Les Origines de la France contemporaine/Volume 8/Livre IV/Chapitre 2-1

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CHAPITRE II

Les subsistances. — I. Complexité de l’opération économique par laquelle les objets de nécessité première viennent se mettre à la portée du consommateur. — Conditions de l’opération. — Les avances disponibles. — Cas où les avances ne sont plus disponibles. — Cas où le détenteur des avances ne veut plus les fournir. — II. Effets économiques de la politique jacobine, de 1789 à 1793. — Les attentats contre la propriété. — Attentats directs. — Les jacqueries, les confiscations effectives et la proclamation du dogme socialiste. — Attentats indirects. — Mauvaise administration de la fortune publique. — Transformation des impôts et nullité des recettes. — Exagération des dépenses. — Budget de la guerre et des subsistances à partir de 1793. — Le papier-monnaie. — Excès des émissions. — Discrédit des assignats. — Ruine des créanciers publics et de tout créancier quelconque. — Taux de l’intérêt pendant la Révolution. — Arrêt du commerce et de l’industrie. — Mauvaise gestion des nouveaux propriétaires. — Diminution du travail productif. — Seul le petit propriétaire rural travaille utilement. — Pourquoi il refuse les assignats. — Il n’est plus obligé de vendre ses produits tout de suite. — Cherté des subsistances. — Elles arrivent aux marchés difficilement et en petite quantité. — Les villes achètent à haut prix et revendent à bas prix. — Accroissement de la cherté et commencement de la disette. — Les prix pendant le premier semestre de 1793. — III. Cause première et générale de la misère. — Principe socialiste du gouvernement révolutionnaire. — Mesures complémentaires contre la propriété grande ou moyenne. — Expropriation des derniers corps subsistants, émissions énormes de papier-monnaie, cours forcé, emprunt forcé, réquisition des espèces monnayées et de l’argenterie, taxes révolutionnaires, suppression des organes spéciaux du travail en grand. — Mesures contre la petite propriété. — Maximum, réquisition des subsistances et du travail. — Situation du boutiquier, du cultivateur et de l’ouvrier. — Effet de ces mesures sur le travail en petit. — Arrêt de la vente. — IV. La disette. — En province. — À Paris. — La queue à Paris sous le gouvernement révolutionnaire. — Qualité des subsistances. — La détresse et le chagrin. — V. Les remèdes révolutionnaires. — Rigueurs contre les indociles. — Décrets et arrêtés pour rendre l’État seul dépositaire et distributeur des subsistances. — Tentatives pour établir la conscription du travail. — Découragement du paysan. — Il refuse de cultiver. — Décrets et arrêtés pour le contraindre à moissonner. — Son opiniâtreté. — Les cultivateurs emprisonnés par milliers — La Convention est forcée de les élargir. — Circonstances fortuites qui sauvent la France de l’extrême famine. — VI. Détente du régime révolutionnaire après Thermidor. — Abolition du maximum. — Situation nouvelle du paysan. — Il recommence à cultiver. — Réquisition des grains par l’État. — Le cultivateur se dédommage sur les particuliers. — Multiplication et baisse croissantes des assignats. — Classes sur lesquelles retombe le fardeau. — La disette et la misère pendant l’an III et pendant le premier semestre de l’an IV. — Dans les campagnes. — Dans les bourgades et petites villes. — Dans les villes moyennes et grandes. — VII. La disette et la misère à Paris. — Mesures du gouvernement pour approvisionner la capitale. — Ce qu’il en coûte par mois au Trésor. — Le froid et le manque de comestibles dans l’hiver de 1794 à 1795. — Qualité du pain. — Diminution de la ration quotidienne. — La souffrance est surtout pour la plèbe urbaine. — Excès de la souffrance physique et du désespoir, suicides et décès par épuisement en 1795. — Dîners et soupers des gouvernants. — Nombre des vies détruites par la misère. — Effets du socialisme appliqué sur le bien-être et la mortalité.

I

Supposez une créature humaine que l’on oblige à marcher les pieds en haut et la tête en bas. Par une contrainte excessive, on pourra la maintenir quelque temps dans cette attitude malsaine, et certainement on réussira à meurtrir, peut-être à casser la tête ; de plus, très probablement, on obtiendra des pieds plusieurs mouvements convulsifs et des coups terribles. Mais il est sûr que, si l’on persévère, l’homme, saisi d’une angoisse inexprimable, finira par s’affaisser ; le sang ne circulera plus, la suffocation viendra ; le tronc et les jambes pâtiront autant que la tête ; les pieds eux-mêmes se refroidiront et deviendront inertes. — Telle est à peu près l’histoire de la France sous ses pédagogues jacobins. Leur théorie rigide et leur brutalité persévérante imposent à la nation une attitude contre nature ; par suite, elle souffre, et chaque jour elle souffre davantage ; la paralysie gagne ; les fonctions se déconcertent, puis s’arrêtent, et la dernière[1], la principale, la plus urgente, je veux dire l’entretien physique et l’alimentation quotidienne de l’individu vivant, se fait si mal, parmi tant de difficultés, à travers tant d’interruptions, avec tant d’incertitude et d’insuffisance, que le patient, réduit à vivre de privations croissantes, se demande tous les jours si le lendemain ne sera pas pire que la veille et si son demi-jeûne ne va pas aboutir au jeûne complet.

Rien de plus simple en apparence et rien de plus compliqué au fond que l’opération physiologique par laquelle, dans le corps organisé, l’aliment approprié et réparateur vient s’offrir incessamment, juste à l’endroit et à l’instant qu’il faut, aux innombrables cellules, si diverses et si lointaines. Pareillement, rien de plus simple au premier coup d’œil et rien de plus compliqué en fait que l’opération économique par laquelle, dans le corps social, les subsistances et les autres choses de première nécessité viennent d’elles-mêmes, sur tous les points du territoire, se mettre à la portée de chaque consommateur. C’est que, dans le corps social comme dans le corps organisé, l’acte terminal en présuppose quantité d’autres antérieurs et coordonnés, une série d’élaborations, un échelonnement de métamorphoses, une file d’éliminations, une succession de charrois, la plupart invisibles ou obscurs, mais tous indispensables, tous exécutés par des organes infiniment délicats, par des organes si sensibles que, sous la moindre pression, ils se détraquent, si dépendants les uns des autres que le trouble d’un seul d’entre eux altère le jeu des autres, et supprime ou pervertit l’œuvre finale à laquelle, de près ou de loin, ils concourent tous.

Considérez un instant ces précieux organes économiques, et leur manière de fonctionner. Dans une société un peu civilisée et qui a vécu, ce sont, au premier rang, les détenteurs de la richesse accumulée par l’épargne ancienne et récente, je veux dire les propriétaires de valeurs grandes ou petites, en argent, papier ou nature, quelle qu’en soit la forme, terres, bâtisses, mines et canaux, navires, machines, animaux et outils, marchandises et provisions de toute espèce. — Et voyez l’usage qu’ils en font. Chacun d’eux, ayant prélevé la réserve dont il a besoin pour sa consommation du moment, met dans quelque entreprise son surplus disponible : le capitaliste, ses capitaux liquides ; le propriétaire foncier, sa terre et ses bâtiments de ferme ; le fermier, ses bestiaux, ses semences et ses instruments de culture ; le manufacturier, son usine et ses matières premières ; l’entrepreneur de transports, ses navires, ses voitures et ses chevaux ; le négociant, ses magasins et son approvisionnement de l’année ; le détaillant, sa boutique et son approvisionnement de la quinzaine ; à quoi tous ceux-ci, l’agriculteur, le commerçant, l’industriel, sont tenus par surcroît d’ajouter de l’argent comptant, l’argent qu’il leur faut pour payer, à la fin de chaque mois, les appointements de leurs commis et, à la fin de chaque semaine, le salaire de leurs ouvriers. — Sinon, impossible de cultiver, construire, fabriquer, transporter, étaler et vendre ; quelle que soit l’œuvre utile, on ne peut l’exécuter, ni même la commencer, sans fournitures préalables en argent ou en nature ; en toute entreprise, la récolte présuppose le labour et les semailles ; si je veux creuser un trou, je suis obligé de louer une pioche et une paire de bras, en d’autres termes de faire des avances. Mais les avances ne se font qu’à deux conditions : il faut d’abord que celui qui les a puisse les faire, c’est-à-dire qu’il ait un surplus disponible ; il faut ensuite que celui qui les a veuille les faire, partant qu’il n’y trouve pas désavantage et qu’il y trouve profit. — Si je suis ruiné ou demi-ruiné, si mes locataires et mes fermiers[2] ne me payent pas, si ma terre et mes marchandises ne valent plus sur le marché que moitié prix, si le demeurant de mon bien est menacé par la confiscation ou par le pillage, non seulement, ayant moins de valeurs, j’ai moins de valeurs disponibles, mais encore je m’inquiète de l’avenir ; par delà ma consommation prochaine, je pourvois à ma consommation lointaine ; j’accrois ma réserve, surtout en subsistances et en numéraire ; je garde pour moi et pour les miens tout ce qui me reste de valeurs, je n’en ai plus de disponibles, je ne peux plus prêter ni entreprendre. Et d’autre part, si le prêt ou l’entreprise, au lieu de me faire gagner, me fait perdre, si, aux risques ordinaires, l’impuissance ou l’injustice de la loi ajoute des risques extraordinaires, si mon œuvre, une fois faite, doit devenir la proie du gouvernement, des brigands et de qui voudra la prendre, si je suis tenu de livrer mes denrées ou mes marchandises pour la moitié du prix qu’elles me coûtent, si je ne puis produire, emmagasiner, transporter ou vendre qu’en renonçant à tout bénéfice et avec la certitude de ne point rentrer dans mes avances, je ne veux plus entreprendre, ni prêter. — Voilà les dispositions et la situation de tous les possesseurs d’avances en temps d’anarchie, quand l’État défaille, et ne remplit plus son office ordinaire, quand les propriétés ne sont plus efficacement protégées par la force publique, quand la jacquerie se propage dans les campagnes et l’émeute dans les villes, quand les châteaux sont saccagés, les chartriers brûlés, les boutiques enfoncées, les subsistances pillées et les transports arrêtés, quand les loyers et les fermages ne sont plus payés, quand les tribunaux n’osent plus condamner, quand les huissiers n’osent plus instrumenter, quand la gendarmerie s’abstient, quand la police manque, quand l’amnistie réitérée couvre les voleurs et les incendiaires, quand une révolution amène au pouvoir local et central des aventuriers sans fortune, sans probité et hostiles aux propriétaires. — Voilà les dispositions et la situation de tous les possesseurs d’avances en temps de socialisme, quand l’État usurpateur, au lieu de protéger les propriétés privées, les détruit ou s’en empare, quand il s’approprie les biens de plusieurs grands corps, quand il supprime sans indemnité plusieurs sortes de créances légales, quand, à force de dépenser et de s’obérer, il devient insolvable, quand, par son papier-monnaie et le cours forcé, il annule la créance aux mains du créancier et permet au débiteur de se libérer presque gratis, quand il saisit arbitrairement les capitaux liquides, quand il emprunte de force, quand il réquisitionne de force, quand il taxe les denrées au-dessous du prix de revient et les marchandises au-dessous du prix d’achat, quand il contraint le fabricant à fabriquer à perte, et le commerçant à vendre à perte, quand ses principes, appliqués par ses actes, annoncent que, de la confiscation partielle, il marche à la confiscation universelle. — Par une filiation certaine, toute phase du mal engendre la phase suivante : on dirait d’un poison dont les effets se propagent ou se répercutent ; chaque fonction, troublée par le trouble de la précédente, se désorganise à son tour. Le péril, la mutilation et la suppression de la propriété diminuent de plus en plus les valeurs disponibles et le courage de les risquer, c’est-à-dire le moyen et la volonté de faire des avances ; faute d’avances, les entreprises utiles languissent, périssent ou ne se font pas ; par suite, la production, l’apport, la mise en vente des objets indispensables se ralentit, s’interrompt et s’arrête. Il y a moins de savon, de sucre et de chandelles chez l’épicier, moins de bûches et de charbon chez le marchand de bois, moins de bœufs et de moutons sur le marché, moins de viande chez le boucher, moins de grains et de farines aux halles, moins de pain chez le boulanger. Comme les choses de première nécessité sont rares, elles sont chères ; comme on se les dispute, leur cherté s’exagère ; le riche se ruine pour y atteindre, le pauvre n’y atteint pas, et le nécessaire manque aux premiers besoins.

