Les Météores (éd. Cousin)

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Œuvres de Descartes, Texte établi par Victor CousinF. G. Levraulttome V (p. 157-308).

LES MÉTÉORES.

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DISCOURS PREMIER.

DE LA NATURE DES CORPS TERRESTRES.

Nous avons naturellement plus d’admiration pour les choses qui sont au-dessus de nous que pour celles qui sont à pareille hauteur, ou au-dessous ; et quoique les nues n’excèdent guère les sommets de quelques montagnes, et qu’on en voie même souvent de plus basses que les pointes de nos clochers, toutefois, à cause qu’il faut tourner les yeux vers le ciel pour les regarder, nous les imaginons si relevées, que même les poëtes et les peintres en composent le trône de Dieu, et font que là il emploie ses propres mains à ouvrir et fermer les portes des vents, à verser la rosée sur les fleurs, et à lancer la foudre sur les rochers. Ce qui me fait espérer que si j’explique ici leur nature, en telle sorte qu’on n’ait plus occasion d’admirer rien de ce qui s’y voit, ou qui en descend, on croira facilement qu’il est possible en même façon de trouver les causes de tout ce qu’il y a de plus admirable dessus la terre.

Je parlerai en ce premier discours de la nature des corps terrestres en général, afin de pouvoir mieux expliquer dans le suivant celle des exhalaisons et des vapeurs. Puis à cause que ces vapeurs s’élevant de l’eau de la mer forment quelquefois du sel au-dessus de sa superficie, je prendrai de là occasion de m’arrêter un peu à le décrire, et d’essayer en lui si on peut connaître les formes de ces corps que les philosophes disent être composés des éléments par un mélange parfait, aussi bien que celles des météores, qu’ils disent n’en être composés que par un mélange imparfait. Après cela, conduisant les vapeurs par l’air, j’examinerai d’où viennent les vents ; et les faisant assembler en quelques endroits, je décrirai la nature des nues ; et faisant dissoudre ces nues, je dirai ce qui cause la pluie, la grêle et la neige, où je n’oublierai pas celle dont les parties ont la figure de petites étoiles à six pointes très parfaitement compassées, et qui, bien qu’elle n’ait point été observée par les anciens, ne laisse pas d’être l’une des plus rares merveilles de la nature. Je n’oublierai pas aussi les tempêtes, le tonnerre, la foudre, et les divers feux qui s’allument en l’air, ou les lumières qui s’y voient ; mais, surtout, je tâcherai de bien dépeindre l’arc-en-ciel, et de rendre raison de ses couleurs, en telle sorte qu’on puisse aussi entendre la nature de toutes celles qui se trouvent en d’autres sujets ; à quoi j’ajouterai la cause de celles qu’on voit communément dans les nues, et des cercles qui environnent les astres, et enfin la cause des soleils, ou des lunes, qui paraissent quelquefois plusieurs ensemble.

Il est vrai que la connaissance de ces choses dépendant des principes généraux de la nature, qui n’ont point encore été, que je sache, bien expliqués, il faudra que je me serve, au commencement, de quelques suppositions, ainsi que j’ai fait en la Dioptrique ; mais je tâcherai de les rendre si simples et si faciles, que vous ne ferez peut-être pas difficulté de les croire, encore que je ne les aie point démontrées.

Je suppose premièrement que l’eau, la terre, l’air, et tous les autres tels corps qui nous environnent, sont composés de plusieurs petites parties de diverses figures et grosseurs, qui ne sont jamais si bien arrangées, ni si justement jointes ensemble, qu’il ne reste plusieurs intervalles autour d’elles ; et que ces intervalles ne sont pas vides, mais remplis de cette matière fort subtile, par l’entremise de laquelle j’ai dit ci-dessus que se communiquait l’action de la lumière. Puis, en particulier, je suppose que les petites parties dont l’eau est composée sont longues, unies et glissantes, ainsi que de petites anguilles, qui, quoiqu’elles se joignent et s’entrelacent, ne se nouent ni ne s’accrochent jamais pour cela en telle façon qu’elles ne puissent aisément être séparées ; et au contraire que presque toutes celles, tant de la terre que même de l’air, et de la plupart des autres corps, ont des figures fort irrégulières et inégales, en sorte qu’elles ne peuvent être si peu entrelacées qu’elles ne s’accrochent et se lient les unes aux autres, ainsi que font les diverses branches des arbrisseaux qui croissent ensemble dans une haie ; et lorsqu’elles se lient en cette sorte, elles composent des corps durs comme de la terre, du bois, ou autres semblables, au lieu que si elles sont simplement posées l’une sur l’autre, sans être que fort peu ou point du tout entrelacées, et qu’elles soient avec cela si petites qu’elles puissent être mues et séparées par l’agitation de la matière subtile qui les environne, elles doivent occuper beaucoup d’espace, et composer des corps liquides fort rares et fort légers, comme des huiles ou de l’air. De plus il faut penser que la matière subtile qui remplit les intervalles qui sont entre les parties de ces corps est de telle nature qu’elle ne cesse jamais de se mouvoir çà et là grandement vite, non point toutefois exactement de même vitesse, en tous lieux et en tous temps, mais qu’elle se meut communément un peu plus vite vers la superficie de la terre, qu’elle ne fait au haut de l’air où sont les nues, et plus vite vers les lieux proches de l’équateur, que vers le pole, et au même lieu plus vite l’été que l’hiver, et le jour que la nuit. Dont la raison est évidente, en supposant que la lumière n’est autre chose qu’un certain mouvement, ou une action dont les corps lumineux poussent cette matière subtile de tous côtés autour d’eux en ligne droite, ainsi qu’il a été dit en la Dioptrique. Car il suit de là que les rayons du soleil tant droits que réfléchis, la doivent agiter davantage le jour que la nuit, et l’été que l’hiver, et sous l’équateur que sous les poles, et contre la terre que vers les nues. Puis il faut aussi penser que cette matière subtile est composée de diverses parties qui bien qu’elles soient toutes très petites, le sont toutefois beaucoup moins les unes que les autres, et que les plus grosses, ou, pour mieux parler, les moins petites, ont toujours le plus de force, ainsi que généralement tous les grands corps en ont plus que les moindres, quand ils sont autant ébranlés. Ce qui fait que moins cette matière est subtile, c’est-à-dire composée de parties moins petites, plus elle peut agiter les parties des autres corps ; et ceci fait aussi qu’elle est ordinairement le moins subtile aux lieux et aux temps où elle est le plus agitée, comme vers la superficie de la terre que vers les nues, et sous l’équateur que sous les poles, et en été qu’en hiver, et de jour que de nuit. Dont la raison est que les plus grosses de ses parties, ayant le plus de force, peuvent le mieux aller vers les lieux où, l’agitation étant plus grande, il leur est aisé de continuer leur mouvement. Toutefois il y en a toujours quantité de fort petites qui se coulent parmi ces plus grosses ; et il est à remarquer que tous les corps terrestres ont bien des pores par où ces plus petites peuvent passer, mais qu’il y en a plusieurs qui les ont si étroits ou tellement disposés, qu’ils ne reçoivent point les plus grosses, et que ce sont ordinairement ceux-ci qui se sentent les plus froids quand on les touche, ou seulement quand on s’en approche. Comme d’autant que les marbres et les métaux se sentent plus froids que le bois, on doit penser que leurs pores ne reçoivent pas si facilement les parties moins subtiles de cette matière, et que les pores de la glace les reçoivent encore moins facilement que ceux des marbres ou des métaux, d’autant qu’elle est encore plus froide. Car je suppose ici que, pour le froid et le chaud, il n’est point besoin de concevoir autre chose, sinon que les petites parties des corps que nous touchons, étant agitées plus ou moins fort que de coutume, soit par les petites parties de cette matière subtile, soit par telle autre cause que ce puisse être, agitent aussi plus ou moins les petits filets de ceux de nos nerfs qui sont les organes de l’attouchement ; et que lorsqu’elles les agitent plus fort que de coutume, cela cause en nous le sentiment de la chaleur, au lieu que, lorsqu’elles les agitent moins fort, cela cause le sentiment de la froideur. Et il est bien aisé à comprendre qu’encore que cette matière subtile ne sépare pas les parties des corps durs, qui sont comme des branches entrelacées, en même façon qu’elle fait celle de l’eau, et de tous les autres corps qui sont liquides, elle ne laisse pas de les agiter et faire trembler plus ou moins selon que son mouvement est plus ou moins fort, et que ses parties sont plus ou moins grosses ; ainsi que le vent peut agiter toutes les branches des arbrisseaux dont une palissade est composée, sans les ôter pour cela de leurs places. Au reste, il faut penser qu’il y a telle proportion entre la force de cette matière subtile et la résistance des parties des autres corps, que lorsqu’elle est autant agitée, et qu’elle n’est pas plus subtile qu’elle a coutume d’être en ces quartiers contre la terre, elle a la force d’agiter et de faire mouvoir séparément l’une de l’autre, et même de plier la plupart des petites parties de l’eau entre lesquelles elle se glisse, et ainsi de la rendre liquide ; mais que, lorsqu’elle n’est pas plus agitée ni moins subtile qu’elle a coutume d’être en ces quartiers au haut de l’air, ou qu’elle y est quelquefois en hiver contre la terre, elle n’a point assez de force, pour les plier et agiter en cette façon, ce qui est cause qu’elles s’arrêtent confusément jointe et posées l’une sur l’autre, et ainsi qu’elles composent un corps dur, à savoir de la glace ; en sorte que vous pouvez imaginer même différence entre de l’eau et de la glace, que vous feriez entre un tas de petites anguilles, soit vives, soit mortes, flottantes dans un bateau de pêcheur tout plein de trous par lesquels passe l’eau d’une rivière qui les agite, et un tas des mêmes anguilles toutes sèches et roides de froid sur le rivage. Et pourceque l’eau ne se gèle jamais que la matière qui est entre ses parties ne soit plus subtile qu’à l’ordinaire, de là vient que les pores de la glace qui se forment pour lors, ne s’accommodant qu’à la grosseur des parties de cette matière plus subtile, se disposent, en telle sorte qu’ils ne peuvent recevoir celle qui l’est moins ; et ainsi que la glace est toujours grandement froide, nonobstant qu’on la garde jusques à l’été, et même qu’elle retient alors sa dureté sans s’amollir peu à peu comme la cire, à cause que la chaleur ne pénètre au dedans qu’à mesure que le dessus devient liquide.

Il y a ici de plus à remarquer qu’entre les parties longues et unies dont j’ai dit que l’eau étoit composée, il y en a véritablement la plupart qui se plient ou cessent de se plier selon que la matière subtile qui les environne a quelque peu plus ou moins de force qu’à l’ordinaire, ainsi que je viens d’expliquer ; mais qu’il y en a aussi de plus grosses qui, ne pouvant ainsi être pliées, composent les sels ; et de plus petites qui, le pouvant être toujours, composent les esprits ou eaux-de-vie, qui ne se gèlent jamais. Et que lorsque celles de l’eau commune cessent du tout de se plier, leur figure la plus naturelle n’est pas en toutes d’être droites comme des joncs, mais en plusieurs d’être courbées en diverses sortes : d’où vient qu’elles ne peuvent pour lors se ranger en si peu d’espace que lorsque la matière subtile, étant assez forte pour les plier, leur fait accommoder leurs figures les unes aux autres. Il est vrai aussi que lorsqu’elle est plus forte qu’il n’est requis à cet effet, elle est cause derechef qu’elles s’étendent en plus d’espace, ainsi qu’on pourra voir par expérience si, ayant rempli d’eau chaude un matras, ou autre tel vase dont le col soit assez long et étroit, on l’expose à l’air lorsqu’il gèle : car cette eau s’abaissera visiblement peu à peu jusques à ce qu’elle soit parvenue à certain degré de froideur, puis s’enflera et se rehaussera aussi peu à peu jusqu’à ce qu’elle soit toute gelée : en sorte que le même froid qui l’aura condensée ou resserrée au commencement, la raréfiera par après. Et on peut voir aussi par expérience que l’eau qu’on a tenue long-temps sur le feu se gèle plus tôt que d’autre, dont la raison est que celles de ses parties qui peuvent le moins cesser de se plier s’évaporent pendant qu’on la chauffe.

Mais, afin que vous receviez toutes ces suppositions avec moins de difficulté, sachez que je ne conçois pas les petites parties des corps terrestres comme des atomes ou particules indivisibles, mais que, les jugeant toutes d’une même matière, je crois que chacune pourroit être redivisée en une infinité de façons, et qu’elles ne diffèrent entre elles que comme des pierres de plusieurs diverses figures qui auroient été coupées d’un même rocher. Puis sachez aussi que, pour ne point rompre la paix avec les philosophes, je ne veux rien du tout nier de ce qu’ils imaginent dans les corps de plus que je n’ai dit, comme leurs formes substantielles, leurs qualités réelles, et choses semblables, mais qu’il me semble que mes raisons devront être d’autant plus approuvées que je les ferai dépendre de moins de choses.


DISCOURS SECOND.

DES VAPEURS ET DES EXHALAISONS.


Si vous considérez que la matière subtile qui est dans les pores des corps terrestres, étant plus fort agitée une fois que l’autre, soit par la présence du soleil, soit par telle autre cause que ce puisse être, agite aussi plus fort les petites parties de ces corps, vous entendrez facilement qu’elle doit faire que celles qui sont assez petites, et avec cela de telles figures ou en telle situation qu’elles se peuvent aisément séparer de leurs voisines, s’écartent çà et là les unes des autres et s’élèvent en l’air ; non point par quelque inclination qu’elles aient à monter, ou que le soleil ait en soi quelque force qui les attire, mais seulement à cause qu’elles ne trouvent point d’autre lieu dans lequel il leur soit si aisé de continuer leur mouvement, ainsi que la poussière d’une campagne se soulève quand elle est seulement poussée et agitée par les pieds de quelque passant. Car, encore que les grains de cette poussière soient beaucoup plus gros et plus pesants que les petites parties dont nous parlons, ils ne laissent pas pour cela de prendre leur cours vers le ciel, et même on voit qu’ils y montent beaucoup plus haut lorsqu’une grande plaine est couverte de gens qui se remuent que lorsqu’elle n’est foulée que par un seul homme ; ce qui doit empêcher qu’on ne s’étonne de ce que l’action du soleil élève assez haut les petites parties de la matière dont se composent les vapeurs et les exhalaisons, vu qu’elle s’étend toujours en même temps sur toute une moitié de la terre et qu’elle y demeure les jours entiers. Mais remarquez que ces petites parties qui sont ainsi élevées en l’air par le soleil doivent, pour la plupart, avoir la figure que j’ai attribuée à celles de l’eau, à cause qu’il n’y en a point d’autres qui puissent si aisément être séparées des corps où elles sont. Et ce seront celles-ci seules que je nommerai particulièrement des vapeurs, afin de les distinguer des autres qui ont des figures plus irrégulières et auxquelles je restreindrai le nom d’exhalaisons, à cause que je n’en sache point de plus propre. Toutefois aussi, entre les exhalaisons, je comprendrai celles qui, ayant à peu près même figure que les parties de l’eau, mais étant plus subtiles, composent les esprits ou eaux-de-vie, à cause qu’elles peuvent facilement s’embraser ; et j’en exclurai celles qui, étant divisées en plusieurs branches, sont si subtiles qu’elles ne sont propres qu’à composer le corps de l’air. Pour celles qui, étant un peu plus grossières, sont aussi divisées en branches, il est vrai qu’elles ne peuvent guère sortir d’elles-mêmes des corps durs où elles se trouvent ; mais si quelquefois le feu s’éprend en ces corps, il les en chasse toutes en fumée. Et aussi, lorsque l’eau se glisse dans leurs pores, elle peut souvent les en dégager et les emporter en haut avec soi, en même façon que le vent, passant au travers d’une haie, emporte les feuilles ou les pailles qui se trouvent entrelacées entre ses branches ; ou plutôt comme l’eau même emporte vers le haut d’un alambic les petites parties de ces huiles que les alchimistes ont coutume de tirer des plantes sèches, lorsque les ayant abreuvées de beaucoup d’eau ils distillent le tout ensemble, et font par ce moyen que le peu d’huile qu’elles contiennent monte avec la grande quantité d’eau qui est parmi ; car, en effet, la plupart de celles-ci sont toutes les mêmes qui ont coutume de composer les corps de ces huiles. Remarquez aussi que les vapeurs occupent toujours beaucoup plus d’espace que l’eau, bien qu’elles ne soient faites que des mêmes petites parties. Dont la raison est que, lorsque ces parties composent le corps de l’eau, elles ne se meuvent qu’assez fort pour se plier et s’entrelacer en se glissant les unes contre les autres, ainsi que vous les voyez représentées vers A[1] ; au lieu que, lorsqu’elles ont la forme d’une vapeur, leur agitation est si grande qu’elles tournent en rond fort promptement de tous côtés, et s’étendent par même moyen de toute leur longueur, en telle sorte que chacune a la force de chasser d’autour de soi toutes celles de ses semblables qui tendent à entrer dans la petite sphère qu’elle décrit, ainsi que vous les voyez représentées vers B. Et c’est en même façon que, si vous faites tourner assez vite le pivot LM[2], au travers duquel est passée la corde NP, vous verrez que cette corde se tiendra en l’air toute droite et étendue, occupant par ce moyen tout l’espace compris dans le cercle NOPQ, en telle sorte qu’on n’y pourra mettre aucun autre corps qu’elle ne le frappe incontinent avec force pour l’en chasser ; au lieu que si vous la faites mouvoir plus lentement, elle s’entortillera de soi-même autour de ce pivot, et ainsi n’occupera plus tant d’espace.

De plus, il faut remarquer que ces vapeurs peuvent être plus ou moins pressées ou étendues, et plus ou moins chaudes ou froides, et plus ou moins transparentes ou obscures, et plus ou moins humides ou sèches une fois que l’autre. Car, premièrement, lorsque leurs parties, n’étant plus assez fort agitées pour se tenir étendues en ligne droite, commencent à se plier et se rapprocher les unes des autres, ainsi qu’elles sont représentées vers C[3] et vers D ; ou bien lorsque, étant resserrées entre des montagnes ou entre les actions de divers vents qui, étant opposés, s’empêchent les uns les autres d’agiter l’air ; ou au-dessous de quelques nues, elles ne se peuvent pas étendre en tant d’espace que leur agitation le requiert, comme vous les pouvez voir vers E ; ou enfin lorsque, employant la plus grande partie de leur agitation à se mouvoir plusieurs ensemble vers un même côté, elles ne tournoient plus si fort que de coutume, ainsi qu’elles se voient vers F ; ou sortant de l’espace E, elles engendrent un vent qui souffle vers G ; il est manifeste que les vapeurs qu’elles composent sont plus épaisses ou plus serrées que lorsqu’il n’arrive aucune de ces trois choses. Et il est manifeste aussi que, supposant la vapeur qui est vers E autant agitée que celle qui est vers B, elle doit être beaucoup plus chaude, à cause que ses parties, étant plus serrées, ont plus de force ; en même façon que la chaleur d’un fer embrasé est bien plus ardente que celle des charbons ou de la flamme. Et c’est pour cette cause qu’on sent souvent en été une chaleur plus forte et plus étouffante lorsque l’air, étant calme et comme également pressé de tous côtés, couve une pluie, que lorsqu’il est plus clair et plus serein. Pour la vapeur qui est vers C, elle est plus froide que celle qui est vers B, nonobstant que ses parties soient un peu plus serrées, d’autant que je les suppose beaucoup moins agitées. Et, au contraire, celle qui est vers D est plus chaude, d’autant que ses parties sont supposées beaucoup plus serrées et seulement un peu moins agitées. Et celle qui est vers F est plus froide que celle qui est vers E, nonobstant que ses parties ne soient ni moins serrées ni moins agitées ; d’autant qu’elles s’accordent plus à se mouvoir en même sens, ce qui est cause qu’elles ne peuvent tant ébranler les petites parties des autres corps ; ainsi qu’un vent qui souffle toujours de même façon, quoique très fort, n’agite pas tant les feuilles et les branches d’une forêt qu’un plus foible qui est moins égal. Et vous pourrez connoître par expérience que c’est en cette agitation des petites parties des corps terrestres que consiste la chaleur, si, soufflant assez fort contres vos doigts joints ensemble, vous prenez garde que l’haleine qui sortira de votre bouche vous semblera froide au-dessus de votre main, où, passant fort vite et d’égale force, elle ne causera guère d’agitation ; au lieu que vous la sentirez assez chaude dans les entre-deux de vos doigts, où, passant plus inégalement et lentement, elle agitera davantage leurs petites parties. Ainsi qu’on la sent aussi toujours chaude lorsqu’on souffle ayant la bouche fort ouverte, et froide lorsqu’on souffle l’ayant presque fermée. Et c’est pour la même raison qu’ordinairement les vents impétueux se sentent froids, et qu’il n’y en a guère de chauds qui ne soient lents.

De plus, les vapeurs représentées vers B, et vers E, et vers F, sont transparentes et ne peuvent être discernées par la vue d’avec le reste de l’air, d’autant que, se remuant fort vite et de même branle que la matière subtile qui les environne, elles ne la peuvent empêcher de recevoir l’action des corps lumineux, mais plutôt elles la reçoivent avec elle. Au lieu que la vapeur qui est vers C commence à devenir opaque ou obscure, à cause que ses parties n’obéissent plus tant à cette matière subtile qu’elles puissent être mues par elle en toutes façons. Et la vapeur qui est vers D ne peut être du tout si obscure que celle qui est vers C, à cause qu’elle est plus chaude : comme vous voyez qu’en hiver le froid fait paroître l’haleine ou la sueur des chevaux échauffés sous la forme d’une grosse fumée fort épaisse et obscure, au lieu qu’en été, que l’air est plus chaud, elle est invisible. Et on ne doit pas douter que l’air ne contienne souvent autant ou plus de vapeurs lorsqu’elles ne s’y voient aucunement que lorsqu’elles s’y voient ; car comment se pourroit-il faire sans miracle qu’en temps chaud et en plein midi le soleil, donnant sur un lac ou un marais, manquât d’en élever beaucoup de vapeurs, vu qu’on remarque même que pour lors les eaux se dessèchent et se diminuent beaucoup davantage qu’elles ne font en temps froid et obscur. Au reste, celles qui sont vers E sont plus humides, c’est-à·dire plus disposées à se convertir en eau et à mouiller ou humecter les autres corps comme fait l’eau, que celles qui sont vers F. Car celles·ci, tout au contraire, sont sèches, vu qu’allant frapper avec force les corps humides qu’elles rencontrent, elles en peuvent chasser et emporter avec soi les parties de l’eau qui s’y trouvent, et par ce moyen les dessécher. Comme aussi nous éprouvons que les vents impétueux sont toujours secs, et qu’il n’y en a point d’humides qui ne soient foibles. Et on peut dire que ces mêmes vapeurs qui sont vers E sont plus humides que celles qui sont vers D, à cause que leurs parties, étant plus agitées, peuvent mieux s’insinuer dans les pores des autres corps pour les rendre humides ; mais on peut dire aussi en un autre sens qu’elles le sont moins, à cause que la trop grande agitation de leurs parties les empêche de pouvoir prendre si aisément la forme de l’eau.

Pour ce qui est des exhalaisons, elles sont capables de beaucoup plus de diverses qualités que les vapeurs, à cause qu’il peut y avoir plus de différence entre leurs parties. Mais il suffira ici que nous remarquions que les plus grossières ne sont quasi autre chose que la terre telle qu’on la peut voir au fond d’un vase après y avoir laissé rasseoir de l’eau de neige ou de pluie, ni les plus subtiles autre chose que ces esprits ou eaux-de-vie qui s’élèvent toujours les premières des corps qu’on distille. Et qu’entre les médiocres les unes participent de la nature des sels volatils, et les autres de celle des huiles, ou plutôt des fumées qui en sortent lorsqu’on les brûle. Et, encore que la plupart de ces exhalaisons ne montent en l’air que mêlées avec les vapeurs, elles ne laissent pas de pouvoir aisément par après s’en séparer ; ou d’elles-mêmes, ainsi que les huiles se démêlent de l’eau avec laquelle on les distille ; ou aidées par l’agitation des vents qui les rassemblent en un ou plusieurs corps, en même façon que les villageoises, en battant leur crème, séparent le beurre du petit lait ; ou même souvent aussi par cela seul que, se trouvant plus ou moins pesantes et plus ou moins agitées, elles s’arrêtent en une région plus basse ou plus haute que ne font les vapeurs. Et d’ordinaire les huiles s’élèvent moins haut que les eaux-de-vie, et celles qui ne sont que terre encore moins haut que les huiles. Mais il n’y en a point qui s’arrêtent plus bas que les parties dont se compose le sel commun ; et, bien qu’elles ne soient pas proprement des exhalaisons ni des vapeurs, à cause qu’elles ne s’élèvent jamais que jusques au dessus de la superficie de l’eau, toutefois pourceque c’est par l’évaporation de cette eau qu’elles y viennent, et qu’il y a plusieurs choses en elles fort remarquables qui peuvent être commodément expliquées, je n’ai pas envie de les omettre.


