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Les Pantins des boulevards, ou bordels de Thalie/05-2

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Poulet-Malassis (1 et 2p. 41-73).

CINQUIÈME CONFESSION
DES CI-DEVANT GRIMACIERS


Sous la direction du paillasse à Ricci l’Italien et du seigneur Beauvisage, aboyeur du théâtre des danseurs de corde, morts l’un et l’autre au champ de la gloire, à la suite d’Intempérance ; lesquels grimaciers sont restés sous la direction de Sallé, qui, depuis la perte de son œil et la déconstruction de sa figure, fait maintenant à lui seul plus de grimaces que toute sa troupe.
Adressée de même au compère Mathieu.

le compère mathieu.

Quoiqu’il soit bien dégoûtant de venir sonder les replis de la conscience de gens qui n’en ont jamais eu, il faut que moi, compère Mathieu, je remplisse dignement la tâche que je me suis imposée, que j’examine avec attention ces êtres différents, dont la réputation devient étonnante parmi les savoyards du boulevard, depuis que Charles IX a illustré leur scène. Depuis que cette classe vile et rampante a cessé de montrer son polichinelle sur leurs planches méprisables, elle n’a pas discontinué de faire des bamboches : voyons à qui de ces indignes farceurs je donnerai la préférence[1].

(À madame Salé)[2].

Levez les yeux, madame, et ne rougissez pas en ma présence. Je connais vos anciens déportements, le penchant irrésistible que vous aviez à l’amour, le tort que vous avez eu de vous laisser enconner par Ribié, ce roué des grands danseurs ; et qu’après vous avoir foutue, et vous avoir procuré la plus agréable des jouissances pour votre tempérament, le jeanfoutre s’en est vanté partout, et vous a exposée aux doutes de votre époux. Vous avez été assez punie de ces excès de lubricité : vous réparez, par une sage conduite, les désordres des fouteries auxquelles vous vous êtes livrée. Je vous accorde une absolution sans réserve, une amnistie générale ; allez en paix.

(À Sallé.)

Eh bien ! monsieur le directeur, vous ne changerez donc jamais, et malgré votre ignoble naissance, malgré le tire-pied dont votre cher oncle, très-révérend savetier de la paroisse de la Madeleine de la Ville-l’Évêque, vous a traité à peu près comme un abbé Maury, vous ne cesserez donc de courir les coquines, d’y commettre les infâmes horreurs que ne peuvent se permettre tout au plus que des sales débauchés de votre trempe ! En vérité, je vous avoue que je suis infiniment scandalisé de votre conduite. Encore témoignez-vous du ressentiment de ce que votre femme vous a fait mainte et mainte fois cocu ! Mais, détestable paillard, rendez-vous justice une bonne fois dans votre vie, et confessez au compère Mathieu que, de tous les cocus qui sont répandus sur la surface de la terre, aucun ne le mérite sans contredit plus que vous, n’est réellement plus digne de l’être, et que le titre de jeanfoutre vous est dû à tant d’égards, que vous avez en vérité bien tort de vous en plaindre.

sallé.

Eh ! que peut-on encore me reprocher ?

le compère mathieu.

Toutes vos débauches, votre lésinerie, vos infâmes luxures avec votre femme, qui, fatiguée de les souffrir, s’y est refusée.

sallé.

Et voilà directement la cause de mes escampativos au bordel et de mes fréquentes liaisons avec les charmantes petites filles que j’ai connues ! Ma femme ne veut foutre qu’en bourgeoise ; elle ne se livre au plaisir que par manière d’acquit. Je ne crois pas qu’elle ait manié mon vit deux fois dans sa vie. Croyez-vous de bonne foi que ce soit à foutre un con que je borne mes lubriques exploits ? Non, pas du tout ; ce sont ces charmants préludes qui m’intéressent, ces chatouillements de couilles, ces coups de langue voluptueux dardés avec art, tant sur la tête du prépuce que dans le clitoris, qui parviennent à me faire guinder mon allumette ; c’est mon souverain bien, c’est ma félicité suprême, et il y a sans doute longtemps que je ne foutrais plus sans toutes ces agréables ressources, inventées par la prostitution pour ranimer la vigueur éteinte d’un fouteur épuisé, et faire bander un homme atténué par l’excès des jouissances.

le compère mathieu.

