Les Mémoires du prince de Hardenberg/01

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Les Mémoires du prince de Hardenberg
Revue des Deux Mondes3e période, tome 20 (p. 215-227).
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LES MEMOIRES
DU
PRINCE DE HARDENBERG

I.
AVANT IENA

Les quatre beaux volumes qui viennent de paraître à Leipzig sous le titre de Mémoires du chancelier d’état prince de Hardenberg[1] ; et dont la publication est célébrée par la presse allemande comme un événement littéraire, contiennent à la fois beaucoup plus et beaucoup moins que la plupart des ouvrages appartenant au genre des mémoires. On se flatterait vainement d’y trouver l’autobiographie détaillée et complète de l’homme d’état qui, né en 1750 dans l’électorat de Hanovre, entra en 1790 au service de la maison de Brandenbourg, négocia la paix de Bâle, remplaça par intérim le comte Haugwitz comme ministre des affaires étrangères, déposa ce pesant portefeuille quelques mois avant la bataille d’Iéna, le reprit pour peu de temps dans les derniers jours de 1806, reparut sur la scène en 1810 comme chancelier d’état et pendant les douze dernières années de sa Vie ne cessa plus de jouer en Prusse le premier rôle. Le prince de Hardenberg n’a jamais songé à mettre le public dans le secret de son histoire intime ; il estimait, nous dit-il, « qu’il ne convient pas de mener le lecteur à la garde-robe. » Jamais non plus il n’a pensé à raconter aux curieux tous les incidens de sa longue carrière politique, toutes les affaires auxquelles il a pris part. Ses soi-disant mémoires, qui n’embrassent qu’un espace de quatre années, n’en sont pas moins un ouvrage de grand prix. On y trouvera des renseignemens de première main et du plus haut intérêt sur l’histoire intime du gouvernement prussien depuis la rupture de la paix d’Amiens jusqu’au traité de Tilsitt ; à ces renseignemens sont jointes toutes les pièces à l’appui, dont la plupart étaient demeurées inédites.

Ce fut à Tilsitt même, où il séjourna du 21 février au 7 novembre 1808, que Hardenberg entreprit de recueillir ses souvenirs et de narrer pour la postérité les événemens qui venaient de se passer sous ses yeux. Il avait rapporté de Riga une provision de papiers diplomatiques qu’on y avait mis en dépôt pour les dérober à la dangereuse curiosité du vainqueur. Son écrit était principalement destiné à prouver qu’il n’était point responsable des désastres que venait d’essuyer la Prusse, que le système de conduite qui avait prévalu n’était pas le sien. Ce mémoire justificatif fut trouvé après sa mort parmi d’autres papiers cachetés et transporté avec eux aux archives de Berlin, pour n’être publié qu’après cinquante ans accomplis. Quand le terme fut échu, ce fut M. de Bismarck qui brisa les sceaux et qui commit aux soins de M. Ranke ce précieux dépôt, en le chargeant de la publication. C’était une bonne fortune pour les Mémoires du prince de Hardenberg que d’être confiés à de telles mains. M. Ranke ne s’est pas contenté de les publier, en y pratiquant quelques coupures ; il les a accompagnés de deux volumes de commentaires, qui renferment l’histoire suivie de la politique prussienne de 1793 à 1813, et dans lesquels on retrouve cette impartialité magistrale, cette hauteur de vues et de raison, cette finesse d’aperçus, ce style ferme, élégant et lumineux, qui sont la marque distinctive de l’illustre historien dont on peut dire qu’il a deux patries, la Prusse et l’Europe.

Rien dans l’histoire n’est plus propre à intéresser les Français d’aujourd’hui que le récit des malheurs de la Prusse en 1806 et de son relèvement laborieux, graduel, méthodique, œuvre d’une patience intelligente et courageuse dont elle a le droit d’être fière. On a vu trop souvent dans la déclaration de guerre que Frédéric-Guillaume III a si cruellement expiée à Iéna un coup de tête, une résolution soudaine, irréfléchie, arrachée à la faiblesse d’un roi par une reine aussi passionnée qu’imprudente, par des intrigués de cour, par une armée infatuée de son passé, par la pression d’une opinion publique affolée. A toutes les grandes crises se trouvent mêlées des passions imprévoyantes et funestes, qui conspirent avec les destinées ; dans tous les temps et dans tous les pays, on a vu de belles souveraines qui ont des ressentimens ou des fantaisies à satisfaire et dont les déraisons traversent les calculs des hommes d’état, des ministres de la guerre qui déclarent qu’on est prêt, qu’il ne manque pas un bouton de guêtre à la victoire, des intrigues, des pratiques secrètes, des factions attentives à tirer parti des événemens, un populaire qui s’échauffe sans savoir pourquoi et des souverains qui, las de résister, s’abandonnent à la fortune et jouent leur couronne dans de tristes hasards. Cependant il ne faut pas s’y tromper, en 1806 comme en 1870 la guerre a été le dénoûment presque inévitable d’une situation tendue, d’un conflit d’intérêts qui allait s’aggravant d’année en année. Il s’agissait jadis pour la Prusse de recourir aux armes ou de renoncer à toutes ses ambitions légitimes et même à son indépendance, et il y a six ans, Napoléon III avait à décider s’il accepterait une diminution de son influence et de sa dignité, qui devait entraîner la déchéance de sa dynastie. En 1870 comme en 1806, l’art du provocateur a été de se faire provoquer, l’art de l’agresseur a été de se faire attaquer. En 1870 comme en 1806, la faute a consisté non à faire la guerre, mais à l’avoir prévue sans s’occuper de la préparer, à s’être laissé surprendre par l’événement, à n’avoir su choisir ni l’heure, ni l’occasion, à s’être trop peu soucié de mettre les apparences de son côté. Il n’est pas permis à un gouvernement d’avoir raison et de se donner l’air d’avoir tort.

