Les Noces de Médéric

La bibliothèque libre.
Les Parisiennes de ParisMichel Lévy Frères (p. 167-183).

LES

NOCES DE MÉDÉRIC


CHAPITRE PREMIER
Où l’auteur, éminemment coloriste, prouve qu’il n’appartient pas à l’École du bon sens, et insinue qu’il possède un dictionnaire des rimes françaises.


Au dehors, la nuit était sereine. Et cependant ton âme, ô Médéric, était plus calme et plus sereine que cette blanche nuit d’hiver où le clair de lune et les rayons des étoiles faisaient danser leurs clairs esprits sur la terre gelée.

Car il était dans sa chambre, le beau, le blond, le spirituel, l’heureux Médéric ! Dans sa bonne chambre de la place de l’Odéon, no 4, à l’entresol, chambre souriante, bien close, bien chaude, calfeutrée par les étoffes de soie et les étoffes de laine, par la toile et le velours, et par les bourrelets innombrables.

Il était commodément assis dans un bon fauteuil, l’honnête Médéric ; il était assis devant son feu, un grand feu, et ne faisait absolument rien. Je me trompe, il fumait une cigarette. Ô cigarette, cigarette, petite courtisane au panache bleu, follement campée dans ta robe de papel de hilo, je ferai certainement un poëme sur toi la prochaine fois que je retrouverai mon dictionnaire des rimes. Ce sera un poëme en strophes de six vers, comme La Malédiction de Vénus, et je le ferai imprimer sur papier à cigarettes, de sorte qu’on dira à l’avenir : voulez-vous fumer un sixain ?

Il y avait un si grand feu que tout flamboyait et craquait dans la chambre : statuettes, cristaux et porcelaines de Chine ! Pour Médéric, pareil à un monsieur qui a sa loge à l’Opéra, il écoutait nonchalamment les harmonies domestiques, sans se donner la peine d’applaudir aux beaux endroits.

Et d’abord, dans la flamme du foyer, au milieu des turquoises et des émeraudes et des floraisons flamboyantes de roses bleues et aurore, chantait et dansait, au bruit du triangle et des castagnettes, la folle salamandre, vêtue de toiles d’or et d’argent, et de papier métallique avec toutes sortes d’oripeaux et de paillettes ! Et ses joyaux de Venise, ses colliers de verre, ses voiles de crêpe rose et bleu semés d’étoiles de fer-blanc, tourbillonnaient dans les éblouissants arcs-en-ciel des joyeux tisons.

— Je t’aime, disait-elle à Médéric, moi qui suis gaie comme l’oiseau, folle comme les comètes, éblouissante comme la prose de l’ami Théo, et qui rossignole comme une suite de triolets galamment troussés par un grand enfileur de perles ! Je t’aime parce que tu es un honnête garçon et que tu aimes mieux me voir danser pour toi seul que d’aller applaudir cette bégueule de Rosati, en compagnie de quinze cents imbéciles. Va, mon cher trésor, je te ferai des feux d’artifice comme Ruggieri n’en a pas rêvé, des aurores boréales inconnues de Séraphitus-Séraphita, et des féeries comme tu n’en as jamais vu aux Funambules, même le jour où Joséphine, serinée par moi, jouait La Fille du feu, avec trente-deux mille escarboucles, sans compter ses yeux !

Et les torchères allumées, flammes fantasques, embarrassées et tortillées entre elles comme de jeunes Lesbiennes, disaient à Médéric :

— Nous sommes les astres et les étoiles de ta maison, et c’est pour toi que nous dansons nos folles sarabandes ! Nous avons des robes orange, nous, et nous sommes rouges comme des cerises ! Nous ne sommes pas comme nos maigres sœurs du ciel, qui se mettent du blanc pour plaire aux poëtes romantiques ! Nous t’aimons parce que tu es un jeune homme sage et que tu ne vas pas à Feydeau, quoique tu demeures à côté d’un architecte qui y va tous les soirs !




CHAPITRE II
Où l’auteur, qui a lu les romans de Méry, et qui tient à étaler son érudition, met en scène des Chinois et un Suisse qui étonneront M. Stanislas Julien et feu M. Toppfer.