C’est sans doute de cette manière que se sont comportées avec vous la grande Manon, cette ancienne impudique farceuse de vos tréteaux[3], Babet, Allier, la Maisonneuve, Fleury Cadette, et la multiplicité des autres putains que vous avez eues à votre solde et à qui vous donniez six francs par semaine pour vous claquer les fesses et vous travailler la marchandise ?

sallé.

Tout au contraire, compère, vous êtes dans l’erreur comme bien d’autres ; et loin de me faire diaprer le derrière par ces gourgandines, c’est au contraire moi qui leur cinglais le postérieur à grands coups de verges. La nécessité les engageait à se prêter à cette bizarre fouterie de ma part, et je n’ai, foi de Sallé, jamais si bien bandé que lorsque j’ai pu voir sur le cul de l’une de ces bougresses les sillons bien imprimés d’une poignée de verges.

le compère mathieu.

C’était prendre la mode à rebours.

sallé.

Et je m’en suis bien trouvé. Si vous m’eussiez vu, les traits animés par la fouterie, nu comme le père Adam, tenant mon vit d’une main, et de l’autre l’instrument d’un correcteur, poursuivre une femme, nue de même, qui, se sauvant de cette fustigation, m’excitait encore plus au plaisir, vous eussiez été enchanté de ce libidineux exercice, et je suis persuadé que la vue de ce tableau de fouterie vous aurait fait bander vous-même !

le compère mathieu.

Et c’est ainsi, vieux cocu, vieux pécheur, que vous martyrisez les fesses d’une jolie femme. Quelle manie ! et quel raffinement de lubricité ! Et c’est ainsi que vous trompez toutes vos connaissances, par un extérieur hypocrite ! Insigne débauché, rends tes épaulettes à une nation à qui tu les as extorquées. L’habit national français ne convient qu’à un brave homme, et non à un guerrier à femmes de ta trempe, dont les exploits se bornent à lever un cotillon et à examiner, de l’œil chassieux qui lui reste, le con d’une prostituée, et qui, comme jeanfoutre, parle de ses prouesses à la Bastille, tandis qu’en plat gueux il fuyait comme un viédase vers les nobles remparts de la Courtille !

sallé.

Vous n’avez pas d’indulgence.

le compère mathieu.

Non, pour les sots bougres qui te ressemblent. Va-t-en ; mais retiens bien ce couplet :

Toi, sale et dégoûtant visage,
Modèle des iniquités,
De ton vit fais toujours usage,
Instrument de perversités ;
Si, vil rebut de la nature,
Tu perdis l’œil en libertin,
Ton corps, de même en pourriture,
Sera le fait de ta putain.

(À Pompée.)

Héros de rempart, noble et sublime Pompée, vous qui avez blanchi sous le harnois de la boutique aux bamboches, avant que l’histrionage fût de votre compétence, qu’étiez-vous ? que faisiez-vous ?

pompée.

Ignorez-vous que le célèbre Pompée était compagnon fourbisseur, le tenant des tripots de la rue Tiquetonne, le protecteur des raccrocheuses à la petite journée et le brelandier des dégoûtants cabarets de la Courtille, où j’ai fait mes premières études dans l’art illustre qui m’a mis à même de chausser le cothurne sur les douves mal ajustées du bordel des Associés.

le compère mathieu.

Je sais cela ; mais pourquoi vous être mis à la mode, et vous être approximé avec une putain ?

pompée.

Mon intérêt m’en a prescrit l’ordonnance. D’ailleurs, pourquoi aurais-je été le seul maquereau de ce taudion ? Est-ce par la sagesse que Pompée eût voulu se distinguer ! Mais ma femme, ou plutôt ma concubine est honnête.

le compère mathieu.

Ce n’est pas là ce qu’assure la chronique des boulevards : le bruit public prétend que c’est moins en faveur de ses talents théâtrals et des vôtres que Sallé vous loge et vous chausse, et que les yeux dépareillés de votre déesse ont captivé ce borgne débauché.

pompée.

Cela peut être ; mais foutre avec son directeur n’est pas un crime irrémissible. Il fallait d’ailleurs qu’elle se soumit à l’usage, et ce fut rarement sans prêter son cul à ce satyre qu’on parvint à se loger chez lui.

le compère mathieu.

Que faisait-elle avant son entrée dans la clique ?

pompée.