Par le traité de Bâle, signé le 5 avril 1795, la Prusse s’était détachée de la coalition européenne, elle avait fait sa paix avec la révolution française, et en vertu de la convention supplémentaire du 17 mai, le bénéfice de la neutralité, qui allait devenir pendant dix ans son système, fut étendu à tous les états de l’Allemagne du nord compris dans la ligne de démarcation qu’on avait fixée. Le comte Haugwitz racontait jadis à M. Ranke qu’il avait assisté aux derniers momens de Frédéric-Guillaume II, et que bien près de sa fin, le roi, repassant dans son esprit tous les événemens de son règne, lui avait dit : « Je n’aurais jamais dû entreprendre la guerre contre la France. Que n’étiez-vous alors auprès de moi ! Heureusement nous en avons été quittes pour un œil poché. » Il ajouta que la politique de neutralité était la bonne, il exprima le désir que son fils ne s’en départit jamais. Frédéric-Guillaume III était disposé à accomplir le vœu de son père, qui était aussi le vœu de la grande majorité de ses sujets. Le 6 juillet 1798, quand la noblesse des trois Marches, en grand appareil, revêtue de ses insignes, la tête poudrée, se réunit à Berlin dans la Salle-Blanche pour prêter son serment d’hommage au nouveau roi, on vit apparaître soudain au milieu de cette brillante et patriarcale assemblée une figure étrangère et étrange, un personnage aux cheveux noirs sans un grain de poudre, la taille ceinte d’une large écharpe tricolore. C’était l’envoyé de la république française Sieyès. Tout le monde savait à Berlin qu’il avait voté la mort de Louis XVI, et on peut se représenter l’effet que produisit dans la Salle-Blanche l’entrée du régicide. La république avait chargé ce régicide d’obtenir pour elle l’alliance de la monarchie du grand Frédéric. Sieyès demandait plus que la Prusse ne pouvait lui accorder. Frédéric-Guillaume III désirait vivre en paix avec la république, il consentait à être son ami, il ne voulait pas être son allié ni épouser ses querelles, il entendait demeurer neutre. Cette neutralité, comme le remarque M. Ranke, a eu des conséquences heureuses pour l’Allemagne et en particulier pour la gloire de sa littérature. La cour de Weimar, l’université d’Iéna, étaient comprises dans la ligne de démarcation ; on y jouissait des doux loisirs de la paix, du repos et de la liberté d’esprit qu’elle procure, sans se désintéresser des grandes passions et des grandes idées qui remuaient le monde ; c’était comme un observatoire, commandant un vaste horizon et protégé contre la fureur des vents, d’où l’on avait vue sur les tempêtes. Les onze années qui se sont écoulées entre la paix de Bâle et la bataille d’Iéna ont été les plus fécondes pour la littérature allemande, les plus riches en productions originales. C’est l’époque de Fichte et de Schelling, de Voss, de Wolf et de l’école historique de Göttingue, l’époque qui a vu naître les Élégies romaines, Hermann et Dorothée, Wilhelm Meister, la Cloche, Wallenstein, Guillaume-Tell et la Pucelle d’Orléans. « La littérature d’alors, ajoute M. Ranke, avait un caractère d’idéologie cosmopolite ; le temps allait venir où elle le perdrait et où les impulsions patriotiques s’empareraient de tous les esprits. »

Tout en politique est affaire de circonstances ; le meilleur système de conduite devient désastreux lorsqu’il n’est plus conforme aux temps. Un bon pilote doit savoir changer de manœuvres, il doit selon le vent larguer ses ris ou plier ses voiles. Si utile qu’eût été à l’Allemagne dans le principe la politique de neutralité, se promettre de jouir éternellement des bienfaits de la paix au milieu de l’éternel orage déchaîné sur l’Europe était une utopie. Placée entre la Russie et la France, qui multipliaient leurs obsessions pour l’attacher à leur cause, la Prusse refusait de choisir entre Napoléon et Alexandre Ier, tout en s’appliquant à conserver les meilleurs rapports avec l’un et l’autre. Tout craindre, tout espérer, ménager tout le monde sans s’engager avec personne, manquer toutes les occasions et se persuader qu’on est habile parce qu’on réserve l’avenir et qu’on se dispense de vouloir, telle fut la politique prussienne dans les premières années de ce siècle.