Et dans la pendule rocaille, retraite charmante où plus d’une fois s’était égarée la rêverie de madame de Pompadour, l’heure disait à Médéric :

— Je suis née au temps des belles amours et des beaux jardins, à cette époque fleurie où les parterres étalés sur des robes de soie ressemblaient aux jardins en fleur ! Je t’aime et je t’envoie mille baisers de ma bouche en cœur, car je suis toujours jeune et charmante, bien que j’aie vu cet âge d’or où les femmes laissaient leur gorge à nu et mettaient des guirlandes sur leur tête poudrée à blanc, pour signifier la neige des cœurs et l’incarnat des roses mystiques ! Je t’aime, et c’est pour toi que je frappe mon harmonica de cuivre doré, sur lequel je fais sans fin courir mon pied sonore !

Et nues dans les carafes de Venise, les naïades disaient ensemble :

— Nous aimons, ô Médéric, cette prison étincelante de laquelle nous passerons sur tes lèvres ou sur le cou de tes jeunes amantes. Nous aurions pu verser notre onde dans les vertes prairies, parmi les myosotis célestes, et nous reposer après dans le lit de la Loire immense, qu’ombragent les grands peupliers. Nous aurions pu avoir pour prison de beaux tuyaux de plomb solidement soudés et réparés, chaque année, par les soins du conseil municipal de la ville de Paris, et nous aurions versé nos pleurs à travers de belles urnes, tenues par une déesse égyptienne et surmontées d’un distique latin de Santeuil. Mais nous préférons pour palais et pour cachot tes carafes de Venise, à travers lesquelles nous voyons rayonner ton jeune sourire !

Et dans la vaste coupe autour de laquelle court dans le cristal une orgie sanglante, chef-d’œuvre de Lahoche, la bacchante disait tout émue :

— C’est pour toi que j’ai suivi sur les monts et les coteaux de la fertile Bourgogne, le beau Lyœus au visage de femme. J’ai déchiré de mes mains aiguës les grappes aux poitrines rebondies, pour te faire boire leur sang qui te rendra pareil aux dieux. Vierge vaincue, je t’offre, ô mon amant, mes lèvres plus chaudes que le soleil et plus embaumées que le miel de l’Hymète !

Et sur les plats, les rideaux, les paravents, les soucoupes et les éventails, tout le peuple des Chinois peints, disait à Médéric :

— C’est pour toi que nous avons quitté le pays du grand Yao et du grand Yu, le céleste empire où sur les fleuves indigo, les barques d’or, pareilles à des coquilles d’œuf, voguent au milieu des soleils d’artifices et de monstres écarlates et verts en papier huilé. Pour toi, nous avons quitté le fleuve Choo-keang qui roule ses vagues célestes sous des voûtes de tamarins échevelés, et les forêts de sycomores où fleurissent à l’ombre, l’haïtang, le jasmin et le pégé-long, aux fleurs écarlates ! Nous t’aimons, ô Médéric, parce que tu ne vas voir jouer aucune féerie chinoise, et que tu n’achètes pas de thé à la Porte Chinoise !

Et au bruit perçant du tam-tam, une jeune Chinoise, peinte à la gouache sur du papier brun, disait à Médéric :

— Vois mes yeux pareils à des oiseaux, ma bouche qui a l’air d’un gros bouton de rose, et mes ongles plus lumineux que les étoiles, plus doux que les plumes du paon !

Mais au moment où la jeune Kia allait oublier, en pinçant du lutchun à treize cordes, que la pudeur est la première vertu des femmes chinoises, le coucou de Nuremberg se mit à sonner huit heures du soir avec un effroyable carillon de sonneries et de sonnettes. Et aussitôt seize portes, comme à toutes les heures, s’ouvrirent dans le coucou prodigieux, et par ces portes s’élancèrent les oiseaux de bois, blancs et rouges, qui chantent mieux que les rossignols, les petits soldats qui montent la garde, les chemins de fer avec les wagons en mouvement, la petite sainte qui joue de la viole, et l’empereur Frédéric Barberousse.

Et quand tout ce monde-là eut défilé bien en ordre et gentiment sa petite parade, une porte plus grande que les autres s’ouvrit violemment, et par cette porte sortit, comme d’habitude, le bon Suisse, qui est le roi du coucou de Médéric.

Le bon Suisse du coucou de Médéric a de petits yeux gris, un nez écarlate, des joues écarlates, un chapeau très-bas de forme, un habit bleu boutonné, un gilet vert-bouteille, et des mains de fantaisie. Ses souliers sont vernis, son habit bleu est verni, son chapeau est verni, son nez écarlate et ses joues écarlates sont vernis. Le bon Suisse est parfaitement verni et brille comme une paire de bottes neuves.

