Les Marines de guerre/02

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Les Marines de guerre
Revue des Deux Mondes3e période, tome 53 (p. 876-910).
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LES
MARINES DE GUERRE

II.[1]
LES INSTRUMENS DE COMBAT.

Prévoir, comme une précédente étude l’a tenté, les opérations dont les mers peuvent devenir le théâtre, c’est proposer aux nations maritimes un but. Un but suppose des moyens et, quand il est la guerre, des armes. Quelles seront les armes des luttes navales ?

Toute nouveauté, qu’elle soit vraiment nouvelle ou qu’elle renaisse d’un assez long oubli pour paraître telle, éveille notre passion avant notre jugement ; et l’injustice tantôt des dédains, tantôt des enthousiasmes qu’elle soulève, impose d’abord silence à la vérité. On ne saurait expliquer autrement la confiance subite et contradictoire qui, dans les dernières années, a tour à tour attribué une prépondérance décisive à la torpille et à l’éperon. Sans doute le choc de l’un et de l’autre est destructeur ; de même, dans la guerre terrestre, « la balle est folle, la baïonnette est sage, » et une mine éclatant sous un ouvrage y ouvre mieux une brèche que le canon. Mais le combat corps à corps, dernier acte dans les tragédies de la force, n’est pas possible dans toutes les actions, et dans aucune n’est possible s’il n’a été préparé : il suffit, pour rendre tout le travail d’une mine inutile, que la vigilance de l’ennemi la découvre, qu’une erreur de calcul l’ait mal dirigée, qu’elle éclate à un mauvais moment ou sans une force suffisante. Aussi l’arme blanche n’est-elle pas plus l’arme principale des batailles que la mine n’est l’arme principale des sièges. L’éperon et la torpille ont, dans la guerre maritime, une importance et une sûreté moins grandes. Leur force, à la fois nulle contre le littoral et excessive contre les bâtimens de commerce, qu’il faut capturer et non détruire, est sans emploi dans les actes les plus importans de la guerre maritime ; elle sert uniquement aux luttes entre navires : encore faut-il que les adversaires attaquent de près pour agir par les torpilles, et, pour s’atteindre par l’éperon, se touchent. Est-ce ce genre de lutte que d’ordinaire le plus fort imposera à l’autre ?

Après l’invention des blindages et avant l’emploi des torpilles, l’éperon fut un instant la seule arme efficace contre des navires que n’entamait plus le canon. Brusquer l’action par le choc offrait une chance à ceux qui n’en espéraient aucune d’un duel prolongé d’artillerie. À Lissa, Tegethof eut raison de se précipiter sur les vaisseaux ennemis, parce que son armement ne lui permettait pas de soutenir la lutte à distance. La flotte italienne fut imprudente d’accepter une mêlée où disparaissaient ses avantages d’invulnérabilité et de tir ; en maintenant à bonne portée ses cuirassés, elle aurait, sans courir aucun risque, mis hors de combat les navires en bois. Le combat par le choc a perdu ses derniers avantages le jour où les bâtimens ont su lancer la torpille. Avec cette arme, si incertaine dès qu’elle a à parcourir dans la mer une longue route, si redoutable quand le trajet est court, la difficulté n’est pas de détruire, c’est d’atteindre. Or la disance diminue jusqu’à disparaître entre des navires qui manœuvrent pour se heurter et, dans les derniers instans de leur course, les torpilles jetées de leurs bords éclateront à bout portant et, par suite, à coup sûr. Avant qu’ils se heurtent, l’explosion aura entrouvert l’un ou l’autre et, comme il n’y a aucune raison pour que leur promptitude et leur adresse soient inégales, selon toute apparence, ils se frapperont ensemble. Aborder l’ennemi n’est plus porter la mort, c’est la chercher. Des circonstances peuvent ne laisser ouverte que cette voie, comme elles ont parfois commandé à des capitaines de se faire sauter. Mais les désespoirs du courage ne sont pas des modes réguliers de combat.

La torpille fait obstacle non-seulement aux actions par le choc, mais encore aux luttes à petite portée. Sortie du flanc des navires à hauteur ou au-dessous de leur flottaison et capable de fournir entre deux eaux une course de près de 1,000 mètres, elle étend jusque-là, dans toutes les directions, la menace d’une foudre invisible. Si, pour s’atteindre, ils pénétraient dans cette zone, les vaisseaux s’exposeraient, non-seulement au danger que le courage accepte, mais au hasard dont a peur le courage éclairé. Là, ni la solidité des assemblages, ni l’épaisseur des cuirasses, ni la puissance des pièces ne donneraient de sauvegarde, et, comme l’embarcation la plus mal construite et la plus mal armée n’est pas moins apte à lancer la torpille, les bonnes chances seraient aux bâtimens médiocres, les mauvaises aux bâtimens forts. Plus ils représenteront de puissance et de richesses, plus ils éviteront un genre de lutte où ils les joueraient sans les employer, et qui ramènerait le métier des armes à la barbarie. S’ils veulent se tenir hors de l’action des engins sous-marins, à plus de 1,000 mètres, il leur reste un seul moyen d’attaque, l’artillerie. Or dans les combats d’artillerie, toutes les supériorités reprennent leur importance ; aucun effort fait pour les accroître n’est perdu et les chances de succès se mesurent à la perfection de l’ensemble. Un navire l’emporte-t-il par la vitesse, il se maintient à la distance la plus favorable de l’ennemi. Par la portée des pièces, il atteint sans être touché. Par leur nombre, il fait plus de mal qu’il n’en reçoit. Par la solidité de sa structure, il résiste à plus de coups. Par l’épaisseur de sa cuirasse, il devient invulnérable. plus une marine sera puissante, plus elle luttera par le canon. Si nul instrument de guerre n’est aussi parfait, nul n’est utile en tant de circonstances. De même qu’il décide des batailles navales, il peut seul agir contre les côtes, contre les troupes ou les ouvrages du littoral et même contre les navires de commerce, car sa violence a des degrés ; il sait menacer sans atteindre et atteindre sans détruire ceux qu’il suffit d’arrêter. En résumé, toute arme qui agit seulement de près, si puissante soit-elle, est secondaire : la principale est l’arme efficace à toute distance, dans toutes les sortes de guerre, dans tous les périodes de combat.

Il était naturel que chaque peuple, pour s’assurer la prépondérance, songeât à accroître la portée et la justesse de cette arme. Dès qu’ils le voulurent, ils se divisèrent : les uns se proposant de disjoindre par écrasement les surfaces attaquées plutôt que d’y faire trou, les autres de pénétrer les murailles en certaines places plutôt que d’ébranler l’ensemble. L’artillerie contondante maintint les pièces lisses, les boulets ronds, et chercha son progrès dans l’augmentation des volumes ; mais la plus gigantesque création des Américains qui s’obstinèrent dans cette erreur, le fameux canon de 20 pouces, ne portait pas à plus de 5.000 mètres, malgré ses 0m,50 de calibre. Pendant ce temps, l’artillerie perforante, inventée par le génie français avec la rayure et perfectionnée par des progrès successifs en Angleterre et en Allemagne, atteignait une justesse dix fois plus grande et une portée de 12,000 mètres. Dès ses débuts, adoptée par presque tous les peuples, elle recevait vers 1870, par l’adhésion des États-Unis eux-mêmes, sa consécration dernière, celle que donne à une vérité le témoignage de ses plus constans ennemis.

Pareille entente ne s’est pas faite sur les dimensions qui lui conviennent. L’artillerie agit tantôt par le nombre, tantôt par la puissance de ses coups. Quand le but présente un front étendu, n’offre pas d’obstacle à la pénétration des projectiles, comme une troupe sur un champ de bataille, et quand l’arme, pour rester transportable, ne doit pas dépasser un faible poids, comme le fusil ou la pièce de campagne, le calibre est limité, c’est le nombre qui crée la force. À mesure que l’arme a de moindres déplacemens à subir et le projectile plus de résistance à vaincre, le calibre augmente aux dépens du nombre. Voilà pourquoi, contre les fortifications, l’artillerie de campagne fait place aux pièces de siège : encore faut-il les multiplier pour battre le périmètre étendu d’une place et restreindre leur dimension si l’on veut les transporter jusqu’à la position assiégée et les mouvoir à mesure que se resserre l’investissement. Ces difficultés ne se présentent pas pour l’armement placé à demeure sur les navires ou sur les côtes. Ce n’est pourtant pas sans motif qu’à bord on a longtemps accumulé des pièces de médiocre puissance. D’une part, leur objectif principal, le navire, offrait dans toute sa masse prise à des coups partout utiles : briser sa mâture, c’était arrêter sa marche et, par le désordre qu’entraînait la chute, paralyser d’ordinaire le service des batteries ; tirer à hauteur des ponts, c’était porter la mort dans les équipages qui les garnissaient en groupes compacts ; toucher la coque, c’était ouvrir passage à l’incendie ou à la mer. D’autre part, nul coup, où qu’il frappât, ne suffisait à perdre un bâtiment : les plus dangereux à la flottaison n’y perçaient que des trous presque refermés aussitôt par l’élasticité du bois, et que des voies d’eau faciles à aveugler. Il fallait, pour tuer, multiplier les blessures dont aucune n’était mortelle, et, pour blesser, lancer d’autant plus de projectiles que le tir alors était moins sûr. Les vaisseaux actuels n’ont plus à craindre les mêmes périls. Les mâtures sont devenues dans la navigation un accessoire et dans le combat une gêne qu’on fait à peu près disparaître ; leur chute pas plus que le passage des obus ne causerait de grands ravages sur les ponts presque déserts ; la plus grande partie des organes et de l’équipage agissent invisibles dans les profondeurs de la carène ; celle-ci, grâce au fer et à l’acier dont elle est faite, n’offre pas d’alimens au feu. Par contre, si elle se troue au choc d’un projectile, la déchirure reste béante et l’avarie sérieuse. La machine est plus délicate encore : pour peu qu’un obus y éclate ou atteigne un de ses organes, le navire est hors de combat. Ainsi apparaît une des conséquences des transformations accomplies : il y a dans les navires des parties vitales qu’il suffit d’atteindre pour tout réduire. Il s’agit donc moins de tirer beaucoup que de frapper juste et fort. La précision croissante des pièces a permis de restreindre leur nombre, la volonté d’obtenir des résultats efficaces a conduit à l’accroissement des calibres, l’accroissement des calibres a rendu le tir si dangereux pour les navires qu’il a fallu les protéger.


II.

Dès lors commence entre le canon et la cuirasse cette lutte où, l’effort de chacun obligeant l’autre à un plus grand effort, en moins de vingt ans, le calibre des pièces est passé de 14 à 45 tonnes, leurs poids de 4 à 100, les épaisseurs de plaques de 0m,10 à 0m,75 ; et ce progrès parallèle où les peuples rivaux cherchait une suprématie définitive n’aboutit qu’à balancer entre eux une égalité toujours menacée.

Rien ne dispose à la critique comme l’insuccès. Certains inconvéniens du blindage avaient apparu dès l’abord : surchargés de son poids, les navires étaient moins rapides, moins manœuvriers, moins stables. Aussi la première opposition au blindage vint-elle des hommes de mer. Les hommes de calcul, qui excellent à peser les intérêts dans la balance d’équations savantes, avaient répondu qu’il n’était pas trop cher de sacrifier quelques avantages nautiques à de plus grands avantages militaires. Mais quand eux-mêmes virent croître les charges budgétaires et diminuer le nombre des navires sans que le but fût atteint, ils en arrivèrent à se demander si ces tentatives pour rendre les flottes invulnérables n’avaient pas pour résultat d’affaiblir la force maritime. Cette crainte, à l’heure présente, envahit les plus confians et, tour à tour, ils rendent publiques leurs, incertitudes, comme des voyageurs jouets d’un long mirage s’arrêtent sur une route dont ils n’aperçoivent plus le terme, chacun au point précis où finit son illusion. Le dernier par la date, mais non par l’importance, est l’un des hommes qui ont contribué davantage à développer les instrumens d’attaque et de défense. Sir William Armstrong, il y a quelques mois à peine, résumait, en leur donnant l’autorité de son assentiment, les principales objections contre la marine cuirassée :

« Nous n’exagérons rien en affirmant qu’un seul cuirassé coûte aussi cher que trois vaisseaux non blindés, bien meilleurs marcheurs, et susceptibles de porter ensemble trois arméniens égaux chacun à celui du cuirassé. Si donc on dispose des fonds nécessaires pour créer une flotte, quel en sera le meilleur emploi ?