On a souvent répété qu’il y avait alors à Berlin deux hommes dirigeans qui se partageaient ou, pour mieux dire, qui se disputaient la conduite des affaires étrangères, et que l’un, le comte Haugwitz, était un partisan résolu de l’alliance française, tandis que l’autre, le baron de Hardenberg, tenait pour l’alliance russe. Les pamphlétaires du temps accusaient le premier d’être à la solde du cabinet de Saint-Cloud, le second d’avoir part « à la pluie d’or » que l’Angleterre versait à pleines mains sur ses amis du continent. On se convaincra par la lecture des Mémoires qu’il y avait entre ces deux hommes d’état moins une contrariété sérieuse de principes qu’une rivalité personnelle, des conflits d’amour-propre et des dissentimens sur les mesures à prendre dans les occurrences qui pouvaient se présenter. On ne saurait trop dire quels étaient les principes du comte Haugwitz ; à proprement parler, il n’en avait point. Adroit plutôt qu’habile, il estimait que l’adresse suffit à tout, et il vivait au jour le jour, plein de confiance en lui-même, persuadé qu’en toute rencontre il saurait inventer quelque expédient pour sortir d’embarras. Hardenberg, sans avoir du génie, était un politique d’une tout autre valeur ; il avait des vues d’ensemble et le sentiment des situations. Son grand mérite est d’avoir compris de bonne heure que la Prusse devait opter entre les deux ennemis qui recherchaient son amitié, et que plus on retardait le jour de cette option, plus on laissait les difficultés s’aggraver, les dangers s’accroître, les chances favorables s’évanouir. Hardenberg jugeait que, dès le lendemain de la rupture de la paix d’Amiens, la Prusse aurait dû faire son choix, se prononcer hautement pour ou contre Napoléon, se poser vis-à-vis de lui comme la protectrice de l’Allemagne du nord et lui interdire l’occupation du Hanovre, ou au contraire accepter franchement ses propositions d’alliance, en lui disant : vous n’avez en vue que votre agrandissement, nous avons besoin, nous aussi, de nous agrandir. Donnant donnant, vous aurez notre appui, permettez-nous de prendre nos sûretés, aidez-nous à satisfaire nos convoitises ; ce que nous convoitons, ce n’est pas seulement le Hanovre, ce sont les villes hanséatiques, c’est peut-être aussi la Saxe ou la Bohême. « Il ne fallait pas être scélérat à demi, » s’écrie à ce propos Hardenberg ; mais il s’empresse d’ajouter qu’il eût été impossible d’amener le roi à signer un pareil traité et qu’il n’aurait jamais osé lui en donner le conseil.

Hardenberg ne mentait pas quand, peu de jours après la bataille de Friedland, il écrivait au général Duroc : « Les grands hommes reviennent le plus facilement des préventions qu’on peut leur avoir données. Votre auguste souverain, monsieur le grand-maréchal, en a eu contre moi ; je ne les ai pas méritées, et j’espère qu’il me sera aisé de les détruire. Il n’a pas tenu à moi que dans l’époque où j’eus l’honneur de négocier avec votre excellence, la Prusse ne soit devenue l’alliée de la France sur un plan libéral et grand, conforme aux véritables intérêts des deux états. J’aurais voulu que la politique de la Prusse eût du caractère, qu’elle eût été digne d’une grande puissance… On m’a accusé tantôt d’être Anglais, tantôt d’être Russe ; je ne suis ni l’un ni l’autre, mais je suis un bon et zélé Prussien. » Hardenberg avait le droit de tenir ce langage ; il n’est pas moins vrai qu’il avait toujours eu le sentiment des périls attachés à l’alliance française, parce qu’il avait démêlé dès le principe le but où tendaient les insatiables ambitions de Napoléon Ier. La Prusse, ne pouvait renoncer sans abdiquer à son rôle de puissance prépondérante en Allemagne ; le comte Haugwitz lui-même se plaisait à dire qu’il entendait faire de son maître l’empereur de l’Allemagne du nord. On aurait pu se flatter de gagner à ce projet Sieyès et le directoire ; la Prusse protestante s’était facilement entendue avec une république qui avait des sécularisations à lui proposer et qui, au surplus, n’aspirait pas à conquérir le monde ; mais l’accord était-il possible avec le moderne Charlemagne, aspirant à mettre la main sur tous les états germaniques comme sur l’Italie, et à placer sa famille sur tous les trônes de l’Europe ? Après Austerlitz et même avant, il avait décidé qu’il n’y aurait plus sur le continent de puissance qui pût l’obliger de compter avec elle, que son épée aurait raison de ses ennemis et que ses amis seraient ses vassaux. Ne s’était-il pas écrié dans une négociation : « La Russie doit savoir que la France peut appliquer à l’égard des états du continent le même système qu’emploie l’Angleterre dans les Indes à l’égard des nababs. » Ce mot autorisait Jérôme Bonaparte à dire en 1807 à l’un des amis de Hardenberg : « vous êtes bien plus heureux d’être nos ennemis que d’être nos alliés. » Le 2 janvier 1806 avait paru dans la Gazette de France un article intitulé Tableau de l’Europe, dans lequel on annonçait que c’en était fait de la balance politique et de l’équilibre européen, que dorénavant l’Europe demanderait la paix et la sécurité à l’homme qui était son protecteur et qui déciderait de l’existence des pays et de la conservation des couronnes : « L’année qui commence pour nous sous les plus heureux auspices sera une grande époque dans l’histoire moderne, elle verra fonder un nouveau système d’équilibre entre toutes les parties de l’Europe ; ce ne seront plus des forces égales qui par leur opposition se maintiendront en repos ; mais une seule puissance prépondérante, trop forte désormais pour être attaquée et trop grande pour avoir besoin de s’étendre, tiendra tout en paix autour d’elle. » Dans cet article, remarque Hardenberg, la Prusse n’était pas nommée, « omission fatidique, eine ominöse Auslassung. »

