Les Mois/Juin

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Mai Les Mois Juillet
Imprimerie de Quillau (Ip. 215-242).

 
Oh ! Qui m’aplanira ces formidables roches,
Qui de l’Etna fumant hérissent les approches,
Ces gouffres, soupiraux des gouffres de Pluton,
Où mourut Empédocle et que franchit Platon !
Debout sur ces hauteurs, où l’homme en paix méprise
La foudre, qui sous lui roule, gronde et se brise ;
D’où la Sicile, au loin sur trois fronts s’étendant,
Oppose un triple écueil à l’abyme grondant :
D’où l’oeil embrasse enfin les sables de Carthage,
La Grèce et ses deux mers, Rome et son héritage,
Je veux voir le soleil de sa couche sortir,
De sa brillante armure en héros se vêtir,

Et traînant les gémeaux à son char de victoire,
Monter sous le cancer au faîte de sa gloire.
Un dieu m’exauce ; un dieu m’emporte vers Enna :
Je vole, je parviens au sommet de l’Etna.
La nuit, en ce moment, dans les plis de ses voiles
Se cache, et sur ses pas entraînant les étoiles,
Elle fuit devant l’aube au visage d’argent,
Que ramène en ce mois un char plus diligent.
Tout-à-coup les forêts, n’aguère abyme informe,
Qu’enveloppoit la nuit de sa robe uniforme,
Semblent, ainsi qu’au jour où naquit l’univers,
Éclore, et s’ombrager de leurs panaches verds.
La scène s’agrandit ; la mer s’étend, s’allonge ;
Dans son immensité l’horizon se prolonge ;
L’orient va r’ouvrir son palais de vermeil,
Il l’ouvre ; et tout armé s’élance le soleil.
Te voilà donc, guerrier, dont la valeur terrasse
Les monstres, qu’en son tour le zodiaque embrasse,
Infatigable Hercule, enfant du roi des dieux,
Qui par douze travaux règnes au haut des cieux !


Te voilà !... qu’en ce jour, ô prince de l’année,
La terre, de ton oeil par-tout environnée,
Adore de ton char le cours triomphateur,
Et pleine de tes dons chante son bienfaiteur !
Oh ! Tu méritois bien ce pur tribut d’hommages,
Que te paya long-tems la sagesse des mages,
Eux, qui près de l’Hydaspe, en longs habits de lin,
Attendoient ton réveil, l’encensoir à la main,
Et saluant en choeur ta clarté paternelle,
Chantoient : gloire au très-haut ! Sa course est éternelle.
Qu’il est beau ton destin ! Présent à tous les lieux,
Soleil ! Tu remplis seul l’immensité des cieux ;
De l’aurore au midi, du couchant jusqu’à l’ourse,
Tu pousses tes exploits : rien ne borne ta course.
Que dis-je ? Eh ! Ton pouvoir est bien plus grand encor,
Dieu des airs ! Tu régis l’harmonieux accord
De la céleste armée au sein du vide errante ;
C’est toi qui l’y suspends : ta force pénétrante
L’écarte, et tour-à-tour la ramenant vers toi,
En contraint tous les corps à t’escorter en roi.
Tu les enrichis tous, mais la terre jalouse
Étale

tes bienfaits en orgueilleuse épouse.
Jardins parés de fleurs et prodigues d’encens,
Humides prés, vêtus de gazons verdissans,
Vastes forêts, vergers où Pomone respire,
Plaines, qui de Cérès forment le riche empire,
Côteaux chers à Bacchus, tout germe à ta chaleur ;
Ta flamme leur départ la vie et la couleur,
Tandis que de leurs flancs, une mort éternelle
Glaceroit, sans tes feux, la vigueur maternelle.
Pour toi, rien ne ternit ton antique splendeur ;
Tu ne vieillis jamais : non, soleil, ton ardeur,
Du tems qui détruit tout, n’a point senti l’atteinte.
Cent trônes renversés pleurent leur gloire éteinte.
Là, tu vis dans la flamme Ilion s’engloutir ;
Ici, gît au tombeau le cadavre de Tyr ;
Là Rome des césars a passé comme une ombre ;
Les peuples et les jours s’écouleront sans nombre :
Toi seul, au haut des airs, victorieux du tems,
Tu contemples en paix ses débris éclatans.
Tes temples sont tombés, et le dieu vit encore.
Ce colosse n’est plus, qui du fils de l’aurore,