DISCOURS TROISIÈME.

DU SEL.


La salure de la mer ne consiste qu’en ces plus grosses parties de son eau, que j’ai tantôt dit ne pouvoir être pliées comme les autres par l’action de la matière subtile, ni même agitées sans l’entremise des plus petites. Car, premièrement, si l’eau n’étoit composée de quelques parties ainsi que j’ai tantôt supposé, il lui seroit également facile ou difficile de se diviser en toutes façons et en tous sens, en sorte qu’elle n’entreroit pas si facilement qu’elle fait dans les corps qui ont des pores un peu larges, comme dans la chaux et dans le sable, ou bien elle pourroit aussi, en quelque façon, pénétrer en ceux qui les ont plus étroits, comme dans le verre et les métaux. Puis si ces parties n’avoient la figure que je leur ai attribuée lorsqu’elles sont dans les pores des autres corps, elles n’en pourroient pas si aisément être chassées par la seule agitation des vents ou de la chaleur, ainsi qu’on l’éprouve assez par les huiles ou autres liqueurs grasses, dont nous avons dit que les parties avoient d’autres figures ; car on ne les peut quasi jamais entièrement faire sortir des corps où elles sont une fois entrées. Enfin, pourceque nous ne voyons point de corps en la nature qui soient si parfaitement semblables entre eux qu’il ne se trouve presque toujours quelque peu d’inégalité en leur grosseur, nous ne devons faire aucune difficulté de penser que les parties de l’eau ne sont point exactement toutes égales, et particulièrement que dans la mer, qui est le réceptacle de toutes les eaux, il s’en trouve de si grosses qu’elles ne peuvent être pliées comme les autres par la force qui a coutume de les mouvoir. Et je veux tâcher ici de vous montrer que cela seul est suffisant pour leur donner toutes les qualités qu’a le sel. Premièrement ce n’est pas merveille qu’elles aient un goût piquant et pénétrant, qui diffère beaucoup de celui de l’eau douce ; car, ne pouvant être pliées par la matière subtile qui les environne, elles doivent toujours entrer de pointe dans les pores de la langue, et par ce moyen y pénétrer assez avant pour la piquer ; au lieu que celles qui composent l’eau douce coulant seulement par-dessus toutes couchées, à cause de la facilité qu’elles ont à se plier, n’en peuvent quasi point du tout être goûtées ; et les parties du sel ayant pénétré de pointe en même façon dans les pores des chairs qu’on veut conserver, non seulement en ôtent l’humidité, mais aussi sont comme autant de petits bâtons plantés çà et là entre leurs parties, où, demeurant fermes et sans se plier, elles les soutiennent et empêchent que les autres plus pliantes qui sont parmi, ne les désarrangent en les agitant, et ainsi ne corrompent le corps qu’elles composent ; ce qui fait aussi que ces chairs, par succession de temps, deviennent plus dures ; au lieu que les parties de l’eau douce, en se pliant et se glissant par-ci par-là dans leurs pores, pourroient aider à les ramollir et à les corrompre. De plus, ce n’est pas merveille que l’eau salée soit plus pesante que la douce, puisqu’elle est composée de parties qui, étant plus grosses et plus massives, peuvent s’arranger en moindre espace ; car c’est de là que dépend la pesanteur. Mais il est besoin de considérer pourquoi ces parties plus massives demeurent mêlées avec les autres qui le sont moins, au lieu qu’il semble qu’elles devroient naturellement aller au-dessous ; et la raison en est, au moins pour celles du sel commun, qu’elles sont également grosses par les deux bouts et toutes droites, ainsi qu’autant de petits bâtons ; car s’il y en a jamais eu dans la mer qui fussent plus grosses par un bout que par l’autre, ayant été par même moyen plus pesantes, elles ont eu tout loisir d’aller au fond depuis que le monde est ; ou, s’il y en a eu de courbées, elles ont eu loisir de rencontrer des corps durs, et se joindre à eux, à cause qu’étant une fois entrées dans leurs pores, elles n’auront pu si facilement en ressortir que celles qui sont égales et droites. Mais celles-ci, se tenant couchées de travers l’une sur l’autre, donnent moyen à celles de l’eau douce, qui sont en perpétuelle agitation, de se rouler et de s’entortiller autour d’elles, s’y arrangeant et s’y disposant en certain ordre qui fait qu’elles peuvent continuer à se mouvoir plus aisément et plus vite que si elles étoient toutes seules : car, lorsqu’elles sont ainsi roulées autour des autres, la force de la matière subtile qui les agite n’est employée qu’à faire qu’elles tournent fort promptement autour de celles qu’elles embrassent, et qu’elles passent ça et là de l’une sur l’autre, sans pour cela changer aucun de leurs plis ; au lieu qu’étant seules, comme elles sont lorsqu’elles composent l’eau douce, elles s’entrelacent nécessairement en telle sorte qu’il est besoin qu’une partie de cette force de la matière subtile soit employée à les plier, pour les dégager les unes des autres ; et ainsi elle ne les peut faire mouvoir pour lors facilement ni si vite. Étant donc vrai que ces parties de l’eau douce peuvent mieux se mouvoir étant roulées autour de celles du sel qu’étant seules, ce n’est pas merveille qu’elles s’y roulent lorsqu’elles en sont assez proches, et qu’après, les tenant embrassées, elles empêchent que l’inégalité de leur pesanteur ne les sépare. D’où vient que le sel se fond aisément en l’eau douce, ou seulement étant exposé à l’air en temps humide, et néanmoins qu’il ne s’en fond en une quantité d’eau déterminée que jusques à une quantité déterminée, à savoir autant que les parties pliantes de cette eau peuvent embrasser des siennes en se roulant autour d’elles. Et sachant que les corps qui sont transparents le sont d’autant plus qu’ils empêchent moins les mouvements de la matière subtile qui est dans leurs pores, on voit encore de ceci que l’eau de la mer doit être naturellement plus transparente et causer des réfractions un peu plus grandes que celles des rivières. Et on voit aussi qu’elle ne se doit pas geler si aisément, en sachant que l’eau ne se gèle que lorsque la matière subtile qui est entre ses parties n’a pas la force de les agiter ; et même on peut encore ici entendre la raison du secret pour faire de la glace en été, qui est l’un des plus beaux que sachent les curieux, encore qu’il ne soit pas des plus rares. Ils mettent du sel mêlé avec égale quantité de neige ou de glace pilée tout autour d’un vase plein d’eau douce ; et, sans autre artifice à mesure que ce sel et cette neige se fondent ensemble, l’eau qui est enfermée dans le vase devient glace. Dont la raison est que la matière subtile qui étoit autour des parties de cette eau, étant plus grossière ou moins subtile, et par conséquent ayant plus de force que celle qui étoit autour des parties de cette neige, va prendre sa place à mesure que les parties de la neige se roulent autour de celles du sel en se fondant ; car elle trouve plus de facilité à se mouvoir dans les pores de l’eau salée qu’en ceux de l’eau douce, et elle tend incessamment à passer d’un corps en l’autre pour entrer en ceux où son mouvement est le moins empêché ; au moyen de quoi la matière plus subtile, qui étoit dans la neige, entre dans l’eau pour succéder à celle qui en sort ; et pourcequ’elle n’a point assez de force pour y entretenir l’agitation de cette eau, cela est cause qu’elle se gèle. Mais l’une des principales qualités des parties du sel est qu’elles sont grandement fixes, c’est-à-dire qu’elles ne peuvent être élevées en vapeur ainsi que celles de l’eau douce. Dont la cause est non seulement qu’étant plus grosses elles sont plus pesantes, mais aussi qu’étant longues et droites, elles en peuvent être guère long-temps suspendues en l’air, soit qu’elles soient en action pour monter plus haut, soit pour en descendre, que l’un de leurs bouts ne se présente vers en bas, et ainsi qu’elles ne se tiennent en ligne perpendiculaire vers la terre : car, tant pour monter que descendre, il leur est bien plus aisé à diviser l’air étant en cette situation, qu’en aucune autre. Ce qui n’arrive point en même façon aux parties de l’eau douce, à cause qu’étant faciles à se plier, elles ne se tiennent jamais toutes droites, si ce n’est qu’elles tournent en rond avec vitesse, au lieu que celles du sel ne sauroient jamais guère tourner en cette sorte : car se rencontrant les unes les autres et se heurtant sans pouvoir se plier pour s’entre-céder, elles seroient incontinent contraintes de s’arrêter. Mais lorsqu’elles se trouvent suspendues en l’air, ayant une pointe en bas, comme j’ai dit, il est évident qu’elles doivent descendre plutôt que monter, à cause que la force qui les pourroit pousser vers en haut agit beaucoup moins que si elles étoient couchées de travers, et elle agit moins d’autant justement que la quantité de l’air qui résiste à leur pointe est plus petite que ne seroit celle qui résisteroit à leur longueur ; au lieu que leur pesanteur étant toujours égale, agit d’autant plus que cette résistance de l’air est plus petite. À quoi si nous ajoutons que l’eau de la mer s’adoucit quand elle traverse du sable, à cause que les parties du sel, faute de se plier, ne peuvent couler ainsi que font les parties de l’eau douce par les petits chemins détournés, qui sont autour des grains de ce sable, nous saurons que les fontaines et les rivières n’étant composées que des eaux qui ont été élevées en vapeurs, ou bien qui ont passé au travers de beaucoup de sable, ne doivent point être salées, et aussi que toutes ces eaux douces rentrant dans la mer ne la doivent point rendre plus grande ni moins salée ; d’autant qu’il en ressort continuellement autant d’autres, dont quelques unes s’élèvent en l’air changées en vapeurs, puis vont retomber en pluie ou en neige sur la terre ; mais la plupart pénétrant par des conduits souterrains jusques au-dessous des montagnes, d’où la chaleur qui est dans la terre les élevant aussi comme en vapeur vers leurs sommets, elles y vont remplir les sources des fontaines et des rivières. Et nous saurons aussi que l’eau de la mer doit être plus salée sous l’équateur que vers les poles, si nous considérons que le soleil y ayant beaucoup de force, en fait sortir beaucoup de vapeurs, lesquelles ne retombent point par après justement aux mêmes endroits d’où elles sont sorties, mais pour l’ordinaire en d’autres plus proches des poles, ainsi que vous entendrez mieux ci-après. Au reste, sinon que je n’ai pas envie de m’arrêter à expliquer particulièrement la nature du feu, j’ajouterois encore ici pourquoi l’eau de la mer est moins propre à éteindre les embrasements que celle des rivières, et pourquoi elle étincelle la nuit étant agitée ; car vous verriez que les parties du sel étant fort aisées à embraser à cause qu’elles sont comme suspendues entre celles de l’eau douce, et ayant beaucoup de force après être ainsi ébranlées, à cause qu’elles sont droites et inflexibles, peuvent non seulement augmenter la flamme lorsqu’on les y jette, mais aussi en causer d’elles-mêmes en s’élançant hors de l’eau où elles sont. Comme si la mer qui est vers A[4] étant poussée avec force vers C, y rencontre un banc de sable ou quelque autre obstacle qui la fasse monter vers B, le branle que cette agitation donne aux parties du sel peut faire que les premières qui viennent en l’air s’y dégagent de celles de l’eau douce qui les tenoient entortillées, et que, se trouvant seules vers B à certaine distance l’une de l’autre, elles y engendrent des étincelles assez semblables à celles qui sortent des cailloux quand on les frappe. Il est vrai qu’à cet effet il est requis que ces parties du sel soient fort droites et fort glissantes, afin qu’elles se puissent plus aisément séparer de celles de l’eau douce ; d’où vient que ni la saumure, ni l’eau de mer qui a été longtemps gardée en quelque vase, n’y sont pas propres. Il est requis aussi que celles de l’eau douce n’embrassent point trop étroitement celles du sel ; d’où vient que ces étincelles paroissent plus quand il fait chaud que quand il fait froid : et que l’agitation de la mer soit assez forte ; d’où vient qu’en même temps il ne sort pas du feu de toutes ses vagues : et enfin que les parties du sel se meuvent de pointe comme des flèches, et non de travers ; d’où vient que toutes les gouttes qui rejaillissent hors d’une même eau n’éclairent pas en même sorte.

Mais considérons maintenant comment le sel flotte sur l’eau quand il se fait, nonobstant que ses parties soient fort fixes et fort pesantes, et comment il s’y forme en petits grains qui ont une figure carrée, presque semblable à celle d’un diamant taillé en table, excepté que la plus large de leurs faces est un peu creusée. Premièrement il est besoin à cet effet que l’eau de la mer soit retenue en quelques fosses, pour éviter tant l’agitation continuelle des vagues que l’affluence de l’eau douce, que les pluies et les rivières amènent sans cesse en l’océan ; puis il est besoin aussi d’un temps chaud et sec, afin que l’action du soleil ait assez de force pour faire que les parties de l’eau douce, qui sont roulées autour de celles du sel, s’évaporent. Et il faut remarquer que la superficie de l’eau est toujours fort égale et unie, comme aussi celle de toutes les autres liqueurs ; dont la raison est que ses parties se remuent entre elles de même façon et de même branle, et que les parties de l’air qui la touchent se remuent aussi entre elles tout de même l’une que l’autre, mais que celles-ci ne se remuent pas de même façon ni de même mesure que celles-là : et particulièrement aussi que la matière subtile qui est autour des parties de l’air se remue tout autrement que celle qui est autour des parties de l’eau ; ce qui est cause que leurs superficies, en se frottant l’une contre l’autre, se polissent en même façon que si c’étoient deux corps durs, excepté que c’est beaucoup plus aisément, et presque en un instant, ponrceque leurs parties, n’étant attachées en aucune façon les unes aux autres, s’arrangent toutes dès le premier coup, ainsi qu’il est requis à cet effet. Et ceci est aussi cause que la superficie de l’eau est beaucoup plus malaisée à diviser que n’est le dedans, ainsi qu’on voit par expérience en ce que tous les corps assez petits, quoique de matière fort pesante, comme sont de petites aiguilles d’acier, peuvent flotter et être soutenues au-dessus lorsqu’elle n’est point encore divisée, au lieu que lorsqu’elle l’est ils descendent jusqu’au fond sans s’arrêter. Ensuite de quoi il faut considérer que, lorsque la chaleur de l’air est assez grande pour former le sel, elle peut non seulement faire sortir hors de l’eau de mer quelques unes des parties pliantes qui s’y trouvent et les faire monter en vapeur, mais aussi les y faire monter avec telle vitesse, qu’avant qu’elles aient eu le loisir de se développer d’autour de celles du sel, elles arrivent jusques au-dessus de la superficie de cette eau, où, les apportant avec soi, elles n’achèvent de s’en développer qu’après que le trou qu’elles ont fait en cette superficie pour en sortir s’est refermé, au moyen de quoi ces parties du sel y demeurent toutes seules flottantes dessus, comme vous les voyez représentées vers D[5] ; car, y étant couchées de leur long, elles ne sont point assez pesantes pour s’y enfoncer, non plus que les aiguilles d’acier dont je viens de parler, et elles la font seulement un peu courber et plier sous elles à cause de leur pesanteur, tout de même que font aussi ces aiguilles : de façon que les premières étant semées par-ci par-là sur cette superficie, y font plusieurs petites fosses ou courbures ; puis les autres qui viennent après, se trouvant sur les pentes de ces fosses, roulent et glissent vers le fond, où elles se vont joindre contre les premières. Et il faut particulièrement ici remarquer que, de quelque part qu’elles y viennent, elles se doivent coucher justement côte à côte de ces premières, comme vous les voyez vers E[6], au moins les secondes, et souvent aussi les troisièmes, à cause que par ce moyen elles descendent quelque peu plus bas qu’elles ne pourroient faire si elles demeuroient en quelque autre situation, comme en celle qui se voit vers F, ou vers G, ou vers H. Et le mouvement de la chaleur, qui ébranle toujours quelque peu cette superficie, aide à les arranger en cette sorte. Puis, lorsqu’il y en a ainsi en chaque fosse deux ou trois côte à côte l’une de l’autre, celles qui y viennent de plus se peuvent joindre encore à elles en même sens si elles s’y trouvent aucunement disposées ; mais s’il arrive qu’elles penchent davantage vers les bouts des précédentes que vers les côtés, elles se vont coucher de contre à angles droits, comme vous voyez vers K, à cause que par ce moyen elles descendent aussi un peu plus bas qu’elles ne pourroient faire si elles s’arrangeoient autrement, comme elles sont vers L, ou vers M. Et pourcequ’il s’en trouve à peu près autant qui se vont coucher contre les bouts des deux ou trois premières, que de celles qui se vont coucher contre leurs côtés, de là vient que, s’arrangeant ainsi plusieurs centaines toutes ensemble, elles forment premièrement une petite table qui, au jugement de la vue, paroît très carrée, et qui est comme la base du grain de sel qui commence à se former. Et il faut remarquer qu’y en ayant seulement trois ou quatre couchées en même sens, comme vers N, celles du milieu s’abaissent un peu plus que celles des bords ; mais qu’y en venant d’autres qui s’y joignent en travers, comme vers O, celles-ci aident aux autres des bords à s’abaisser presque autant que celles du milieu, et en telle sorte que la petite table carrée, qui sert de base à un grain de sel, se formant ordinairement de plusieurs centaines jointes ensemble, ne peut paroître à l’œil que toute plate, encore qu’elle soit `toujours tant soit peu courbée. Or, à mesure quel cette table s’agrandit, elle s’abaisse de plus en plus, mais si lentement qu’elle fait plier sous soi la superficie de l’eau sans la rompre. Et lorsqu’elle est parvenue à certaine grandeur, elle se trouve si fort abaissée que les parties du sel qui viennent de nouveau vers elle, au lieu de s’arrêter contre ses bords, passent par-dessus, et y roulent en même sens et en même façon que les précédentes rouloient sur l’eau, ce qui fait qu’elles y forment derechef une table carrée qui s’abaisse en même façon peu à peu ; puis les parties du sel qui viennent vers elle peuvent encore passer par-dessus, et y former une troisième table, et ainsi de suite. Mais il est à remarquer que les parties du sel qui forment la deuxième de ces tables ne roulent pas si aisément sur la première que celles qui ont formé cette première rouloient sur l’eau ; car elles n’y trouvent pas une superficie du tout si unie, ni qui les laisse couler si librement ; d’où vient que souvent elles ne roulent point jusqu’au milieu, qui, par ce moyen, demeurant vide, cette seconde table ne s’abaisse pas sitôt à proportion qu’avoit fait la première, mais devient un peu plus grande avant que la troisième commence à se former ; et derechef, le milieu de celle-ci demeurant vide, elle devient un peu plus grande que la seconde, et ainsi de suite, jusqu’à ce que le grain entier, qui se compose d’un grand nombre de telles petites tables posées l’une sur l’autre, soit achevé, c’est-à-dire jusques à ce que, touchant aux bords des autres grains voisins, il ne puisse devenir plus large. Pour ce qui est de la grandeur de la première table qui lui sert de base, elle dépend du degré de chaleur qui agite l’eau pendant qu’elle se forme, car plus l’eau est agitée, plus les parties du sel qui nagent dessus font plier sa superficie ; d’où vient que cette base demeure plus petite, et même l’eau peut être tant agitée, que les parties du sel iront au fond avant qu’elles aient formé aucuns grains. Pour le talus des quatre faces qui sortent des quatre côtés de cette base, il ne dépend que des causes déjà expliquées, lorsque la chaleur est égale pendant tout le temps que le grain est à se former ; mais si elle va en augmentant, ce talus en deviendra moindre, et au contraire plus grand si elle diminue, en sorte, que si elle augmente et diminue par intervalles, il se fera comme de petits échelons de long de ces faces. Et pour les quatre querres ou côtés qui joignent ces quatre faces, elles ne sont pas ordinairement fort aiguës ni fort unies ; car les parties qui se vont joindre aux côtés de ce grain s’y vont bien quasi toujours appliquer de long, comme j’ai dit ; mais pour celles qui vont rouler contre ces angles, elles s’y arrangent plus aisément en autre sens, à savoir comme elles sont représentées vers P[7] ; ce qui fait que ces querres sont un peu mousses et inégales, et que les grains de sel s’y fendent souvent plus aisément qu’aux autres lieux lieux, et aussi que l’espace vide qui demeure au milieu se fait presque rond plutôt que carré. Outre cela, pourceque les parties qui composent ces grains se vont joindre confusément, et sans autre ordre que celui que je viens d’expliquer, il arrive souvent que leurs bouts, au lieu de se toucher, laissent entre eux assez d’espace pour placer quelques parties de l’eau douce, qui s’y enferment et y demeurent pliées en rond, comme vous voyez vers R[8], pendant qu’elles ne s’y meuvent que moyennement vite; mais lorsqu’une fort violente chaleur les agite, elles tendent avec beaucoup de force à s’étendre et se déplier en même façon qu’il a tantôt été dit qu’elles font quand l’eau se dilate en vapeur, ce qui fait qu’elles rompent leurs prisons tout d’un coup et avec éclat. Et c’est la raison pourquoi les grains de sel étant entiers se brisent en sautant et pétillant quand on les jette dans le feu, et pourquoi ils ne font point le même étant mis en poudre, car alors ces petites prisons sont déjà rompues. De plus, l’eau de la mer ne peut être si purement composée des parties que j’ai décrites qu’il ne s’y en rencontre aussi quelques autres parmi qui sont de telle figure qu’elles ne laissent pas de pouvoir y demeurer encore qu’elles soient beaucoup plus déliées, et qui, s’allant engager entre les parties du sel lorsqu’il se forme, lui peuvent donner, et cette odeur de violette très agréable qu’a le sel blanc quand il est fraîchement fait, et cette couleur sale qu’a le noir, et toutes les autres variétés qu’on peut remarquer dans les sels, et qui dépendent des diverses eaux dont ils se forment. Enfin vous ne vous étonnerez pas de ce que le sel est si friable et si aisé à rompre comme il est, en pensant à la façon dont se joignent ses parties ; ni de ce qu’il est toujours blanc ou transparent étant pur, en pensant à leur grosseur et à la nature de la couleur blanche qui sera ci·après expliquée ; ni de ce qu’il se fond assez facilement sur le feu quand il est entier, en considérant qu’il y a plusieurs parties d’eau douce enfermées entre les siennes ; ni de ce qu’il se fond beaucoup plus difficilement étant bien pulvérisé et bien séché, en sorte qu’il n’y reste plus rien de l’eau douce, en remarquant qu’il ne se peut fondre étant ainsi seul, si ses parties ne se plient, et qu’elles ne peuvent que difficilement se plier. Car, encore qu’on puisse feindre qu’autrefois celles de la mer ont été toutes, par degrés, les unes plus pliantes, les autres moins, on doit penser que toutes celles qui ont pu s’entortiller autour de quelques autres se sont amollies depuis peu à peu, et rendues fort flexibles ; au lieu que celles qui ne sont point ainsi entortillées sont demeurées entièrement roides; en sorte qu’il y a maintenant en cela grande différence entre celles du sel et celles de l’eau douce ; mais les unes et les autres doivent être rondes, à savoir celles de l’eau douce comme des cordes, et celles du sel comme des cylindres ou des bâtons, à cause que tous les corps qui se meuvent en diverses façons et long-temps ont coutume de s’arrondir. Et on peut ensuite connoître quelle est la nature de cette eau extrêmement aigre et forte, qui peut soudre l’or, et que les alchimistes nomment l’esprit ou l’huile de sel ; car d’autant qu’elle ne se tire que par la violence d’un fort grand feu, ou du sel pur, ou du sel mêlé avec quelque autre corps fort sec et fort fixe, comme de la brique qui ne sert qu’à l’empêcher de se fondre, il est évident que ses parties sont les mêmes qui ont auparavant composé le sel, mais qu’elles n’ont pu monter par l’alambic, et ainsi de fixes devenir volatiles, sinon après qu’en se choquant les unes contre les autres, à force d’être agitées par le feu, de roides et inflexibles comme elles étoient, elles sont devenues faciles à plier, et par même moyen de rondes en forme de cylindres, elles sont devenues plates et tranchantes, ainsi que des feuilles de flambe ou de glaïeul ; car sans cela elles n’auroient pu se plier. Et ensuite il est aisé à juger la cause du goût qu’elles ont fort différent de celui du sel ; car se couchant de long sur la langue, et leurs tranchants s’appuyant contre les extrémités de ses nerfs, et coulant dessus en les coupant, elles les doivent bien agiter d’une autre sorte qu’elles ne faisoient auparavant, et par conséquent causer un autre goût, à savoir celui qu’on nomme le goût aigre. On pourroit ainsi rendre raison de toutes les autres propriétés de cette eau, mais la chose iroit à l’infini, et il sera mieux que, retournant à la considération des vapeurs, nous commencions à examiner Comment elles se meuvent dans l’air, et comment elles y causent les vents.


DISCOURS QUATRIÈME.