Un vasselage plus ou moins onéreux, déguisé sous le nom d’une alliance avec le tout-puissant conquérant, ou une alliance en règle avec la Russie, il n’y avait, selon Hardenberg, plus d’autre alternative pour la Prusse, et le 18 juin 1806 il présentait au roi un mémoire qui renfermait ces lignes : « votre majesté a été placée dans la situation singulière d’être à la fois l’allié de la Russie et de la France, de ce qu’il y a dans ce moment de plus hétérogène en politique. Cet état ne peut pas durer. Quoi qu’on fasse, quelle que soit l’adresse qu’on y mette, l’un ou l’autre de ces deux alliés sera mécontent de la Prusse et son ennemi secret. Elle sera isolée, sans amis, sans confiance, sans considération et sans secours, et dans un danger continuel sur toutes ses frontières, sans moyens de le parer efficacement, tandis que la ruine de son commerce la consumera et augmentera de jour en jour le mécontentement intérieur. Je suis donc intimement persuadé qu’il faut dès à présent opter entre les deux alliances et préparer avec la plus grande activité et énergie les moyens de remplir les obligations de celle qu’on aura choisie. Je crois que plus que jamais les demi-mesures, l’indécision, l’espoir de se tirer facilement des difficultés toujours renaissantes, conduiraient l’état à une ruine certaine. » Quelques mois auparavant, Joseph de Maistre écrivait de Saint-Pétersbourg à son roi : « Il faut que la Prusse prenne garde à elle ; jamais puissance ne se trouva engagée dans un pas plus difficile ; placée entre deux puissances formidables, vulnérable de toutes parts, mais surtout par la Pologne, le parti qu’elle prendra peut décider de son existence. Le plus dangereux sera celui de tergiverser, et c’est probablement celui qu’elle choisira. »

L’homme qui tergiversait, c’était le roi, moins par faiblesse de caractère que par système et de parti-pris. La neutralité à outrance était sa devise, et la tergiversation était chez lui un principe, un procédé de gouvernement ; il était le plus méthodique et le plus obstiné des irrésolus. Les mémoires de Hardenberg nous le montrent sous un jour nouveau. On a vu trop souvent dans Frédéric-Guillaume III un homme sans volonté, gouverné par les conseils et par les passions des autres, entraîné tour à tour par des courans contraires ; on l’a représenté subissant tantôt l’influence du comte Haugwitz, qui cherchait à l’engager avec la France, tantôt celle de Hardenberg, qui le poussait dans les bras de la Russie. Ses sujets eux-mêmes le jugeaient ainsi ; au mois d’avril 1806, il parut à Berlin une caricature où on le voyait entre ses deux conseillers, dont l’un lui présentait une épée, tandis que l’autre, le tirant par la basque, lui glissait dans la main un bonnet de nuit. Un fait cité par Hardenberg prouve combien Frédéric-Guillaume III dépendait peu des conseils de ses ministres. Quand les Français, au mois de juin 1803, s’emparèrent du Hanovre sous le commandement du général Mortier et occupèrent non-seulement le cours du Weser, mais les bords de l’Elbe et Cuxhafen, l’empereur Alexandre proposa au roi de Prusse de signer avec lui une convention militaire en vertu de laquelle ils auraient fait avancer une armée sur l’Elbe et sommé les Français d’évacuer leur nouvelle conquête, Malgré les sympathies françaises qu’on lui attribuait, le comte Haugwitz appuyait chaudement ce projet ; toutes ses sollicitations ne purent triompher de la résistance du roi, qui bientôt après se rendit à Ansbach. Hardenberg était le seul de ses ministres qui s’y trouvât avec lui ; le roi ne daigna ni prendre ses avis, ni le mettre au fait, et il déclara, par un ordre de cabinet, qu’il resterait fidèle à sa politique d’isolément ; et qu’aussi longtemps qu’un de ses sujets n’aurait pas été tué sur le territoire prussien, il se tiendrait à l’écart de toute querelle.