Ou plutôt de toi-même emblême ingénieux,
Rendoit à ton aspect des sons harmonieux :
Mais tu brilles toujours sur cette isse ébranlée,
Sur Rhode, où se brisa ta statue écroulée.
Me trompé-je, de Rhode, au fond de ce lointain,
Ne vois-je point d’ici le boulevard hautain ?
Oui ; c’est lui-même : un jour, il deviendra ma proie,
Quand ma muse, enfantant une seconde Troye,
Y conduira vainqueur ce peuple hospitalier,
Qui monta dans Solyme au rang de chevalier,
Que tes rayons alors, soleil, dieu de la lyre,
Jusqu’aux transports d’Homère échauffent mon délire.
Grand astre, tu le sais ; j’ai besoin de tes feux :
Avec eux je m’éteins, je renais avec eux.
Ah ! Tant que roulera le fuseau de ma vie,
Que ta douce clarté ne me soit point ravie !
Puisse tourné vers toi mon oeil, près du tombeau,
Par un dernier regard saluer ton flambeau !
Malheureux, en effet, qui sent mourir sa vue,
Et qui doit vivre encor après l’avoir perdue !


Il gémit, il s’écrie : « Une immuable loi
Ramène le soleil, et ce n’est plus pour moi !
Je ne goûterai plus cette volupté pure,
Que donnoit à mes sens l’aspect de la nature...
Adieu riante aurore, adieu riantes fleurs,
Où la riche lumière épanche ses couleurs !
Adieu bois et ruisseaux, adieu verte prairie,
Dont l’agneau bondissant paissoit l’herbe fleurie !
Les dieux m’ont envié le bonheur de vous voir.
Et vous, de qui mon coeur adoroit le pouvoir,
Belles, je n’irai plus m’égarer sur vos traces ;
Pour la dernière fois, j’ai contemplé vos grâces,
Votre souris d’amour, ce front brillant d’attraits,
Où de sa douce image un dieu grava les traits.
Peut être suis je loin de ces instans funèbres,
Qui doivent m’entraîner au séjour des ténèbres,
Et l’éternelle nuit a commencé pour moi. »
Soleil ! Ainsi pleuroit, les bras tendus vers toi,
L’aveugle d’Albion, dont la muse sublime
A peint l’homme naissant et l’infernal abyme.
Pour moi, favorisé d’un destin plus heureux,

Je n’ai qu’à rendre grâce à l’éclat de tes feux.
C’est par toi, que je puis du sommet des montagnes
Embrasser du regard les beautés des campagnes,
Contempler la falaise, et la sainte splendeur
Des fêtes, où Tourny couronne la pudeur.
Que ce jour est touchant ! Qu’il a d’augustes charmes !
Comme l’oeil attendri s’ouvre à de douces larmes !
Qu’on ne me parle plus de ces solemnités,
Du retour de ces jeux que Pindare a chantés :
Ce cirque d’Olympie, où le dieu de la guerre
Formoit ses nourrissons à ravager la terre,
D’un chimérique honneur fascinoit les humains.
Qu’on ne me parle plus de ces fameux romains,
Qui, parés d’une pompe et cruelle et frivole,
Triomphateurs sanglans montoient au capitole :
La triste humanité se voiloit devant eux,
Et fuyoit, en pleurant des crimes trop heureux :
Ici, de la vertu c’est la pompe paisible.
Du fond de la vallée, où, tantôt invisible,
Tantôt se déployant sous un ciel découvert,

