Les Parties des animaux

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Traités des parties des animaux et de la marche des animaux, tome I
traduits pour la première fois en français et accompagnés de notes perpétuelles par J. Barthélemy-Saint Hilaire
Traduction par Jules Barthélemy-Saint-Hilaire.
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Texte établi par Jules Barthélemy-Saint-HilaireLibrairie Hachette.

PRÉFACE


Place du traité des Parties des Animaux dans le système zoologique d’Aristote ; caractère de cet ouvrage de physiologie comparée ; analyse de ses quatre livres ; la physiologie avant Aristote ; physiologie de Platon dans le Timée ; successeurs d’Aristote : Cicéron, Celse, Sénèque, Pline, Rufus, Galien, Oribase, Mundino, Vésale, Faloppe, Eustachi, Ambroise Paré, Fabrice d’Acquapendente, Harvey, Descartes, Thomas Willis, Linné, Buffon, Vicq d’Azyr, Bichat, Haller, Cuvier, Jean Muller, Agassiz, Claude Bernard, M. H. Milne-Edwards ; résumé de l’histoire de la physiologie ; définition de l’histoire naturelle ; divisions de la zoologie générale, en zoologie descriptive, anatomie comparée, et physiologie comparée ; ordre respectif de ces trois sciences ; l’anatomie est la première ; la physiologie est la dernière ; elle devient surtout expérimentale ; ressources actuelles de la science ; deux erreurs peuvent la compromettre, le transformisme et l’athéisme ; objections contre ces deux théories décevantes ; rapports de la philosophie et des sciences ; conclusion sur Aristote et sur la physiologie comparée.

Quelle place le traité des Parties des Animaux tient-il dans la zoologie d’Aristote ? Marquons-le tout d’abord ; nous marquerons ensuite la place que ce traité occupe dans l’histoire de la science, dont il est le fondement et dont il a préparé tous les progrès.

Selon le témoignage même de l’auteur, le traité des Parties vient après l’Histoire des Animaux, et il précède le traité de la Génération, complément de toutes les investigations antérieures, de même que, dans l’ordre de la nature, l’acte de la génération est la fonction suprême de l’être animé, qui ne s’est développé que pour transmettre la vie, qu’il a reçue sous une certaine forme, à des êtres qui la perpétueront sous la même forme que lui. Placé ainsi entre la description des animaux, telle qu’Aristote l’a conçue, et la théorie de leur reproduction, le traité des Parties n’est pas moins qu’une œuvre de physiologie et d’anatomie, considérées dans toute la série animale.

Sans doute, cet ouvrage, composé il y a vingt-deux siècles, est pour nous beaucoup moins instructif que ceux qui de nos jours justifient le beau titre de physiologie comparée et d’anatomie comparée, en nous apprenant où en est actuellement la science qui s’efforce de pénétrer le mystère de la vie ; mais le traité des Parties, tout ancien qu’il est, quelque insuffisant qu’il puisse paraître, n’en mérite pas moins pour toujours cette pieuse vénération que les fils reconnaissants doivent à des ancêtres sans lesquels ils n’eussent rien été. Un regard impartial et respectueux jeté sur ce passé reculé peut en outre nous servir à prévoir quelque chose de l’avenir et des conquêtes que la science se promet encore ; car celles qu’elle a déjà faites lui enseignent la voie qu’elle est tenue d’adopter pour en faire de nouvelles, et pour ne point s’égarer.

Physiologie comparée, anatomie comparée ! Ces mots sembleront peut-être bien ambitieux quand on les entend attribuer à cet antique monument. Mais il n’y a point à s’y tromper : si le génie grec n’a pas inventé le mot, il a fait la chose ; ce qui est mieux. Le traité des Parties le prouverait, fût-il isolé ; mais, loin d’être seul, il n’est qu’un fragment d’un vaste système. Sans parler du Traité de l’Âme, qui est une théorie du principe vital depuis la plante jusqu’à l’homme, Aristote a fait une foule d’opuscules physiologiques, parmi lesquels le traité des Parties est seulement le plus significatif de tous. Tels sont les traités de la Sensation et des choses sensibles, du Sommeil et de la veille, y compris les rêves, du Mouvement dans les animaux, de la Longévité et de la brièveté de la vie, de la Jeunesse et de la vieillesse, de la Respiration dans tous les êtres doués de cette faculté, de la Marche des animaux, sous ses aspects divers, progression bipède et quadrupède, vol, ondulation, reptation, natation, etc. Tous ces traités, et quelques autres dont nous ne connaissons que les titres, sans savoir ce qu’ils renfermaient, ne sont-ils pas, précisément, de la physiologie comparée ? Aristote n’a-t-il pas appuyé cette physiologie sur une anatomie, qui est moins étendue et moins exacte que la nôtre, mais qui était tout aussi curieuse de la vérité et tout aussi attentive ? N’avait-il pas fait des descriptions et des dessins anatomiques, qui malheureusement ne sont pas arrivés jusqu’à nous, mais auxquels il se réfère sans cesse, pour éclaircir ce qu’il décrit et pour parler aux yeux en même temps qu’aux intelligences ? D’autres traités encore, comme celui de la Nutrition, sont également perdus. Mais ce nombre extraordinaire d’œuvres conservées et d’œuvres que le temps nous a ravies, atteste que nous n’exagérons pas, en parlant de la physiologie comparée d’Aristote, comme nous le ferions d’un cours professé par quelque membre de notre Institut national, dans un de nos établissements publics.

Voyons en effet ce qu’est le traité des Parties, et résumons-en les principaux traits.

Le premier de ses quatre livres est entièrement consacré à la question de la méthode en histoire naturelle. Cette discussion préliminaire est indispensable au frontispice d’un ouvrage où l’on se propose de passer en revue les fonctions principales des animaux, et d’expliquer le mécanisme de toutes celles qui leur sont communes. Il y a très peu de naturalistes parmi les Modernes qui aient songé à prendre ce soin, quelque utile qu’il soit ; c’est que, pour en sentir l’importance, le naturaliste doit être philosophe ; et quand on voit Aristote s’empresser, avec tant de sollicitude et de sagesse, d’établir la méthode qu’il va suivre, on se rappelle que c’est lui qui est le père de la logique. Les règles qu’il trace sont encore celles qui dominent la science, non moins vraies, après tant de siècles d’épreuves, qu’au moment même où il les a découvertes et pratiquées.

La première de ces règles, c’est que l’histoire naturelle doit, pour connaître la vie chez les animaux, étudier les fonctions et les organes par lesquels ces fonctions s’accomplissent, et non pas les espèces d’animaux où on les observe. En s’attachant à étudier les espèces, on se perdrait dans le dédale de répétitions, qui deviendraient bientôt aussi obscures que fastidieuses. Si, après Aristote, on interroge à travers les âges les plus célèbres représentants de la science, Galien, Mundino, Vésale, Fallope, Eustachi, Paré, Harvey, Haller, Cuvier, Jean Muller, et, parmi nos contemporains, M. Henri Milne-Edwards, on se convainc que cette règle n’a rien perdu de son empire. Elle résulte de la nature des choses et elle régit souverainement la science, toutes les fois que la science se rend compte d’elle-même, et qu’elle veut prudemment s’enquérir de ce qu’elle fait. Mais pourquoi est-il préférable de choisir les fonctions plutôt que les espèces ? La réponse est bien simple : c’est que le nombre des fonctions est fort restreint, tandis que les espèces sont à peu près innombrables ; remarque déjà très juste dès le temps d’Aristote, et qui le devient chaque jour davantage, à mesure que le nombre des espèces s’accroît de manière à désespérer toutes les classifications. Pour les fonctions, au contraire, le champ est limité, et nous n’avons pas à craindre qu’il s’étende indéfiniment. Nutrition, circulation, respiration, sécrétion, génération, etc., fonctions de vie végétative ; nerfs, sens, mouvements, voix, intelligence, instincts, fonctions de vie animale ou de relations, voilà tout le cercle, ou peu s’en faut, dans lequel se meuvent nécessairement la physiologie comparée et l’anatomie comparée.

Ce cercle ne saurait être changé. Dans notre XIXe siècle, Cuvier est d’accord avec son prédécesseur : mouvement, sensations, digestion, circulation, respiration, voix, génération, sécrétions et excrétions, telles sont les divisions de son admirable ouvrage d’Anatomie comparée. Ne reconnaît-on pas les divisions qu’Aristote a posées ?

A cette première règle, il en joint une autre, qui est beaucoup plus compréhensive, et qui s’adresse à la science dans son domaine immense et dans toutes ses applications. Cette règle fondamentale prescrit d’observer les faits avant de tenter l’explication des causes, parce qu’il n’y a de théories certaines que celles qui s’appuient sur des observations bien faites. Pour nous, cette recommandation est une banalité ; mais ce n’en était point une au quatrième siècle avant notre ère, en face des sciences telles qu’on les cultivait alors. Placer l’observation avant tout est un axiome tellement évident et reconnu qu’il semblerait assez inutile d’en rappeler l’origine et l’usage. Néanmoins, tant que les Modernes, peu soucieux d’un passé à qui ils doivent tant, s’obstineront à se faire gloire de ce précepte, qui daterait de Bacon soi-disant, il sera bon de réveiller un souvenir qui remonte au génie grec, et qui ne devrait plus lui être contesté, ne fût-ce que pour l’honneur de l’esprit humain, toujours identique à lui-même, et toujours conséquent.

Troisième règle, non moins sûre et non moins féconde que les précédentes : il faut considérer les êtres dans ce qu’ils sont en eux-mêmes, c’est-à-dire dans leur essence et leur organisation, et non dans leur matière, comme le faisaient les premiers philosophes, avant que Démocrite et Socrate n’eussent imprimé à l’étude de la nature une direction meilleure, en cherchant à bien définir les êtres.

A ce point de vue, Cuvier n’est encore que l’écho du naturaliste grec, quand il déclare que la forme du corps vivant lui est plus essentielle que sa matière (Règne animal, tome I, p. 11, édit. de 1829) ; et quand il divise les animaux en quatre types selon leur organisation intime, et qu’en dépit des éléments matériels, il fait rentrer les crustacés dans l’embranchement des mollusques.

Ces trois règles excellentes doivent toujours faire loi, et l’on ne s’en écarte qu’au risque d’inévitables faux pas.

Au-dessus de ces règles et en dehors d’elles, voici une théorie très vraie et très profonde, que la science de notre époque ferait bien de recueillir, et qui devrait toujours lui servir de flambeau. Sur le point d’aborder une étude qui était non seulement toute neuve pour la Grèce, mais qui, par son inépuisable fécondité, restera perpétuellement neuve pour l’homme, Aristote proclame qu’il n’y a pas de hasard dans la nature ; qu’elle ne fait rien en vain, et qu’on ne perd jamais sa peine à en scruter les secrets. Selon le mot sublime d’Héraclite, Dieu est partout dans l’univers ; et sa puissance infinie éclate dans le plus infime des êtres, comme dans les plus parfaits de ceux qu’il a créés, en quantité incalculable. Rien n’est à négliger dans le spectacle merveilleux que la nature offre de tous côtés à nos regards intelligents ; le naturaliste a le devoir de ne dédaigner quoi que ce soit dans l’ensemble des choses, où tout a un sens et une fin prodigieusement sage. Aussi, en terminant ce premier livre du traité des Parties, Aristote, tout austère qu’il est, épanche-t-il son cœur et son admiration dans les plus belles pages peut-être qu’ait inspirées ce sujet. Elles ont été citées plus d’une fois ; elles le seront encore bien souvent. Mais pour de telles vérités exprimées en un langage qui brille d’autant plus qu’il est plus sévère et plus concis, l’éloge est superflu. Il faut lire le morceau original en son entier, et le méditer à jamais. Il n’emprunte rien à l’éclat et à la magnificence du style, parce que le style, quelque précieux que soit son concours, s’efface et disparaît devant des sentiments si hauts. C’est comme un hymne qui s’élance de l’âme du philosophe, et qui dépasse la poésie elle-même dans ce qu’elle a de plus noble. Pour trouver un enthousiasme égal, mais moins savant, c’est dans le Cœli enarrant des Psaumes qu’il faudrait aller le chercher. Platon, même dans le Timée, ne s’est peut-être pas élevé jusqu’à ces sommets, où l’on ne voit guère qu’Aristote à côté de David, et où nous sommes tout surpris de les rencontrer au même niveau, quoique dans des sphères si différentes.

Après l’exposé de la méthode et avec le second livre, commence l’étude de physiologie comparée, qui doit remplir le reste de l’ouvrage.

Il débute par des généralités sur les éléments matériels dont est composé le corps de tous les animaux ; l’auteur, revenant à une distinction qu’il a indiquée ailleurs (Histoire des Animaux, livre I, ch. 1, § 1), montre que les parties homogènes, ou similaires, sont faites en vue des parties complexes ou non-similaires, c’est-à-dire en vue des membres et des viscères, où les mouvements se passent, soit au dehors, soit à l’intérieur de l’animal. Les parties similaires, telles que les os, la chair, les nerfs, le sang etc., proviennent, selon Aristote et selon la chimie de son temps, des quatre éléments, terre, eau, air et feu, combinés dans des proportions diverses, et avec leurs propriétés particulières, chauds ou froids, liquides ou secs, pesants ou légers. Les parties non-similaires et complexes, comme le bras, la jambe, le visage, le tronc avec tout ce qu’il renferme et protège, sont les instruments des actes que l’animal accomplit. Les parties non-similaires restent toujours les mêmes dans leur totalité, tandis que les parties similaires, dont l’assemblage constitue les parties complexes, ont des qualités variables, selon les fonctions auxquelles elles doivent servir. Les unes sont molles ; les autres sont dures et résistantes ; celles-ci sont liquides et visqueuses ; celles-là sont cassantes et friables.

XIII Les parties similaires ont cet avantage, sur les parties non-similaires, qu’elles sont le siège de la sensibilité ; et la sensibilité est, au moins autant que la nutrition et le mouvement, le caractère essentiel de l’être animé. De là, le rôle immense du cœur, réceptacle du sang contenu dans les veines, centre de toute sensation et principe de tous les mouvements. Le cœur est à la fois une partie similaire, ainsi que le sont tous les autres viscères ; mais il est, de plus, une partie non-similaire, par sa forme et sa configuration.

Ce sont surtout les parties liquides qui sont nécessaires a la vie de l’animal, puisque, sans elles, il n’y aurait pas de développement possible. La qualité des parties liquides varie beaucoup ; et par exemple, le sang est plus ou moins pur, plus ou moins léger, plus ou moins chaud, d’un animal à un autre, et aussi dans un même être, selon qu’on le prend dans des conditions diverses, et, par exemple, dans les parties supérieures du corps ou dans les parties inférieures. Plus épais et plus chaud, le sang donne à l’animal plus de vigueur ; plus léger et plus froid, il lui donne plus d’intelligence ; ceci peut être observé chez l’homme, et jusque chez les insectes, tels que les abeilles, qui n’ont pas de sang, mais qui ont un fluide analogue. L’auteur attache une telle importance au sang et à sa température qu’il institue toute une discussion sur la chaleur et le froid, sur le sec et l’humide. Les animaux n’ont pas tous le même degré de chaleur ; et selon leur constitution et selon le milieu ambiant, air ou eau, ils en ont plus ou moins. Le sexe et l’âge causent encore des différences, qui peuvent être plus ou moins prononcées.

Aristote, pour répondre aux préoccupations scientifiques de son époque, s’applique donc à bien définir ce qu’il faut entendre par un corps plus ou moins chaud, un corps plus ou moins froid, sec et liquide. Mais, au milieu de tous ces détails, il ne perd pas de vue l’objet qu’il poursuit ; et il rapporte au sang toutes ces théories, qu’il ne borne pas aux animaux et qu’il étend aux plantes. Les végétaux tirent directement de la terre par les racines leur nourriture, qu’ils y trouvent tout élaborée ; mais l’animal doit élaborer la sienne par le travail successif de la bouche, des dents, de l’œsophage et de l’estomac, où le sang se forme pour nourrir toutes les parties du corps, grâce à l’action du cœur et des veines.

Aussi, Aristote croit-il devoir faire l’analyse minutieuse de ce liquide, et il la pousse aussi loin que le permettaient des connaissances chimiques encore bien vagues. Le sang se compose le plus ordinairement de fibres, qui, plus ou moins abondantes, font qu’il peut se coaguler, ou qu’il se coagule imparfaitement. Trop aqueux, le sang rend l’animal timide ; plus fibreux, il lui communique énergie et courage ; témoins les taureaux et les sangliers. Outre les fibres, le sang contient de la lymphe en plus ou moins grande quantité.

Ce début de la chimie organique est bien remarquable, tout imparfait qu’il est ; il convient d’y arrêter notre attention quelques instants. Aujourd’hui, on en sait long sur la composition du sang ; et en partant de l’état actuel de la science, nous mesurerons aisément tout l’intervalle qu’elle a parcouru, depuis le temps où la physiologie grecque essayait ses pas chancelants.

Mais, d’abord, il faut reconnaître que le philosophe ancien a compris le rôle général du sang comme nous le comprenons maintenant. Pour nous, comme pour lui, le sang reste le fluide nourricier ; et quelque avancées que soient dans notre siècle la chimie organique, l’anatomie et la physiologie des artères et des veines, du poumon et des vaisseaux lymphatiques et chylifères, nous ne pensons pas autrement qu’Aristote sur le but dernier et la cause finale de tout cet étonnant mécanisme. Mais si nous en savons infiniment plus que lui, un jour viendra, ne l’oublions pas, où nos successeurs en sauront infiniment plus que nous, parce que « l’intelligence de l’homme, comme le dit Pascal, se lassera plus tôt de concevoir que la nature de fournir », ou, comme le dit Agassiz, parce que « la nature cache d’inépuisables richesses dans l’infinie variété de ses trésors de beauté, d’ordre et d’intelligence. »

Pour Cuvier, à l’ouverture de ce siècle, le sang, observé sur le vivant, est un liquide d’un beau rouge, d’une saveur douceâtre, et un peu salée, d’une odeur fade et particulière ; il est légèrement visqueux ; sa température habituelle est de 30 à 32 degrés ; d’autres naturalistes disent de 36 à 40 degrés chez l’homme, et de 42 chez les oiseaux. Il contient des molécules rouges, de forme lenticulaire dans l’espèce humaine ; ces molécules sont la partie colorante. Une fois hors de l’animal, le sang se sépare en deux parties : le sérum, liquide jaunâtre, composé de plusieurs sels ; et le caillot, ou cruor, qui se partage également en deux parties : l’une, qui se dissout dans l’eau en la colorant de rouge ; la seconde, qui ne se dissout pas et qui est la fibrine. Chimiquement, le sang se résout presque en totalité dans les éléments les plus généraux du corps animal, carbone, hydrogène, oxygène, azote, puis fibrine et gélatine, albumine, chaux, phosphore, fer qui lui donne la couleur rouge, graisses, huiles, etc. Il a en lui les éléments de tous les solides et de tous les liquides du corps ; il l’entretient par la nutrition et par les sécrétions ; et il se renouvelle lui-même par la digestion. (Cuvier, Anatomie comparée, première édition, t. IV, p. 179, XXIVe leçon ; et Règne animal, t. 1, pp. 23 et 24, édition de 1829.)

Depuis un demi-siècle et depuis Cuvier, la chimie organique a pénétré plus avant dans cette étude ; et par l’emploi du microscope, toujours plus puissant, elle a découvert une foule de faits nouveaux. Le liquide nourricier, comme on appelle toujours le sang, est en quelque sorte une chair coulante ; il est la matière première de tous les tissus et de toutes les sécrétions. Sur cent parties, il se compose de soixante-dix-neuf d’eau, de dix-neuf d’albumine, une de sels divers, de quelques millièmes de fibrine et de matière colorante. Il contient des globules d’une excessive petitesse, dont les uns sont rouges, et les autres blancs. Les dimensions et le nombre des globules varient beaucoup suivant les espèces, les sexes, les âges, le tempérament, la chaleur ; dans l’homme, ils n’ont guère plus d’un cent vingt-quatrième de millimètre ; ils sont plus forts chez les reptiles et les batraciens.

Composés d’un noyau central et d’une enveloppe, ils présentent en général la figure de disques aplatis. On a pu, par des procédés plus ou moins sûrs, en compter cinq à six millions par millimètre cube. Les globules blancs sont beaucoup moins nombreux et beaucoup plus gros ; pour les distinguer, on les nomme des leucocytes, et les globules rouges sont nommés des hématies. Relativement aux globules rouges, les blancs sont à peine un sur quatre ou cinq cents. On ne sait pas si les globules blancs se changent en rouges ; mais ils semblent avoir des mouvements que n’ont pas les autres. On suppose qu’ils viennent de la lymphe ; et ce sont eux, à ce qu’il paraît, qui causent la formation du pus, quand le sang est altéré par blessure ou maladie. Il y a même des globules plus petits encore que les rouges et que les blancs ; ce sont les globulins, dont la fonction n’est pas bien connue.