Sans doute Frédéric-Guillaume III aimait à consulter, il consultait tout le monde, il avait même la manie des conférences, et il s’ensuivait que d’habitude ses secrets étaient mal gardés ; mais son parti était toujours pris d’avarice. Cherchait-on à l’en ramener, il était inépuisable en argumens bons ou mauvais pour se démontrer à lui-même qu’il avait raison et pour écarter toutes les mesures qu’on lui proposait. Le conseiller de cabinet Lombard écrivait un jour à Hardenberg : « Le roi. est inquiet, comme toujours dans les temps de crise. Par un contraste singulier, il a alors, avec un attachement invincible à son idée, le besoin d’écouter tout le monde. » Il écoutait, mais il n’en faisait qu’à sa tête. Au reste sa façon de consulter était particulière et peu propre à encourager la franchise. Lorsque les Français se permirent d’enlever nuitamment près de Hambourg le chargé d’affaires anglais Rumbold, qui était accrédité auprès de Frédéric-Guillaume III, ce rapt d’ambassadeur le scandalisa justement. Il écrivit au comte Haugwitz : « J’ai demandé satisfaction à Bonaparte de la lésion de la neutralité ; s’il ne l’accorde point, que doit faire la Prusse ? . » Il y a plusieurs personnes qui votent en faveur de la guerre, moi pas. » Ce moi pas était significatif, remarque Hardenberg, et le roi l’avait souligné de sa main.

Ses ministres n’étaient que des commis, qui, dans mainte circonstance, avaient peine à l’approcher et en étaient réduits trop souvent à lui adresser des mémoires écrits. Des mesures importantes étaient prises sans qu’ils en eussent connaissance. Les seuls confidens intimes du roi étaient les conseillers irresponsables dont se composait son cabinet privé et qui s’arrangeaient pour être toujours de son avis. Ils se permettaient quelquefois de communiquer et de traiter directement avec les envoyés des puissances à Berlin. On peut juger de la complication que cela mettait dans les affaires ; mais cette complication plaisait au roi, et à peine lui suffisait-elle ; ce malade avait le goût des maladies compliquées. Hardenberg avait pris l’intérim des affaires étrangères ; quand expira le congé du comte Haugwitz, le roi les pria l’un et l’autre de rester en charge, il lui convenait d’avoir deux ministres des affaires étrangères. Hardenberg refusa obstinément cette moitié de portefeuille qu’on lui offrait ; il n’en demeura pas moins ministre occulte par la volonté de son souverain. A l’insu du comte Haugwitz, il eut la conduite. des négociations importantes qu’on venait d’entamer avec la cour de Saint-Pétersbourg ; il communiquait avec le roi par l’entremise du directeur des postes, et quand il avait besoin de le voir, il obtenait des audiences secrètes dans les appartemens de la reine. L’Europe n’a revu depuis rien de pareil, elle a vu toutefois quelque chose d’approchant.

On a dit de Napoléon III qu’il avait pratiqué jusqu’au bout le gouvernement personnel, mais que dans les dernières années de son règne il n’y avait plus personne. On a dit aussi qu’après avoir été son propre médecin, s’étant trompé dans plusieurs cas d’une incontestable gravité, il s’était pris à douter de lui-même et s’était abandonné aux empiriques. Frédéric-Guillaume III était quelqu’un ; la preuve en est qu’il a grandi dans le malheur et qu’ayant appris à douter de lui-même, il s’est livré non aux empiriques, mais à d’excellens médecins, qui ont pansé et guéri les plaies de son pays. Il n’en est pas moins vrai que son gouvernement personnel attira sur la Prusse des malheurs qui semblèrent irréparables. Passe encore s’il avait pu s’entendre avec lui-même ; mais il y avait en lui des hommes différens qui se disputaient, un prince bien intentionné, désireux d’assurer longtemps à ses sujets tous les avantages de la paix, un père de famille très attentif à sa cassette, s’appliquant à refaire le trésor amassé par son grand-oncle et dissipé par son prédécesseur, un vrai roi de Prusse préoccupé de s’arrondir et en même temps soucieux de sa réputation et du qu’en dira-t-on. Il se faisait scrupule de recevoir des présens d’une main révolutionnaire, d’abord parce que cela blessait sa conscience, ensuite parce que cette main prenante ne donnait pas assez. Lorsqu’il eut accepté de Napoléon, en échange de Clèves, d’Ansbach et de Neuchatel, le Hanovre ; patrimoine des rois d’Angleterre et objet de ses plus chères convoitises, il était à la fois content et mécontent, et, ce fut avec une parfaite sincérité qu’il écrivit plus tard à Napoléon : « L’acquisition répugnait à mes principes, et le sacrifice déchirait mon cœur. » Frédéric-Guillaume III aimait à parler de son cœur, c’est encore une tradition de famille. N’oublions pas « qu’il se défiait de ses forces, que le terrible Napoléon l’effrayait, qu’il avait le pressentiment des malheurs qui lui étaient réservés. » — « Combien de fois, décrie Hardenberg, n’a-t-il pas maudit sa haute situation, soupiré après l’obscure destinée d’un simple particulier ! « Les flatteurs, les courtisans, les adjudans et les conseillers secrets, le désaccord entre le cabinet ou la cabale et le ministère, une politique louvoyante, honnête dans ses principes, louche dans sa conduite, une passion dangereuse pour les échappatoires, pour les biais, pour les moyens termes, pour les demi-mesures, voilà ce qui perdit la Prusse. Le 5 février 1806, Frédéric-Guillaume III commençait une lettre à Napoléon par ces mots : « Monsieur mon frère, je ne sais rien être à demi. » Hardenberg obtint que cette phrase malencontreuse fût biffée. Il ajoute en note : « Comment faire sortir ainsi le roi de son caractère, lui faire dire qu’il n’est rien à demi ? »