Hélas ! comme les autres ; elle arpentait le boulevard, faisait des dîners chez Hainsselin, chez Leneveu, gagnait le petit écu : ainsi roule le commerce ; mais je la tiens sur un bon pied, et excepté quelques connaissances utiles et lucratives, je n’ai point à me plaindre de sa conduite.

le compère mathieu.

Bravo ! mon cher Pompée, bravo ! continuez ; vous et votre femme, vous vous comportez en bons citoyens, et je ne m’en plains pas.

pompée.

Je vous remercie.

le compère mathieu, à mademoiselle
Fleury aînée.

Eh bien ! sainte nitouche, que faites-vous de votre Puisart ?

fleury aînée.

Ce que j’en fais ? Mon fouteur aimable ! je l’adore en faveur de ses talents ; nul ne possède plus que lui l’art de foutre : c’est mon trésor ; et si j’ai un reproche à lui faire, c’est de me fabriquer des enfants. Je ne sais pas comment ce bougre-là s’y prend, mais je ne puis pas laisser aller le chat au fromage, et son vit n’a jamais sondé la profondeur de ma vaste matrice, que je n’y ai été prise.

le compère mathieu.

Mais dans la quantité de ces enfants, Sallé n’y aurait-il pas mis la main ?

fleury aînée.

À la vérité ; oui, mais, vous le savez, c’est son habitude ; et si vous voulez être bien avec ce bougre-là, il faut absolument lui passer sous le ventre : je ne doute même pas qu’au premier moment il n’en fasse la clause principale de son engagement.

le compère mathieu.

Mais, mademoiselle Fleury, avec votre ton nasillard et votre air de prude réservée, je crois avoir des reproches à vous faire, et ce n’est pas sans raison. Je suis étonné, non pas que, semblable à vos chères compagnes, vous soyez putain comme elles, il faut en tout suivre le torrent, et puisque le foutre est votre élément, foutez, je vous en féliciterai toujours, — mais qu’avec votre digne sœur vous ayez joué le rôle de barbotteuse à la foire Saint-Germain l’année 1788, et que sous vos auspices cette même digne sœur fasse encore des pratiques en ville ; voilà ce que je trouve affreux, et ce que je m’apprête à lui reprocher à son tour.

fleury aînée.

Ah ! pour le coup, mon cher compère, vous radotez. Si ma sœur cadette fait des michés, apprenez que c’est sans mon consentement et tenez, la voici ; malgré son air acariâtre et son bégueulisme, elle est assez franche pour tout vous avouer.

fleury cadette.

Eh ! sans doute, pourquoi n’avouerai-je pas au compère ce que tout le monde sait ! J’ai de faibles appointements ; mais j’ai un beau cul, le plus joli con de la troupe ; ma gorge, quoique flasque et desséchée, fournit mille agréments à tous les ribauds ; or, je me sers de tous ces avantages, et je crois ne pouvoir mieux faire.

le compère mathieu.

J’aime la naïveté de cet aveu, mais il n’est pas complet. Eh quoi ! courtisane si experte, nous direz-vous le nom de votre tenant actuel, de ce vieux paillard qui vient consumer ses instants au spectacle, qui vous lorgne avec tant d’ardeur, qui vous fout des yeux, si je dois m’exprimer ainsi ?

fleury cadette.

Son nom n’est pas un mystère, c’est le vieux Deschapelle[4], chez lequel je suis introduite tous les matins, et qui s’amuse à patiner mes appas, qui me fatigue surtout, à la vérité, et que je rébuterais entièrement, si le mirliflore ne chantait à merveille et ne me fournissait ma défroque.

le compère mathieu.

Quoi ! c’est là le vieux cancre qui maintenant exploite votre bijou ?

fleury cadette.

Lui-même. Eh ! plût à Dieu que je fusse assez à mon aise pour me dispenser de foutre avec ce penard ! Il agit avec moi, non comme avec une femme voluptueuse dont on met en usage les ressources lubriques, mais comme avec une putain qu’on a payée pour foutre et qu’on renvoie après. À peine suis-je entrée dans son cabinet, que le vieux bougre saute sur moi comme le faucon sur sa proie, me renverse sur le premier meuble qu’il trouve à sa portée, me dérange mon mouchoir, patine mes tétons, me trousse, me présente son vit, et se dispose à me le mettre ! Point de préludes enchanteurs avec lui. Il est vrai que son membre viril est de bonne taille, nerveux, et qu’il fout bien ; mais, hélas ! qu’est-ce que le plaisir de foutre, quand il est borné ! J’aime la fouterie, c’est une vérité, mais c’est quand elle est accompagnée d’agréments.

le compère mathieu.