II

Telle est déjà la détresse en France au moment où s’achève la conquête jacobine, et, de cette détresse, les Jacobins sont les auteurs ; car, depuis quatre ans, ils ont fait à la propriété une guerre systématique. — Par en bas, ils ont provoqué, excusé, amnistié, ou toléré et autorisé, contre la propriété, tous les attentats populaires[3], des milliers d’émeutes, sept jacqueries consécutives, quelques-unes assez larges pour couvrir à la fois neuf ou dix départements, et la dernière étalée sur la France entière, c’est-à-dire le brigandage universel et permanent, l’arbitraire des indigents, des vagabonds et des vauriens, toutes les formes du vol, depuis le refus des rentes et fermage, jusqu’au pillage des châteaux, des maisons bourgeoises, des marchés et des greniers, la licence plénière des attroupements, qui, sous un prétexte politique, taxaient et rançonnaient à discrétion les suspects de toute classe, non seulement le noble et le riche, mais le fermier tranquille et l’artisan aisé, bref le recul vers l’état de nature, la souveraineté des appétits et des convoitises, la rentrée de l’homme dans la forêt primitive. Tout récemment, au mois de février 1793, sur les conseils de Marat et avec la connivence de la municipalité jacobine, la canaille de Paris vient d’enfoncer douze cents boutiques d’épicerie et de se partager sur place, gratis ou au prix qu’elle a fixé, le sucre, le savon, l’eau-de-vie et le café. — Par en haut, ils ont entrepris, accompli et multiplié contre la propriété les pires attentats, spoliations énormes et de toute espèce, suppression des revenus par centaines de millions et confiscation des capitaux par milliards, abolition sans indemnité de la dîme et de toute la redevance féodale, expropriation du clergé, des émigrés, de l’ordre de Malte, des associations ou fondations de piété, de charité et d’éducation, même laïques, saisie de l’argenterie, des vases sacrés, du mobilier précieux des églises. Et, depuis qu’ils sont au pouvoir, par delà les spoliations consommées, ils en promettent d’autres plus vastes. Après le 10 août, leurs journaux à Paris et leurs commissaires dans les départements[4] ont prêché « la loi agraire, la promiscuité des biens, le nivellement des fortunes, le droit pour chaque fraction du souverain » de se pourvoir de force aux dépens des possesseurs d’avances et de subsistances, la chasse aux riches, la proscription « des propriétaires, des gros marchands, des gens de finance et de tous les hommes à superflu ». Dès les premiers mois de la Convention, le dogme de Rousseau, « que les fruits sont à tous et que la terre n’est à personne », s’est étalé comme une maxime d’État, et, dans les délibérations de l’Assemblée souveraine, le socialisme affiché prend l’ascendant, puis l’empire. Selon Robespierre[5], « tout ce qui est indispensable pour conserver la vie, est une propriété commune à la société tout entière. Il n’y a que l’excédent qui soit une propriété individuelle, et qui soit abandonné à l’industrie des commerçants ». Plus solennellement encore, dans la Déclaration des Droits, adoptée à l’unanimité par la toute-puissante Société des Jacobins pour servir de pierre angulaire aux institutions nouvelles[6], le pontife de la secte inscrit ces formules, grosses de conséquences : « La société est obligée de pourvoir à la subsistance de tous ses membres. Les secours nécessaires à l’indigence sont une dette du riche envers le pauvre. Le droit de propriété est borné, et ne s’applique qu’à la portion des biens garantie par la loi. Toute possession, tout trafic qui préjudicie à l’existence de nos semblables est nécessairement illicite et immoral. » — Cela s’entend, et de reste : tout à l’heure la populace jacobine, ayant jugé que la possession et le trafic des épiceries préjudiciaient à son existence, a conclu que le monopole des épiciers était immoral et illicite ; en conséquence, elle a pillé leurs boutiques. Sous la domination de la plèbe et de la Montagne, la Convention applique la théorie, saisit le capital partout où elle le trouve, et, en son nom, on déclare aux pauvres « qu’ils trouveront dans les portefeuilles des riches de quoi subvenir à leurs besoins[7] ».

Par delà ces atteintes éclatantes et directes, une atteinte indirecte et sourde, mais encore plus profonde, sapait lentement par la base toute propriété présente et future. Les affaires de l’État sont les affaires de tout le monde, et, quand l’État se ruine, tout le monde est ruiné par contre-coup. Car il est le plus grand débiteur et le plus grand créancier du pays ; et il n’y a pas de débiteur si insaisissable ni de créancier si absorbant, puisque, faisant la loi, et ayant la force, il peut toujours, d’abord répudier sa dette et renvoyer le rentier les mains vides, ensuite augmenter l’impôt et prendre dans les poches du contribuable le dernier écu. Rien de plus menaçant pour les fortunes privées que la mauvaise administration de la fortune publique. Or, sous la pression des principes jacobins et de la faction jacobine, les curateurs de la France ont administré comme si, de parti pris, ils voulaient ruiner leur pupille ; tous les moyens connus d’anéantir une fortune, ils les ont employés contre lui. — En premier lieu, ils lui ont enlevé les trois quarts de son revenu. Pour plaire au peuple et pour appliquer la théorie, les impôts de consommation, gabelle, aides, octrois, droits sur le sel, sur les boissons, sur la viande, sur le tabac, les cuirs et la poudre, ont été abolis, et les taxes nouvelles par lesquelles on a remplacé les anciens impôts, lentement assises, incomplètement réparties, difficilement perçues, ne rentrent pas ; au 1er février 1793[8], sur la contribution foncière et mobilière de 1791, au lieu de 300 millions, le Trésor n’en avait touché que 150 ; sur la contribution foncière et mobilière de 1792, au lieu de 300 millions, il n’avait rien touché du tout. À cette date et pour les quatre années de la Révolution, l’arriéré total du contribuable montait à 632 millions : mauvaise créance, à peu près irrecouvrable, et, en fait, déjà réduite de moitié, puisque, même si le débiteur eût pu et voulu s’acquitter, il n’eût payé qu’en assignats, et qu’à cette date les assignats perdaient 50 pour 100. — En second lieu, les nouveaux gérants avaient quadruplé les dépenses publiques[9]. Équipement et promenades des gardes nationaux, fédérations, fêtes et parades patriotiques, écritures, impressions et publications innombrables, remboursement des offices supprimés, installation des administrations nouvelles, secours aux indigents, ateliers de charité, achats de grains, indemnité aux fariniers et aux boulangers : il avait bien fallu fournir aux frais de la démolition et de la reconstruction universelles. Or, tous ces frais, l’État les avait payés pour la plus grosse part. À la fin d’avril 1793, il avait déjà fait à la seule ville de Paris 110 millions d’avances, et la Commune insolvable lui extorquait incessamment de nouveaux millions[10]. À côté de ce gouffre, les Jacobins en avaient ouvert un autre plus large, celui de la guerre ; pendant le premier semestre de 1793, ils y jetaient par mois 140, puis 160, puis 190 millions ; dans le second semestre de 1793, la guerre et les subsistances engloutissaient près de 300 millions par mois, et, plus on versait dans les deux gouffres, plus ils se creusaient[11].

Naturellement, quand on ne perçoit plus ses revenus et qu’on exagère ses dépenses, on est obligé d’emprunter sur son fonds ; on vend ce fonds pièce à pièce, et on le mange. Naturellement, quand on ne trouve pas d’argent comptant sur le marché, on souscrit des billets, on tâche de les faire circuler, on paye ses fournisseurs avec des promesses écrites de payement futur, et l’on mange son crédit. Voilà le papier-monnaie et les assignats : c’est le troisième moyen, le moyen le plus efficace pour détruire une fortune, et les Jacobins n’ont pas manqué de l’appliquer à outrance. — Sous la Constituante, par un reste de bon sens et de bonne foi, on avait d’abord tâché d’assurer le remboursement des billets souscrits ; il y avait presque sécurité pour les porteurs d’assignats ; on leur avait donné sur les biens nationaux une première hypothèque ; on avait promis de ne plus emprunter sur leur gage, de ne plus émettre d’assignats[12]. Mais on ne leur a pas tenu parole : leur hypothèque a été frustrée de son privilège ; partant elle perd des chances de remboursement, et sa valeur baisse. Puis, le 27 avril 1792, sur le rapport de Cambon, l’émission illimitée commence ; selon les financiers jacobins, pour défrayer la guerre, il n’y a qu’à faire tourner la machine à promesses : en juin 1793, elle a déjà fabriqué pour 4320 millions d’assignats, et chacun voit que forcément son jeu s’accélère. C’est pourquoi le gage, vainement accru, ne suffit plus à porter l’hypothèque disproportionnée et monstrueuse ; elle déborde au delà, pose sur le vide, et s’effondre sous son propre poids. À Paris, en numéraire, l’assignat de 100 francs ne vaut plus, au mois de juin 1791, que 85 francs, au mois de janvier 1792 que 66 francs, au mois de mars 1792 que 53 francs ; relevé, à la fin de la Législative, par les confiscations nouvelles, il retombe à 55 francs en janvier 1793, à 47 francs en avril, à 40 francs en juin, à 33 francs en juillet[13]. — Voilà les créanciers de l’État fraudés du tiers, de la moitié, des deux tiers de leur créance, et, non seulement les créanciers de l’État, mais tous les créanciers quelconques, puisque tout débiteur quelconque a le droit de s’acquitter en assignats. Comptez-les, si vous pouvez, ces particuliers fraudés de leur créance sur un particulier quelconque, bailleurs de fonds et commanditaires dans une entreprise privée d’industrie et de négoce, prêteurs d’argent par contrat à échéance plus ou moins distante, vendeurs d’immeubles par contrat avec clause de payement plus ou moins lointain, propriétaires qui ont loué leur terre ou leur maison pour un laps de plusieurs années, propriétaires d’une rente viagère sur un particulier ou sur un domaine, industriels, négociants, cultivateurs qui ont vendu à terme leurs produits manufacturés, leurs marchandises ou leurs denrées, commis et clercs à l’année, employés, subordonnés, domestiques, ouvriers même, engagés à temps pour un salaire fixe. Pas un de ces gens-là dont le capital, remboursable en assignats, ou le revenu, payable en assignats, ne se réduise incessamment et à proportion de la baisse que les assignats subissent ; en sorte que, non seulement l’État fait banqueroute, mais que légalement, par sa faute, tous les débiteurs de France font banqueroute avec lui.

En pareille situation, comment faire pour commencer ou soutenir une entreprise ? Qui osera se risquer, surtout dans les entreprises où les déboursés sont grands et la rémunération lointaine ? Qui osera prêter à longue échéance ? — Si quelqu’un prête encore, ce n’est pas à l’année, mais au mois, et l’intérêt, qui était de 6, 5 ou même 4 pour 100 par an avant la Révolution, est maintenant de 2 pour 100 par mois et sur gages ; il montera plus haut tout à l’heure, et, à Paris, à Strasbourg, on le verra, comme dans l’Inde et dans les États Barbaresques, s’élever jusqu’à 4, 5, 6 et même 7 pour 100 par mois[14]. — Quel possesseur de matières premières ou de matières ouvrées osera faire ses livraisons comme à l’ordinaire, et accorder à ses clients le crédit indispensable de trois mois ? Quel gros industriel voudra fabriquer, quel gros commerçant voudra expédier, quel propriétaire riche ou aisé voudra bâtir, dessécher, endiguer, assainir, réparer ou même entretenir, avec la certitude fondée de ne rentrer que tard et à moitié dans ses avances, avec la certitude croissante de n’y pas rentrer du tout ? — D’année en année, et par jonchées, les grandes maisons s’écroulent : après la ruine de la noblesse et le départ des étrangers opulents, toutes les industries de luxe, qui, à Paris et à Lyon, donnaient le ton à l’Europe, les fabriques d’étoffes, d’ameublements, d’objets d’art, d’élégance et de mode ; après la jacquerie noire de Saint-Domingue et les troubles des Antilles, le grand commerce colonial, la magnifique prospérité de Nantes et de Bordeaux, les industries qui produisaient, transportaient et distribuaient le coton, le sucre et le café[15] ; après la déclaration de guerre aux Anglais, tout le commerce maritime ; après la déclaration de guerre à l’Europe, tout le commerce continental[16]. Faillites sur faillites, débâcle universelle, ruine du travail en grand, organisé et largement fructueux : à la place des industries productives, je ne vois plus que des industries destructives, celles de la vermine agricole et commerciale, celles du brocanteur et du spéculateur qui démeublent les hôtels et les abbayes, qui démolissent un château ou une église pour en vendre les matériaux à vil prix, qui trafiquent des biens nationaux pour les exploiter au passage. Tâchez de vous figurer le mal qu’un possesseur provisoire, endetté, besogneux, pressé par les échéances, peut et doit faire au domaine précaire et de provenance douteuse qu’il n’espère point garder et duquel, en attendant, il tire tout le profit possible[17] : non seulement il ne remet pas une roue au moulin, une pierre à la digue, une tuile au toit, non seulement il n’achète plus d’engrais et il épuise le sol, mais encore il saccage la forêt, il aliène les champs, il désarticule le corps de ferme, il mutile la terre, l’outillage, la maison d’habitation, il vend les glaces, les plombs, les ferrures, parfois les volets et les portes, il se fait de l’argent comptant, n’importe par quels dégâts, aux dépens du domaine, qu’il laisse dégradé, dégarni et pour longtemps improductif. Pareillement, les communaux ravagés et pillés, puis dépecés et partagés, sont autant d’organismes qu’on blesse avec profit momentané pour les indigents du village, mais au détriment de la production bien entendue et de l’abondance future[18]. — Seul, parmi ces millions d’hommes qui cessent de travailler ou qui travaillent à contresens, le petit cultivateur travaille, et fructueusement ; soulagé de l’impôt, de la dîme et des redevances, acquéreur à bon compte, ou sans bourse délier, d’un lopin de terre, il a du cœur à l’ouvrage[19] ; il a calculé que désormais sa récolte ne sera plus rognée par les prélèvements du seigneur, du décimateur et du roi, qu’elle sera tout entière à lui, à lui seul, et plus les villes crient famine, plus il compte la vendre cher. C’est pourquoi il a labouré, et plus rudement qu’à l’ordinaire ; même il a défriché ; ayant le sol gratis ou presque gratis et peu d’avances à fournir, n’ayant pas d’autre emploi pour ses avances, qui sont ses semences, son fumier, le labeur de ses bêtes et de ses bras, il a ensemencé, récolté, fait du blé à force. Peut-être y aura-t-il disette pour les autres objets de consommation ; il se peut que, par la ruine des autres industries, les étoffes, les souliers, le sucre, le savon, l’huile et la chandelle, le vin et l’eau-de-vie fassent défaut ; il se peut que, par la maladroite transformation de l’agriculture, les denrées de seconde nécessité, la viande, le vin, les liqueurs, le beurre et les œufs deviennent rares. À tout le moins, l’aliment français par excellence est là, sur pied dans les champs ou en gerbes dans les granges ; en 1792, en 1793 et même en 1794[20], il se trouve assez de grains en France pour fournir le pain quotidien à chaque Français.