Il faut lire dans les Mémoires le détail minutieux, aussi instructif qu’intéressant, de toutes les négociations entreprises par le roi de Prusse. Il passait sa vie à traiter successivement ou simultanément avec la Russie et avec la France, concertant avec chacune d’elles la conduite à tenir dans tel cas donné, et se berçant de l’espoir que ce cas ne se présenterait jamais. Il transpirait toujours quelque chose de ces négociations secrètes, les défiances allaient croissant à Saint-Pétersbourg comme à Paris, et de plus en plus la politique prussienne, si désireuse de ne point se compromettre, se faisait une réputation de duplicité, s’attirait dans toute l’Europe un discrédit qui devait lui être fatal. Un habile qui fait des dupes y trouve son compte ; mais on se moque des gouvernemens qui, en biaisant, se dupent eux-mêmes. Le machiavélisme de l’irrésolution n’inspire ni crainte, ni respect, et c’est un triste marché que de renoncer à être respectable, quand on n’est pas en état de se faire craindre.

Ce fut en 1805 surtout que la politique prussienne poussa ses contradictions jusqu’au scandale. Le roi entrait dans de violentes colères à la seule pensée qu’on pût lui demander de se joindre à la troisième coalition. « Plus la tempête approchait, plus il éprouvait le besoin de ne rien faire. » Il appréhendait les sollicitations de la Russie, il avait résolu de ne point se rendre à l’entrevue que l’empereur Alexandre lui avait proposée, et qu’il n’avait pas osé refuser. Le 3 octobre, Hardenberg reçut un billet et une nouvelle qui le jetèrent dans une étrange surprise ; le conseiller de cabinet Beyme lui manda que le roi souffrait depuis quatre semaines d’un mal de pied fort douloureux, qui, par intervalles, l’empêchait de marcher. Il comprit sur-le-champ ce que cela voulait dire, que c’était « un prétexte préparé pour ne pas aller à l’entrevue. » Il représenta au roi qu’il risquait de s’aliéner à jamais l’affection de l’empereur Alexandre, que personne ne prendrait au sérieux son mal de pied ; il se heurta contre une opiniâtre résistance. Tout à coup survint un incident. Une des colonnes françaises qui traversaient l’Allemagne du midi à grandes journées, pour tomber sur le flanc de l’armée autrichienne se permit de violer le territoire de la principauté d’Ansbach, laquelle faisait partie des possessions prussiennes en Franconie. Le roi s’en indigna ; ses impressions étaient vives, et, dans le premier moment, il aurait voulu que Hardenberg donnât sur l’heure aux envoyés français l’ordre de quitter Berlin. De ce jour, il se décida à entrer dans la coalition ; mais, le naturel reprenant le dessus, il tâcha de gagner du temps, et, par son ordre, ses ministres, comme le dit Hardenberg, durent « épuiser toutes les cascades de la diplomatie. » Dans le mémoire préparé par Lombard pour servir de canevas au roi dans ses entretiens avec l’empereur Alexandre, on déclare « que la Prusse n’a jamais méconnu ni les atteintes portées par la France à la foi des traités, ni le droit qu’avaient les puissances d’en faire justice les armes à la main, que dans ce temps le mal n’était pas encore parvenu à ce comble où l’examen est un mal de plus, que tout a changé, que l’examen est devenu inutile, que la Prusse se flatterait en vain d’un autre avenir que celui de tant d’états successivement envahis ou blessés, que son honneur au surplus réclame une satisfaction éclatante, qu’elle sent trop désormais l’insuffisance des demi-mesures, qu’elle consacre à la défense de la cause commune 180,000 hommes et au-delà, s’il le faut, mais qu’elle doit être conséquente jusque dans l’emploi de ces moyens, et constater par le mode de sa coopération la fermeté de ses principes, et que c’est seulement comme médiateur armé que le roi entrera d’abord en scène. » — « La fermeté des principes, s’écrie à ce propos Hardenberg, c’était l’opiniâtreté dans le système de tergiversation et de faiblesse ; ne sont-ce pas encore les demi-mesures qui nous ont perdus ? nous avons rassemblé 180,000 hommes pour ne rien faire. »