Mais vous avez foutu, dit-on, avec Godet le limonadier.

fleury cadette.

C’est encore une vérité bien pure ; mais, excédée par les tracasseries de sa femme, à qui il ne reste que quelques chicots pour montrer les dents à son mari, je fus obligée d’abandonner cet agréable commerce, et ce valeureux champion du bois de Vincennes ne me fout plus. Je m’en dédommage avec le premier venu. Eh ! toujours va qui dure !

le compère mathieu.

Fort bien ; je suis ravi de vous avoir entendue. Un petit mot de précepte, et votre affaire est toisée.

Si foutre ici vous paraît agréable,
Profitez-en chacun à sa façon ;
Oui, que l’approche d’un vit formidable,
Vous chatouille l’entrée de votre con.
C’est le vœu de votre cher compère,
Et ces graves préceptes l’ont décrit,
Que toute femme aimable sur la terre
Doit décharger en voyant un gros vit.

Le bel emploi pour charmante fouteuse
Que de glaner des priapées à foison !

Quand elle est jeune et leste, vigoureuse,
Chacun s’empresse d’encenser son con.
Ne cessez donc d’en faire un digne usage,
De pressurer ce doux jus de couillons :
Foutre sans cesse est un si bel usage,
Qu’il faut qu’en vous il coule à gros bouillons.

(À Julien.)

Je ne vous ai point oublié, homme à maximes, qui jouez l’être raisonnable, et n’êtes en fait qu’un tartuffe ; venez ici me démentir à mon tribunal : osez me nier que vous ne soyez pas le mignon favori de nos femmes de sérail !

julien.

Qui, moi ! ah ! je suis la probité même.

le compère mathieu.

Oh ? oui, si l’on fait ordinairement consister la probité à foutre sans distinction des personnes de tout âge et des deux sexes ; car on sait dans Paris, mon cher ami, et d’un bout à l’autre, que, sans être bardache, vous vous amusez dans vos moments de récréations foutatives, à foutre votre homme tout comme un autre.

julien.

Eh ! j’ai cela de commun avec à peu près tous les êtres qui ne respirent que pour foutre ! Ignorez-vous, compère, que je dois une partie de mon avancement au marquis de Villette, dont je serais devenu le secrétaire, si j’avais voulu apprendre à écrire, et qu’au défaut de ce titre, il a fallu que je me contentasse du titre de son jockey, dont il s’amusait suivant l’occasion. Oui, sans doute, c’est à ce maître si connu, si zélé pour les sectateurs de Gomorrhe, que je dois mes notions sur la fouterie à visage retourné ; c’est un de mes passe-temps délicieux, et je le mets en usage aussi souvent que j’en trouve l’occasion.

De cette aimable bagatelle,
Ne m’en voulez pas, mon enfant ;
Car, avec plus d’une pucelle,
J’ai fait ce péché si charmant.
Même fouterie est importune,
C’est mon défaut, chacun a le sien,
Foutre en cul, voilà ma fortune (bis),
Et baiser en con est mon bien (bis).

le compère mathieu.

C’est toujours quelque chose ; mais pourquoi n’êtes-vous donc pas classé dans l’almanach des enfants de Sodome ?

julien.

Ah ! c’est que j’ignorais le nom de son auteur ; sans quoi, soyez bien persuadé que j’y serais couché tout de mon long. Yon, notre cher voisin, notre limonadier, notre restaurateur en punch au vin de champagne, n’a-t-il pas réclamé sa protection, pour jouir à cet égard de ses droits honorifiques !

le compère mathieu.

C’est une justice à lui rendre ; ce titre si précieux ne lui sera jamais disputé : c’est à lui qu’il doit les premiers degrés de sa splendeur ; mais passons. Quelle est cette jeune personne, dont l’abord paraît si affligé ? Eh ! c’est, si je ne me trompe, madame Léger. Approchez-vous, mérotte ? Qu’avez-vous sur le cœur ? quel est le sujet de vos chagrins ?

madame léger.

Ses infidélités continuelles, et qui sont cause de ma séparation d’avec lui.

le compère mathieu.