La Maudre, dans la Seine, à flots tardifs se perd,
Le visage enflammé, l’oeil de larmes humide,
Voyez-la s’avancer cette vierge timide,
Gilbert, qui la première appellée aux honneurs,
Ouvrira de son nom les annales des moeurs :
Nom, qui jusqu’à ce jour n’avois eu rien d’illustre,
Tu t’ennoblis : mes vers te devront quelque lustre.
Au front de la colline une rose l’attend ;
Elle y monte. Un drapeau, devant elle flottant,
Sur deux files conduit six pasteurs, six bergères.
Des rubans, façonnés en guirlandes légères,
À ses habits de lin, mêlent leur incarnat,
Auprès d’elle, le chef de l’agreste sénat,
Et le sage vieillard, qui lui donna la vie,
Marchent : d’un choeur pieux elle arrive suivie.
Et cependant, remise au bienfaisant seigneur,
Dont la main la conduit au chapeau de l’honneur,
Confuse de sa gloire, elle a franchi l’enceinte,
Où Dieu voile l’éclat de sa majesté sainte.
Aux marches de l’autel, son front avec respect
S’incline ; et tous les coeurs, émus à son aspect,

Attendent la prière auguste et solemnelle,
Qui réclame d’un dieu la bonté paternelle.
Le pontife s’avance, et dit : "ô tout-puissant,
Dont l’amour se complaît dans un coeur innocent !
S’il est vrai qu’ici bas, la vertu la plus pure
Soit du sexe à tes yeux la première parure ;
Quand de fleurs, à regret tu vois dans les cités
Le vice couronner de coupables beautés,
Tu dois sur tes autels voir avec complaisance
La rose, destinée à parer l’innocence.
Bénis la par nos mains ; et quand de cette fleur
Le tems aura terni la fragile couleur,
Que la vierge du moins, devant toi prosternée,
De ses vertus encor vieillisse couronnée ".
Il dit ; et le chapeau, que ses mains ont béni,
Brille au front de Gilbert attaché par Tourny.
Jeune vierge, sortez. Aux portes de ce temple
Montrez-vous. Tout un peuple attend ; qu’il vous contemple :
Qu’il aime dans vos traits les traits de la vertu.
En revoyant ce front, de gloire revêtu,

Il sentira des moeurs le charme, la puissance ;
Il saura que les moeurs honorent l’indigence.
Eh ! Que de coeurs déjà sont noblement jaloux !
Que d’autres vont briguer le nom de votre époux !
Un jour, ô douce image ! Un jour, d’un air aimable,
À vos enfans assis autour de votre table,
Vous direz vos honneurs ; vous ferez voir ce prix :
Et votre jeune fille, avec un doux souris,
Interrogeant par fois sa mère qu’elle écoute,
Vous l’envîra ce prix, et l’obtiendra sans doute.
Mais la chaleur s’irrite, et les près sans fraicheur
Appellent au travail le robuste faucheur.
Il marche par essaim vers l’aimable contrée,
Qui vit le grand Henri soupirer pour D’Estrée ;
Champs féconds en herbage, où deux fois tous les ans
La faulx vient moissonner les plus riches présens.
Là, de côteaux fleuris règne une double chaîne,
Qu’ombragent des forêts et de hêtre et de chêne ;
À leur pié, que jamais n’a battu l’aquilon,
S’élargit et s’allonge un immense vallon.
Errante en vingt canaux, l’Oise majestueuse
Y promène

à longs plis son onde tortueuse.
Fleuve antique, ornement de ces prés toujours verds,
Où robustes vainqueurs des vents et des hyvers,
Trois ormeaux, abreuvés de ton onde éternelle,
M’ont prêté quelquefois leur ombre fraternelle,
Je vais près de tes eaux, spectateur en desir,
D’une scène champêtre égayer mon loisir !
Quel grand peuple, assemblé dans cette vaste plaine,
Y brave du midi la dévorante haleine ?
Sous le rapide fil d’une tranchante faulx,
Qui va, revient sans cesse et frappe à coups égaux,
Il fait tomber sans choix sur le sein de Cybèle
Et l’herbe la plus vile et la fleur la plus belle.
Ainsi tombent, ô mort ! Sous ton fer meurtrier,
Le héros magnanime et le lâche guerrier,
Le mortel bienfaisant et l’ingrat qui l’outrage.
Un soin plus doux succède à ce pénible ouvrage,
Mille essaims de faneurs s’agitent dispersés.
L’un étale au soleil les gazons renversés ;
L’autre armé d’un bâton roule sur la prairie

