Les Muses françaises/Rosemonde Gérard

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Les Muses françaises : anthologie des femmes-poètesLouis-MichaudII (XXe Siècle) (p. 135-139).




ROSEMONDE GERARD




Née’à Paris en 1872, Rosemonde-Etiennette Gérard, fille du oolone i comte Maurice Gérard, petite— fille du maréchal Gérard, arrière-petite fille de Mme de Genlis, a épousé, en 1800, M. Edmond Rostand.

On a dit de Mme Mathieu de Noailles qu’elle fut la première & chanter « l’humble beauté de nos légumes » ; — la première à les chanter à sii façon, 11 est vrai, — mais, avant elle, dans Les Pipeaux parus en 1889. Mme Edmond Rostand, alors Rosemonde Gérard, s’était essayée à knduire la familière poésie du jardin potager…

Dans une plate-bande à bordure d’oseille
Majestueusement poussaient les artichauts ;
Et tout le long du mur où serpentait la treille
Pendaient les chasselas poudrerizés de chaux.

Le ton est simple, bon enfant : on songe à du Coppée harmonieux et féminin…

Alignés, bedonnant sous leur cloche de verre.
Les melons presque mûrs avaient de beaux tons roux ;
Des mouches bourdonnaient aux portes de la serre
Et les papillons blancs voltigeaient sur les choux !

Le tableau est bien observé, spirituel et charmant. Le petit volume de Mme Edmond Rostand se divise en trois parties. Dans la première, Rustica, après la Vie du potager, elle noua dit la silhouette heureuse de la chaumière, la paresse voluptueuse du léEard, la gaîté fraîche et jeune du printemps, le chant du rossignol

Plus doux que le chant des hautbois,

et les ébats des petits canards « barboteurs et frétillards », et la mélodie des cigales :

Les cigales, ces bestioles.
Ont plus d’âme que les violes.
Les cigales, les cigalons.
Chantent mieux que les violons.

La seconde partie du livre est faite de Petits Poèmes où s’évoque le charme désuet des vieilles choses : vieux bahuts, vieux pastels, vieux gilets.

Le clavecin aux notes grêles,

ou bien

La chaise à porteurs d’un bleu tendre. 136 LES MUSES FRANÇAISES

Enfin voici l'Eternelle Chanson : des vers d'amour, énius, tendres infiniment, mélodieux et qui grisent comme une musique voluptueusement mélancolique et lointaine.

Le talent de Mme Edmond Rostand est fait d'une charmante facilité française, avec une exquise pointe de tendresse et d'esprit. BIBLIOGRAPHIE, — Les Pipeaux, A. Lemerre, Paris, 1889, in-18, ouvrage couronné par l'Académie française (Prix Archon-Despérouses). LORSQUE TU SERAS VIEUX

Lorsque tu seras vieux et que je serai vieille, Lorsque mes cheveux blonds seront des cheveux blancs, Au mois de mai, dans le jardin qui s'ensoleille. Nous irons réchauffer nos vieux membres tremblants. Comme le renouveau mettra nos cœurs en fête, Nous nous croirons encore de jeunes amoureux; Et je te sourirai, tout en branlant la tête, Et nous ferons un couple adorable de vieux. Nous nous regarderons, assis sous notre treille. Avec de petits yeux attendris et brillants, Lorsque tu seras vieux et que je serai vieille. Lorsque mes cheveux blonds seront des cheveux blancs. Sur notre banc ami, tout verdâtre de mousse. Sur le banc d'autrefois nous reviendrons causer. Nous aurons une joie, attendrie et très douce, La phrase finissant souvent par un baiser. Combien de fois jadis j'ai pu dire : je t'aime ! Alors, avec grand soin nous le recompterons ; Nous nous ressouviendrons de mille choses, même De petits riens exquis dont nous radoterons. Un rayon descendra, d'une caresse douce Parmi nos cheveux blancs, tout rose se poser. Quand sur notre vieux banc, tout verdâtre de mousse. Sur le banc d'autrefois nous reviendrons causer. Et, comme chaque jour je t'aime davantage. Aujourd'hui plus qu'hier et bien moins que demain. Qu'importeront alors les rides du visage. Mon amour se fera plus grave et plus serein. Songe que tous les jours des souvenirs s'entassent. Mes souvenirs à moi seront aussi les tiens. Ces communs souvenirs toujours plus nous enlacent Et sans cesse entre nous tissent d'autres liens. 138 LES MUSES FRANÇAISES

C'est vrai, nous serons vieux, très vieux, faiblis par l'âge. Mais plus fort chaque jour je serrerai ta main; Car, vois-tu, chaque jour je t'aime davantage, Aujourd'hui plus qu'hier et bien moins que demain. Et de ce cher amour qui passe comme un rêve Je veux tout conserver dans le fond de mon cœur; Retenir, s'il se peut, l'impression trop brève, Pour la ressavourer plus tard avec lenteur. J'enfouis ce qui vient de lui comme un avare, Thésaurisant avec ardeur pour mes vieux jours ; Je serai riche alors d'une richesse rare; J'aurai gardé tout l'or de mes jeunes amours ! Ainsi de ce passé de bonheur qui s'achève Ma mémoire parfois me rendra la douceur ; Et de ce cher amour qui passe comme un rêve J'aurai tout conservé dans le fond de mon cœur. Lorsque tu seras vieux et que je serai vieille. Lorsque mes cheveux blonds seront des cheveux blancs. Au mois de mai, dans le jardin qui s'ensoleille, Nous irons réchauffer nos vieux membres tremblants. Comme le renouveau mettra nos cœurs en fête. Nous nous croirons encore aux heureux jours d'antan Et je te sourirai tout en branlant la tête. Et tu me" parleras d'amour en chevrotant. Nous nous regarderons, assis sous notre treille, Avec de petits yeux attendris et brillants, Lorsque tu seras vieux et que je serai vieille. Lorsque mes cheveux blonds seront des cheveux blaMct. CECI EST MON TESTAMENT

Je vous laisse, ami cher, la très mignarde estampe Que vous aviez trouvé me ressembler beaucoup, La mèche de cheveux qui frisait sur ma tempe, Les médailles d'argent que je portais au cou. Et je vous laisse aussi ma robe en mousseline, Celle que vous aimiez, — mes souliers de satin. Et mon petit manchon, et puis la capeline

Dont je m'emmitouflais pour sortir le matin.


Je vous laisse mes gants et mon ombrelle rose,
Et je vous laisse encor, n’ayant pas autre chose,
Tous mes petits rubans de toutes les couleurs,

Le missel que pour vous je lisais à la messe,
L’anneau d’argent bruni, sceau de notre promesse,
Et ma tombe, ami cher, avec toutes ses fleurs.

TOI DONT LA ROBUSTE TENDRESSE


Toi dont la robuste tendresse
Me soutient, ô doux compagnon
Des jours de joie et de tristesse,
Je viens te demander pardon.

Ami, les femmes sont frivoles
Et parlent sans savoir pourquoi…
Pardon de toutes les paroles
Qui ne s’adressent pas à toi.

Les femmes, pauvres insensées.
Ont l’esprit toujours en émoi…
Pardon de toutes les pensées
Qui ne s’envolent pas vers toi.

Les femmes devraient être nées
Rien que pour aimer ici-bas…
Pardon de toutes les années
Où je ne te connaissais pas.

(Les Pipeaux.)