On sait le reste. Frédéric-Guillaume III poussa si bien le temps avec l’épaule que Napoléon eut le loisir d’écraser l’Autriche et la Russie à Austerlitz, et que le comte Haugwitz, expédié de Berlin pour lui signifier une sommation, n’eut garde de s’acquitter de son message et revint de Schœnbrunn en rapportant à son maître un traité d’alliance offensive et défensive avec la France, dont le prix était le Hanovre. Le roi trouva bon ce que son ministre avait fait, et, par raison d’économie, il s’empressa de remettre son armée sur le pied de paix. Cette défaillance et ce revirement produisirent dans toute l’Europe une vive sensation. C’est à ce sujet que Joseph de Maistre écrivait de Saint-Pétersbourg « qu’il fallait acheter la Prusse tout uniment comme on achète le travail d’un ouvrier. » — « La Prusse, disait Fox au baron Jacobi, se rend complice des oppressions auxquelles se livre Bonaparte ; il est impossible de regarder ces sortes d’échanges autrement que comme des voleries. » Et le 25 avril 1806, ce même Fox s’écriait dans le parlement : « La Hollande et d’autres puissances ont été contraintes par la peur à faire des cessions de territoire à la France, mais aucune autre puissance que la Prusse n’a été poussée par la peur à commettre des vols ou des spoliations sur ses voisins, to commit robberies or spoliations on its neighbours. C’est par là que la maison de Brandenbourg se distingue de toutes les autres. Nous ne pouvons nous empêcher de regarder avec quelque pitié mêlée à beaucoup de mépris’ une monarchie qui peut alléguer qu’elle en est réduite à de pareilles nécessités. C’est l’union de tout ce qu’il y a de méprisable dans la servilité avec tout ce qui est odieux dans la rapacité. »

Les inconséquences de la politique prussienne n’avaient pas seulement pour effet de révolter l’Europe, elles encourageaient Napoléon à tout oser, à tout se permettre avec le cabinet de Berlin, qu’il renonçait de plus en plus à ménager. Comme le comte de Goltz l’écrivait à Hardenberg, le vainqueur d’Austerlitz « n’avait offert à la Prusse l’appât de l’acquisition du Hanovre que pour la perdre en la brouillant avec ses meilleurs amis. » Frédéric-Guillaume III avait ratifié le traité, mais avec des réserves ; il ne désespérait pas d’obtenir davantage ou tout au moins de pouvoir acquérir le Hanovre sans se dessaisir de la principauté d’Ansbach, et il écrivait à Napoléon : « Je souffre de devoir sacrifier une province qui fut le berceau de ma famille… et qui enfin sous le rapport des intérêts réels et des affections m’est également précieuse. » Napoléon profitait de ses hésitations pour rendre le traité plus onéreux, et la Prusse n’obtenait plus le Hanovre qu’à la condition de fermer aux Anglais les bouches du Weser et de l’Elbe ; c’était se mettre en guerre avec eux, et en peu de temps ils lui capturèrent plusieurs centaines de bâtimens de commerce. Encore ce Hanovre si chèrement acheté, était-on bien sûr de le garder ? Pitt venait de mourir, Napoléon pensait sérieusement à conclure la paix avec l’Angleterre, et Talleyrand déclarait en son nom à lord Yarmouth qu’on était prêt à restituer le Hanovre à George III, quitte à chercher quelque compensation pour la Prusse. Bientôt on créait la confédération du Rhin, placée sous la protection de la France, sans daigner s’en expliquer avec le gouvernement prussien ; on l’engageait pour la forme à créer de son côté une confédération des états du nord de l’Allemagne ; mais on lui interdisait d’y faire entrer les villes hanséatiques, et sous main on agissait sur la Saxe et sur la cour de Cassel pour qu’elles fissent la sourde oreille aux appels qui leur viendraient de Berlin. On ne laissait pas de multiplier les déclarations rassurantes ; mais le comte Haugwitz, désabusé, avait écrit de Paris dès le 8 février 1806. « Je ne puis me défendre du soupçon qu’on gagne du temps pour faire prendre aux armées françaises des positions alarmantes pour la sûreté de la Prusse. »