« Que l’on se figure par la pensée ces trois vaisseaux se battant contre le seul cuirassé ; on verra qu’indépendamment de leur supériorité numérique, ils possèdent encore bien d’autres avantages. Leur surface apparente étant plus faible, ils sont plus difficiles à atteindre. Leur vitesse étant plus considérable, ils peuvent choisir leurs positions pour attaquer ou se retirer à leur gré. Comme ils virent de bord plus rapidement, il leur sera plus facile de fondre à l’éperon sur l’ennemi ou d’éviter celui de l’adversaire. Enfin, leur vitesse plus grande, leur légèreté même, les rendent éminemment propres à utiliser des torpilles et des projectiles sous-marins. Même si l’on admet que le cuirassé possède le plus considérable de tous les avantages, celui d’être impénétrable aux projectiles de son adversaire, il succombera dans une lutte de trois contre un, à moins que, grâce à son artillerie bien couverte et en sûreté, il ne puisse tenir ses assaillans en respect et ne réussisse à les détruire par son feu l’un après l’autre s’ils persistent à l’attaquer. Telle pourrait être l’issue du combat si les vaisseaux alliés n’avaient que des canons à opposer aux canons ; mais, en pareille circonstance, ils attaqueraient avec l’éperon et les torpilles. »

Est-il vrai que la cuirasse soit inutile ? Est-il vrai, comme on l’admet communément, que la suppression de la cuirasse ait pour conséquence la suppression de la grosse artillerie ? Tous ceux qui poussent à la première solution n’admettent pas la seconde, et sir William Amstrong prévoit pour les navires non détendus un armement égal à celui des cuirassés. La moindre réflexion suffit, en effet, à indiquer que l’accroissement des calibres n’est pas lié à l’accroissement des blindages. Quand les nations s’accorderaient à ne pas protéger leurs bâtimens, elles ne s’interdiront pas de défendre à terre certaines positions. À moins que la marine ne renonce aux attaques contre le littoral, elle aura besoin de pièces d’autant plus fortes qu’elle agira contre des masses couvrantes d’une plus grande épaisseur. Même elle ne saurait entrer en lutte contre des ouvrages fortifiés si elle n’a, faute d’une égalité dans la protection, une écrasante supériorité dans la force offensive. Loin donc que la grosse artillerie et les cuirasses doivent finir ensemble, la suppression de la cuirasse rendrait plus nécessaire l’accroissement des calibres. Pour condamner le blindage comme inutile, l’école de sir W. Armstrong attribue dans les batailles navales une importance prépondérante à l’éperon et à la torpille. Contre l’un et l’autre, en effet, la cuirasse est impuissante ; mais si l’arme principale des combats est l’artillerie, les détracteurs du blindage protestent par leur aveu même contre leurs conclusions.

S’abriter du feu est aujourd’hui une partie importante de l’art militaire. Les troupes elles-mêmes que protègent sur un champ de bataille leur tactique de dispersion et le relief du terrain combattent en se retranchant, et le général le plus incapable de précautions vaines, et par nature le moins disposé même aux précautions nécessaires, Skobelef, en qui la Russie pleure de grandes espérances, cherchant après Plewna la leçon contenue dans la « bataille des sept jours, » la formulait en ces termes : « Se couvrir contre les feux de l’adversaire comme l’infanterie l’a fait constamment : 1o dans la guerre de sécession ; 2o dans les quatre années meurtrières de la guerre carliste, et 3o dans la guerre actuelle, où c’est pour les Turcs un principe. » Les navires qui flottent sur la plane immensité des mers n’ont pas d’abri, et chaque coup les menace d’une triple blessure : qu’il brise leur artillerie, il les désarme ; qu’il ouvre leur coque, il les livre à la mer ; qu’il pénètre dans leurs machines ou à leurs poudres, il les paralyse ou les détruit. Si la protection est de droit commun dans la guerre, elle est de nécessité absolue dans la guerre maritime.

Ce qui est nécessaire se trouverait-il impossible ? L’insoluble problème ne serait-il pas en partie résolu ? Il semble qu’il y ait encore à choisir entre une marine protégée et une marine sans protection. Les mots ici n’expriment pas les choses, ils servent à les cacher. Sans doute, tous les navires ne portent pas de plaques métalliques, mais ce n’est pas qu’on ait désespéré de les défendre, c’est qu’on avait trouvé pour eux d’autres sauvegardes aussi efficaces, et l’inexactitude est double quand on nomme non protégés des navires dont presque toutes les parties sont abritées, et cuirassés, des navires dont l’armure couvre une minime partie. Les premiers blindages, appliqués sur toute la muraille du cuirassé, enveloppant à la fois son artillerie, sa machine et sa coque, protégeaient par une seule défense ses armes, ses mouvemens, sa vie. Mais l’épaisseur devint bientôt telle qu’il fallut renoncer à ceindre les navires de ce rempart trop lourd. On reconnut alors que rien n’obligeait à protéger par le même moyen les coques, les organes intérieurs, les pièces. Dès qu’on divisa la défense, celle des coques fut trouvée. Les navires sont séparés par leurs ponts en étages, et chaque étage est partagé par des cloisons verticales en divers compartimens. Cette disposition, créée pour le service du navire, fut utilisée pour sa sûreté. On isola les compartimens par des fermetures hermétiques. Dès lors, qu’une voie d’eau s’ouvrît dans la coque, la mer, au lieu de se répandre dans tout le navire, s’arrêtait contre les clôtures du « compartiment étanche » où elle avait pénétré. Cependant, comme sous peine de paralyser la vie à bord, on ne pouvait multiplier les compartimens, chacun d’eux était considérable ; si plusieurs venaient à se remplir, le navire était menacé de couler à pic ; si le bâtiment roulait, l’eau, portée du côté où il penchait et déplaçant son centre de gravité, pouvait le faire chavirer. De là la construction « cellulaire » aujourd’hui en usage. Le navire a deux coques, l’une intérieure à l’autre, et, entre elles, un croisement de cloisons horizontales et verticales forme un réseau de cellules closes de toutes paris : tantôt elles sont vides, tantôt pleines de substances à la fois spongieuses et comprimées. Si le choc qui brise la coque extérieure laisse intacte la seconde, un alvéole seul est rempli, le navire n’a pas à souffrir. Quand on n’aurait pas obtenu d’autre résultat, il le faudrait estimer très haut. Nombre d’avaries qui ont ouvert la coque unique d’un navire et causé sa perte auraient respecté une coque intérieure. Quand s’échoua, à Lorient, le cuirassé de premier rang, la Dévastation, il talonna cinq jours sur un récif à pointes aiguës. Son bordage extérieur subit des déformations énormes : sa coque intérieure ne fut pas disjointe. L’utilité de ce système n’est pas moindre au cas où les deux coques seraient percées. Si la cellule ouverte contient une substance que gonfle l’humidité, le trou fait par un projectile se trouvera aussitôt bouché, et l’eau servira ainsi à obstruer le passage de l’eau. Si, les cellules étant vides, un choc en crève une ou plusieurs, la mer peut envahir par cette voie un compartiment étanche, mais, autour de la portion conquise par elle, les cellules intactes forment une cuirasse d’air qui maintient droit et à flot le navire. Dès lors le blindage a cessé d’entourer les coques insubmersibles ; elles n’ont plus besoin d’être impénétrables.

Dans les machines et les soutes, au contraire, rien ne doit pénétrer ; mais de même qu’on avait su défendre la muraille du navire, on chercha à en protéger les parties vitales sans les alourdir d’un poids superflu. Au temps où l’on cuirassait les coques, il n’avait pas échappé aux ingénieurs qu’une faible épaisseur d’eau suffit à amortir la force et à détourner la marche des projectiles, aussi le blindage ne descendait-il pas à 1m, 50 au-dessous de la flottaison. Les machines et les soutes furent placées dans les fonds du navire ; c’était, partout où elles touchent la coque, les défendre par une cuirasse d’eau. Elles demeuraient en butte aux coups dirigés contre les œuvres mortes, mais là les parties vitales ne sont plus en contact avec les murailles extérieures et l’espace intermédiaire, ne fût-il rempli que des approvisionnemens nécessaires à la navigation, fait obstacle à la marche des projectiles : or les besoins de la navigation placent près des machines, en quantités considérables, une substance résistante et compacte, le charbon. Des expériences ont établi qu’avec une épaisseur quinze fois plus forte, il oppose à l’obus la résistance d’une plaque métallique. Il est vrai qu’avec une épaisseur huit fois plus grande, il atteint le même poids. Sa pesanteur augmente donc de deux quand sa protection augmente de un, et à comparer leur valeur absolue de masses couvrantes, l’avantage n’appartiendrait pas au charbon. Sa supériorité est de former à la fois une défense et un approvisionnement. Il est vrai, à mesure que l’approvisionnement se consomme, la défense s’amoindrit, mais soit que les bâtimens aillent chercher la lutte sur la côte ennemie, soit qu’ils l’attendent immobiles en un point des mers, leurs soutes prolectrices ne seront pas vides durant les premières et décisives opérations : c’est seulement dans la suite des campagnes et si les ports de ravitaillement sont interdits, que les navires consommeront leur réserve, et contre des adversaires supérieurs en force, cet approvisionnement leur fournira le meilleur secours en leur donnant la supériorité de vitesse. Or il n’est pas impossible de ménager 3 mètres entre les machines et les murailles extérieures des grands navires. Un matelas de charbon de cette épaisseur autour des appareils moteurs les protège comme une plaque de 20 à 25 centimètres ; il les rend impénétrables au canon de 1h et à ses analogues. Contre une artillerie de ce calibre ou de calibres inférieurs, le blindage a donc pu disparaître, mais encore ce n’est pas qu’il fût inutile, c’est qu’il était remplacé par une cuirasse de charbon. Ce progrès mettait à découvert les batteries : mais les navires destinés à lutter contre une artillerie moyenne ne possèdent qu’une artillerie d’égales proportions. Or les pièces, jusqu’au calibre de 24, peuvent être servies par la main de l’homme. L’affût et le canon forment un ensemble assez solide pour que les éclats d’obus ne fassent pas grand mal à ces blocs métalliques ; il faut, pour les mettre en péril, des coups directs, et ces coups sont rares ; enfin, les pièces moyennes sont toujours en nombre suffisant pour que la perte de l’une d’elles n’affaiblisse pas à l’excès l’armement du navire. Ainsi s’est dégagée du blindage une flotte dans laquelle, sauf les pièces, tout est protégé : la coque contre la mer, les machines contre le canon.