Mais cela ne suffit point ; car, pour que chaque Français obtienne chaque jour son morceau de pain, il faut encore que les grains arrivent aux Halles en quantité suffisante, et que, tous les jours, les boulangers aient assez de farine pour cuire assez de pain ; il faut de plus que le pain exposé en vente dans les boulangeries n’excède pas le prix que la majorité des consommateurs peut y mettre. Or, en fait, par une conséquence forcée du régime nouveau, aucune de ces deux conditions n’est remplie. — D’abord le blé, et par suite le pain, sont trop chers. Même à l’ancien taux ils seraient encore trop chers pour les innombrables bourses vidées ou demi-vides après tant de coups portés à la propriété, à l’industrie et au commerce, maintenant que tant d’ouvriers et d’employés chôment, que tant de propriétaires et de bourgeois ne touchent plus leurs rentes, que les revenus, les bénéfices, les appointements et les salaires ont tari par centaines de millions. Mais le blé, et par suite le pain, ne sont pas restés à l’ancien taux. Au lieu de 50 francs, le sac de blé vaut à Paris, en février 1793, 65 francs ; en mai 1793, 100 francs, puis 150 ; partant, dès les premiers mois de 1793, à Paris, le pain, au lieu de 3 sous la livre, coûte 6 sous, en plusieurs départements du Midi 7 à 8 sous, et bientôt, en beaucoup d’endroits, 10 et 12 sous[21]. C’est que, depuis le 10 août 1791, après la chute du roi et l’arrachement de la vieille clef de voûte qui maintenait encore en place les pierres ébranlées de l’édifice social, le paysan alarmé n’a plus voulu se dessaisir ; il s’est résolu à refuser les assignats, à ne plus livrer ses grains que contre espèces sonnantes. Échanger du bon blé contre de mauvais chiffons de papier sali lui semble une duperie, et très justement, puisque chez les marchands de la ville, de mois en mois, il reçoit moins de marchandises pour le même chiffon. Thésauriseur et méfiant comme il est, il lui faut des écus au bon coin, à l’ancienne effigie, pour les entasser au fond d’un pot ou dans un bas de laine ; donnez-lui du numéraire, ou il garde son blé. Car il n’est pas, comme autrefois, obligé de s’en défaire aussitôt après la récolte, pour acquitter ses impôts et son fermage ; le garnisaire et l’huissier ne sont plus là pour le contraindre : en ce temps de désordre et de démagogie, sous des autorités impuissantes ou partiales, ni le créancier public, ni le créancier privé n’ont la force en main pour se faire payer, et les aiguillons, qui jadis poussaient le fermier vers le marché voisin, se sont émoussés ou rompus. Partant il s’abstient d’y porter, et il a d’ailleurs d’excellentes raisons pour s’abstenir. Sur la route et à l’entrée des villes, les vagabonds et les affamés arrêtent et pillent les charrettes pleines ; au marché et sur la place, les femmes, avec des ciseaux, éventrent les sacs, ou la municipalité, contrainte par la populace, taxe les grains à prix réduit[22]. — Plus une ville est grande, et plus elle a de peine à garnir son marché ; car elle doit tirer de plus loin ses subsistances ; chaque département, chaque canton, chaque village, retient pour soi ses grains, par la réquisition légale ou par la force brutale ; impossible aux gros marchands de blé de faire leur négoce ; on les appelle accapareurs ; la foule envahit leurs magasins ; ce sont eux qu’elle pend de préférence[23]. Aussi bien, le gouvernement a proclamé que leurs spéculations sont « des crimes » ; il va mettre leur commerce en interdit, se substituer à eux[24]. — Mais, par cette substitution, il accroît encore la pénurie : les villes ont beau faire des collectes, taxer leurs riches, emprunter, s’obérer au delà de toutes leurs ressources[25], elles ne font qu’empirer le mal. Quand la municipalité de Paris dépense 12 000 francs par jour pour vendre à bas prix la farine dans ses Halles, elle en écarte les fariniers qui ne peuvent livrer leur farine à si bas prix ; pour les 600 000 bouches de Paris, il n’y a plus assez de farine aux Halles. Quand elle dépense 75 000 francs par jour pour indemniser les boulangers, elle attire chez eux toute la population de la banlieue, qui vient à Paris chercher le pain à plus bas prix ; pour les 700 000 bouches de Paris et de la banlieue, il n’y a plus assez de pain chez les boulangers. Qui arrive tard trouve la boutique vide ; en conséquence, chacun arrive tôt, puis plus tôt, dès l’aube, avant le jour, cinq ou six heures avant le jour. En février 1793, il y a déjà des queues matinales à la porte des boulangers ; elles s’allongent encore en avril, et deviennent énormes en juin[26]. Naturellement, faute de pain, on se rejette sur les autres aliments, et ils enchérissent ; ainsi, quoi qu’on mange, il en coûte davantage pour manger. Joignez à cela les diverses applications et contre-coups de la politique jacobine, qui viennent, par surcroît, ajouter à la cherté des subsistances en tout genre et aussi de tous les objets nécessaires. C’est l’horrible dégradation des routes, qui rend les transports plus lents et plus coûteux. C’est la défense d’exporter le numéraire et partant de s’approvisionner à l’étranger. C’est le décret qui oblige chaque compagnie industrielle ou commerciale, présente ou future, « à verser annuellement dans le Trésor national le quart du montant de ses dividendes ». C’est la révolte de la Vendée, qui prive Paris de 600 bœufs par semaine. C’est la consommation des armées, qui mangent la moitié des bœufs amenés sur le marché de Poissy. C’est la clôture de la mer et du continent, qui achève la ruine des manufactures et du grand commerce. C’est l’insurrection de Bordeaux, de Marseille et du Midi, qui exagère encore le prix des épiceries, sucre, savon, huile, chandelles, vins et eaux-de-vie[27]. — En moyenne, dans les premiers mois de 1793, la livre de bœuf vaut, en France, au lieu de 6 sous, 20 sous ; en mai, à Paris, l’eau-de-vie, qui six mois auparavant coûtait 35 sous, en coûte 94 ; en juillet, la livre de veau, au lieu de 5 sous, coûte 22 sous. De 20 sous, le sucre monte à 4 francs 10 sous ; une chandelle coûte 7 sous. — Poussée par les Jacobins, la France est entrée dans la misère noire, dans le premier cercle de l’enfer ; après le premier cercle, il en est d’autres, de plus en plus profonds, étroits et sombres ; sous la poussée des Jacobins, va-t-elle tomber dans le dernier ?

III

Manifestement, si, dans le corps social, la nutrition languit partout et s’interrompt par places, c’est que, dans l’appareil économique, une fibre intime est froissée. Manifestement, cette fibre est le sentiment par lequel l’homme tient à sa propriété, craint de la risquer, refuse de l’amoindrir et tâche de l’accroître. Manifestement, dans l’homme réel, tel qu’il est construit, ce sentiment intense, tenace, toujours vibrant et agissant, est le magasin de force interne qui fournit les trois quarts et presque la totalité de l’effort soutenu, de l’attention calculatrice, de la volonté persévérante par laquelle l’individu se prive, s’ingénie, s’évertue, travaille fructueusement de ses mains, de son intelligence et de ses capitaux, produit, épargne et crée, pour soi comme pour autrui, des ressources et du bien-être[28]. — Jusqu’ici ce sentiment n’a été froissé qu’à moitié, et on l’a froissé surtout dans la classe aisée ou riche ; partant on n’a détruit que la moitié de son énergie utile, et l’on s’est privé surtout des services que rend la classe riche ou aisée ; on n’a guère supprimé que le travail du capitaliste, du propriétaire et de l’entrepreneur, le travail en grand, prévoyant, combiné, et ses produits, qui sont les objets de luxe, les objets de commodité, et la présence universelle, la répartition facile, la distribution spontanée des denrées indispensables. Reste à écraser les portions survivantes de la fibre laborieuse et nourricière, à détruire le reste de son énergie utile, à l’extirper jusque dans le peuple, à supprimer, autant qu’il se pourra, le travail en petit, manuel, grossier et ses produits rudimentaires, à décourager le boutiquier infime, l’artisan et le laboureur, jusqu’à ôter à l’épicier du coin l’envie de vendre sa cassonade et ses chandelles, et au cordonnier du coin l’envie de faire des souliers, jusqu’à donner au meunier l’idée de déserter son moulin, au charretier l’envie d’abandonner sa charrette, jusqu’à persuader au fermier que désormais, pour lui, la sagesse consiste à se défaire de ses chevaux, à manger lui-même son porc[29], à ne plus engraisser de bœufs, et même à ne pas récolter sa moisson. — Tout cela, les Jacobins vont le faire ; car tout cela est l’effet infaillible de la théorie qu’ils ont proclamée et qu’ils appliquent. Selon cette théorie, l’instinct âpre, puissant et profond par lequel l’individu s’obstine à garder pour lui et pour les siens son avoir et ses produits, est justement la fibre malsaine qu’il faut tuer ou paralyser à tout prix ; son vrai nom est « l’égoïsme, l’incivisme », et ses opérations sont des attentats contre la communauté, seule propriétaire légitime des biens et des œuvres, mieux encore, des personnes et des services. Corps et âmes, tout appartient à l’État, rien aux particuliers, et, en cas de besoin, l’État a le droit, non seulement de prendre les terres et les capitaux, mais encore de requérir et taxer, au prix qu’il lui plaît, les grains et le bétail, les voitures et les bêtes de trait, la chandelle et la cassonade, d’accaparer et de taxer, au prix qu’il lui plaît, le travail du cordonnier, du tailleur, du meunier, du charretier, du laboureur, du moissonneur et du batteur en grange. Saisie universelle des hommes et des choses, voilà son office, et les nouveaux souverains s’en acquittent de leur mieux ; car, en pratique, la nécessité les talonne : l’émeute gronde à leurs portes ; leur clientèle de cerveaux affolés et d’estomacs vides, la plèbe indigente et désœuvrée, la populace parisienne n’entend pas raison : elle exige au hasard et à l’aveugle ; on est tenu de la satisfaire à l’instant, de bâcler coup sur coup les décrets qu’elle réclame, même impraticables et malfaisants, d’affamer les provinces pour la nourrir, de l’affamer demain pour la nourrir aujourd’hui. Sous les clameurs et les menaces de la rue, on va au plus pressé ; on cesse de considérer l’avenir, on ne pourvoit plus qu’au présent ; on prend où l’on trouve ; on prend de force ; on soutient la violence par la brutalité, on aide au vol par le meurtre ; on exproprie par catégories de personnes, on s’approprie par catégories d’objets ; après le riche, on dépouille le pauvre. — Pendant quatorze mois, le gouvernement révolutionnaire travaille ainsi des deux mains : d’une main, il achève la confiscation de la propriété, grande ou moyenne ; de l’autre, il procède à l’abolition de la petite.