L’herbe, que de ses feux le soleil a mûrie.
Le visage bruni par l’excès des chaleurs,
Les belles du hameau, sous un chapeau de fleurs,
Un trident à la main, la gorge demi-nue,
De la plaine avec eux parcourent l’étendue ;
Des enfans sur leurs pas traînent de longs râteaux ;
Enfin lorsque Vesper tombe sur les côteaux,
La richesse des près, en meules ramassée,
Sur les chars de Cérès monte en ordre entassée.
On la traîne au hameau : la foule au même instant,
Au son du flageolet, l’accompagne en chantant.
La nuit vient ; et si-tôt que la grange étonnée
Cache les premiers dons que dispense l’année,
Vers un espace libre où s’élève un bucher
Le flageolet encor les pressant de marcher,
À ce joyeux signal ils y volent ensemble.
Près du bucher, la troupe en cercle se rassemble,
Et pour en dévouer la flamme aux immortels,
Attend l’homme sacré qui préside aux autels.
Il paroît dans l’éclat de sa parure sainte,
De ce temple sans murs parcourt trois fois l’enceinte ;

Et tandis que les voix d’un cortège pieux
Font retentir les airs de chants religieux,
Seul, des flancs du bucher il s’approche en silence,
D’une torche le frappe ; et la flamme s’élance.
Il s’éloigne : les ris, qu’effrayoit son aspect,
Prennent sur tous les fronts la place du respect.
Sa retraite a donné le signal de la danse :
Un aimable délire en trouble la cadence.
On se prend, on se quitte, on se reprend encor.
Là, l’amour ne blessant qu’avec des flèches d’or
Inspire à ses sujets une audace charmante.
L’un soulève en ses bras la svelte Sélimante ;
L’autre vole en passant un rapide baiser,
Que la boudeuse Iris feignoit de refuser.
Des nestors du canton, plus loin, s’assied un grouppe,
Qui de joie et de vin s’enivre à pleine coupe.
Le feu baisse ; et l’enfant, qui n’osoit approcher,
D’un pié hardi s’enlève et franchit le bucher.
Muse, dis maintenant quelle sage contrée,
La première, ordonna cette pompe sacrée !
Le peuple ingénieux, qui sut dans l’orient

Cacher la vérité sous un voile riant,
Tous les ans, par les feux d’un bucher symbolique ;
Rendoit grâce au soleil, quand son char moins oblique,
Du cercle de leurs mois prêt à finir le tour,
Sur l’Euphrate et l’Indus versoit le plus long jour.
Eh ! Qui pouvoit mieux peindre à la race première
Cet astre, prodiguant la flamme et la lumière ?
Qui mieux eût figuré son trône radieux
Qu’un bucher, dont la cîme alloit chercher les cieux ?
Brûlant, il ramenoit le jour, quand les étoiles,
Cortège de la nuit, illuminent ses voiles.
Ô Gange ! Envain ce culte est né dans tes climats ;
Il ne t’en souvient plus : mais parmi les frimats,
Il vit encor, il vit sur les rocs du rivage,
Qui forment de Thulé la ceinture sauvage.
C’est-là que le soleil plus visible aux mortels,
Par de longs jours sans nuit, demande des autels.
Sur ces bords, où son char, demi-plongé dans l’onde,
Sembloit fuir à regret aux limites du monde ;
Où quatre heures en deuil, seules formant sa cour,