Mais il y a en service des pièces de 70, de 80 et de 100 tonnes. Pour abriter contre elles les machines par du charbon, il faudrait le disposer sur une épaisseur d’au moins 10 mètres. Quand on parviendrait à restreindre ainsi les appareils évaporatoires pour faire place autour d’eux à des soutes de capacité suffisante, on laisserait les armes hors de protection. Les navires exposés à la grosse artillerie en portent une semblable : non-seulement le maniement de ces canons, mais le transport de la charge et des projectiles exigent des moyens mécaniques, et les mécanismes font de la pièce un organe aussi délicat que l’appareil à vapeur. Qu’un projectile, sans la toucher, éclate à sa portée, que le moindre fragment fausse une tige ou crève un tuyau, c’est assez pour éteindre le feu du plus gros canon, et comme un navire ne porte qu’un fort petit nombre de pareils engins, il suffira d’un hasard probable pour le réduire au silence. Plus une pièce est puissante, plus elle a besoin d’une protection qui doit mettre à l’abri non-seulement la pièce, mais l’espace nécessaire aux communications avec les soutes et à la manœuvre : cet espace, pour ne pas restreindre le champ de tir, doit égaler au moins, en tous sens, la longueur de l’arme qui s’y meut, et cette longueur atteint 8 à 10 mètres. 8i le charbon était employé comme masse couvrante, l’ensemble du moindre ouvrage, même destiné à un seul canon, aurait 30 mètres de diamètre et plusieurs mille tonnes de poids. D’ailleurs, comment le disposer ? En tourelles mobiles ? Mais où accumuler la force nécessaire au mouvement d’une pareille masse ? En tourelles barbettes et fixes Mais l’ébranlement de la muraille et sa destruction facile à la crête joncheraient l’intérieur de débris qui pénétreraient dans les mécanismes et empêcheraient la pièce de tourner. En forts ou réduits ? Mais une substance qui résiste seulement par masse profonde ne se prête pas à la formation d’embrasures. Celles-ci réduiraient autour de la pièce les épaisseurs nécessaires, et, dès les premiers coups, la muraille s’y effondrerait, obstruant le champ de tir. La cuirasse qui laisse libres les emplacemens les plus considérables et se prête le mieux à des augmentations de volume est celle qui, sous la moindre épaisseur, offre la plus grande résistance. Aucune ne réalise ces conditions à l’égal d’une cuirasse métallique.

Ceux qui semblent borner les guerres maritimes aux combats entre navires et auxquels suffisent des croiseurs, même en face des cuirassés, n’osent pas affirmer que les premiers soient de taille à tenir devant les seconds. Leur vue est différente. Ayant à opter entre le nombre et la force, ils choisissent le nombre. Quand chaque cuirassé protégerait autour de lui tout l’espace que franchit un boulet lancé de son bord avant de faire jaillir l’écume des flots où s’engloutit son dernier effort, que sont les enclaves dans l’immensité des mers ? Le reste n’offre-t-il pas d’assez vastes conquêtes et serait-ce prendre la mauvaise part que d’abandonner sans lutte la suprématie dans les rares parages où dominent les cuirassés, pour être maître partout où ils ne seront pas ? Précaire souveraineté faite par l’absence du plus fort, trop semblable au domaine fugitif de l’Indien dans les steppes, qui recule partout où s’avance l’homme armé. Est-ce assez d’avoir l’espace ? Est-il indifférent de dominer sur telles ou telles mers ? N’y a-t-il pas sur l’océan comme sur terre des routes stratégiques, des positions dominantes et, pour certaines opérations, des théâtres nécessaires ? Et si le théâtre principal doit être dans l’avenir la mer territoriale, les navires n’auront-ils pas pour objectif des régions limitées d’avance et sur ces régions des points fixes ? Au cas de blocus, de bombardement, d’attaque de vive force, que vaut la ressource de se retirer devant un ennemi plus fort ? Abandonner la place, c’est abandonner la victoire ; s’y résigner d’avance, c’est renoncer dans la guerre navale à l’exécution d’un plan, c’est-à-dire au plus grand avantage qu’ait apporté la vapeur. Il faut soutenir la lutte. Mais y a-t-il lutte si l’un des adversaires ne peut être mis hors de combat ? Quelque intérieur qu’il soit par la puissance offensive, il l’emporte si le combat dure, et le combat dure si chacun veut garder la place. En cas pareil, même contre des navires non défendus, le cuirassement n’est pas superflu. Que les nations y renoncent ensemble qui sont sûres de se trouver partout égales en nombre et semblables en force, soit ! Mais le jour où un navire sera seul pour résister à plusieurs, chacun aussi armé que lui, son infériorité le voue à la destruction. Comment rétablir l’équilibre, sinon rendre les coups moins dangereux à qui est exposé davantage ? Qu’on suppose ce navire, avec l’armement le plus formidable, menacé par la faible artillerie d’une flottille. Chacune des embarcations a chance de mettre hors de combat un vaisseau de premier rang. Celui-ci, par chacun de ses coups, ne saurait détruire qu’une force médiocre. Sa puissance dépasse ce qui est nécessaire : il ne l’emploie pas, il la compromet, et l’enjeu des adversaires dans la bataille est si inégal que le plus fort se trouve le plus menacé. Quel moyen encore de rétablir l’équilibre, sinon de préserver des machines de guerre si précieuses contre des hasards d’une fin sans gloire et sans utilité ? Enfin, que ce bâtiment ait en face de lui non des navires, mais un littoral : exposé sans protection sur la surface unie de la mer, luttera-t-il avec avantage contre des batteries de campagne qu’abritent les accidens de terrain ? Que fera-t-il surtout contre des ouvrages régulièrement construits ? Les marins fédéraux qui forcèrent les passes des fleuves du Sud étaient certes de vaillans hommes ; jamais ils n’exposèrent leurs navires à une lutte contre les fortifications sans avoir protégé leurs bordages et leurs ponts par des madriers, des chaînes ou des balles de coton. Des gouvernemens ne doivent pas laisser à l’initiative des capitaines l’invention de ces défenses : elles ne suffiraient plus. Moins que jamais il est permis de se fier sur la supériorité même écrasante de son artillerie, car cette artillerie, mue par des moyens mécaniques, croît en fragilité plus encore qu’en puissance. Le bombardement d’Alexandrie vient de donner à ces vérités un singulier relief. Les pièces les plus efficaces que l’on connaisse, les canons de 80 tonnes de l’Inflexible, agissaient contre des fortifications médiocres et une artillerie de faible calibre ; pourtant les navires anglais ont été touchés en maints endroits et à des endroits dangereux, et s’ils n’avaient pas été cuirassés, la plupart, réduits au silence, auraient dû regagner Malte pour s’y réparer, heureux si leurs machines, intactes, avaient pu les y conduire ! Permettre à des navires d’opérer sur un point fixe, de faire tête à tout adversaire, telle est la grande utilité du blindage, mais non la seule, et le navire qu’il protège y trouve un secours, quels que soient les adversaires, contre les torts pour compenser sa faiblesse, contre les faibles pour sauvegarder sa force.

Admettre le blindage, c’est se résigner à l’augmentation des cuirasses et à l’accroissement des calibres. L’un et l’autre subissent, depuis quelque temps, un arrêt, et les deux nations qui les avaient développés davantage prennent aujourd’hui pour tâche, l’Angleterre d’obtenir d’égales résistances avec des plaques moins épaisses, l’Allemagne d’obtenir d’égales perforations avec des pièces moins pesantes. Des résultats précieux ont été obtenus, mais ne serait-ce pas une erreur de conclure que la grandeur des dimensions a atteint son terme ? Le mouvement du progrès semble l’oscillation d’un pendule : il va, sans jamais se fixer, de l’un à l’autre élément de la force. Quand les poids et les volumes paraissent à leur limite, la supériorité est cherchée dans des combinaisons plus parfaites de formes et de matières. Mais quand la perfection des produits touche à son tour le terme où la science s’arrête, la volonté de l’emporter anime encore les nations rivales ; les poids et les volumes recommencent à croître. Avant ses tentatives actuelles, le génie anglais avait fait étudier des canons de 160 et de 200 tonnes. Il n’y a guère d’incertain que la date où il les exécutera, et la raison n’assigne à ce mouvement qu’une fin : une pesanteur d’artillerie et de cuirasse telles que fassent défaut des coques capables de naviguer en la supportant. Ce serait, dit-on, la victoire des canons sur la cuirasse, conséquence vraisemblable, et une conséquence plus importante encore suivrait : la victoire de la fortification terrestre. Comme elle n’a pas à craindre que le soi s’engloutisse sous elle, elle continuerait à se développer, et la marine, déjà incapable de participer aux guerres sur le continent, devrait s’interdire la guerre de siège sur le littoral. Mais cette déchéance n’est pas proche, et sur terre comme sur mer de grands résultats se préparent pour les flottes les mieux armées.

Pourtant il se trouve tantôt des circonstances où les navires ne peuvent se servir de leur force, tantôt des circonstances où leur force ne peut leur servir. On a vu combien elle leur est superflue dans les combats de torpilles, et que la prudence commande de ne pas les exposer. « Comme les brûlots, disaient nos anciennes instructions, sont destinés à être sacrifiés, ce sont ou de vieux navires, ou des navires faits légèrement et de bois de rebut. » De même, pour se glisser par surprise à petite portée de l’ennemi, lancer la torpille, arrêter les embarcations que cet ennemi dirigerait contre les vaisseaux de combat, se hasarder dans les parages garnis de défenses sous-marines et ouvrir une route aux forces navales, une grande puissance est superflue et de grandes dimensions seraient nuisibles. Des navires de faible valeur doivent jouer ici le principal rôle, et ils ne sont pas moins nécessaires dans la grande guerre. Durant ses principales opérations, les navires de combat demeurent immobiles. Cela est évident au cas de blocus : il n’en est pas autrement, malgré le terme, dans la guerre de course. Au temps où l’ignorance des hommes, appelant caprice de la nature des lois encore inconnues, accusait la mer et le ciel au lieu de les observer, il fallait chercher les navires de commerce sur toute l’étendue des mers où ils se laissaient pousser. Mais chaque jour une expérience plus attentive découvre dans les mouvemens de l’air et de l’océan des courans dont la direction est constatée pour un grand nombre, dont se sert la marine à voile, et dont s’aide la marine à vapeur. Les paquebots rapides qui vont au plus court ne suivent pas des routes moins régulières : ainsi se sont tracées sur les océans les grandes voies commerciales du monde. À certains points, ces routes se croisent et forment les « carrefours de la mer. » Ainsi, pour citer un exemple, les navires partant d’Europe à destination des Antilles ou des États-Unis, tous ceux qui partent des États-Unis ou du Canada à destination des mers de l’extrême Orient en doublant le cap de Bonne-Espérance ou qui se rendent dans l’ouest en doublant le cap Horn, comme ceux qui font les routes inverses, passent tous également dans l’Atlantique au nord de la ligne par un point que l’on peut approximativement fixer au 23e degré de latitude septentrionale et au 40e degré de longitude ouest. De même tout navire parti d’Europe ou de l’Amérique du Nord pour passer l’équateur, le coupe aux environs du 26e degré de longitude ouest. Il est encore sur l’Océan beaucoup de points qui s’imposent à la navigation du commerce[2]. Par suite, pour atteindre les bâtimens, il y a quelque chose de plus sûr que de les poursuivre, c’est de les attendre. Les « carrefours » sont des postes d’observation dont les croiseurs ne s’éloignent guère. Cette immobilité est parfois pour eux plus qu’une tactique, une obligation. Les mieux approvisionnés de combustible n’en ont pas pour plus de quelques jours aux allures rapides. Cette pénurie est une des grandes difficultés de la guerre. Dès la première opération accomplie par la marine à vapeur, le blocus de Venise en 1859, le commandant de la division française annonçait dans les dépêches comme affaire de grande importance la capture de cinq charbonniers autrichiens, et il ajoutait après la campagne : « Sans cette manne du désert offerte à nos fourneaux, nous n’aurions jamais pu réussir à maintenir efficacement le blocus dont nous avions été chargés[3]. » Aussi les navires réservent-ils leur combustible pour les momens où ils auront à déployer toute leur vitesse, et, pour ne pas le consommer sans profit, se contentent de tenir les feux assez allumés pour faire rapidement de la vapeur ; parfois même ils sont forcés de les éteindre lorsqu’une avarie ou l’entretien des appareils exige qu’on les démonte ou qu’on les lubrifie. Or, sans parler de l’hypothèse où des pièces seraient démontées, un certain temps est indispensable aux navires pour passer du repos à leur maximum de vitesse. Pour produire de la vapeur à une pression suffisante, si les feux étaient allumés, il faudrait une heure ; si les feux étaient éteints, trois. D’autre part, les bâtimens en mer ne s’aperçoivent pas, même par un temps clair, au-delà de 12 milles, distance qu’il ne faut pas une heure pour franchir. Si un navire au repos connaît seulement à cette distance l’approche de bâtimens plus faibles qui, à sa vue, disparaîtront aussitôt, ou la marche de bâtimens plus forts qui à sa vue lui donneront la chasse, il ne lui reste aucune chance, soit de retrouver sur l’étendue des mers les traces des navires qui se seront enfuis, soit d’échapper à des navires qui seront sur lui avant qu’il ait pris du champ. Que faut-il pour mettre les vaisseaux à l’abri de ces surprises ? Etablir autour d’eux, comme on établit autour de toute force militaire, des grand’gardes, des sentinelles. Pour que les bâtimens chargés de cette fonction la remplissent, il les faut assez près du navire qu’ils couvrent, pour correspondre avec lui, assez éloignés pour qu’à leur signal il ait le loisir de se préparer, assez près les uns des autres pour ne laisser rien passer entre eux qui se dérobe à leur surveillance. Couvert à 12 milles par des bâtimens qui eux-mêmes découvrent à 12 milles plus loin, un navire peut être prévenu à tout instant de ce qui se passe dans un rayon de dix lieues. Le délai qui lui reste avant l’action ne suffirait pas sans doute en cas d’avaries : il n’y a aucune disposition militaire qui puisse rendre les blessés aptes au combat, mais, dans les circonstances ordinaires, un navire a le temps de se préparer soit à la lutte, soit à la retraite.

