Les Métamorphoses (Apulée)/Traduction Bastien, 1787/II/Remarques sur le Livre VII

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REMARQUES

SUR

LE SEPTIEME LIVRE.


(1) Ont nommé la Fortune aveugle. Les Payens regardoient la fortune comme une divinité, dont dépendoient tous les événemens heureux ou malheureux. Les Grecs lui avoient élevé plusieurs temples. Le premier qu’elle eut à Rome lui fut consacré par Ancus Martius, avec ce titre : Fortunæ virili, à la Fortune virile et courageuse, parce qu’il ne faut guères moins de bonheur que de courage pour remporter des victoires. Servius Tullius lui en dédia un autre au Capitole, sous le titre de Primigenia. Dans la suite elle en eut un grand nombre sous plusieurs noms différens. On éleva aussi sur le mont Esquilin un temple à la mauvaise fortune.

Les philosophes disoient que la fortune étoit aveugle et insensée. Aveugle, parce qu’elle répand ordinairement ses faveurs à des gens qui en sont indignes, et qu’elle n’a aucuns égards pour le mérite. Insensée, parce qu’elle est volage, que rien ne peut la fixer, et qu’elle-même détruit son ouvrage à tous momens.

Pourquoi, dit Aristote dans ses Problêmes, les richesses sont-elles plus ordinairement le partage des méchans, que des gens de bien ? est-ce parce que la fortune est aveugle, et qu’elle ne peut faire un bon choix ? M. Tullius dans Lælius, dit, que la fortune est non-seulement aveugle, mais qu’elle aveugle ceux à qui elle s’attache. Cette divinité avoit une statue à Athènes, qui tenoit entre ces bras Plutus, Dieu des richesses. On la voit encore dans des médailles, comme une déesse, les pieds sur un globe, qui tient d’une main une corne d’abondance, et de l’autre un gouvernail de navire, pour signifier qu’elle gouverne tout le monde. On la trouve encore dépeinte couchée ou assise, qui tient sous le bras gauche une corne d’abondance, et qui a le bras droit appuyé sur une roue, pour marquer son instabilité et son inconstance, avec cette légende : Fortunæ reduci, à la Fortune de retour.

(2) Sous la forme du plus vil et du plus méprisable de tous les animaux. Dans les fables de Phedre, lorsque le lion mourant se voit frappé par l’âne.

Fortes, dit-il, indignè tuli
Mihi insultare : te, naturæ dedecus,
Quod ferre cogor, certè bis videor mori.

J’ai ressentis vivement les insultes des animaux courageux, mais pour celles que je suis forcé de souffrir de toi, opprobre de la nature, ils me donnent deux fois la mort.

(3) Ce qu’on devoit regarder avec raison, moins comme un vol, que comme un parricide. Qui ignotos lædit, dit Petrone, latro appellatur, qui amicos, paulò minus quàm parricida : On appèle brigand un homme qui attaque ceux qu’il ne connoît point ; mais celui qui attaque ses propres amis, n’est guère moins que parricide.

(4) Je suis ce fameux voleur Hemus. Ce nom tiré de hema en grec, qui signifie sang, convient bien à un voleur et à un meurtrier.

(5) Fils de Théron, cet insigne brigand. Autre nom de voleur, qui signifie bête féroce.

(6) Receveur des finances de César. Le texte dit, Procuratorem Principis ducenaria perfunctum : on pourroit traduire, un homme commis par le prince pour lever le deux-centième denier. J’ai cru que cette particularité n’étoit pas fort nécessaire à expliquer dans le françois. On appelloit Procuratores Cæsaris, ceux qui gouvernoient les provinces appartenantes à l’Empereur, et non à la République, et généralement tous ceux qui recevoient dans les provinces les revenus appartenans à l’Empereur.

(7) Pour aller à Zacynthe. C’est une île qui se nomme présentement Zante ; elle appartient aux Vénitiens, et est à l’entrée du golfe de Venise. Il paroît par tous les historiens, que c’étoit ordinairement dans les îles qu’on reléguoit les exilés. Ce qui fait dire à Corneille Tacite, plenum exiliis mare ; la mer est remplie d’exilés ; et l’on voit dans Ammian Marcellin, que l’exil est nommé pœna insularis, supplice des îles.

(8) Au rivage d’Actium. C’est un promontoire du golfe, que l’on nomme aujourd’hui Lépante, où s’est donné cette fameuse bataille entre Antoine et Auguste, et depuis cette autre bataille que Jean d’Autriche gagna contre les Turcs en 1571.

(9) Je me couvris la tête d’une de leurs coëffures. Il y a dans le texte, Mitella : d’une petite mitre. Ces mitres n’étoient autre chose que des bandelettes, dont les femmes s’enveloppoient les cheveux, et se ceignoient la tête.

(10) Voilà, continua-t-il, un présent que je vous fais à tous : En, inquit, istam sportulam. Sporta et sportula, son diminutif, signifie proprement un panier ou corbeille d’osier. Les présens de vivres et de vin que les grands seigneurs de Rome faisoient à leurs cliens, c’est-à-dire, à ceux qui leur faisoient la cour, se distribuoient dans ces sortes de corbeilles ; ce qui fit que ces distributions s’appelèrent sportulæ, nom que gardèrent aussi les distributions en argent, que ces mêmes seigneurs trouvèrent ensuite plus à propos de faire qu’en vivres.

(11) Je changerai en or cette maison qui n’est que de pierre. Auguste se vantoit qu’il laissoit Rome de marbre, qui n’étoit que de briques auparavant. Hémus se vante de faire plus que cet Empereur n’avoit fait.