La quantité de sang renfermée dans l’organisme est environ le douzième du poids total du corps chez l’homme. Le sang artériel et le sang veineux ne sont pas identiques absolument ; et le veineux contient plus de gaz acide carbonique.

Il n’est pas besoin de pousser plus loin ces rapprochements ; ceux-là font voir quelle distance sépare l’état présent de la science et son début. Mais le mérite d’Aristote n’en est pas diminué ; c’est lui qui, le premier, a signalé l’étude du sang aux investigations scientifiques, et ce qu’il en a dit est exact, quoique nécessairement incomplet.

Du sang, il passe à la graisse, et il en expose non moins bien l’origine et la fonction. La graisse est un produit du sang et une surabondance d’aliments. C’est là ce qui fait que les animaux qui n’ont pas de sang n’ont pas non plus de graisse. Il ne faut pas confondre la graisse et le suif, qui, tout en se ressemblant beaucoup, n’ont pas tout à fait les mêmes propriétés. Le suif est spécialement la graisse des animaux chez qui manquent les deux rangées de dents, c’est-à-dire qui n’ont d’incisives qu’à la mâchoire inférieure, remplacées en haut par un bourrelet calleux, et qui de plus ont des cornes à la tête ; ce sont les ruminants, sauf quelques espèces. Il y a cette différence entre la graisse et le suif, que la graisse ne se coagule pas, et qu’en séchant elle ne s’égrène pas comme lui. On la trouve dans les animaux qui ont les deux rangées de dents, qui n’ont pas de cornes sur la tête et qui sont fîssipèdes. Quand la graisse et le suif sont en quantité modérée dans les animaux, ces matières contribuent à leur santé et à leur force ; en quantité trop grande, elles leur nuisent. Si tout le corps n’était que graisse, il serait insensible, et il périrait bien vite. Les animaux trop gras vieillissent plus rapidement ; ils sont généralement peu féconds, parce que la portion de sang qui devrait se convertir en liqueur séminale a tourné à la graisse, d’où ne sort presque aucune excrétion.

Telle est la théorie aristotélique sur la graisse.

Écoutons encore ici la science actuelle, comme nous venons de l’écouter sur le sang. D’abord, elle a adopté tout ce qu’a dit Aristote, sans insister peut-être autant que lui sur la distinction, très réelle pourtant, de la graisse et du suif. Pour nous aussi, la graisse est un des nombreux produits du sang ; elle est le résidu des matières non consumées dans le corps de l’animal par l’oxygène qu’il a respiré ; elle est ensuite résorbée et brûlée au fur et à mesure des besoins de l’économie. Elle est formée chimiquement de trois éléments au moins, l’oléine, la stéarine et la margarine ; elle sert à protéger les organes comme une sorte de coussin placé entre eux pour empêcher les frottements. Cette fonction est évidente dans quelques parties du corps, telles que le fond de l’orbite oculaire, la fosse temporale, la plante du pied. La graisse contribue à conserver la chaleur et à faciliter la digestion et la respiration ; chez quelques espèces, elle est comme une réserve alimentaire, qui les sustente à certains instants de leur existence, entre autres l’hibernation. Elle est inégalement répartie dans le corps ; et elle s’accumule dans certaines places, le mésentère, les reins, les épiploons, le péritoine, le dessous de la peau, etc.; elle forme dans quelques animaux des queues énormes, des bosses proéminentes, du lard. Déposée dans de petites vésicules sphéroïdales, qui s’introduisent dans le tissu cellulaire ou connectif, il y a peu de produits aussi répandus qu’elle dans les organes. Ces vésicules, invisibles à l’œil nu, ont à peine six centièmes de millimètre. Les proportions de margarine, de stéarine et d’oléine varient avec les animaux, et avec les âges, les aliments, les climats. La stéarine est fusible par une faible chaleur, 45 degrés environ ; elle est insoluble dans l’eau, tandis que l’oléine reste fluide à la température ordinaire. La graisse contient soixante-dix-neuf parties de carbone, onze d’hydrogène, quatre d’oxygène, et quelques autres corps simples. Sa couleur est ordinairement blanche ; sa consistance et son odeur sont très variables. Dans les cétacés, où elle abonde, elle est presque liquide. Elle augmente beaucoup dans l’animal par le repos et par la castration ; il y a des espèces où son poids égale ou dépasse même la moitié du poids de la bête. Les petites vésicules ou gouttelettes de graisse, se réunissant les unes aux autres, composent des gouttes plus grosses, qui ont beaucoup de réfringence, observation qu’Aristote avait déjà faite. On ne sait pas précisément comment la graisse se forme, et c’est Claude Bernard lui-même qui confesse cette ignorance.

Dans ces derniers temps, on avait cru que la graisse se trouvait déjà formée dans les végétaux ; que de là, elle passait toute faite dans le corps des herbivores, et, enfin, de ceux-ci, aux carnassiers, qui les mangent. Mais il reste prouvé, par des observations plus exactes, que la graisse ne vient pas d’une source végétale, et que c’est l’organisme vivant qui la produit, comme tant d’autres sécrétions glandulaires, par exemple, le miel et la cire, fabriqués par les abeilles, qui sont des animaux à sang blanc.

Par ces quelques détails, on peut encore juger des progrès obtenus, pour cette analyse comme pour celle du sang, depuis que la chimie organique s’est occupée des matières animales.

Après le sang et la graisse, Aristote analyse la moelle, autre produit du sang. Dans les os, la moelle est onctueuse ; elle se rapproche de la graisse chez les animaux gras ; chez les animaux qui ont du suif, elle lui est assez semblable, comme dans les ruminants, tandis que, chez les animaux fissipèdes, qui ont les deux rangées de dents, elle est plutôt graisseuse. La moelle du rachis a plus de consistance, parce qu’elle doit être continue dans tout le parcours de la colonne vertébrale. La plupart des animaux ont de la moelle ; mais ceux dont les os sont très forts et très compacts, ont très peu de moelle, ou semblent même n’en avoir pas du tout. Chez les animaux aquatiques, la moelle ne se trouve que dans l’arête, qui remplace le rachis ; et cette moelle a quelque chose de collant qu’elle n’a pas dans les autres espèces. En résumé, la moelle est une sécrétion du sang dans les os et dans les arêtes.

La physiologie moderne n’a pas étudié la moelle autant qu’elle a étudié la graisse et le sang ; elle n’a pu la réduire encore en ses molécules organiques. Nos observations sont cependant beaucoup plus nombreuses que celles d’Aristote. Nous distinguons d’abord les os où se montre la moelle ; il n’y en a presque point dans les os plats, et elle y est rougeâtre ; elle ne forme une masse continue que dans les os longs, où elle est molle, jaunâtre, avec beaucoup de cellules à noyaux multipliés. L’embranchement des vertébrés est le seul qui ait de la moelle ; et encore cet embranchement n’en a-t-il pas tout entier.

Il n’existe pas de cavités médullaires dans les cétacés, les phoques et les tortues. Les os des oiseaux, qui sont vides, et faits surtout pour contenir de l’air, ne présentent pas de moelle. Dans l’homme, la matière médullaire est chargée d’un rôle considérable : « C’est en elle, dit Cuvier, que réside le pouvoir admirable de transmettre au moi les impressions des sens extérieurs et de porter aux muscles les ordres de la volonté. » Elle sert de conducteur au fluide nerveux entre l’encéphale et les nerfs de la sensibilité et du mouvement, comme l’ont si bien établi les expériences de Charles Bell (1811), de Magendie (1822) et de Longet (1841). La moelle épinière, continuation du bulbe rachidien, est entourée, comme le cerveau, de trois membranes très-fines, dure-mère, arachnoïde et pie-mère, qui servent à la fixer dans le canal du rachis.

Ainsi que l’encéphale, elle est composée de deux substances, la grise et la blanche, unies en cylindre ; mais, contrairement au cerveau, c’est la substance blanche qui, dans la moelle, recouvre la grise. Sur le parcours de son cordon, la moelle épinière a des renflements et des dépressions ; elle est divisée en deux moitiés par deux sillons profonds. A chaque paire de trous vertébraux, elle donne naissance à une paire de nerfs qui se ramifient dans tout le corps, et qui se partagent, selon les lieux de la colonne dorsale, en nerfs cervicaux, dorsaux, lombaires et sacrés. Elle donne également naissance au grand sympathique et à sa chaîne de ganglions symétriques deux à deux, qui pénètrent dans les viscères et les vaisseaux.

Aussi, la moelle épinière a-t-elle une action énergique et compliquée sur les fonctions de relations et sur les fonctions végétatives : mouvements volontaires, sensibilité, respiration, hématose, circulation, nutrition, sécrétions de tout genre, chaleur, etc. Chez l’homme, elle part du trou occipital pour descendre jusqu’à la seconde vertèbre lombaire, où commence la queue de cheval, reliée au coccyx par le ligament coccygien. Au-dessus du trou occipital, elle se continue dans l’encéphale par la moelle allongée. Les anatomistes les plus habiles ne sont pas encore bien fixés sur le point précis de son origine.

On le voit donc, pour ces trois théories de la moelle, de la graisse et du sang, la science contemporaine est bien plus avancée que la science de l’Antiquité. Mais la méthode reste la même absolument. La route n’a pas dévié ; elle n’est que plus longue, et les siècles qui suivront le nôtre la prolongeront à leur tour, sans en atteindre plus que nous le terme inaccessible.

Par une transition assez naturelle, que signale Aristote lui-même, il passe de la moelle épinière au cerveau, dont il apprécie les fonctions, sans du reste les bien discerner. Quoique la moelle soit le prolongement de la masse encéphalique, Aristote conteste que leur nature soit la même, comme on l’affirmait de son temps. A ses yeux, leur objet est différent. Le cerveau, qui est presque entièrement privé de sang, est destiné à refroidir l’animal, tandis que la moelle contribue bien plutôt à sa chaleur. Le cerveau est, par sa position, isolé de toutes les parties du corps qui sont sensibles ; mais essentiellement chargé de conserver l’animal, il est le siège de l’âme. Comme il doit faire contrepoids à la chaleur que développe le cœur avec le sang, il est tout simple que les animaux qui n’ont pas de sang n’aient pas non plus de cerveau ; tel est le cas des polypes. Si donc, pour les animaux exsangues, on parle de cerveau, ce n’est qu’une analogie assez éloignée ; ces animaux ont peu de chaleur, précisément parce qu’ils n’ont pas de sang. Pour que le cerveau puisse remplir sa fonction propre de réfrigération, la nature a fait que les veines secondaires, parties de la grande veine et de l’aorte, se terminent à la méninge, dont le cerveau est enveloppé. Au lieu de grosses veines en petit nombre, qui auraient pu transmettre trop de chaleur, la nature a répandu tout autour du cerveau de nombreuses veines, petites et très fines, qui n’y roulent qu’un sang pur et léger, au lieu d’un sang épais et lourd. C’est peut-être aussi par la même cause que les fluxions, provenant du phlegme et de la lymphe, partent en général du cerveau et de la tête. Le refroidissement de ces parties hautes provoque alors une disposition qui ressemble assez à la production de la pluie dans l’atmosphère, où la vapeur qui s’élève de la terre, arrivant à l’air froid placé au-dessus, s’y condense et retombe en eau. Mais Aristote s’arrête dans ces détails et les renvoie à la pathologie, qu’ils concernent plus que la zoologie.

C’est le cerveau qui est la principale cause du sommeil ; quand les animaux à station droite éprouvent ce besoin irrésistible, ils se couchent ; et ceux qui n’ont pas ce genre de station sont tout au moins forcés de baisser la tête. Le cerveau est matériellement composé de terre et d’eau ; et l’on peut remarquer, en le faisant cuire, qu’il devient sec et dur, ainsi que les autres matières composées des mêmes éléments que lui. L’homme est de tous les animaux celui qui a l’encéphale le plus gros proportionnellement à son corps. Le cerveau des hommes est plus gros que celui des femmes. C’est aussi l’homme qui a le plus de sutures au crâne ; la femme en a moins.

Dans la physiologie moderne, le cerveau est peut-être de tous les viscères celui qu’on a étudié le plus soigneusement. On conçoit bien cette prédilection, en songeant aux fonctions de l’encéphale et à la multiplicité des éléments qui le forment. Mais il serait à la fois trop long et bien inutile de montrer toutes les différences et toute la supériorité de nos théories actuelles. Pour le cerveau, ces théories sont encore plus étendues et plus précises que pour le sang, la graisse et la moelle. On ne recommencera donc pas des rapprochements trop faciles ; et nous nous bornerons à poursuivre l’exposé des théories d’Aristote.

Dans l’ordre de ses idées sur les parties similaires, il lui faut étudier la chair, ou l’organe correspondant chez les animaux qui n’ont pas de chair proprement dite. La chair est le siège du toucher, qui est le plus général des sens et le seul indispensable. La nature peut ne pas faire les autres sens ; mais elle devait nécessairement faire celui-là. On le retrouve dans tous les animaux sans exception ; et dans ceux qui ont la chair à l’intérieur, comme les huîtres, et dans ceux qui ont la chair au dehors, comme l’homme, les quadrupèdes, les oiseaux, les reptiles, les poissons, etc.

Entre les os et les veines, qui viennent après la chair et qui sont aussi des parties similaires, il y a ceci de commun que pas un os n’est isolé dans le corps, pas plus qu’il n’y a de veine isolée. Tout os tient à un autre os ; toute veine tient à une autre veine. Des deux côtés, c’est un ensemble et un équilibre où tout s’enchaîne et se pondère. Un seul os n’aurait pas permis de flexion ni de mouvement ; un seul os percerait les chairs, ainsi que le ferait une épine. Le principe des os, c’est le rachis, de même que le principe des veines, c’est le cœur. Des tendons, des cartilages et des nerfs joignent les os les uns aux autres ; au dedans du corps, les os soutiennent les chairs, de même que, dans les préparations de la sculpture, des étais intérieurs soutiennent la terre-glaise que modèle l’artiste. Parfois, les os sont faits pour la protection des organes ; et c’est ainsi que les côtes enveloppent et recouvrent tous les viscères, groupés autour du cœur. Si le ventre n’est pas recouvert par des os, c’est afin que les aliments qui le gonflent puissent s’y loger sans y causer de gêne ; c’est surtout pour que la gestation des femelles et le développement des fœtus puissent s’y passer tout à l’aise.

Les grands vivipares ont une charpente osseuse très forte et très solide. En Lybie et dans les régions chaudes, où les animaux sont en général plus féroces et plus gros, leur ossature est en proportion de leur corps, qui est fait pour la lutte et le combat. Les os des mâles chez les carnassiers sont plus durs que les os des femelles. Parmi les animaux aquatiques, le dauphin, qui est vivipare, a des os et non pas des arêtes. Les poissons ovipares n’ont que des arêtes et non des os. Les os des serpents se rapprochent assez de l’arête des poissons ; mais dans les très grandes espèces de reptiles, ce sont de véritables os, parce que des étais puissants leur sont nécessaires à l’intérieur, comme pour les grands quadrupèdes. Chez les sélaciens, la nature des os du rachis tient le milieu entre l’arête et le cartilage. Même chez les vivipares ordinaires, bien des os sont cartilagineux, là où il faut que la partie solide soit assez molle et assez spongieuse pour ménager les chairs, par exemple les oreilles et le bout du nez. Le cartilage et l’os sont au fond de même matière ; mais le cartilage n’a jamais de moelle ; et de plus, il est gluant. D’autres matières dans le corps se rapprochent beaucoup des os : ce sont les ongles, les soles, les pinces, les cornes, les becs, les dents, etc., donnés à l’animal pour sa défense et pour son alimentation.

On aurait encore à parler de la peau, des membranes, des poils, des plumes et des parties correspondantes chez les diverses espèces ; mais ces détails trouveront leur place plus loin, de même que l’analyse de la liqueur séminale et du lait trouvera la sienne quand il sera question de la génération.

Ici finit pour Aristote l’étude physiologique des parties similaires ou élémentaires des animaux ; et il passe à l’étude des parties complexes et non-homogènes, commençant par l’homme, ainsi qu’il l’a fait dans l’Histoire des Animaux. Pour justifier cet ordre, il donne deux raisons, qu’il a déjà présentées : l’homme est de tous les êtres celui qui nous est le mieux connu ; et en second lieu, il est le seul à participer du divin, ou du moins il a le privilège d’en participer plus que tout autre être animé. Il est le seul qui ait la station droite, et il jouit des cinq sens, répartis et placés chez lui mieux que dans aucune autre espèce. L’ouïe est à la circonférence de la tête, et la vue est en avant, parce qu’on entend de toutes parts, et que l’être animé doit voir par devant lui pour diriger son mouvement. Chaque sens, sauf le toucher, est double, parce que le corps a deux moitiés, la droite et la gauche. Cela est évident pour l’ouïe, pour la vue, pour l’odorat ; ce l’est moins pour le goût, qui est une sorte de toucher ; mais la langue elle-même se partage en deux moitiés accolées.

Chez les animaux autres que l’homme, les sens ne sont pas moins bien disposés. Ainsi, les oreilles des quadrupèdes sont dressées et mobiles pour mieux recueillir les sons. Les oiseaux n’ont pas proprement d’oreilles ; mais ils ont les conduits auditifs. Les quadrupèdes ovipares à écailles ont la même organisation. Si, parmi les vivipares, le phoque n’a ni conduits auditifs, ni oreilles, c’est qu’il est un quadrupède manqué.

La vue est peut-être de tous les sens celui qui est organisé le plus parfaitement et avec le plus de prévoyance. Hommes, oiseaux, quadrupèdes vivipares et ovipares, tous sont pourvus d’appareils protecteurs de la vue. Tantôt deux paupières mobiles peuvent couvrir les yeux ; il y a même jusqu’à trois paupières chez les oiseaux et les quadrupèdes ovipares. Des mouvements rapides et souvent tout spontanés font agir les paupières. Dans les animaux qui en ont une troisième, cette paupière joue non pas d’en bas ou d’en haut, mais du coin interne de l’œil. Les oiseaux de proie ont la vue excessivement perçante, parce que cette faculté de découvrir les choses de très loin leur est nécessaire pour leur subsistance. Les oiseaux de terre qui volent mal, comme les gallinacés, ont une vue bien moins longue, parce qu’ils n’en ont pas un besoin absolu pour se procurer leurs aliments.

XXXVII Les poissons et les insectes n’ont pas de paupières ; leurs yeux, qui sont durs, peuvent par cela même se passer de protection ; mais il y a de ces animaux qui ont, par compensation, des yeux mobiles. Quant aux poissons, le liquide, où ils se meuvent, les empêche de voir de loin ; et leurs yeux sont faits de telle manière qu’ils ont en quelque sorte une paupière transparente à demeure, pour que l’eau ne les offense pas.

Après quelques remarques sur les cils et les sourcils, Aristote s’arrête plus longuement à étudier le sens de l’odorat et l’organisation du nez. La trompe de l’éléphant, qui est le nez de cet animal et en même temps sa main, le frappe beaucoup ; il la décrit dans ses divers emplois, soit pour saisir les choses, soit pour respirer. Après l’éléphant, l’auteur considère ce que sont les narines chez les reptiles et chez les oiseaux, qui ont les conduits olfactifs sur leur bec. D’autres animaux en grand nombre n’ont pas de narines, parce qu’ils ne respirent pas ; mais ils n’en éprouvent pas moins, grâce à d’autres appareils, la sensation des odeurs.

XXXVIII Au-dessous des narines, se trouvent les lèvres, chez tous les animaux qui ont du sang et des dents ; mais, dans les oiseaux, le bec remplace tout à la fois les dents et les lèvres. L’homme a des lèvres molles et charnues, qui protègent sa denture et qui contribuent à la beauté de son visage. Elles servent en outre à la parole presque autant que la langue ; car, sans elles, il serait impossible de prononcer certaines lettres. La langue a donc ainsi deux usages ; elle sert à la perception des saveurs, en même temps qu’elle sert aux articulations du langage. Chez presque tous les animaux qui vivent à terre, la disposition de la langue est la même ; elle est placée sous le palais. Outre que la langue de l’homme est molle et humide, afin de mieux sentir les saveurs, elle est douée d’une grande mobilité ; et quand cette qualité n’est pas tout ce qu’elle doit être, il en résulte des défauts de prononciation qu’on appelle bégaiement ou bredouillement. La langue doit avoir aussi une certaine largeur ; et de là vient que ceux des oiseaux à qui l’on apprend à répéter certains mots, les prononcent d’autant mieux que leur langue est plus large. Au contraire, les quadrupèdes ont une voix de peu d’étendue, parce que leur langue est dure, peu détachée et trop épaisse. Parmi les oiseaux, ce sont les plus petits qui ont le plus de chant ; ils savent se comprendre les uns et les autres à la voix ; et l’on peut croire qu’ils s’instruisent mutuellement à chanter.