Vous appelez infidélités ce qui n’est, de sa part, qu’un assemblage perpétuel de roueries, de brigandages. Ah ! cessez, belle enfant, d’appeler votre mari le maquereau connu des infantes en sabots du boulevard et de la place Louis XV. Qu’il continue à se vautrer dans ses ordures ; et pour l’oublier entièrement, tenez, ma poulette, appliquez-vous sur l’estomac Alexandre, le vigoureux Alexandre qui se présente : vous le désirez peut-être autant que lui.

madame léger.

Ah ! cher compère, la chose est déjà faite ; il y a plus de trois mois qu’Alexandre m’a foutue pour la première fois ; mais c’est queussi-queumi je ne suis pas plus satisfaite de l’un que de l’autre : le premier était et est encore un crapuleux, et le second, quoique de mine plus trompeuse, est aussi un libertin.

le compère mathieu.

Mais ce que vous dites là n’est pas possible !

madame léger.

Et cependant rien n’est plus vrai.

le compère mathieu.

C’est un examen à faire. Comment ! gros père, vous courez donc aussi la gourgandine ?

alexandre.

Et de quel pays venez-vous pour ignorer que je ne puis exister sans boire, sans foutre, et qu’il me serait impossible de me borner à faire le langoureux auprès d’une femme qui n’en voudrait que pour elle. Je ressemble au héros dont je porte le nom magnifique. Madame ma très-chère épouse s’y est bien accoutumée ; pourquoi l’épouse d’un autre ne s’y accoutumerait-elle pas ?

le compère mathieu.

Mais cette conduite n’est rien moins qu’honnête.

alexandre.

Que diable voulez-vous ! C’est le naturel d’Alexandre, et je vous assure que je ne me résoudrai pas pour plaire à personne, pas même à vous, qui vous érigez en réformateur et qui ne valez pas mieux que celui qui vous fait parler.

le compère mathieu.

Comment ! celui qui me fait parler ?

alexandre.

Sans doute, celui qui vous fait parler. Croyez-vous que nous ne le connaissions pas ? Et si vous n’êtes pas plus heureux en recueillant des confessions qu’il ne l’est à élever ses enfants et à produire de mauvaises pièces au théâtre de Nicolet, le pauvre bougre est foutu comme Jean de Vert.

le compère mathieu.

Brisons sur cet article.

alexandre.

Oh ! volontiers ; que demandez-vous donc à présent ?

le compère mathieu.

L’emploi de votre temps, quand vous étiez un misérable farceur dans un taudion appartenant au sieur Prin, dans la ville de Versailles.

alexandre.

Puisqu’il faut encore contenter votre curiosité sur cet article, j’y foutais, je me soûlais, j’y redressais mes créanciers, et voilà ce que j’appelle passer joyeusement la vie !

le compère mathieu.

Oui, pour un mauvais sujet, ce n’est pas mal s’en tirer.

alexandre.

Vous plaisantez, débiteur de sornettes.

Air : Vive le vin.

À foutre et boire nuit et jour,

Je passe mon temps sans retour :
J’amuse ainsi ma pauvre vie.
Pour bannir la monotonie,
Je me fais un heureux destin
De branler du soir au matin
Le beau con de ma tendre amie.

Après le métier de fouteur,
Je m’érige en fameux buveur,
Et je m’échappe sous la treille ;
Là je bois, c’est une merveille,
Et quand j’ai quitté mon flacon,
De ma beauté je retâte le con,
Je le fouts d’ardeur sans pareille.

le compère mathieu.

Je défie qu’on puisse s’ennuyer avec ces deux passions.

alexandre.

Vous le croyez ? Eh bien ! c’est encore ce qui vous trompe. Quand j’ai bien bu et que j’ai bien foutu, que je n’ai plus soif et que je ne bande plus, je voudrais dormir, et alors je ne m’ennuierais pas ; mais c’est ma femme que je trouve là pour me faire enrager. Elle me tâte et me retâte, mais je t’en fouts. Rien, absolument net comme sur la main ; là, pas ce qui s’appelle seulement une ligne de vit. Elle fait le diable à quatre ; nous nous baillons maritalement quelques taloches. Cela dure une bonne partie de la nuit ; le jour souvent nous surprend dans cette bénigne occupation. Alors, zeste, je décampe pour rejoindre mes péchés d’habitude, et une heure après je suis à la tabagie, au cabaret ou au bordel.

le compère mathieu.