En obliques rayons donnoient un triste jour,
Le roi du feu s’élève, agrandit sa carrière,
Et du couchant à peine a touché la barrière,
Que r’ouvrant au cancer la brûlante saison,
Visible, il se promène autour de l’horizon.
L’été n’est plus qu’un jour. Loin du bruit des orages,
Le ciel laisse dormir l’océan sans naufrages ;
La terre se réveille, et prodigue en deux mois
Les fleurs, les grains, les fruits, tous les dons à la fois.
Tel que le nautonnier, qu’une trop longue absence
Ravît à des enfans plongés dans l’indigence,
À des enfans que l’onde entendoit chaque jour,
De leur père, aux zéphyrs demander le retour ;
Dès qu’à leurs yeux en pleurs brille son doux visage,
Il leur rend l’allégresse, il étale au rivage
Les biens, dont la fortune a payé ses travaux ;
Et tous, dans l’abondance, ont oublié leurs maux :
Ainsi quand le soleil y reprend son empire,
Dans les champs de l’hécla tout renaît, tout respire.

L’été voit cependant un climat plus heureux,

Sur qui le jour s’épanche en rayons amoureux ;
Où la nuit lumineuse et fraiche de rosée
Donne aux amans rêveurs la paix de l’élisée.
France, voilà les lieux où fleurissent tes lys !
Nos champs, par la nature et par l’art embellis,
Forment un beau théâtre, où variant leur scène,
La Garonne et la Loire et le Rhône et la Seine
S’épandent, et d’un cours tardif ou diligent,
Sous des forêts d’épis roulent à flots d’argent.
Ici, sur nos côteaux, la vigne triomphante
Se pare avec orgueil des raisins qu’elle enfante ;
Là, du riche olivier le fruit pend en bouquets ;
Là, de pommes couverts, nos champs sont des bosquets.
Sous les mains du travail, par-tout je vois éclore
Les présens réunis de Vertumne et de Flore :
Le français a changé sa patrie en jardin.
Que l’Inde à nos climats insulte avec dédain ;
Qu’elle vante l’or pur qui coule dans ses veines,
Le faste étincellant de ces parures vaines,
Qui d’un sérail esclave enflent la vanité :
Eh ! Que sert l’opulence, où gémit la beauté ?


Notre sort est plus doux. En de libres campagnes,
L’amour voit folâtrer nos riantes compagnes.
Nos marais desséchés, nos fleuves contenus,
Nos vaisseaux enrichis aux bords les moins connus,
Mille fruits transplantés sur nos rives fécondes,
Tout nous donne à la fois les trésors des deux mondes.
Eh ! Qu’envîroit la France aux climats étrangers ?
Elle en a tous les biens et non pas les dangers.
L’homme errant n’y craint point ces races écumantes
Des dragons, croupissans au sein des eaux dormantes ;
L’impitoyable tigre, aigri d’un fiel rongeur,
Ne s’enyvre jamais du sang du voyageur :
Mais le cerf innocent, la chèvre pétulante,
Et le coursier docile et la brebis bêlante,
Sous les bois, sur les près, dans les plaines épars,
Pour charmer son ennui s’offrent de toutes parts.
Il voit du bord des eaux, au sommet des collines,
Des châteaux, dominans les campagnes voisines ;
Des murs, d’où tonne au loin le bronze protecteur ;
Des temples, qui des cieux atteignent la hauteur ;
Par des routes d’ombrage à grands frais couronnées,

Les Alpes s’unissant au front des Pyrénées,
Et contraint par Riquet à partager ses flots,
Un seul fleuve aux deux mers porter nos matelots.