Chez les ovipares terrestres, la langue ne sert pas à la voix, parce qu’elle n’est pas assez libre et qu’elle est trop dure. Les serpents et les lézards ont une langue longue et bifurquée, comme s’ils avaient une double sensation des saveurs. Chez les poissons, la conformation de la langue est très imparfaite ; ils ont cependant la perception des saveurs, quoique les aliments traversent très rapidement la bouche, de peur que l’eau n’y entre du même coup. De plus, la langue des poissons n’est presque pas détachée ; et l’on a quelque difficulté à la reconnaître, même en leur ouvrant la bouche. Pour le crocodile, l’organisation est encore plus singulière ; sa langue est collée à la mâchoire d’en bas ; et cette mâchoire est immobile, contrairement à ce qu’elle est chez le reste des animaux, où c’est la mâchoire d’en haut qui ne se meut pas. Quelques animaux aquatiques ont le palais tellement charnu qu’on pourrait croire que c’est là qu’ils ont leur langue ; il n’en est rien ; de leur lourde langue, il n’y a que l’extrémité qui soit un peu détachée. Dans les crustacés, dans les mollusques et dans quelques insectes, la langue est très enfoncée dans la bouche, ou dans l’organe qui leur tient lieu de bouche. Il y a des animaux de divers ordres qui ont la langue tellement forte qu’elle peut percer les corps les plus durs et les plus résistants ; quelques insectes ont une langue qui fonctionne comme un véritable aiguillon.

Ici se termine le second livre du traité des Parties, et l’on peut déjà s’assurer si c’est bien là ce que les Modernes entendent par la physiologie comparée. Mais continuons à écouter Aristote, tout en abrégeant le plus possible les détails qui vont suivre ; ils achèveront la démonstration.

Le troisième livre complète ce qui avait été commencé dans le second sur la bouche et les dents, qui, dans beaucoup d’animaux, sont des armes de défense aussi bien que des instruments d’alimentation. Les crocs sortant de la bouche et les cornes placées sur la tête ne servent qu’à la lutte ; les mâles les ont toujours plus solides que les femelles, qui souvent même en sont tout à fait privées. Chez les poissons, les dents sont réparties quelquefois sur la langue et sur le palais, afin de diviser au passage les aliments, qui ne peuvent être broyés, parce qu’ils ne font que traverser la bouche. Quand la bouche doit servir au combat et à la défense, elle est beaucoup plus ouverte que quand elle doit simplement servir à la respiration, à l’alimentation ou au langage ; trop étroite, la bouche ne pourrait mordre ; la morsure est toujours en proportion de l’ouverture de la gueule. Les oiseaux de proie, à serres puissantes, ont le bec recourbé, à la même intention. Le bec est toujours adapté au genre de vie, très dur et tout droit chez les oiseaux qui frappent les arbres ; mince chez les oisillons qui vivent de graines et de fruits ; long, large et dentelé chez ceux qui mangent de l’herbe ou qui sont ordinairement dans l’eau.

XLII. La bouche, les dents, les crocs, les becs sont dans la tête ; les cornes sont au-dessus. Il n’y a de cornes véritables que chez les vivipares à doubles pinces ou solipèdes ; elles leur servent à la défense et à l’attaque. Les solipèdes sans cornes à la tête, comme le cheval, se défendent par la rapidité de la course et par les ruades ; c’est aussi la vélocité de la fuite qui sauve les cerfs tandis que leur bois leur est parfois nuisible. Mais la nature a généralement fait les cornes pour le bien de l’animal qui les porte, droites ou recourbées. Elle a eu bien raison de placer les cornes sur la tête, quoi qu’en dise Ésope ; dans toute autre partie du corps, elles n’eussent été que gênantes. Il n’y a que le cerf dont les cornes soient complètement pleines et qui les perde périodiquement ; chez les autres animaux, les cornes sont persistantes, et elles sont creuses jusqu’à une certaine hauteur ; mais la pointe est toujours solide et dure. De tous les animaux pourvus de cornes, c’est la gazelle qui est le plus petit. En général, ce sont les ruminants qui ont des cornes, comme si la nature, en leur enlevant une rangée de dents, avait voulu leur procurer un dédommagement.

Au-dessous de la tête, vient le cou, lequel n’a pas été donné à tous les animaux, parce que tous n’ont pas de poumons. Dans le cou, on distingue surtout l’œsophage, qui porte les aliments de la bouche à l’estomac, et le pharynx, qu’Aristote prend pour l’instrument de la respiration et de la voix, et qu’il confond assez souvent avec le larynx ou trachée-artère, voyant d’ailleurs très bien que la trachée-artère ne peut servir de passage aux aliments secs ou liquides. Pour empêcher que les aliments ne fassent fausse route, la nature a imaginé l’épiglotte ; elle ne se trouve que chez les vivipares qui ont un poumon, et qui n’ont ni écailles ni plumes.

Les principaux viscères du tronc sont le cœur et le foie. Ils sont les premiers à apparaître dans les embryons ; on les distingue déjà dans les œufs après trois jours seulement d’incubation, et on les retrouve dans les fœtus venus longtemps avant terme. Tous les animaux qui ont du sang ont un cœur ; et chez eux, c’est le cœur et non la tête comme on l’a cru, qui est l’origine des veines, où le sang est renfermé. Le cœur est placé vers le centre du corps, plutôt en haut qu’en bas, la pointe un peu en avant. Le milieu du cœur est épais et creux ; il est plein de sang ; et c’est lui qui envoie le sang dans tous les vaisseaux, comme le montre l’anatomie, soit dans l’animal adulte, soit dans le fœtus. On a voulu attribuer ces fonctions au foie au lieu du cœur ; mais l’observation des faits atteste que le foie a une tout autre destination. Chez l’homme, le cœur est placé à gauche, afin de réchauffer la partie gauche, qui est toujours un peu plus froide ; le cœur est en quelque sorte un animal dans l’animal. Il n’a pas d’os ; mais parfois cependant on trouve un os dans le cœur de quelques chevaux et de quelques bœufs ; cette exception tient peut-être à la grosseur de ces bêtes. Chez les grands animaux, le cœur a trois cavités ; il n’en a que deux chez les petits, ou même une seule. Deux veines principales, la grande veine et l’aorte, sont en relations avec le cœur ; le sang n’est pas identique dans les deux. Les cavités droites du cœur ont plus de sang et un sang plus chaud que les cavités de gauche ; c’est aussi le sang le plus pur. Selon les espèces, le cœur varie de grosseur ou de petitesse, de mollesse ou de dureté. Ces différences influent beaucoup sur le caractère de l’animal ; les gros cœurs font les animaux lâches ; plus petits ou moyens, ils font les animaux braves. La grandeur ou l’étroitesse des cavités cardiaques a aussi de l’importance. De tous les viscères, le cœur est celui qui supporte le moins une lésion quelconque ; on peut bien le voir en observant les cadavres des animaux immolés dans les sacrifices. Les reins, le foie, le poumon, la rate sont malades bien plus fréquemment que le cœur.

Les deux veines qui aboutissent au cœur se ramifient de là dans le corps entier, en vaisseaux de plus en plus petits, portant partout le sang et la vie, avec la chaleur et la sensibilité. La grande veine est plus importante que l’aorte. On pourrait comparer cette répartition du fluide sanguin à ces canaux d’irrigation qui fécondent les vergers bien cultivés ; la nature, aussi, a canalisé le sang. C’est ce qui apparaît très nettement à travers la peau des personnes maigres ; on le voit encore bien mieux à la moindre blessure, puisque le sang jaillit dans toutes les parties du corps, pour peu qu’on se coupe ou qu’on se pique. Il y a même des maladies, où, sans lésion extérieure, le sang exsude de toutes parts.

Le poumon, non loin du cœur, sert, dans les animaux qui ont cet organe, à faire pénétrer en eux l’air du dehors. Les poissons sont pourvus de branchies à la place du poumon ; et c’est l’eau qui les rafraîchit, au lieu de l’air. Certains animaux aquatiques, tels que la baleine, le dauphin et les cétacés souffleurs, respirent par un évent. Bien que le poumon s’élève et s’affaisse par l’entrée et la sortie de l’air, ce n’est pas lui, comme le supposent quelques naturalistes, qui fait battre le cœur ; le battement vient du cœur lui-même. Le poumon varie beaucoup de nature et de volume dans les différentes espèces. Quelques animaux l’ont plein de sang et très gros ; chez d’autres, il est petit et spongieux. Les vivipares l’ont plus développé que les ovipares ; chez les lézards et les tortues, il se gonfle beaucoup par l’afflux de l’air, ainsi que dans les oiseaux ; mais il n’est pas considérable ; et aussi, ces animaux boivent-ils en général très peu.

Si les poumons et les reins sont divisés en deux parties bien distinctes, le foie et la rate ont des divisions moins marquées. Pourtant on doit penser que ces viscères ont, ainsi que les autres, deux parties qui correspondent à la droite et à la gauche du corps. Le foie et la rate servent l’un et l’autre à la digestion, de même que les reins servent à la sécrétion de l’urine. La rate ne semble pas aussi nécessaire que le foie ; chez quelques animaux, par exemple les quadrupèdes ovipares, elle est tellement petite qu’on a peine à la reconnaître ; chez d’autres, elle devient facilement malade par la surabondance de la sécrétion.

Les animaux qui ont un poumon plein de sang ont en général une vessie, chargée de recevoir l’urine que les reins ont sécrétée. Ceux qui ont des plumes, des écailles ou des carapaces, n’ont pas de vessie, parce qu’ils boivent fort peu, et qu’en eux la sécrétion du liquide est presque nulle. Les tortues font exception ; celles de mer ont une vessie fort grande ; celles de terre en ont une plus petite.

Les reins manquent dans un assez grand nombre d’espèces d’animaux. Mais dans ceux qui ont cet organe, des canaux partent de la grande veine ou de l’aorte pour y aboutir ; d’autres canaux partent des reins eux-mêmes pour aboutir à la vessie, où converge le liquide qui doit être expulsé. Ordinairement, le rognon droit est placé un peu plus haut que le gauche. De tous les viscères, ce sont les reins qui ont le plus de graisse ; non pas précisément en eux-mêmes, parce qu’ils sont trop compacts et trop serrés, mais dans la région qui les environne. Le rein droit en a moins que le gauche. La graisse ou le suif, en s’accumulant autour des reins, surtout chez les moutons, causent des maladies mortelles. Dans l’espèce humaine, les reins sont assez souvent sujets à des affections fort douloureuses, qui causent aussi la mort.

Les animaux qui ont du sang ont également un diaphragme, destiné à séparer la région du cœur et celle du ventre, afin que l’âme sensible ait un siège plus calme et a l’abri de toutes les perturbations que subissent les parties inférieures. C’est là une des précautions les plus admirables de la nature. Le diaphragme est plus charnu vers les côtes, où il s’attache ; il est plus mince vers son milieu, afin de se prêter plus facilement à toutes les impulsions qu’il reçoit, notamment à celle du rire, privilège de l’homme parmi tous les animaux, dont aucun ne rit.

Les viscères qu’on vient d’énumérer sont revêtus de membranes qui les garantissent contre toute atteinte, et qui sont assez légères pour ne pas les gêner. L’encéphale et le cœur, qui sont les plus importants des viscères, sont, par cette raison, pourvus des membranes les plus fortes. D’ailleurs, les viscères ne se retrouvent pas dans les mêmes conditions chez tous les animaux. Ils varient beaucoup de formes et de dimensions, tout en remplissant des fonctions identiques. Ces différences sont remarquables pour le foie, la rate, et surtout pour l’estomac. Les animaux vivipares qui ont la double rangée de dents n’ont qu’un seul estomac ; mais d’autres animaux qu’on appelle ruminants, et qui n’ont pas les deux rangées de dents, ont plusieurs estomacs, pour achever la digestion de leurs aliments, qui sont d’ordinaire très secs et très durs. Les ruminants à cornes, ou sans cornes comme le chameau, sont pourvus de quatre estomacs chargés d’une élaboration successive et lente. Les oiseaux, qui, par organisation, sont privés de dents, ont un estomac spécial, qu’on appelle le gésier, et qui remplit l’office de la bouche. Parfois, le gésier même est précédé d’une sorte de vestibule, qui est le jabot. Les poissons ont des dents ; mais comme elles ne leur servent pas à broyer les aliments, c’est aussi leur estomac qui se charge du travail que la bouche n’accomplit pas.

Les intestins, qui succèdent à l’estomac, offrent comme lui des variations nombreuses ; ils sont plus ou moins compliqués, plus ou moins longs, plus ou moins droits. Sur leur trajet, on distingue plusieurs parties, entre autres le côlon, la partie dite aveugle ou cœcum, le jejunum, etc. Les intestins droits et courts provoquent un renouvellement plus rapide du sentiment de la faim. Il y a un point de l’intestin, point d’ailleurs très difficile à déterminer, où l’aliment, après avoir servi à la nutrition, dépose un excrément, qui n’est plus utile et qui doit être rejeté.

Dans un des estomacs des ruminants se trouve cette substance qu’on appelle la présure ; ce n’est que du lait qui se caille, parce qu’il est extrêmement épais. Quand l’estomac est unique, le lait, beaucoup plus léger, ne s’y caille pas ; et il ne produit pas de présure.

Le quatrième et dernier livre du traité des Parties continue cette étude des intestins, en comparant leur structure dans les quadrupèdes ovipares, dans les reptiles et dans les poissons. Puis, l’auteur passe à la bile, qui tantôt se trouve dans le foie, et tantôt dans une vésicule à part. Certains animaux, le cheval, le mulet, l’âne, le cerf, le daim n’ont pas de bile ; parmi les poissons de la haute mer, le phoque et le dauphin n’ont pas de fiel. Quelquefois cette variation se montre dans un même genre ; ainsi, il y a des hommes qui n’ont pas de bile ; entre les moutons, les uns n’en ont pas du tout, tandis que d’autres en ont surabondamment. La bile n’a pas d’autre objet que de purifier le sang ; c’est une excrétion salutaire. Toutefois, il est bien probable que les animaux vivent d’autant plus longtemps qu’ils sont moins bilieux.

L’étude sur les intestins s’étend aussi à l’épiploon, et au mésentère, qui tous deux servent, dans une certaine mesure, à la digestion des aliments.

Il semblerait que la suite naturelle de toutes ces observations serait l’étude des organes de la génération ; mais le sujet est si important qu’il faut le remettre à un ouvrage où il devra être traité à part, et tout au long. En attendant et pour compléter ce qui précède, Aristote, qui s’est occupé jusqu’ici des animaux pourvus de sang, passe aux animaux qui n’en ont pas ; et il décrit en détails, aussi exacts que nombreux, l’organisation et les viscères, des mollusques, des crustacés, des testacés, des oursins, des holothuries, des éponges, des acalèphes, des téthyes, qui sont presque des plantes, et enfin l’organisation des insectes, avec ou sans aiguillon, à l’extérieur ou à l’intérieur, par devant ou par derrière, insectes qui volent ou qui rampent, qui marchent ou qui sautent.

Ici et par une transition peu justifiée, l’auteur revient à l’homme pour noter en lui certaines particularités très caractéristiques, entre autres la main, dont il explique la destination beaucoup mieux que ne l’avait fait Anaxagore, qui avait attribué à l’organisation des mains l’intelligence de l’homme, au lieu de voir simplement dans la main l’instrument docile de cette intelligence. Enfin, l’auteur se répétant encore revient sur l’organisation des ovipares, reptiles, oiseaux et poissons ; et l’ouvrage finit brusquement par un court chapitre sur l’autruche, animal équivoque, qui est une sorte de demi-quadrupède et de demi-oiseau.

Il est clair que, dans cette dernière portion de l’ouvrage, il s’est glissé quelque désordre ; mais cette irrégularité, d’ailleurs peu grave, s’explique, comme bien d’autres, par la mort prématurée d’Aristote et par le destin de ses manuscrits, subissant les péripéties que l’on sait, avant d’arriver à Rome dans la bibliothèque de Sylla, et avant de passer de la bibliothèque du dictateur jusque dans les nôtres.

Tel est l’ensemble du traité des Parties ; telles sont les recherches dont il est rempli. Pour peu qu’on l’ait lu avec attention et impartialité, l’hésitation n’est plus permise à quelque faible degré que ce soit. D’un bout à l’autre, c’est de la physiologie comparée ; et comme le dit fort bien un critique d’Aristote, M. Lewes, qui n’est pas suspect de flatterie ou de complaisance : « Voilà le premier essai « pour fonder la biologie sur l’anatomie de « tous les êtres animés. » (Aristote, p. 323). Désormais cette démonstration est acquise ; et la science ne peut, sous peine de s’ignorer elle-même, ignorer que c’est là, dans la Grèce, au temps d’Alexandre, la source d’où elle est sortie, et où elle doit toujours remonter pour mesurer les accroissements qu’elle a pris, gage de ceux qu’elle doit recevoir encore.

Nous n’insisterons donc pas ; mais avant de montrer ce que la physiologie est devenue depuis Aristote, il faut indiquer dans quel état elle se présentait avant lui. Pour l’Histoire des Animaux, il n’y a dans la philosophie grecque aucun précédent ; il n’en est pas tout à fait de même pour le traité des Parties, du moins en ce qui touche la physiologie de l’homme. Platon avait, sous certains rapports, et dans une certaine mesure, devancé son disciple, sans d’ailleurs créer la science, à laquelle il ne sut pas donner de fermes assises, tout en l’entrevoyant. Il ne faudrait pas exagérer la valeur physiologique du Timée ; mais le tort ne serait pas moindre de la déprécier sans justice. Après avoir invoqué pieusement les dieux, Timée essaie d’expliquer l’origine des choses, l’organisation de la matière, et peut-être aussi la création. Dans un langage solennel et presque poétique, qui du reste ne prétend qu’à la simple vraisemblance, il descend du Dieu suprême aux divinités inférieures, et de là aux choses de la terre, et enfin à l’humanité. Ce qui le frappe par-dessus tout, c’est l’union de l’âme et du corps ; c’est l’obscur et essentiel enchaînement de la vie morale et de la vie physique. Il décrit le corps humain à grands traits, et il passe en revue, sans beaucoup d’ordre, tous les organes et tous les membres : d’abord la tête et le visage, puis les sens, siège des perceptions de plaisir et de douleur. De la partie supérieure du corps, il en vient aux parties moyennes, et il parle du cou, du tronc, du diaphragme, du cœur, du poumon, de la trachée-artère, du foie et de la bile, de la rate, du bas-ventre, des os, de la chair, de la moelle, de la peau, des cheveux, des ongles, de la respiration, du sang nourricier, du tétanos, de l’épilepsie, de beaucoup d’autres sujets analogues, et enfin de la génération. Pour préparer dans l’homme l’harmonie des deux principes, qui se combattent en lui tout en y étant conjoints, il dit quelques mots des maladies de l’âme, plus dangereuses que celles du corps ; et il finit en plaçant ces théories sous la protection du Dieu très bon et très grand, dont il a tenté de comprendre les œuvres.

Tous les sujets abordés par Timée sont donc les sujets mêmes qu’Aristote a traités avec plus de soin et d’étendue ; mais ce qui manque à Platon, c’est l’esprit scientifique. Il s’abandonne à des intuitions purement rationnelles, qui l’écartent de l’observation scrupuleuse des faits. C’est pour servir des opinions préconçues qu’il contemple les choses de l’univers et celles du monde où nous vivons. Ce n’est pas le moyen de dissiper les ténèbres ; et cependant, du milieu de cette confusion, sortent fréquemment des éclairs éblouissants qui dénotent le génie de l’auteur, et qui font regretter qu’une méthode plus sévère ne l’ait pas guidé. Quelques aperçus pleins de profondeur témoignent de ce qu’il durait pu faire dans une meilleure voie. Mais la gloire de Platon est ailleurs, et elle reste incomparable dans le domaine où il l’a conquise pour jamais.

Ainsi, dans l’école où Aristote est resté vingt ans un silencieux disciple, il trouvait des pressentiments qui ont pu susciter son ardente admiration pour les merveilles de la nature, et éveiller en lui l’idée d’une science nouvelle ; mais cette science, si elle était possible, était loin d’être réalisée ; il n’y avait encore que quelques matériaux d’un futur édifice, peu nombreux et presque informes. C’est Aristote seul qui a construit la science, en lui assurant des bases immuables, en lui assignant sa méthode, en fixant ses principes et ses limites, en recueillant un grand nombre des faits qui la constituent, depuis le plus éminent des êtres animés jusqu’à ceux qui se distinguent à peine de la planté. Après cet enseignement, la science n’a plus qu’à se développer dans la carrière qu’il lui a ouverte, et à imiter, toutes les fois que des circonstances favorables le lui permettent, l’exemple venu de l’Antiquité.

Dans l’école péripatéticienne elle-même, la physiologie, inaugurée par le maître, ne paraît pas avoir fait le moindre progrès. Théophraste s’occupe exclusivement des plantes ; il les étudie aussi largement qu’Aristote avait étudié les animaux. Ainsi que lui, et sans doute sous son inspiration, il distribue son sujet selon les exigences de la méthode bien comprise : d’abord la description des phénomènes, et en second lieu leur explication, ou, pour prendre les termes mêmes qu’emploient les deux philosophes grecs, l’histoire et les causes.