Contre la propriété grande ou moyenne, il lui suffit d’étendre et d’aggraver les décrets antérieurs. — Spoliation des derniers corps subsistants : il confisque les biens des hôpitaux, des communes, de toutes les Sociétés scientifiques ou littéraires[30]. — Spoliation des créanciers de l’État et de tous les créanciers quelconques : il émet en quatorze mois pour 5100 millions d’assignats, parfois 1400 millions, 2000 millions par un seul décret, et il se condamne ainsi pour l’avenir à la banqueroute totale ; il démonétise les 1500 millions d’assignats à face royale ; il convertit et réduit arbitrairement la dette publique au moyen du Grand-Livre, ce qui est, de fait et déjà, la banqueroute partielle et actuelle. Six mois de détention pour qui n’accepte pas les assignats au pair ; vingt ans de fers, s’il récidive ; la guillotine, si son intention était incivique : voilà pour les autres créanciers quelconques[31]. — Spoliation des particuliers, emprunt forcé d’un milliard sur les riches, réquisition des espèces monnayées contre des assignats au pair, saisie à domicile de l’argenterie et des bijoux, taxes révolutionnaires prodiguées jusqu’à épuisement, non seulement du capital, mais du crédit de la personne taxée[32], reprise par l’État de toutes les portions du domaine public engagées à des particuliers depuis trois siècles : combien d’années de travail faudra-t-il maintenant pour refaire les capitaux disponibles, pour reconstruire en France et remplir à nouveau ces réservoirs privés qui accumulent l’épargne et la déversent, comme un courant moteur, sur la grande roue de chaque entreprise ? Comptez de plus les entreprises détruites directement et de fond en comble par les exécutions révolutionnaires, les manufacturiers et négociants de Lyon, de Marseille et de Bordeaux proscrits en masse[33], guillotinés, en prison ou en fuite, leurs fabriques arrêtées, leurs magasins sous le séquestre, eaux-de-vie, savons, soieries, mousselines, cuirs, papier, serges, draps, toiles, cordages et le reste ; de même à Nantes sous Carrier, à Strasbourg sous Saint-Just, et partout ailleurs[34]. — « Le commerce est anéanti », écrit de Paris un négociant suisse[35], et l’on dirait que, par système, le gouvernement s’applique à le rendre impossible. Le 27 juin 1793, la Convention ferme la Bourse ; le 15 avril 1794, elle supprime les « compagnies financières » et « défend à tous banquiers, négociants et autres personnes quelconques de former aucun établissement de ce genre, sous aucun prétexte et sous quelque dénomination que ce soit ». Le 8 septembre 1793, la Commune a fait poser les scellés chez « tous les banquiers, agents de change, hommes d’affaires, marchands d’argent[36] », et les met eux-mêmes sous les verrous ; par grâce, et considérant qu’ils sont obligés de payer les traites tirées sur eux, elle consent à les élargir, mais provisoirement et à condition qu’ils resteront aux arrêts chez eux, « sous la garde de deux bons citoyens », à leurs frais. C’est aussi le cas, à Paris et dans les autres villes, non seulement pour les négociants notables, mais aussi pour les notaires et hommes de loi dépositaires de fonds et gérants de fortunes ; un sans-culotte à pique est dans leur cabinet quand ils font leurs écritures, ou les accompagne dans la rue quand ils vont chez leurs clients. Imaginez l’état d’une étude ou d’un comptoir sous un pareil régime ; le patron liquide au plus vite, comme il peut, ne s’engage plus, réduit ses affaires au minimum. Plus inactifs encore, ses collègues, condamnés à l’oisiveté indéfinie et sous clef dans la prison commune, ne vaquent plus à aucune besogne. — Paralysie générale et totale des organes naturels qui, dans la vie économique, produisent, élaborent, reçoivent, emmagasinent, conservent, échangent et transmettent par grosses masses ; et, par contre-coup, gêne, engorgement, atrophie des petits organes subordonnés, auxquels les grands ne fournissent plus le débouché, l’intermédiaire ou l’aliment.

Le tour des petits est venu ; tout souffrants qu’ils sont, ils fonctionneront comme en temps de santé, et ils fonctionneront de force : avec ses habitudes de logique raide et de prévoyance courte, la Convention porte violemment sur eux ses mains ineptes ; on les foule, on les pressure et on les meurtrit pour les guérir. Défense aux cultivateurs de vendre, sauf au marché, avec obligation pour chacun d’y porter sa quote-part, tant de sacs par semaine, et razzias militaires pour les contraindre à livrer leur quote-part[37] ; ordre aux boutiquiers de « mettre en vente journellement et publiquement les marchandises et denrées de première nécessité » qu’ils détiennent ; établissement d’un prix maximum au-dessus duquel nul ne pourra vendre « le pain, les farines et les grains, les légumes et les fruits, le vin, le vinaigre, le cidre, la bière et les eaux-de-vie, la viande fraîche, la viande salée, le lard, le bétail, les poissons secs, salés, fumés ou marinés, le beurre, le miel, le sucre et l’huile douce, l’huile à brûler, la chandelle, le bois à brûler, le charbon de bois et le charbon de terre, le sel, le savon, la soude et la potasse, les cuirs, les fers, l’acier, la fonte, le plomb et le cuivre, le chanvre, le lin, les laines, les toiles et les étoffes, les sabots, les souliers et le tabac » ; crime d’accaparement et peine capitale pour celui qui en garde au delà de sa consommation ; amendes énormes, prison, pilori pour qui vend au delà du prix fixé[38] : tels sont les expédients directs et simples du gouvernement révolutionnaire, et voilà son invention propre, pareille à celle du sauvage qui abat l’arbre pour avoir le fruit. — Car, après la première application du maximum, le boutiquier ne peut plus continuer son commerce ; attirés par le bas prix soudain et forcé, les chalands en foule ont vidé sa boutique dès les premiers jours[39] ; ayant vendu ses marchandises pour la moitié de ce qu’elles lui ont coûté[40], il n’est rentré qu’à moitié dans ses avances. Partant il ne peut renouveler son assortiment qu’à moitié, moins qu’à moitié, puisqu’il n’a pu solder ses achats, que son crédit va baissant, que les représentants en mission lui ont pris son numéraire, son argenterie et le restant de ses assignats. C’est pourquoi, le mois suivant, les acheteurs ne trouvent, sur les planches de sa devanture dégarnie, que des rogatons ou des rebuts.

Pareillement, après la proclamation du maximum[41], le paysan refuse de porter ses denrées au marché, et l’armée révolutionnaire n’est pas là partout pour les lui enlever de force. Il laisse sa récolte en gerbes le plus longtemps qu’il peut, et se plaint de ne pas trouver de batteurs en grange. Au besoin, il enfouit ses grains, ou il en nourrit son bétail. Souvent il les troque contre du bois, contre un quartier de porc, contre une journée de travail. La nuit, il fait six lieues pour les voiturer dans le district voisin, où le maximum local est fixé plus haut. Autour de lui, il sait quels particuliers ont encore des écus sonnants, et sous main il les approvisionne. Surtout il dissimule son abondance, et, comme autrefois, il fait le misérable. Il s’entend avec les autorités du village, avec le maire ou l’agent national, aussi intéressés que lui à éluder la loi ; il graisse la patte à qui de droit. Finalement, il se laisse poursuivre et saisir, il va en prison, il lasse par son obstination l’insistance administrative. C’est pourquoi, de semaine en semaine, il arrive moins de farine, de blé, de bétail sur le marché, et la viande chez le boucher, le pain chez le boulanger, deviennent plus rares. — Ayant ainsi paralysé les petits organes de l’offre et de la vente, les Jacobins n’ont plus qu’à paralyser le travail lui-même, les mains habiles, les bras agissants et forts. Pour cela, il suffit de remplacer les libres ateliers privés par l’atelier national obligatoire, le travail à la tâche par le travail à la journée, l’attention énergique de l’ouvrier qui s’embauche à conditions débattues et s’applique pour gagner davantage, par la mollesse inattentive de l’ouvrier raccolé de force, peu payé, et payé même s’il gâche et flâne. C’est ce que font les Jacobins en requérant d’autorité les ouvriers de toute espèce[42], « tous ceux qui contribuent à la manipulation, au transport et au débit des denrées et marchandises de première nécessité, les gens de la campagne qui vaquent ordinairement aux travaux des récoltes », plus particulièrement, les batteurs en grange, les moissonneurs, les voituriers, les flotteurs de bois et aussi les cordonniers, les tailleurs, les ouvriers en fer, quantité d’autres. — En tous les points de l’organisme social, le même principe s’applique avec le même effet. Substituez partout la contrainte extérieure, artificielle et mécanique au stimulant interne, naturel et vivifiant, et vous n’obtiendrez que l’atrophie universelle ; ôtez aux gens leurs produits ; mieux encore, forcez-les, par la peur, à produire ; confisquez leur temps, leur peine et leurs personnes, réduisez-les à la condition de fellahs, créez en eux des sentiments de fellah, et vous n’aurez qu’un travail et un produit de fellah, c’est-à-dire un minimum de travail et de produit, partant, un produit insuffisant pour alimenter une population très dense, qui, multipliée par une civilisation supérieure et productive, ne pourra subsister longtemps sous un régime barbare, inférieur, improductif. Au bout de l’expropriation systématique et complète, on aperçoit l’effet final du système, non plus la disette, mais la famine, la famine en grand et l’anéantissement des vies par millions. — Parmi les Jacobins[43], quelques furieux, lucides à force de fureur, Guffroy, Antonelle, Jeanbon Saint-André, Collot d’Herbois, voient la conséquence et l’acceptent avec le principe ; les autres, qui refusent de voir la conséquence, n’en sont que plus obstinés pour appliquer le principe, et tous ensemble, les yeux fermés ou les yeux ouverts, travaillent de toute leur force à l’aggravation de la misère, dont le spectacle lamentable s’étale en vain sous leurs regards.

IV

De Lyon, le 6 novembre 1793, Collot d’Herbois écrivait : « Il n’y a pas ici de vivres pour deux jours. » Et le lendemain : « La population actuelle de Lyon est de 130 000 âmes au moins ; il n’y a pas de subsistances pour trois jours. » Puis, le surlendemain : « Notre situation relativement aux subsistances est désespérante. » Puis, le jour d’après : « La famine va éclater[44]. » — À côté de là, dans le district de Montbrison, il ne reste plus, en février 1794, « de nourriture et d’aliments pour le peuple » ; tout a été requis et emporté, même les grains de semence, en sorte que les champs restent en friche[45]. — À Marseille, « depuis le maximum, tout manque ; les pêcheurs eux-mêmes ne sortent plus (en mer), et le secours des poissons manque pour les subsistances[46] ». — À Cahors, malgré les réquisitions multipliées, le directoire du Lot et le représentant Taillefer[47] déclarent que « les habitants sont réduits, depuis plus de huit jours, à ne manger que du pain de méteil, composé d’un cinquième de froment et le reste en orge, baillarge et millet ». — À Nîmes[48], pour faire durer la provision de grains qui s’épuise, ordre aux boulangers et aux particuliers de ne plus tamiser la farine, d’y laisser le son, de pétrir et cuire « la mouture du blé telle quelle ». — À Grenoble[49], « les boulangers ne cuisent pas, les habitants des campagnes n’apportent point de blé, les marchands enfouissent leurs marchandises, ou les font recéler par des voisins officieux, ou les exportent ». — « Ça va de mal en pis, écrivent les agents d’Huningue[50] ; on se hasarde même à dire qu’on donnerait telle ou telle chose aux bestiaux, plutôt que de la vendre en conformité de la taxe. » — Partout les habitants des villes sont mis à la ration, à une ration si mince qu’elle suffit juste pour les empêcher de mourir de faim. « Depuis que je suis à Tarbes, écrit un autre agent[51], les individus y sont taxés à demi-livre de pain par jour, composé un tiers de froment, deux tiers de farine de maïs ; et, le lendemain de la fête pour la mort du tyran, il n’y avait pas de pain, absolument pas. » — « Demi-livre de pain aussi à Évreux[52], et encore ne l’a-t-on qu’avec beaucoup de peine, ce qui oblige beaucoup de gens à aller dans les campagnes en demander pour de l’argent aux laboureurs » ; et, pain, farine ou blé, « ceux-ci n’en ont guère, puisqu’ils ont été obligés d’apporter ce qu’ils en ont à Évreux pour les armées ou pour Paris ».