Triomphe, heureux français ! C’est pour toi qu’Uranie
Agite sur les arts les flambeaux du génie.
Peuples du nord, et vous nos superbes rivaux,
Anglois, venez en foule admirer nos travaux !
Nos marbres animés à la race future
Redonnent nos héros, la noble architecture
Élève des palais pour les enfans des dieux :
La fière poésie, en vers mélodieux,
Chante des élémens l’existence éternelle,
Et du vaste univers la marche solemnelle.
Les émules d’Hypparque, aigles audacieux,
D’un vol infatigable ont mesuré les cieux :
Les mondes sont comptés... je te salue, ô terre ;
Féconde dans la paix, féconde pour la guerre !
Ah ! Puisses-tu goûter, en écoutant mes chants,
Les plaisirs que j’éprouve à célébrer tes champs,
Le tranquille Vesper maintenant y ramène

Ces heures de fraicheur, où ma muse promène
À travers la prairie et les sillons dorés
Ses pensers, et ses pas doucement égarés.
Combien plaît à mes sens ce zéphyr qui voltige,
Les suaves parfums qu’exhale chaque tige,
Et ce soleil mourant, dont les obliques feux
Glissent sous la verdure en rézeau lumineux !
Que j’aime à respirer l’air pur de ces fontaines,
Où s’agitent sur moi des ombres incertaines !
Mais que dis-je ? En perçant dans ce bois retiré,
D’un cruel souvenir mon coeur est déchiré.
Je chantois au printems, sous ce même feuillage,
Myrthé fidèle alors, et maintenant volage.
Témoins de mon bonheur, solitaires ormeaux,
Que votre douce paix fasse trève à mes maux :
Si vous embellissiez les jours de mon ivresse,
Vous devez aujourd’hui consoler ma tristesse.
Assiégé d’importuns, leur dérobant mes pleurs,
J’ai besoin d’un ami qui plaigne mes douleurs ;
Soyez les confidens de mon inquiétude :
L’amour infortuné cherche la solitude.


Oui, trop plein de mes maux et lassé d’y rêver,
Beau vallon ! Dans ton sein je voudrois retrouver
Ce goût des vrais plaisirs que la nature donne,
Et qui fuit un amant que l’espoir abandonne.
Mais hélas ! J’aime encor, je le sens ; et mes yeux,
Chargés de nouveaux pleurs, en baigneroient ces lieux ;
Ici, tout me ramène à mon lâche esclavage.
Il est trop dangereux de revoir ce rivage ;
Ah ! Mes plaintes encor y prouvent mon amour ;
Perdons-en la mémoire, et fuyons ce séjour.
Je vais suivre vos pas, enfans, jeunes bergères,
Qui cueillez en chantant les fraises bocagères.
Je pénètre avec vous ces fertiles réduits,
Où pendent aux rameaux les prémices des fruits,
En globes transparens la cerise vermeille,
La framboise odorante et la fraiche groseille,
L’abricot, dont l’Euphrate enrichit nos climats,
Et la prune conquise aux plaines de Damas,
Et le melon pesant dont la feuille serpente ;
Doux fruit, qui dégagé de sa feuille rampante,

Sur sa couche exhaussée aux rayons du midi,
Étale la grosseur de son ventre arrondi.
Tels sont les premiers fruits que la nature enfante,
Alors que poursuivant sa marche triomphante,
Le soleil de ses feux a rougi le cancer.
Que ses feux sont puissans ! L’onde, la terre et l’air,
Par eux tout se ranime, et par eux tout s’enflamme.
L’oiseau de Jupiter, aux prunelles de flamme,
Sur l’aride sommet d’un rocher sourcilleux
S’arrête, et tout-à-coup d’un vol plus orgueilleux,
Chargé de ses aiglons et perdu dans les nues,
Traverse de l’éther les routes inconnues ;
Il s’approche du trône, où la flamme à la main,
Des saisons et des mois s’assied le souverain.
Là, tandis que sous lui roule et gronde l’orage,
De sa jeune famille éprouvant le courage,
Il veut que l’oeil fixé sur le front du soleil,
Ils bravent du midi le brûlant appareil.
Malheur au nourrisson, dont la foible paupière
Dément son origine et refuit la lumière !

