Les Médecins spécialistes

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Les Médecins spécialistes
Anthologie des humoristes français contemporainsLibrairie Delagrave (p. 397-400).

Belarthur l’examine… et le soumet à un régime qui a déjà donné d’excellents résultats, les exercices de marches prolongés. Deux heures le matin, deux heures le soir. Au bout de six semaines, Siméon avait maigri de 25 livres.

Seulement il se trouve qu’il a les chevilles un peu faibles pour la masse de son corps. Il ne pouvait plus marcher. Il avait les pieds tout enflés. Il vient me voir. Je lui indique alors le docteur Schitzmer, un docteur d’origine autrichienne qui guérit les affections de ce genre par des bains de pied dans de la boue, c’est-à-dire dans de la terre glaise délayée. Mon Siméon suit un traitement pendant trois mois, et au bout de trois mois il avait les pieds complètement guéris. « Ah ! me dit-il alors, combien je te suis reconnaissant ! Quel soulagement je ressens de n’avoir plus ces douleurs aux chevilles ! Je serais bien heureux si je n’avais pas ces maux de gorge ! »

Il faut vous dire, en effet, qu’à force de tremper ainsi les pieds dans la terre mouillée, il avait contracté une affection du larynx, qui le faisait beaucoup souffrir… Mais, pour guérir ça, rien de plus facile. Je m’empressai de lui indiquer le docteur Cholamel. Cholamel a remarqué que beaucoup de maux de gorge étaient dus à une mauvaise circulation du sang dans le gosier. Il rend sa vitalité à cet organe au moyen d’un traitement à l’électricité. Siméon suivit ce traitement, et ce fut l’affaire de quelques mois à peine. Son mal de gorge disparut complètement.

Malheureusement Siméon appartient à une famille de nerveux ; il souffre d’une nervosité spéciale, qui est gravement affectée par l’électricité. Il fut pris de crises, d’un caractère très grave. Il avait chaque jour trois ou quatre accès… Je lui dis : « Mon vieux, il ne faut pas rester comme ça. Va voir, de ma part, le docteur Langlevent et soumets-lui ton cas. Il te soignera ça en un tour de main. » Langlevent lui a fait prendre du bromure. Le bromure est souverain dans les maladies de nerfs, si on le prend conformément aux prescriptions du médecin. Ni trop, ni trop peu. Siméon se conforma scrupuleusement à l’ordonnance du docteur. Et au bout de très peu de temps — six mois — les accidents nerveux avaient disparu. Mon ami avait repris sa vie normale.

Mais il était d’une humeur un peu chagrine, comme toutes les personnes qui souffrent de l’estomac. Le bromure, naturellement, n’est pas fait pour l’estomac… Ça le délabre, ça l’abîme, ça donne des digestions difficiles… Quand on souffre de l’estomac, il ne faut pas hésiter. On va voir le professeur Biridoff. Il vous remet en une saison. J’envoyai Siméon chez le professeur, qui l’examina et le mit au régime des féculents. Très peu de viande, peu de vin, de l’eau, et des purées de haricots, des purées de pommes de terre, des purées de pois. Siméon fut rétabli en peu de temps.

Il en fut bien heureux. Je le rencontrai chez moi dans l’escalier, comme il venait me remercier. Il souffrait un peu… parce qu’il était très gros. Dame, rien que des farineux !… Il ne pesait pas moins de 322 livres… C’était trop… « Il faut surveiller ça, lui dis-je, et enrayer… — Mais, me répondit-il, si je recommence à me faire maigrir, on va me faire marcher, mes chevilles vont enfler de nouveau, etc., etc. — Il ne s’agit pas de marche, lui dis-je. Il y a d’autres moyens de se faire maigrir. Je vais aller avec toi chez un autre de mes amis, le docteur Lerenchéry. »

Lerenchéry préconise surtout l’équitation, mais pas l’équitation au hasard. Il ne suffit pas de prendre un canasson au manège, et d’aller faire un petit tour au bois. Lerenchéry fit une ordonnance de douze pages, indiquant les heures de sortie, le nombre et la durée des temps de trot, des temps de galop… Siméon choisit un cheval très fort, très vigoureux, et commença ses exercices.

Hé bien, il a commencé il y a trois jours, et son poids a déjà diminué de trente-six kilos. C’est un résultat !

Il faut vous dire qu’il a fait une chute de cheval à sa première sortie et qu’on a dû lui couper la jambe gauche, qui pesait exactement trente-six kilos. Voilà donc un garçon qui a toujours suivi les ordonnances à la lettre et qui a obtenu de la médecine tout ce qu’il lui a demandé.


(Les Médecins spécialistes ;
Librairie théâtrale édit.)