Il s’avança gravement avec la petite planche qui lui sert de socle, et dit à Médéric en ôtant son chapeau :

— Bonjour, monsieur. Je vous salue, monsieur. Vous voyez, monsieur, que j’arrive fort exactement à l’heure juste, et que mon coucou est en règle. Les Suisses, monsieur, sont d’honnêtes gens, économes, mais serviables. Vous êtes un jeune homme rangé, qui restez chez vous au lieu d’aller voir jouer Les trois Maupin de M. Scribe. Je vous en félicite, monsieur. Je vous salue, monsieur. Bonsoir, monsieur.

Toutes les portes du coucou claquèrent en se refermant les unes après les autres, et la porte du bon Suisse se referma avec un cri sec.




CHAPITRE III
Où Médéric regrette ses chandeliers, ses poteries, mademoiselle Ninette, mademoiselle Louisa, et une femme du monde qui désire garder l’anonyme.


Médéric, qui pensait encore aux Trois Maupin de M. Scribe, s’écria soudain :

À propos, j’oubliais que M. de Bourjoly des Aubiers, mon futur beau-père, et mademoiselle Edwige de Bourjoly des Aubiers, ma future épouse, m’attendent ce soir, et que je dois signer chez eux mon contrat de mariage.

C’est cela, je me rappelle on ne peut mieux à présent. Je suis rentré chez moi cette après-dînée pour brûler la petite malle en cuir doré, cerclée de fer, qui contient les lettres et les gages d’amour de mes maîtresses ! Ô jours trop vite envolés !

Eh bien ! puisque tu m’aimes, ô salamandre, nymphe des feux et des flammes, déchire avec tes dents aiguës toutes ces choses de mes vingt ans : cheveux noirs, cheveux blonds comme le miel, et rubans feuille de rose ! Et cette guipure, et ce haillon de soie couleur du ciel, et ces frêles tablettes, et ce bijou d’argent ciselé par l’ongle des fées, ô salamandre !

Et vous, ô torchères d’or, étoiles de ma maison, vous ne danserez plus pour moi vos danses ! et toi, pendule de madame de Pompadour, ce n’est plus pour charmer mon oreille que ta petite enchanteresse agacera du pied la cloche amoureuse.

Mademoiselle Edwige achètera une pendule de Denière et des bronzes d’art.

Et vous, ô naïades familières, ondes caressantes et fraîches, naïades aux yeux d’azur moiré, vous pouvez aller faire l’amour sous les saules échevelés ou dans le vaste réservoir de la rue de l’Estrapade, orné de dauphins de fonte imitant le bronze !

Mademoiselle Edwige fera mettre à la cuisine ma belle fontaine de grès brun, découpée et fouillée comme l’Alhambra, et à l’office mes carafes de Venise.

Et toi, ô coupe altérée, sur laquelle les Ménades vêtues de fourrures ruisselantes ont écrit leur ode avec le sang des treilles !

Mademoiselle Edwige te rangera sur le plus haut rayon d’une armoire et elle achètera des verres de trois francs. Et non-seulement elle achètera des verres de trois francs, mais encore elle achètera des porcelaines élégantes et des étoffes de bon goût.

Ainsi, vous pouvez, ô gais Chinois couverts de grelots et de haillons d’or, paons écarlates et poissons de topaze aux ailes transparentes, vous pouvez regagner le fleuve Choo-keang, et la montagne du Ho-nan, et les forêts d’ébéniers où fleurit l’yo-kiank-hoa, la fleur qui s’ouvre et embaume la nuit !

Et toi, coucou de Nuremberg, avec tes charmantes fleurs grossières et ton peuple de bois peint de couleurs variées, mademoiselle Edwige te mettra dans la chambre de mon domestique ! et tu seras réduit à honorer ce laquais de ton petit speech, bon Suisse si bien verni, qui me souhaitais le bonjour avec tant de politesse !

Donc, brûle et dévore, ô flamme azurée, tout ce qui fut mon cœur et ma vie, et même ce qui fut mon rêve pendant ces années joyeuses ! Mets mon âme entre tes tisons et piétine dessus, danseuse folle !

Tu travailles pour mademoiselle Edwige jusqu’à ce que mademoiselle Edwige te chasse ; car elle te chassera, ô salamandre ! et elle dira que tu es une flamme libertine.