DES VENTS.


Toute agitation d’air qui est sensible se nomme vent, et tout corps invisible et impalpable se nomme air. Ainsi lorsque l’eau est fort raréfiée et changée en vapeur fort subtile, on dit qu’elle est convertie en air, nonobstant que ce grand air que nous respirons ne soit pour la plupart composé que de parties qui ont des figures fort différentes de celles de l’eau, et qui sont beaucoup plus déliées. Et ainsi l’air étant chassé hors d’un soufflet ou poussé par un éventail, se nomme vent, nonobstant que ces vents plus étendus qui règnent sur la surface de la mer et de la terre ne soient ordinairement autre chose que le mouvement des vapeurs qui, en se dilatant, passent du lieu où elles sont en quelque autre où elles trouvent plus de commodité de s’étendre, en même façon qu’on voit en ces boules nommées des éolipyles qu’un peu d’eau s’exhalant en vapeur fait un vent assez grand et assez fort à raison du peu de matière dont il se compose ; et pourceque ce vent artificiel nous peut beaucoup aider à entendre quels sont les naturels, il sera bon ici que je l’explique. ABCDE[9] est une boule de cuivre, ou autre telle matière, toute creuse et toute fermée, excepté qu’elle a une fort petite ouverture en l’endroit marqué D ; et la partie de cette boule ABC, étant pleine d’eau, et l’autre AEC étant vide, c’est—à—dire ne contenant que de l’air, on la met sur le feu ; puis la chaleur agitant les petites parties de l’eau, fait que plusieurs s’élèvent au-dessus de la superficie AC, où elles s’étendent et s’entre-poussent en tournoyant, et font effort pour s’écarter les unes des autres, en la façon ci—dessus expliquée ; et pourcequ’elles ne peuvent ainsi s’écarter qu’à mesure, qu’il en sort quelques unes par le trou D, toutes les forces dont elles s’entre-poussent conspirent ensemble à chasser par là toutes celles qui en sont les plus proches, et ainsi elles causent un vent qui souffle de là vers F. Et pourcequ’il y a toujours de nouvelles parties de cette eau qui, étant élevées par la chaleur au-dessus de cette superficie AC, s’étendent et s’écartent l’une de l’autre à mesure qu’il en sort par le trou D, ce vent ne cesse point que toute l’eau de cette boule ne soit exhalée, ou bien que la chaleur qui la fait exhaler n’ait cessé. Or les vents ordinaires qui règnent en l’air se font à peu près en même façon que celui-ci, et il n’y a principalement que deux choses en quoi ils diffèrent : la première est que les vapeurs dont ils se composent ne s’élèvent pas seulement de la superficie de l’eau comme en cette boule, mais aussi des terres humides, des neiges et des nues, d’où ordinairement elles sortent en plus grande abondance que de l’eau pure, à cause que leurs parties y sont déjà presque toutes déjointes et désunies, et ainsi d’autant plus aisées à séparer. La seconde est que ces vapeurs ne pouvant être renfermées en l’air, ainsi qu’en une éolipyle, sont seulement empêchées de s’y étendre également de tous côtés par la résistance de quelques autres vapeurs, ou de quelques nues, ou de quelques montagnes, ou enfin de quelque vent qui tend vers l’endroit où elles sont ; mais qu’en revanche il y a souvent ailleurs d’autres vapeurs qui, s’épaississant et se resserrant au même temps que celles-ci se dilatent, les déterminent à prendre leur cours vers l’espace qu’elles leur laissent. Comme, par exemple, si vous imaginez qu’il y a maintenant force vapeurs en l’endroit de l’air marqué F[10], qui se dilatent et tendent à occuper un espace incomparablement plus grand que celui qui les contient, et qu’au même temps il y en a d’autres vers G qui, se resserrant et se changeant en eau ou en neige, laissent, la plus grande part de l’espace où elles étoient, vous ne douterez pas que celles qui sont vers F ne prennent leur cours vers G, et ainsi qu’elles ne composent un vent qui souffle vers là ; principalement si vous pensez avec cela qu’elles soient empêchées de s’étendre vers A et vers B par de hautes montagnes qui y sont, et vers E pourceque l’air y est pressé et condensé par un autre vent qui souffle de C jusques à D, et enfin qu’il y a des nues au-dessus d’elles qui les empêchent de s’étendre plus haut vers le ciel Et remarquez que lorsque les vapeurs passent en cette façon d’un lieu en un autre, elles emmènent ou chassent devant soi tout l’air qui se trouve en leur chemin, et toutes les exhalaisons qui sont parmi ; en sorte que, bien qu’elles causent quasi toutes seules les vents, ce ne sont pas toutefois elles seules qui les composent ; et même aussi que la dilatation et condensation de ces exhalaisons et de cet air peuvent aider à la production de ces vents, mais que c’est si peu, à comparaison de la dilatation et condensation des vapeurs, qu’elles ne doivent quasi point être mises en compte ; car l’air étant dilaté n’occupe qu’environ deux ou trois fois plus d’espace qu’étant médiocrement condensé, au lieu que les vapeurs en occupent plus de deux ou trois mille fois davantage ; et les exhalaisons ne se dilatent, c’est-à-dire ne se tirent des corps terrestres que, par l’aide d’une grande chaleur ; puis ne peuvent quasi jamais, par aucune froideur, être derechef autant condensées qu’elles l’ont été auparavant ; au lieu qu’il ne faut que fort peu de chaleur pour faire que l’eau se dilate en vapeur, et derechef que fort peu de froideur pour faire que les vapeurs se changent en eau.

Mais voyons maintenant en particulier les propriétés et la génération des principaux vents. Premièrement, on observe que tout l’air a son cours autour de la terre de l’orient vers l’occident, ce qu’il nous faut ici supposer, à cause que la raison n’en peut commodément être déduite qu’en expliquant toute la fabrique de l’univers, ce que je n’ai pas ici dessein de faire. Mais ensuite on observe que les vents orientaux sont ordinairement beaucous plus secs et rendent l’air beaucoup plus net et plus serein que les occidentaux ; dont la raison est que ceux-ci, s’opposant au cours ordinaire des vapeurs, les arrêtent et font qu’elles s’épaississent en nues, au lieu que les autres les chassent et les dissipent. De plus, on observe que c’est principalement le matin que soufflent les vents d’orient, et le soir que soufflent ceux d’occident, de quoi la raison vous sera manifeste si vous regardez la terre ABCD et le soleil S[11], qui, en éclairant la moitié ABC et faisant le midi vers B et le minuit vers D, se couche en même temps au respect des peuples qui habitent vers A, et se lève au respect de ceux qui sont vers C. Car pourceque les vapeurs qui sont vers B sont fort dilatées par la chaleur du jour, elles prennent leur cours, partie par A et partie par C, vers, D, où elles vont occuper la place que laissent celles que la fraîcheur de la nuit y condense, en sorte qu’elles font un vent d’occident vers A où le soleil se couche, et un d’orient vers C où il se lève ; et même il est à remarquer que ce vent qui se fait ainsi vers C est ordinairement plus fort et va plus vite que celui qui se fait vers A, tant à cause qu’il suit le cours de toute la masse de l’air, comme aussi à cause que la partie de la terre qui est entre C et D ayant été plus long-temps sans être éclairée par le soleil que celle qui est entre D et A, la condensation des vapeurs a dû s’y faire plus tôt et plus grande. On observe aussi que c’est principalement pendant le jour que soufflent les vents du nord, et qu’ils viennent de haut en bas, et qu’ils sont fort violents et fort froids et fort secs : dont vous pouvez voir la raison en considérant que la terre EBFD[12] est couverte de plusieurs nues et brouillards vers les poles E et F, où elle n’est guère échauffée par le soleil, et que vers B, où il donne à plomb, il excite quantité de vapeurs qui, étant fort agitées par l’action de sa lumière, montent en haut très promptement jusques à ce qu’elles soient tant élevées que la résistance de leur pesanteur fasse qu’il leur soit plus aisé de se détourner et de prendre leur cours de part et d’autre vers I et M au-dessus des nues G et K, que de continuer plus haut en ligne droite ; et ces nues G et K étant aussi en même temps échauffées et raréfiées par le soleil, se convertissent en vapeurs qui prennent leur cours de G vers H, et de K vers L, plutôt que vers E et vers F ; car l’air épais qui est vers les poles leur résiste bien davantage que ne font les vapeurs qui sortent de la terre vers le midi, et qui, étant fort agitées et prêtes à se mouvoir de tous côtés, leur peuvent facilement céder leur place. Ainsi, prenant F pour le pole arctique, le cours de ces vapeurs de K vers L fait un vent du nord qui souffle pendant le jour en Europe ; et ce vent souffle de haut en bas, à cause qu’il vient des nues vers la terre ; et il est ordinairement fort violent, à cause qu’il est excité par la chaleur la plus forte de toutes, à savoir celle du midi, et de la matière la plus aisée à dissoudre en vapeur, à savoir des nues. Enfin ce vent est fort froid et fort sec, tant à cause de sa force, suivant ce qui a été dit ci-dessus que les vents impétueux sont toujours secs et froids, comme aussi il est sec à cause qu’il n’est ordinairement composé que des plus grossières parties de l’eau douce mêlées avec l’air, au lieu que l’humidité dépend principalement des plus subtiles : et celles—ci ne se trouvent guère dans les nues dont il s’engendre ; car, comme vous verrez tantôt, elles participent bien plus de la nature de la glace que de celle de l’eau ; et il est froid, à cause qu’il amène avec soi vers le midi la matière très subtile qui étoit vers le nord, de laquelle dépend principalement la froideur. On observe tout au contraire que les vents du midi soufflent plus ordinairement pendant la nuit, et viennent du bas en haut, et sont lents et humides : dont la raison se peut voir aussi en regardant derechef la terre EBFD, et considérant que sa partie D qui est sous l’équateur, et où je suppose qu’il est_maintenant nuit, retient encore assez de la chaleur que le soleil lui a communiquée pendant le jour pour faire sortir de soi plusieurs vapeurs, mais que l’air qui est au-dessus vers P n’en retient pas tant à proportion ; car généralement les corps grossiers et pesants retiennent toujours plus longtemps leur chaleur que ceux qui sont légers et subtils, et ceux qui sont durs la retiennent aussi plus long-temps que ceux qui sont liquides ; ce qui est cause que les vapeurs qui se trouvent vers P, au lieu de poursuivre leur cours vers Q et vers R, s’arrêtent et s’épaississent en forme de nues, qui empêchant que celles qui sortent de la terre D ne montent plus haut, les contraignent de prendre leur cours de part et d’autre vers N et vers 0, et ainsi d’y faire un vent de midi qui souffle principalement pendant la nuit, et qui vient de bas en haut, à savoir de la terre vers l’air, et qui ne peut être que fort lent, tant à cause que son cours est retardé par l’épaisseur de l’air de la nuit, comme aussi à cause que sa matière, ne sortant que de la terre ou de l’eau, ne se peut dilater si promptement ni en si grande quantité que celle des autres vents, qui sort ordinairement des nues. Et enfin il est chaud et humide, tant à cause de la tardiveté de son cours, comme aussi il est humide à cause qu’il est composé des plus subtiles parties de l’eau douce aussi bien que des plus grossières, car elles sortent ensemble de la terre ; et il est chaud à cause qu’il amène avec soi vers le nord la matière subtile qui étoit vers le midi. On observe aussi qu’au mois de mars, et généralement en tout le printemps, les vents sont plus secs et les changements d’air plus subits et plus fréquents qu’en aucune autre saison de l’année, dont la raison se voit encore en regardant la terre EBFD, et pensant que le soleil, que je suppose être vis-à-vis du cercle BAD qui représente l’équateur, et avoir été trois mois auparavant vis-à-vis du cercle HN qui représente le tropique du capricorne, a beaucoup moins échauffé la moitié de la terre BFD où il fait maintenant le printemps, que l’autre moitié BED où il fait l’automne, et par conséquent que cette moitié BFD est beaucoup plus couverte de neiges, et que tout l’air qui l’environne est beaucoup plus épais et plus rempli de nues que celui qui environne l’autre moitié BED : ce qui est cause que pendant le jour il s’y dilate beaucoup plus de vapeurs, et qu’au contraire pendant la nuit il s’y en condensé beaucoup davantage ; car la masse de la terre y étant moins échauffée, et la force du soleil n’y étant pas moindre, il doit y avoir plus d’inégalité entre la chaleur du jour et la froideur de la nuit ; et ainsi ces vents d’orient, que j’ai dit souffler principalement le matin, et ceux du nord, qui soufflent sur le milieu du jour, qui les uns et les autres sont fort secs, doivent y être beaucoup plus forts et plus abondants qu’en aucune autre saison. Et pourceque les vents d’occident qui soufflent le soir y doivent aussi être assez forts, par même raison que ceux d’orient qui soufflent le matin, pour peu que le cours régulier de ces vents soit avancé ou retardé, ou détourné par les causes particulières qui peuvent plus ou moins dilater ou épaissir l’air en chaque contrée, ils se rencontrent les uns les autres et engendrent des pluies ou des tempêtes a qui cessent ordinairement aussitôt après, à cause que les vents d’orient et du nord qui chassent les nues demeurent les maîtres. Et je crois que ce sont ces vents d’orient et de nord que les Grecs appeloient les ornithies, à cause qu’ils ramenoient les oiseaux qui viennent au printemps ; mais pour ce qui est des étésies, qu’ils observoient après le solstice d’été, il est vraisemblable qu’ils procèdent des vapeurs que le soleil élève des terres et des eaux du septentrion, après avoir déjà assez séjourné longtemps vers le tropique du cancre ; car vous savez qu’il s’arrête bien plus à proportion vers les tropiques qu’il ne fait en l’espace qui est entre deux ; et il faut penser que pendant les mois de mars, d’avril et de mai, il dissout en vapeurs et en vents la plupart des nues et des neiges qui sont vers notre pole, mais qu’il ne peut y échauffer les terres et les eaux assez fort pour en élever d’autres vapeurs qui causent des vents que quelques semaines après, lorsque ce grand jour de six mois qu’il y fait est un peu au-delà de son midi. Au reste, ces vents généraux et réguliers seroient toujours tels que je viens de les expliquer, si la superficie de la terre étoit partout également couverte d’eaux, ou partout également découverte, en sorte qu’il n’y eût aucune diversité de mers, de terres et de montagnes, ni aucune autre cause qui pût dilater les vapeurs que la présence du soleil, ou les condenser que son absence. Mais il faut remarquer que lorsque le soleil luit, il fait sortir communément plus de vapeurs des mers que des terres, à cause que les terres se trouvant sèches en plusieurs endroits ne lui fournissent pas tant de matière ; et qu'au contraire, lorsqu’il est absent, la chaleur qu’il a causée en fait sortir davantage des terres que des mers, à cause qu’elle y demeure plus fort imprimée. C’est pourquoi on observe souvent aux bords de la mer que le vent vient le jour du côté de l’eau, et la nuit du côté de la terre ; et c’est pour cela aussi que ces feux qu’on nomme les ardents conduisent de nuit les voyageurs vers les eaux, car ils suivent indifféremment le cours de l’air, qui tire vers là des terres voisines, à cause que celui qui y est se condense. Il faut aussi remarquer que l’air qui touche la superficie des eaux suit leur cours en quelque façon, d’où vient que les vents changent souvent le long des côtes de la mer avec ses flux et reflux, et que le long des grandes rivières on sent en temps calme de petits vents qui suivent leur cours. Puis il faut remarquer aussi que les vapeurs qui viennent des eaux sont bien plus humides et plus épaisses que celles qui s’élèvent des terres, et qu’il y a toujours parmi celles-ci beaucoup plus d’air et d’exhalaisons, d’où vient que les mêmes tempêtes sont ordinairement plus violentes sur l’eau que sur la terre, et qu’un même vent peut être sec en un pays et humide en un autre. Comme on dit que les vents de midi, qui sont humides presque partout, sont secs en Égypte, où il n’y a que les terres sèches et brûlées du reste de l’Afrique qui leur fournissent de matière ; et c’est sans doute ceci qui est cause qu’il n’y pleut presque jamais : car quoique les vents de nord venant de la mer y soient humides, toutefois pourcequ’avec cela ils y sont les plus froids qui s’y trouvent, ils n’y peuvent pas aisément causer de pluie, ainsi que vous entendrez ci-après. Outre cela, il faut considérer que la lumière de la lune, qui est fort inégale selon qu’elle s’éloigne ou s’approche du soleil, contribue à la dilatation des vapeurs, comme fait aussi celle des autres astres : mais que c’est seulement en même proportion que nous sentons qu’elle agit contre nos yeux, car ce sont les juges les plus certains que nous puissions avoir pour connoître la force de la lumière ; et que par conséquent celle des étoiles n’est quasi point considérable, à comparaison de celle de la lune, ni celle-ci à comparaison du soleil. Enfin on doit considérer que les vapeurs s’élèvent fort inégalement des diverses contrées de la terre ; car, et les montagnes sont échauffées par les astres d’autre façon que les plaines, et les forêts que les prairies, et les champs cultivés que les déserts, et même certaines terres sont plus chaudes d’elles-mêmes ou plus aisées à échauffer que les autres ; et ensuite se formant des nues en l’air fort inégales, et qui peuvent être transportées d’une région en une autre par les moindres vents, et soutenues à diverses distances de la terre, même plusieurs ensemble au-dessus les unes des autres, les astres agissent derechef d’autre façon contre les plus hautes que contre les plus basses, et contre celles-ci que contre la terre qui est au-dessous, et d’autre façon contre les mêmes endroits de la terre lorsqu’il n’y a point de nues qui les couvrent que lorsqu’il y en a, et après qu’il a plu ou neigé qu’auparavant. Ce qui fait qu’il est presque impossible de prévoir les vents particuliers qui doivent être chaque jour en chaque contrée de la terre, et que même il y en a souvent plusieurs contraires qui passent au-dessus les uns des autres ; mais on y pourra bien déterminer en général quels vents doivent être les plus fréquents et les plus forts, et en quels lieux et quelles saisons ils doivent régner, si on prend exactement garde à toutes les choses qui ont été ici remarquées. Et on le pourra encore beaucoup mieux déterminer dans les grandes mers, principalement aux endroits fort éloignés de la terre, à cause que, n’y ayant point d’inégalités en la superficie de l’eau semblables à celles que nous venons de remarquer sur les terres, il s’y engendre beaucoup moins de vents irréguliers, et ceux qui viennent des côtes ne peuvent guère passer jusque là ; comme témoigne assez l’expérience de nos matelots, qui, pour cette cause, ont donné à la plus large de toutes les mers le nom de Pacifique. Et je ne sache plus rien ici digne de remarque, sinon que presque tous les subits changements d’air, comme de ce qu’il devient plus chaud, ou plus rare, ou plus humide que la saison ne le requiert, dépendent des vents, non seulement de ceux qui sont aux mêmes régions où se font ces changements, mais aussi de ceux qui en sont proches, et des diverses causes dont ils procèdent. Car, par exemple, si pendant que nous sentons ici au vent de midi, qui, ne procédant que de quelque cause particulière, et ayant son origine fort près d’ici, n’amène pas beaucoup de chaleur, il y en a un de nord aux pays voisins qui vienne d’assez loin ou d’assez haut, la matière très subtile que celui-ci amène avec soi peut aisément parvenir jusques à nous, et y causer un froid extraordinaire ; et ce vent de midi, ne sortant que du lac voisin, peut être fort humide, au lieu que s’il venoit des campagnes désertes qui sont au-delà, il seroit plus sec ; et, n’étant causé que par la dilatation des vapeurs de ce lac, sans que la condensation d’aucunes autres qui soient vers le septentrion y contribue, il doit rendre notre air bien plus épais et plus pesant que s’il n’était causé que par cette condensation, sans qu’il se fit aucune dilatation de vapeur vers midi. À quoi si nous ajoutons que la matière subtile et les vapeurs qui sont dans les pores de la terre, prenant divers cours, y font aussi comme des vents qui amènent avec soi des exhalaisons de toutes sortes, selon les qualités des terres par où ils passent, et outre cela que les nuées, en s’abaissant, peuvent causer un vent qui chasse l’air de haut en bas, ainsi que je dirai ci-après, nous aurons, je crois, toutes les causes des changements d’air qui se remarquent.


DISCOURS CINQUIÈME

DES NUES.


Après avoir considéré comment les vapeurs, en se dilatant, causent les vents, il faut voir comment, en se condensant et resserrant, elles composent les nues et les brouillards ; à savoir, sitôt qu’elles deviennent notablement moins transparentes que l’air pur, si elles s’étendent jusques à la superficie de la terre, on les nomme des brouillards ; mais si elles demeurent suspendues plus haut, on les nomme des nues. Et il est à remarquer que ce qui les fait ainsi devenir moins transparentes que l’air pur, c’est que lorsque leur mouvement s’alentit, et que leurs parties sont assez proches pour s’entre-toucher, elles se joignent et s’assemblent en divers petits tas qui sont autant de gouttes d’eau, ou bien de parcelles de glace ; car, pendant qu’elles demeurent tout-à-fait séparées et flottantes en l’air, elles ne peuvent guère empêcher le cours de la lumière, au lieu qu’étant assemblées, encore que les gouttes d’eau ou les parcelles de glace qu’elles composent soient transparentes, toutefois, à cause que chacune de leurs superficies fait réfléchir une partie des rayons qui donnent decontre, ainsi qu’il a été dit en la Dioptrique de toutes celles des corps transparents, ces superficies se trouvent aisément en assez grand nombre pour les faire tous ou presque tous réfléchir. Et pour les gouttes d’eau, elles se forment lorsque la matière subtile qui est autour des petites parties des vapeurs, n’ayant plus assez de force pour faire qu’elles s’étendent et se chassent les unes les autres, en a encore assez pour faire qu’elles se plient, et ensuite que toutes celles qui se rencontrent se joignent et s’accumulent ensemble en une boule. Et la superficie de cette boule devient incontinent toute égale et toute polie, à cause que les parties de l’air qui la touchent se meuvent d’autre façon que les siennes, et aussi la matière subtile qui est en ses pores d’autre façon que celle qui est en ceux de l’air, comme il a déjà tantôt été expliqué en parlant de la superficie de l’eau de la mer ; et pour même raison aussi elle devient exactement ronde : car, comme vous pouvez souvent avoir vu que l’eau des rivières tournoie et fait des cercles aux endroits où il y a quelque chose qui l’empêche de se mouvoir en ligne droite aussi vite que son agitation le requiert, ainsi faut-il penser que la matière subtile coulant par les pores des autres corps en même façon qu’une rivière par les intervalles des herbes qui croissent en son lit, et passant plus librement d’un endroit de l’air en l’autre, et d’un endroit de l’eau aussi en l’autre, que de l’air en l’eau, ou réciproquement de l’eau en l’air comme il a été ailleurs remarqué, elle doit tournoyer au dedans de cette goutte, et aussi au dehors en l’air qui l’environne, mais d’autre mesure qu’au dedans, et par ce moyen disposer en rond toutes les parties de sa superficie ; car elles ne peuvent manquer d’obéir à ses mouvements, d’autant que l’eau est un corps liquide. Et sans doute ceci est suffisant pour faire entendre que les gouttes d’eau doivent être exactement rondes au sens que leurs sections sont parallèles à la superficie de la terre ; car il n’y a point de raison qu’aucune des parties de leur circonférence s’éloigne ni s’approche de leurs centres plus que les autres en ce sens-là, vu qu’elles n’y sont ne plus ne moins pressées d’un côté que d’autre par l’air qui les environne, au moins s’il est calme et tranquille, comme nous le devons ici supposer. Mais pourceque les considérant en autre sens on peut douter, lorsqu’elles sont si petites, que leur pesanteur n’a pas la force de leur faire diviser l’air pour descendre, si cela ne les rend point un peu plus plates et moins épaisses en leur hauteur qu’en leur largeur, comme T[13] ou V, il faut prendre garde qu’elles ont de l’air autour de leurs côtés aussi bien qu’au-dessous, et que si leur pesanteur n’est suffisante pour faire que celui qui est au-dessous leur quitte sa place et les laisse descendre, elle ne le peut être non plus pour faire que celui qui est aux côtés se retire et les laisse devenir plus larges. Et pourcequ’on peut douter tout au contraire, lorsque leur pesanteur les fait descendre, si l’air qu’elles divisent ne les rend point un peu plus longues et étroites, comme X, ou Y, il faut encore prendre garde qu’en étant environnées tout autour, celui qu’elles divisent et dont elles vont occuper la place en descendant doit monter à même temps au-dessus d’elles pour y remplir celle qu’elles y laissent, et qu’il ne le peut qu’en coulant tout le long de leur superficie, où il trouve le chemin plus court et plus aisé lorsqu’elles sont rondes que si elles avoient quelque autre figure ; car chacun sait que de toutes les figures c’est la ronde qui est la plus capable, c’est-à-dire celle qui a le moins de superficie à raison de la grandeur du corps qu’elle contient ; et ainsi en quelle façon qu’on le veuille prendre, ces gouttes doivent toujours demeurer rondes, si ce n’est que la force de quelque vent ou quelque autre cause particulière les en empêche. Pour ce qui est de leur grosseur, elle dépend de ce que les parties de la vapeur sont plus ou moins proches les unes des autres lorsqu’elles commencent à les composer, et aussi de ce qu’elles sont par après plus ou moins agitées, et de la quantité des autres vapeurs qui peuvent venir se joindre à elles. Car chacune d’abord ne se compose que de deux ou trois des petites parties de la vapeur qui s’entre-rencontrent ; nais aussitôt après, si cette vapeur a été un peu épaisse, deux ou trois des gouttes qui s’en sont formées en se rencontrant se joignent en une, et derechef deux ou trois de celles-ci encore en une, et ainsi de suite jusques à ce qu’elles ne se puissent plus rencontrer. Et pendant qu’elles se soutiennent en l’air, il peut aussi venir d’autres vapeurs se joindre à elles et les grossir, jusques à ce qu’enfin leur pesanteur les fasse tomber en pluie ou en rosée.