Pour que cette surveillance soit efficace, il faut qu’elle s’exerce sur toutes les routes ouvertes à l’imprévu. Quand un navire est garanti sur ses derrières et sur ses flancs, soit par le voisinage des terres, soit par la présence d’autres navires, le péril ne le menace que d’un côté ; il suffit pour le couvrir d’un seul bâtiment. Le nombre des bâtimens de garde doit croître à mesure que le navire est exposé dans plus de directions, et celui qui en a le plus besoin est le navire isolé en pleine mer. Pour le préserver des surprises, il ne faudrait pas moins de quatre à six embarcations se partageant la surveillance de l’horizon. De là une marine annexe, et considérable. Mais qu’on se garde des économies faites sur la sécurité des navires. Les bâtimens de garde sont une assurance contre la perte des bâtimens de combat et il est à penser que les frais de cette assurance augmenteront. La configuration du globe ne permettra jamais à des navires de se voir à plus grande distance qu’aujourd’hui, la perfection de leurs organes leur permettra de franchir cette distance plus vite. Un avertissement donné au navire ne lui laissera plus alors le même temps pour se mettre en défense, et à moins que les moyens de chauffe et de mise en pression ne s’accélèrent dans la même proportion, un jour ce ne sera pas un, mais deux rangs peut-être de sentinelles, qu’il faudra étendre autour des bâtimens.

Ainsi se dégagent les élémens essentiels d’une marine de guerre.

Pour porter l’agression là où l’ennemi a concentré sa résistance, affronter les grosses pièces, réduire les places fortes ou défendre contre toute attaque les positions essentielles à garder, il faut des navires égaux pour la puissance offensive et défensive aux plus puissans adversaires : les cuirassés sont à la fois une artillerie de siège et sa fortification. Pour parcourir en tous temps les mers, les rendre sûres durant la paix, être présent partout où il y a des nationaux à protéger durant la guerre, chasser le commence ennemi, disputer, partout où on le rencontre, l’avantage à son pavillon, il suffit de bâtimens moins armés et moins défendus : les croiseurs sont la force destinée à tenir garnison et à faire campagne. Pour accomplir les petites opérations de la guerre, mais non les moins importantes, veiller sur les forces navales, s’exposer même à leur place, il faut enfin des navires capables de remplir le rôle de sentinelles et parfois d’enfans perdus.


III.

Employer ses forces, c’est les mouvoir. La marche des navires a une double mesure : la rapidité avec laquelle ils suivent une direction et la rapidité avec laquelle ils en changent. L’une et l’autre varient selon la puissance des moteurs, et, à moteur égal, suivant les formes des carènes. La vitesse rectiligne importe davantage aux navires de commerce faits pour unir les ports par les routes les plus courtes. En effet, dès l’avènement des paquebots, en même temps que le tonnage augmente, les flancs se creusent, les extrémités s’étendent sur l’eau, et le Great Eastern, dont la longueur atteint dix fois la largeur, semble le gigantesque modèle des proportions désormais nécessaires.

Destinés à naviguer en escadres, obligés à des manœuvres, soit pour offrir moins de prise, soit pour tirer parti de tous leurs canons, les navires de guerre ne pouvaient tout sacrifier à la rapidité de marche, ni adopter complètement ces formes. Cependant leur longueur double à peu près, leur largeur demeurant stationnaire. Dès 1865, le poids de l’artillerie et des blindages était tel que les navires déplaçaient 7,000 tonnes et, mesurant 98 mètres, dépassaient 9 mètres de tirant d’eau. Ce dernier chiffre était déjà excessif ; d’autre part, la charge croissante de l’armement obligeait à donner au navire des déplacemens plus considérables. Or, même le jour où les plus grands cuirassés eurent atteint 121 mètres, leur longueur n’égalait pas six fois leur largeur et il semblait naturel de l’augmenter encore, quand d’autres idées prirent faveur.

La ressource la plus ingénieuse de la science est de trouver les avantages des maux qu’elle ne sait pas détruire. Témoin des destructions causées par les rencontres fortuites des navires, impuissante à les prévenir, elle proclama le navire le plus puissant des projectiles. Le choc était un accident, elle en fit une arme. Une arme nouvelle amène une tactique nouvelle. Soit que les adversaires s’avancent pointe contre pointe et dérobent leurs flancs, soit que, s’étant dépassés sans s’atteindre, chacun d’eux tente, plus rapide en vitesse, d’arriver droit sur son ennemi encore occupé à son évolution et présentant le travers, soit surtout que dans les mêlées d’escadre ils aient à se défendre de toutes parts et à suivre une voie imprévue à travers des périls mouvans, la qualité la plus nécessaire devient dès lors la promptitude à changer de route, c’est-à-dire la faculté de giration.

Or les bâtimens en usage se trouvaient impropres à ces manœuvres et par leur longueur et par leur tirant d’eau ; un seul moyen s’offrait de réduire ces deux dimensions : augmenter la troisième, la largeur. Ce système a triomphé dans les constructions les plus récentes et donné naissance à des types courts, larges, plats de quille. Assis plutôt que plongés dans la mer, ils ont le même tonnage que leurs aînés avec 20 ou 30 mètres de longueur et 1 à 2 mètres de profondeur en moins. Avec un tirant d’eau moindre, ils atteignent un tonnage double, et tandis que l’évolution de ceux-là exigeait un cercle de 800 mètres de diamètre et de 7 à 10 minutes, elle s’accomplit dans un cercle et dans un temps d’autant plus réduits que la coque est moins profonde et moins longue. Ces avantages ont été poussés jusqu’à leurs limites dans les bâtimens construits en Russie et appelés du nom de leur inventeur popofka. Les uns, aussi larges que longs, comme l’Amiral-Popof, ont 36m,60 sur 36m,57 ; d’autres même comme le Novogorod comptent 29m,55 de l’avant à l’arrière et 30m,40 de bâbord à tribord ; ils portent des cuirasses de 0m,30 et des canons de 30 tonnes sans caler plus de 4 mètres, et tournent sur eux-mêmes comme une toupie dont ils ont la forme. Mais tout avantage se paie. À meure qu’un avant moins effilé frayait dans la mer passage à une masse plus épaisse, la route faite par les navires a été plus lente. Le plus mince des navires cuirassés, l’Azincourt, est aussi le plus rapide. Une machine de 6,867 chevaux a pu imprimer à ses 10,627 tonneaux une vitesse de 15 nœuds 43. Le Duilio, qui a le même tonnage, ne reçoit d’une machine de 7,500 chevaux qu’une impulsion de 14 nœuds. Il est long de 103 mètres, a 18m,33 de large et moins de 8 de profondeur. Le dernier terme de cette décroissance est la popofka, comme elle n’est pas plus longue que large, elle marche par le flanc ou en avant avec une égale facilité ; mais comme elle fend l’eau avec une largeur de 36 mètres, une machine de 3,600 chevaux ne peut imprimer à ses 4,800 tonneaux une vitesse de plus de 7 nœuds. La loi de ces constructions peut se formuler ainsi : ce qu’un navire gagne en faculté giratoire, il le perd en faculté de marche directe.

Laquelle est la plus nécessaire ?

Il y a un art plus grand que de livrer des luttes heureuses, c’est de vaincre sans avoir besoin de combattre. Décider la nature des opérations et leurs théâtres, occuper le premier les positions dominantes, déconcerter par une attaque maîtresse de tous ses moyens une défense encore en formation, c’est devancer les batailles, et par la perfection des plans atteindre son but sans traverser le hasard la prépondérance des forces, les surprises ? La rapidité de marche en avant. Sur mer comme sur terre, elle est maîtresse de toute stratégie. La subordonner à la facilité d’évolution n’est pas subordonner la stratégie à la tactique, mais compromettre l’une et l’autre. Si aptes que soient des navires aux manœuvres du champ de bataille, l’ennemi plus rapide est maître de commencer la lutte, maître de la finir, assuré de sa retraite. Moins les navires se porteront avec promptitude d’un des mêlées. Or qui permet l’offensive, le choix des champs d’action, point à un autre, plus il en faudra pour suffire au même service ; encore courront-ils risque d’être battus en détail par des forces au total moins considérables, mais plus faciles à concentrer, et grâce à la rapidité de sa course, la marine la moins nombreuse peut l’emporter même par le nombre, chacune de ses unités se trouvât-elle inférieure. D’ailleurs, où apparaît cette infériorité ? Dans les combats par le choc ? On sait quelle importance leur reste. Préparer les navires pour ces passes d’armes, c’est sacrifier des qualités d’une importance constante et capitale à des qualités sans emploi. Dans les joutes d’éperon même, si elles ne disparaissaient pas. L’avantage appartiendrait-il aux manœuvriers ou aux marcheurs ? Dans le premier élan qui les porte l’un sur l’autre, la supériorité est faite par la vitesse. Sans doute, s’ils se manquent et que le navire long tente de revenir par un cercle restreint face à l’ennemi, ralenti dans son allure et paralysé dans ses mouvemens, il offrira une prise facile à des rivaux que leurs dimensions aident à virer court. Mais pourquoi cette manœuvre où disparaissent ses qualités ? Qu’il continue sa route et décrive au loin un cercle assez étendu pour rendre insensible le changement de direction. Les facultés giratoires deviennent inutiles contre un navire que sa marche supérieure ne permet ni de cerner ni d’atteindre, et tous les avantages lui demeurent dans un combat qui se poursuit par des pointes rapides sur les adversaires et par de grandes courbes hors de leur portée. Cette situation change dans un seul cas, lorsque l’espace manque pour ces mouvemens à grands rayons ; il faut supposer pour cela que le navire s’est laissé pousser près de terre ou enfermer entre des hauts-fonds. Mais de telles éventualités sont des fautes. C’est le devoir des officiers de ne pas être entraînés dans les parages où les qualités de leurs bâtimens deviennent inutiles. Ce n’est pas le devoir des ingénieurs de tracer leur plan en prévision de ces erreurs. Avec de mauvais capitaines, il n’y a pas de bons vaisseaux.