L’école Alexandrine ne semble pas non plus s’être livrée à la physiologie comparée, tout en consacrant bien des recherches aux sciences voisines. Érasistrate, petit-fils d’Aristote, et Hérophile, l’un et l’autre contemporains de Théophraste, sont d’illustres médecins, que Celse et Galien citent souvent ; ils ont fait en pathologie et dans la physiologie de l’homme des découvertes qui ont rendu leurs noms immortels, à défaut de leurs œuvres ; mais fidèles à la médecine, ils ne la désertent pas ; et la physiologie générale leur échappe, quelque attrayante qu’elle pût être sous la conduite d’Aristote, vénéré à Alexandrie et à Athènes presque autant qu’il le fut par notre Moyen-âge.

Varron, le plus savant des Romains et surnommé le polygraphe par excellence (polygraphissime), a écrit sur une foule de sujets, dont Cicéron, son ami, nous a laissé une assez complète nomenclature dans ses Académiques (livre 1, ch. III) ; mais malgré des labeurs variés et persévérants, la curiosité de Varron a omis l’histoire naturelle ; il avait pu connaître cependant les œuvres d’Aristote par Tyrannion et Andronicus de Rhodes.

Ces œuvres ont été certainement connues de Cicéron, quoiqu’il n’en cite expressément aucune. Cicéron avait traduit le Timée de Platon, et sa traduction nous est restée en grande partie ; mais ce n’est pas la physiologie platonicienne qui lui a appris tout ce qu’il dit de l’homme, de sa main, des principaux organes de son corps, de sa station droite, de sa supériorité sur tous les autres êtres (De natura Deorum, livre II, ch. XLVII à LXI). C’est à Aristote qu’il doit toutes ces notions, qui semblent l’intéresser vivement. Il fait une mention expresse d’un passage de l’Histoire des Animaux sur les grues ; mais il n’est pas à douter qu’il ait possédé aussi le traité des Parties, bien qu’en énumérant les emprunts faits, selon lui, par Rome à la Grèce, il soit muet sur les sciences naturelles.

Celse, au temps d’Auguste, compose un ouvrage d’une régularité et d’une solidité qui, même parmi nous, sont fort rares ; mais dans ses huit livres, il ne fait absolument que de la pathologie. S’il traite de la tête, du cou, de la gorge, de l’œsophage, de l’estomac, des viscères, des os, c’est pour décrire et combattre les affections morbides dont ces organes peuvent être atteints. C’est dans cette vue exclusive qu’il expose sa pharmacopée et sa chirurgie ; il veut rester strictement médecin. S’il fait un peu de physiologie, c’est celle de l’homme ; et il ne s’est pas détourné, non plus que ses devanciers, jusqu’à celle des animaux.

On peut remarquer une abstention semblable dans Sénèque. Ses Questions naturelles n’embrassent pas l’organisation animale. Il se borne aux grands spectacles que le Ciel nous présente, et aux phénomènes principaux qui se passent à la surface de notre terre, les volcans, la crue des fleuves, l’altitude des montagnes ; il n’est pas allé plus loin, si toutefois ce n’est pas le temps qui nous a privés de ce que Sénèque avait peut-être écrit sur le reste de la nature.

Le silence se serait moins compris de la part de Pline. Pour rassembler les nombreux documents de son ouvrage, que, par une locution grecque, il appelle à bon droit une Encyclopédie, il prend de toutes mains, et très largement d’Aristote, qu’il cite fréquemment, qu’il traduit, qu’il commente, et qu’il admire de toutes façons. Le plus souvent il se contente de l’Histoire des Animaux ; mais il a recours aussi au traité des Parties. Son défaut bien connu, c’est de chercher à piquer la curiosité de ses lecteurs et de ne s’intéresser qu’aux faits extraordinaires. Dans sa crédulité, qui accepte les opinions extravagantes du plus ignorant vulgaire, il ne repousse pas les récits les plus invraisemblables. Aux faits exacts que lui fournit Aristote, il mêle, sans aucun discernement, les faits les plus faux et les plus impossibles. On concevrait donc que la physiologie comparée ait touché assez peu un esprit porté moins à la science qu’à l’anecdote. Sans contredit Pline est fort instruit ; sa vaste compilation, dont les XXXVII livres comprennent le tableau de la nature depuis les phénomènes célestes jusqu’aux minéraux, reste infiniment précieuse par tous les renseignements qu’elle nous a conservés ; mais elle n’est pas scientifique. L’auteur est un grand écrivain ; mais c’est toujours un lettré, et jamais un savant.

Quoi qu’il en soit, après avoir dépeint, à sa manière, tous les animaux, de l’homme à l’insecte, il en arrive à traiter des parties de leur corps (livre XI, ch. XLIV et suiv.) ; et il fait, dans cette intention, une véritable analyse de l’ouvrage d’Aristote, sans d’ailleurs le nommer expressément. La tête, les cornes, les cheveux, le cerveau, les oreilles, le visage, les yeux, les dents, la langue, le cou avec le larynx, l’épiglotte et le pharynx, la colonne vertébrale, le cœur, le foie, la bile, l’estomac, les reins, la graisse, la moelle, les os, les nerfs, les artères, le sang, la peau, les poils, les mamelles, le lait, la main de l’homme et ses doigts, les pieds des animaux, leur voix, etc., etc., il parcourt tous ces sujets sur les pas de son modèle, avec peu d’ordre, mais avec des connaissances de détail qui vont quelquefois au delà de celles d’Aristote, et qui prouvent les faibles progrès que la physiologie comparée avait faits en quatre siècles. Dans le livre que Pline a consacré à l’homme, le septième de son Histoire naturelle, on trouve les premières traces et le cadre assez complet d’une science que le XIXe siècle se flatte d’avoir inventée, l’anthropologie. Enfin Pline sait parler de l’homme, de sa misère et de sa grandeur, avec une vérité pénétrante et une éloquente tristesse que Pascal seul a surpassées : « Tantum nudum et in nuda humo… vagitus… ploratum… lacrymas… flens animal, caeteris imperaturum. »

LXIV Vers le temps de Pline et un peu ayant Galien, Rufus d’Éphèse, habile médecin, qui était Grec malgré son nom latin, se rendit célèbre par des travaux d’anatomie qui doivent tenir une assez grande place dans l’histoire de la science. Il ne nous reste de lui, outre des fragments nombreux, que trois traités : sur les maladies de la vessie et des reins, sur les noms des Parties du corps humain, et sur la goutte. C’est le second de ces ouvrages qui seul a quelque intérêt pour la physiologie, dont nous essayons ici de retracer les destinées. Évidemment, ce traité des noms des Parties a été inspiré par celui d’Aristote, que Rufus cite à propos du lobe de l’oreille. C’est un manuel très clair et assez bien classé dans tous ses détails, qui s’adresse aux étudiants, et qui se rapproche beaucoup des manuels de notre temps. L’analyse y est très développée et généralement exacte, un peu minutieuse, mais précise. Elle donne une bonne opinion des études médicales au temps de Trajan, sous le règne de qui. Rufus a vécu, puisque Galien le nomme parmi les médecins les plus récents. Rufus avait disséqué des singes, ainsi qu’il nous l’apprend ; mais, d’après les faits consignés dans ses œuvres, il n’y a pas de doute qu’il a disséqué aussi des cadavres humains. On attribue à Rufus la distinction des nerfs de mouvement et des nerfs de sensibilité ; mais Rufus, lui-même, rapporte cette belle découverte à Érasistrate. (Voir l’édition de Rufus de Daremberg-Ruelle, 1860, page 185.)

Avec Galien, on rentre dans la science pure, d’où Pline était sorti ; mais comme avec Celse et Rufus, cette science est exclusivement médicale ; elle ne s’attache qu’a la physiologie de l’homme. Du reste, Galien a su développer beaucoup pour son époque cette branche de la médecine. Fils d’un père qui joignait à une grande richesse une instruction non moins grande, formé de très bonne heure par une éducation excellente, doué des qualités les plus distinguées et les plus souples, excessivement laborieux et curieux en tout genre, passionné pour la philosophie autant que pour l’art médical, Galien réunissait toutes les conditions d’un succès facile et durable, qui, pour quelque temps, en a fait l’égal d’Hippocrate. Contemporain de Marc-Aurèle, il a été son médecin, celui de Commode et de Septime-Sévère. Il a très probablement vécu même après cet empereur (211 ap. J.-C), sans, qu’on sache au juste à quel âge il est mort. Né à Pergame, en Mysie, il quitta fort jeune sa patrie, y revint à plusieurs reprises, vécut quelques années à Rome, et voyagea dans la plupart des provinces de l’Empire, où il fut en relations suivies avec tous les savants et les philosophes de son temps, comme le montrent les vives polémiques où il se plut, un peu trop souvent, à s’engager avec eux.

Ses œuvres, dont nous n’avons qu’une portion, sont extrêmement volumineuses. Aussi a-t-il dû, dans un livre spécial, se donner la peine de nous apprendre lui-même selon quel ordre et selon quel esprit il fallait les lire. Mais une seule de ses œuvres doit nous arrêter ; elle est intitulée : « De l’usage des Parties dans le corps de l’homme. » C’est une reproduction, un peu prolixe, de l’ouvrage d’Aristote, réduit à la physiologie humaine. En dix-sept chapitres, ou livres, d’inégale longueur, Galien étudie la main et le bras, les membres abdominaux, les organes alimentaires, les organes de la respiration et de la voix, l’encéphale avec les sens, les yeux, la face, le cou, l’épine dorsale, les organes de la génération, les nerfs, les artères, les veines ; et il termine cette étude par un élan d’admiration pour la sagesse et la bonté de la nature. Les sentiments de Galien et ses idées sont donc tout Aristotéliques ; et il était assez difficile qu’il en fût autrement, puisqu’Aristote avait vu la vérité, et que c’eût été s’écarter d’elle que s’écarter de lui.

Outre cet ouvrage particulier, Galien en a fait beaucoup d’autres, qui touchent aux mêmes sujets. Ainsi, il a composé des traités sur les os, sur le mouvement et l’anatomie des muscles, sur l’anatomie de la matrice, sur l’anatomie des organes vocaux, sur la respiration, sur la liqueur séminale, sur le pouls, sur l’odorat, etc.

Le plus souvent, Galien est de l’avis d’Aristote, et c’est ainsi que, dans ce qui est relatif à l’organisation de la main humaine, il se prononce avec lui contre Anaxagore, qui s’est trompé en prenant l’effet pour la cause. Mais d’autres fois, Galien réfute Aristote, comme il le fait à propos des ongles, dont, à l’en croire, Aristote n’a pas bien compris l’office. La plus forte divergence entre les deux naturalistes, c’est que l’un, en sa qualité de médecin, a surtout considéré l’homme, et que l’autre, plus philosophe encore que physiologiste, a cherché à étudier la question de la vie dans toute sa généralité. Galien ne s’est pas élevé à cette vue d’ensemble ; un médecin n’y était pas tenu. Néanmoins on peut trouver assez étrange qu’il ait omis une étude si rapprochée des siennes, quand on le voit se livrer à des études bien plus éloignées, comme la logique, à laquelle il paraît avoir donné beaucoup de temps et beaucoup de labeur, satisfaisant son goût pour les théories subtiles et captieuses.

Dans un ouvrage considérable sur la Méthode thérapeutique, Galien agite la question générale de la méthode, et il discute la méthode de Platon dans le Sophiste et le Politique, en même temps que celle d’Aristote dans le traité des Parties, qu’il cite en le nommant. (Galien, édition de Kühn, t. X, p. 26, Leipsig, 1821.) En fait de méthode, il n’approuve pas plus le maître que l’élève ; Aristote avait combattu la Dichotomie Platonicienne ; et pourtant Galien, qui la combat comme lui, le critique vivement, et avec peu de justesse, à ce qu’il semble. Il trouve qu’Aristote n’exprime pas sa pensée assez nettement ; il le blâme de ses hésitations, et il lui reproche de ne point oser se prononcer. En ceci, Galien commet une erreur manifeste ; car il est impossible d’être un adversaire plus déclaré de la méthode de division que ne l’est Aristote. Qui voudrait s’en assurer n’aurait qu’à lire un chapitre du traité des Parties. Il est vrai que Galien, tout en parlant de la méthode en général, pense surtout à la méthode en médecine ; mais c’est oublier un peu trop qu’il est logicien. La méthode recommandée par Aristote et pratiquée par lui est la vraie, et il n’y a point lieu de la changer. Galien aurait pu la garder, tout en repoussant la méthode de la division par deux.

Oribase, né à Pergame comme Galien, avait fait par ordre de l’empereur Julien, dont il était le médecin et l’ami, une immense Collection médicale, dont une partie seulement est arrivée jusqu’à nous, dix-sept livres sur soixante-dix. C’est un assemblage d’extraits empruntés aux médecins les plus fameux des derniers siècles de l’Antiquité et des premiers siècles de notre ère. La seconde partie, qui regardait l’anatomie et la physiologie de l’homme, est perdue ; et il est difficile de juger de ce qu’elle pouvait ajouter aux théories d’Aristote et à celles de Galien ; mais probablement la physiologie comparée avait échappé à Oribase comme à presque tous les médecins, ses prédécesseurs. (Voir l’édition d’Oribase de Daremberg, Bussemaker et Molinier, 8 vol. in-8, 1833-1857.)

Avec Oribase, on pourrait dire avec Galien déjà, finit l’Antiquité scientifique. Dès cette époque, le génie grec est en décadence, comme l’Empire ; et bientôt l’invasion des Barbares vient achever la ruine que la corruption du Paganisme avait commencée. Dans ces longs siècles de stérilité, la physiologie comparée est oubliée, à peu près autant que le sont d’autres sciences plus utiles ; il faut attendre environ mille ans, pour que la lumière reparaisse, au milieu de ces lourdes ténèbres qui pèsent sur le Moyen-âge, et qui ne se dissipent peu à peu qu’à partir du XIIe et du XIIIe siècles.

Mais avant de quitter le sol fécond et sacré de la Grèce, il faut lui rendre un nouvel hommage et rappeler en quelques mots ce qu’étaient les germes qu’elle avait enfantés, et qu’elle léguait au monde dans le champ de la physiologie comparée. Cette science avait été, comme tant d’autres, fondée par Aristote, trois cent trente ans au moins avant l’ère chrétienne, on a vu sur quelles bases solides et inébranlables. L’esprit humain n’y ajoute rien dans les temps qui s’écoulent d’Alexandre le Grand à Justinien ; du premier pas, Aristote s’était tellement avancé que personne n’a pu marcher à sa hauteur. L’histoire naturelle demeure donc immobile au point où son génie l’avait conduite. Aucun savant, pas même Pline, n’avait été en état de recueillir cet héritage et de le faire fructifier. Tout au plus, quelques médecins portés, par l’art qu’ils cultivent, à étudier la physiologie, s’occupent-ils de celle de l’homme ; mais ils ne vont pas jusqu’aux animaux ; ils accumulent un grand nombre d’observations dans le domaine qui est le leur ; ils n’en sortent pas ; et quoique très frappés, comme Aristote, des perfections de l’organisation humaine, l’organisation non moins merveilleuse de la vie chez les autres êtres animés ne leur dit rien ; ils s’enferment dans leur cercle, qui est encore très vaste et surtout très pratique, mais qui est bien étroit, comparativement à l’infinitude de la vie « dans l’ample sein de la nature. »

Telle est la part de l’Antiquité.

Pour rencontrer, dans les siècles qui la suivent, un monument de quelque valeur, il faut arriver, par l’intermédiaire des Syriens et des Arabes, à la Renaissance du XIIIe siècle, prélude de la vraie Renaissance du XVIe Au milieu d’un mouvement immense, Albert le Grand (1193-1280) occupe la place principale. Il étudie et enseigne Aristote d’après les traductions d’Avicenne (980-1037) et d’Averroës (1120-1198), et d’après celles de Michel Scolus, le protégé de Frédéric II, les unes faites sur l’arabe, les autres faites directement sur le grec, plus ou moins bien compris. Il semble que c’est surtout à Avicenne qu’Albert le Grand demande la forme de son ouvrage, si ce n’est le fond, qui est toujours tiré d’Aristote. Comme Avicenne, il paraphrase ; il ne commente pas ; et à son exemple encore, il réunit les trois traités d’Aristote en un seul : « De animalibus. » Sous sa main, l’Histoire des Animaux, le traité des Parties et celui de la Génération ne forment plus qu’un tout systématique de ce qu’on savait alors de plus scientifique sur le règne animal. On ne pouvait pas rendre de service plus signalé à la science de ces temps. Aristote peut sembler aujourd’hui, si on le juge superficiellement, être bien incomplet ; ses lacunes sont de toute évidence, comme elles sont de toute nécessité ; mais, en dépit de quelques erreurs fort rares, quelle heureuse fortune, au siècle de Saint-Louis, dans les limbes où l’on était encore plongé, d’écouter un maître tel qu’Aristote ! Quelle mine inépuisable d’instruction ! Que de vérités ! Que d’observations exactes ! Quelles vues sur la beauté, la grandeur, la magnificence, la sagesse de la nature, « dans sa haute et pleine majesté ! » Voilà ce qui dut exciter puissamment le zèle d’Albert le Grand et attirer les disciples qui se pressaient à ses leçons. Nous ne saurions trop louer ces efforts héroïques dans un temps où tout était si difficile ; ils sont souvent dédaignés par ceux qui ne les comprennent pas ; mais, en soi, ils sont dignes de la plus sérieuse estime. Sans doute, il aurait valu beaucoup mieux étudier la nature plutôt que son interprète, quelque autorisé qu’il fût. Mais il ne faut attendre des diverses époques de l’humanité, non plus que des individus, que ce qu’elles peuvent accomplir. La Grèce, par son génie propre, et aussi par la faveur des circonstances, s’était astreinte dès son début à la discipline sévère de la science ; l’observation régulière des faits était née avec ses premières écoles de philosophie, pour atteindre presque aussitôt à la perfection, avec Hippocrate, avec Aristote et tant d’autres. Le génie moderne, à son berceau, ne devait pas être aussi bien partagé ; son éducation était à refaire tout entière ; il dut se mettre à l’école, à peu près comme on y met les enfants qui commencent à s’instruire. Notre Moyen-âge a été cette pénible initiation ; et si, à cette heure, l’intelligence moderne est si forte, c’est qu’elle a eu le bonheur de recevoir son premier enseignement de la Grèce, et d’avoir pour précepteur des hommes tels qu’Albert le Grand, Saint-Thomas et leurs laborieux contemporains.

On ne peut pas dire qu’Albert ait fait faire à la physiologie comparée et à la zoologie de véritables progrès, bien qu’on lui doive quelques ouvrages originaux, un entre autres sur la Nature des Oiseaux, « De Natura avium. » Mais s’il n’a rien ajouté à ce que lui transmettait la tradition, c’était déjà beaucoup de conserver et de ressusciter ce précieux dépôt ; et l’on peut affirmer qu’Albert a contribué autant que personne à la rénovation qui, depuis six siècles, n’a pas cessé de grandir de jour en jour, et qui a soutenu l’esprit moderne, de sa débile enfance à l’Age adulte et viril qui fleurit sous nos yeux. Albert le Grand est un de ces instituteurs dont le nom reste à jamais respecté ; la reconnaissance ne doit pas lui être ménagée, chaque fois que l’occasion de la lui exprimer s’offre à nous.

C’est à l’influence d’Albert le Grand qu’il faut rapporter en partie le mouvement d’études qui se manifeste après lui ; on en trouve les traces évidentes dans les ouvrages de cette époque obscure, parmi lesquels un des plus remarquables est celui de Mundino Mundinus, Ramondino, professeur de Bologne, mort en 1326. Cet ouvrage, qui est intitulé : « De omnibus humani corporis interioribus membris anathomia », a régné deux cents ans dans les écoles. C’est un manuel pour les élèves en médecine qui fréquentaient les cours de Mundino ; il est parfaitement composé ; et, dans une suite de chapitres concis et très clairs, il donne des notions exactes sur les principaux viscères de l’homme, mésentère, estomac, rate, foie, vessie, veine du chyle, reins, conduits spermatiques, matrice, testicules, ventre, mamelles, muscles, cœur, poumons, trachée-artère, bouche, langue, tête, crâne, dure-mère, cerveau, oreille, et enfin les os, dont l’auteur porte, d’après Avicenne, le nombre total à deux cent quarante-huit, de même qu’il porte le nombre des muscles à cinq cent vingt-neuf, d’après Galien.

Nous n’avons pas à en dire davantage de cette œuvre de Mundino, parce qu’elle est simplement de l’anatomie humaine, et non de la physiologie comparée. Mais nous devions la signaler et la saluer au passage, pour nous arrêter un peu plus aux savants hommes, qui, dans le XVIe siècle, ont été, après Zerbis, Achillini, Bérenger de Garpi, Sylvius, etc., les précurseurs et les représentants de la science moderne. Tout était prêt pour cet enfantement définitif ; car il était inévitable qu’après avoir si longtemps commenté Aristote, on l’imitât, et qu’à son exemple, on se mît à étudier la nature, à côté et au-dessus des écrits que le philosophe lui avait consacrés. C’était là encore l’œuvre de disciples qui se montraient fidèles, tout en dépassant de beaucoup le maître qui les avait formés.