Pour les petites parcelles de glace, elles se forment lorsque le froid est si grand que les parties de la vapeur ne peuvent être pliées par la matière subtile qui est parmi elles. Et si ce froid ne survient qu’après que les gouttes sont déjà formées, il les laisse toutes rondes en les gelant, si ce n’est qu’il soit accompagné de quelque vent assez fort qui les fasse devenir un peu plates du côté qu’il les rencontre ; et, au contraire, s’il survient dès auparavant qu’elles aient commencé à se former, les parties de la vapeur ne se joignent qu’en long et ne composent que des filets de glace fort déliés ; mais si le froid survient entre ces deux temps, ce qui est le plus ordinaire, il gèle les parties de la vapeur à mesure qu’elles se plient et s’entassent plusieurs ensemble sans leur donner le loisir de s’unir assez parfaitement pour former des gouttes : et ainsi il en fait de petits nœuds ou pelotons de glace qui sont tout blancs, à cause qu’ils sont composés de plusieurs filets qui ne laissent pas d’être séparés et d’avoir chacun leurs superficies distinctes, encore qu’ils soient pliés l’un sur l’autre : et ces nœuds sont comme velus ou couverts de poils tout à l’entour, à cause qu’il y a toujours plusieurs parties de la vapeur qui, ne pouvant se plier et s’entasser sitôt que les autres, s’appliquent toutes droites contre eux et composent les petits poils qui les couvrent : et, selon que ce froid vient plus lentement ou plus à coup, et que la vapeur est plus épaisse ou plus rare, ces nœuds se forment plus gros ou plus petits, et les poils ou filets qui les environnent plus forts et plus courts, ou plus déliés et plus longs.

Et vous pouvez voir de ceci qu’il y a toujours deux choses qui sont requises pour convertir les vapeurs en eau ou en glace, à savoir que leurs parties soient assez proches pour s’entre-toucher, et qu’il y ait autour d’elles assez de froideur pour faire qu’en s’entre-touchant elles se joignent et s’arrêtent les unes aux autres. Car ce ne seroit pas assez que leur froideur fût très grande, si elles étoient éparses en l’air si loin à loin qu’elles ne s’entre-touchassent aucunement, ni aussi qu’elles fussent fort proches les unes des autres et fort pressées, si leur chaleur, c’est-à-dire leur agitation, étoit assez forte pour les empêcher de se joindre. Ainsi on ne voit pas qu’il se forme toujours des nues au haut de l’air, nonobstant que le froid y soit toujours assez grand pour cet effet : et il est requis de plus qu’un vent occidental, s’opposant au cours ordinaire des vapeurs, les assemble et les condense aux endroits où il se termine ; ou bien que deux ou plusieurs autres vents, venant de divers côtés, les pressent et accumulent entre eux ; ou qu’un de ces vents les chasse contre une nue déjà formée ; ou enfin qu’elles aillent s’assembler de soi-même contre le dessous de quelque nue, à mesure qu’elles sortent de la terre. Et il ne se forme pas aussi toujours des brouillards autour de nous, ni en hiver, encore que l’air y soit assez froid ; ni en été, encore que les vapeurs y soient assez abondantes, mais seulement lorsque la froideur de l’air et l’abondance des vapeurs concourent ensemble, comme il arrive souvent le soir ou la nuit lorsqu’un jour assez chaud a précédé : principalement au printemps plus qu’aux autres saisons, même qu’en automne, à cause qu’il y a plus d’inégalité entre la chaleur du jour et la froideur de la nuit ; et plus aussi aux lieux marécageux ou maritimes que sur les terres qui sont loin des eaux, ni sur les eaux qui sont loin des terres, à cause que l’eau, perdant plus tôt sa chaleur que la terre, y refroidit l’air dans lequel se condensent les vapeurs que les terres humides et chaudes produisent en abondance. Mais les plus grands brouillards se forment, comme les nues, aux lieux où le cours de deux ou plusieurs vents se termine ; car ces vents chassent vers ces lieux-là plusieurs vapeurs qui s’y épaississent, ou en brouillards si l’air proche de la terre est fort froid, ou en nues s’il ne l’est assez pour les condenser que plus haut. Et remarquez que les gouttes d’eau ou les parcelles de glace dont les brouillards sont composés ne peuvent être que très petites ; car si elles étoient tant soit peu grosses, leur pesanteur les feroit descendre assez promptement vers la terre, de façon que nous ne dirions pas que ce fussent des brouillards, mais de la pluie ou de la neige ; et avec cela que jamais il ne peut y avoir aucun vent où ils sont qu’il ne les dissipe bientôt après, principalement lorsqu’ils sont composés de gouttes d’eau ; car la moindre agitation d’air fait que ces gouttes, en se joignant plusieurs ensemble, se grossissent et tombent en pluie ou en rosée. Remarquez aussi, touchant les nues, qu’elles peuvent être produites à diverses distances de la terre, selon que les vapeurs ont loisir de monter plus ou moins haut avant que d’être assez condensées pour des composer ; d’où vient qu’on en voit souvent plusieurs au-dessus les unes des autres, et même qui sont agitées par divers vents. Et ceci arrive principalement aux pays de montagnes, à cause que la chaleur qui élève les vapeurs y agit plus inégalement qu’aux autres lieux. Il faut remarquer, outre cela, que les plus hautes de ces nues ne peuvent quasi jamais être composées de gouttes d’eau, mais seulement de parcelles de glace ; car il est certain que l’air où elles sont est plus froid ou du moins aussi froid que celui qui est au sommet des hautes montagnes, lequel néanmoins l’est assez, même au cœur de l’été, pour empêcher que les neiges ne s’y fondent. Et pourceque plus les vapeurs s’élèvent haut, plus elles y trouvent de froid qui les gèle et moins elles y peuvent être pressées par les vents. De là vient que, pour l’ordinaire, les plus hautes parties des nues ne se composent que de filets de glace fort déliés et qui sont épars en l’air fort loin à loin ; puis un peu au—dessous il se forme des nœuds ou pelotons de cette glace, qui sont fort petits et couverts de poils, et par degrés encore d’autres au-dessous un peu moins petits ; et enfin quelquefois tout au plus bas il se forme des gouttes d’eau. Et lorsque l’air qui les contient est entièrement calme et tranquille, ou bien qu’il est tout également emporté par quelque vent, tant ces gouttes que ces parcelles de glace y peuvent demeurer éparses assez loin à loin et sans aucun ordre, en sorte que pour lors la forme des nues ne diffère en rien de celle des brouillards. Mais, pourceque souvent elles sont poussées par des vents qui n’occupent pas également tout l’air qui les environne, et qui par conséquent,ne les pouvant faire mouvoir de même mesure que cet air, coulent par-dessus et par-dessous en les pressant et les contraignant de prendre la figure qui peut le moins empêcher leur mouvement, celles de leurs superficies contre lesquelles passent ces vents deviennent toutes plates et unies. Et ce que je désire ici particulièrement que vous remarquiez, c’est que tous les petits nœuds ou pelotons de neige qui se trouvent en ces superficies s’arrangent exactement en telle sorte, que chacun d’eux en a six autres autour de soi qui le touchent, ou du moins qui ne sont pas plus éloignés de lui l’un que l’autre. Supposons, par exemple, qu’au-dessus de la terre AB[14] il vient un vent de la partie occidentale D qui s’oppose au cours ordinaire de l’air, ou, si vous l’aimez mieux, à un autre vent qui vient de la partie orientale C, et que ces deux vents se sont arrêtés au commencement l’un l’autre environ l’espace FGP, où ils ont condensé quelques vapeurs dont ils ont fait une masse confuse, pendant que leurs forces se balançant et se trouvant égales en cet endroit, ils y ont laissé l’air calme et tranquille. Car il arrive souvent que deux vents sont opposés en cette sorte, à cause qu’il y en a toujours plusieurs différents autour de la terre en même temps, et que chacun d’eux y étend d’ordinaire son cours sans se détourner jusques au lieu où il en rencontre un contraire qui lui résiste ; mais leurs forces n’y peuvent guère demeurer long-temps ainsi balancées, et leur matière y affluant de plus en plus s’ils ne cessent tous deux ensemble, ce qui est rare, le plus fort prend enfin son cours par le dessous ou le dessus de la nue, ou même aussi par le milieu ou tout à l’entour, selon qu’il s’y trouve plus disposé, au moyen de quoi, s’il n’amortit l’autre tout-à-fait, il le contraint au moins de se détourner. Comme ici je suppose que le vent occidental, ayant pris son cours entre G[15] et P, a contraint l’oriental de passer par-dessous vers F, où il a fait tomber en rosée le brouillard qui y étoit, puis a retenu au-dessus de soi la nue G, qui, se trouvant pressée entre ces deux vents, est devenue fort plate et étendue ; et les petits pelotons de glace qui ont été en sa superficie tant du dessus que du dessous, comme aussi en celle du dessous de la nue P, ont dû s’y arranger en telle sorte que chacun en ait six autres qui l’environnent : car on ne sauroit imaginer aucune raison qui les en ait empêchés, et naturellement tous les corps ronds et égaux qui sont mus en un même plan par une force assez semblable s’arrangent en cette sorte, ainsi que vous pourrez voir par expérience en jetant confusément un rang ou deux de perles rondes toutes défilées sur une assiette, et les ébranlant ou soufflant seulement un peu decontre, afin qu’elles approchent les unes des autres. Mais notez que je ne parle ici que des superficies du dessous ou du dessus, et non point de celles des côtés, à cause que l’inégale quantité de matière que les vents peuvent pousser decontre à chaque moment, ou en ôter, rend ordinairement la figure de leur circuit fort irrégulière, et inégale. Je n’ajoute point aussi que les petits nœuds de glace qui composent le dedans de la nue G se doivent arranger en même façon que ceux des superficies, à cause que ce n’est pas une chose du tout si manifeste. Mais je désire que vous considériez encore ceux qui se peuvent aller arrêter au-dessous d’elle après qu’elle est toute formée ; car si, pendant qu’elle demeure suspendue en l’espace G, il sort quelques vapeurs des endroits de la terre qui sont vers A, lesquelles, se refroidissant en l’air peu à peu, se convertissent en petits nœuds de glace que le vent chasse vers L, il n’y a point de doute que ces nœuds s’y doivent arranger en telle sorte que chacun d’eux soit environné de six autres qui le pressent également et soient en même plan, et ainsi composer premièrement comme une feuille qui s’étende sous la superficie de cette nue, puis encore une autre feuille qui s’étende sous celle-ci, et ainsi encore d’autres autant qu’il y aura de matière. Et, de plus, il faut remarquer que le vent qui passe entre la terre et cette nue, agissant avec plus de force contre la plus basse de ces feuilles que contre celle qui est immédiatement au-dessus, et avec plus de force contre celle-ci que contre celle qui est encore au-dessus, et ainsi de suite, les peut entraîner et faire mouvoir séparément l’une de l’autre, et polir par ce moyen leurs superficies en rabattant des deux côtés les petits poils qui sont autour des pelotons dont elles sont composées. Et même il peut faire glisser une partie de ces feuilles hors du dessous de cette nue G, et les transporter au-delà, comme vers N, où elles en composent une nouvelle. Et encore que je n’aie ici parlé que des parcelles de glace qui sont entassées en forme de petits nœuds ou pelotons, le même se peut aisément aussi entendre des gouttes d’eau, pourvu que le vent ne soit point assez fort pour faire qu’elles s’entre-poussent, ou bien qu’il y ait autour d’elles quelques exhalaisons, ou, comme il arrive souvent, quelques vapeurs non encore disposées à prendre la forme de l’eau qui les séparent ; car autrement, sitôt qu’elles se touchent, elles s’assemblent plusieurs en une, et ainsi deviennent si grosses et si pesantes qu’elles sont contraintes de tomber en pluie. Au reste, ce que j’ai tantôt dit que la figure du circuit de chaque nue est ordinairement fort irrégulière et inégale, ne se doit entendre que de celles qui occupent moins d’espace en hauteur et en largeur que les vents qui les environnent ; car il se trouve quelquefois si grande abondance de vapeurs en l’endroit où deux ou plusieurs vents se rencontrent, qu’elles contraignent ces vents de tournoyer autour d’elles au lieu de passer au-dessus ou au-dessous, et ainsi qu’elles forment une nue extraordinairement grande, qui, étant également pressée de tous côtés par ces vents, devient toute ronde et fort unie en son circuit, et même qui, lorsque ces vents sont un peu chauds ou bien qu’elle est exposée à la chaleur du soleil, y acquiert comme une écorce ou une croûte de plusieurs parcelles de glace jointes ensemble, qui peut devenir assez grosse et épaisse sans que sa pesanteur la fasse tomber, à cause que tout le reste de la nue la soutient.


DISCOURS SIXIÈME.

DE LA NEIGE, DE LA PLUIE, ET DE LA GRÊLE.


Il y a plusieurs choses qui empêchent communément que les nues ne descendent incontinent après être formées ; car, premièrement, les parcelles de glace ou les gouttes d’eau dont elles sont composées étant fort petites, et par conséquent ayant beaucoup de superficie à raison de la quantité de leur matière, la résistance de l’air qu’elles auroient à diviser, si elles descendoient, peut aisément avoir plus de force pour les en empêcher que n’en a leur pesanteur pour les y contraindre ; puis les vents, qui sont d’ordinaire plus forts contre la terre, où leur corps est plus grossier, qu’en haut de l’air, où il est plus subtil, et qui pour cette cause agissent plus de bas en haut que de haut en bas, peuvent non seulement les soutenir, mais souvent aussi les faire monter au-dessus de la région de l’air où elles se trouvent. Et le même peuvent encore les vapeurs qui, sortant de la terre ou venant de quelque autre côté, font enfler l’air qui est sous elles ; ou aussi la seule chaleur de cet air, qui en le dilatant les repousse ; ou la froideur de celui qui est au-dessus, qui en le resserrant les attire, ou choses semblables. Et particulièrement les parcelles de glace, étant poussées les unes contre les autres par les vents, s’entre-touchent sans s’unir pour cela tout-à-fait, et composent un corps si rare, si léger et si étendu, que, s’il n’y survient de la chaleur qui fonde quelques unes de ses parties et par ce moyen le condense et l’appesantisse, il ne peut presque jamais descendre jusqu’à terre. Mais, comme il a été dit ci-dessus, que l’eau est en quelque façon dilatée par le froid lorsqu’elle se gèle, ainsi faut-il ici remarquer que la chaleur qui a coutume de raréfier les autres corps condense ordinairement celui des nues. Et ceci est aisé à expérimenter en la neige, qui est de la même matière dont elles sont, excepté qu’elle est déjà plus condensée ; car on voit qu’étant mise en lieu chaud elle se resserre et diminue beaucoup de grosseur avant qu’il en sorte aucune eau ni qu’elle diminue de poids, ce qui arrive d’autant que les extrémités des parcelles de glace dont elle est composée, étant plus déliées que le reste, se fondent plus tôt ; et en se fondant, c’est-à-dire en se pliant et devenant comme vives et remuantes, à cause de l’agitation de la matière subtile qui les environne, elles se vont glisser et attacher contre les parcelles de glacé voisines, sans pour cela se détacher de celles à qui elles sont déjà jointes, et ainsi les font approcher les unes des autres. Mais, pourceque les parcelles qui composent les nues sont ordinairement plus loin à loin que celles qui composent la neige qui est sur terre, elles ne peuvent ainsi s’approcher de quelques unes de leurs voisines sans s’éloigner par même moyen de quelques autres ; ce qui fait qu’ayant été auparavant également éparses par l’air, elles se divisent après en plusieurs petits tas ou flocons qui deviennent d’autant plus gros que les parties de la nue ont été plus serrées et que la chaleur est plus lente. Et même lorsque quelque vent ou quelque dilatation de tout l’air qui est au-dessus de la nue, ou autre telle cause, fait que les plus hauts de ces flocons descendent les premiers, ils s'attachent à ceux de dessous qu’ils rencontrent en leur chemin et ainsi les rendent plus gros. Après quoi la chaleur, en les condensant et les appesantissant de plus en plus, peut aisément les faire descendre jusques à terre : et lorsqu’ils y descendent ainsi sans être fondus tout-à-fait, ils composent de la neige ; mais si l’air par où ils passent est si chaud qu’il les fonde, ainsi qu’il est toujours pendant l’été et fort souvent aussi aux autres saisons en notre climat, ils se convertissent en pluie. Et il arrive aussi quelquefois, qu’après être ainsi fondus ou presque fondus, il survient quelque vent froid qui, les gelant derechef, en fait de la grêle. Or cette grêle peut être de plusieurs sortes ; car, premièrement, si le vent froid qui la cause rencontre des gouttes d’eau déjà formées, il en fait des grains de glace tout transparents et tout ronds, excepté qu’il les rend quelquefois un peu plats du côté qu’il les pousse. Et s’il rencontre des flocons de neige presque fondus, mais qui ne soient point encore arrondis en gouttes d’eau, alors il en fait cette grêle cornue et de diverses figures irrégulières dont quelquefois les grains se trouvent fort gros, à cause qu’ils sont formés par un vent froid qui, chassant la nue de haut en bas, pousse plusieurs de ces flocons l’un contre l’autre et les gèle tous en une masse. Et il est ici à remarquer que, lorsque ce vent approche de ces flocons qui se fondent, il fait que la chaleur de l’air qui les environne, c’est-à-dire la matière subtile la plus agitée et la moins subtile qui soit en cet air, se retire dans leurs pores, à cause qu’il ne les peut pas du tout sitôt pénétrer. En même façon que sur terre quelquefois, lorsqu’il arrive tout-à-coup un vent ou une pluie qui refroidit l’air du dehors, il entre plus de chaleur qu’auparavant dans les maisons. Et la chaleur qui est dans les pores de ces flocons se tient plutôt vers leurs superficies que vers leurs centres, d’autant que la matière subtile qui la cause y peut mieux, continuer ses mouvements : et là elle les fond de plus en plus un peu devant qu’ils commencent derechef à se geler : et même les plus liquides, c’est-à-dire les plus agitées de leurs parties qui se trouvent ailleurs, tendent aussi vers là, au lieu que celles qui n’ont pas loisir de se fondre demeurent au centre ; d’où vient que le dehors de chaque grain de cette grêle étant ordinairement composé d’une glace continue et transparente, il y a dans le milieu un peu de neige ; ainsi que vous pourrez voir en les cassant. Et pourcequ’elle ne tombe quasi jamais qu’en été, ceci vous assurera que les nues peuvent être pour lors composées de parcelles de glace aussi bien que l’hiver. Mais la raison qui empêche qu’il ne peut guère tomber en hiver de telle grêle, au moins dont les grains soient un peu gros, est qu’il n’arrive guère assez de chaleur jusques aux nues pour cet effet, sinon lorsqu’elles sont si basses que leur matière, étant fondue ou presque fondue, n’auroit pas le temps de se geler derechef avant que d’être descendue jusques à terre. Que si la neige n’est point encore si fondue, mais seulement un peu réchauffée et ramollie, lorsque le vent froid, qui la convertit en grêle survient, elle ne se rend point du tout transparente, mais demeure blanche comme du sucre. Et si les flocons de cette neige sont assez petits, comme de la grosseur d’un pois ou au-dessous, chacun se convertit en un grain de grêle qui est assez rond ; mais s’ils sont plus gros, ils se fendent et se divisent en plusieurs grains tout pointus en forme de pyramides : car la chaleur qui se retire dans les pores de ces flocons au moment qu’un vent froid commence à les environner condense et resserre toutes leurs parties en tirant de leurs circonférences vers leurs centres, ce qui les fait devenir assez ronds ; et le froid, les pénétrant aussitôt après et les gelant, les rend beaucoup plus durs que n’est la neige. Et pourceque, lorsqu’ils sont un peu gros, la chaleur qu’ils ont au dedans continue encore de faire que leurs parties intérieures se resserrent et se condensent, en tirant toujours vers le centre, après que les extérieures sont tellement durcies et engelées par le froid qu’elles ne les peuvent suivre, il est nécessaire qu’ils se fendent en dedans, suivant des plans ou lignes droites qui tendent vers le centre, et que leurs fentes s’augmentant de plus en plus à mesure que le froid pénètre plus avant, enfin ils s’éclatent et se divisent en plusieurs pièces pointues qui sont autant de grains de grêle. Je ne détermine point en combien de tels grains chacun se peut diviser, mais il me semble que pour l’ordinaire ce doit être en huit pour le moins, et qu’ils se peuvent aussi peut-être diviser en douze ou vingt ou vingt-quatre, mais encore mieux en trente-deux, ou même en beaucoup plus grand nombre, selon qu’ils sont plus gros et d’une neige plus subtile, et que le froid qui les convertit en grêle est plus âpre et vient plus à coup. Et j’ai observé plus d’une fois de telle grêle dont les grains avoient à peu près la figure des segments d’une boule divisée en huit parties égales par trois sections qui s’entre-coupent au centre à angles droits. Puis j’en ai aussi observé d’autres qui, étant plus longs et plus petits, sembloient être environ le quart de ceux-là, bien que leurs querres s’étant émoussées et arrondies en se resserrant, ils eussent quasi la figure d’un pain de sucre. Et j’ai observé aussi que, devant ou après ou même parmi ces grains de grêle, il en tomboit communément quelques autres qui étoient ronds.

Mais les diverses figures de cette grêle n’ont encore rien de curieux ni de remarquable à comparaison de celles de la neige qui se fait de ces petits nœuds ou pelotons de glace arrangés par le vent en forme de feuilles, en le façon que j’ai tantôt décrite ; car lorsque la chaleur commence à fondre les petits poils de ces feuilles, elle abat premièrement ceux du dessus et du dessous à cause que ce sont les plus exposés à son action, et fait que le peu de liqueur qui en sort se répand sur leurs superficies, où il remplit aussitôt les petites inégalités qui s’y trouvent, et ainsi les rend aussi plates et polies que sont celles des corps liquides ; nonobstant qu’il s’y regèle tout aussitôt, à cause que si la chaleur n’est point plus grande qu’il est besoin pour faire que ces petits poils étant environnés d’air tout autour se dégèlent sans qu’il se fonde rien davantage, elle ne l’est pas assez pour empêcher que leur matière ne se regèle quand elle est sur ces superficies qui sont de glace. Après cela cette chaleur ramollissant et fléchissant aussi les petits poils qui restent autour de chaque nœud dans le circuit où il est environné de six autres semblables à lui, elle fait que ceux de ces poils qui sont les plus éloignés des six nœuds voisins, se pliant indifféremment ça et là, se vont tous joindre à ceux qui sont vis-à-vis de ces six nœuds ; car ceux-ci étant refroidis par la proximité de ces nœuds ne peuvent se fondre, mais tout au contraire font geler derechef la matière des autres sitôt qu’elle est mêlée parmi la leur ; au moyen de quoi il se forme six pointes ou rayons autour de chaque nœud, qui peuvent avoir diverses figures selon que les nœuds sont plus ou moins gros et pressés, et leurs poils plus ou moins forts et longs, et la chaleur qui les assemble plus ou moins lente et modérée, et selon aussi que le vent qui accompagne cette chaleur, si au moins elle est accompagnée de quelque vent, est plus ou moins fort. Et ainsi la face extérieure de la nuée, qui étoit auparavant telle qu’on voit vers Z[16], ou vers M, devient par après telle qu’on voit vers O, ou vers Q, et chacune des parcelles de glace dont elle est composée a la figure d’une petite rose ou étoile fort bien taillée.