Par sa mère en fureur jetté du haut des airs

Il retombe, écrasé sur les rochers déserts.
Dans les sables mouvans de l’ardente Lybie,
Au fond des antres sourds, creusés dans l’Arabie,
La terrible lionne a placé le berceau,
Où le jour va briller à l’oeil du lionceau.
Il respire ; et déjà furieuse, alarmée,
Les yeux étincelans, et la gueule enflammée,
Autour de sa caverne elle rode à grands pas.
Pour son fils, menacé des fers ou du trépas,
Tendre mère, elle craint le courage et l’adresse
Du chasseur, qui l’attend aux pièges qu’il lui dresse.
Aux bords du Sénégal, quel monstrueux serpent
Étale de son corps le volume rampant ?
Allongé sur la terre, il la couvre. Sa tête
S’ombrage des replis d’une sanglante crête ;
Et d’écume après lui laissant un long sillon,
Sa langue à coups pressés darde un triple aiguillon.
Sous les traits de ce monstre informe, horrible,immense,
Qu’irritoit du midi la fougueuse inclémence,
Vélose, né Pasteur dans les champs lusitains,
Et son

fils Almandès finirent leurs destins.

À l’appât des trésors, qu’un espoir chimérique
Promettoit à leurs voeux sous le ciel de l’Afrique,
Ils avoient abordé, conduits par les zéphyrs,
Le rivage lointain si cher à leurs desirs.
Un jour, en un désert, tous deux à l’aventure
Erroient : mais le midi tourmentoit la nature,
Et sur le front noirci du couple voyageur,
Dardoit ses javelots armés d’un feu vengeur.
Hors d’haleine, vaincus de sa brûlante rage,
Ils s’arrêtent enfin, et sous un vaste ombrage,
Attendent que des cieux le globe moins ardent
Précipite son cours vers l’humide occident.
Couchés sur le gazon, Almandès et son père
Se livroient à l’espoir d’un voyage prospère ;
L’un et l’autre buvoient l’oubli de leurs travaux,
Et sur eux, le sommeil distiloit ses pavots.
Bien-tôt de la forêt perçant le long silence,
Un horrible dragon glisse, siffle, s’élance ;
Il se dresse : et déjà le rampant ennemi
Serre de vingt liens le jeune homme endormi.

Almandès, juste ciel ! Almandès sent à peine
Les cercles redoublés dont le dragon l’enchaîne,
Que d’affreux hurlemens sa voix remplit les airs,
Et fait au loin mugir l’écho de ces déserts.
Le père, quel objet pour les regards d’un père !
S’éveille, et dans les noeuds d’une immense vipère
Voit le corps de son fils de mille coups ouvert,
Tout dégouttant d’écume, et de sang tout couvert.
D’un glaive étincelant il arme sa tendresse ;
Et tandis que le fer sur le monstre se dresse,
Le monstre, plus agile et plus impétueux,
Dénouant de son corps le rézeau tortueux,
Abandonne le fils, vole au père, et l’enferme
Dans les nombreux anneaux d’une chaîne plus ferme.
Envain du malheureux les bras emprisonnés
S’efforcent de briser leurs noeuds empoisonnés ;
Le monstre, redoublant sa rage et ses morsures,
Le trempe de venin, le couvre de blessures,
Le déchire, l’étouffe, et de sang énivré,
Le renverse mourant sur le fils expiré.

Malheureux ! Voilà donc le riche et beau partage,

Que vous alliez chercher loin des hameaux du Tage !
Ah ! Pour de faux trésors, cachés sous d’autres cieux,
Falloit il déserter le toît de vos aïeux,
Cette heureuse cabanne, où vous prites naissance,
Et ces vallons rians, où la paix, l’innocence
Filent pour le berger un tissu d’heureux jours,
Où les seuls vrais plaisirs l’accompagnent toujours ?
À peine sur le front de son humble chaumière,
Il voit briller du jour la naissante lumière,
Qu’aux sons réjouissans d’un rustique pipeau,
Sur les monts escarpés il conduit son troupeau.
La chèvre et la brebis, à ses côtés errantes,
Y paissent l’herbe tendre et les fleurs odorantes ;
Et lorsque suspendue aux rameaux des buissons,
La cigale emplit l’air de ses aigres chansons,
Quand tout brûle des feux que le midi nous lance,
Rêvant à ses amours, le pasteur en silence
Des bocages voisins cherche l’asyle épais,
Et caché sous leur ombre, y respire la paix.
Il attend que du soir la douce et pure haleine
Ait rafraichi les airs et parfumé la plaine.