Vésale est l’homme de génie qui, entre tous, trace le plus brillamment la carrière nouvelle, avec une admiration sincère pour les Anciens, mais avec une indépendance absolue. Il a pu composer, dans une existence courte et agitée (1514-1564), des ouvrages d’anatomie dont Boerhaave et Albinus, deux siècles après lui, se faisaient encore un devoir de donner une superbe et utile édition.

LXVVIII. Né à Bruxelles, instruit aux écoles de Louvain, de Paris et aux Universités italiennes, Vésale s’est surtout appliqué à l’anatomie humaine, qu’il a analysée depuis les os jusqu’au cerveau et aux organes des sens, en accompagnant de planches nombreuses et exactes des descriptions qui auraient pu s’en passer, grâce à leur clarté. Médecin de Charles-Quint à qui il dédiait, bien jeune encore (4542), son livre célèbre : « De corporis humani fabrica, » médecin aussi de Philippe II, qui eut à le défendre contre les persécutions aveugles de l’Inquisition, Vésale, forcé à l’exil et à de lointains voyages, mourait sans avoir pu donner au monde tout ce qu’il avait promis. Il n’a eu le temps de rien faire, ni pour l’anatomie comparée, ni pour la physiologie générale ; mais des travaux tels que les siens rayonnent au delà de leur sphère spéciale ; et la méthode qu’il appliquait à l’organisation de l’homme n’avait plus qu’à s’étendre au reste de l’animalité.

On ne parlera ici des travaux de Fallope et d’Eustache qu’avec la même réserve. Ce sont l’un et l’autre de très habiles anatomistes, qui ont mérité par leurs découvertes d’attacher leur illustre nom à des parties de l’organisme humain. Fallope (Fallopio) élève de Vésale, professeur dans plusieurs Universités italiennes et à Padoue, est mort avant quarante ans (1563). Eustache (Eustachi), adversaire de Vésale, et professeur à la Sapience (mort en 1590), a fourni une vie plus longue et non moins remplie. Ils ont porté tous deux dans leurs dissections une adresse et une exactitude supérieures. Fallope passe pour un des premiers qui, dans les temps modernes, aient eu recours à la vivisection ; il ne l’a pas précisément inventée, puisqu’il paraît certain qu’Hérophile, grand anatomiste aussi, la pratiquait déjà dans l’école d’Alexandrie. Mais Fallope a employé ce moyen d’investigation jusqu’à cette extrême limite où elle devient un crime ; si l’on en croit un horrible aveu, venu de lui-même, il aurait disséqué tout vivants des criminels que lui livrait la justice du Grand-Duc de Toscane. (Biographie universelle de Michaud, 2e édition, p. 360, 2e colonne ; article Fallope.) Ni dans Vésale, ni dans Fallope, ni dans Eustache, ni dans Sylvius, on ne trouve de physiologie comparée et d’anatomie comparée, à l’état de sciences distinctes, bien qu’ils établissent tous de fréquents rapprochements entre l’homme et les animaux.

A qui revient la gloire d’avoir pressenti, si ce n’est inauguré, ces deux sciences à la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe ? Est-ce à notre Ambroise Paré ? Est-ce à Fabrice d’Acquapendente, l’élève et le successeur de Fallopio à Padoue, ou même à Koiter, de Nuremberg ? Paré mourut en 1590 ; Koiter en 1600, et Fabrice vingt ans plus tard, en 1619.

Ambroise Paré est le plus savant des anatomistes français de son temps. Chirurgien des rois Henri II, Charles IX, Henri III, son principal ouvrage : « Briève collection de l’administration anatomique » ne concerne que l’anatomie humaine, aussi complète dans ce livre qu’elle pouvait l’être à ce moment. Mais dans un autre ouvrage de moindre importance, Ambroise Paré fait de la physiologie comparée. Cet ouvrage a pour titre : « le Livre des animaux et de l’excellence de l’homme. » Sur vingt-et-un chapitres, les quatre derniers sont consacrés à l’homme exclusivement. Dans l’Antiquité, Aristote aussi avait pris l’homme pour type, et il avait rapporté à cette organisation plus parfaite celle des animaux secondaires qu’il connaissait. Paré a surtout étudié le squelette de l’homme comparativement à celui des quadrupèdes et des oiseaux, comme l’avait déjà fait Belon. C’était là une vue féconde ; mais ce n’était pas encore un système.

Il n’y a non plus rien de systématique dans les travaux de Koiter, élève de Fallope et d’Aldrovande, quoiqu’il ait disséqué et représenté les squelettes d’assez nombreux animaux. Il ne fait encore que des notices séparées ; mais ces détails suggéraient assez aisément l’idée de les comparer entre eux, et de rassembler régulièrement tous les éléments de la science nouvelle.

Le progrès est beaucoup plus sensible dans Fabrice, et la physiologie comparée est bien près de revêtir par ses mains la forme qui lui appartient. En étudiant diverses fonctions, la vue, l’ouïe, la voix, Fabrice parcourt la série animale pour élucider ce qui concerne l’homme ; mais c’est dans ses deux ouvrages : « De totius animalis tegumentis » et « De motu locali animalium secundum totum » que se trouve sa physiologie comparée. Il est vrai que ces deux sujets n’étaient pas tout à fait neufs ; le premier avait été indiqué, et le second, spécialement exposé par Aristote dans son étude sur la Marche des Animaux. Fabrice n’a fait que le continuer. Mais il avait en outre préparé un recueil qui devait s’appeler : « Totius fabricœ animalis theatrum. » Pour cet ouvrage projeté, il avait fait graver trois cents planches, qui ne se sont pas retrouvées après sa mort, comme se sont retrouvées celle d’Eustache, publiées un siècle et demi plus tard par Lancisi. A ces différents titres, Fabrice d’Acquapendente, quarante ans professeur à Padoue, peut être regardé comme un des pères de la physiologie comparée dans les temps modernes. Ainsi, l’idée complète de la science n’a été entrevue et presque conquise que deux mille ans après Aristote. Mais si la nouvelle science n’a pas reçu dès lors le nom qui deviendra sa consécration incontestée, son principe est reconnu ; son domaine est déterminé, et il ne sera plus possible de le lui disputer, lorsqu’un savant plus heureux en prendra définitivement possession.

Il y a de très beaux noms au XVIIe siècle parmi les physiologistes, médecins ou philosophes, Harvey, Descartes, Thomas Willis ; mais c’est de l’homme qu’ils se préoccupent beaucoup plus que des animaux. Harvey (1578-1638), médecin de Jacques 1er et de Charles Ier, s’est immortalisé en expliquant, comme on le sait, la circulation du sang, soupçonnée par Servet, par Césalpin et quelques autres. Mais en physiologie comparée, il n’a fait qu’un assez court traité sur la génération des animaux. Comme Aristote, qu’il admire beaucoup (Naturae diligentissimus investigator), il étudie à peu près uniquement l’œuf de la poule, en profitant des observations de Fabrice. Sur soixante-douze Exercices, comme il les appelle (Exercitationes anatomicœ, Amsterdam, 1651), il en consacre soixante-trois aux oiseaux ; il donne ensuite quelques chapitres à la génération des vivipares, parmi lesquels il ne distingue guère que l’espèce des Cervidés ; et il termine son travail par une théorie sur la chaleur animale et sur l’humidité originelle des êtres animés. D’ailleurs, son exposition est excellente, concise et parfaitement claire, comme le fameux traité « De motu cordis et sanguinis circulatione » (1628-1649). Harvey avait aussi rédigé un opuscule sur la locomotion des animaux ; mais le manuscrit, qu’il n’avait pas eu le temps de publier, a disparu après sa mort.

Partisan déclaré de la belle découverte d’Harvey, à un instant où elle était récente et très contestée, Descartes a fait, dans sa studieuse retraite, presque autant de physiologie et de médecine que de métaphysique et de géométrie.

L’éclatante et juste renommée du « Discours de la Méthode » a effacé les labeurs secondaires ; mais ils n’en sont pas moins importants, et l’on a démontré l’influence que les idées physiologiques de Descartes ont exercée au XVIIe siècle (M. le docteur Bertrand de Saint-Germain, 1860). Comme on devait s’y attendre, Descartes se préoccupa de l’homme par-dessus tout ; les animaux ne laissent pas que de l’intéresser ; mais dans son existence trop courte (1596-1650), il n’a pu achever toutes les recherches qu’il méditait.

LXXXV Thomas Willis, d’Oxford (1622-1665), s’est signalé par son anatomie et sa pathologie du cerveau. Il a fait aussi une théorie de l’âme des bêtes (De anima brutorum), et il a tenté quelques comparaisons entre les diverses espèces d’animaux. Mais c’est une exagération de voir dans ces essais l’origine de l’anatomie comparée, telle qu’on l’entend aujourd’hui.

Ainsi, le XVIIe siècle n’a pas eu la gloire de donner à cette science une organisation systématique ; mais ce siècle brille de tant d’autres gloires qu’il peut se passer de celle-là, que ni Willis, ni Descartes, ni Harvey, ne lui ont assurée. Le XVIIIe siècle n’a pas eu davantage cet honneur, du moins dans sa première moitié, bien qu’il ait produit alors de grands médecins et de grands naturalistes, Boërhaave, Linné, Buffon, Haller (Albert). Boërhaave se contenta d’être le premier des médecins et des chimistes de son temps (1668-1738). Linné est surtout un nomenclateur de génie, qui soumet à un ordre jusque-là inconnu les éléments épars de l’histoire de la nature. Buffon, livré entièrement à la description des animaux, ne parle presque jamais d’anatomie ni de physiologie. Il consacre de persévérantes et profondes études à la génération ; mais il ne la considère que dans l’espèce humaine, et la question générale disparaît pour lui. Il croit même que l’anatomie doit rester étrangère à l’histoire naturelle ; et, à l’entendre, « c’est « seulement lorsque dans l’intérieur du corps « de l’animal il y a des choses remarquables, « soit par la conformation, soit par les usages « qu’on en peut faire, qu’on doit les ajouter « ou à la description ou à l’histoire. » Par là, Buffon ne veut pas nier les droits que peuvent avoir l’anatomie comparée et la physiologie comparée à devenir des sciences indépendantes ; mais il n’y applique pas ses sagaces recherches ; et, sans ignorer ces sciences, il ne les cultive point. Il leur rend d’ailleurs un service éminent en réunissant dans le jardin du Roi, confié à son administration, et avec l’aide de Daubenton et de Mertrud, plus d’animaux, vivants ou conservés, qu’on n’en avait jamais vu dans aucune collection. L’anatomie et la physiologie y ont trouvé des matériaux abondants, et les musées anatomiques qui en ont été tirés sont peut-être les plus riches du monde. C’est là dans la vie de Buffon une page non moins belle que toutes les pages si éloquentes qu’il a écrites.

Albert de Haller (14708-1777), anatomiste, botaniste, poète, savant presque universel, s’est illustré surtout par un traité de physiologie en huit volumes in-4 (1757-1776), écrit en un excellent latin, et attestant non moins d’érudition que de connaissances physiologiques. Haller en publiait une seconde édition quand il mourut ; elle avait pour titre : « De partium corporis humani prœcipuarum fabricâ « functionibus, opus L. annorum. » « Cet ouvrage, dit Cuvier, a étonné le monde savant, par la précision du style, par le détail immense où il entre de la structure des parties, par la discussion approfondie de toutes les opinions émises jusque-là sur leurs usages, et par des renvois exacts et prodigieusement nombreux à tous les passages des auteurs où il est question des moindres matières relatives à cette science. Il a produit une révolution heureuse et a fait bannir ces vaines hypothèses dont la physiologie semblait être demeurée le domaine. » (Biographie universelle de Michaud, article Haller). Après quelques considérations sur la méthode, Haller traite successivement de la fibre ou tissu cellulaire, des membranes, de la graisse, des vaisseaux artériels, veineux et lymphatiques, du sang, des humeurs, de la respiration, de la voix, des muscles, des sens internes et externes, de l’intelligence, de la volonté, des fonctions de nutrition, de la génération, du fœtus, de la vie de l’homme en général, et enfin de la mort.

On le voit par cette simple nomenclature, ce sont toujours les mêmes matières qu’Aristote, qui n’est peut-être pas assez apprécié par Haller, avait exposées, soit dans ses Opuscules, soit dans le Traité des Parties et dans celui de la Génération. Le cadre avait été dès l’origine si bien tracé qu’un changement n’était plus possible ; mais Haller a rempli ce cadre, très vaste encore dans ses limites, beaucoup mieux que personne avant lui ; et il a donné un exemple dont ses successeurs ne peuvent plus s’écarter. Quoique Haller se soit borné à la physiologie humaine, il a fait cependant quelques excursions, et il a touché à la physiologie comparée en étudiant le développement du poulet dans l’œuf, et celui du fœtus dans le quadrupède, les monstres, le cerveau et l’œil des oiseaux et des poissons, etc.

Mais ces travaux, quelque estimables qu’ils fussent, ne formaient pas un système ; et la physiologie comparée attendait toujours un législateur. D’ailleurs, la physiologie, si profondément analysée dans l’homme, aidait et conduisait à des vues plus générales. Haller admirait la nature, comme Aristote, et il en parle de même que lui : « Sola nova est, sola fida, nunquam satis colitur, nunquam frustra. » Mais il n’a pu explorer qu’une portion de tant de merveilles ; l’organisation humaine a suffi pour absorber sa prodigieuse activité, que, seule peut-être, a dépassée celle de Leibniz.

Vicq d’Azyr (1748-1794), par des travaux plus brillants que solides, avait provoqué des espérances qu’il n’a pas pu tenir. Membre de l’Académie des sciences et de l’Académie française, on avait cru voir en lui le successeur de Buffon, pour la science et même pour le style ; il n’en fut rien, et le nom de Vicq d’Azyr est à cette heure presque tombé dans l’oubli. Par ses études de médecine, il avait été amené à concevoir un cours d’anatomie comparée et de physiologie comparée, dont il n’a esquissé que quelques parties, avec peu de régularité et de méthode. C’est dans trois de ses Discours sur l’anatomie qu’on peut recueillir une idée de ses projets. Il comptait étudier les principales fonctions au nombre de neuf : ostéologie, irritabilité, circulation, sensibilité, respiration, digestion, sécrétions, génération et nutrition. Il n’a pu réaliser ce plan, qui n’est pas très bien ordonné, et les quelques traits que nous conserve le Tableau de son cours ne le font que médiocrement connaître. Il n’est guère présumable qu’un tel cours, s’il eût été professé, eût pu être très utile. (Œuvres de Vicq d’Azir, tome IV, p. 42 et suiv., et article de Cuvier dans la Biographie universelle de Michaud.)

Le génie de Bichat était assez puissant, pour qu’on pût tout attendre de lui ; mais, frappé par une mort prématurée, à 31 ans à peine (1802), il n’a laissé qu’un ouvrage durable, son Anatomie générale, et des regrets, qui ne sont pas encore éteints. Lui, sans doute, aurait su étendre un système de physiologie humaine au reste des êtres animés, si toutefois la médecine ne l’eût pas, comme bien d’autres, disputé à l’histoire naturelle.

Si nous avons parlé ici de médecins qui ne se sont occupés que de la physiologie de l’homme, qu’on ne s’en étonne pas. Notre organisation étant la plus parfaite de toutes, elle sert, bien comprise, à faire mieux comprendre les autres. Comme le pensait Aristote, c’est de la physiologie humaine que dérive la physiologie comparée ; et voilà comment la médecine, qui, avec le secours de l’anatomie et de la physiologie, ne doit songer qu’à l’hygiène de l’homme, peut immensément servir l’histoire générale de la vie, tout en ne l’étudiant d’abord que dans une de ses manifestations qui est à la fois la plus accomplie et la plus lumineuse.

Dans Cuvier, au début du XIXe siècle, nous ne trouverons qu’un naturaliste ; mais ce naturaliste est sans contredit le plus grand depuis Aristote, et l’on peut présumer que bien longtemps encore il restera supérieur à tout ce que les siècles qui suivront le nôtre pourront ajouter à ce qu’il a fait. Dans une existence qui n’a pas été fort longue (1769-1832), et qui fut distraite par une foule de devoirs étrangers à la science, Cuvier a pu cependant élever quatre monuments, dont un seul suffisait à l’immortaliser : son Anatomie comparée, son Règne animal, ses Recherches sur les ossements fossiles, et son Histoire naturelle des poissons. Ces quatre ouvrages, sans compter bon nombre de Mémoires particuliers, ont frayé des voies nouvelles à la science, ou lui ont conféré à certains égards une régularité et une exactitude dont elle manquait jusqu’alors. Avant Cuvier, l’anatomie comparée n’était guère qu’un nom, même après l’ouvrage de Blumenbach (1794) ; il l’a constituée définitivement, en la limitant aux fonctions principales, et en l’appuyant sur les observations les plus minutieuses et les plus précises. Pour le Règne animal, il a été un nomenclateur plus instruit que Linné, envers lequel il professe la plus grande estime ; il a fait reposer la classification des êtres sur leur structure mieux analysée. Ses Recherches sur les ossements fossiles ont créé de toutes pièces la paléontologie, et son Discours sur les révolutions de la surface du globe a été le point de départ de progrès inattendus, qui ont dépassé de beaucoup les théories de Buffon sur la terre. Enfin, l’Histoire naturelle des poissons est la plus complète de toutes les monographies sur cette partie de la création. Cuvier n’a pas eu le temps de faire un traité spécial de physiologie comparée ; mais tous ses ouvrages supposent cette science, sans que dans aucun il l’ait abordée directement. (Voir la lettre à Mertrud, p. 22).

C’est donc de son Anatomie comparée que nous nous occuperons presque uniquement. Lorsque Cuvier la publia en cinq volumes, il n’avait que trente ans. C’est une œuvre de génie, par la multiplicité des détails, par l’ordre imperturbable dans lequel ils se déroulent, par la clarté, la justesse, la profondeur, la variété des vues, par la vigueur et la beauté d’un style magistral, qui n’a rien de la sécheresse scientifique.

D’abord Cuvier essaie de définir la vie, afin de faire mieux concevoir la nature des organes par lesquels la vie s’exerce et se manifeste. Les fonctions qui composent l’économie animale sont, d’après lui, de trois ordres : les unes, telles que la sensibilité et la locomotion, font des animaux ce qu’ils sont, en opposition à la plante immobile et insensible ; les autres les font vivre ; et les dernières les perpétuent par la reproduction. L’organe général de la faculté de sentir est la substance médullaire, dont on ne connaît pas encore les molécules organiques, mais qui, ramifiée en filets ou nerfs partant de quelques centres principaux, se distribue dans tout le corps. L’organe général du mouvement est la fibre musculaire ou charnue, qui se contracte, sous l’empire de la volonté, par l’intermédiaire du nerf. Les muscles sont attachés à des parties dures, soit intérieures, soit extérieures. Selon les espèces, ces parties sont recouvertes par les muscles, ou elles les recouvrent. L’ensemble des parties dures est ce qu’on nomme le squelette, qui renferme toujours les viscères, et qui détermine la forme extérieure de l’être. L’animal ne perçoit l’action du dehors sur lui que par les nerfs, communiquant librement avec le faisceau commun de la moelle épinière, dont l’extrémité antérieure tient au cerveau. Parmi les sens, le toucher est le seul qui appartienne à tous les animaux, et qui agisse dans presque toute la surface du corps de chacun d’eux. Les autres sens ne semblent être que des modifications de celui-là, et ils sont presque toujours situés à cette extrémité du corps qui contient le cerveau.

C’est par le moyen des deux facultés de sentir et de se contracter pour se mouvoir, que les animaux éprouvent et satisfont leurs besoins. Le plus irrésistible de tous est celui de la faim, qui rappelle sans cesse à l’animal la nécessité de fournir de nouvelles matières à sa nutrition. C’est la plus compliquée de toutes ses fonctions, et celle qui exige le plus d’organes pour la combinaison ou la décomposition des fluides que le corps produit à la suite de la digestion, « Dans cette transformation de fluides gît le véritable secret de cette admirable économie, » qui aboutit en dernier lieu à la génération, destinée à transmettre la vie, de l’individu à un être pareil à lui.