Mais, afin que vous ne pensiez pas que je n’en parle que par opinion, je vous veux faire ici le rapport d’une observation que j’en ai faite l’hiver passé, 1635. Le quatrième de février, l’air ayant été auparavant extrêmement froid, il tomba le soir à Amsterdam, où j’étois pour lors, un peu de verglas, c’est-à-dire de pluie qui se geloit en arrivant contre la terre, et après il suivit une grêle fort menue, dont je jugeai que les grains, qui n’étoient qu’à peu près de la grosseur qu’ils sont représentés vers H, étoient des gouttes de la même pluie qui s’étoient gelées au haut de l’air. Toutefois, au lieu d’être exactement ronds, comme sans doute ces gouttes avoient été, ils avoient un côté notablement plus plat que l’autre, en sorte qu’ils ressembloient presque en figure à la partie de notre œil qu’on nomme l’humeur cristalline ; d’où je connus que le vent, qui étoit lors très grand et très froid, avoit eu la force de changer ainsi la figure des gouttes en les gelant. Mais ce qui m’étonna le plus de tout, fut qu’entre ceux de ces grains qui tombèrent les derniers, j’en remarquai quelques uns qui avoient autour de soi six petites dents semblables à celles des roues des horloges, ainsi que vous voyez vers I ; et ces dents étant fort blanches comme du sucre, au lieu que les grains qui étoient de glace transparente sembloient presque noirs, elles paroissoient manifestement être faites d’une neige fort subtile qui s’étoit attachée autour d’eux depuis qu’ils étoient formés, ainsi que s’attache la gelée blanche autour des plantes. Et je connus ceci d’autant plus clairement de ce que tout à la fin j’en rencontrai un ou deux qui avoient autour de soi plusieurs petits poils sans nombre, composés d’une neige plus pâle et plus subtile que celle des petites dents qui étoient autour des autres, en sorte qu’elle lui pouvoit être comparée en même façon que la cendre non foulée dont se couvrent les charbons en se consumant, à celle qui est recuite et entassée dans le foyer. Seulement avois-je de la peine à imaginer qui pouvoit avoir formé et compassé si justement ces six dents autour de chaque grain dans le milieu d’un air libre, et pendant l’agitation d’un fort grand vent, jusques à ce qu’enfin je considérai que ce vent avoit pu facilement emporter quelques uns de ces grains au-dessous ou au-delà de quelque nue, et les y soutenir, à cause qu’ils étoient assez petits, et que là ils avoient dû s’arranger en telle sorte que chacun d’eux fût environné de six autres situés en un même plan, suivant l’ordre ordinaire de la nature ; et de plus qu’il étoit bien vraisemblable que la chaleur qui avoit dû être un peu auparavant au haut de l’air pour causer la pluie que j’avois observée, y avoit aussi ému quelques vapeurs que ce même vent avoit chassées contre ces grains, où elles s’étoient gelées en forme de petits poils fort déliés, et avoient même peut-être aidé à les soutenir ; en sorte qu’ils avoient pu facilement demeurer là suspendus, jusques à ce qu’il fût derechef survenu quelque chaleur, et que cette chaleur fondant d’abord tous les poils qui étoient autour de chaque grain, excepté ceux qui s’étoient trouvés vis-à-vis du milieu de quelqu’un des six autres grains qui l’environnoient, à cause que leur froideur avoit empêché son action, la matière de ces poils fondus s’étoit mêlée aussitôt parmi les six tas de ceux qui étoient demeurés, et les ayant par ce moyen fortifiés et rendus d’autant moins pénétrables à la chaleur, elle s’étoit gelée parmi eux, et ils avoient ainsi composé ces six dents. Au lieu que les poils sans nombre que j’avois vu autour de quelques uns des derniers grains qui étoient tombés, n’avoient point du tout été atteints par cette chaleur. Le lendemain matin sur les huit heures j’observai·encore une autre sorte de grêle, ou plutôt de neige, dont je n’avois jamais ouï parler : c’étoient de petites lames de glace, toutes plates, fort polies, fort transparentes, environ de l’épaisseur d’une feuille d’assez gros papier, et de la grandeur qu’elles se voient vers K, mais si parfaitement taillées en hexagones, et dont les six côtés étoient si droits, et les six angles si égaux, qu’il est impossible aux hommes de rien faire de si exact. Je vis bien incontinent que ces lames avoient dû être premièrement de petits pelotons de glace arrangés comme j’ai tantôt dit, et pressés par un vent très fort accompagné d’assez de chaleur, en sorte que cette chaleur avoit fondu tous leurs poils, et avoit tellement rempli tous leurs pores de l’humidité qui en étoit sortie, que, de blancs qu’ils avoient été auparavant, ils étoient devenus transparents ; et que ce vent les avoit à même temps si fort pressés les uns contre les autres, qu’il n’étoit demeuré aucun espace entre deux, et qu’il avoit aussi aplani leurs superficies en passant par-dessus et par-dessous, et ainsi leur avoit justement donné la figure de ces lames. Seulement restoit-il un peu de difficulté en ce que ces pelotons de glace ayant été ainsi demi-fondus, et à même temps pressés l’un contre l’autre, ils ne s’étoient point collés ensemble pour cela, mais étoient demeurés tous séparés ; car, quoique j’y prisse garde expressément, je n’en pus jamais rencontrer deux qui tinssent l’un à l’autre. Mais je me satisfis bientôt, là-dessus en considérant de quelle façon le vent agite toujours et fait plier successivement toutes les parties de la superficie de l’eau, en coulant par-dessus sans la rendre pour cela rude ou inégale ; car je connus de là qu’infailliblement il fait plier et ondoyer en même sorte les superficies des nues, et qu’y remuant continuellement chaque parcelle de glace un peu autrement que ses voisines, il ne leur permet pas de se coller ensemble tout-à-fait, encore qu’il ne les désarrange point pour cela, et qu’il ne laisse pas cependant d’aplanir et de polir leurs petites superficies, en même façon que nous voyons quelquefois qu’il polit celles des ondes qu’il fait en la poussière d’une campagne. Après cette nue il en vint une autre qui ne produisoit que de petites roses ou roues à six dents arrondies en demi-cercles, telles qu’on les voit vers Q, et qui étoient toutes transparentes et toutes plates, à peu près de même épaisseur que les lames qui avaient précédé, et les mieux taillées et compassées qu’il soit possible d’imaginer. Même j’aperçus au milieu de quelques unes un point blanc fort petit qu’on eût pu dire être la marque du pied du compas dont on s’étoit servi pour les arrondir. Mais il me fut aisé de juger qu’elles s’étoient formées de la même façon que ces lames, excepté que le vent les ayant beaucoup moins pressées et la chaleur ayant peut-être aussi été un peu moindre, leurs pointes ne s’étoient pas fondues tout-à-fait, mais seulement un peu raccourcies et arrondies par le bout en forme de dents : et pour le point blanc qui paroissoit au milieu de quelques unes, je ne doutois point qu’il ne procédât de ce que la chaleur, qui de blanches les avoit rendues transparentes, avoit été si médiocre qu’elle n’avoit pas du tout pénétré jusques à leur centre. Il suivit après plusieurs autres telles roues jointes deux à deux par un essieu, ou plutôt, à·cause que du commencement ces essieux étoient fort gros, on eût pû dire que c’étoient autant de petites colonnes dé cristal dont chaque bout étoit orné d’une rose à six feuilles un peu plus larges que leur base. Mais il en tomba par après de plus déliés, et souvent les roses ou étoiles qui étoient à leurs extrémités étoient inégales. Puis il en tomba aussi de plus courts, et encore de plus courts par degrés, jusques à ce qu’enfin ces étoiles se joignirent tout-à-fait ; et il en tomba de doubles à douze pointes ou rayons assez longs et parfaitement bien compassés, aux unes tous égaux et aux autres alternativement inégaux, comme on les voit vers F et vers E. Et tout ceci me donna occasion de considérer que les parcelles de glace qui sont de deux divers plans ou feuilles posées l’une sur l’autre dans les nues, se peuvent attacher ensemble plus aisément que celles d’une même feuille ; car, bien que le vent, agissant d’ordinaire plus fort contre les plus basses de ces feuilles que contre les plus hautes, les fasse mouvoir un peu plus vite, ainsi qu’il a été tantôt remarqué, néanmoins il peut aussi quelquefois agir contre elles d’égale force et les faire ondoyer de même façon, principalement lorsqu’il n’y en a que deux ou trois l’une sur l’autre, et lors, se criblant par les environs des pelotons qui les composent ; il fait que ceux de ces pelotons qui se correspondent en diverses feuilles se tiennent toujours comme immobiles vis-à-vis les uns des autres, nonobstant l’agitation et ondoiement de ces feuilles, à cause que par ce moyen le passage lui est plus aisé. Et cependant la chaleur, n’étant pas moins empêchée par la proximité des pelotons de deux diverses feuilles de fondre ceux de leurs poils qui se regardent que par la proximité de ceux d’une même, ne fond que les autres poils d’alentour, qui, se mêlant aussitôt parmi ceux qui demeurent, et s’y regelant, composent les essieux ou colonnes qui joignent ces. petits pelotons au même temps qu’ils, se changent en roses ou en étoiles. Et je ne m’étonnai point de la grosseur que j’avois remarquée au commencement en ces colonnes, encore que je connusse bien que la matière des petits poils qui avoit été autour de deux pelotons n’avoit pu suffire pour les composer; car je pensai qu’il y avoit eu peut-être quatre ou cinq feuilles l’une sur l’autre, et que la chaleur, ayant agi plus fort contre les deux ou trois du milieu que contre la première et la dernière, à cause qu’elles étoient moins exposées au vent, avoit presque entièrement fondu les pelotons qui les composoient, et en avoit formé ces colonnes. Je ne m’étonnai point non plus de voir souvent deux étoiles d’inégale grandeur jointes ensemble, car, prenant garde que les rayons de la plus grande étoient toujours plus longs et plus pointus que ceux de l’autre, je jugeois que la cause en étoit que la chaleur, ayant été plus forte autour de la plus petite que de l’autre, avoit davantage fondu et émoussé les pointes de ces rayons ; ou bien que cette plus petite pouvoit aussi avoir été composée d’un peloton de glace plus petit. Enfin, je ne m’étonnai point de ces étoiles doubles à douze rayons qui tombèrent après, car je jugeai que chacune avoit été composée de deux simples à six rayons par la chaleur, qui, étant plus forte entre les deux feuilles où elles étoient qu’au dehors, avoit entièrement fondu les petits filets de glace qui les conjoignoient, et ainsi les avoit collées ensemble ; comme aussi elle avoit accourci ceux qui conjoignoient les autres, que j’avois vues tomber immédiatement auparavant. Or, entre plusieurs milliers de ces petites étoiles que je considérai ce jour-là, quoi que j’y prisse garde expressément, je n’en pus jamais remarquer aucune qui eût plus ou moins de six rayons, excepté un fort petit nombre de ces doubles qui en avoient douze, et quatre ou cinq autres qui en avoient huit : et celles-ci n’étoient pas exactement rondes, ainsi que toutes les autres, mais un peu en ovale, et entièrement telles qu’on les peut voir vers O ; d’où je jugeai qu’elles s’étoient formées en la conjonction des extrémités de deux feuilles, que le vent avoit poussées l’une contre l’autre au même temps que la chaleur convertissoit leurs petits pelotons en étoiles, car elles avoient exactement la figure que cela doit causer. Et cette conjonction, se faisant suivant une ligne toute droite, ne peut être tant empêchée par l’ondoiement que causent les vents que celle des parcelles d’une même feuille. Outre que la chaleur peut aussi être plus grande entre les bords de ces feuilles, quand elles s’approchent l’une de l’autre, qu’aux autres lieux, et cette chaleur ayant a demi fondu les parcelles de glace qui y sont, le froid qui lui succède au moment qu’elles commencent à se toucher les peut aisément coller ensemble. Au reste, outre les étoiles dont j’ai parlé jusques ici, qui étoient transparentes, il en tomba une infinité d’autres ce jour—là qui étoient toutes blanches comme du sucre, et dont quelques unes avoient à peu près même figure que les transparentes ; mais la plupart avoient leurs rayons plus pointus et plus déliés, et souvent divisés tantôt en trois branches dont les deux côtés étoient repliés en dehors de part et d’autre, et celle du milieu demeuroit droite, en sorte qu’elles représentoient une fleur de lis, comme on peut voir vers R ; et tantôt en plusieurs qui représentoient des plumes ou des feuilles de fougère, ou choses semblables. Et il tomboit aussi parmi ces étoiles plusieurs autres parcelles de glace en forme de filets, et sans autre figure déterminée. Dont toutes les causes sont aisées à entendre ; car pour la blancheur de ces étoiles elle ne procédoit que de ce que la chaleur n’avoit point pénétré jusques au fond de leur matière, ainsi qu’il étoit manifeste de ce que toutes celles qui étoient fort minces étoient transparentes. Et si quelquefois les rayons des blanches n’étoient pas moins courts et mousses que ceux des transparentes, ce n’étoit pas qu’ils se fussent autant fondus à la chaleur, mais qu’ils avoient été davantage pressés par les vents : et communément ils étoient plus longs et pointus, à cause qu’ils s’étoient moins fondus ; et lorsque ces rayons étoient divisés en plusieurs branches, c’étoit que la chaleur avoit abandonné les petits poils qui les composoient sitôt qu’ils avoient commencé à s’approcher les uns des autres pour s’assembler ; et lorsqu’ils étoient seulement divisés en trois branches, c’étoit qu’elle les avoit abandonnés un peu plus tard ; et les deux branches des côtés se replioient de part et d’autre en dehors lorsque cette chaleur se retiroit, à cause que la proximité de la branche du milieu les rendoit incontinent plus froides et moins flexibles de son côté, ce qui formoit chaque rayon en fleur de lis. Et les parcelles de glace qui n’avoient aucune figure déterminée m’assuroient que toutes les nues n’étoient pas composées de petits nœuds ou pelotons, mais qu’il y en avoit auss qui n’étoient faites que de filets confusément entremêlés. Pour la cause qui faisoit descendre ces étoiles, la violence du vent qui continua tout ce jour-là me la rendoit fort manifeste, car je jugeois qu’il pouvoit aisément les désarranger et rompre les feuilles qu’elles composoient après les avoir faites ; et que, sitôt qu’elles étoient ainsi désarrangées, penchant quelqu’un de leurs côtés vers la terre, elles pouvoient facilement fendre l’air, à cause qu’elles étoient toutes plates et se trouvoient assez pesantes pour descendre. Mais s’il tombe quelquefois de ces étoiles en temps calme, c’est que l’air de dessous en se resserrant attire à soi toute la nue, ou que celui de dessus en se dilatant le pousse en bas, et par même moyen les désarrange, d’où vient que pour lors elles ont coutume d’être suivies de plus de neige, ce qui n’arriva point ce jour-là. Le matin suivant il tomba des flocons de neige qui sembloient être composés d’un nombre infini de fort petites étoiles jointes ensemble : toutefois, en y regardant de plus près, je trouvai que celles du dedans n’étoient pas si régulièrement formées que celles du dessus, et qu’elles pouvoient aisément procéder de la dissolution d’une nue semblable à celle qui a été ci-dessus marquée G[17]. Puis, cette neige ayant cessé, un vent subit en forme d’orage fit tomber un peu de grêle blanche fort longue et menue dont chaque grain avoit la figure d’un pain de sucre ; et l’air devenant clair et serein tout aussitôt, je jugeai que cette grêle s’étoit formée de la plus haute partie des nues dont la neige étoit fort subtile et composée de filets fort déliés, en la façon que j’ai tantôt décrite. Enfin, à trois jours de là, voyant tomber de la neige toute composée de petits nœuds ou pelotons environnés d’un grand nombre de poils entremêlés et qui n’avoient aucune forme d’étoiles, je me confirmai en la créance de tout ce que j’avois imaginé touchant cette matière.

Pour les nuées qui ne sont composées que de gouttes d’eau, il est aisé à entendre de ce que j’ai dit comment elles descendent en pluie, à savoir, ou par leur propre pesanteur, lorsque leurs gouttes se trouvent assez grosses ; ou parceque l’air qui est dessous en se retirant, ou celui qui est dessus en les pressant, leur donnent occasion de s’abaisser ; ou parceque plusieurs de ces causes concourent ensemble : et c’est quand l’air du dessous se retire que se fait la pluie la plus menue qui puisse être, car même elle est alors quelquefois si menue qu’on ne dit pas que ce soit de la pluie, mais plutôt un brouillard qui descend ; comme, au contraire, elle se fait fort grosse quand la nuée ne s’abaisse qu’a cause qu’elle est pressée par l’air du dessus, car les plus hautes de ses gouttes descendent les premières, en rencontrent d’autres qui les grossissent ; et de plus j’ai vu quelquefois en été, pendant un temps calme accompagné d’une chaleur pesante et étouffante, qu’il commençoit à tomber de telle pluie, avant même qu’il eût paru aucune nue, dont la cause étoit qu’y ayant en l’air beaucoup de vapeurs qui sans doute étoient pressées par les vents des autres lieux, ainsi que le calme et la pesanteur de l’air le témoignoient, les gouttes en quoi ces vapeurs se convertissoient devenoient fort grosses en tombant, et tomboient à mesure qu’elles se formoient.

Pour les brouillards, lorsque la terre en se refroidissant, et l’air qui est dans ses pores se resserrant, leur donne moyen de s’abaisser, ils se convertissent en rosée s’ils sont composés de gouttes d’eau, et en bruine ou gelée blanche s’ils sont composés de vapeurs déjà gelées, ou plutôt qui se gèlent à mesure qu’elles touchent la terre. Et ceci arrive principalement la nuit ou le matin, à cause que c’est le temps que la terre en s’éloignant du soleil se refroidit, Mais le vent abat aussi fort souvent les brouillards, en survenant aux lieux où ils sont ; et même il peut transporter leur matière et en faire de la rosée ou de la gelée blanche, en ceux où ils n’ont point été aperçus ; et on voit alors que cette gelée ne s’attache aux plantes que sur les côtés que le vent touche.

Pour le serein, qui ne tombe jamais que le soir, et ne se connoît que par les rhumes et les maux de tête qu’il cause en quelques contrées, il ne consiste qu’en certaines exhalaisons subtiles et pénétrantes qui, étant plus fixes que les vapeurs, ne s’élèvent qu’aux pays assez chauds et aux beaux jours, et qui retombent tout aussitôt que la chaleur du soleil les abandonne : d’où vient qu’il a diverses qualités en divers pays, et qu’il est même inconnu en plusieurs, selon les différences des terres d’où sortent ces exhalaisons. Et je ne dis pas qul’il ne soit souvent accompagné de la rosée, qui commence à tomber dès le soir, mais bien que ce n’est nullement elle qui cause les maux dont on l’accuse. Ce sont aussi des exhalaisons qui composent la manne et les autres tels sucs qui descendent de l’air pendant la nuit ; car pour les vapeurs, elles ne sauroient se changer en autre chose qu’en eau ou en glace ; et ces sucs, non seulement sont divers en divers pays, mais aussi quelques uns ne s’attachent qu’à certains corps, à cause que leurs parties sont sans doute de telle figure qu’elles n’ont pas assez de prise contre les autres pour s’y arrêter.

Que si la rosée ne tombe point, et qu’on voie au matin les brouillards s’élever en haut, et laisser la terre tout essuyée, c’est signe de pluie : car cela n’arrive guère que lorsque la terre, ne s’étant point assez refroidie la nuit, ou étant extraordinairement échauffée le matin, produit quantité de vapeurs, qui, repoussant ces brouillards vers le ciel, font que leurs gouttes, en se rencontrant, se grossissent et se disposent à tomber en pluie bientôt après. C’est aussi un signe de pluie de voir que notre air étant font chargé de nues, le soleil ne laisse pas de paroitre assez clair des le matin ; car c’est-à-dire qu’il n’y a point d’autres nues en l’ai voisin du nôtre vers l’orient, qui empêchent que la chaleur du soleil ne condense celles qui sont au-dessus de nous, et même aussi qu’elle n’élève de nouvelles vapeurs de notre terre qui les augmente : mais cette cause n’ayant lieu que le matin, s’il ne pleut point, avant midi, elle ne peut rien faire juger de ce qui arrivera vers le soir. Je ne dirai rien de plusieurs autres signes de pluie qu’on observe, à cause qu’ils sont pour la plupart fort incertains ; et si vous considérez que la même chaleur qui est ordinairement requise pour condenser les nues et en tirer de la pluie, les peut aussi, tout au contraire, dilater et changer en vapeurs qui quelquefois se perdent en l’air insensiblement, et quelquefois y causent des vents, selon que les parties de ces nues se trouvent un peu plus pressées, ou écartées, et que cette chaleur est un peu plus ou moins accompagnée d’humidité, et que l’air, qui est aux environs se dilate plus ou moins, ou se condense ; vous connoîtrez bien que toutes ces choses sont trop variables et incertaines pour être assurément prévues par les hommes.


DISCOURS SEPTIÈME.

DES TEMPÊTES, DE LA FOUDRE, ET DE TOUS LES AUTRES FEUX QUI S’ALLUMENT EN L’AIR.


Au reste, ce n’est pas seulement quand les nues se dissolvent en vapeurs qu’elles causent des vents, mais elles peuvent aussi quelquefois s’abaisser si à coup qu’elles chassent avec grande violence tout l’air qui est sous elles, et en composent un vent très fort, mais peu durable, dont l’imitation se peut voir en étendant un voile un peu haut en l’air, puis de là le laissant descendre tout plat vers la terre. Les fortes pluies sont presque toujours précédées par un tel vent, qui agit manifestement de haut en bas, et dont la froideur montre assez qu’il vient des nues, où l’air est communément plus froid qu’autour de nous ; et c’est ce vent qui est cause que lorsque les hirondelles volent fort bas elles nous avertissent de la pluie, car il fait descendre certains moucherons dont elles vivent, qui ont coutume de prendre l’essor, et de s’égayer au haut de l’air quand il fait beau. C’est lui aussi qui quelquefois, lors même que la nue étant fort petite, ou ne s’abaissant que fort peu, il est si foible qu’on ne le sent quasi pas en l’air libre, s’entonnant dans les tuyaux des cheminées, fait jouer les cendres et les fétus qui se trouvent au coin du feu, et y excite comme de petits tourbillons assez admirables pour ceux qui en ignorent la cause, et qui sont ordinairement suivis de quelque pluie. Mais si la nue qui descend est fort pesante et fort étendue (comme elle peut être plus aisément sur les grandes mers qu’aux autres lieux, à cause que les vapeurs y étant fort également dispersées, sitôt qu’il s’y forme la moindre nue en quelque endroit, elle étend incontinent en tous les autres circonvoisins), cela cause infailliblement une tempête, laquelle est d’autant plus forte que, la nue est plus grande et pesante, et dure d’autant plus long-temps que la nue descend de plus haut. Et c’est ainsi que je m’imagine que se font ces travades que les mariniers craignent tant en leurs grands voyages, particulièrement un peu au-delà du cap de Bonne-Espérance, où les vapeurs qui s’élèvent de la mer Éthiopique, qui est fort large et fort échauffée par le soleil, peuvent aisément causer un vent d’abas, qui arrêtant le cours naturel de celles qui viennent de la mer des Indes les assemble en une nue, laquelle, procédant de l’inégalité qui est entre ces deux grandes mers et cette terre, doit devenir incontinent beaucoup plus grande que celles qui se forment en ces quartiers, où elles dépendent de plusieurs moindres inégalités qui sont entre nos plaines, et nos lacs, et nos montagnes. Et pourcequ’il ne se voit quasi jamais d’autres nues en ces lieux-là, sitôt que les mariniers y en aperçoivent quelqu’une qui commence à se former, bien qu’elle paroisse quelquefois si petite que les Flamands l’ont comparée à l’œil d’un bœuf, duquel ils lui ont donné le nom, et que le reste de l’air semble fort calme et fort serein, ils se hâtent d’abattre leurs voiles, et se préparent à recevoir une tempête, qui ne manque pas de suivre tout aussitôt. Et même je juge qu’elle doit être d’autant plus grande que cette nue a paru au commencement plus petite ; car, ne pouvant devenir assez épaisse pour obscurcir l’air et être visible, sans devenir aussi assez grande, elle ne peut paroître ainsi petite qu’à cause de son extrême distance ; et vous savez que plus un corps pesant descend de haut, plus sa chute est impétueuse. Ainsi cette nue étant fort haute, et devenant subitement fort grande et fort pesante, descend tout entière, en chassant avec grande violence tout l’air qui est sous elle, et causant par ce moyen le vent d’une tempête. Même il est à remarquer que les vapeurs mêlées parmi cet air sont dilatées par son agitation, et qu’il en sort aussi pour lors plusieurs autres de la mer, à cause de l’agitation de ses vagues, ce qui augmente beaucoup la force du vent, et, retardant la descente de la nue, fait durer l’orage d’autant plus long-temps. Puis aussi qu’il y a d’ordinaire des exhalaisons mêlées parmi ces vapeurs, qui, ne pouvant être chassées si loin qu’elles par la nue, à cause que leurs parties sont moins solides et ont des figures plus irrégulières, en sont séparées par l’agitation de l’air, en même façon que, comme il a été dit ci-dessus, en battant la crème on sépare le beurre du petit-lait, et que par ce moyen elles s’assemblent par-ci par-là en divers tas, qui, flottant toujours le plus haut qu’il se peut contre la nue, viennent enfin s’attacher aux cordes et aux mâts des navires, lorsqu’elle achève de descendre ; et là étant embrassés par cette violente agitation, ils composent ces feux nommés de Saint-Elme, qui consolent les matelots, et leur font espérer le beau temps. Il est vrai que souvent ces tempêtes sont en leur plus grande force vers la fin, et qu’il peut y avoir plusieurs nues l’une sur l’autre, sous chacune desquelles il se trouve de tels feux, ce qui a peut-être été la cause pourquoi les anciens n’en voyant qu’un, qu’ils nommoient l’astre d’Hélène, ils l’estimoient de mauvais augure, comme s’ils eussent encore attendu alors le plus fort de la tempête ; au lieu que lorsqu’ils en voyoient deux, qu’ils nommoient Castor et Pollux, ils les prenoient pour un bon présage, car c’étoit ordinairement le plus qu’ils en vissent, excepté peut-être lorsque l’orage étoit extraordinairement grand qu’ils en voyoient trois, et les estimoient aussi à cause de cela de mauvais augure. Toutefois j’ai ouï dire à nos mariniers qu’ils en voient quelquefois jusques au nombre de quatre ou cinq, peut-être à cause que leurs vaisseaux sont plus grands, et ont plus de mâts que ceux des anciens, ou qu’ils voyagent en des lieux où les exhalaisons sont plus fréquentes ; car enfin je ne puis rien dire que par conjecture de ce qui se fait dans les grandes mers, que je n’ai jamais vues, et dont je n’ai que des relations fort imparfaites.