Mademoiselle Edwige fera établir ici un calorifère.

Devenez cendre et fumée, doux souvenirs !

Ce bouquet de violettes desséché, c’est à toi, Ninette ! Pauvre ange ! tu n’avais pas encore quinze ans ! Te souviens-tu du petit jardin sur la fenêtre et de nos serments dans le mois des lilas, et du vent qui dénouait tes cheveux pendant que tu becquetais ta colombe ! Pauvre Ninette ! nous avons bien pleuré le jour où elle est morte, cette blanche tourterelle !

Brûle, petit bouquet d’un sou, dont le parfum divin semblait l’âme de nos jeunes amours !

C’est à Louisa, ce diadème d’impératrice fait de strass et de chrysocale, et ce collier de verroterie bizarre que Titien eût voulu passer au cou de sa maîtresse. C’est à Louisa, la grande funambule aux cheveux noirs comme la nuit, qui faisait le combat au sabre, vêtue d’une cuirasse d’or et coiffée d’un casque ombragé de plumes !

Brûlez, diadème et collier de cette amazone superbe, qui est retournée un beau jour dans la patrie de Praxitèle et de Laïs !

Ô Julie, noble femme ! Il est à vous, madame la duchesse, ce camée inestimable qu’a porté avant vous Julie, la fille de l’empereur Octave-Auguste, Julie, l’amante du poëte Ovide ! Vous aviez, madame, une fleur-de-lys dans votre blason, et c’est vous qui m’avez ordonné de vivre et de mourir en chevalier. Soyez bénie !

Et toi, brûle aussi, parure sacrée qui as touché le sein de la plus belle princesse de Rome et le front de la plus belle dame de France !




CHAPITRE IV
Apothéose triomphante de Naïs, crêpe bleu, lycopode et feux de Bengale.


Mais que m’importent Ninette, Louisa et madame Julie ? La voilà celle que j’ai vraiment aimée ! Oui, c’est toi, Naïs, Naïs, doux nom virgilien ! nom de poëme et d’églogue.

Oui, je te vois, Naïs bien aimée ! mes vraies amours ; c’est ton corps deviné par le seul Rubens, et cette tête enfantine, toute blonde, ces grands yeux étonnés, cette petite bouche écarlate, bouche de petite fille ! Ses dents étaient blanches, blanches, mais pas d’une blancheur cruelle, comme celles d’Henriette. J’aimais surtout ses pieds et ses mains, si beaux, si purs, si bien proportionnés, mais qui avaient le bonheur de n’être pas tout petits ; car c’est une terrible chose, les mains et les pieds de roman ! Elle avait été au couvent, et lorsqu’elle chantait le Stabat ou Inviolata, c’était à ravir le paradis et Racine lui-même. Elle sait aussi des chansons populaires, cette enfant née au village, et je jure que c’est la vraie poésie et la vraie musique ! Que me parlez-vous de mademoiselle Alboni et de madame Lauters ? Il fallait entendre Naïs chanter :

Mes souliers sont rouges,
Ma mie, ma mignonne ;
Mes souliers sont rouges,
Adieu mes amours !
J’ai de beaux souliers,
Que ma mie m’a donnés, etc.

Et ceci :

J’ai un’ commission à faire,
Je ne sais qui la fera.
Si je l’dis à l’alouette,
L’alouette le dira.
La violette se double, double,
La violette se doublera.

Doux Ronsard, toi le vrai lyrique, tu aurais bien aimé Naïs ! Elle avait imaginé un mot charmant : dormette (cela voulait dire un lit). Pour dormir, elle disait aussi : Je vais faire ma dormette (alors cela voulait dire : mon somme.)

Mais c’est qu’elle en avait inventé une merveilleuse dormette ! En passant devant chez le serrurier qui vend des jardinières, sur le boulevard des Italiens, elle avait admiré, en souriant comme une petite folle, les petits berceaux d’enfants en fer doré et en soie jaune safran ou rose clair. Et Naïs, cette splendide femme de Flandre, s’était fait faire pour dormette un grand berceau rose et or !

C’est à Naïs, ce petit calepin à couverture d’argent niellé, ces souliers de chambre en soie blanche capitonnée, cette tresse de cheveux cendrés et ce marabout rose, (doux souvenir !) et encore cette poupée habillée par Palmyre ; car elle joue à la poupée, Naïs.