(12) Et tous ensemble celébrèrent sa réception par un grand repas, où chacun but beaucoup, suivant la coutume de ces temps-là, et qui dure encore à l’heure qu’il est, de faire de grands repas à la réception de ceux qui entrent dans quelque corps ou communauté.

(13) D’autant plus que vous êtes toujours les maîtres de retourner à votre premier avis. Le texte dit, ad asinum redire, c’est-à-dire, de revenir à votre premier dessein, d’ouvrir le ventre de l’âne, et d’y enfermer la fille vivante.

(14) C’est ainsi que cet excellent avocat plaida pour le profit de toute la troupe. Apulée l’appèle latronum fisci advocatus, l’avocat du fisque des voleurs, parce qu’il craignoit que l’argent qui devoit revenir aux voleurs de la vente de cette fille ne fût perdu, comme il l’auroit été s’ils l’avoient fait mourir. Le fisque ou le trésor d’un prince ou d’une république, se nomme fiscus en latin, parce que cet argent se mettoit in fiscis, dans des paniers d’osiers ou de jonc.

(15) Je vous rapporterai de quoi faire bonne chère : epulas saliares. J’ai expliqué d’où étoit venue cette façon de parler dans les remarques du quatrième livre.

(16) Le mal d’autrui ne te touche guère. Le texte dit, ludis de alieno corio. On auroit pu rendre ce proverbe latin par un autre en françois qui est fort commun, tu fais du cuir d’autrui large courroie, mais cela ne convient que dans le stile bas et comique.

(17) Pendant que je raisonnois ainsi en moi-même, plein d’indignation contre cette fille que j’accusois injustement. Le latin dit, dum ista sycophanta ego mecum maxima cum indignatione disputo. J’ai exprimé sycophante, qui veut dire calomniateur, en disant que j’accusois injustement. Ce mot vient d’Athènes, où, à cause des fréquens larcins de figues que les jeunes gens faisoient dans les jardins de leurs voisins, on fit une loi qui condamnoit les voleurs de figues à la mort. Cette loi trop rigoureuse devint odieuse à ceux même, en faveur de qui elle avoit été faite, et l’on traita de fourbes et de calomniateurs, ceux qui accusoient quelqu’un d’un crime de si peu d’importance, et on les appella sycophantes, du mot sycos, qui signifie figue ; et ce mot de sycophante a été employé non-seulement chez les Grecs, mais aussi dans les auteurs comiques latins, pour signifier un fourbe, un menteur et un calomniateur.

(18) Mais Tlépolême. Ce mot qui vient du grec, signifie un homme brave, et qui supporte bien les fatigues de la guerre.

(19) Qu’un chameau en auroit eu suffisamment. Le latin dit, un chameau du pays des Bactres ; ce que je n’ai point exprimé, comme n’étant pas fort nécessaire. La Bactriane est une province de la Perse.

(20) Et les amis particuliers de la famille assemblés, on délibéra, &c. Il est assez plaisant de voir une assemblée de parens et d’amis pour délibérer de quelle manière on récompensera un âne.

(21) Un Roi de Thrace qui faisoit dévorer ses hôtes. C’étoit Diomède ; Hercule le vainquit et le punit du même supplice qu’il faisoit souffrir à ses hôtes en le faisant dévorer par ses propres chevaux.

(22) D’abord qu’il voit quelques personnes, &c. Il y a en cet endroit beaucoup de saletés dans l’original ; je les ai voilées le mieux qu’il m’a été possible.

(23) Me voyant délivré de la mort. Le latin dit, Mediis Orci manibus extractus, Arraché d’entre les mains de Pluton. J’ai cru qu’en françois, il valoit mieux dire la chose simplement.

(24) L’homme qu’ils avoient trouvé qui m’emmenoit. Dans le texte, l’âne, c’est-à-dire, Apulée qui parle changé en âne, appèle, en badinant, cet homme son Bellerophon, comme s’il avoit été un Pégase.

(25) Je lui emplis les yeux et tout le visage d’ordure. Je n’ai pas jugé à propos de rendre en françois toutes les expressions du texte en cet endroit. Il faut passer le plus vite qu’on peut sur ce qui ne peut être bon qu’à faire mal au cœur.

(26) J’étois près de périr, comme un autre Méléagre, par le tison ardent de cette Althée en fureur. On prétend que cette phrase n’est point d’Apulée, et qu’elle a été ajoutée à la fin de ce livre par quelque Commentateur qui a voulu imiter son style et sa manière de plaisanter.

Au reste, selon les poëtes, lorsqu’Althée accoucha de Méléagre, elle vit les trois Parques auprès du feu, qui y mettoient un tison en disant, cet enfant vivra tant que durera ce tison. Les Parques s’étant retirées, Althée se leva, prit le tison, l’éteignit et le conserva soigneusement. Lorsque Méléagre fut devenu grand, il combattit et tua ce terrible sanglier qui désoloit tout le pays de Calydonie. Il en offrit la tête à Atalanthe. Les frères d’Althée qui vouloient avoir cette tête, en vinrent aux mains avec Méléagre qui les tua tous deux. Althée, pour venger le meurtre de ses frères, jetta le tison fatal dans le feu, où elle le fit brûler peu à peu ; ce qui causa une mort lente à Méléagre, qui se sentoit dévorer les entrailles par des ardeurs insupportables.


Fin des Remarques du septième Livre.


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