C’est pis à Rouen et à Bordeaux : à Rouen, en brumaire, les habitants n’ont par tête et par jour qu’un quarteron de pain ; à Bordeaux, « depuis trois mois, dit l’agent[53], la population couche à la porte des boulangers, pour y payer très chèrement un mauvais pain que souvent elle n’obtient pas… On n’a pas cuit aujourd’hui et demain on donnera demi-livre de pain par personne. Ce pain est fait d’avoine et de féveroles… Les jours où l’on n’en a pas, on distribue des fèves, des châtaignes, du riz, mais en très petite quantité, » quatre onces de pain, cinq onces de riz ou de châtaignes. « Moi qui vous parle, j’ai déjà fait huit ou dix repas sans pain ; j’y renoncerais volontiers, si je pouvais le remplacer par des pommes de terre ; mais elles manquent aussi. » Cinq mois plus tard, le jeûne dure encore, et il se prolonge jusqu’après la Terreur, non seulement dans la ville, mais par tout le département. « Dans le district de Cadillac, dit Tallien[54], règne en ce moment la disette la plus absolue ; les citoyens des campagnes se disputent l’herbe des champs ; j’ai mangé du pain de chiendent ; » hâve et défait, le paysan, avec sa femme et ses enfants pâles, va dans la lande déterrer des racines, et ses bras n’ont plus la force de pousser la charrue. — Même spectacle dans tous les pays qui produisent peu de grains ou dont les greniers ont été vidés par la rafle révolutionnaire : « En plusieurs districts de l’Indre, écrit le représentant en mission[55], les subsistances manquent absolument ; même, dans quelques communes, plusieurs habitants ont été réduits à l’affreuse nécessité de se nourrir de glands, de son et autres subsistances malsaines… » En particulier, « les districts de la Châtre et d’Argenton sont réduits à périr de faim s’ils ne sont pas promptement secourus… La culture des terres est abandonnée, la majeure partie des administrés parcourent les départements voisins, pour y chercher leur subsistance ». — Et il est douteux qu’ils la trouvent. Dans le Cher, « les bouchers ne peuvent plus tuer, les magasins des marchands sont vides ». Dans l’Allier, « les boucheries et les marchés publics sont déserts, toutes espèces d’aliments et de légumes y ont disparu, les auberges sont fermées ». Dans tel district de la Lozère, composé de cinq cantons dont un seul produit un excédent de seigle, on ne vit, depuis le maximum, que de réquisitions imposées au Gard et à la Haute-Loire ; ce que les représentants ont extorqué à ces deux départements « a été distribué aux municipalités, et, par celles-ci, aux plus indigents ; bien des familles entières, bien des pauvres gens et même des riches ont souffert la privation du pain pendant six ou huit jours, et à diverses reprises[56] ». Pourtant, ils ne font pas d’émeute ; ils supplient seulement, et tendent la main « les larmes aux yeux ». — Telle est la diète et la soumission de l’estomac en province ; Paris est moins patient ; c’est pourquoi on lui sacrifie le reste[57], non seulement la fortune publique, le Trésor qui lui donne un ou deux millions par semaine[58], mais encore des régions entières qu’on affame à son profit, six départements qui doivent le fournir de grains, vingt-six départements qui doivent le fournir de porcs[59], au prix du maximum, par réquisition, avec la perspective de la prison et de l’échafaud en cas de refus ou de recel, sous les baïonnettes ambulantes de l’armée révolutionnaire : avant tout, il faut nourrir la capitale. — Voyons, sous ce régime de faveur, comment on vit et ce que l’on mange à Paris.

« Rassemblements effrayants » à la porte des boulangers, puis à la porte des bouchers et des épiciers, puis aux Halles pour le beurre, les œufs, le poisson et les légumes, puis au port et sur le quai pour le vin, le bois et le charbon, voilà le refrain incessant de tous les rapports de police[60]. — Et cela dure sans interruption pendant les quatorze mois du gouvernement révolutionnaire. Queues pour le pain, queues pour la viande, queues pour l’huile, le savon et la chandelle, « queues pour le lait, queues pour le beurre, queues pour le bois, queues pour le charbon, queues partout[61] ». — « Il y en eut une qui commençait à la porte d’un épicier du Petit Carreau et qui s’allongeait jusqu’à la moitié de la rue Montorgueil[62]. » Elles se forment dès trois heures du matin, dès une heure du matin, dès minuit, et vont grossissant d’heure en heure. Représentez-vous la file de ces misérables, hommes et femmes, couchés par terre[63] quand le temps est beau, sinon debout sur leurs jambes raidies et flageolantes, en hiver surtout, « le dos sous la pluie » et les pieds dans la neige, pendant tant de longues heures, dans les rues noires, infectes, à peine éclairées, encombrées d’immondices ; car, faute d’huile, on a éteint la moitié des réverbères ; faute d’argent, on ne repave plus, on ne balaye plus, les fumiers s’entassent le long des murailles[64]. La foule y patauge, elle-même aussi sale, dépenaillée, en souliers éculés et troués, puisque les cordonniers ne travaillent plus pour les particuliers, en linge crasseux, puisqu’il n’y a plus de savon pour blanchir ; et, au moral comme au physique, tous ces déguenillés qui se coudoient achèvent de se salir les uns les autres. — La promiscuité, le contact, l’ennui, l’attente et la nuit lâchent la bride aux instincts grossiers ; en été surtout, la bestialité humaine et la polissonnerie parisienne se donnent carrière. « Des filles du monde[65] », à leur rang, font leur métier ; c’est pour elles un intermède ; on entend de loin « leurs propos agaçants, leurs rires immodérés » ; et l’endroit leur est commode : sur le flanc de la queue, à deux pas, « les portes entr’ouvertes des allées obscures » invitent au tête-à-tête ; plusieurs de ces femmes, qui ont apporté leurs matelas, « s’y couchent et y commettent mille horreurs ». Excellent exemple pour les filles ou femmes d’ouvriers rangés, pour les servantes honnêtes qui entendent et voient. « Des hommes, s’arrêtant sur chaque rang, choisissent leur Dulcinée ; d’autres, plus éhontés, se ruent en taureaux sur les femmes, qu’ils embrassent l’une après l’autre. » Ne sont-ce pas là les baisers fraternels du patriotisme jacobin ? Est-ce que la fille et la femme du maire Pache ne vont pas en donner dans les clubs aux sans-culottes ivres ? Et que peut dire la garde ? — Elle a bien assez de peine à contenir l’autre instinct animal, aveugle et sourd, exaspéré comme il l’est par la souffrance, par l’espérance et par la déception.

Aux approches de chaque boucherie, avant l’ouverture, « les porteurs, courbés sous le poids de moitiés de bœufs, courent pour ne pas être assaillis par la foule qui se rue sur eux et semble dévorer des yeux la viande crue ». Ils se font livrer passage, ils entrent par l’arrière-boutique, et l’on croit que la distribution va commencer ; des gendarmes, poussant leurs chevaux au galop, dispersent les groupes trop épais ; « des scélérats, aux appointements de la Commune », font ranger les femmes en file, et, deux à deux, « grelottantes », dans l’aube froide de décembre ou de janvier, chacune attend que son tour vienne. Mais, au préalable[66], en vertu de la loi, le boucher prélève la part des hôpitaux, des femmes grosses, des accouchées, des nourrices, et, de plus, malgré la loi, il prélève une autre part pour le comité révolutionnaire de sa section, pour le commissaire assistant et surveillant, pour les pachas et demi-pachas du quartier, enfin pour les clients riches qui le surpayent. À cet effet, « des portefaix, formant de leurs larges épaules un rempart impénétrable devant la boutique, enlèvent des bœufs entiers » ; eux servis, les femmes trouvent l’étal dégarni, et beaucoup, « après s’être morfondues quatre heures durant », doivent s’en retourner les mains vides. — Devant cette perspective, les attroupements quotidiens s’alarment et deviennent houleux ; personne, sauf les premiers en ligne, n’est sûr d’avoir sa pitance ; celui qui est derrière regarde envieusement, avec une colère sourde, celui qui est devant. Des cris s’élèvent, puis des injures et des rixes ; les femmes[67] luttent avec les hommes de gros mots et de poussées ; on se bouscule. Tout d’un coup la queue se rompt ; chacun fonce en avant ; aux plus robustes et aux plus brutaux, la première place ; pour la prendre, il n’y a qu’à marcher sur ses voisins.

Coups de poing tous les jours[68] : quand un rassemblement reste tranquille, les observateurs en font la remarque. À l’ordinaire, « on se bat[69], on s’arrache le pain des mains ; ceux qui n’en peuvent avoir forcent celui qui en a un de quatre livres à le partager en plusieurs morceaux. Les femmes poussent des cris déchirants… Les enfants, envoyés par leurs parents, sont battus » ; les faibles sont jetés dans le ruisseau. « Dans la distribution des moindres denrées[70], c’est la force qui décide », la force des reins et des bras ; « plusieurs femmes, ce matin, écrit l’agent, ont failli perdre la vie pour obtenir un quarteron de beurre ». — Plus sensibles et plus violentes que les hommes, « elles n’entendent ou ne veulent entendre aucune raison[71] : elles fondent, comme des harpies », sur les charrettes qui arrivent au marché ; elles frappent les conducteurs, elles répandent sur le pavé le beurre et les légumes, elles s’étouffent et se renversent elles-mêmes par l’impétuosité de leur assaut ; plusieurs, « foulées aux pieds, presque écrasées, sont emportées demi-mortes ». Chacun pour soi ; les estomacs creux sentent que, pour être servis, il faut se servir soi-même, devancer autrui, ne plus attendre la distribution, le déchargement, ou même l’arrivée des subsistances. — « Un bateau de vins ayant été signalé, la foule s’est précipitée pour le piller, et le bateau a sombré, » probablement avec beaucoup des envahisseurs[72]. D’autres attroupements, aux barrières, arrêtent les voitures des paysans et s’emparent des denrées avant qu’elles arrivent aux Halles. En avant des barrières, des enfants et des femmes lancent des pierres aux laitiers, pour les contraindre à décharger et à les fournir sur place. Plus loin encore, à une ou deux lieues sur les grands chemins, des bandes parisiennes vont de nuit intercepter et saisir l’approvisionnement de Paris : « Ce matin, dit un surveillant, le faubourg Saint-Antoine s’est dispersé sur la route de Vincennes et a pillé tout ce qu’on apportait à la capitale : les uns payaient, les autres emportaient sans rien payer… Les paysans désolés jurent de ne plus rien apporter », et la disette croît, par l’effort de chacun pour s’en préserver.

En vain le gouvernement réquisitionne pour Paris, comme pour une place en état de siège, et fixe sur le papier la quantité de grains que chaque département, chaque district, chaque canton, chaque commune doit envoyer à la capitale. — Naturellement, chaque département, district, canton ou commune fait effort pour garder ses subsistances[73] : charité bien ordonnée commence par soi. Au village surtout, le maire et les membres de la municipalité, cultivateurs eux-mêmes, sont tièdes quand il s’agit de s’affamer et d’affamer la commune au profit de la capitale ; ils déclarent, au recensement, moins de grains qu’il n’y en a ; ils allèguent raisons et prétextes, ils dupent ou subornent le commissaire aux subsistances, qui est étranger, incompétent et besogneux ; on le fait boire et manger, on lui garnit son portefeuille, il devient coulant sur les livraisons, il souffre que le village s’acquitte aux trois quarts, à moitié, souvent en blés gâtés ou mélangés, en mauvaise farine ; ceux qui n’ont pas de grains rouillés s’en procurent auprès de leurs voisins ; au lieu de 100 quintaux, il n’en part que 50, et, dans les Halles de Paris, non seulement la quantité des grains est insuffisante, mais le blé noircit ou germe, et la farine moisit. — En vain le gouvernement prend les boulangers, les bouchers et les épiciers pour dépositaires et pour commis, ne leur alloue que 5 ou 10 pour 100 de bénéfice sur la vente au détail des denrées qu’il leur livre en gros, et crée dans Paris, aux frais de la France, une baisse factice. — Naturellement, le pain[74], qui, grâce à l’État, coûte trois sous dans Paris, sort furtivement de Paris pour aller dans la banlieue, où on le paye six sous ; même écoulement furtif pour les autres denrées que l’État fournit aux mêmes conditions aux autres marchands ; la taxe est un poids qui les entraîne hors de la boutique : elles glissent comme une eau sur une pente, non seulement hors de Paris, mais dans Paris. — Naturellement, « les épiciers font colporter sous le manteau leur sucre, leur chandelle, leur savon, leur beurre, leurs légumes secs, leurs pâtes et le reste dans les maisons particulières qui les achètent à tout prix ». — Naturellement, le boucher réserve ses grosses pièces de viande et ses morceaux de choix pour les grands traiteurs, pour ses clients riches, qui le payent aussi cher qu’il veut. — Naturellement, quiconque a l’autorité ou la force en use pour s’approvisionner le premier, largement et par préférence ; on a vu les prélèvements des comités, surveillants et agents révolutionnaires ; tout à l’heure, quand les bouches seront rationnées, chaque potentat se fera délivrer plusieurs rations pour sa seule bouche ; en attendant[75], aux barrières, des patrouilles de garde s’approprient les denrées qui arrivent, et le lendemain, à l’ordre du jour, c’est à peine si, bien doucement, on les gronde un peu.