Puisque la vitesse de marche directe est la plus importante, les navires de guerre se rapprocheront des formes usitées pour les bâtimens de commerce. Ceux-ci tendent vers cette uniformité par une réforme inverse. L’expérience a prouvé qu’on avait dans les derniers temps exagéré leur affinement au point de les rendre inaptes à manœuvrer dans les ports et par les gros temps : on avait construit des navires ayant en longueur jusqu’à quinze fois leur largeur. Aujourd’hui il semble établi que l’une des dimensions ne doit pas dépasser douze fois l’autre. Encore de pareilles formes ne conviendraient-elles pas à la marine de guerre. Les cuirassés surtout, avec des flancs si étroits, auraient leur centre de gravité trop facilement déplacé par les mouvemens de la mer. Il sera nécessaire de leur maintenir une largeur plus grande, mais fort inférieure à celle qu’on leur donne aujourd’hui, et moins les bâtimens seront chargés de cuirasse et d’artillerie, plus ils devront se rapprocher des proportions en usage dans le commerce. L’obstacle que l’inertie du vaisseau oppose à sa marche étant réduit au minimum, tout progrès dans le moteur augmentera avec la vitesse, la valeur de l’arme : la vitesse, en effet, ne se confond-elle pas avec la force puisqu’elle la porte, la protège et la supplée ?

Si inséparables qu’elles semblent pourtant, la difficulté est de les unir. La puissance de l’armement se traduit en poids, la puissance du moteur en poids. Ces deux pesanteurs se disputent en s’augmentant la capacité que le navire a de les supporter. Cette capacité est restreinte : moins est lourde la machine, plus il reste de poids à consacrer à l’armement ; plus l’armement est léger, plus il laisse de développement aux machines. Faute de pouvoir réunir sur les mêmes bâtimens des qualités également nécessaires, on a été contraint de créer dans la marine deux flottes distinctes : la flotte de course et la flotte de combat. Ce n’est pas que la première, la flotte cuirassée, doive négliger la vitesse comme un superflu. Pénétrer dans les rades avant que leur défense soit complète, bloquer les ports de guerre avant que l’ennemi en soit sorti, attaquer une fortification qui ne peut tenir sans secours extérieur avant que ce secours soit prêt sont des intérêts considérables, et il importe de donner aux cuirassés toute la vitesse compatible avec un fort armement.

Mais il faut se garder, en rendant les navires aptes à trop de services, de les faire médiocres en tout. La nature même des obstacles contre lesquels le cuirassé doit lutter laisse peu de place aux surprises ; les ouvrages permanens, les centres de marine militaire ont leurs défenses organisées et prêtes durant la paix même ; c’est pour les batailles inévitables que sont faits les « hommes de guerre, » comme les Anglais appellent ces bâtimens. Puisque la célérité de leur marche ne leur épargnerait pas une lutte, l’essentiel n’est pas qu’ils la livrent plus ou moins vite, mais qu’au moment où ils la commencent, ils soient armés pour la soutenir ; s’il faut sacrifier quelque chose, ce ne peut être ni l’artillerie, ni la défense, c’est la marche. Au contraire, dans les opérations accomplies par les croiseurs, soit qu’en mer ils poursuivent le commerce, soit que sur les côtes ils interdisent les ports et rançonnent les villes ouvertes, soit que sur le littoral ils débarquent ou détruisent des voies de communication, la puissance des armes joue un rôle secondaire, la promptitude des mouvemens est l’intérêt principal. Enfin c’est l’intérêt unique pour les bâtimens de garde, qui ne sont pas destinés à soutenir une lutte ; s’ils ne surprennent pas l’adversaire ou s’ils ne le devancent pas pour signaler son approche, ils perdent toute utilité.

Quelles que soient les difficultés d’exécution, les données du problème sont simples : tout ce qu’un navire perd en vitesse, il le doit gagner en force ; tout ce qu’il perd en force il le doit gagner en vitesse. S’il est contraint par sa lenteur d’accepter le combat, il faut qu’il soit capable d’y garder l’avantage ; s’il est menacé par sa faiblesse d’une défaite, il faut qu’il soit maître de la fuir. Cette vitesse a une mesure : la marche des meilleurs navires de commerce. Puisque les croiseurs ont pour mission principale d’arrêter le commerce maritime, il leur faut une allure égale à celle des navires les plus rapides qu’ils aient à poursuivre. C’est par suite la rapidité que doivent dépasser les bâtimens de garde et de laquelle doivent approcher les bâtimens de combat. Or si le rapport de vitesse entre les divers navires doit demeurer constant, la vitesse elle-même ne cesse de croître. Ici apparaît bien l’ingratitude de la tâche qui incombe aux états maritimes : leur œuvre de chaque jour s’évanouit avec le jour qui en est témoin, et l’effort accompli sans relâche reste à recommencer sans fin. Mais plus leurs difficultés s’accumulent, moins il convient de se plaindre ; ils ne sont victimes que des victoires gagnées par le génie humain, et l’on mesure sa marche en comparant ce qu’est aujourd’hui la navigation à vapeur et ce qu’elle était naguère. Quand, il y a près d’un siècle, un Français, de Jouffroy, fit naviguer sur la Saône à Lyon le premier bateau à vapeur, il lui imprima une vitesse de 3 nœuds. En Angleterre, l’exemple fut suivi plus tard, avec une confiance moins grande et un succès inférieur encore. Un particulier, pour obtenir que le gouvernement appliquât le nouveau moteur au vaisseau le Kent, avait dû signer le 30 juin 1794, l’engagement de payer 9,000 liv. sterling d’indemnité au cas d’insuccès, et l’un des lords de l’amirauté exprimait en ces termes la pensée de tous : « Je ne vois point de raisons pour modifier l’opinion que j’ai déjà exprimée, à savoir que le moyen que vous avez imaginé pour faire mouvoir les vaisseaux indépendamment du vent et de la marée ne justifie pas les grandes espérances que Votre Seigneurie paraît en avoir conçues. » Il fallut l’audace du Nouveau-Monde pour adopter ce que refusait le monde ancien, et quand après cinquante années, l’Europe recevait des mains de l’Amérique cette invention qu’elle n’avait pas voulu reconnaître après l’avoir conçue, les navires filaient à peine 7 nœuds. Mais depuis cette époque, quel progrès ! La régularité et la promptitude des communications ont une telle importance pour les affaires, et sont devenues un besoin si impérieux pour la vie moderne, que de nation à nation, de compagnie à compagnie, se poursuit une lutte de vitesse, et les plus grandes voies commerciales du monde, d’Angleterre aux États-Unis et d’Angleterre dans l’extrême Orient, sont devenues comme une gigantesque mesure sur laquelle les divers navires éprouvent la rapidité croissante de leur navigation. Or sur ces deux routes les derniers progrès accomplis par la marine à vapeur viennent d’être constatés avec éclat.

Le paquebot le plus récemment construit par la compagnie Cunard pour la traversée de l’Atlantique a accompli en sept jours avec une vitesse moyenne de 18 nœuds la navigation entre New-York et Liverpool. En même temps, arrivait de Chine en Angleterre le premier navire apportant le thé nouveau. Chaque année, on le sait, les compagnies se disputent l’honneur de débarquer sur les quais de Londres la primeur de la récolte, et dans un pays qui a fait du thé son breuvage national et qui trouve dans tous ses goûts matière à paris et prétexte à courses, c’est une préoccupation publique de savoir quel sera le vainqueur de l’Ocean tea race. Or, cette année. le Sterling de la Castle line, a parti, disent ses livres de bord, de l’embouchure du fleuve Yantsée, à 42 milles de Shanghaï, le 23 mai, à quatre heures quarante-cinq du matin, est entré dans les docks de Londres le 22 juin, à quatre heures du soir. » Il a donc accompli une traversée d’environ 12,000 milles en vingt-neuf jours vingt-deux heures quinze minutes, c’est-à-dire avec une vitesse moyenne de 17 nœuds en comptant les arrêts, avec une vitesse réelle de 18, et avec une économie de dix jours sur le temps exigé jusque-là.

Dix-huit nœuds, telle est donc à l’heure présente la vitesse que les croiseurs mis aujourd’hui en chantier doivent atteindre et les bâtimens de garde dépasser. Ce chiffre est d’autant moins exagéré que des bâtimens cuirassés en service filent plus de 15 et qu’on attend des cuirassés en construction une vitesse de 17.


IV.

Pas de forte artillerie, pas de cuirasses solides, pas de machines puissantes sans poids et sans espace : à mesure que croissaient les exigences de l’attaque et de la défense, le tonnage des navires devait donc augmenter. Mais il y a deux manières d’être hors de la vérité : ne pas l’atteindre ou la dépasser. En portant jusqu’à 6,000 et 7,000 tonnes la dimension des croiseurs et jusqu’à 12 et 14,000 celle des cuirassés, n’est-on pas sorti des justes limites ? Engloutir dans une seule construction des sommes qui atteignent 25 millions, n’est-ce pas se condamner à réduire de plus en plus l’effectif de ses vaisseaux, et exposer par la perte d’un seul à une diminution trop forte de puissance et de richesse la marine ainsi formée ? Restreindre leurs dimensions, n’est-ce pas multiplier leur nombre sans surcroît de dépense et constituer la force navale de telle sorte qu’elle agisse aussi efficacement si elle se concentre, sur plus de points si elle se disperse, et qu’un événement malheureux de navigation ou de guerre enlève au pays frappé une partie moins grande de sa flotte ? Parmi les plus intéressés à bien juger les navires, ceux qui les montent, beaucoup pensent ainsi : ce qui leur rend suspects les grands navires est le sentiment de la responsabilité. Devant leurs yeux apparaissent tous les devoirs dont est faite l’unité terrible du combat. Gouverner sur l’ennemi, deviner ses projets, éviter son choc, le frapper, saisir dans ces évolutions l’instant propice à l’artillerie, soutenir en même temps que la grande lutte les combats de torpilleurs, mettre à la mer et recueillir les uns, couler les autres à coups de mitraille, être tout entier à toutes ces lâches, diriger le personnel appliqué à chacune d’elles, à travers le déchaînement de tous les périls garder la vision nette du champ de bataille et conduire une action furieuse avec une âme immobile : quelle tâche ! Quand ils calculent ce qu’il faut faire pour tirer de ces machines de guerre tout l’effet utile, ce qu’elles coûtent d’argent, ce qu’elles représentent de force, ce que peuvent perdre non-seulement une défaillance, mais un retard de la volonté, même sans aucune faute un hasard, leur courage se trouble et ils connaissent la seule crainte à laquelle reste ouvert leur cœur. C’est alors que leurs regrets évoquent ces navires d’autrefois où un regard suffisait à tout enchaîner, comme une pensée à tout conduire et ils rêvent, en ramenant à leurs dimensions les bâtimens modernes, de ramener les devoirs eux-mêmes à des proportions plus humaines. Mais ont-ils discerné le remède aussi bien que le mal ?

Ce qui faisait le commandement facile dans l’ancienne marine, ce n’était pas la petitesse des navires, c’était la simplicité des services. Réduits à la manœuvre des voiles et à la canonnade par bordées, groupant en deux grandes masses l’équipage, ils pouvaient être dirigés par un seul chef. Aussi faisait-on mouvoir sans désordre trois fois plus de combattans sur un vaisseau de ligne que n’en comptent les plus forts cuirassés. Au contraire, ce personnel restreint est aujourd’hui voué à des fonctions indépendantes, multiples. Si les actions navales, comme on semble le croire, deviennent des mêlées où les flottes se heurteront, sur le plus petit bâtiment, avec le plus faible équipage, ne voit-on pas surgir pour les hommes les obligations simultanées, pour le chef la nécessité d’être présent partout à la fois ? Ce n’est pas le navire qui est démesuré, c’est la tâche. Sur quelque bâtiment qu’il faille manier en les combinant les différentes armes, l’unité d’action se brise. Au capitaine la direction générale du combat ; il l’engage, le poursuit ou l’arrête ; son regard interroge les dangers qui l’entourent de toutes parts, sa voix commande à la machine, sa main au gouvernail, mais il suffit à peine à cet effort qui l’absorbe. À d’autres officiers les pièces, les torpilles, les embarcations ; leur rôle est de prévoir l’instant où leur arme peut produire l’effet le plus utile, et de se mouvoir librement sur le champ d’action où les place la volonté de leur chef. Mais si cette division du travail est inévitable, que produira-t-elle ? Toute la puissance militaire que porte le navire ne fait-elle pas corps avec lui et quelle efficacité resterait aux actions qui ne seraient pas liées à sa marche et conscientes de ses desseins ? Ses torpilleurs surpris par ses changemens de route courront risque de l’aborder, ou, réduisant leur vitesse et leur champ de combat, deviendront inoffensifs pour l’adversaire par crainte d’être dangereux pour lui ; son tir, dévié par l’imprévu de ses mouvemens, manquera de justesse, et tandis que la dispersion de l’autorité déshabituera de l’obéissance, la responsabilité ne pesant sur personne, les fautes fourniront à tous des motifs non de s’instruire, mais de s’accuser. Il est également impossible, soit de confier à un chef unique des opérations simultanées et multiples, soit de partager entre plusieurs chefs des opérations dont toutes les parties doivent être coordonnées. Ainsi les difficultés du commandement ajoutent un obstacle moral aux obstacles déjà, indiqués et décisifs contre le combat par le choc.