Mais pour les orages qui sont accompagnés de tonnerre, d’éclairs, de tourbillons et de foudre, desquels pu voir quelques exemples sur terre, je ne doute point qu’ils ne soient causés de ce qu’y ayant plusieurs nues l’une sur l’autre, il arrive quelquefois que les plus hautes descendent fort à coup sur les plus basses ; comme si les deux nues A[18] et B, n’étant composées que de neige fort rare et fort étendue, il se trouve un air plus chaud autour de la supérieure A qu’autour de l’inférieure B, il est évident que la chaleur de cet air la peut condenser et appesantir peu à peu, en telle sorte que les plus hautes de ses parties, commençant les premières à descendre, en abattront ou entraîneront avec soi quantité d’autres, qui tomberont aussitôt toutes ensemble avec un grand bruit sur l’inférieure ; en même façon que je me souviens d’avoir vu autrefois dans les Alpes, environ le mois de mai, que les neiges étant échauffées et appesanties par le soleil, la moindre émotion d’air étoit suffisante pour en faire tomber subitement de gros tas, qu’on nommoit, ce me semble, des avalanches, et qui, retentissant dans les vallées, imitoîent assez bien le bruit du tonnerre. Ensuite de quoi on peut entendre pourquoi il tonne plus rarement en ces quartiers l’hiver que l’été ; car il ne parvient pas alors si aisément assez de chaleur jusqu’aux plus hautes nues pour les dissoudre ; et pourquoi, lorsque, pendant les grandes chaleurs, après un vent septentrional qui dure fort peu, on sent derechef une chaleur moite et étouffante, c’est signe qu’il suivra bientôt du tonnerre ; car cela témoigne que ce vent septentrional, ayant passé contre la terre, en a chassé la chaleur vers l’endroit de l’air où se forment les plus hautes nues, et qu’en étant après chassé lui-même vers celui où se forment les plus basses, par la dilatation de l’air inférieur que causent les vapeurs chaudes qu’il contient, non seulement les plus hautes, en se condensant, doivent descendre, mais aussi les plus basses, demeurant fort rares, et même étant comme soufflées et repoussées par cette dilatation de l’air inférieur, leur doivent résister en telle sorte que souvent elles peuvent empêcher qu’il n’en tombe aucune partie jusques à terre. Et notez que le bruit qui se fait ainsi au-dessus de nous se doit mieux entendre, à cause de la résonnance de l’air, et être plus grand, à raison de la neige qui tombe, que n’est celui des avalanches ; puis notez aussi que de cela seul que les parties des nues supérieures tombent toutes ensemble, ou l’une après l’autre, ou plus vite, ou plus lentement, et que les inférieures sont plus ou moins grandes et épaisses, et résistent plus ou moins fort, tous les différents bruits du tonnerre peuvent aisément être causés. Pour les différences des éclairs, des tourbillons et de la foudre, elles ne dépendent que de la nature des exhalaisons qui se trouvant en l’espace qui est entre deux nues, et de la façon que la supérieure tombe sur l’autre ; car s’il a précédé de grandes chaleurs et sécheresses, en sorte que cet espace contienne quantité d’exhalaisons fort subtiles, et fort disposées à s’enflammer, la nue supérieure ne peut quasi être si petite, ni descendre si lentement, que, chassant l’air qui est entre elle et l’inférieure, elle n’en fasse sortir un éclair, c’est-à—dire une flamme légère qui se dissipe à l’heure même : en sorte qu’on peut voir alors de tels éclairs sans ouïr aucunement le bruit du tonnerre, et même aussi quelquefois sans que les nues soient assez épaisses pour être visibles. Comme au contraire, s’il n’y a point en l’air d’exhalaisons qui soient propres à s’enflammer, on peut ouïr le bruit du tonnerre sans qu’il paraisse pour cela aucun éclair ; et lorsque la plus haute nue ne tombe que par pièces qui s’entre-suivent, elle ne cause guère que des éclairs et du tonnerre ; mais lorsqu’elle tombe tout entière et assez vite, elle peut causer avec cela des tourbillons et de la foudre : car il faut remarquer que ses extrémités, comme C[19] et D, se doivent abaisser un peu plus vite que le milieu, d’autant que l’air qui est dessous ayant moins de chemin à faire pour en sortir leur cède plus aisément, et ainsi que, venant à toucher la nue inférieure plus tôt que ne fait le milieu, il s’enferme beaucoup d’air entre deux, comme on voit ici vers E ; puis cet air étant pressé et chassé avec grande force par ce milieu de la nue supérieure qui continue encore à descendre, il doit nécessairement rompre l’inférieure pour en sortir, comme on voit vers F, ou entr’ouvrir quelqu’une de ses extrémités, comme on voit vers G ; et lorsqu’il a rompu ainsi cette nue, il descend avec grande force vers la terre, puis de là remonte en tournoyant, à cause qu’il trouve de la résistance de tous côtés qui l’empêche de continuer son mouvement enligne droite aussi vite que son agitation le requiert : et ainsi il compose un tourbillon, qui peut n’être point accompagné de foudre ni d’éclairs, s’il n’y a point en cet air d’exhalaisons qui soient propres à s’enflammer ; mais lorsqu’il y en a, elles s’assemblent toutes en un tas, et étant chassées fort impétueusement, avec cet air vers la terre, elles composent la foudres ; et cette foudre peut brûler les habits et raser le poil sans nuire au corps, si ces exhalaisons, qui ont ordinairement l’odeur du soufre, ne sont que grasses et huileuses, en sorte qu’elles composent une flamme légère qui ne s’attache qu’aux corps aisés à brûler ; comme au contraire elle peut rompre les os sans endommager les chairs, ou fondre l’épée sans gâter le fourreau, si ces exhalaisons, étant fort subtiles et pénétrantes, ne participent que de la nature des sels volatils ou des eaux-fortes, au moyen de quoi, ne faisant aucun effort contre les corps qui leur cèdent, elles brisent et dissolvent tous ceux qui leur font beaucoup de résistance, ainsi qu’on voit l’eau-forte dissoudre les métaux les plus durs, et n’agir point contre la cire. Enfin la foudre se peut quelquefois convertir en une pierre fort dure, qui rompt et fracasse tout ce qu’elle rencontre, si parmi ces exhalaisons fort pénétrantes il y en a quantité de ces autres qui sont grasses et ensoufrées ; principalement s’il y en a aussi de plus grossières, semblables à cette terre qu’on trouve au fond de l’eau de pluie lorsqu’on la laisse rasseoir en quelque vase : ainsi qu’on peut voir par expérience, qu’ayant mêlé certaines portions de cette terre de salpêtre et de soufre, si on met le feu en cette composition, il s’en forme subitement une pierre. Que si la nue s’ouvre par le côté, comme vers G, la foudre étant élancée de travers, rencontre plutôt les pointes des tours ou des rochers que les lieux bas, comme on voit vers H. Mais lors même que la nue se rompt par le dessous, il y a raison pourquoi la foudre tombe plutôt sur les lieux hauts et éminents que sur les autres : car si, par exemple, la nue B n’est point d’ailleurs plus disposée à se rompre en un endroit qu’en un autre, il est certain qu’elle se devra rompre en celui qui est marqué F, à cause de la résistance du clocher qui est au-dessous. Il y a aussi raison pourquoi chaque coup de tonnerre est d’ordinaire suivi d’une ondée de pluie, et pourquoi, lorsque cette pluie vient fort abondante, il ne tonne guère plus davantage ; car si la force dont la nue supérieure ébranle l’inférieure en tombant dessus est assez grande pour la faire toute descendre, il, est évident que le tonnerre doit cesser ; et si elle est moindre, elle ne laisse pas d’en pouvoir souvent faire sortir plusieurs flocons de neige, qui, se fondant en l’air, font de la pluie. Enfin ce n’est pas sans raison qu’on tient que le grand bruit, comme des cloches ou des canons, peut diminuer l’effet de la foudre ; car il aide à dissiper et faire tomber la nue inférieure, en ébranlant la neige dont elle est composée, ainsi que savent assez ceux qui ont coutume de voyager dans les vallées où les avalanches sont à craindre ; car ils s’abstiennent même de parler et de tousser en y passant, de peur que le bruit de leur voix n’émeuve la neige.

Mais comme nous avons déjà remarqué qu’il éclaire quelquefois sans qu’il tonne, ainsi aux endroits de l’air où il se rencontre beaucoup d’exhalaisons et peu de vapeurs, il se peut former des nues si peu épaisses et si légères, que tombant d’assez haut l’une sur l’autre elles ne font ouïr aucun tonnerre, ni n’excitent en l’air aucun orage, nonobstant qu’elles enveloppent et joignent ensemble plusieurs exhalaisons, dont elles composent non seulement de ces moindres flammes qu’on diroit être des étoiles qui tombent du ciel, ou d’autre qui le traversent, mais aussi des boules de feu assez grosses, et qui, parvenant jusques à mous, sont comme des diminutifs de la foudre. Même d’autant qu’il y a des exhalaisons de plusieurs diverses natures, je ne juge pas qu’il soit impossible que les nues, en les pressant, n’en composent quelquefois une matière qui, selon la couleur et la consistance qu’elle aura, semble du lait, ou du sang, ou de la chair ; ou bien qui, en se brûlant devient telle qu’on la prenne pour du fer, ou des pierres ; ou enfin qui, en se corrompant, engendre quelques petits animaux en peu de temps, ainsi qu’on lit souvent, entre les prodiges, qu’il a plu du fer, ou du sang, ou des sauterelles, ou choses semblables. De plus, sans qu’il y ait en l’air aucune nue, les exhalaisons peuvent être entassées et embrasées par le seul souffle des vents, principalement lorsqu’il y en a deux ou plusieurs contraires qui se rencontrent ; et enfin sans vents et sans nues, par cela seul qu’une exhalaison subtile et pénétrante, qui tient de la nature des sels, s’insinue dans les pores d’une autre qui est grasse et ensoufrée, il se peut former des flammes légères tant au haut qu’au bas de l’air, comme on y voit au haut ces étoiles qui le traversent, et au bas tant ces ardents ou feux follets qui s’y jouent, que ces autres qui s’arrêtent à certains corps comme aux cheveux des enfants, ou au crin des chevaux, ou aux pointes des piques qu’on a frottées d’huile pour les nettoyer, ou à choses semblables. Car il est certain que non seulement une violente agitation, mais souvent aussi le seul mélange de deux divers corps est suffisant pour les embraser, comme on voit en versant de l’eau sur de la chaux, ou renfermant du foin avant qu’il soit sec, ou en une infinité d’autres exemples qui se rencontrent tous les jours en la chimie. Mais tous ces feux ont fort peu de force à comparaison de la foudre, dont la raison est qu’ils ne sont composés que des plus molles et plus gluantes parties des huiles, nonobstant que les plus vives et plus pénétrantes des sels concourent ordinairement aussi à les produire ; car celles-ci ne s’arrêtent pas pour cela parmi les autres, mais s’écartent promptement en l’air libre après qu’elles les ont embrasées ; au lieu que la foudre est principalement composée de ces plus vives et pénétrantes, qui étant fort violemment pressées et chassées par les nues, emportent les autres avec soi jusqu’à terre. Et ceux qui savent combien le feu du salpêtre et du soufre mêlés ensemble a de force et de vitesse, au lieu que la partie grasse du soufre étant séparée de ses esprits en auroit fort peu, ne trouveront en ceci rien de douteux. Pour la durée des feux qui s’arrêtent ou voltigent autour de nous, elle peut être plus ou moins longue, selon que leur flamme est plus ou moins lente, et leur matière plus ou moins épaisse et serrée ; mais pour celle des feux qui ne se voient qu’au haut de l’air, elle ne sauroit être que fort courte, à cause que, si leur matière n’étoit fort rare, leur pesanteur les feroit descendre. Et je trouve que les philosophes ont eu raison de les comparer à cette flamme qu’on voit courir tout du long de la fumée qui sort d’un flambeau qu’on vient d’éteindre, lorsque étant approchée d"un autre flambeau elle s’allume. Mais je m’étonne fort qu’après cela ils aient pu s’imaginer que les comètes et les colonnes ou chevrons de feu qu’on voit quelquefois dans le ciel fussent composées d’exhalaisons, car elles durent incomparablement plus long-temps.

Et pourceque j’ai tâché d’expliquer curieusement leur production et leur nature dans un autre traité, et que je ne crois point qu’elles appartiennent aux météores non plus que les tremblements de terre et les minéraux que plusieurs écrivains y entassent, je ne parlerai plus ici que de certaines lumières qui, paroissant la nuit pendant un temps calme et serein, donnent sujet aux peuples oisifs d’imaginer des escadrons de fantômes qui combattent en l’air et auxquels ils font présager la perte ou la victoire du parti qu’ils affectionnent, selon que la crainte ou l’espérance prédomine en leur fantaisie. Même à cause que je n’ai jamais vu de tels spectacles, et que je sais combien les relations qu’on en fait ont coutume d’être falsifiées et augmentées par la superstition et l’ignorance, je me contenterai de toucher en peu de mots toutes les causes qui me semblent capables de les produire. La première est qu’il y ait en l’air plusieurs nues assez petites pour être prises pour autant de soldats, et qui, tombant l’une sur l’autre, enveloppent assez d’exhalaisons pour causer quantité de petits éclairs et jeter de petits feux, et peut—être aussi faire ouïr de petits bruits au moyen de quoi ces soldats semblent combattre. La seconde, qu’il y ait aussi en l’air de telles nues, mais qu’au lieu de tomber l’une sur l’autre, elles reçoivent leur lumière des feux et des éclairs de quelque grande tempête, qui se fasse ailleurs si loin de là qu’elle n’y puisse être aperçue. Et la troisième, que ces nues, ou quelques autres plus septentrionales de qui elles reçoivent leur lumière, soient si hautes que les rayons du soleil parviennent jusques à elles ; car si on prend garde aux réfractions et réflexions que deux ou trois telles nues peuvent causer, on trouvera, qu’elles n’ont point besoin d’être fort hautes pour faire paroître vers le septentrion de telles lumières après que l’heure du crépuscule est passée, et quelquefois aussi le soleil même au temps qu’il doit être couché. Mais ceci ne semble pas tant appartenir à ce discours qu’aux suivants, où j’ai dessein de parler de toutes les choses qu’on peut voir dans l’air sans qu’elles y soient, après avoir ici achevé l’explication de toutes celles qui s’y voient en même façon qu’elles y sont.


DISCOURS HUITIÈME.

DE L’ARC-EN-CIEL.


L’arc-en-ciel est une merveille de la nature si remarquable, et sa cause a été de tout temps si curieusement recherchée par les bons esprits, et si peu connue, que je ne saurois choisir de matière plus propre à faire voir comment, par la méthode dont je me sers, on peut venir à des connaissances que ceux dont nous avons les écrits n’ont point eues. Premièrement, ayant considéré que cet arc ne peut pas seulement paroître dans le ciel, mais aussi en l’air proche de nous, toutes fois et quantes qu’il s’y trouve plusieurs gouttes d’eau éclairées par le soleil, ainsi que l’expérience fait voir en quelques fontaines, il m’a été aisé de juger qu’il ne procède que de la façon que les rayons de la lumière agissent contre ces gouttes, et de là tendent vers nos yeux ; puis, sachant que ces gouttes sont rondes, ainsi qu’il a été prouvé ci-dessus, et voyant que pour être plus grosses ou plus petites elles ne font point paroître cet arc d’autre façon, je me suis DISCOURS HUITIÈME - Page 266

avisé d’en faire une fort grosse, afin de la pouvoir mieux examiner ; et ayant rempli d’eau, à cet effet, une grande fiole de verre toute ronde et fort transparente, fai trouvé que le soleil venant, par exemple, de la partie du ciel marquée AFZ[20], et mon œil étant·au point E, lorsque je mettais cette boule en l’endroit BCD, sa partie D me paraissait toute rouge et incomparablement plus éclatante que le reste,

et que, soit que je l’approchasse, soit que je la reculasse, et que je la misse à droite ou à gauche, ou même la fisse tourner en rond autour de ma tête, pourvu que la ligne DE fit toujours un angle d’environ 42 degrés avec la ligne EM, qu’il faut imaginer tendre du centre de l’œil vers celui du soleil, cette partie D paroissait toujours également rouge ; mais que sitôt que je faisais cet angle DEM tant soit peu plus grand, cette rougeur disparoissoit, et que si je le faisais un peu moindre, · elle ne disparoissoit pas du tout si à coup, mais se divisoit auparavant comme en deux parties moins brillantes, et dans lesquelles on voyait du jaune, du bleu et d’autres couleurs. Puis, regardant aussi vers l’endroit de cette boule qui est marqué K, j’ai aperçu que faisant l’angle KEM d’environ 52 degrés, cette partie K paroissoit aussi de couleur rouge, mais non pas si éclatante que D, et que, le faisant quelque peu plus grand, il y paroissait d’autres cou-(leurs) DISCOURS HUITIÈME page 267


(cou-)leurs plus foibles, mais que le faisant tant soit peu moindre ou beaucoup plus grand, il n’en paraissait plus aucune. D’où j’ai connu manifestement que tout l’air qui est vers M étant rempli de telles boules, ou en leur place de gouttes d’eau, il doit paroître un point fort rouge et fort éclatant en chacune de celles de ces gouttes dont les lignes tirées vers l’œil E font un angle d’environ 42 degrés avec EM, comme je suppose celles qui sont marquées R ; et que ces points étant regardés tous ensemble, sans qu’on remarque autrement le lieu où ils sont que par l’angle sous lequel ils se voient, doivent paroître comme un cercle continu de couleur rouge, et qu’il doit y avoir tout de même des points en celles qui sont marquées S et T, dont les lignes tirées vers E font des angles un peu plus aigus avec EM, qui composent des cercles de couleurs plus foibles, et que c’est en ceci que consiste le premier et principal arc-en-ciel. Puis derechef, que l’angle MEX étant de 52 degrés, il doit paroître un cercle rouge dans les gouttes marquées X, et d’autres cercles de couleurs plus foibles dans les gouttes marquées Y ; et que c’est en ceci que consiste le second et moins principal arc-en-ciel ; et enfin , qu’en toutes les autres gouttes marquées V, il ne doit paraître aucunes couleurs. Examinant après cela plus particulièrement en la boule BCD ce qui faisait que la partie D paroissoit rouge, j’ai DISCOURS HUITIÈME - Page 268

trouvé que c’étoient les rayons du soleil qui, venant de A vers B , se courboient en entrant dans l’eau au point B, et allaient vers C, d'où ils se réfléchissoient vers D, et là, se courbant derechef en sortant de l’eau , tendoient vers E ; car sitôt que je mettais un corps opaque ou obscur en quelque endroit des lignes AB, BC, CD ou DE, cette couleur rouge disparaissoit ; et quoique je couvrisse toute la boule, excepté les deux points B et D, et que je misse des corps obscurs partout ailleurs, pourvu que rien n’empêchât l’action des rayons ABCDE, elle ne laissoit pas de paroître. Puis cherchant aussi ce qui étoit cause du rouge qui paroissoit vers K, j’ai trouvé que c’étoient les rayons venoient de F vers G, où ils se courboient vers H, et en H se réfléchissoient vers I, et en I se réfléchissoient derechef vers K, puis enfin se courboient au point K et tendoient vers I. De façon que le premier arc-en-ciel, est causé par des rayons qui parviennent à l’œil après deux réfractions et une réflexion, et le second par d’autres·rayons qui n’y parviennent qu’après deux réfractions et deux réflexions ; ce qui empêche qu’il ne paroisse tant que le premier.

Mais la principale difficulté restoit encore, qui étoit de savoir pourquoi, y ayant plusieurs autres rayons qui, après deux réfractions et une ou deux réflexions, peuvent tendre vers l’œil quand cette boule est en autre situation, il n’y a toutefois que DISCOURS HUITIÈME - Page 269

ceux dont j’ai parlé qui fassent paroître quelques couleurs. Et pour la résoudre, j’ai cherché s’il n’y avoit point quelque autre sujet où elles parussent en même sorte, afin que, par la comparaison de l’un et de l’autre, je pusse mieux juger de leur cause.