Tel est le double effet du système : non seulement l’approvisionnement de Paris est court ou mauvais, mais les consommateurs ordinaires, les gens de la queue, n’en obtiennent qu’une portion, et la pire[76]. Tel surveillant, qui est venu chercher à la Halle au Blé un échantillon de farine, « écrit qu’on ne peut l’appeler farine[77]… C’est du son moulu », et non une substance nutritive ; « on force les boulangers à la prendre ; la Halle n’est, en très grande partie, approvisionnée que de cette farine ». — Et, vingt jours plus tard : « Les subsistances sont toujours très rares et de mauvaise qualité ; le pain est détestable au goût, il donne des maladies dont bien des citoyens sont affectés, telles qu’une espèce de dyssenterie, des maladies inflammatoires. » — De même, trois mois après, en nivôse : On se plaint toujours de la mauvaise qualité du pain, qui rend, dit-on, beaucoup de personnes malades ; il occasionne des douleurs inouies d’entrailles, accompagnées d’une fièvre qui mine. » — En ventôse, « disette extrême en tout genre[78] », surtout en fait de viande. Des femmes, place Maubert, passent six heures à la queue sans en obtenir un quarteron ; dans plusieurs étaux, elle manque tout à fait. Il n’y en a pas « une once », pas même de quoi faire du bouillon pour les malades ; les ouvriers n’en trouvent point dans leurs gargotes et se passent de soupe ; ils vivent « de pain et de harengs saurs ». Quantité de gens se lamentent « de n’avoir pas mangé de viande depuis quinze jours » ; des femmes disent « qu’elles n’ont pas mis le pot-au-feu depuis un mois ». — Cependant « les légumes sont d’un rare étonnant et d’un prix excessif » : … « deux sous, une malheureuse carotte, et autant deux petits poireaux » ; sur 2000 femmes qui attendent à la Halle une distribution de haricots, on ne peut en donner qu’à 600 ; les pommes de terre montent en une semaine de 2 à 3 francs le boisseau ; la farine de gruau ou de pois triple de prix. « Les épiciers n’ont plus de cassonade, même pour les malades », et ne délivrent la chandelle et le savon que par demi-livre. — Quinze jours après, en certains quartiers, la chandelle manque tout à fait, sauf dans le magasin de la section, qui est presque vide et n’en accorde qu’une par personne ; nombre de ménages se couchent avec le soleil, faute de lumière, ou ne peuvent cuire leur dîner, faute de charbon. — Les œufs surtout sont « vénérés comme des divinités invisibles », et, du beurre absent, on fait un Dieu[79] ». — « Si cela continue, disent des ouvriers, il faudra nous égorger les uns les autres, puisqu’il n’y a plus rien pour vivre[80]. » — « Des femmes malades[81], des enfants au berceau sont étendus dans la neige », au cœur même de Paris, rue Vivienne, sur le pont Royal, et restent ainsi « bien avant dans la nuit, pour demander l’aumône au passant… » — « On est arrêté à chaque pas par des mendiants de l’un ou l’autre sexe, la plupart sains et robustes » et qui, disent-ils, mendient, faute d’ouvrage. Sans compter les faibles et les infirmes qui ne peuvent affronter la queue, qu’on ne voit pas souffrir, qui meurent lentement et silencieusement à domicile, « on ne rencontre dans les rues, dans les marchés », que des figures d’affamés et d’affolés, « une foule immense de citoyens, courant, se précipitant les uns sur les autres », poussant des cris, répandant des larmes « et offrant partout l’image du désespoir[82] ».