Après cette exposition générale, Cuvier présente l’analyse des différences qu’offrent les animaux dans chacun de leurs systèmes d’organes. C’est là précisément l’objet de l’anatomie comparée. Ainsi, pour les organes du mouvement, il y a tantôt un squelette intérieur, articulé et revêtu par la chair ; tantôt les os manquent ; et, à leur place, ce sont des coquilles qui recouvrent la peau, au dedans de laquelle sont les muscles ; parfois même, il n’y a aucune partie dure qui puisse servir de levier ou de point d’appui. Les différences dans les sens extérieurs ne sont pas moins marquées ; le nombre des sens varie, ainsi que leur degré d’énergie ; la vue et l’ouïe font assez souvent défaut ; les trois autres sens, mais surtout le toucher et le goût ne paraissent jamais manquer. Les organes de la digestion offrent deux grandes différences dans leur disposition totale : ou les intestins n’ont, comme chez la plupart des zoophytes, qu’une seule ouverture qui sert tout à la fois à l’entrée des aliments et à l’issue des excrétions ; ou bien, il y a deux ouvertures distinctes, aux extrémités d’un canal unique. Le chyle, qui est produit par l’action des organes digestifs sur les substances alimentaires, le sang, dont la circulation est double ou simple, dans les animaux qui en ont une, la respiration par le poumon ou par des branchies, selon l’élément ambiant, la voix avec ou sans glotte, la reproduction gemmipare, vivipare ou ovipare, et enfin l’état du jeune avant qu’il ne devienne apte à perpétuer son espèce, telles sont les différences principales qu’on peut observer dans toute la série des animaux.

Après avoir montré les rapports qui existent entre les divers systèmes d’organes et leur solidarité mutuelle, pour composer l’unité et l’harmonie dans la vie des êtres, Cuvier divise encore les animaux en deux classes, les animaux à sang rouge, et les animaux à sang blanc. Parmi les vertébrés, on distingue les animaux à sang chaud et les animaux à sang froid : d’une part, les mammifères et les oiseaux, et d’autre part, les reptiles et les poissons. Les invertébrés comprennent les mollusques, les crustacés, les insectes, les vers et les zoophytes.

Ces neuf grandes classes, réduites à quatre embranchements, se divisent elles-mêmes en familles d’un ordre inférieur, que Cuvier décrit les unes après les autres, depuis les mammifères jusqu’aux coraux, qui se trouvent placés au dernier rang de l’animalité. Il n’est pas nécessaire de suivre l’auteur dans ces détails.

C’est d’après ces principes, où l’on peut retrouver bon nombre des théories d’Aristote, que le naturaliste français construit le spacieux édifice de son Anatomie comparée, où il étudie successivement les organes du mouvement, fibre musculaire et os, dans le tronc, dans le membre pectoral, dans le membre abdominal, chez les invertébrés aussi bien que chez les vertébrés ; puis, les organes des sensations, de la digestion, de la circulation, de la respiration et de la voix, et enfin, les organes de la génération et des sécrétions.

Dans cette revue de tant d’êtres et de tant de choses, Cuvier, à l’exemple d’Aristote, commence toujours par l’homme, et de l’homme il va aux mammifères, aux oiseaux, aux reptiles, aux poissons, pour descendre encore à des êtres de plus en plus imparfaits, notant partout les ressemblances et les diversités. Sur de telles bases, ce système est inébranlable. Conforme à l’ordre même de la nature, il doit désormais être le fondement de l’histoire naturelle ; et il a été plus ou moins reproduit dans tous les ouvrages dont notre science peut s’honorer. On peut affirmer, sans la moindre partialité, que la science n’a jamais rien vu de plus beau, depuis qu’elle observe le monde des êtres animés, plus difficile encore à comprendre qu’à classer.

L’anatomie comparée a été le plus constant objet des labeurs de Cuvier ; il en avait commencé l’étude dès sa première jeunesse, comme il nous l’apprend lui-même ; et il l’a toujours continuée avec une persévérance infatigable. C’est même pour guider cette science et pour la compléter qu’il a composé son ouvrage du Règne animal, où il a classifié tous les animaux d’après la structure que l’anatomie lui avait révélée. « Il a fait marcher de front l’anatomie et la zoologie, les dissections et le classement, » de manière à féconder les deux sciences l’une par l’autre. Le Règne animal, publié quinze ou vingt ans après l’Anatomie comparée, est conçu sur les mêmes principes, vérifiés et fortifiés par des observations de plus en plus étendues et profondes. Dans une Introduction développée, Cuvier traite tour à tour les questions des méthodes en histoire naturelle, de l’organisation des êtres vivants, animaux et végétaux, des éléments chimiques du corps animal, des forces qui s’y trouvent, des fonctions et des organes que ces forces mettent en jeu, et enfin de la distribution du règne animal.

On a contesté à Cuvier la division de ses quatre embranchements. Tantôt on les a niés d’une manière absolue ; tantôt aux types qu’il avait reconnus, on a prétendu en ajouter ou en substituer quelques autres. Ce sont là des questions qu’il convient de laisser éclaircir aux naturalistes ; mais ce qui paraît incontestable, c’est le principe fondamental sur lequel Cuvier s’est appuyé, et qu’il a invariablement maintenu jusqu’à ses derniers travaux, à savoir que la classification des êtres animés doit reposer uniquement sur leur organisation. Tout autre principe est arbitraire ; celui-là seul correspond à la réalité, telle que la nature la présente aux regards de l’observateur. La question se réduit alors à un point défait, sur lequel il doit toujours être possible de se mettre d’accord. Les vertébrés sont-ils construits comme les mollusques ? Les insectes sont-ils davantage construits comme les mollusques et les vertébrés ? Et enfin, les zoophytes ne sont-ils pas construits tout autrement que les trois embranchements qui les précèdent ? Est-il possible de découvrir entre les animaux un caractère plus distinctif que leur conformation intime et essentielle ? La raison avec Cuvier n’hésite pas à répondre que c’est là le vrai et seul principe, et qu’on n’enfreint cette loi supérieure de toute classification qu’en s’exposant aux plus graves erreurs, et en écoutant l’imagination au lieu de la science. Aussi, depuis la classification de Cuvier, aucun des systèmes qu’on a risqués ne mérite-t-il de remplacer le sien, qui ne fait appel qu’aux données les plus certaines de l’anatomie.

De là vient que Cuvier repousse la théorie de l’échelle des êtres, dont il n’est pas plus partisan que ne l’était Buffon. Il ne nie pas toutefois que cette théorie, si on la restreint dans certaines limites, ne contienne quelque vérité. Il remarque qu’en considérant un organe isolément, et en le suivant dans toutes les espèces d’une classe, on le voit se dégrader avec une uniformité singulière. Dans des espèces même où cet organe n’est plus d’aucun usage, on l’aperçoit encore en partie, et comme en vestige, « en sorte que la nature semble ne l’y avoir laissé que pour ne point faire de saut. » Mais Cuvier ne croit pas, comme l’ont pensé quelques naturalistes, qu’on puisse ranger les êtres en une série unique, qui les comprendrait tous, sans exception, commençant au plus compliqué et finissant au plus simple, de telle manière que l’esprit passerait de l’un à l’autre sans presque apercevoir d’intervalle et par nuances insensibles. L’échelle des êtres, ainsi entendue, ne paraît à Cuvier qu’une chimère. « Tant qu’on reste dans les mêmes combinaisons d’organes, ces nuances délicates s’observent bien en effet ; les animaux semblent formés sur un plan commun ; mais du moment qu’on passe à des combinaisons d’organes différentes, il n’y a plus de ressemblance en rien, et l’on ne peut plus méconnaître l’intervalle ou le saut le plus marqué. »

CIII Dans les questions de cet ordre, on doit s’en rapporter à Cuvier plus qu’à personne. Les considérations décisives qui l’ont conduit ont d’autant plus de force et d’utilité aujourd’hui que des doctrines nouvelles ont poussé cette hypothèse infiniment plus loin qu’on ne la poussait de son temps. La regrettable confusion que l’échelle des êtres apportait déjà dans l’histoire naturelle, n’est rien en comparaison du chaos dont elle est menacée par le transformisme Darwinien. Cuvier sans doute prévoyait ces aberrations, quand il combattait si vivement les idées de Lamarck, qui en sont l’origine.

Un dernier point à signaler dans le génie de Cuvier, c’est son admiration passionnée de la nature, égale à celle que ressentaient Aristote, Linné et Buffon. Pas plus que ces esprits supérieurs, il n’a peur des causes finales ; à tout instant il les suppose, alors même qu’il ne les invoque pas. Il n’en fait d’ailleurs qu’un usage discret, comme il convient en histoire naturelle et dans toutes les sciences particulières ; mais en présence des phénomènes si frappants de la vie, en scrutant les moyens diversifiés à l’infini que la nature emploie pour produire infailliblement les mêmes résultats, sensibilité, mouvement, nutrition, il reconnaît l’empreinte évidente d’une intention intelligente, et il n’hésite pas à le proclamer, ainsi que le faisait Anaxagore, dès les premiers temps de la philosophie grecque. « En demeurant toujours, dit-il, dans les bornes que les conditions nécessaires de l’existence prescrivaient, la nature s’est abandonnée à toute sa fécondité dans ce que ces conditions ne limitaient pas ; et sans sortir jamais du petit nombre de combinaisons possibles entre les modifications essentielles des organes importants, elle semble s’être jouée à l’infini dans toutes les parties accessoires. Pour celles-ci, il ne faut pas qu’une forme, qu’une position quelconque soit nécessaire ; il semble même souvent qu’elle n’a pas besoin d’être utile pour être réalisée ; il suffit qu’elle soit possible, c’est-à-dire qu’elle ne détruise pas l’accord de l’ensemble. Aussi, à mesure que nous nous éloignons des organes principaux et que nous nous rapprochons de ceux qui le sont moins, trouvons-nous des variétés plus multipliées ; et lorsqu’on arrive à la surface, où la nature des choses voulait que fussent précisément placées les parties les moins essentielles et dont la lésion est la moins dangereuse, le nombre des variétés devient si considérable que tous les travaux des naturalistes n’ont pu encore parvenir à en donner une idée. »

Voilà ce que disait Cuvier dès son premier ouvrage. Trente ans plus tard (1829), dans tout l’éclat de sa gloire, il tenait le même langage. Vantant l’heureuse influence qu’exerce sur les intelligences la culture des sciences naturelles, il ajoutait : « Une fois élevé à la contemplation de cette harmonie de la nature irrésistiblement réglée par la Providence, que l’on trouve faibles et petits les ressorts qu’elle a bien voulu laisser dépendre du libre arbitre des hommes ! Que l’on s’étonne de voir tant de beaux génies se consumer si inutilement pour leur bonheur et pour celui des autres ! Je l’avoue hautement, ces idées n’ont jamais été étrangères à mes travaux, et j’ai cherché de tous mes moyens à propager cette paisible étude. » (Anatomie comparée, 1e édition, Ire leçon, p. 58 ; et Règne animal, édit. de 1829, p. 20.)

En parcourant ces nobles pages, ne croit-on pas entendre Aristote célébrer, en un style plus austère encore et plus fier, les joies ineffables que procure au philosophe la contemplation des choses éternelles dans les cieux, et des choses périssables dans la nature, telles qu’elles se dévoilent aux fortunés mortels qui savent les aimer et les comprendre. (Voir le ch. V du 1er livre du traité des Parties.)

Mais ce légitime enthousiasme égare peut-être Cuvier quand il veut faire de l’histoire naturelle l’école de la logique, et lui réserver le secret de la méthode. L’histoire naturelle n’a point à revendiquer une tâche qui ne lui appartient pas. La logique et la méthode la dépassent ; il ne faut les demander qu’à la philosophie, qui a le devoir exclusif de donner à toutes les autres sciences leurs principes les plus généraux et les plus essentiels. Confondre ainsi les choses, c’est les dénaturer ; les frontières des sciences doivent être respectées aussi bien que celles des États ; et là, pas plus qu’ailleurs, personne ne gagne à des usurpations.

Mais nous aurons plus tard à revenir sur cette question, et nous essaierons de l’approfondir davantage.

A côté des travaux de Cuvier, ceux de ses contemporains et de ses rivaux, quelque estimables qu’ils puissent être, pâlissent et s’effacent. Geoffroy Saint-Hilaire (Etienne) (1818), Lamarck, Blainville (1829), Meckel (1828), Jean Muller et une foule d’autres, n’ont fait que reproduire les idées du maître, ou se sont perdus en s’éloignant de ses traces. L’ouvrage de Meckel sur l’Anatomie comparée est plein de solidité ; mais il est douteux qu’il eût été possible sans celui de Cuvier, que Meckel avait traduit. L’imitation est toujours permise, et elle est souvent fort louable, quand elle sert à propager la vérité ; mais elle ne compte guère dans l’histoire, puisqu’elle est sans originalité, et qu’elle ne fait point avancer la science d’un seul pas.

Le Manuel d’anatomie comparée de Siebold et de Stannius (traduction française de 1850) doit être mentionné, parce qu’il est fort savant, et surtout parce qu’il est un des premiers ouvrages de ce genre où les doctrines Darwiniennes sont appliquées à la classification et à l’étude des animaux. La prééminence attribuée à la cellule en est le caractère distinctif. Le Nouveau manuel est divisé en deux parties : celle des invertébrés et celle des vertébrés. Les invertébrés, dont les types sont très variés et les limites peu tranchées, sont répartis en cinq groupes : les protozoaires, dont la forme est irrégulière et l’organisation purement cellulaire, les zoophytes, les vers, les mollusques et les arthropodes. Les protozoaires eux-mêmes se divisent en ordres et en familles ; et quelque indistincts que soient leurs organes, M. de Siebold étudie en eux d’abord l’enveloppe extérieure, puis le système musculaire avec les organes locomoteurs, le système nerveux et sensitif, l’appareil digestif, la circulation et la respiration, les sécrétions, et enfin les organes de la génération. Ces études deviennent de plus en plus claires, à mesure qu’elles s’adressent à des êtres de plus en plus élevés, des polypes et des acalèphes, aux crustacés, aux arachnides et aux insectes. Quant aux vertébrés, ils sont partagés en quatre classés : poissons, reptiles, oiseaux et mammifères. Pour chacune de ces classes, l’auteur suit la même méthode : téguments, muscles, nerfs avec les sens, digestion, appareil de circulation, appareil respiratoire, sécrétions, et en dernier lieu, organes génitaux.

Il y a donc tout à la fois, dans l’ouvrage de M. de Siebold, une classification et une anatomie comparée. Cuvier avait séparé l’anatomie et la classification, et il faisait très bien de les distinguer ; mais il est possible aussi de les réunir avec une clarté suffisante, comme l’ont fait MM. de Siebold et Meckel, qui tiendraient plus de place dans la science si Cuvier ne les avait pas précédés.

Notre siècle compte beaucoup de physiologistes célèbres ; mais après tous ceux dont il vient d’être question, nous n’en citerons plus que deux, morts assez récemment, Agassiz et Claude Bernard. Les travaux d’Agassiz se rapportent surtout à l’histoire naturelle ; ceux de Claude Bernard sont presque entièrement physiologiques. Mais quelque différents qu’ils soient, ils intéressent à peu près également l’histoire de la science, telle que nous avons à la considérer.

Agassiz (1807-1873), né en Suisse près de Morat, appartient à la France et à l’Amérique, autant qu’à son pays natal. Il a passé une bonne partie de sa vie aux Etats-Unis ; et dans ses dernières années, il avait pu explorer le Brésil, où l’avait appelé la munificence d’un monarque, protecteur éclairé des sciences et savant lui-même. Les œuvres principales d’Agassiz sont ses Recherches sur les poissons fossiles (en français), ses Études sur les glaciers, et son Histoire naturelle des Etats-Unis, dont l’introduction est son Essai sur l’espèce et la classification en zoologie. Ce dernier ouvrage, publié en 1859, a été, dix ans après, traduit de l’anglais dans notre langue, sous les yeux et avec la collaboration de l’auteur. Bien qu’assez court, il donne une haute et complète idée des mérites d’Agassiz, qui a été un naturaliste immensément instruit et actif, et, comme on l’a très bien dit, « un savant de premier ordre, un profond philosophe, un de ces hommes qui honorent l’humanité, » par leurs lumières et plus encore par leur caractère.

Après une existence dévouée exclusivement aux investigations les plus assidues et les plus sagaces, avec une indépendance absolue, sans système préconçu, sans dogmatisme, et sous l’inspiration seule de la réalité, Agassiz en arrive à cette conviction inébranlable que, dans dans le règne animal, l’espèce est un fait essentiellement naturel, et qu’elle n’est pas une invention de l’esprit humain. Il croit que les genres, les familles, les ordres, les classes et les embranchements ne sont pas moins réels que l’espèce elle-même. Il est persuadé que ces divisions, admises à divers degrés par tous les naturalistes, n’ont rien d’artificiel, et qu’elles représentent, par une approximation plus ou moins exacte, le plan même de la création, tel qu’il est donné à notre infirmité de le concevoir. « Quand, dit-il, nous croyons inventer des systèmes scientifiques, quand nous croyons classer la création par la seule force de notre raison, ne ferions-nous a que suivre humblement et reproduire, à l’aide d’expressions imparfaites, le plan dont les fondements furent jetés à l’origine des choses ? Sous l’effort incessant de nos pénibles études, est-ce seulement le développement de ce dessein original qui se découvre à nous, alors qu’accumulant et coordonnant nos fragments de connaissances, nous nous imaginons mettre de l’ordre dans le chaos ? Cet ordre est-il le laborieux produit de l’habileté humaine ? Ou bien est-il tellement inhérent aux objets eux-mêmes que le naturaliste soit, sans en avoir conscience, amené, par l’étude des choses, à établir les sections sous lesquelles il range les animaux, et qui ne sont après tout que les têtes de chapitre du beau livre qu’il s’efforce de déchiffrer ? »

Agassiz n’hésite pas à déclarer que cet arrangement, fruit de nos labeurs scientifiques, est fondé sur les rapports naturels plus ou moins bien aperçus, et sur les relations primitives de la vie animale ; en un mot, que les systèmes combinés par les maîtres de la science ne sont que la traduction, dans la langue de l’homme, des pensées du Créateur. Cette opinion, venue d’un savant tel qu’Agassiz, doit nous paraître d’autant plus grave que d’autres naturalistes, non moins autorisés, ont soutenu des opinions toutes contraires. Buffon a prétendu qu’il n’y a dans la nature que des individus, et que les genres, les ordres et les classes n’existent que dans notre imagination. (Discours sur la manière d’étudier l’Histoire naturelle, édit. de 1829, tome 1, p. 79.) Il n’en admire pas moins la nature, et il l’étudie aussi passionnément qu’Agassiz ; seulement « il craint que nous ne portions dans la réalité des ouvrages de Dieu les abstractions de notre esprit borné, et que nous ne lui accordions, pour ainsi dire, qu’autant d’idées que nous en avons. » C’est par un scrupule de pieuse vénération que Buffon a proscrit des méthodes qui sont trop étroites pour embrasser l’universalité des choses, et pour les classer selon leurs vrais rapports. Agassiz n’a pas ressenti de ces scrupules exagérés ; et ses théories sont plus fermes et non moins religieuses que celles du naturaliste français. Il ne croit pas plus que lui qu’aucune méthode, ni qu’aucune classification, puisse jamais reproduire complètement la totalité des êtres dans leur ordre véritable et dans leurs relations naturelles. Mais il soutient que nous pouvons, par le spectacle de l’univers, découvrir une pensée qui se manifeste dans les animaux plus clairement encore que partout ailleurs. Le suprême honneur de l’intelligence humaine, c’est de s’adapter aux faits et de parvenir à interpréter les pensées de celui qui les a créés.

C’est en partant de ce principe supérieur, résultat d’une patiente et attentive expérience, qu’Agassiz essaie de démontrer, par les arguments les plus pratiques, que, dans le règne animal, nous devons trouver le témoignage éclatant d’une intelligence infinie. « L’univers, dit-il excellemment, peut être considéré comme une école où l’homme apprend àconnaître ses rapports avec les autres êtres, et avec la cause première de tout ce qui a est. » Il se défend avec la plus sincère loyauté d’introduire dans sa démonstration aucun argument étranger à son sujet, et il se reprocherait d’avancer des conclusions qui n’en découleraient pas immédiatement. Force lui est cependant de regarder toute liaison intelligible et intelligente que nous observons entre les phénomènes, comme une preuve directe d’un Dieu qui pense, aussi sûrement que l’homme manifeste sa faculté de penser quand il constate cette liaison naturelle des choses. Il se flatte de prouver par là que la préméditation a précédé l’acte de la création ; et il voudrait en avoir fini, une fois pour toutes, avec les théories désolantes et fausses qui nous renvoient aux lois de la matière, pour avoir l’explication de toutes les merveilles de la vie ; et qui, bannissant Dieu, nous laissent en a présence de l’action monotone, invariable, de forces physiques, assujettissant toutes choses à une inévitable destinée. »

Nous n’espérons pas que les démonstrations d’Agassiz aient vaincu le matérialisme, de manière à le bannir à jamais de la science ; mais nous pensons qu’il a opposé à cette décevante doctrine des arguments irréfutables, auxquels on ne répondra pas, parce qu’ils sont la vérité même, et parce que le silence est plus facile que la discussion et la victoire. Ces arguments, tirés tous de l’histoire naturelle sans exception, sont au nombre de trente et plus. Agassiz les expose un à un avec tous les développements nécessaires, sans être jamais prolixe, et sans s’écarter un instant de l’objet qu’il poursuit. Nous ne pouvons l’accompagner dans cette énumération péremptoire, ni même dans le résumé qu’il en fait pour la rendre plus succincte et plus décisive ; mais nous devons indiquer deux ou trois de ses arguments, pour qu’on juge de leur nature et de leur portée.