Puis, me souvenant qu’un prisme ou triangle de cristal en fait voir de semblables, j’en ai considéré un qui étoit tel qu’est ici MNP[21], dont les deux superficies MN et NP sont toutes plates, et inclinées l’une sur l’autre, selon un angle d’environ 30 ou 40 degrés, en sorte que si les rayons du soleil ABC traversent MN à angles droits, ou presque droits, et ainsi n’y souffrent aucune sensible réfraction, ils en doivent souffrir une assez grande en sortant par NP. Et couvrant l’une de ces deux superficies d’un corps obscur, dans lequel il y avoit une ouverture assez étroite, comme DE, j’ai observé que les rayons, passant par cette ouverture et de là s’allant rendre sur un linge ou papier blanc FGH, y peignent toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, et qu’ils y peignent toujours le rouge vers F, et le bleu ou le violet vers H. D’où j’ai appris, premièrement, que la courbure des superficies des gouttes d’eau n’est point nécessaire à la production de ces couleurs, car celles de ce cristal sont toutes plates; ni la grandeur de l’angle sous lequel elles paraissent, car il peut ici être changé sans qu’elles changent, et bien qu’on puisse faire que les rayons qui vont vers F se courbent tantôt plus et tantôt moins que ceux qui vont vers H, ils ne laissent pas de peindre toujours du rouge, et ceux qui vont vers H toujours du bleu ; ni aussi la réflexion, car il n’y en a ici aucune ; ni enfin la pluralité des réfractions, car il n’y en a ici qu’une seule. Mais j’ai jugé qu’il y en falloit pour le moins une, et même une, dont l’effet ne fût point détruit par une contraire ; car l’expérience montre que si les superficies MN et NP étoient parallèles, les rayons, se redressant autant en l’une qu’ils se pourroient courber en l’autre, ne produiroient point ces couleurs. Je n’ai pas douté qu’il n’y fallût aussi de la lumière, car sans elle on ne voit rien ; et, outre cela, j’ai observé qu’il y falloit de l’ombre, ou de la limitation à cette lumière : car si on ôte le corps obscur qui est sur NP, les couleurs FGH cessent de paroître ; et si on fait l’ouverture DE assez grande, le rouge, l’orange, et le jaune, qui sont vers F, ne s’étendent pas plus loin pour cela, non plus que le vert, le bleu, et le violet, qui sont vers H, mais tout le surplus de l’espace qui est entre deux vers G demeure blanc. Ensuite de quoi j’ai tâché de connoître pourquoi ces couleurs sont autres vers H que vers F, nonobstant que la réfraction et l’ombre et la lumière y concourent en même sorte ; et concevant la nature de la lumière telle que je l’ai décrite en la Dioptrique, à savoir, comme l’action ou le mouvement d’une certaine matière fort subtile, dont il faut imaginer les parties ainsi que de petites boules qui roulent dans les pores des corps terrestres, j’ai connu que ces boules peuvent rouler en diverses façons, selon les diverses causes qui les y déterminent ; et, en particulier, que toutes. les réfractions qui se font vers un même côté les déterminent à tourner en même sens, mais que lorsqu’elles n’ont point de voisines qui se meuvent notablement plus vite ou moins vite qu’elles, leur tournoiement n’est qu’à peu près égal à leur mouvement en ligne droite. Au lieu que lorsqu’elles en ont d’un côté qui se meuvent moins vite, et de l’autre qui se meuvent plus ou également vite, ainsi qu’il arrive aux confins de l’ombre et de la lumière, si elles rencontrent celles qui se meuvent moins vite, du côté vers lequel elles roulent, comme font celles qui composent le rayon EH, cela est cause qu’elles ne tournoient pas si vite qu’elles se meuvent en ligne droite ; et c’est tout le contraire lorsqu’elles les rencontrent de l’autre, côté, comme sont celles du rayon DF. Pour mieux entendre ceci, pensez que la boule 1 2 3 4[22] est poussée de V vers X, en telle sorte qu’elle ne va qu’en ligne droite, et que ses deux côtés 1 et 3 descendent également vite jusques à la superficie de l’eau YY, où le mouvement du côté marqué 3, qui la rencontre le premier, est retardé, pendant que celui du côté marqué 1 continue encore, ce qui est cause que toute la boule commence infailliblement à tournoyer suivant l’ordre des chiffres 1 2 3. Puis imaginez qu’elle est environnée de quatre autres, Q, R, S, T, dont les deux Q et R tendent avec plus de force qu’elle à se mouvoir vers X, et les deux autres S et T y tendent avec moins de force, d’où il est évident que Q pressant sa partie marquée 1, et S retenant celle qui est marquée 3, augmentent son tournoiement ; et que R et T n’y nuisent point, pourceque R est disposé à se mouvoir vers X plus vite qu’elle ne la suit, et T n’est pas disposé à la suivre si vite qu’elle la précède, ce qui explique l’action du rayon DF. Puis, tout au contraire, si Q et R tendent plus lentement qu’elle vers X, et S et T y tendent plus fort, R empêche le tournoiement de la partie marquée 1, et T celui de la partie 3, sans que les deux autres Q et S y fassent rien, ce qui explique l’action du rayon EH. Mais il est à remarquer que cette boule 1 2 3 4 étant fort ronde, il peut aisément arriver que lorsqu’elle est pressée un peu fort par les deux R et T, elle se revire en pirouettant autour de l’essieu 42, au lieu d’arrêter son tournoiement à leur occasion, et ainsi, que changeant en un moment de situation, elle tournoie après suivant l’ordre des chiffrés 3 2 1 ; car les deux R et T, qui l’ont fait commencer à se détourner, l’obligent à continuer jusques à ce qu’elle ait achevé un demi-tour en ce sens-là, et qu’elles puissent augmenter son tournoiement, au lieu de le retarder : ce qui m’a servi à résoudre la principale de toutes les difficultés que j’ai eues en cette matière ; et il se démontre, ce me semble, très évidemment de tout ceci, que la nature des couleurs qui paroissent vers F[23] ne consiste qu’en ce que les parties de la matière subtile qui transmet l’action de la lumière tendent à tournoyer avec plus de force qu’à se mouvoir en ligne droite ; en sorte que celles qui tendent à tourner beaucoup plus fort causent la couleur rouge, et celles qui n’y tendent qu’un peu plus fort causent la jaune. Comme au contraire la nature de celles qui se voient vers H ne consiste qu’en ce que ces petites parties ne tournoient pas si vite qu’elles ont de coutume lorsqu’il n’y a point de cause particulière qui les en empêche, en sorte que le vert paroît où elles ne tournoient guère moins vite, et le bleu ou elles tournoient beaucoup moins vite ; et ordinairement aux extrémités de ce bleu, il se mêle de l’incarnat, qui, lui donnant de la vivacité et de l’éclat, le change en violet ou couleur de pourpre. Ce qui vient sans doute de ce que la même cause qui a coutume de retarder le tournoiement des parties de la matière subtile, étant alors assez forte pour faire changer de situation à quelques unes, le doit augmenter en celles-là, pendant qu’elle diminue celui des autres. Et en tout ceci la raison s’accorde si parfaitement avec l’expérience, que je ne crois pas qu’il soit possible, après avoir bien connu l’une et l’autre, de douter que la chose ne soit telle que je viens de l’expliquer. Car s’il est vrai que le sentiment que nous avons de la lumière soit causé par le mouvement ou l’inclination à se mouvoir de quelque matière qui touche nos yeux, comme plusieurs autres choses témoignent, il est certain que les divers mouvements de cette matière doivent causer en nous divers sentiments ; et comme il ne peut y avoir d’autre diversité en ces mouvements que celle que j’ai dite, aussi n’en trouvons-nous point d’autre par expérience dans les sentiments que nous en avons, que celle des couleurs. Et il n’est pas possible de trouver aucune chose dans le cristal MNP qui puisse produire des couleurs, que la façon dont il envoie les petites parties de la matière subtile vers le linge FGH, et de là vers nos yeux. D’où il est, ce me semble, assez évident qu’on ne doit chercher autre chose non plus dans les couleurs que les autres objets font paroître ; car l’expérience ordinaire témoigne que la lumière ou le blanc, et l’ombre ou le le noir, avec les couleurs de l’iris qui ont été ici expliquées, suffisent pour composer toutes les autres. Et je ne saurois goûter la distinction des philosophes, quand ils disent qu’il y en a qui sont vraies, et d’autres qui ne sont que fausses ou apparentes ; car toute leur vraie nature n’étant que de paroître, c’est, ce me semble, une contradiction de dire qu’elles sont fausses et qu’elles paroissent. Mais j’avoue bien que l’ombre et la réfraction ne sont_ pas toujours nécessaires pour les produire, et qu’en leur place la grosseur, la figure, la situation, et le mouvement des parties des corps qu’on nomme colorés, peuvent concourir diversement avec la lumière ` pour augmenter ou diminuer le tournoiement des parties de la matière subtile. En sorte que même en l’arc-en-ciel j’ai douté d’abord si les couleurs s’y produisoient tout-à-fait en même façon que dans le cristal MNP ; car je n’y remarquois point l’ombre qui terminât la lumière, et ne connoissois point encore pourquoi elles n’y paroissoient que sous certains angles, jusques à ce qu’ayant pris la plume et calculé par le menu tous les rayons qui tombent sur les divers points d’une goutte d’eau, pour savoir sous quels angles, après deux réfractions et une ou deux réflexions, ils peuvent venir vers nos yeux, j’ai trouvé qu’après une réflexion et deux réfractions, il y en a beaucoup plus qui peuvent être vus sous l’angle de 41 à 42 degrés, que sous aucun moindre, et qu’il n’y en a aucun qui puisse être vu sous un plus grand. Puis j’ai trouvé aussi qu’après deux réflexions et deux réfractions, il y en a beaucoup plus qui viennent vers l’œil sous l’angle de 51 à 52 degrés que sous aucun plus grand, et qu’il n’y en a point qui viennent sous un moindre. De façon qu’il y a de l’ombre, de part et d’autre, qui termine la lumière, laquelle, après avoir passé par une infinité de gouttes de pluie éclairées par le soleil, vient vers l’œil sous l’angle de 42 degrés, ou un peu au-dessous, et ainsi cause le premier et principal arc-en-ciel ; et il y en a aussi qui termine celle qui vient sous l’angle de 51 degrés ou un peu au-dessus, et cause l’arc-en-ciel extérieur ; car ne recevoir point de rayons de lumière en ses yeux, ou en recevoir notablement moins d’un objet que d’un autre qui lui est proche, c’est voir de l’ombre. Ce qui montre clairement que les couleurs de ces arcs sont produites par la même cause que celles qui paroissent par l’aide du cristal MNP, et que le demi-diamètre de l’arc intérieur ne doit point être plus grand que de 42 degrés, ni celui de l’extérieur plus petit que de 51 ; et enfin que le premier doit être bien plus limité en sa superficie extérieure qu’en l’intérieure, et le second tout au contraire, ainsi qu’il se voit par expérience. Mais, afin que ceux qui savent les mathématiques puissent connoître si le calcul que j’ai fait de ces rayons est assez juste, il faut ici que je l’explique.

Soit AFD[24] une goutte d'eau, dont je divise le demi-diamètre CD ou AB en autant de parties égales que je veux calculer de rayons, afin d’attribuer autant de lumière aux uns qu’aux autres. Puis je considère un de ces rayons en particulier, par exemple EF, qui au lieu de passer tout droit vers G, se détourne vers K, et se réfléchit de K vers N, et de là va vers l’œil P ; ou bien se réfléchit encore une fois de N vers Q, et de là se détourne vers l’œil R. Et ayant tiré CI à angles droits sur FK, je connois de ce qui a été dit en la Dioptrique, que AE ou HF et CI ont entre elles la proportion par laquelle la réfraction de l’eau se mesure ; de façon que si HF contient 8000 parties, telles que AB en contient 10000, CI en contiendra environ de 5984, pourceque la réfraction de l’eau est tant soit peu plus grande que de trois à quatre ; et pour le plus justement que j’aie pu la mesurer, elle est comme de 187 à 250. Ayant ainsi les deux lignes HF et CI, je connois aisément les deux arcs FG, qui est de 75 degrés 44 minutes, et FK, qui est de 106,30. Puis ôtant le double de l’arc FK de l’arc EG ajouté à 180 degrès, j’ai 40,44 pour la quantité de l’angle ONP, car je suppose ON parallèle à EF. Et ôtant ces 40,44 de FK, j’ai 65,46 pour l’angle SQR, car je pose aussi SQ parallèle à EF. Et calculant en nême façon tous les autres rayons parallèles à EF qui passent par les divisions du diamètre AB, je compose la table suivante :


LA LIGNE HF LA LIGNE CI L’ARC FG L’ARC FK L’ANGLE ONP L’ANGLE SQR
1OOO 748 168,30 171,25 5,40 165,45
2000 1496 156,55 162,48 11,19 151,29
3000 2244 145,4 154,4 17,56 136,8
4000 2992 132,50 145,10 22,30 122,4
5000 3740 120 136,4 27,52 108,12
6000 4488 106,16 126,40 32,56 93,44
7000 5236 91,8 116,51 37,26 79,25
8000 5984 73,44 106,30 40,44 65,46
9000 6732 51,41 95,22 40,57 54,25
10000 7480 0 83,10 13,40 69,30


Et il est aisé à voir en cette table qu’il y a bien plus de rayons qui font l’angle ONP d’environ 40 degrés, qu’il n’y en a qui le fassent moindre ; ou SQR d’environ 54, qu’il n’y en a qui le fassent plus grand ; puis, afin de la rendre encore plus précise, je fais :

LA LIGNE HF LA LIGNE CI L’ARC FG L’ARC FK L’ANGLE ONP L’ANGLE SQR
8000 5984 73,44 106,30 40,44 65,46
8100 6058 71,48 105,25 40,58 64,37
8200 6133 69,50 104,20 41,10 63,10
8300 6208 67,48 103,14 41,20 62,54
8400 6283 65,44 102,9 41,26 61,43
8500 6358 63,34 101,2 41,30 60,32
8600 6432 61,22 99,56 41,30 58,26
8700 6507 59,4 98,48 41,28 57,20
8800 6582 56,42 97,40 41,22 56,18
8900 6657 54,16 96,32 41,12 55,20
9000 6732 51,41 95,22 40,57 54,25
9100 6806 49,0 94,12 40,36 53,36
9200 6881 46,8 93,2 40,4 52,58
9300 6956 43,8 91,51 39,26 52,25
9400 7031 39,54 90,38 38,38 52,0
9500 7106 36,24 89,26 37,32 51,54
9600 7180 32,30 88,12 36,6 52,6
9700 7255 28,8 86,58 34,12 52,46
9800 7330 22,57 85,43 31,31 54,12



et je vois ici que le plus grand angle ONP peut être de 41 degrés 30 minutes, et le plus petit SQR de 51,54 ; à quoi ajoutant ou ôtant environ 17 minutes pour le demi-diamètre du soleil, j’ai 41,47 pour le plus grand demi-diamètre de l’arc-en-ciel intérieur, et 51,37 pour le plus petit de l’extérieur. Il est vrai que l’eau étant chaude, sa réfraction est tant soit peu moindre que lorsqu’elle est froide, ce qui peut changer quelque chose en ce calcul : toutefois cela, ne sauroit augmenter le demi-diamètre de l’arc-en-ciel intérieur que d’un ou deux degrés tout au plus, et lors celui de l’extérieur sera de presque deux fois autant plus petit. Ce qui est digne d’être remarqué, pourceque par là on peut démontrer que la réfraction de l’eau ne peut être guère moindre ni plus grande que je la suppose ; car pour peu qu’elle fût plus grande, elle rendroit le demi-diamètre de l’arc-en-ciel intérieur moindre que 41 degrés, au lieu que par la créance commune on lui en donne 45 ; et si on la suppose assez petite pour faire qu’il soit véritablement de 45, ou trouvera que celui de l’extérieur ne sera aussi guère plus de 45, au lieu qu’il paroît à l’œil beaucoup plus grand que celui de l’intérieur. Et Maurolycus, qui est je crois le premier qui a déterminé l’un de 45 degrés, détermine l’autre d’environ 56 ; ce qui montre le peu de foi qu’on doit ajouter aux observations qui ne sont pas accompagnées de la vraie raison. Au reste, je n’ai pas eu peine à connoître pourquoi le rouge est en dehors en l’arc-en-ciel intérieur, ni pourquoi il est en dedans en l’extérieur ; car la même cause pour laquelle c’est vers F[25] plutôt que vers H qu’il paroît au travers du cristal MNP, fait que si, ayant l’œil en la place du linge blanc FGH, on regarde ce cristal, on y verra le rouge vers sa partie plus épaisse MP, et le bleu vers N, pourceque le rayon teint de rouge qui va vers F vient de C, la partie du soleil la plus avancée vers MP ; et cette même cause fait aussi que le centre des gouttes d’eau, et par conséquent leur plus épaisse partie, étant en dehors au respect des points colorés qui forment l’arc-en-ciel intérieur, le rouge y doit paroître en dehors, et qu’étant en dedans au respect de ceux qui forment l’extérieur, le rouge y doit aussi paroître en dedans.

Ainsi je crois qu’il ne reste plus aucune difficulté en cette matière, si ce n’est peut-être touchant les irrégularités qui s’y rencontrent, comme lorsque l’arc n’est pas exactement rond, ou que son centre n’est pas en la ligne droite qui passe par l’œil et le soleil, ce qui peut arriver si les vents changent la figure des gouttes de pluie ; car elles ne sauroient perdre si peu de leur rondeur que cela ne fasse une notable différence en l’angle sous lequel les couleurs doivent paroître. On a vu aussi quelquefois, à ce qu’on m’a dit, un arc-en-ciel tellement renversé que ses cornes étoient tournées vers en haut, comme est ici représenté FF[26] ; ce que je ne saurois juger être arrivé que par la réflexion des rayons du soleil donnant sur l’eau de la mer ou de quelque lac ; comme si, venant de la partie du ciel SS, ils tombent sur l’eau DAE, et de là se réfléchissent vers la pluie CF, l’œil B verra l’arc FF, dont le centre est au point C, en sorte que CB étant prolongée jusques à A, et AS passant par le centre du soleil, les angles SAD et BAE soient égaux, et que l’angle CBF soit d’environ 42 degrés. Toutefois il est aussi requis à cet effet qu’il n’y ait point du tout de vent qui trouble la surface de l’eau vers E, et peut~être avec cela qu’il y ait quelque nue, comme G, qui empêche que la lumière du soleil, allant en ligne droite vers la pluie, n’efface celle que cette eau E y envoie ; d’où vient qu’il n’arrive que rarement. Outre cela l’œil peut être en telle situation au respect du soleil et de la pluie, qu’on verra la partie inférieure qui achève le cercle de l’arc-en-ciel, sans voir la supérieure, et aussi qu’on la prendra pour un arc renversé, nonobstant qu’on ne la verra pas vers le ciel, mais vers l’eau ou vers la terre.

On m’a dit aussi avoir vu quelquefois un troisième arc-en-ciel au~dessus des deux ordinaires, mais qui étoit beaucoup plus foible, et environ autant éloigné du second que le second du premier ; ce que je ne juge pas pouvoir être arrivé, si ce n’est qu’il y ait eu des grains de grêle, fort ronds et fort transparents mêlés parmi la pluie, dans lesquels la réfraction étant notablement plus grande que dans l’eau, l’arc-en-ciel extérieur aura dû y être beaucoup plus grand, et ainsi paroître au-dessus de l’autre. Et pour l’intérieur, qui, par même raison, aura dû être plus petit que l’intérieur de la pluie, il se peut faire qu’il n’aura point été remarqué, à cause du grand lustre de celui-ci, ou bien que leurs extrémités s’étant jointes, on ne les aura comptés tous deux que pour un, mais pour un dont les couleurs auront été autrement disposées qu’à l’ordinaire.

Et ceci me fait souvenir d’une invention pour faire paroître des signes dans le ciel, qui pourroient causer grande admiration à ceux qui en ignoreroient les raisons. Je suppose que vous savez déjà la façon de faire voir l’arc-en-ciel par le moyen d’une fontaine. Comme si l’eau qui sort par les petits trous ABC[27], sautant assez haut, s’épand en l’air de tous côtés vers R, et que le soleil soit vers Z, en sorte que ZEM, étant ligne droite, l’angle MER puisse être d’environ 42 degrés, l’œil E ne manquera pas de voir l’iris vers R tout semblable à celui qui paroît dans le ciel. À quoi il faut maintenant ajouter qu’il y a des huiles, des eaux-de-vie et d’autres liqueurs dans lesquelles la réfraction se fait notablement plus grande ou plus petite qu’en l’eau commune, et qui ne sont pas pour cela moins claires et transparentes : en sorte qu’on pourroit disposer par ordre plusieurs fontaines, dans lesquelles y ayant diverses de ces liqueurs, on y verroit par leur moyen toute une grande partie du ciel pleine des couleurs de l’iris ; à savoir, en faisant que les liqueurs dont la réfraction seroit la plus grande fussent les plus proches des spectateurs, et qu’elles ne s’élevassent point si haut qu’elles empêchassent la vue de celles qui seroient derrière ; puis à cause que, fermant une partie des trous ABC, on peut faire disparoître telle partie de l’iris RR qu’on veut sans ôter les autres, il est aisé à entendre que tout de même, ouvrant et fermant à propos les trous de ces diverses fontaines, on pourra faire que ce qui paroîtra coloré ait la figure d’une croix, ou d’une colonne, ou de quelque autre telle chose qui donne sujet d’admiration. Mais j’avoue qu’il y faudroit de l’adresse et de la dépense, afin de proportionner ces fontaines, et faire que les liqueurs y sautassent si haut que ces figures pussent être vues de fort loin par tout un peuple sans que l’artifice s’en découvrît.


DISCOURS NEUVIÈME.

DE LA COULEUR DES NUES ET DES CERCLES OU COURONNES QU’ON VOIT QUELQUEFOIS AUTOUR DES ASTRES.


Après ce que j’ai dit de la nature des couleurs, je ne crois pas avoir beaucoup de choses à ajouter touchant celles qu’on voit dans les nues ; car premièrement, pour ce qui est de leur blancheur et de leur obscurité ou noirceur, elle ne procède que de ce qu’elles sont plus ou moins exposées à la lumière des astres ou à l’ombre tant d’elles-mêmes que de leurs voisines. Et il y a seulement ici deux choses à remarquer, dont l’une est que les superficies des corps transparents font réfléchir une partie des rayons qui viennent vers elles, ainsi que j’ai dit ci-dessus ; ce qui est cause que la lumière peut mieux pénétrer au travers de trois piques d’eau qu’elle ne fait au travers d’un peu d’écume, qui n’est toutefois autre chose que de l’eau, mais en laquelle il y a plusieurs superficies, dont la première faisant réfléchir une partie de cette lumière et la seconde une autre partie, et ainsi de suite, il n’en reste bientôt plus du tout ou presque plus qui passe outre. Et c’est ainsi que ni le verre pilé, ni la neige, ni les nues, lorsqu’elles sont un peu épaisses, ne peuvent être transparentes. L’autre chose qu’il y a ici à remarquer, est qu’encore que l’action des corps lumineux ne soit que de pousser en ligne droite la matière subtile qui touche nos yeux, toutefois le mouvement ordinaire des petites parties de cette matière, au moins de celles qui sont en l’air autour de nous, est de rouler en même façon qu’une balle roule étant à terre, encore qu’on ne l’ait poussée qu’en ligne droite. Et ce sont proprement les corps qui les font rouler en cette sorte qu’on nomme blancs ; comme font sans doute tous ceux qui ne manquent d’être transparents qu’à cause de la multitude de leurs superficies, tels que sont l’écume, le verre pilé, la neige et les nues. Ensuite de quoi on peut entendre pourquoi le ciel étant fort pur et déchargé de tous nuages paroît bleu, pourvu qu’on sache que de lui-même il ne rend aucune clarté, et qu’il paroîtroit extrêmement noir s’il ni y avoit point du tout d’exhalaisons ni de vapeurs au-dessus de nous, mais qu’il y en a toujours plus ou moins qui font réfléchir quelques rayons vers nos yeux, c’est-à-dire qui repoussent vers nous les petites parties de la matière subtile que le soleil ou les autres astres ont poussées contre elles ; et lorsque ces vapeurs sont en assez grand nombre, la matière subtile étant repoussée vers nous par les premières, en rencontre d’autres après qui font rouler et tournoyer ses petites parties avant qu’elles parviennent à nous ; ce qui fait alors paroître le ciel blanc, au lieu que si elle n’en rencontre pas assez pour faire ainsi tournoyer ses parties, il ne doit paroître que bleu, suivant ce qui a été tantôt dit de la nature de la couleur bleue. Et c’est la même cause qui fait aussi que l’eau de la mer, aux endroits où elle est fort pure et fort profonde, semble être bleue ; car il ne se réfléchit de sa superficie que peu de rayons, et aucun de ceux qui la pénètrent ne revient. De plus, on peut ici entendre pourquoi souvent, quand le soleil se couche ou se lève, tout le côté du ciel vers lequel il est paroît rouge ; ce qui arrive lorsqu’il n’y a point tant de nues ou plutôt de brouillards entre lui et nous que sa lumière ne puisse les traverser, mais qu’elle ne les traverse pas si aisément tout contre la terre qu’un peu plus haut, ni si aisément un peu plus haut que beaucoup plus haut ; car il est évident que cette lumière, souffrant réfraction dans ces brouillards, détermine les parties de la matière subtile qui la transmettent à tournoyer en même sens que feroit une boule qui viendroit du même côté en roulant sur terre ; de façon que le tournoiement des plus basses est toujours augmenté par l’action de celles qui sont plus hautes, à cause qu’elle est supposée plus forte que la leur ; et vous savez que cela suffit pour faire paroître la couleur rouge, laquelle se réfléchissant après dans les nues, se peut étendre de tous côtés dans le ciel ; et il est à remarquer que cette couleur paroissant le matin présage des vents ou de la pluie, à cause qu’elle témoigne qu’y ayant peu de nues vers l’orient, le soleil pourra élever beaucoup de vapeurs avant le midi, et que les brouillards qui la font paroître commencent à monter ; au lieu que le soir elle témoigne le beau temps, à cause que n’y ayant que peu ou point de nues vers le couchant, les vents orientaux doivent régner, et les brouillards descendent pendant la nuit.