Naïs, petite Naïs, ma bien-aimée, toi pour qui j’eusse essayé de traduire Le Cantique des Cantiques !

Poussée par une déesse, sans doute, je t’ai toujours vue arriver chez moi et frapper : toc ! toc ! les jours où j’allais faire une bêtise, et toujours tu m’en as empêché.

Petite Naïs, pourquoi n’es-tu pas venue me voir ce matin ?




CHAPITRE V ET DERNIER
Le roman finit au moment où M. Bouquet allait devenir intéressant.


— Toc ! toc !

(Mais je me suis trompé en écrivant le titre du chapitre précédent. C’est ici la vraie apothéose des Funambules, avec l’air rose ! Il marche vivant dans son rêve étoilé.)

— Toc ! toc !

C’est elle, Naïs, la petite Naïs avec sa robe de soie blanche et son cachemire collé à son beau corps ! Naïs avec sa tête d’enfant noyée de tresses blondes !

— Mon cher seigneur, dit-elle en entrant, j’ai senti, où j’étais, que vous alliez faire une bêtise ! Dites, mon âme ?

— Mademoiselle, répond Médéric, asseyez-vous et buvez ce vin parfumé comme vos lèvres. Je vous jure que je vous aime comme jamais Juliette n’a aimé Roméo. Et voici votre dormette, qui étale sur sa couchette d’ébène des blancheurs de neige et d’ivoire !

Et Médéric fut si joyeux qu’il se récita tout d’une haleine Le Triomphe de Pétrarque, cette ode qui ressemble à un vase de diamants empli jusqu’aux bords de pleurs limpides.

Et il jeta par la fenêtre un exemplaire de L’Ombre d’Éric.

Au dehors, la nuit était sereine. Et cependant, ta poitrine, ô Naïs, brillait plus blanche que ce clair de lune !

Et ses lèvres ! ô Sappho et Phryné, mes amantes idéales, qu’eussiez-vous dit en les voyant fleurir comme les lauriers-roses sur les bords argentés de vos fleuves !

Cependant, plus prompt que la mort envoyée par l’Objibewas, habile à lancer les traits ;

Plus rapide que Le Véloce, qui brûlait plus de treize cents francs de charbon par jour pour porter Alexandre Dumas et sa compagnie ;

M. Bouquet, l’estimable concierge de Médéric, courait à toutes jambes vers le numéro 1 de la rue du Havre, porteur d’une lettre ainsi conçue :


À M. de Bourgjoly des Aubiers.

Monsieur,

Mon médecin et ami, le docteur Crestié, m’a, sur mes instances, laissé voir la triste vérité dans toute son horreur. Je suis poitrinaire, monsieur, et je ne verrai pas la nature renaître au printemps prochain.

Il ne me reste plus qu’à pleurer l’honneur de votre alliance et mademoiselle des Aubiers, cet ange pour lequel j’irai prier les anges du ciel.

Je mourrai, en me disant, monsieur,

Votre très-humble et très-obéissant
serviteur,
Médéric.

Telle est, racontée avec soin par un narrateur impartial, l’histoire exacte des noces de Médéric.

Et, disons-le en terminant, notre assembleur de syllabes a su trouver résolument le vrai bonheur. Combien de mortels, au contraire, cherchent dans des sentiers où n’a jamais passé le vent de son aile, ce chatoyant phénix dont les yeux sont des diamants noirs ! C’est là une vérité qui vous sera démontrée victorieusement, si vous consentez à laisser vivre encore un peu la sultane Schéhérazade, et si vous voulez bien ne pas trop fermer les yeux ou détourner la tête jusqu’à la fin de cette petite heure, pendant laquelle défileront devant votre fauteuil Un Valet comme on n’en voit pas, La Vie et la Mort de Minette, Le Conte pour faire peur, Sylvanie et Le Festin des Titans. La soirée sera terminée par L’Illustre Théâtre, épilogue curieux et surprenant, dans lequel toute notre troupe comique paraîtra avec des costumes entièrement neufs. Vous y reverrez surtout avec plaisir Arlequin, l’excellent compère, que nous avons recueilli pieusement, depuis le jour où messieurs les Comédiens français l’ont mis à la porte de chez Marivaux, comme rappelant trop exactement par son costume les arcs-en-ciel, les aurores boréales, les boutiques de joaillerie, les sonnets de Desportes, les paysages radieux et les bouquets de fleurs.