Alors près d’un canal, le pasteur vigilant
Amène le troupeau qui s’abreuve en bêlant.

Mais déjà de Vénus la lumière incertaine
L’invite à déserter les bords de la fontaine.
Il se lève, il fait signe à l’aboyant Niton,
Et chassés devant lui, bélier, agneau, mouton,
L’un sur l’autre entassés, abandonnent la rive.
La troupe marche en foule, elle avance, elle arrive
Et s’étend sur un sol, dont les nouveaux guérets
Attendent, pour germer, les sels d’un riche engraîs ;
En claie entrelassés, l’osier et la charmille
Y ceignent d’un rempart la bêlante famille.
Niton rode sans cesse autour de la cloison ;
Et le pasteur, ouvrant sa roulante maison,
S’assied et voit enfin, d’une course légère,
Un panier sur la tête, arriver sa bergère :
Elle apporte un repas de ses mains préparé,
Repas que l’appétit a bientôt dévoré.
Ils s’endorment contens, et l’aurore vermeille
Ramène encor l’amour au couple qui sommeille.


Ainsi vivent heureux les bergers dans nos champs.
Sans doute ils ont perdu de ces plaisirs touchans,
Qui des premiers pasteurs embellissoient la vie.
Ils ne sont plus les jours de l’aimable Arcadie ;
Ces jours, qui sous des cieux fermés aux aquilons,
De la fraiche Aréthuse enchantoient les vallons ;
Qui voyoient l’Eurotas, égaré dans sa course,
De lui-même amoureux, fuir à regret sa source :
L’âge a changé des bords autrefois si charmans.
Là, d’innocens bergers, de fidèles amans
En vers mélodieux soupiroient leur tendresse,
Se disputoient le coeur d’une jeune maîtresse,
La choisissoient pour juge, et par des chants nouveaux,
Savoient la conquérir sur d’aimables rivaux.
Alors les fils des rois, parés d’une houlette,
Des riantes forêts habitoient la retraite.
Le beau pâris enfla les chalumeaux légers ;
Les dieux même, les dieux se mêloient aux bergers.
Apollon vers l’Amphrise, et Pan sur le Ménale,
Comme eux, firent parler la flûtte pastorale :
Les fleuves arrêtés écoutoient ; et l’Hémus
Balançoit les rameaux de ses chênes émus.


Il est pourtant des lieux, dont les fêtes agrestes
De ces jours fortunés offrent encor les restes.
Inspirés par un ciel, où couronné d’azur,
Souvent, durant six mois, rayonne un soleil pur,
Les bergers de Sicile et de l’Occitanie,
Sans étude, sans art formés à l’harmonie,
Cadancent quelques vers, fruits de leurs doux loisirs,
Et jouissent encor en chantant leurs plaisirs.
J’ai vu, dans mon printems ces fêtes bocagères ;
J’associois ma voix à la voix des bergères.
Au bruit du tambourin, nous dansions sous l’ormeau ;
Vieux témoin des amours et des jeux du hameau :
Et quoiqu’aux plus doux feux mon ame encor fermée
Ignorât le bonheur d’aimer et d’être aimée,
Souvent d’un trouble vague, en écoutant ces airs,
Je me sentois ému ; j’allois aux bois déserts :
Je rêvois aux bergers, à leurs tendres compagnes,
Et redisois leurs vers à l’écho des montagnes.
Hélas ! Que n’ai-je pu, plaisirs de mes beaux jours,
Ou ne vous point connoître, ou vous goûter toujours !