  1. Sur les autres fonctions plus compliquées, entretien des chemins, canaux, digues, ports et bâtiments publics, éclairage, propreté, hygiène, instruction supérieure, secondaire et primaire, service des hôpitaux, des hospices d’enfants trouvés et autres maisons de secours, sécurité des routes, répression des malfaiteurs et voleurs, destruction des loups, etc., voir Rocquain, État de la France au 18 Brumaire, et les Statistiques des départements publiées par les préfets, de l’an IX à l’an XIII. — Tous ces services avaient été presque anéantis ; le lecteur verra, dans les documents indiqués, les conséquences pratiques de leur suppression.
  2. Saint-John de Crèvecœur, par Robert de Crèvecœur, 216 (Lettre de Mlle de Gouves, juillet 1800) : « Nous sommes en pourparler pour toucher au moins les arrérages échus depuis 1789 des biens d’Arras. » (M. de Gouves et ses sœurs n’avaient pas émigré, et néanmoins ils n’avaient rien touché depuis dix ans.)
  3. Cf. la Révolution, tome IV, 104 à 114, 191 à 232 ; tome VI, 64 à 68.
  4. Cf. la Révolution, tome VI, 69 à 71.
  5. Buchez et Roux, XXII, 178 (Discours de Robespierre à la Convention, 2 décembre 1792). — Mallet du Pan, Mémoires, I, 400. Vers la même date, « une députation du département du Gard demanda expressément qu’il fût assigné une somme de 250 millions comme indemnité au cultivateur, pour les grains, qu’elle appelait une propriété nationale. Cette somme effrayante de 250 millions, ajoutait-elle, n’est pour l’État qu’une avance fictive, qui met à sa disposition des richesses réelles et purement nationales, lesquelles n’appartiennent en toute propriété à aucun membre distinct du corps social, non plus que les pernicieux métaux frappés aux coins monétaires ».
  6. Buchez et Roux, XXVI, 95 (Déclaration des Droits présentée à la Société des Jacobins par Robespierre, 21 avril 1793).
  7. Décrets pour établir, dans chaque commune, une taxe sur les riches, afin de proportionner aux salaires le prix du pain, et, dans chaque grande ville, une autre taxe pour lever une armée de sans-culottes salariés qui tiendront les aristocrates sous leurs piques, 5-7 avril. — Décret ordonnant l’emprunt forcé d’un milliard sur les riches, 20-25 mai. — Buchez et Roux, XXV, 156 (Discours de Chasles, 27 mars). — Gorsas, Courrier des départements, numéro du 15 mai 1793 (Discours de Simond au club d’Annecy). — Autres discours semblables de Guffroy à Chartres, de Châlier et consorts à Lyon, etc.
  8. Compte rendu par le ministre Clavière, le 1er février 1793, 27. — Cf. Rapport de M. de Montesquiou, 9 septembre 1791, 47 : « Pendant les vingt-six premiers mois de la Révolution, les impositions ont rendu 356 millions de moins qu’elles n’eussent dû naturellement produire. » Même déficit dans les recettes des villes, notamment par l’abolition des octrois de ce chef, Paris perd 10 millions de revenu par an.
  9. Rapport de Cambon, 3 pluviôse an III, 5 : « La Révolution et la guerre ont coûté, en quatre ans et demi, 5350 millions en sus des dépenses ordinaires. » (Cambon, dans ses calculs, exagère exprès les dépenses ordinaires de la monarchie. On voit par le budget de Necker que les dépenses fixes en 1789 étaient de 531 millions, et non, comme dit Cambon, de 700 millions, ce qui élève les dépenses de la Révolution et de la guerre à 7121 millions pour les quatre ans et demi, partant à 1582 millions par an, c’est-à-dire au triple en sus des dépenses ordinaires). La dépense des villes s’exagère aussi, comme celle de l’État et pour les mêmes raisons.
  10. Schmidt, Pariser Zustände, I, 93, 96. Pendant le premier semestre de 1789, il y a 17 000 ouvriers, à vingt sous par jour, dans les ateliers nationaux de Montmartre. En 1790, il y en a 19 000 ; en 1791, 31 000, qui coûtent 60 000 francs par jour. En 1790, l’État dépense 75 millions pour maintenir à Paris le pain de quatre livres à onze sous. — Ib., 113, Dans le premier semestre de 1793, l’État paye aux boulangers de Paris, afin de maintenir le pain à trois sous la livre, environ 75 000 francs par jour.
  11. Schmidt, Pariser-Zustände, I, 139 à 144.
  12. Décret du 29 septembre 1790 : « Il n’y aura pas en circulation au delà de 1200 millions d’assignats. Les assignats qui rentreront dans la caisse de l’extraordinaire seront brûlés, et il ne pourra en être fait une nouvelle fabrication et émission sans un décret du corps législatif, toujours sous la condition qu’ils ne puissent ni excéder la valeur des biens nationaux, ni se trouver au-dessus de 1200 millions en circulation. »
  13. Schmidt, Pariser Zustände, I, 104, 138, 144.
  14. Félix Rocquain, l’État de la France au 18 Brumaire, 240 (Rapport de Lacuée, an IX). — Rapport des préfets sous le Consulat (Rapports de Laumont, préfet du Bas-Rhin, an IX, de Colchen, préfet de la Moselle, an XI, etc.) — Schmidt, Pariser Zustände, III, 205 : « Pendant la Révolution, l’intérêt fut de 4 à 5 pour 100 par mois ; en 1796, de 6 à 8 pour 100 par mois ; le moindre fut de 2 pour 100 par mois et sur gages. »
  15. Arthur Young, Voyages en France, traduction Lesage, II, 360 : « Je tiens Bordeaux pour plus riche et plus commerçante qu’aucune ville d’Angleterre, excepté Londres. »
  16. Ib., II, 357. Le chiffre des exportations de la France en 1787 est de 349 millions, celui des importations de 340 millions, (en exceptant la Lorraine, l’Alsace, les Trois-Évêchés et les Antilles). — Ib., 360. En 1785, on importe des Antilles en France pour 174 millions de francs, sur lesquels Saint-Domingue a fourni 131 millions, et l’on a exporté de France aux Antilles pour 64 millions, sur lesquels Saint-Domingue a reçu 44 millions. Ces échanges se sont faits au moyen de 569 navires, portant 162 000 tonnes, sur lesquels Bordeaux a fourni 246 navires et 75 000 tonnes. — Sur la ruine des autres manufactures, voir les rapports des préfets, ans IX, X, XI et XII, avec détails sur chaque département. Arthur Young (II, 144) juge que « la Révolution s’est montrée plus sévère pour les manufacturiers que pour toute autre classe ».
  17. Rapports des préfets (Orne, an IX) : « Les acquéreurs ont spéculé sur le produit du moment et ont épuisé leur fonds. Un très grand nombre a détruit toutes les plantations, les clôtures, et jusqu’aux arbres fruitiers. » — Félix Rocquain, ib., 110. Rapport de Fourcroy sur la Bretagne : « L’état des édifices ruraux exige partout des capitaux considérables… Mais on ne fait aucune des avances qui supposent qu’on compte sur une grande stabilité et une longue durée. » — 236. (Rapport de Lacuée sur les départements qui entourent Paris) : « Les propriétaires des biens nationaux, incertains, cultivèrent mal et dévastèrent beaucoup. »
  18. Rapport des préfets, ans IX, X, XI et XII. En général, l’effet du partage des communaux a été désastreux, surtout dans les pays de pâturages et de montagnes. — (Doubs) : « Le partage des communaux a plutôt contribué, dans toutes les communes, à la ruine absolue du pauvre qu’à l’amélioration de son sort. » — (Lozère) : « Le partage des communaux par la loi du 10 juin 1793 a été très nuisible à la culture. » — Ces partages ont été fort nombreux. — (Moselle) : « Sur 686 communes, 107 ont partagé les biens communaux par têtes, et 579 par familles ; 119 sont restées dans l’indivision. »
  19. Ib. (Moselle). Très nombreuses naissances en 1792. « Mais cette année est hors de toutes les années. Les abus en tout genre, le papier-monnaie, le non-payement des impôts et des redevances, le partage des communaux, la vente à vil prix des biens nationaux, avaient répandu parmi le peuple une telle aisance que les classes les plus pauvres, qui sont les plus nombreuses, n’ont pas craint d’augmenter leurs familles, auxquelles elles espéraient léguer un jour des champs et le bonheur. »
  20. Mallet du Pan, Mémoires, II, 29 (1er février 1794) : « La récolte dernière a été généralement bonne en France, et excellente dans quelques provinces… J’ai vu le relevé des deux recensements faits sur 27 départements : ils emportent un excédent de 15, 20, 30, 35 mille setiers de grain. Il n’y a donc pas disette effective. »
  21. Schmidt, Ib., I, 110, et pages suivantes. — Buchez et Roux, XX, 416 (Discours de Lequinio, 27 novembre 1792). — Moniteur, XVII, 2 (Lettre de Clermont, Puy-de-Dôme, du 15 juin 1793) : « Depuis quinze jours, le pain vaut de seize à dix-huit sous la livre. Nos montagnes sont dans la misère la plus affreuse. L’administration distribue un huitième de setier par personne, et chacun est obligé d’attendre deux jours pour avoir son tour,… Une jeune femme a été étouffée, et plusieurs personnes blessées. »
  22. Cf. la Révolution, IV, 127 ; VI, 18, 59. — Buchez et Roux, XX, 431 (Rapport de Lecointe-Puyraveau, 30 novembre 1792). Attroupements de quatre, cinq, six mille hommes, dans l’Eure-et-Loir, l’Eure, l’Orne, le Calvados, dans l’Indre-et-Loire, le Loiret et la Sarthe, qui taxent les denrées. Les trois délégués de la Convention, ayant voulu s’interposer, n’ont eu la vie sauve qu’à condition de proclamer eux-mêmes la taxe qu’on leur a dictée. — Ib., 409 (Lettre de Roland, 27 novembre 1792) ; XXI, 198 (Autre lettre de Roland, 6 décembre 1792) : « On arrête tous les convois à Lissy, à la Ferté-Milon, à la Ferté-sous-Jouarre. Des voitures de blé, allant à Paris, ont été forcées de rétrograder près de Longjumeau et près de Meaux. »
  23. Archives nationales, F7 3265 (Lettre de David, cultivateur et administrateur du département de la Seine-Inférieure, 11 octobre 1792 ; lettre du comité spécial de Rouen, 22 octobre ; lettre des délégués du pouvoir exécutif, 10 octobre, etc.) : « Il nous revient de toutes parts que les laboureurs qui portent aux Halles sont, dans leur paroisse, considérés et traités comme aristocrates… Les départements s’isolent les uns des autres et se repoussent mutuellement. »
  24. Buchez et Roux, XX, 409 (Lettre de Roland, 27 novembre 1792) : « La circulation des grains a éprouvé depuis longtemps les plus grands obstacles ; il n’est presque plus aucun citoyen qui ose aujourd’hui se livrer à ce commerce. » — Ib., 417 (Discours de Lequinio) : « L’accaparement du blé par les propriétaires et les fermiers est presque universel. La cause en est la frayeur, et d’où vient cette frayeur ? De l’agitation générale, des menaces et des mauvais traitements exercés en plusieurs endroits contre des fermiers, des propriétaires ou des trafiqueurs de blé connus sous le nom de bladiers. » — Décrets du 16 septembre 1792 et du 4 mai 1793.
  25. Buchez et Roux, XIX, 51 (Rapport de Cambon, 22 septembre) : Les impôts n’arrivent plus au Trésor public, parce qu’ils sont employés dans les départements en achats de grains. » — Ib., XIX, 291 (Discours de Cambon, 12 octobre 1792) : « Vous avez été témoins dans vos départements combien de sacrifices les gens aisés ont été obligés de faire pour venir au secours de la classe indigente. Dans beaucoup de villes, des contributions additionnelles ont été faites pour des achats de grains et pour mille autres espèces de secours. »
  26. Buchez et Roux, XX, 409 (Lettre de Roland, 27 septembre 1792). — XXI, 199 (Délibération du Conseil exécutif provisoire, 3 septembre 1792). — Dauban, la Démagogie en 1793, 64 (Diurnal de Beaulieu). — Ib., 152.
  27. Schmidt, I, 110 à 130. — Décrets contre l’exportation des espèces monnayées ou des lingots, 5 et 15 septembre 1792. — Décret sur les actions ou effets au porteur, 24 août 1792.
  28. Il est probable que les motifs désintéressés, l’amour pur du prochain, de l’humanité, de la patrie, n’entrent pas pour un centième dans le total de la force qui produit les actions humaines. Encore faut-il noter que, lorsqu’ils agissent, c’est au moyen d’un alliage, par l’adjonction de motifs de moindre aloi, qui sont le désir de la gloire, le besoin de s’admirer et de s’approuver soi-même, la crainte d’un châtiment et l’espoir d’une récompense dans la vie d’outre-tombe, tous motifs intéressés et sans lesquels les motifs désintéressés n’auraient pas d’effet, sauf dans deux ou trois âmes sur mille.
  29. Archives nationales, D, § I, carton 2 (Lettre de Joffroy, agent national près le district de Bar-sur-Aube, 5 germinal an III) : « Pour échapper à la réquisition, la plupart des cultivateurs ont vendu leurs chevaux et les ont remplacés par des bœufs. » — Mémoires (manuscrits) de M. Dufort de Cheverny (communiqués par M. Robert de Crèvecœur). En juin 1793, les réquisitions tombent comme grêle, tous les huit jours, sur les blés, foins, paille, avoine, etc…, « le tout estimé à la volonté des commissaires, qui payent au rabais, tard et difficilement ». Puis vient la réquisition des cochons : « C’était couper la nourriture à tous les gens de la campagne. Comme on les requérait vifs, ce fut une Saint-Barthélemy de cochons. Chacun tua le sien et le mit dans son saloir. » (Environs de Blois). — Pour le refus de récolter la moisson, voir plus loin. — Dauban, Paris en 1794, 229 (24 ventôse, ordre général de Henriot) : « Le citoyen Guillon, étant de service hors des murs, a vu avec peine des citoyens couper des blés pour la nourriture des lapins. »
  30. Décret du 23 messidor an II, sur la réunion de l’actif et du passif des hôpitaux, maisons de secours, de pauvres, etc…, au domaine national. (Sur l’effet de cette loi, sur la ruine des hôpitaux, sur la misère des malades, des enfants trouvés et des infirmes, voyez les rapports des préfets de l’an IX à l’an XII). — Décrets des 8 et 12 août 1793, et du 24 juillet 1794, sur les académies et sociétés littéraires. — Décret du 24 août 1793, § 29 sur l’actif et le passif des communes.
  31. Schmidt, I, 144 (2 milliards, le 27 septembre 1793 ; 1400 millions, le 19 juin 1794). — Décret des 24 août-13 septembre 1793, sur la conversion des titres et la formation du Grand-Livre. — Décrets du 31 juillet et du 30 août-5 septembre 1793, sur la démonétisation des assignats à face royale. — Décrets du 1er août et du 5 septembre 1793 sur le refus d’accepter les assignats au pair.
  32. Archives nationales, F7, 4421 (Documents sur la taxe révolutionnaire établie à Troyes le 11 brumaire an II). Trois cent soixante-treize personnes sont taxées, notamment les industriels, les commerçants et les propriétaires ; le minimum de la taxe est de 100 francs, le maximum de 50 000 francs. — Soixante-seize pétitions adjointes au dossier montrent très exactement la situation faite au commerce, aux industries et à la propriété, l’état des fortunes et du crédit dans la bourgeoisie et la demi-bourgeoisie.
  33. Mallet du Pan, Mémoires, II, 17 : « J’ai vu la trente-deuxième liste des émigrés, de Marseille seulement, dont les biens ont été confisqués et mis en vente ; il s’en trouve 12 000, et les listes ne sont pas achevées. » — Rapports des préfets (Var, par Fauchet, an IX) : « L’émigration de 1793 a versé à Livourne et sur toute la côte d’Italie un nombre assez considérable de négociants de Marseille et de Toulon. Ces hommes, en général industrieux, (y) ont établi plus de cent soixante fabriques de savon et ont ouvert aux huiles de cette partie un débouché local. On peut comparer cet événement, relativement à ses effets sur le commerce, à la révocation de l’édit de Nantes. » — Cf. les rapports sur les départements du Rhône, de l’Aude, du Lot-et-Garonne, des Basses-Pyrénées, de l’Orne, etc.
  34. Archives des affaires étrangères, tome 332 (Lettre de Desgranges, Bordeaux, 12 brumaire an II) : « On ne parle pas plus ici d’affaires de commerce que si jamais il n’y en avait eu. »
  35. Dr Jain, Choix de documents et lettres trouvés dans des papiers de famille, 144 (Lettre de Gédéon Jain, banquier à Paris, 18 novembre 1793) : « Les affaires, difficiles et périlleuses, occasionnent des pertes fréquentes et sensibles. Les ressources et le crédit sont presque nuls. »
  36. Archives nationales, F7, 2475 (Lettres de Lhuillier, procureur-syndic du département de Paris, 7 et 10 septembre 1793. — Rapport des membres du Comité de la section des Piques, 8 et 10 septembre 1793). — Conférer les pétitions des commerçants et hommes de loi incarcérés à Troyes, Strasbourg, Bordeaux, etc. — Archives nationales, AF, II, 271 (Lettre du représentant Francastel) : « Au moins trois mille aristocrates accapareurs sont arrêtés à Nantes…, et ce n’est pas le dernier épurement. »