Le premier et le plus général, c’est d’abord la diversité des types d’animaux existant simultanément dans des conditions identiques. La plus petite nappe d’eau, soit d’eau douce, soit d’eau de nier, le moindre coin de terre contiennent une énorme variété d’animaux et de plantes. La botanique et la zoologie conviennent que cette variété est extrême entre les plantes et les animaux qui vivent dans une même région. Les agents physiques, au milieu desquels ils subsistent, peuvent-ils être regardés comme la cause de cette diversité ? Tous les physiciens, qui savent que la nature de ces agents est purement spécifique, répondront qu’il est absolument impossible que les forces matérielles aient produit à un certain instant une action qu’elles ne dussent pas produire plus longtemps. Or, tous les géologues avouent qu’il y a eu, dans l’histoire de la terre, une période à laquelle aucun animal n’existait encore, bien que, dans ce temps, la constitution du globe et les forces physiques fussent les mêmes qu’aujourd’hui. Donc, la corrélation des êtres animés et des circonstances ambiantes est de tel caractère qu’elle révèle une pensée. Ces rapports ont été établis, déterminés, réglés par un être pensant, pour chaque espèce, dès le commencement du monde ; et la persistance de ces rapports à travers toutes les générations qui se sont succédé en est une preuve nouvelle. Quand on prétend faire venir les êtres vivants de l’influence des forces physiques, comment ne voit-on pas que l’effet est hors de toute proportion avec la cause, et que l’action même des agents matériels sur les êtres organisés suppose l’existence préalable de ces êtres ?

De ce premier argument, Agassiz conclut qu’il ne peut pas exister un rapport génésique quelconque entre les forces brutes et les êtres organisés. Débarrassé de cette idée fausse, il parcourra sans peine le vaste champ des relations véritables que ces forces ont avec les êtres vivants.

De là, un second argument, qui est l’inverse du premier et qui n’est pas moins démonstratif. Si les êtres animés sont diversifiés dans des circonstances identiques, leurs types restent identiques dans les circonstances les plus différentes. A-t-on jamais vu aucun changement de structure dans les individus d’une même espèce, sous quelque zone qu’ils vivent, polaire, tempérée, tropique, antarctique ? L’identité est absolue dans tout ce que la structure a de réellement important, de dominant et de compliqué ; s’il y a quelque différence, ce n’est que dans des détails d’un ordre très-secondaire. Quelle logique de supposer que les mêmes causes physiques produisent des résultats si dissemblables ! Ce qui est affecté par les causes physiques, c’est l’extérieur seul, la peau, le pelage, les plumes, les écailles, ou encore la taille et le volume, la rapidité ou la lenteur de la croissance, la fécondité, la durée de la vie, etc., etc. Mais tout cela n-t-il rien à voir avec les caractères essentiels des animaux ? Est-ce là, entre les agents physiques et les animaux, autre chose qu’une simple corrélation résultant du plan général de la création ?

Autres arguments non moins clairs et non moins décisifs : unité de plan dans des types d’ailleurs profondément divers, correspondance dans les détails de la structure chez des animaux entre lesquels il n’existe aucun autre rapport, affinités de degrés différents et de nature diverse, existence simultanée aux périodes géologiques les plus reculées de tous les types généraux de l’animalité, gradation de structure sans qu’il y ait cependant progression continue, distribution géographique, identité de structure entre les types les plus largement disséminés, similitude de structure d’animaux vivants dans une même région, et lien que constitue cette similitude entre les animaux des régions les plus distantes, rapports du volume et de la structure des animaux avec les milieux ambiants, fixité des particularités spécifiques, relations des êtres organisés avec le monde extérieur, rapports entre individus, dualisme sexuel, ses conditions révélées par l’embryologie, durée de la vie, génération alternante, succession des animaux et des plantes dans les temps géologiques, localisation des types dans les âges passés, limitation de certaines espèces à des périodes zoologiques particulières, parallélisme entre la succession géologique des animaux et des plantes et le rang qu’ils occupent de nos jours, parallélisme entre la gradation de la structure et l’évolution embryonnaire, animaux et plantes parasites, combinaisons dans le temps et dans l’espace des divers rapports qui s’observent chez les animaux, Age primitif de l’humanité ; telles sont les questions qu’Agassiz agite et résout, avec une autorité qui vient tout ensemble de sa compétence et de son érudition, ayant lui-même observé tout ce dont il parle, et connaissant non moins bien tout ce que les autres en ont dit et en ont pensé. Avant lui, beaucoup de ces sujets avaient été traités littérairement avec une rare éloquence ; lui, il les a traités avec une rigueur scientifique et une abondance de faits qui suppriment à peu près toute sérieuse contradiction. Agassiz en tire cette conclusion générale, à savoir « que la combinaison dans le temps et dans l’espace de toutes ces conceptions profondes « manifeste de l’intelligence, et prouve irrésistiblement la préméditation, la puissance, la sagesse, la grandeur, la puissance, l’omniscience, en un mot, la providence et l’intervention immédiate du Créateur ».

A deux mille ans et plus d’intervalle, on reconnaît toujours la voix d’Anaxagore, proclamant, le premier entre tous les philosophes, que l’Intelligence régit l’univers ; on reconnaît toujours la voix d’Aristote, proclamant, après Anaxagore, que la nature ne fait rien en vain. La seule supériorité de notre siècle, guidé par Agassiz, c’est qu’il peut, dans la contemplation de cette grande vérité, s’appuyer sur une science dont on ne combat désormais les décisions que par l’aveuglement d’un parti pris, rebelle à l’observation de tous les faits.

Telle est la première partie de l’ouvrage d’Agassiz, consacrée tout entière à déterminer la notion de l’espèce et à en faire ressortir la signification. La seconde partie s’applique à la classification. L’auteur définit d’abord ce qu’on doit entendre par les types ou embranchements du règne animal, par les classes, les ordres, les familles, les genres et les espèces. L’équivoque dans l’emploi de ces termes lui semble un obstacle aux progrès de la science, et il les précise, autant qu’il le peut, à l’usage de ceux qui doivent s’en servir. Puis, il se livre à l’examen des différents systèmes de classification qui se sont produits, au nombre de vingt environ, depuis Linné jusqu’à l’heure actuelle. Il approuve et adopte les quatre embranchements de Cuvier, qu’il regarde comme le plus grand naturaliste de tous les temps. Quant au Darwinisme, il le blâme presque sans réserve, tout en rendant pleine justice à Darwin, pour ses travaux en paléontologie et en géologie. Aux yeux d’Agassiz, cette doctrine, telle qu’elle a été développée par ses adeptes, est contraire aux vraies méthodes de l’histoire naturelle ; elle est pernicieuse et fatale. Le succès bruyant qu’elle a obtenu ne doit pas nous séduire. Le Darwinisme n’est qu’une théorie à priori ; il n’a pas plus de fondement que la Philosophie de la nature, sortie de l’école de Schelling ; « c’est une doctrine qui, d’une conception rationnelle, descend aux faits ; et ne recueille des faits que pour soutenir une idée. » Agassiz se console du mal que cause cette doctrine en pensant qu’elle passera de mode, comme tant d’autres systèmes aussi arbitraires. Elle n’est en rien le développement légitime des acquisitions de la science moderne, et elle ne prévaudra pas contre elle, en niant, non sans orgueil, les traditions et les observations les plus certaines sur la fixité immuable des espèces depuis leur première apparition.

Toutes ces vues d’Agassiz, neuves et hardies, ont une valeur considérable ; elles relèvent de la philosophie presque autant que de l’histoire naturelle. Si elles n’ont pas exercé sur le monde savant toute l’influence qu’elles nous semblent mériter, c’est peut-être uniquement parce que l’auteur ne leur a pas donné une forme assez didactique. Il faut bien dire aussi que le spiritualisme énergique qui les a dictées n’est pas actuellement en vogue ; mais on peut être assuré que la science reviendra bientôt dans des voies meilleures, qui sont celles qu’Agassiz a suivies et recommandées.

Claude Bernard (1813-1878) s’est mu dans une sphère bien différente. Le ranger parmi les matérialistes, ce serait peut-être lui faire tort ; mais il serait encore moins juste de le mettre dans le camp opposé. Il s’est lui-même prononcé si peu nettement, chaque fois qu’il a effleuré ou côtoyé ces graves questions, qu’il est presque impossible d’éclaircir ses obscurités ; on peut les croire involontaires, et il est présumable qu’il ne s’est jamais décidé bien parfaitement entre les deux opinions. Les incertitudes de ses théories tiendraient alors aux irrésolutions de sa pensée. Mais si l’on s’en rapporte sur ce point délicat à l’appréciation enthousiaste de ses disciples, ce serait le matérialisme qui devrait le réclamer pour un des siens, et même pour une de ses gloires incontestées. C’est là certainement un excès de zèle de la part de ses élèves les plus fameux ; mais leur maître en est responsable en partie, puisqu’il n’a jamais désavoué les interprétations auxquelles se prêtent ses théories par trop douteuses. D’ailleurs, cette restriction n’enlève rien au mérite des découvertes de Claude Bernard. Il a expliqué mieux qu’on ne l’avait fait jusque-là les fonctions de plusieurs viscères dans l’homme, et l’action des toxiques sur notre organisation. Il a, en outre, porté, dans ses analyses et dans ses expériences, une exactitude et une précision qui peuvent toujours servir de modèles.

En discutant le problème qui fait le fond de toute physiologie, Claude Bernard n’hésite pas à confondre la vie avec les forces brutes de la matière. A l’entendre, il n’y a aucune différence entre les principes des sciences physiologiques et les principes des sciences physico-chimiques. Cependant, il a si bien senti l’importance essentielle de cette question qu’il a expressément essayé de définir la vie. Y a-t-il réussi mieux que Bichat et que Cuvier ? Là où ces grands esprits avaient reconnu deux principes, Claude Bernard est-il dans le vrai en n’en voyant qu’un seul ? Pour notre part, et avec Agassiz, nous répondons que Claude Bernard se trompe, et que l’hypothèse de l’unité est en opposition flagrante avec les faits les plus solidement établis par la science contemporaine, pour les organismes vivants, et pour les organismes éteints que nous révèle l’histoire de la terre. Désormais, on ne saurait dans ces matières nier deux vérités également certaines : la première, que nous avons déjà indiquée, c’est que la vie est apparue sur notre globe à un moment donné avant lequel elle n’y était pas ; la seconde, c’est que, dans les phénomènes physiologiques impartialement observés, il en est qui ne s’expliquent que par la présence d’une force absolument distincte des forces matérielles, lesquelles ne suffisent pas pour nous expliquer les effets de celle-là.

Comme corollaire de cette confusion des forces vitales et des forces physiques, Claude Bernard résume sa définition en disant que « la vie est la force évolutive de l’être. » Mais, ou cette définition ne signifie rien, ou bien elle signifie le contraire de ce que l’auteur croit y trouver. Si c’est la vie qui détermine les évolutions de l’être et son développement, c’est qu’elle est antérieure à ces évolutions, et qu’elle s’en distingue, puisqu’elle en est cause. Les actions physico-chimiques exercent leur influence sur un être qui ne vient pas d’elles, qui tour à tour les subit et les modifie, mais qui les précède. Loin de dire avec Claude Bernard que « la vie n’est qu’une modalité des forces générales de la nature, » il faut affirmer que la vie est une puissance à part, accordée à certains êtres et refusée à d’autres, qui a ses lois spéciales et sa destination propre, et qui est déjà tout entière dans les embryons les moins formés, pour les amener par degrés à la forme définitive qu’ils doivent prendre. En dépit de déclarations sur lesquelles, ce semble, il n’y avait pas à revenir, Claude Bernard adopte assez souvent le langage du spiritualisme, et il parle lui aussi des « propriétés vitales de l’organisme » et des « phénomènes de la vie. » Est-ce une simple concession de mots ? Est-ce une pensée plus arrêtée ? Le savant se conforme-t-il sans réflexion aux habitudes de la langue vulgaire ? Ou est-il entraîné par la force irrésistible de la vérité, qui se fait jour malgré lui ? Il serait assez difficile de le savoir ; c’est un secret qu’il n’a pas livré à ses lecteurs ; nous ne nous flattons pas de le pénétrer. Mais ce qu’on peut remarquer, c’est que, tout en étant partisan de la cellule et admirateur de ses prétendues merveilles, Claude Bernard admet néanmoins qu’il y a dans ce mystère insondable « une idée préconçue », et il distingue dans toutes les fonctions organiques deux côtés, qu’il nomme l’un, le côté idéal, et l’autre, le côté matériel. C’est précisément ce qu’avait toujours soutenu Agassiz, avec qui le naturaliste français serait fort surpris de se trouver d’accord.

Claude Bernard va même jusqu’à reconnaître deux ordres de sciences : les sciences de l’esprit et les sciences de la nature ; et il voudrait faire de la physiologie le trait d’union entre les unes et les autres. L’intention est fort bonne ; mais à quelle condition la paix proposée se fait-elle ? A la condition que la psychologie disparaisse et se fonde dans la physiologie, comme si l’objet et les procédés de la science psychologique n’étaient pas absolument autres que les procédés et l’objet de la physiologie. Sur ce terrain, où la lumière de la conscience projette un jour éblouissant, la confusion est impossible pour un ferme regard ; celui de Claude Bernard a défailli comme tant d’autres, même plus philosophiques que le sien. Il ajoute bien que « la raison et le libre arbitre sont les actes les plus mystérieux de la vie animale et peut-être de la nature entière » ; mais il ne tire de ce fait révélateur aucune conséquence, et il persiste dans une erreur peu digne d’un observateur tel que lui.

Chose plus étonnante ! Claude Bernard ne paraît pas avoir défini mieux la science où il a excellé, quand il charge la physiologie « de régir les manifestations de la vie. » Evidemment, la physiologie ne régit pas ces manifestations ; elle se borne à les observer et à les décrire. Ce rôle est assez beau et assez épineux ; il n’est que faire d’y ajouter de nouvelles et inutiles difficultés. On dirait que le physiologiste dispose de la vie, et qu’il peut arbitrairement en créer et en changer les phénomènes. C’est là une conception qui n’a rien de scientifique ; car alors la science serait le roman des choses ; ce ne serait pas la représentation fidèle de la réalité. Qu’on croie, avec Agassiz et avec les plus savants philosophes, qu’une pensée divine est déposée dans l’univers, ou qu’on nie résolument cette pensée, il n’importe guère à la science, qui ne doit d’abord qu’observer les faits, et qui n’obtient de réels progrès que par cette sage méthode. Mais la science prétendant gouverner la nature, c’est une imprudence qu’il faut laisser à l’idéalisme le plus audacieux, se substituant au créateur. Notre esprit ne fait pas la nature ; il la contemple telle qu’elle est. Si, en présence de l’infini, dont la nature est le reflet, nous pouvons quelquefois sentir notre force, nous sentons bien plus souvent encore, pour ne pas dire toujours, notre irrémédiable impuissance et notre disproportion incommensurable.

Ce qui peut expliquer, si ce n’est justifier, cette étrange hypothèse de Claude Bernard, c’est que, pour lui, la physiologie n’est pas une science naturelle ; elle est seulement expérimentale ; en d’autres termes, la vie ne se manifesterait à nous que par les expériences auxquelles nous soumettons les êtres vivants ; sans ces expériences, nous n’en saurions absolument rien. Que l’expérience soit fort utile à la science, tout le monde en convient ; mais préférer l’expérience à l’observation, ce serait une méprise des plus dangereuses et des moins excusables. L’expérience ne précède pas l’observation ; tout au contraire, elle la suit. L’observation, quelque attentive qu’elle soit, ne laisse que trop souvent des doutes et des indécisions ; c’est pour les dissiper que le savant doit recourir à un autre procédé. Il règle alors à son choix les conditions dans lesquelles il circonscrit et fait agir le phénomène. Mais le phénomène réel, que le savant cherche à comprendre, ne vient pas de lui ; il ne vient que de la nature. L’expérience n’a même aucun sens si on ne la conçoit pas ainsi ; car autrement l’expérimentateur ne ferait que retrouver dans l’expérience le phénomène qu’il y aurait mis, en l’imaginant lui-même. Ce serait un travail parfaitement vain et un leurre ; sans la nature, qui fournit préalablement le fait tel qu’il est, il n’y aurait pas même besoin d’explication.

La physiologie, se flattant de régir les manifestations de la vie, est donc une complète illusion. Cuvier l’a dit : « L’expérience contraint la nature à se dévoiler, » quand l’observation, qui a pour but de la surprendre, l’a trouvée rebelle et n’a pu la vaincre.

Claude Bernard a-t-il davantage raison quand, au lieu de la physiologie elle-même, il juge son histoire et son état présent ? Est-il bien sûr que la physiologie soit née de nos jours ; et qu’elle en soit encore à chercher ses fondements et ses méthodes ? N’a-t-elle trouvé jusqu’ici que des linéaments à peu près informes ? Est-il plus exact de lui donner pour précurseurs Lavoisier et Laplace, en compagnie de Bichat ? Claude Bernard a une vive admiration pour Bichat, tout en trouvant qu’il est anatomiste plus que physiologiste ; mais parfois aussi il le range avec Descartes, Leibnitz, Cuvier et bien d’autres, parmi les adversaires qu’il croit devoir combattre. Est-il plus équitable d’oublier, parmi les physiologistes, un homme tel que Haller ? Est-ce que Haller n’avait pas écrit un siècle auparavant ? Et s’il n’a pas fait de découvertes égales à celles de Claude Bernard, ne mérite-t-il point que son nom soit conservé et respecté par ses successeurs ? Est-ce Magendie, qui vers 1820, a rendu la physiologie expérimentale ? Et Harvey, dans le XVIIe siècle, n’avait-il pas fait de véritables expériences, ingénieuses et décisives, sur la circulation du sang ? Non ; ce n’est pas de nos jours que « la physiologie a pu commencer à entrevoir son véritable problème et ses destinées ; non, son avènement ne sera pas une des gloires de notre siècle. » En toute justice, il faudrait bien plutôt restituer cette gloire au siècle précédent. Ce qui est vrai, c’est que, de notre temps, le problème de la vie est singulièrement agrandi, par tous les travaux dont les fossiles ont été l’objet, et par les explorations qui ont scruté les diverses régions du globe et les profondeurs des mers. Mais ce problème de la vie, auquel Claude Bernard assigne une date si récente, est à peu près aussi ancien que tous ceux que poursuit la science. Lorsque, dans le Traité de l’Ame, Aristote part de la vie dans la plante, et qu’il en suit les manifestations successives depuis le végétal jusqu’à l’homme, n’est-ce pas là poser la question aussi nettement que nous la posons aujourd’hui ? Les faits qui nous servent à résoudre cette question « la plus complexe de la nature entière » sont beaucoup plus nombreux. Soit ; mais sont-ils différents ? Pour se multiplier indéfiniment, changent-ils de nature ? La génération, qui, de l’aveu de Claude Bernard, est la fonction la plus mystérieuse de la physiologie, n’a-t-elle pas été étudiée à fond par Aristote, dans un ouvrage qui, à lui seul, suffirait pour glorifier à jamais son génie ?

La physiologie, prise dans sa généralité, n’est donc pas tout à fait aussi jeune qu’elle se le figure ; et c’est précisément parce qu’elle est passablement vieille qu’elle peut arriver à des découvertes du genre de celles qui ont illustré Claude Bernard. Seulement, le problème de la vie est d’un tel ordre que l’homme l’agitera sans cesse et ne le résoudra jamais. Claude Bernard dit lui-même que « l’origine a des choses est impossible à découvrir » ; mais la science s’en approche de plus en plus, à peu près comme ces lignes mathématiques qui ne peuvent jamais se joindre, même en les supposant prolongées à l’infini. — Enfin, Claude Bernard critique vivement la philosophie, quand, selon son expression, elle se permet d’entrer « dans le ménage de la science. » Nous ne faisons ici qu’indiquer cette controverse. Plus tard, nous la traiterons avec des développements plus opportuns ; mais pour voir clairement les relations de la philosophie et de la science, on n’a qu’à se rappeler les services rendus par Aristote à l’histoire naturelle, ou par Théophraste à la botanique. C’est la philosophie qui a créé les sciences exactes, et c’est elle qui doit les guider pour toujours. Peut-être l’erreur de Claude Bernard vient-elle de ce qu’il incline aux doctrines d’Auguste Comte, en même temps qu’à celles de Darwin. Il croit à la mutabilité des espèces, comme il croit aux trois phases de l’esprit humain. Il nomme ces phases, poésie, philosophie et science, au lieu de les nommer théologie, métaphysique et positivisme. Mais, quoi qu’il en pense, la science n’est pas si nouvelle. Pour savoir son âge, on n’a qu’à le demander à Hippocrate, même avant Aristote. Si l’esprit humain a débuté par la poésie, avec Homère, voilà tout au moins deux mille trois cents ans qu’il fait de la science sous sa vraie forme ; et nous pouvons nous en tenir à cette date vénérable. Nos ancêtres sont les Grecs ; nous ne faisons que ce qu’ils ont fait avant nous, de même que nos descendants continueront ce que nous aurons déjà continué avant eux.