Dans les combats à distance tout se simplifie. Mouvoir le navire sur une mer libre n’est pas une tâche faite pour occuper toutes les facultés d’un capitaine : il lui reste toute la liberté d’esprit nécessaire à sa tâche principale, l’emploi de son artillerie ; et ainsi le tir des pièces principales, combiné avec les mouvemens du navire qui les porte, acquiert toute sa justesse. S’il faut joindre à ce combat une attaque par les torpilles, un ordre fait mettre à la mer les embarcations qui les portent et dont l’action se poursuit dès lors indépendante sur un théâtre plus proche de l’adversaire. Si enfin cet adversaire force la ligne qu’elles lui opposent et menace le bâtiment d’une agression plus immédiate, le péril n’éclate pas si soudain que le capitaine attaqué n’ait le temps de le voir et de prendre ses mesures. Ainsi les fonctions du chef, malgré leur multiplicité, ne se présentent pas à accomplir toutes ensemble, leur succession donne à l’esprit le temps de réfléchir : voilà pourquoi reste intacte l’unité du commandement. Il s’exerce de même, quelle que soit la dimension du navire ; hors des côtes, les plus grands bâtimens ne sont pas plus malaisés à diriger que les autres, et comme le petit nombre des grosses pièces et la lenteur de leur chargement permettent à un seul chef d’ordonner leur feu, l’importance des navires n’est pas un obstacle à l’exercice de l’autorité ; elle donne, au contraire, à cette autorité des moyens d’action plus décisifs.

Et il ne faut pas dire : un bâtiment moindre de moitié a une force militaire moitié moindre, mais il suffit de construire deux navires pour créer une force égale à celle d’un vaisseau double de dimensions. C’est un axiome d’architecture navale que le tonneau de coque d’une petite ou d’une grande construction coûte un prix fort différent. Le prix est d’autant plus élevé qu’il s’applique à des constructions de dimensions moindres. Par suite, avec le même budget, un pays produira un tonnage d’autant plus considérable qu’il l’appliquera à des bâtimens plus grands. Et quand une marine atteindrait, avec des navires moindres, le tonnage obtenu par une autre marine avec des navires plus grands, elle ne toucherait pas à l’égalité de puissance. Plus le bâtiment est petit, plus son poids est considérable relativement à son volume, moins il lui reste par suite de poids utile à porter. Un armement partagé entre deux navires sera donc inférieur à l’armement réuni sur un vaisseau de grandeur double ; c’est cette différence entre la capacité utilisable des uns et des autres qui constitue la supériorité intrinsèque des seconds. Ils l’emploieront à porter des canons plus forts, une cuirasse plus épaisse ou des machines plus puissantes, et cette supériorité sera d’autant plus grande que le même tonnage sera ici concentré en un moins grand nombre de coques et là divisé en un plus grand nombre de bâtimens. Et si d’autres avantages s’ajoutent à celui-là, s’il est évident que l’artillerie des grands navires domine de plu- sieurs mètres l’artillerie des bâtimens inférieurs, s’il est reconnu que ces navires ont une marche plus régulière, fatiguent moins, résistent mieux aux coups de mer, quel argument reste en faveur des types restreints ? Il est vrai, les bâtimens considérables offrent à la tempête ou à l’ennemi une riche proie. Serait-il donc plus sage de livrer à l’une et à l’autre des instrumens moins capables de leur résister ? Ce qu’il faut calculer, ce n’est pas la valeur de ce qu’on peut perdre, ce sont les chances qu’on se donne de le conserver. Quand des armateurs, pressentant les conditions nouvelles de la marine marchande, ont abandonné leurs navires de faible tonnage et créé des paquebots capables de porter chacun la cargaison de trois ou quatre navires d’autrefois, beaucoup d’hommes se sont rencontrés qui ne voulaient pas exposer tant de richesses au hasard de la mer et croyaient prudent, pour diviser leurs risques, de garder les faibles navires en usage jusque-là. Les faits ont prouvé lesquels étaient les plus sages : la mer a surtout détruit les navires qui lui offraient moins de résistance, c’est-à-dire les plus petits. Il n’en est pas autrement des chances de la guerre. Qu’importe à un bâtiment d’être attaqué par plusieurs ? Si la protection qui le couvre est à l’épreuve, ce n’est pas la multiplication de coups inoffensifs qui le mettra en danger ; s’il a une artillerie plus puissante, la quantité de ses adversaires ne fera pas taire son artillerie, elle augmentera l’étendue de ses objectifs ; s’il possède plus de vitesse, il peut joindre ses ennemis ou leur échapper, comme il lui plaît ; enfin, s’il réunit l’avantage du cuirassement, du canon et de la marche, comme il peut se maintenir à une distance où il frappe l’ennemi sans être atteint lui-même, un bâtiment seul est plus fort qu’une escadre. Aussi, dans un temps où la marine doit agir de loin et surtout par l’artillerie, ceux qui décident de la composition des flottes doivent-ils porter attention à la grandeur des navires plus encore qu’à leur quantité : la force, dans les luttes corps à corps, est le nombre des combattans ; dans les luttes à distance, c’est la supériorité des armes.

Cette règle est absolue quand il s’agit de cuirassés. Sous peine d’être impuissans ou vulnérables, ou de ne jeter dans la balance que des interventions tardives, ils ont besoin à la fois de tous leurs élémens de puissance. Puisqu’ils n’en peuvent sacrifier aucun, ils doivent trouver place pour les contenir tous, en porter le poids accumulé, et mesurer sur les plus grands périls la réserve suprême de la force navale. L’accroissement continu de tonnage qui se produit dans les navires de combat est donc la forme rationnelle de leur progrès ; il ne s’arrêtera que le jour où une nouvelle augmentation les rendrait incapables de naviguer. Les profondeurs, dans la plupart des ports, et dans la zone maritime qui avoisine les terres, ne dépasse pas 10 et même 9 mètres. Les navires ne caleront pas plus de 9 mètres ; ainsi se trouve fixée une des dimensions. Si les autres n’ont pas avec celle-là des rapports constans, elles continueront à croître, et les navires tendant à devenir des tours à hauteur constante et à diamètre de plus en plus considérable, il n’apparaît pas de limites à l’accroissement des canons, des machines et des blindages. Mais s’il y a pour les navires des formes nécessaires et entre leurs diverses mesures des proportions constantes, la profondeur, limitée à 9 mètres, limitera à son tour la longueur à peu près à 150, la largeur à 20. Ce n’est pas la moindre importance du retour aux formes rationnelles. Il donne à la marine à vapeur l’unité de type qui a existé dans la marine à voiles. Il assigne une limite à l’extension des navires. Dès que les navires cessent de croître, le matériel qu’ils contiennent ne peut plus grandir. Ce n’est pas à dire qu’à dater du jour où les formes du bâtiment de combat seront fixées, le génie humain retombe dans le sommeil, comme il fit à l’avènement de la marine à voiles. C’est alors que son activité sera le plus féconde ; quand sera épuisée la ressource barbare d’augmenter la force de l’instrument de guerre en augmentant les calibres des pièces, 1 épaisseur des blindages, le nombre des chaudières, alors se produira le seul effort qui mérite le nom de scientifique, celui qui cherchera dans un emploi meilleur des matières et des espaces où il sera circonscrit un agrandissement de puissance. Déjà ce mouvement a commencé : on sait que les perfectionnemens réalisés en Angleterre sur les plaques, en Allemagne sur les pièces, ont abouti à produire, avec des dimensions moindres, des canons et des cuirasses d’une égale efficacité. La France n’est pas restée en arrière. Grâce à M. de Bussy, la substitution de l’acier au fer dans les constructions, — l’initiative la plus hardie et la plus heureuse qui ait transformé de notre temps l’art des constructions, — a déjà réduit de plus du dixième le poids des navires. Or, tantôt en obtenant la même puissance sous une masse moindre, tantôt en obtenant plus de force sous une masse égale, on économisera des poids qui, portés des parties plus parfaites sur les plus faibles, permettront de donner au navire, sans accroître son tonnage, une force toujours croissante.

À en juger par les flottes de certaines nations, il ne serait pas nécessaire de réunir sur tous les navires de combat ce maximum de puissance et il y aurait place pour deux sortes de cuirassés. On construit, en effet, sous le nom de « cuirassés de station, » des navires inférieurs par le tonnage comme par les qualités militaires et nautiques, et qu’on ne destine à naviguer que dans les mers lointaines. Les navires les plus puissans de cette catégorie, ceux qui sont maintenant en chantier, ont 0m,20 de cuirasse et des canons de 24 ; la plupart portent des plaques de 0m,22 et des pièces de 0m,16 à 0m,21.

Il est sage de ne pas disperser dans des missions lointaines et permanentes les cuirassés de combat. Une guerre peut éclater si vite que le temps manque pour les réunir ; d’ailleurs, les rappeler serait priver de leur protection, quand elle serait le plus nécessaire, les postes qu’ils surveillaient durant la paix. Aussi toutes les nations les tiennent-elles rassemblés dans les eaux territoriales comme un instrument toujours à portée de la main. Il est certain aussi que les puissances navales ne doivent pas seulement se préparer aux jours terribles et passagers de la guerre. Toutes ont hors de leurs frontières des devoirs permanens : ici des colonies ; là des intérêts égaux en importance à ceux de la souveraineté, comme est la liberté du canal de Suez pour l’Angleterre ou du Bosphore pour la Russie ; ailleurs la présence et le commerce des nationaux chez des peuples de race et de civilisation différentes et souvent barbares sollicitent une protection. La meilleure et d’ordinaire la seule possible est l’envoi de vaisseaux. C’est dans cette prévision que les nations maritimes entretiennent une partie de leurs arméniens ; les unes promènent leurs navires à travers le monde et les font paraître tour à tour sur les points où il est besoin, les autres y entretiennent des stations permanentes. Mais quel rôle y jouent des cuirassés armés de pièces de 24 et protégés à 0m, 20 ? Une force offensive et une invulnérabilité semblables se trouveraient dans tout croiseur protégé par un matelas de charbon, et il joint à ces qualités la vitesse. Ni leur artillerie ni leur blindage ne pourraient être employés contre les bâtimens de combat d’une grande puissance. Les créer, c’est donc constituer une flotte impropre aux opérations de la grande guerre et attachée par sa faiblesse à des opérations limitées sur quelques points du monde.