Dans l’intervalle, on employait, pour préparer l’opinion publique aux événemens, des procédés qui ont été appliqués souvent depuis et tout récemment encore ; tel procédé qu’on croit original n’est qu’un plagiat, un emprunt fait à la politique napoléonienne. Le gouvernement français faisait rédiger à Paris et se faisait adresser de Cassel ou de Mannheim des lettres qui étaient insérées au Moniteur, et dans lesquelles on signalait le mauvais vouloir, l’aigreur de la presse allemande à l’égard de la France. On se plaignait de tel article paru dans la Gazette de Bayreuth, et on ajoutait « que la Gazette de Wesel ne paraissait pas dirigée dans un meilleur esprit, qu’évidemment M. de Hardenberg inspirait ou dictait lui-même les articles de ces journaux, que sans doute tout ce que pouvaient dire les gazettes prussiennes était très indifférent à la France, mais qu’il était bon de constater que la faction anglaise levait la tête en Prusse comme ailleurs. » L’occasion était bonne pour parler de « la pluie d’or » que l’Angleterre répandait sur les journalistes allemands, dont la plupart cependant lui étaient peu favorables. « Si l’Angleterre, remarque à ce propos Hardenberg, avait réellement ajouté à tant de sommes dépensées en subsides inutiles 200,000 livres sterling à distribuer aux diligens écrivains allemands qui s’efforcent d’ameuter l’opinion publique contre elle, on aurait vu tout l’effet que peut produire l’argent anglais sur des auxiliaires de cette espèce. » Le 8 février 1806, le comte Haugwitz énumérait dans une dépêche adressée de Paris « tous les griefs que Napoléon croyait être autorisé à avoir contre la Prusse et qui consistaient principalement dans un tas de petites choses, l’esprit des gazettes et les propos de société. » Hélas ! Napoléon Ier s’est chargé de tout apprendre à ses ennemis et aux héritiers de ses ennemis, la guerre, la politique, la diplomatie, la science des faiblesses humaines, l’art de les exploiter, de combiner la ruse avec les abus de la force et de mettre les moyens révolutionnaires au service d’une ambition dynastique, tout enfin jusqu’au parti, qu’un habile homme peut tirer « d’un tas de petites choses. »

Quand le bruit se répandit à la cour de Frédéric-Guillaume III que Napoléon se proposait de restituer le Hanovre à l’Angleterre, la coupe des amertumes déborda, et le 11 août, à la suite d’une dépêche reçue de Paris, la mobilisation fut décidée. À la politique des tergiversations succédait la politique des résolutions précipitées. La Prusse se croyait prête, elle ne l’était pas. Les incapacités les plus notoires occupaient les premiers postes, le désordre régnait dans toutes les têtes. Le président Haenlein écrivait à Hardenberg le 24 août : « Il faut pleurer sur tout ce qu’on voit et ce qu’on entend, cela passe toute idée. » Le 17 septembre, le roi parlait de ses alliances à son ex-ministre des affaires étrangères ; il en était certain, plus que certain, et il comptait dans le nombre l’alliance de la Grande-Bretagne, avec qui il était en guerre, celle de l’Autriche, qui lui fit défaut, celle de la Russie, qui n’était que préparée ; il ne reçut qu’après les batailles d’Auerstaedt et d’Iéna la réponse à la lettre par laquelle il avait demandé 60,000 hommes à l’empereur Alexandre. La 26 septembre, il écrivit de Naumburg à Napoléon une fière et noble déclaration, qui se terminait par ces mots : « Plaise au ciel que nous puissions nous entendre sur des bases qui vous laissent toute votre gloire, mais qui laissent aux autres peuples leur honneur et qui fassent finir pour l’Europe cette fièvre de crainte et d’attente, au milieu de laquelle personne ne peut compter sur l’avenir ni calculer ses devoirs. » Cette déclaration était conçue en des termes dont la franchise pouvait paraître offensante, et pourtant Frédéric-Guillaume III nourrissait l’espoir que l’acte d’énergie qu’il venait de hasarder imposerait à Napoléon, que ce terrible homme demanderait à ouvrir des négociations. L’aigle qui prend son vol pour fondre sur sa proie s’amuse-t-il à négocier ? À la vérité, le ministre de France à Berlin, Laforest, affirmait que, quand les deux quartiers-généraux se seraient rapprochés, on échangerait des explications qui arrêteraient tout. Lorsqu’il se présenta au quartier prussien, il fut hébergé par le duc de Brunswick, qui le reçut chapeau bas et lui offrit l’hospitalité. Comme le roi, le généralissime de l’armée prussienne s’obstinait à ne pas désespérer de la paix ; ils connaissaient bien peu et la situation et leur ennemi. Napoléon avait déjà tiré du fourreau cette épée dont les rapidités déroutaient tous les calculs et qui visait toujours au cœur.

Ne peut-on pas appliquer à la bataille d’Iéna la réflexion qu’inspirait à M. Thiers le désastre de Sedan ? Les grandes victoires qui décident en quelques heures du sort d’un pays, disait-il un jour, sont remportées moins par une armée sur une autre que par un gouvernement habile et prévoyant sur un gouvernement aveugle et maladroit, qui joint les emportemens aux faiblesses.


G. Valbert.


  1. Denkwürdigkeiten des Staatskanzlers Fürsten van Hardenberg, herausgegeben von Leopold Ranke ; Leipzig, Duncker et Humblot, 1877, 4 vol. in-8o.