Ainsi, l’on devient vieux.

alexandre.

Qu’y faire ? c’est une demi-foutaize. Quand je serai sur l’âge, que ma cheville ouvrière ne me rendra plus service, je ferai comme les autres : je soutiendrai quelque chenil. Un maquereau de plus ou de moins, cela n’empêchera pas la constitution de s’achever, et les calotins d’aller au cinquante-cinq foutre, et de là à tous les diables !… Jusqu’au revoir, compère Mathieu.

le compère mathieu.

Au moins il est franc et jovial. Expédions le reste. Voilà mademoiselle Chassinet, MM. Verneuil et Dorfeuil ; ce sera, je crois, finir ma besogne d’une façon méritoire.

(À mademoiselle Chassinet.)

Et vous, aimable coureuse ?

mademoiselle chassinet.

Moi ! en trois coups de dix, j’ai toujours été la perle des coquines ; je fouts de prédilection avec celui qui paye ; mon père le sait, mais je le nourris ; il trouve que cela lui est plus profitable que les souplesses de son chien Cavales[5].

le compère mathieu.

C’est une bien belle chose que la piété filiale.

mademoiselle chassinet.

N’avez-vous que cela à me dire ? Je vous quitte.

le compère mathieu.

Je n’y perds pas gros ! Vous, Dorfeuil, vos prouesses sont connues.

dorfeuil.

Et je n’en fais pas le fin. Je recrute les beautés de sérail pour les faire débuter aux Associés. Cela peut bien, je crois, s’appeler maquereller pour le directeur, qui les fout toutes les unes après les autres, ou qui s’en fait au moins branler. Par reconnaissance, il me donne des gratifications, que je mange au billard de Dournel, le plus fameux tripotin du boulevard. Ce n’est pas là un malheur. Du reste, ma vie est irréprochable. Oh ! en conscience et foi d’honnête bateleur.

le compère mathieu.

Mais, que faites-vous journellement au café des Arts ?

dorfeuil.

Je n’y vais plus ; et quand j’y tournais mes pas, c’était pour y foutre cette gueuse de Duval ; mais depuis certaine gonorrhée.

Et non, non, non,
Non, je n’irai pas davantage.

le compère mathieu.

À la bonne heure ; c’est à ce prix que je ne veux pas d’autres révélations de vos faiblesses. Pour vous, Verneuil, vous êtes un pauvre hère qui n’auriez rien de bon à me dire, et conséquemment rien d’intéressant à me raconter. Ainsi, je vous laisse. Je pourrais de même tirer quelques plaisants aveux de l’aboyeur de la porte ; mais je sais qu’en ce moment il est occupé pour les intérêts de Sallé à la crèche, rue de la Bûcherie, à faire mouver les trois Rois, à branler sur son pivot la Vierge, saint Joseph et l’enfant Jésus. Il ne me reste plus qu’à vous souhaiter pour débutants et pour camarades, à l’entrée de la foire Saint-Germain prochaine, l’âne et le bœuf de ce spectacle ridicule, et j’y joins le vœu sincère d’une semblable caricature.

Voici cependant encore un de mes airs ordinaires, que je vous recommande de chanter en chœur :

Assemblage de foutues gueuses,
Si bêtes, si laides et creuses,

Tâtez donc toujours des engins :
C’est là le métier des putains (bis) ;
Et vous, méprisable sequelle.
Servez donc toujours de modèle
À votre charmant directeur,
Ce malin bougre sans honneur (bis).

Renforcez toujours votre clique,
Votre détestable boutique,
De maquereaux et de catins,
De farceurs et de sots pantins (bis).
Je veux vous voir l’année prochaine
Chansonner à perte d’haleine :
Ce sont les agréables vœux
Que je fais pour vous, tas de gueux (bis) !

  1. Toute la troupe est rassemblée sur le théâtre et autour du compère, pour répondre à ses questions.
  2. Maintenant être de toute nullité ; les grâces, les amours l’ont abandonnée ; elle n’a plus pour elle que la ressource du ménage et les mauvais traitements de son mari.
  3. Vivant de ce temps avec Dumont de Sainte-Marie, ancien pantin de ce spectacle.
  4. Payeur de rentes en Touraine.
  5. Chien renommé pour les marionnettes.