Si l’on tient à mettre en ligne des cuirassés inférieurs, il y a quelque chose de plus simple, de plus économique et de plus rapide que les créer : c’est de se servir de ceux qu’on a. Toute puissance possède dans ses arsenaux des navires, encore récens de date, n’ayant rien perdu de leurs qualités nautiques, mais devenus sans emploi parce que leur valeur militaire est dépassée par des types plus nouveaux. Tant que le mouvement de progrès qui met si vite hors d’usage les instrumens de guerre ne sera pas arrêté, il y aura trop de cuirassés de second rang : ceux qui seront tombés du premier. Qu’on les envoie dans les stations lointaines ; ainsi tout le matériel trouvera emploi, aucune partie du budget ne sera perdue à produire des types sans valeur militaire, et l’argent qui était consacré à ce stérile usage augmentera la rapidité et la puissance des constructions nouvelles. Mais encore pourquoi ne pas épargner la dépense de tels armemens ? Ou la force navale sert à prévenir, ou elle sert à réprimer. D’ordinaire elle agit par sa seule présence, parce que, tout mauvais procédé devenant une insulte au pavillon, la gravité des conséquences suffit à arrêter le mal. Dans les conditions les plus habituelles, la grande valeur des bâtimens est une valeur d’opinion ; ce qui inspire le respect, ce n’est pas la force qu’ils possèdent, c’est celle qu’ils annoncent et précèdent, et peu importe sur quelle épaisseur de fer flottent les couleurs ; si ce symbole n’est pas respecté, un cuirassé de station est trop ou trop peu. S’agit-il d’une représaille à exercer contre une ville ouverte, il est superflu. S’agit-il d’hostilités sérieuses contre des points fortifiés ? il ne suffit pas. Les puissances moindres d’Europe ou d’Amérique comptent des vaisseaux égaux en force et supérieurs en nombre aux cuirassés qui stationnent sur leurs côtes. Au temps où elles étaient moins armées, il a fallu pour réduire Saint-Jean-d’Ulloa et Vera-Cruz une escadre envoyée de France. Les conflits avec la Chine, l’Annam, l’Abyssinie, les sauvages du Zoulouland ont coûté de sérieux déploiemens de forces aux plus grandes nations. Le monde était hier témoin des préparatifs faits par l’Angleterre contre l’Égypte ; elle n’a pas bombardé Alexandrie avec des bâtimens hors d’âge ou sans force ; elle a envoyé devant la ville les types les plus puissans de sa marine. En effet, les peuples qu’on appelle encore barbares sont déjà entrés dans la civilisation en lui empruntant ses armes, dont ils ont éprouvé la force, et l’Europe, à force de les avoir vaincus, est près de les avoir instruits. Le plus sage est donc de ne pas compromettre son prestige en des comparaisons fâcheuses ni surtout en des luttes inégales et de ne pas s’exposer à des insuccès partiels qui donnent le signal des grandes révoltes. Au cas de rupture, qu’on envoie sur le théâtre de la lutte des cuirassés à grande puissance, et en tel nombre qu’il faudra pour rendre visible à tous l’inanité de toute résistance et la certitude du châtiment. Dans les temps ordinaires, ce qui importe, c’est de disperser sur le monde des bâtimens qui résolvent les petits conflits, soient partout une protection présente et la menace d’une plus redoutable si celle-ci ne suffit pas. Ce rôle appartient aux croiseurs.

Comme ils sont faits pour attaquer et protéger le commerce tous les points du globe, ils ne sont à leur place ni dans les ports ni en escadre dans les mers territoriales ; les campagnes et les stations les appellent ; les y destiner, c’est les placer d’avance à leur poste de combat. La puissance du type n’est pas ici, comme lorsqu’il s’agit de cuirassé, l’unique but à atteindre. En guerre, à cause du délai très court pendant lequel peut être capturé le commerce ennemi ; en paix, à cause de la multiplicité des points où les nationaux ont des intérêts, le nombre des croiseurs est un élément nécessaire à l’efficacité de leur action. Le nombre n’est pas compatible avec la grandeur des vaisseaux : sous peine de ruiner les finances, la grandeur elle-même n’est pas partout indispensable et parfois peut devenir un embarras. Il y a des plages basses dont les grands navires ne peuvent approcher, des fleuves où il leur est imprudent de s’engager, des côtes où l’importance des intérêts ne Justifierait pas la présence de forces imposantes, des occasions enfin où il est moins nécessaire d’être fort sur un point que présent sur tous. De moindres bâtimens ont un rôle et auront une valeur militaire à la condition que, renonçant à poursuivre à la fois plusieurs avantages et se gardant de telles armes, on place leur principale supériorité dans leurs machines. Toujours assez forts contre les bâtimens de commerce, ils peuvent, s’ils sont rapides, leur faire une chasse fructueuse, et quand cette mission s’achèvera, maîtres, grâce à leur vitesse, d’échapper aux croiseurs ennemis, ils rejoindront le théâtre principal de la guerre et là, unis aux forces nationales, servant d’intermédiaires entre les escadres et le littoral, chargés des reconnaissances à rayon étendu dans la haute mer ou le long des côtes, ils deviendront les plus utiles auxiliaires des grands navires et leur apporteront ce qu’ajoute à la puissance des armes la rapidité des informations. Cette puissance navale d’ailleurs n’est pas seulement faite par la valeur des navires, mais par la valeur des hommes qui les dirigent. Or dans une marine où manqueraient les navires de dimensions moyennes, une chose aussi pourrait manquer, les officiers. À quels indices discerner, parmi des hommes qui ont dirigé des embarcations ou qui ont obéi sur les vaisseaux, le don du commandement ? Quels moyens seraient offerts aux plus brillamment doués de se connaître et de s’éprouver eux-mêmes ? Quelle autorité apporteraient-ils passant d’un torpilleur ou d’une chaloupe au banc de quart d’un cuirassé ou d’un croiseur de premier rang ? Quelle apparence que l’état ne paierait pas chèrement en paix et en guerre les expériences tardives de ces capitaines improvisés ? Voilà l’intérêt supérieur qui exige entre les embarcations et les vaisseaux de premier rang des navires intermédiaires, et ils ne seraient pas les moins utiles, n’eussent-ils pas d’autre rôle que de créer des chefs.

Enfin il y a des bâtimens d’autant meilleurs que leurs dimensions sont plus réduites.

Quand l’Italie affirma la prépondérance des grands navires en créant des types de dimensions jusque-là inconnues, le premier en date, le Duilio, ne parut pas à ses architectes un instrument de guerre complet par lui-même : ils ménagèrent à son arrière une cavité en communication avec la mer destinée à recevoir un bâtiment torpilleur et ménagée de telle sorte qu’il pût en sortir et y rentrer à son gré. L’exécution ne répondit pas au dessein parce que l’agitation de la mer rendait trop difficile au torpilleur de quitter ce refuge ou d’y reprendre sa place. Mais la nécessité avait apparu d’unir l’action des petits et des grands navires pour porter à son maximum la puissance navale, de fondre les uns et les autres dans une même unité. C’était l’expression imparfaite d’une idée juste.

Il n’est pas besoin de beaucoup de bras pour lancer une torpille, d’un grand appareil pour détruire des défenses sous-marines, et il ne faut pas beaucoup d’yeux pour voir : l’embarcation, destinée à surprendre ou à veiller, n’a guère à contenir que sa machine, et le plus lourd poids que cette machine ait à traîner est elle-même. Rien donc n’exige ici les grandes dimensions, tout commande les petites. Elles sont un gage du succès parce qu’elles favorisent le secret des opérations, une cause d’invulnérabilité parce qu’elles offrent peu de prise et, si le péril ne peut être conjuré, une garantie contre l’excès du mal, parce que la destruction frappe seulement de moindres victimes ; enfin elles permettent sans dépenses onéreuses de donner à la flotte ce qui partout dans la nature fait la force des infiniment petits, le nombre.

Mais qu’on tente de créer ces navires avec des moyens d’action indépendans, il leur faut les approvisionnemens qu’exige la navigation en haute mer et proportionnés à la durée des campagnes et calculés sur la route des bâtimens à escorter ; les machines destinées à un service constant doivent être solides et, par conséquent, lourdes ; c’est une embarcation dont on avait besoin, c’est un navire qu’on est conduit à faire. Veut-on réaliser le problème ? Qu’on lie l’existence de ces bâtimens de flottille à l’existence du bâtiment qu’ils complètent. Il les embarque, les porte et ne les met à la mer que lorsque leur action lui semble nécessaire. À ce moment, il leur fournit le personnel et les approvisionnemens mesurés sur la mission à remplir ; il leur sert de port et d’arsenal ; l’embarcation n’est jamais inutilement à la mer, n’a pas de chargement superflu, et ses machines, pour résister à un travail intermittent et court, restent assez solides, malgré la délicatesse de leur construction et la légèreté de leur poids. Voilà comment on a pu armer de torpilles et douer d’une vitesse supérieure à 20 nœuds des canots que montent dix-sept et quelques hommes, qui pèsent de 12 à 30 tonnes et ne coûtent pas en moyenne plus de 100,000 francs. Les flottes de combat doivent porter leurs flottilles de garde. Mais loin que les faibles navires soient destinés à remplacer les navires puissans, c’est l’existence de ceux-ci qui rend ceux-là nécessaires, les ressources de ceux-ci qui rendent ceux-là possibles, et la petitesse des uns vit de la grandeur des autres.


V.

La constance des règles qui président à la composition des flottes, une égalité de science et une rapidité d’informations, grâce auxquelles les découvertes se répandent comme les nouvelles et forment dans le monde une atmosphère commune de progrès, enfin des moyens d’action partout analogues tendraient à créer entre les armes des divers peuples l’égalité. Ce qui fait entre eux la différence, c’est la différence de leurs vues politiques ; selon ce qu’ils méditent varie l’état de leur marine et la proportion de ses divers élémens. Pour une lutte commerciale, les croiseurs l’emportent ; pour une lutte militaire, les cuirassés. D’ailleurs aucune de ces guerres ne donne de résultats complets, si l’on ne tient sur un pied respectable l’une et l’autre flottes. Le nombre des bâtimens de combat fixe à son tour celui des bâtimens de garde, et comme la force n’est pas chose absolue, mais relative, chaque état, se comparant à ceux qu’il craint, s’efforce de les dépasser. À produire des vaisseaux dont le prix va croissant, les plus riches budgets s’épuisent vile ; nulle part donc il n’importe davantage de bien ménager ses ressources. Toutes ne sont pas renfermées dans le trésor : un peuple maritime, par sa vie quotidienne et ses travaux naturels, prépare un autre trésor à la marine nationale. La prodigalité la plus stérile pour un état serait de produire les élémens de force déjà créés ; la meilleure économie est de les emprunter partout où ils existent, et ainsi de réserver son effort pour les œuvres que la puissance publique est seule capable d’accomplir.

Voilà pourquoi le présent travail n’a pas énuméré dans les flottes de guerre toute une catégorie de navires pourtant indispensables à un état maritime : les bâtimens de transport.

L’administration, la garde, l’approvisionnement ordinaire des colonies ou des postes ne peuvent être assurés que par un va-et-vient de fonctionnaires, de troupes et de cargaisons ; la guerre commande parfois de transporter des corps d’armée sur le sol où ils ont à agir. Une flotte apte à ce service est indispensable à l’état. Est-il nécessaire qu’elle soit à l’état ? Les transports de matériel et d’hommes paraissaient à nos pères la fonction même de la marine marchande et c’est à elle que d’ordinaire ils affrétaient leurs « flottes de charge. » Ils avaient raison. Quand l’état, soit en construisant des navires spéciaux, soit en utilisant ses navires de guerre, serait certain d’accomplir ce service à moindre prix, il le devrait laisser au commerce par des raisons plus hautes encore que des questions d’économie. Le jour où il sera admis que, dans un navire de guerre, il y a place pour une cargaison et des passagers, on aura considéré que la plupart des navires construits pour la guerre achèvent leur carrière sans avoir rendu aucun service s’ils ne sont utilisés pendant la paix ; ce jour-là on ne sera pas loin de conclure que le service le plus habituel est le plus important, et de sacrifier à la commodité des installations l’aménagement de combat. Introduire dans la vie de bord des élémens étrangers aux habitudes, aux devoirs, à l’esprit maritimes, n’est pas moins redoutable pour la discipline et l’homogénéité des équipages. La répugnance visible qu’ils manifestent pour ce genre de jonctions n’est pas, comme se plaisent à le dire des observateurs superficiels, un dernier reste de morgue aristocratique ; elle témoigne d’un instinct juste et d’un respect élevé pour le caractère militaire. Sans doute rien de ce qui est utile au pays ne mérite le dédain, et peu d’entreprises jouent dans le monde un plus grand rôle que les entreprises de transports ; elles sont dignes d’occuper et d’honorer quand elles sont une industrie, quand elles exigent la connaissance des intérêts économiques, la divination des courans commerciaux qui se préparent, quand le gain est la récompense et la preuve des calculs justes et des organisations bonnes. Mais usurper ce métier sur ceux qui s’y consacrent, enlever les hommes de guerre à leur art et, sans faire appel ni à leur intelligence ni à leur intérêt, transformer les officiers en convoyeurs et les matelots en portefaix, c’est oublier que les corps militaires s’amoindrissent s’ils ne conservent pas aux yeux de tous et à leurs propres yeux leur prestige et que ce prestige n’est pas compatible avec toute besogne ; c’est les réduire à une de ces fonctions serviles qui, aujourd’hui comme autrefois, dérogent à la noblesse des armes.

