Les Misérables (1908)/Tome 2/Livre 3/11

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Œuvres complètes de Victor Hugo. [volume XI] [Section A.] Roman, tome IV. Les Misérables (édition 1908). Deuxième partie  : Cosette. Troisième partie : Marius.
Texte établi par Gustave SimonImprimerie Nationale ; Ollendorff (p. 130-132).

XI

le numéro 9430 reparaît, et cosette le gagne à la loterie.


Jean Valjean n’était pas mort.

En tombant à la mer, ou plutôt en s’y jetant, il était, comme on l’a vu, sans fers. Il nagea entre deux eaux jusque sous un navire au mouillage, auquel était amarrée une embarcation. Il trouva moyen de se cacher dans cette embarcation jusqu’au soir. À la nuit, il se jeta de nouveau à la nage, et atteignit la côte à peu de distance du cap Brun. Là, comme ce n’était pas l’argent qui lui manquait, il put se procurer des vêtements. Une guinguette aux environs de Balaguier était alors le vestiaire des forçats évadés, spécialité lucrative. Puis, Jean Valjean, comme tous ces tristes fugitifs qui tâchent de dépister le guet de la loi et la fatalité sociale, suivit un itinéraire obscur et ondulant. Il trouva un premier asile aux Pradeaux, près Beausset. Ensuite il se dirigea vers le Grand-Villard, près Briançon, dans les Hautes-Alpes. Fuite tâtonnante et inquiète, chemin de taupe dont les embranchements sont inconnus. On a pu, plus tard, retrouver quelque trace de son passage dans l’Ain sur le territoire de Civrieux, dans les Pyrénées, à Accons au lieu dit la Grange-de-Doumecq, près du hameau de Chavailles, et dans les environs de Périgueux, à Brunies, canton de la Chapelle-Gonaguet. Il gagna Paris. On vient de le voir à Montfermeil.

Son premier soin, en arrivant à Paris, avait été d’acheter des habits de deuil pour une petite fille de sept à huit ans, puis de se procurer un logement. Cela fait, il s’était rendu à Montfermeil.

On se souvient que déjà, lors de sa précédente évasion, il y avait fait, ou dans les environs, un voyage mystérieux dont la justice avait eu quelque lueur.

Du reste on le croyait mort, et cela épaississait l’obscurité qui s’était faite sur lui. À Paris, il lui tomba sous la main un des journaux qui enregistraient le fait. Il se sentit rassuré et presque en paix comme s’il était réellement mort.

Le soir même du jour où Jean Valjean avait tiré Cosette des griffes des Thénardier, il rentrait dans Paris. Il y rentrait à la nuit tombante, avec l’enfant, par la barrière de Monceaux. Là il monta dans un cabriolet qui le conduisit à l’esplanade de l’Observatoire. Il y descendit, paya le cocher, prit Cosette par la main, et tous deux, dans la nuit noire, par les rues désertes qui avoisinent l’Ourcine et la Glacière, se dirigèrent vers le boulevard de l’Hôpital.

La journée avait été étrange et remplie d’émotions pour Cosette ; on avait mangé derrière des haies du pain et du fromage achetés dans des gargotes isolées, on avait souvent changé de voiture, on avait fait des bouts de chemin à pied, elle ne se plaignait pas, mais elle était fatiguée, et Jean Valjean s’en aperçut à sa main qu’elle tirait davantage en marchant. Il la prit sur son dos ; Cosette, sans lâcher Catherine, posa sa tête sur l’épaule de Jean Valjean, et s’y endormit.