Je ne m’arrête point à parler plus particulièrement des autres couleurs qu’on voit dans les nues, car je crois que les causes en sont toutes assez comprises en ce que j’ai dit ; mais il paroît quelquefois certains cercles autour des astres dont je ne dois pas omettre l’explication. Ils, sont semblables à l’arc-en-ciel en ce qu’ils sont ronds ou presque ronds, et environnent toujours le soleil ou quelque autre astre, ce qui montre qu’ils sont causés par quelque réflexion ou réfraction dont les angles sont à peu près tous égaux ; comme aussi en ce qu’ils sont colorés, ce qui montre qu’il y a de la réfraction, et de l’ombre qui limite la lumière qui les produit. Mais ils diffèrent en ce que l’arc—en-ciel ne se voit jamais que lorsqu’il pleut actuellement au lieu vers lequel on le voit, bien que souvent il ne pleuve pas au lieu où est le spectateur ; et eux ne se voient jamais où il pleut : ce qui montre qu’ils ne sont pas causés par la réfraction qui se fait en des gouttes d’eau ou en de la grêle, mais par celle qui se fait en ces petites étoiles de glace transparentes dont il a été parlé ci-dessus ; car on ne sauroit imaginer dans les nues aucune autre cause qui soit capable d’un tel effet ; et si on ne voit jamais tomber de telles étoiles que lorsqu’il fait froid, la raison nous assure qu’il ne laisse pas de s’en former en toutes saisons. Même, à cause qu’il est besoin de quelque chaleur pour faire que de blanches qu’elles sont au commencement, elles deviennent transparentes, ainsi qu’il est requis à cet effet, il est vraisemblable que l’été y est plus propre que l’hiver. Et encore que la plupart de celles qui tombent paroissent à l’œil extrêmement plates et unies, il est certain néanmoins qu’elles sont toutes quelque peu plus épaisses au milieu qu’aux extrémités, ainsi qu’il se voit aussi à l’œil en quelques unes ; et selon qu’elles le sont plus ou moins, elles font paroître ces cercles plus ou moins grands : car il y en a sans doute de plusieurs grandeurs. Et si ceux qu’on a le plus souvent observés ont eu leur diamètre d’environ 45 degrés, ainsi que quelques uns ont écrit, je veux croire que les parcelles de glace qui les causent de cette grandeur ont la convexité qui leur est la plus ordinaire, qui est peut-être aussi la plus grande qu’elles aient coutume d’acquérir sans achever entièrement de se fondre. Soit, par exemple, ABC[28] le soleil, D l’œil, EFG plusieurs petites parcelles de glace transparentes arrangées côte à côte les unes des autres, ainsi qu’elles sont en se formant, et dont la convexité lest telle que le rayon venant par exemple du point A sur l’extrémité de celle qui est marquée G, et du point C sur l’extrémité de celle qui est marquée F, retourne vers D, et qu’il en vient vers D plusieurs autres de ceux qui traversent les autres parcelles de glace qui sont vers E, mais non point aucun de ceux qui traversent celles qui sont au-delà du cercle GG ; il est manifeste qu’outre que les rayons AD, CD, et semblables, qui passent en ligne droite, font paroître le soleil de sa grandeur accoutumée, les autres qui souffrent réfraction vers EE doivent rendre toute l’aire comprise dans le cercle FF assez brillante, et faire que la circonférence entre les cercles FF et GG soit comme une couronne peinte des couleurs de l’arc-en-ciel ; et même que le rouge y doit être en dedans vers F, et le bleu en dehors vers G, tout de même qu’on a coutume de l’observer. Et s’il y a deux ou plusieurs rangs de parcelles de glace l’une sur l’autre, pourvu que cela n’empêche point que les rayons du soleil ne les traversent, ceux de ces rayons qui en traverseront deux par leurs bords, se courbant presque deux fois autant que les autres, produiront encore un autre cercle coloré beaucoup plus grand en circuit, mais moins apparent que le premier ; en sorte qu’on verra pour lors deux couronnes l’une dans l’autre, et dont l’intérieure sera la mieux peinte, comme il a aussi été quelquefois observé. Outre cela vous voyez bien pourquoi ces couronnes n’ont pas coutume de se former autour des astres qui sont fort bas vers l’horizon, car les rayons rencontrent alors trop obliquement les parcelles de glace pour les traverser ; et pourquoi leurs couleurs ne sont pas si vives que les siennes, car elles sont causées par des réfractions beaucoup moindres ; et pourquoi elles paroissent plus ordinairement que lui autour de la lune, et même se remarquent aussi quelquefois autour des étoiles, à savoir lorsque les parcelles de glace interposées n’étant que fort peu convexes, les rendent fort petites ; car d’autant qu’elles ne dépendent point de tant de réflexions et réfractions que l’arc-en-ciel, la lumière qui les cause n’a pas besoin d’être si forte. Mais souvent elles ne paroissent que blanches, non point tant par faute de lumière que pourceque la matière où elles se forment n’est pas entièrement transparente.

On en pourroit bien imaginer encore quelques autres qui se formassent à l’imitation de l’arc-en-ciel en des gouttes d’eau, à savoir premièrement par deux réfractions sans aucune réflexion ; mais alors il n’y a rien qui détermine leur diamètre, et la lumière n’est point limitée par l’ombre, comme il est requis pour la production des couleurs : puis aussi par deux réfractions et trois ou quatre réflexions ; mais leur lumière, étant alors grandement foible, peut aisément être effacée par celle qui se réfléchit de la superficie des mêmes gouttes, ce qui me fait douter si jamais elles paroissent, et le calcul montre que leur diamètre devroit être beaucoup plus grand qu’on ne le trouve en celles qu’on a coutume d’observer.

Enfin, pour ce qui est de celles qu’on voit quelquefois autour des lampes et des flambeaux, la cause n’en doit point être cherchée dans l’air, mais seulement dans l’œil qui les regarde. Et j’en ’ai vu cet été dernier une expérience fort manifeste. Ce fut en voyageant de nuit dans un navire, où, après avoir tenu tout le soir ma tête appuyée sur une main dont je fermois mon œil droit pendant que je regardois de l’autre vers le ciel, on apporta une chandelle au lieu ou j’étois ; et lors ouvrant les deux yeux, je vis deux couronnes autour de la flamme, dont les couleurs étoient aussi vives que je les aie jamais vues en arc-en-ciel. AB[29] est la plus grande, qui étoit rouge vers A, et bleue vers B ; CD la plus petite, qui étoit rouge aussi vers C, mais vers D elle étoit blanche, et s’étendoit jusques à la flamme. Après cela, referment l’œil droit, j’aperçus que ces couronnes disparoissoient ; et qu’au contraire, en l’ouvrant et fermant le gauche, elles continuoient de paroître ; ce qui m’assura qu’elles ne procédoient que de quelque disposition que mon œil droit avoit acquise pendant que je l’avois tenu fermé, et qui étoit cause qu’outre que la plupart des rayons de la flamme qu’il recevoit la représentoient vers O, où ils s’assembloient, il y en avoit aussi quelques uns qui étoient tellement détournés, qu’iIs s’étendoient en tout l’espace fO, où ils peignoient la couronne CD ; et quelques autres en l’espace FG, où ils peignoient la couronne AB. Je ne détermine point quelle étoit cette disposition, car plusieurs différentes peuvent causer le même effet ; comme s’il y a seulement une ou deux petites rides en quelqu’une des superficies E, M, P, qui à cause de la figure de l’œil s’y étendent en forme d’un cercle dont le centre soit en la ligne EO, comme il y en a souvent de toutes droites qui se croisent en cette ligne EO, et nous font voir de grands rayons épars çà et là autour des flambeaux ; ou bien qu’il y ait quelque chose d’opaque entre E et P, ou même à côté en quelque lieu, pourvu qu’il s’y étende circulairement ; ou enfin que les humeurs ou les peaux de l’œil aient en quelque façon changé de tempérament ou de figure ; car il est fort commun à ceux qui ont mal aux yeux de voir de telles couronnes, et elles ne paroissent pas semblables à tous. Seulement faut-il remarquer que leur partie extérieure, comme A et C, est ordinairement rouge, tout au contraire de celles qu’on voit autour des astres, dont la raison vous sera claire, si vous considérez qu’en la production de leurs couleurs, c’est l’humeur cristalline PNM qui tient lieu du prisme de cristal dont il a tantôt été parlé, et le fond de l’œil FGf qui tient lieu du linge blanc qui étoit derrière, Mais vous douterez peut-être pourquoi, puisque l’humeur cristalline a ce pouvoir, elle ne colore pas en même façon tous les objets que nous voyons ? si ce n’est que vous considériez que les rayons qui viennent, de chaque point de ces objets vers chaque point du fond de l’œil, passant les uns par celui de ses côtés qui est marqué N, et les autres par celui qui est marqué S, ont des actions toutes contraires et qui se détruisent les unes les autres, au moins en ce qui regarde la production des couleurs ; au lieu qu’ici les rayons qui vont vers FGf ne passent que par N. Et tout ceci se rapporte si bien à ce que j’ai dit de la nature des couleurs, qu’il peut, ce me semble, beaucoup servir pour en confirmer la vérité.


DISCOURS DIXIÈME.

DE L’APPARITION DE PLUSIEURS SOLEILS.


On voit encore quelquefois d’autres cercles dans les nues, qui diffèrent de ceux dont j’ai parlé en ce qu’ils ne paroissent jamais que tout blancs, et qu’au lieu d’avoir quelque astre en leur centre, ils traversent ordinairement celui du soleil ou de la lune, et semblent parallèles ou presque parallèles à l’horizon. Mais, pourcequ’ils ne paroissent qu’en ces grandes nues toutes rondes dont il a été parlé ci—dessus, et qu’on voit aussi quelquefois plusieurs soleils ou plusieurs lunes dans les mêmes nues, il faut que j’explique ensemble l’un et l’autre. Soit par exemple A[30] le midi, où est le soleil, accompagné d’un vent chaud qui tend vers B, et C le septentrion, d’où il vient un vent froid, qui tend aussi vers B ; et là je suppose que ces deux vents rencontrent ou assemblent une nue composée de parcelles de neige qui s’étend si loin en profondeur et en largeur, qu’ils ne peuvent passer l’un au-dessus, l’autre au-dessous, ou entre deux, ainsi qu’ils ont ailleurs de coutume, mais qu’ils sont contraints de prendre leur cours tout à l’entour ; au moyen de quoi, non seulement ils l’arrondissent, mais aussi celui qui vient du, midi étant chaud, fond quelque peu la neige de son circuit, laquelle étant aussitôt regelée, tant par celui du nord qui est froid, que par la proximité de la neige intérieure qui n’est pas encore fondue, peut former comme un grand anneau de glace toute continue et transparente, dont la superficie ne manquera pas d’être assez polie, à cause que’ les vents qui l’arrondissent sont fort uniformes. Et de plus cette glace ne manque pas d’être plus épaisse du côté DEF, que je suppose exposé au vent chaud et au soleil, que de l’autre GHI, où la neige ne s’est pu fondre si aisément. Et enfin il faut remarquer qu’en cette constitution d’air, et sans orage, il ne peut y avoir assez de chaleur autour de la nue B pour y former ainsi de la glace, qu’il n’y en ait aussi assez en la terre qui est au-dessous pour y exciter des vapeurs qui la soutiennent, en soulevant et poussant vers le ciel tout le corps de la nue qu’elle embrasse. Ensuite de quoi il est évident que la clarté du soleil, lequel je suppose être assez haut vers le midi, donnant tout autour sur la glace DEFGHI, et de là se réfléchissant sur la blancheur de la neige voisine, doit faire paroître cette neige à ceux qui seront audessous en forme d’un grand cercle tout blanc ; et même qu’il suffit à cet effet que la nue soit ronde et un peu plus pressée en son circuit qu’au milieu, sans que l’anneau de glace doive être formé. Mais lorsqu’il l’est, on peut voir, étant au-dessous vers le point K, jusqu’à six soleils, qui semblent être enchâssés dans le cercle blanc ainsi qu’autant de diamants dans une bague ; à savoir, le premier vers E, par les rayons qui viennent directement du soleil, que je suppose vers A ; les deux suivants vers D et vers F, par la réfraction des rayons qui traversent la glace en ces lieux-là, où son épaisseur allant en diminuant, ils se courbent en dedans de part et d’autre, ainsi qu’ils font en traversant le prisme de cristal dont il a tantôt été parlé ; et pour cette cause ces deux soleils ont leurs bords peints de rouge en celui de leurs côtés qui est vers E, où la glace est le plus épaisse, et de bleu en l’autre, où elle l’est moins. Le quatrième soleil paroît par réflexion au point H, et les deux derniers, aussi par réflexion, vers G et vers I, par où je suppose qu’on peut décrire un cercle dont le centre soit au point K, et qui passe par B le centre de la nue, en sorte que les angles KGB et KBG ou BGA sont égaux, et tout de même KIB et KBI ou BIA ; car vous savez que la réflexion se fait toujours par angles égaux, et que la glace étant un corps poli, doit représenter le soleil en tous les lieux d’où ses rayons peuvent se réfléchir vers l’œil ; mais pourceque les rayons qui viennent tout droit sont toujours plus vifs que ceux qui viennent par réfraction, et ceux-ci encore plus vifs que ceux qui sont réfléchis, le soleil doit paroître plus brillant vers E que vers D ou F, et ici encore plus brillants que vers G ou H ou I, et ces trois G,H et I ne doivent avoir aucunes couleurs autour de leurs bords, comme les deux D et F, mais seulement être blancs. Que si les regardants ne sont pas vers K, mais quelque part plus avancés vers B, en sorte que le cercle dont leurs yeux sont le centre, et qui passe par B, ne coupe point la circonférence de la nue, ils ne pourront voir les deux soleils G et I, mais seulement les quatre autres ; et si au contraire ils sont fort reculés vers H ou au-delà vers C, ils ne pourront voir que les cinq D, E, F, G et I ; et même étant assez loin au-delà, ils ne verront que les trois D, E, F, qui ne seront plus dans un cercle blanc, mais comme traversés d’une barre blanche. Comme aussi, lorsque le soleil est si peu élevé sur l’horizon qu’il ne peut éclairer la partie de la nue GHI, on bien lorsqu’elle n’est pas encore formée, il est évident qu’on ne doit voir que les trois soleils D, E, F.

Au reste, je ne vous ai jusques ici fait considérer que le plan de cette nue, et il y a encore diverses choses à y remarquer qui se verront mieux en son profil. Premièrement, bien que le soleil ne soit pas en la ligne droite qui va de E[31] vers l’œil K, mais plus haut ou plus bas, il ne doit pas laisser de paroître vers là, principalement si la glace ne s’y étend point trop en hauteur ni profondeur ; car alors la superficie de cette glace sera si courbée qu’en quelque lieu qu’il soit, elle pourra quasi toujours nrenvoyer ses rayons vers K. Comme si elle a en son épaisseur la figure comprise entre les lignes 123 et 456, il est évident que, non seulement lorsque le soleil sera en la ligne droite A2, ses rayons la traversant pourront aller vers l’œil K, mais aussi lorsqu’il sera beaucoup plus bas, comme en la ligne S1, ou beaucoup plus haut, comme en la ligne T3, et ainsi le faire toujours paroître comme s’il étoit vers E ; car l’anneau de glace n’étant supposé guère large, la différence qui est entre les lignes 4K, 5K et 6K n’est pas considérable. Et notez que cela peut faire paroître le soleil après même qu’il est couché, et qu’il peut aussi reculer ou avancer l’ombre des horloges et leur faire marquer une heure tout autre qu’il ne sera. Toutefois si le soleil est beaucoup plus bas qu’il ne paroît vers E, en sorte que ses rayons passent aussi en ligne droite par le dessous de la glace jusqu’à l’œil K, comme S7K, que je suppose parallèle à S1, alors, outre les six soleils précédents, on en verra encore un septième au-dessous d’eux, et qui ayant le plus de lumière effacera l’ombre qu’ils pourroient causer dans les horloges. Tout de même s’il est si haut que ses rayons puissent passer en ligne droite vers K par le dessus de la glace, comme T8K qui est parallèle à T3, et que la nue interposée ne soit point si opaque qu’elle les en empêche, on pourra voir un septième soleil au-dessus des six autres. Que si la glace 123,456 s’étend plus haut et plus bas, comme jusqu’aux points 8 et 7, le soleil étant vers A, on en pourra voir trois l’un sur l’autre vers E, à savoir aux points 8, 5 et 7 ; et lors on en pourra aussi voir trois l’un sur l’autre vers D[32] et trois vers F, en sorte qu’il en paroîtra jusques à douze enchâssés dans le cercle blanc DEFGHI. Et le soleil étant un peu plus bas que vers S ou plus haut que vers T, il en pourra derechef paroître trois vers E, à savoir deux dans le cercle blanc et un autre au-dessous ou au-dessus ; et lors il en pourra encore paroître deux vers D et deux vers F. Mais je ne sache point que jamais on en ait tant observé tout à la fois, ni même que lorsqu’on en a vu trois l’un sur l’autre, comme il est arrivé plusieurs fois, on en ait remarqué quelques autres à leurs côtés, ou bien que lorsqu’on en a vu trois côte à côte, comme il est aussi arrivé plusieurs fois, on en ait remarqué quelques autres audessus ou au-dessous ; dont, sans doute, la raison est que la largeur de la glace, marquée entre les points 7 et 8[33], n’a d’ordinaire aucune proportion avec la grandeur du circuit de toute la nue : en sorte que l’œil doit être fort proche du point E lorsque cette largeur lui paroît assez grande pour y distinguer trois soleils l’un sur l’autre ; et au contraire fort éloigné, afin que les rayons qui se courbent vers D et vers F, où se diminue le plus de l’épaisseur de la glace, puissent parvenir jusques à lui.

Et il arrive rarement que la nue soit si entière qu’on en voie plus de trois en même temps. Toutefois on dit qu’en l’an 1625 le roi de Pologne en vit jusqu’à six. Et il n’y a que trois ans que le mathématicien de Tubinge observa les quatre désignés ici par les lettres D, E, F, H ; même il remarque particulièrement, en ce qu’il en a écrit, que les deux D et F étoient rouges vers celui du milieu E, qu’il nomme le vrai soleil, et bleus de l’autre côté, et que le quatrième H étoit fort pâle, et ne paroissoit que fort peu ; ce qui confirme fort ce que j’ai dit. Mais l’observation la plus belle et la plus remarquable que j’aie vue en cette matière est celle des cinq soleils qui parurent à Rome en l’an 1629, le 20 de mars, sur les deux ou trois heures après midi ; et afin que vous puissiez voir si elle s’accorde avec mon discours, je la veux mettre ici aux mêmes termes qu’elle fut dès lors divulguée :

A observator romanus ; B vertex loco observatoris incumbens ; C sol verus observatus ; AB planum verticale, in quo et oculus observatoris et sol observatus existunt, in quo et vertex loci B jacet, ideoque omnia per lineam verticalem AB repræsentantur ; in hanc enim totum planum verticale procumbit. Circa solem C apparuere duœ incompletœ irides eidem homocentricœ, diversicolores, quarum minor sive interior DEF plenior et perfectior fuit, curta tamen sive aperta a D ad F, et in perpetuo conatu sese claudendi stabat, et quandoque claudebat, sed mox denuo aperiebat ; altera, sed debilis, semper et vix conspicabilis fuit GHI, exterior et secundaria, variegata tamen et ipsa suis coloribus, sed admodum instabilis. Tertia et unicolor, eaque valde magna iris, fuit KLMN, tota alba quales sœpe visuntur in paraselenis circa lunam. Hæc fuit, arcus excentricus integer ab initio solis per medium incedens ; circa finem tamen ab M versus N debilis et lacer, imo quasi nullus. Cœterum in communibus circuli hujus intersectionibus cum iride exteriore GHI, emerserant duo parhelia non usque adeo perfecta, N et K, quorum hoc debilius, illud autem fortius et luculentius splendescebat. Amborum medius nitor œmulabatur solarem, sed latera coloribus iridis pingebantur ; neque rotundi ac prœcisi, sed inœquales et lacunosi ipsorum ambitus cernebantur. N, inquietum spectrum, ejaculabatur caudam spissam subigneam NOP, cunjugi reciprocatione. L et M fuere trans zenit B, prioribus minus vivaces, sed rotondiores et albi, instar circuli sui cui inhœrebant, lac, seu argentum purum exprimentes, quanquam M media tertia jam prope disparuerat, nec nisi exigua sui vestigia subinde prœbuit, quippe et circulus ex illa parte defecerat. Sol N defecit ante solem K, illoque deficiente roborabatur K, qui omnium ultimus disparuit, etc.

CKJLMN étoit un cercle blanc dans lequel se voyoient cinq soleils ; et il faut imaginer que le spectateur étant vers A, ce cercle étoit pendant en l’air au-dessus de lui, en sorte que le point B répondoit au sommet de sa tête, et que les deux soleils L et M étoient derrière ses épaules lorsqu’il étoit tourné vers les trois autres KCN, dont les deux K et N étoient colorés en leurs bords, et n’étoient ni si ronds ni si brillants que celui qui étoit vers C ; ce qui montre qu’ils étoient causés par réfraction : au lieu que les deux L et M étoient assez ronds, mais moins brillants, et tout blancs, sans mélange d’aucune autre couleur en leurs bords ; ce qui montre qu’ils étoient causés par réflexion. Et plusieurs choses ont pu empêcher qu’il n’ait paru encore un sixième soleil vers V, dont la plus vraisemblable est que l’œil en étoit si proche, à raison de la hauteur de la nue, que tous les rayons qui donnoient sur la glace vers là, se réfléchissoient plus loin que le point A ; et, encore que le point B ne soit pas ici représenté si proche des soleils L et M que du centre de la nue, cela n’empêche pas que la règle que j’ai tantôt dite touchant le lieu ou ils doivent paroître n’y fût observée ; car le spectateur étant plus proche de l’arc LVM que des autres parties du cercle l’a dû juger plus grand; à comparaison d’elles, qu’il n’étoit; outre que sans doute ces nues ne sont jamais extrêmement rondes, bien qu’elles paraissent à l’œil être telles.

Mais il y a encore ici deux choses assez remarquables. La première est que le soleil N qui étoit vers le couchant, ayant une figure changeante et incertaine jetoit hors de soi comme une grosse queue de feu NOP, qui paroissoit tantôt plus longue tantôt plus courte. Ce qui n’étoit sans doute autre chose sinon que l’image, du soleil étoit ainsi contrefaite et irrégulière vers N, comme on la voit souvent lorsqu’elle nage dans une eau un peu tremblante, ou qu’on la regarde au travers d’une vitre dont les superficies sont inégales. Car la glace étoit vraisemblablement un peu agitée en cet endroit-là, et n’y avoit pas ses superficies si régulières pourcequ’elle y commençoit à se dissoudre, ainsi qu’il se prouve de ce que le cercle blanc étoit rompu et comme nul entre M et N, et que le soleil N disparut avant le soleil K, qui sembloit se fortifier à mesure que l’autre se dissipoit. La seconde chose qui reste ici à remarquer est qu’il y avoit deux couronnes autour du soleil C, peintes des mêmes couleurs que l’arc-en-ciel, et dont l’intérieure DEF étoit beaucoup plus vive et apparente que l’extérieure GHI, en sorte que je ne doute point qu’elles ne fussent causées, en la façon que j’ai tantôt dite, par la réfraction qui se faisoit, non en cette glace continue où se voyoient les soleils K et N, mais en d’autre divisée en plusieurs petites parcelles, qui se trouvoit au-dessus et au-dessous ; car il est bien vraisemblable que la même cause qui avoit pu composer tout un cercle de glace de quelques unes des parties extérieures de la nue, avoit disposé les autres voisines à faire paroître ces couronnes. De façon que si on n’en observe pas toujours de telles lorsqu’on voit plusieurs soleils, c’est que l’épaisseur de la nue ne s’étend pas toujours au-delà du cercle de glace qui l’environne, ou bien qu’elle est si opaque et obscure qu’on ne les aperçoit pas au travers. Pour le lieu où se voient ces couronnes, c’est toujours autour du vrai soleil : et elles n’ont aucune conjonction avec ceux qui ne font que paroître ; car, bien que les deux K et N se rencontrent ici en l’intersection de l’extérieure et du cercle blanc, c’est chose qui n’est arrivée que par hasard, et je m’assure que le même ne se vit point aux lieux un peu loin de Rome, où ce même phénomène fut remarqué. Mais je ne juge pas pour cela que leur centre soit toujours en la ligne droite tirée de l’œil vers le soleil si précisément qu’y est celui de l’arc—en-ciel ; car il y a cela de différence, que les gouttes d’eau étant rondes causent toujours même réfraction en quelque situation qu’elles soient ; au lieu que les parcelles de glace étant plates la causent d’autant plus grande qu’elles sont regardées plus obliquement. Et pourceque lorsqu’elles se forment par le tournoiement d’un vent sur la circonférence d’une nue elles y doivent être couchées en autre sens que lorsqu’elles se forment au-dessus ou au-dessous, il peut arriver qu’on voie ensemble deux couronnes l’une dans l’autre, qui soient à peu près de même grandeur, et qui n’aient pas justement le même centre.

De plus, il peut arriver qu’outre les vents qui environnent cette nue il en passe quelqu’un par-dessus ou par-dessous qui, derechef y formant quelque superficie de glace, cause d’autres variétés en ce phénomène : comme peuvent encore faire les nues d’alentour, ou la pluie s’il y en tombe ; car les rayons se réfléchissant de la glace d’une de ces nues vers ces gouttes y représenteront des parties d’arc-en-ciel dont les situations seront fort diverses ; comme aussi les spectateurs n’étant pas au-dessous d’une telle nue, mais à côté entre plusieurs, peuvent voir d’autres cercles et d’autres soleils. De quoi je ne crois pas qu’il soit besoin que je vous entretienne davantage ; car j’espère que ceux qui auront compris tout ce qui a été dit en ce traité ne verront rien dans les nues à l’avenir dont ils ne puissent aisément entendre la cause, ni qui leur donne sujet d’admiration.

  1. Figure 1.
  2. Figure 2.
  3. Figure 1.
  4. Figure 3.
  5. Figure 4.
  6. Figure 5.
  7. Figure 6.
  8. Figure 7.
  9. Figure 8.
  10. Figure 9.
  11. Figure 10.
  12. Figure 11.
  13. Figure 12.
  14. Figure 13.
  15. Figure 14.
  16. Figure 15.
  17. Figure 14.
  18. Figure 16.
  19. Figures I7 et 18.
  20. Figure 19
  21. figure 20
  22. Figure 21.
  23. Figure 20.
  24. Figure 22.
  25. Figure 20.
  26. Figure 23.
  27. Figure 24.
  28. Figure 25.
  29. Figure 26.
  30. Figure 27.
  31. Figure 28.
  32. Figure 27.
  33. Figure 28.