L’erreur économique ne serait pas moindre. Pour le service de ses possessions l’administration n’a même plus à fréter de navires. Des lignes régulières de paquebots unissent tous les points importans du globe. Quelle marine de guerre, consacrât-elle à ce service tous ses navires, assemblerait une flotte comparable ? Comment, avec un moindre nombre, satisfaire à cette fréquence de communications qui, pour les intérêts publics et privés, devient chaque jour plus nécessaire ? Quelle proportion entre les dépenses, suivant que l’état paie à des paquebots une somme fixée par le poids des marchandises et le nombre des passagers, ou, pour le moindre transport de matériel et d’hommes, supporte seul tous les frais d’un armement ? Lors même que le commerce n’aurait pas établi de communications régulières entre la mère patrie et telle colonie trop pauvre, l’état, pour les créer, a mieux à faire que s’en charger lui-même. Sans être suffisant pour couvrir les frais d’un service de messageries maritimes, un mouvement commercial peut exister. Si le gouvernement exploite lui-même, il transportera uniquement ce qui lui est nécessaire : les autres besoins locaux ne recevront pas satisfaction, la prospérité n’aura pas chance de grandir ni la charge assumée par lui de cesser ; tout le monde y perdra. S’il subventionne une compagnie, les élémens de trafic viendront en déduction de la somme qu’il aura à payer, et cette somme fût-elle égale à ce que coûterait à lui-même l’exécution, il y gagne. L’esprit mercantile découvre, si misérables soient-elles, des sources de fret, il multiplie ses escales, il allonge ses parcours, il étudie les contrées, en voit les avantages, les annonce pour y attirer les capitaux, les hommes, il augmente ainsi le trafic dont il vit, et de toutes les stérilités qu’il explore fait sortir la richesse. Or, à mesure qu’elle grandit, non-seulement elle fait en partie retour à l’état par les canaux ordinaires, mais il obtient une diminution dans les sommes qu’il payait, et un jour peut venir où elles décroissent jusqu’à disparaître. C’est ainsi que les gouvernemens ont agi pour assurer sur tant de lignes aujourd’hui prospères les communications postales. Le développement des relations a amené la concurrence des compagnies et chaque fois que les traites pour le transport des dépêches expirent, ils sont renouvelés à des prix moins élevés.

À plus forte raison, un pays sage ne prendra-t-il pas la charge d’une flotte destinée à transporter des troupes en cas d’expédition. Ruineuse à créer et à entretenir, la plupart du temps inutile, elle serait, s’il fallait agir, mal préparée par la fixité d’effectif et de dimensions aux nécessités si variables de chaque guerre. Il a par ses contrats avec les compagnies postales le droit de requérir pour un prix déterminé les navires qu’il veut. Si ce concours ne lui suffit pas, la multitude des navires marchands lui permet de choisir les meilleurs instrumens de transport dans une flotte toujours à sa disposition et qu’il paie seulement s’il s’en sert.

Ce n’est pas assez que la marine de commerce fournisse à l’état une flotte de charge, elle peut lui fournir une flotte de guerre.

L’avènement d’une marine où les navires coûtent plus cher et exigent un équipage moins nombreux a eu une conséquence manifeste aujourd’hui. Il y a disproportion entre le nombre de bâtimens que le trésor permet d’entretenir et le nombre de matelots que la population permettrait d’employer. L’effectif des vaisseaux de guerre se réduit sans cesse ; l’effectif des matelots disponibles au moment des hostilités augmentera d’autant plus que la lutte désormais arrêtera la navigation de commerce. De là un écart d’autant plus considérable que les finances d’un pays sont plus pauvres, écart que ne comblent pas les plus énormes budgets. L’Angleterre n’a pas place sur ses vaisseaux pour la moitié de ses matelots, la France pour le quart, l’Allemagne pour le cinquième, l’Italie pour le dixième. Ce chiffre mesure la déperdition de puissance, et la marine n’atteindrait son développement normal que le jour où un peuple aurait assez de navires pour tous les hommes capables de les monter.

On ne peut les construire : est-il nécessaire de les construire pour les trouver ? Il y a des bâtimens de guerre et des bâtimens de commerce semblables de formes, de dimensions et de vitesse, les paquebots et les croiseurs. Leurs différences se résument à trois : le croiseur a une double coque, des parties protégées, et un pont assez fort pour porter l’artillerie. La double coque réduirait la capacité intérieure des paquebots, mais aussi leurs chances de naufrage, et leur permettrait à la fois de payer des assurances moins lourdes et d’élever le prix de leur fret. Les soutes et les machines sont protégées si les cales peuvent en cas de guerre contenir une épaisseur suffisante de charbon ; c’est affaire de plan. Enfin, une solidité particulière des assemblages, fût-elle superflue pour la navigation ordinaire, ne la compromet pas. Adaptées aux navires de commerce, ces installations seraient la première utile, la seconde indifférente, la troisième seule coûteuse ; mais au total la dépense ne s’élèverait guère. Les bâtimens les plus parfaits sont ceux des lignes subventionnées. Par cela même qu’il les dote, le ministre dans une large mesure en est maître. C’est lui qui fixe leur mode de construction, leurs formes, leur vitesse ; il suffit qu’il ajoute une clause relative aux dispositions militaires, la flotte des paquebots-postes deviendra une flotte de croiseurs rapides. Et c’est une faible partie des forces à trouver dans la marine marchande. Elle est dans maints pays protégée par des primes à la construction et à la navigation. Établies dans l’intérêt d’industries particulières, ces protections se justifient mal. On les a couvertes du prétexte que l’on formait ainsi des hommes de mer, raison mauvaise à une époque où le nombre des matelots excède les besoins. Elles seraient inattaquables, au contraire, si elles avaient pour résultat d’assurer à ces équipages les navires de guerre qui leur manquent. Quoi de plus naturel alors que de proposer des avantages aux armateurs qui exécutent leurs navires selon des types fixés et s’engagent à les tenir prêts à toute réquisition ? Si les charges et les avantages justement équilibrés offrent aux armateurs une prime en temps de paix et, en temps de guerre, la chance d’affréter des navires condamnés sans cela à l’immobilité, quoi de plus certain que le succès ? Dans un peuple maritime, l’extension de la flotte de course n’a guère d’autres limites que la volonté de l’état.

Pour les bâtimens de garde, il n’en va pas de même. La navigation de plaisance seule associe les petites coques aux machines puissantes, et avec une irrégularité de formes qui ne les rendent pas utilisables. Mais dans toutes les mers territoriales, il y a deux intérêts : surveiller la pêche, empêcher la contrebande. Ce sont des intérêts publics. Pour les servir partout, il faut des bâtimens nombreux ; pour poursuivre et atteindre les embarcations suspectes, il faut des bâtimens rapides ; pour accomplir tout cela sans trop de dépenses, il faut des bâtimens de faible échantillon. Toutes les qualités nécessaires aux bâtimens dans ce double service sont celles qui conviennent en guerre au service de sûreté, et comme ils sont créés par l’administration, il dépend d’elle seule de les construire de sorte qu’ils servent en temps d’hostilités à la flotte de garde. Quelles ressources et quelles économies ! Pour le service de sûreté, une flottille dont le trésor supporte en tous les cas la charge et qui, bien constituée, lui épargne de construire un nombre égal de bâtimens ; pour le service de croisière, une flotte ne lui coûtant que le prix des installations militaires ; pour le service de transports, une flotte plus grande encore dont il n’a rien à payer : toute cette force à sa disposition quand il veut, sans qu’il en supporte en temps ordinaire, ni l’entretien, ni les avaries, ni les pertes, tandis que le progrès continu du matériel, éliminant ce qui est vieux ou médiocre, renouvelle sans cesse ce don gratuit d’une marine toujours jeune et parfaite ! Si chers que soient les instrumens de guerre, là est le secret de fournir des flottes assez vastes pour la population maritime, secret également précieux aux nations riches ou pauvres. Celles-ci n’auront qu’à entretenir en temps de paix le nombre de bâtimens nécessaires pour exercer les hommes et desservir les stations ; celles-là pourront consacrer la majeure partie de leurs ressources à la construction de cette flotte la plus coûteuse, la moins durable, la seule que l’état doive créer sans secours : la flotte cuirassée.

Il n’y a là d’ailleurs que l’application d’une loi générale en notre siècle. Longtemps la force militaire s’est suffi à elle-même, et semblable aux citadelles qui s’élevaient isolées dans leurs remparts du sein des cités, elle a veillé sur les peuples sans se confondre avec eux. Aujourd’hui les guerres ramènent les jours que l’invasion de nos pères fit connaître à Rome elle-même ; elles sont un tumultus gallicus, où il ne suffit plus de donner à quelques-uns mandat de combattre, où pour défendre un peuple ce n’est pas trop du peuple tout entier. En de telles mêlées ne serait rien la force militaire qui ne forgerait pas en armes toutes les énergies vivantes dans la nature. Les troupes permanentes semblent se fondre dans les rangs improvisés de tous ceux qui vivent sur le sol et qui accourent autour des drapeaux ; animaux de trait, voitures, chemins de fer, télégraphes, approvisionnemens sont partout requis et partout nécessaires : l’industrie, l’agriculture du pays entier fournissent ce matériel que nul budget ne saurait donner, La marine a la première usé de ces ressources. Quand sur terre les armées se suffisaient encore à elles-mêmes, elle sut former ses équipages et parfois ses convois avec des hommes et des navires qu’elle prenait et restituait au commerce national. Au moment où les armées adoptaient son système, on s’est demandé si elle-même n’allait pas l’abandonner. L’éblouissement des transformations récentes a troublé beaucoup d’yeux et le préjugé s’est répandu qu’entre le vaisseau de guerre et le navire de commerce plus rien ne restant de commun, leur antique alliance avait vécu. Elle est devenue plus nécessaire, les changemens accomplis et qui ont rapproché le principal instrument de guerre et le principal instrument de commerce, le paquebot et le croiseur, l’ont rendu plus intime. Grâce à eux, la marine marchande peut donner à la flotte plus que toutes les industries territoriales à l’armée ; elle n’est pas seulement un auxiliaire pour les instrumens de combat, elle est l’instrument de combat lui-même. Les hommes responsables de la puissance navale veulent-ils connaître leur tâche ? Qu’ils étudient la marine marchande. Veulent-ils diminuer leur tâche ? Qu’ils développent la marine marchande. Ils auront trouvé à la fois le secret de faire de grandes choses avec peu de dépenses, l’avantage d’augmenter la richesse générale en épargnant le trésor, et la gloire, en préparant la guerre, de travailler à la paix.


ETIENNE LAMY.

  1. Voyez la Revue du 15 septembre.
  2. Edinburgh Review, article reproduit par la Revue britannique, juin 1882.
  3. Le Blocus de Venise, par M. le vice-amiral Jurien de la Gravière.