  37. Décrets des 4 mai, 15, 19, 20, 23 et 30 août 1793. — Décrets des 26 juillet, 15 août, 11 septembre, 29 septembre 1793, et 24 février 1794. — Camille Boursier, Essai sur la Terreur en Anjou, 254 (Lettre de Buissart à son ami Maximilien Robespierre, Arras, 14 pluviôse an II) : « Nous mourons de faim au milieu de l’abondance ; je crois qu’il faut tuer l’aristocratie mercantile, comme on a tué celle des nobles et des prêtres. Les communes, à la faveur d’un magasin de subsistances et de marchandises, doivent être seules admises à faire le commerce. Cette idée, bien développée, peut se réaliser ; alors tout le bénéfice du commerce tournerait à l’avantage de la République, c’est-à-dire à l’avantage du vendeur et de l’acheteur. »
  38. Archives nationales, AF, II, 49 (Pièces sur la taxe révolutionnaire levée à Belfort, le 30 brumaire an II) : « Verneur père, taxé à 10 000 livres, comme ayant recelé des marchandises que sa sœur déposait chez lui pour les soustraire à la taxe future. » — Campardon, I, 292 (Jugements de la commission révolutionnaire de Strasbourg). — « Le premier commis de la pharmacie Hecht étant accusé d’avoir vendu deux onces de rhubarbe et manne pour cinquante-quatre sous, Hecht, propriétaire, est condamné à une amende de 15 000 livres ; Madeleine Meyer, à Rosheim, marchande en détail, accusée d’avoir vendu une chandelle dix sous, est condamnée à 1000 livres d’amende et tenue de les payer en trois jours ; Braun, boucher et cabaretier, accusé d’avoir vendu une chopine de vin vingt sous, est condamné à une amende de 40 000 francs, à l’emprisonnement jusqu’à payement de ladite somme, et à être exposé au poteau devant son domicile, pendant quatre heures, avec cet écriteau : avilisseur de la monnaie nationale. » — Recueil de pièces authentiques servant à l’histoire de la Révolution à Strasbourg (Supplément, 21, 30, 64) : « Marie-Ursule Schnellin et Marie Schutzmann, servante, accusées d’avoir accaparé du lait, la première condamnée au poteau pendant la journée, avec la note accapareuse de lait, tenant d’une main l’argent, et de l’autre le pot au lait ; la deuxième, servante chez le citoyen Trenner, lui, Trenner, condamné à une amende de 300 livres, payable en trois jours. — Dorothée Franz, convaincue d’avoir vendu deux têtes de salade vingt sous, et d’avoir avili par là la valeur des assignats, condamnée à l’amende de 3000 livres, à être renfermée pendant six mois, et exposée au poteau pendant deux heures. » — Ib., I, 18 : « Un épicier, accusé d’avoir vendu du sucre candi au-dessus de la taxe, bien qu’il n’y fût pas compris, fut condamné à 100 000 livres d’amende et à la détention jusqu’à la paix. » — Arrêté de Saint-Just et Lebas, 3 nivôse an II : — « Il est ordonné au Tribunal criminel du département du Bas-Rhin de faire raser la maison de quiconque sera convaincu d’agiotage, ou d’avoir vendu au-dessus du prix fixé par le maximum. » En conséquence, le 7 nivôse, la maison de Schauer, pelletier, est rasée.
  39. Archives des affaires étrangères, tome 322 (Lettre de Haupt, Belfort, 3 brumaire an II) : « À mon arrivée ici, j’ai trouvé la loi du maximum promulguée et exécutée… (Mais) on n’a pas pris les mesures nécessaires pour empêcher un nouvel accaparement de la part du campagnard qui s’est transporté en foule aux boutiques de marchands, a enlevé toutes les marchandises et causé une disette factice. »
  40. Archives nationales, F7, 4421. (Pétitions des commerçants et boutiquiers de Troyes à propos de la taxe révolutionnaire, notamment des bonnetiers, fabricants de toile, de cotonnade, marchands de laine, fer et chanvre, tisserands, fabricants, épiciers. — En général, perte de moitié, parfois des trois quarts, sur le prix d’achat).
  41. Archives des affaires étrangères, tome 330 (Lettre de Brutus, Marseille, 6 nivôse an II) : « Depuis le maximum, tout manque à Marseille. » — Ib. (Lettre de Soligny et Gosse, Thionville, 5 nivôse an II) : « Aucun paysan ne veut plus rien apporter sur les marchés. Ils font six lieues pour vendre plus cher ; par suite, les communes qu’ils approvisionnaient jadis sont affamées… Selon qu’on les paye en argent ou en assignats, la différence est quelquefois de 200 pour 100, et presque toujours de 100 pour 100. » — Un séjour en France, 188-189. — Archives nationales, D, § I, carton 2 (Lettres du représentant Albert, 19 germinal an III, et de Joffroy, agent national près le district de Bar-sur-Aube, 5 germinal an III) : « Les municipalités se sont toujours exemptées des réquisitions, et les ont fait tomber sur des cultivateurs ou propriétaires hors d’état d’y satisfaire. La répartition entre les contribuables s’est faite avec l’inégalité la plus révoltante… Partialité, par intérêt, par liaison de parentage et d’amitié. »
  42. Décrets du 29 septembre 1793 (articles 8 et 9), des 4 mai et 30 mai, du 26 juin 1794. — Archives nationales, AF, II, 68-72 Arrêté du Comité de Salut public, 26 prairial an II) : « Les chevaux et voitures des marchands de charbon voituriers, ayant l’usage de conduire à Paris par terre une partie des charbons, dont la cuisson se fait dans le département de Seine-et-Marne, sont mis en réquisition jusqu’au 1er brumaire prochain, pour transporter les charbons à Paris ; ils ne pourront pendant ce temps être requis pour un autre service », etc. (On trouvera dans ces cartons quantité d’arrêtés sur les subsistances et objets de première nécessité, la plupart de l’écriture de Robert Lindet).
  43. Cf. la Révolution, tome V, 83. — Dauban, Paris en 1794 (Rapport de Pourvoyeur, 15 mars 1794) : « L’on répand depuis fort longtemps que l’on veut faire mourir tous les vieillards ; il n’est pas d’endroit où l’on ne débite ce mensonge. »
  44. Archives nationales, F7, 4435, carton 10 (Lettres de Collot d’Herbois, 17 et 19 brumaire an II). — Comte de Martel, Fouché, 340-341 (Lettres de Collot d’Herbois, 7 et 9 novembre 1793).
  45. Comte de Martel, ib., 462 (Proclamation de Javogues, 13 pluviôse an II).
  46. Archives des affaires étrangères, tome 330 (Lettre de Brutus, agent politique, 6 nivôse).
  47. Archives nationales, AF, II, 116 (Arrêtés de Taillefer et de Marat-Valette, et délibération du Directoire du Lot, 20 brumaire an II).
  48. Archives des affaires étrangères, tome 331 (Lettre de l’agent Bertrand, 3 frimaire).
  49. Ib., tome 332 (Lettre de l’agent Chépy, 2 brumaire).
  50. Archives des affaires étrangères, tome 1411 (Lettre de Blessmann et Hauser, 30 brumaire). — Ib. (Lettre de Haupt, Belfort, 29 brumaire) : « Je crois qu’il faut suivre ici l’avis de Marat, et qu’il faut ériger une centaine de potences, s’il n’y a pas assez de guillotines pour couper la tête aux accapareurs. Je contribuerai au moins tout le possible pour avoir le plaisir de voir jouer à la main chaude un de ces j…f… »
  51. Ib., tome 333 (Lettre de Garrigues, 16 pluviôse).
  52. Souvenirs et journal d’un bourgeois d’Évreux, 83-85 (juin juillet 1794). — De même à Mantes (Dauban, Paris en 1794, 149, 4 mars).
  53. Archives des affaires étrangères, tomes 331 et 332 (Lettres de Desgranges, 3 et 8 brumaire, 3 et 10 frimaire) : « Beaucoup de paysans n’ont pas mangé de pain depuis huit et quinze jours ; aussi la plupart ne travaillent-ils plus. » — Buchez et Roux, XXXII, 426, Mémoires de Senar. — Moniteur, XVIII, 346 (séance de la Convention, 14 brumaire, discours de Legendre).
  54. Moniteur, XIX, 691 (Discours de Tallien, 12 mars 1794). — Buchez et Roux, XXXII, 423 (Lettre de Jullien, 15 juin 1794).
  55. Archives nationales, AF, II, 111 (Lettre de Michaud, Châteauroux, 18 et 19 pluviôse an II).
  56. Dauban, Paris en 1794, 480, 492, 494 (Lettres de l’agent national du district de Sancoins, 9 thermidor an II ; du directoire de l’Allier, 9 thermidor ; de l’agent national du district de Villefort, 19 thermidor). — Gouverneur Morris (Lettre à Washington, 10 avril 1794) : « La famine, en beaucoup d’endroits, a sévi avec la plus grande rigueur. Des hommes sont réellement morts de faim, avec les moyens d’acheter du pain, s’ils avaient pu s’en procurer. »
  57. Volney, Voyage en Orient, II, 344 : « Si Constantinople manque de vivres, on affame vingt provinces pour lui en fournir. »
  58. Archives nationales, AF, II, 46, 68 (Arrêtés du Comité de Salut public). Le Trésor verse dans la caisse de la Ville de Paris, pour les subsistances, le 2 août 1793, 2 millions ; le 14 août, 3 ; le 2 septembre, 1 ; le 8 septembre, 1 ; le 16 septembre, 1 ; le 23 septembre, 1, et ainsi de suite : 1 million le 10 frimaire ; 1, le 17 ; 1, le 22 ; 2, le 26 ; 2, le 17 nivôse ; 2, le 5 pluviôse ; 2, le 20 pluviôse ; 1, le 7 ventôse ; 2, le 24 ventôse ; 2, le 7 germinal ; 2, le 15 germinal. — Du 7 août 1793 au 19 germinal an II, le Trésor a déjà fourni à Paris 31 millions.
  59. Ib., AF, II, 68. Arrêtés du 14 brumaire, du 7 nivôse et du 22 germinal, sur les départements affectés à l’approvisionnement de Paris. — Buchez et Roux, XXVIII, 487 (Discours de Danton aux Jacobins, 28 août 1793) : « Je ne cessai de répéter qu’il fallait tout donner au maire de Paris, si celui-ci l’exigeait, pour nourrir ses habitants… Sacrifions 110 millions, et sauvons Paris et, dans lui, la République. »
  60. Archives des affaires étrangères, tomes 1410 et 1411. Rapports du 20 et du 21 juin 1793, des 21, 22, 28, 29 et 31 juillet, de tous les jours des mois d’août et de septembre 1793. — Schmidt, Tableaux de la Révolution française, tome II, passim. — Dauban, Paris en 1794 (notamment pour tous les jours du mois de ventôse an II). — Archives nationales, F7, 31167 (Rapports pour le mois de nivôse an II).
  61. Dauban, 138 (Rapport du 2 ventôse).
  62. Mercier, Paris pendant la Révolution, I, 355.
  63. Archives des affaires étrangères, 1411 (Rapports du 1er au 2 août 1793) : « À une heure du matin, nous avons été étonnés de trouver des hommes et des femmes couchés le long des maisons, et attendant sans bruit l’ouverture des boutiques. » — Dauban, 231 (Rapport du 24 ventôse). À la tuerie des cochons, près du Jardin des Plantes, « pour obtenir une fressure, au taux de 3 fr. 10, au lieu de trente sous comme autrefois, les femmes couchées par terre, avec leur petit panier, font des stations de quatre à cinq heures ».
  64. Archives nationales, F7, 31167 (Rapports des 9 et 28 nivôse) : « Les rues de Paris sont toujours abominables ; on craint sûrement d’user les balets (sic). » — Dauban, 120 (9 ventôse) : « La rue Sainte-Anne est encombrée de fumiers dans la partie qui avoisine la rue Louvois, il y en a des tas le long des murs, qui y séjournent depuis quinze jours. »
  65. Archives des affaires étrangères, tome 1411 (Rapports du 9 août 1793). — Mercier, I, 353. — Dauban, 530 (Rapports du 27 fructidor an II) : « Toujours de grands attroupements aux ports de charbon ; ils commencent dès minuit, une heure et deux heures du matin. Plusieurs de ces habitués profitent de l’ombre de la nuit pour commettre mille indécences. »
  66. Schmidt, Tableaux de la Révolution française, II, 155 (Rapports du 25 ventôse). — Dauban, 188 (Rapports du 19 ventôse). — Ib., 69 (Rapports du 2 ventôse). — Ib., 126 (Rapports du 10 ventôse). — Archives nationales, F7, 31167 (Rapports du 28 nivôse an II). Les femmes crient « contre les bouchers et les charcutiers qui ne respectent nullement la loi du maximum et ne donnent aux pauvres que la viande inférieure ». — Ib. (Rapports du 6 nivôse) : « Il est affreux de voir ce que les bouchers donnent au peuple. »
  67. Mercier, ib., 353 : « Les femmes luttèrent de force contre les hommes, contractèrent l’habitude de jurer… Les derniers de la file surent se faufiler au premier rang. » — Buchez et Roux, XXVIII, 364 (Journal de la Montagne, 28 juillet 1793) : « Un citoyen a été tué, dimanche 21 juillet, rue des Gravilliers, en défendant un pain de six livres qu’il venait de se procurer pour lui et sa famille. Un autre a eu le bras coupé, le même jour, dans la rue Froid-Manteau. Une femme enceinte a été blessée, son enfant a été étouffé dans son sein. »
  68. Dauban, 256 (Rapports du 27 ventôse). Marché du faubourg Saint-Antoine : « On ne se f… pas de coups de poing depuis deux ou trois jours ».
  69. Archives des affaires étrangères, tome 1410 (Rapports du 6 au 7 août 1793).
  70. Dauban, 144 (Rapports du 13 ventôse).
  71. Dauban, 199 (Rapports du 19 ventôse). — Dauban, la Démagogie en 1793, 470 : « À peine les paysans sont-ils arrivés, que des harpyes, sous l’habillement de femmes, se jettent sur eux et leur enlèvent leurs marchandises. Hier, un paysan a été battu par des femmes, pour avoir voulu vendre ses denrées sur le pied du maximum. » (19 octobre 1793.) — Dauban, Paris en 1794, 144, 173, 199 (Rapports des 13, 17, 19 ventôse). — Archives des affaires étrangères, tome 1410 (Rapports du 26 au 27 juin 1793). Pillage de voitures de chandelles, de bateaux de chandelles et de savon.
  72. Dauban, ib., 45 (Rapports du 17 pluviôse) ; 227 (Rapports du 28 ventôse) ; 160 (Rapports du 15 ventôse) ; 340 (Rapports du 28 germinal) ; 87 (Rapports du 5 ventôse).
  73. Archives nationales, AF, II, 116 (Arrêté de Paganel, Castres, 6 et 7 pluviôse an II) : « La mesure du recensement n’a pas rempli son objet… Les déclarations ont été infidèles ou inexactes. » — Cf., pour les détails, la correspondance des autres représentants en mission. — Dauban, Paris en 1794, 190 (Discours de Fouquier-Tinville à la Convention, 19 ventôse) : « Le maire de Pont-Saint-Maxence a osé dire : « Quand on nous enverra du sucre de Paris, nous verrons alors si nous lui ferons passer nos œufs et notre beurre. »
  74. Archives des affaires étrangères, tome 1411 (Rapports du 7 au 8 août 1793) : « On a arrêté aux diverses barrières 7500 livres de pain qui allaient sortir. » — Dauban, 45 (ordre du jour du 17 pluviôse). Établissement de réverbères à tous les postes, « surtout à la Grève et à Passy, pour éclairer la rivière et mieux voir si les comestibles ne sortent pas ». — Mercier, I, 355. — Dauban, 181 (Rapports du 18 ventôse), 210 (Rapports du 21 ventôse). — 190 (Discours de Fouquier, 19 ventôse) : « Les bouchers de Paris, qui ne peuvent vendre qu’au prix du maximum, apportent chez les bouchers de Sèvres la viande qu’ils achètent, et vendent au prix que bon leur semble. » — 257 (Rapports du 27 ventôse) : « Chez les marchands de la maison Égalité, vers dix heures du soir, on voit arriver les aristocrates et autres égoïstes, pour acheter les poulardes et les dindes, qu’ils cachent soigneusement sous leur redingote. »
  75. Dauban, 255 (Ordre du jour de Henriot, 27 ventôse) : « J’invite mes frères d’armes à ne s’emparer d’aucune denrée quelconque ; cette petite privation fera taire les malveillants qui cherchent sans cesse l’occasion de nous humilier. » — Ib., 359 : « Le 29 floréal, entre quatre et cinq heures du matin, une patrouille d’environ quinze hommes de la section du Bonnet-Rouge, ayant à leur tête une espèce de commissaire, arrêtaient les subsistances sur la route d’Orléans, les conduisaient dans leur section. »
  76. Dauban, 341 (Lettre de la Commission des subsistances, 23 germinal) : « Les denrées sont soustraites aux yeux du peuple, ou lui sont offertes d’une qualité très altérée. » — La Commission s’étonne qu’ayant fourni tant de denrées aux détaillants, il en arrive si peu aux consommateurs.
  77. Archives des affaires étrangères, tome 1411 (Rapports du 11-12 août, du 31 août-1er septembre 1793). — Archives nationales, F7, 31167 (Rapports des 7 et 12 nivôse an II).
  78. Dauban, Paris en 1794, 60, 68, 69, 71, 82, 93, 216, 231. — Schmidt, Tableaux de Paris, II, 187, 190. — Archives nationales, F7, 31167 (Rapport de Leharivel, 7 nivôse). — (Les ouvriers armuriers, à la solde de l’État, disent aussi que depuis longtemps ils ne vivent plus que de pain et de fromage.)
  79. Dauban, 231 (Rapport de Perrière, 24 ventôse) : « Le beurre, dont on fait un Dieu. »
  80. Ib., 68 (Rapport du 2 ventôse).
  81. Archives nationales, F7, 31167 (Rapports du 28 nivôse). — Dauban, 144 (Rapports du 14 ventôse).
  82. Dauban, 81 (Rapport de Latour-Lamontagne, 4 ventôse).