottes en larmes des stalactites ;
Et te voici au bout de l’allée
Où les feuilles mortes s’endolorissent
De pourpres pâles et d’or fané ;
Et tu es là, Amour, et ta face est voilée.
Tes couronnes
Sont sèches.
Ton arc brisé gît parmi tes flèches…
Rallumerai-je de la cendre où elle est morte
Ta haute torche
Pour éclairer l’ombre et le soir ?
Tes yeux ne veulent plus me voir,
Amour, Amour !
Ta bouche est froide sur la mienne
Et j’entends du fond de mes jours
Le Passé te pleurer de toutes ses fontaines !