Qu’on ne s’étonne pas si nous nous sommes arrêtés si longtemps à Claude Bernard, qui ne s’est jamais occupé de physiologie comparée. Mais ses divers travaux, sur quelques points de la physiologie humaine, ont jeté beaucoup d’éclat ; ils exercent encore une puissante influence, qui durera peut-être ; ses découvertes sont des conquêtes très-honorables pour la science ; et bien qu’elles soient assez limitées, elles ont percé le mystère de quelques-uns des phénomènes qui nous intéressent plus particulièrement. Claude Bernard a joui d’une grande réputation parmi ses contemporains ; et l’on a pu un instant nourrir l’espoir qu’il allait renouveler la physiologie dans toutes ses parties ; lui-même a pu partager cette espérance et avoir cette ambition. Qu’en pensera la postérité, qui commence à pouvoir le juger ? C’est là une question que nous ne nous permettons pas de trancher.

Avec Claude Bernard, nous voilà presque parvenus au terme extrême de cette revue historique ; elle nous a semblé utile, même dans sa nécessaire brièveté, pour montrer les progrès qu’a faits la science depuis qu’Aristote l’inaugurait dans le Traité des Parties.

CXXXVII. Afin d’achever cette esquisse, il ne reste plus qu’à s’adresser à un auteur encore vivant, pour préciser à ce moment même le point où en sont la physiologie et l’anatomie, héritières de tout le passé. Entre tant d’autres naturalistes, nous choisirons le plus exact et le plus complet, M. Henri Milne Edwards, leur doyen et leur chef respecté. Son ouvrage est intitulé : « Leçons sur la physiologie et l’anatomie « comparée de l’homme et des animaux. » Commencé en 1857, il n’a été achevé qu’en 1884, avec le quatorzième volume. C’est un résumé fidèle, qui n’a rien omis de la richesse actuelle des deux sciences qu’il a réunies.

Il sera sans doute le dernier mot du XIXe siècle, qui, avant de finir, ne pourra pas faire un meilleur ni plus clair exposé de tous les faits qu’ont accumulés jusqu’ici l’anatomie et la physiologie, soit sur l’homme, soit sur les animaux. La méthode est d’une régularité irréprochable, ainsi que le style ; et il est très-peu de livres qui, à tous égards, soient faits aussi bien. L’histoire de la science y est partout utilement mêlée à la science même ; et sur chaque question, on y peut apprendre au prix de quels patients efforts l’esprit humain a conquis tout ce qu’il sait aujourd’hui.

M. Milne Edwards n’a rien innové dans l’ordre des matières qu’il étudie ; et après une première leçon sur le mode de constitution du règne animal, et sur les tendances de la nature dans la création des êtres animés, il parcourt en 140 leçons consécutives les divers éléments et les diverses fonctions du corps, le sang et la respiration, la circulation dans les artères, dans les capillaires et dans les veines, la transsudation, le système lymphatique, l’absorption, la digestion, la nutrition et la reproduction ; puis, parmi les fonctions de relation, la locomotion, le système nerveux, les sens, les fonctions mentales et la volition. L’ouvrage se termine par des considérations d’ensemble, analogues à celles qui l’avaient commencé.

Sans donner aux questions générales et aux principes plus de place qu’il ne convient en histoire naturelle, M. Milne Edwards est trop éclairé et trop sage pour les passer sous silence. Il les touche dans la juste mesure, et il se prononce avec une fermeté et une précision qui ne laissent rien à désirer. La constitution du règne animal ne s’explique, pour lui, comme pour Agassiz, que par l’intervention d’un Créateur. La vie, loin d’être la résultante des forces chimiques et physiques, les coordonne et les harmonise. La force vitale précède les instruments dont elle se sert ; elle est l’organisatrice de la matière pondérable ; les fonctions emploient les organes, qui leur obéissent. Ce qui domine dans l’être organisé, c’est son essence et non sa partie matérielle. La nature varie ses moyens à l’infini, tout en en usant avec la plus stricte économie, pour arriver pas à pas à la perfection relative qu’elle doit atteindre. M. Milne Edwards ne croit pas plus que Buffon, Cuvier ou Agassiz, à la chaîne des êtres, bien qu’il admette une sorte de subordination, et que dans toutes ses analyses, il débute par les êtres les plus simples pour monter jusqu’aux plus complexes. Il défend aussi les quatre embranchements de Cuvier, sans les supposer toutefois absolument invariables. D’abord, adversaire décidé du Transformisme, il semble que plus tard il ait jugé cette doctrine avec un peu moins de sévérité ; mais il ne va pas jusqu’à faire descendre les espèces vivantes des espèces fossiles ; et il marque avec soin les différences qui séparent les types actuels des types évanouis.

M. Henri Milne Edwards termine son ouvrage par des conseils dont toutes les sciences peuvent faire leur profit, non moins que l’histoire naturelle. Il proclame que « l’étendue du domaine de l’esprit humain est incalculable ; » mais il lui recommande la plus vigilante circonspection, pour diminuer de plus en plus la portion d’ignorance à laquelle il est condamné pour toujours. Avec M. H. Milne Edwards on ne peut que donner les mains à ces réserves prudentes, que l’infini imposera éternellement à l’ambition et à l’infirmité de notre intelligence.

Notre course dans le passé est finie ; mais avant de porter nos regards, peut-être téméraires, sur l’avenir, toujours couvert de ténèbres, nous voulons jeter un dernier coup d’œil en arrière et résumer en quelques mots l’inventaire de nos trésors, afin de mieux discerner ce qui pourrait encore les accroître. D’abord, on voit, par le tableau que nous venons d’esquisser, que la physiologie et l’anatomie n’ont pas souffert autant de lacunes et d’intermittences que la zoologie descriptive. Commencée dans le Traité des Parties, la physiologie n’a cessé presque à aucune époque d’être cultivée, et même de se développer. Au contraire, la zoologie descriptive, tout admirable et toute claire qu’elle est dans l’Histoire des Animaux, n’a jamais été bien comprise par l’Antiquité après Aristote. L’exemple de Pline et d’Elien montre ce qu’elle devenait dans cette recherche puérile de faits curieux et extraordinaires. Elle avait perdu le sens des fortes traditions de son berceau ; elle n’était plus que de la littérature d’un goût équivoque ; et l’on aurait dit qu’elle ne prétendait qu’amuser et distraire des lecteurs incapables d’attention et d’étude. Avortant dès ses premiers pas, quelque fermes qu’ils fussent, la zoologie avait été tout à fait négligée durant de longs siècles ; et elle n’avait reparu qu’avec les Commentaires d’Albert le Grand, sous le règne de Saint Louis. Après un éclat passager, elle était retombée dans l’oubli pendant deux cents ans. Enfin elle n’avait tendu à renaître qu’avec le XVIe siècle ; et même alors, malgré l’initiative de Belon, de Rondelet et de quelques autres, elle était de l’érudition plutôt que de la science réelle ; sa marche était peu méthodique et mal assurée. Ce n’est qu’au XVIIIe siècle, avec Linné, Buffon et Cuvier, qu’elle devait retrouver la voie magistralement ouverte par la Grèce.

Il y a moins de ces hésitations et de ces langueurs dans les destinées de la physiologie et de l’anatomie. Aristote, qui en avait été le père, en même temps qu’il l’était du reste de la zoologie, a eu dans cette branche de l’histoire naturelle des héritiers et des successeurs intelligents, jusque dans sa famille ; Erasistrate, son petit-fils, a été un très-habile anatomiste. L’Ecole d’Alexandrie, à laquelle il appartenait, ainsi qu’Hérophile, a entretenu et fécondé assidûment les principes hippocratiques ; elle les a même élargis ; mais quoiqu’elle ait pratiqué surtout la médecine et l’anatomie pathologique, elle a servi efficacement les sciences voisines, qui étendent au Règne animal les recherches plus limitées dont l’homme est l’objet. Celse, Rufus, Galien, et tous les médecins fameux auxquels Oribase emprunta son utile recueil, témoignent, par de solides monuments, que la science est restée, autant qu’elle l’a pu, fidèle aux enseignements du passé. Elle est éminemment remarquable dans Galien ; et pour son traité de l’Usage des Parties, c’est aux théories d’Aristote qu’il emprunte les siennes. Les études anatomiques cessent avec toutes les autres, quoique moins complètement, par la fermeture des écoles païennes sous Justinien. La science grecque, mutilée et obscurcie, passe aux mains des Arabes, qui la transmettent par l’Espagne et les Croisades à l’Europe chrétienne ; et grâce à eux, si l’héritage n’est pas très-bien conservé, du moins il ne périt pas, comme l’atteste l’ouvrage estimable de Mundino, au début du XIVe siècle. A dater de cette époque, et bien que ce soit toujours de la seule organisation humaine qu’on s’inquiète, les découvertes les plus belles se succèdent continuellement jusqu’à l’état actuel. La physiologie marche de pair avec l’anatomie, quoiqu’elle soit de beaucoup plus difficile, parce que la vie, qui est le mouvement même, est bien moins observable que la forme, qui est immobile et qui ne varie pas.

Au point où la science est si glorieusement et si péniblement parvenue, a-t-elle dit son dernier mot ? Evidemment non, par cette raison péremptoire qu’elle a un sujet absolument inépuisable, dans la diversité infinie des êtres et des combinaisons organiques que produit la nature. La science a toujours devant elle une perspective de progrès sans bornes ; c’était sa condition dans le passé ; ce sera sa condition dans un avenir qui n’aura pas de fin. Mais a toutes les époques, quelque brillantes et quelque assurées que soient les conquêtes de la science, elle trouve un sérieux avantage à se rappeler quelquefois à elle-même ce qu’elle est, ce qu’elle possède et ce qui lui manque. Un examen de conscience ne lui nuit jamais ; et les sciences ont d’autant plus de motifs de se l’imposer que leur domaine devient plus étendu et plus compliqué. Il est vrai que, quand les sciences se prennent à réfléchir sur leurs méthodes et leurs procédés, elles mettent de côté leur objet propre pour un objet étranger. Mais en compensation, elles entrent dans la sphère des questions générales, c’est-à-dire des questions philosophiques. C’est uniquement à cette école que chaque science particulière peut apprendre la place qui lui revient dans l’universalité des choses, telle qu’il est donné à l’esprit de l’homme de la contempler et de la parcourir. Rarement, les sciences spéciales s’élèvent jusqu’à ces théories supérieures, bien qu’elles s’y rattachent par les liens les plus intimes et par des racines fécondes ; mais c’est à leur grand dommage qu’elles négligent ou ignorent la source commune d’où elles sortent toutes également, depuis la plus sublime jusqu’à la plus humble. Si Aristote n’était pas philosophe, il n’eût pas été le législateur de tant de sciences, qui, sans lui, seraient peut-être encore à naître, ou qui du moins seraient désordonnées et confuses.

Qu’est-ce donc que l’histoire naturelle dans l’ensemble des choses, et que faut-il entendre par cette expression ? Elle ne vient pas d’Aristote. C’est Pline peut-être qui l’a employée le premier ; son encyclopédie prend ce titre, et elle est, en effet, une histoire de toute la nature. Après un premier livre, qui est une table des matières dressée par l’auteur lui-même et très-bien faite, le second livre est consacré à une définition du monde, dont Pline discute l’unité et la forme, et qu’il prend pour la Divinité, en lui donnant la terre-pour centre. Les quatre livres suivants décrivent notre globe, ses régions, ses climats et ses habitants ; cinq autres livres décrivent les animaux, de l’homme à l’insecte ; onze livres traitent des plantes ; dix autres traitent des remèdes que nous pouvons tirer des différents êtres ; enfin, les cinq derniers livres traitent des métaux et des minéraux.

De cet énoncé succinct, il ressort que c’est une description générale de la nature que Pline a tentée ; et c’est si bien son intention qu’en achevant son œuvre, il s’écrie : « Salut, ô nature ! mère de toutes choses, daigne m’être favorable, à moi qui seul, entre tous les Romains, t’ai complètement célébrée ! » (Pline, édit. Littré, tome 11, p. 570). La prétention était légitime pour un citoyen de Rome ; elle ne l’était pas autant si l’on regardait la Grèce ; car, longtemps avant Pline, Aristote avait fait aussi dans ses nombreux ouvrages une exposition complète de la nature, sans d’ailleurs préciser aussi nettement l’objet et les limites de son entreprise encyclopédique, qui est beaucoup plus originale que celle de Pline, si elle est moins régulière et moins systématique.

Pour Linné, pour Buffon, pour Cuvier, et pour M. H. Milne Edwards, l’histoire naturelle conserve toujours cette immense ampleur ; et si l’on en excepte l’astronomie, elle comprend toutes les sciences qui étudient le monde extérieur, à côté du monde de l’esprit. Parfois cependant, l’expression d’Histoire naturelle reçoit une signification plus restreinte ; et alors elle ne concerne que le règne animal, au lieu des trois règnes. Mais les savants n’acceptent pas cette limitation, qui n’est reçue que dans le langage usuel, où l’on n’exige pas plus de correction.

On ne peut observer les animaux, quelles que soient leurs diversités, que sous trois aspects : ou dans leur forme extérieure et leurs mœurs, ou dans leur structure interne, ou l’action vivante de leurs organes, accomplissant les fonctions auxquelles ils sont destinés. L’étude de la forme extérieure est l’objet de la zoologie descriptive ; celle de la structure intérieure est l’objet de l’anatomie ; celle des fonctions vitales est l’objet de la physiologie. Chacune de ces trois divisions principales pourrait se subdiviser en sections moins importantes ; on les a peut-être trop prodiguées dans ces derniers temps ; elles n’ont pas pour nous d’intérêt particulier, et nous passons.

Si, par suite des progrès obtenus depuis deux siècles, on sépare nettement aujourd’hui les trois sciences qui se partagent le règne animal, elles sont presque tout à fait confondues dans l’œuvre d’Aristote ; quelque pénétrante que fût l’analyse du philosophe, il ne l’a point poussée jusqu’à ces distinctions, qui nous semblent aujourd’hui aussi claires qu’indispensables. Il se trouve beaucoup d’anatomie et beaucoup de physiologie, mêlées à la description, dans son Histoire des Animaux, ainsi que dans ses deux autres grands traités, des Parties et de la Génération. Il avait fait en outre plusieurs ouvrages d’anatomie, que complétaient des dessins ; mais ne distinguant pas les trois sciences, il étudiait simultanément la forme, la structure et les fonctions.

Au début de la science, cette confusion était il peu près inévitable, et on doit l’excuser d’autant mieux qu’elle n’a pas empêché la constatation des faits. Pourtant, elle a eu ce résultat fâcheux qu’Aristote n’a pas établi de classification méthodique entre les espèces, assez nombreuses déjà, qu’il observait avec tant de sagacité. Il a pris du langage vulgaire les dénominations par lesquelles on désignait les animaux ; et il s’est contenté généralement de ces appellations, qui n’étaient pas fausses, mais qui ne représentaient point un ordre scientifique. Le besoin de la classification n’était pas senti alors comme il l’est de notre temps, où il n’est plus loisible de décrire les animaux sans les ranger systématiquement, selon leurs ressemblances ou leurs oppositions. On peut bien à son gré débuter par les plus simples, comme le fait le Darwinisme, pour en venir aux plus compliqués ; ou bien à l’inverse, commencer par ces derniers pour finir par les autres. Mais quelque marche qu’on choisisse, il faut toujours adopter un arrangement qui éclaircisse les idées et facilite les investigations. Comme le dit Cuvier : « Toutes « les recherches dans les sciences naturelles « supposent qu’on a les moyens de distinguer sûrement et de faire distinguer à autrui les corps dont on s’occupe ; autrement, on serait sans cesse exposé à confondre les êtres innombrables que la nature présente. L’histoire naturelle doit donc avoir pour a base un grand catalogue dans lequel tous les êtres, portant des noms convenus, puissent être reconnus par des caractères distinctifs, et soient distribués en divisions et subdivisions où l’on puisse les chercher. » (Règne animal, p. 7, édit. de 4829). C’est d’après cette considération pratique que Cuvier classe le règne animal, d’abord dans les quatre embranchements qui le comprennent en entier, et ensuite, dans toutes les subdivisions qui, selon lui, reproduisent autant que possible la réalité avec ses variétés infinies. En dépit du génie de Cuvier, la classification reste une question toujours pendante et controversée, comme nous le fait bien voir la critique d’Agassiz. Mais un mode de classification quelconque est absolument nécessaire, tout le monde le reconnaît ; et si l’on discute sur les détails, on n’en est pas moins unanimement d’accord sur l’utilité du principe. La science trouvera-t-elle quelque jour la solution de ce problème ? Une classification définitive pourra-t-elle jamais être acceptée par le monde savant ? Il est permis d’en douter, en présence des dissentiments qui ont régné jusqu’ici entre les naturalistes les plus fameux et les plus autorisés.

Quoi qu’il en puisse être, sans la classification, qui est la condition essentielle et le fil conducteur de la zoologie descriptive, le règne animal serait un chaos inextricable, qui lasserait bientôt notre curiosité la plus ardente.

Des trois sciences qui doivent y introduire l’ordre et la lumière, quelle est la plus importante ? Quelle est celle qui doit précéder et diriger les deux autres ? Cuvier n’hésite pas à attribuer la prééminence à l’anatomie ; c’est par l’anatomie qu’il inaugurait ses immortels travaux, et il ne l’a pas un instant négligée dans sa vie laborieuse ; c’est sur cette base, constamment affermie, qu’il a voulu fonder tout le reste. En ceci, on ne saurait être d’une autre opinion que Cuvier. Son autorité suffirait pour nous décider ; mais une autorité encore plus haute, celle de la raison, tranche la question. La forme extérieure étant ce qui frappe d’abord nos sens, les hommes s’en sont tenus longtemps à cette notion sommaire.

Mais la science ne pouvait pas s’en contenter ; et comme la forme du dehors dépend de l’organisation intérieure, dont elle n’est que le vêtement et la surface, c’est à cette organisation même qu’il faut s’attacher pour savoir ce qu’est essentiellement l’animal. Qu’y a-t-il de plus dissemblable extérieurement que les quadrumanes, les carnassiers, chiroptères ou plantigrades, les amphibies et les cétacés ? Cependant, comme tous ces animaux offrent un caractère commun, qui est d’avoir des mamelles, il faut les réunir dans une seule et même classe, celle des mammifères ; et c’est l’anatomie qui fait éclater la ressemblance qui les rapproche, bien que les uns vivent sur la terre, tandis que les autres vivent dans le liquide, ou parcourent l’air comme les oiseaux.

CLIII C’est donc par l’anatomie que la science doit se conduire ; c’est à l’anatomie de fournir les matériaux d’une classification qui n’ait rien d’arbitraire. Si, chronologiquement, la forme extérieure est la première à se montrer, elle doit, au point de vue de la raison, n’occuper que le second rang. L’anatomie, qui, dans la réalité, ne vient qu’après la notion de cette forme, la précède rationnellement. Bien des fois, Aristote a insisté sur ces rapports intervertis du temps et de la raison, du phénomène et de la substance, de la figure et de l’essence. Il aurait certainement appliqué ses formules habituelles aux relations de la zoologie descriptive et de l’anatomie, si, de son temps, la question eût été ce qu’elle est devenue dans le nôtre ; mais nous pouvons être assurés qu’il accordait a l’anatomie autant d’importance que Cuvier lui-même ; et s’il ne s’est pas prononcé aussi décidément, c’est que la science, alors moins avancée, n’en éprouvait pas le besoin.

Quant à la physiologie, elle ne peut venir qu’en dernier lieu, après l’anatomie et après la description. Quand on connaît la forme du dedans et celle du dehors, il reste à savoir comment ces organes et ces viscères fonctionnent effectivement, quels sont les résultats de leur mécanisme prodigieux, et comment se manifeste la vie secrète qui les anime et pour laquelle ils sont faits. L’analyse de la vie dans tous ses phénomènes, extrêmement délicate parce qu’elle est en quelque sorte fugitive, n’a pas cette fixité que présente l’anatomie.

Les deux caractères principaux de la vie animale sont la sensibilité et le mouvement, on l’a bien souvent répété, depuis Aristote et depuis le Traité de l’Ame ; c’est par là que l’animal se distingue de la plante, qui n’a que les facultés de se nourrir et de se reproduire, et qui n’est ni sensible ni mobile. Cependant, la physiologie n’a pas été aussi retardée que le supposait Claude Bernard ; mais l’étude en est éminemment ardue ; des trois sciences qui composent la zoologie générale, elle est la plus profonde, et, par conséquent, la moins développée. Malgré tous les efforts de l’esprit humain, la vie demeure un mystère impénétrable ; et tout ce que notre siècle peut se flatter d’avoir appris de plus nouveau en ce genre, c’est que la vie n’est apparue sur notre planète qu’à un moment donné, avant lequel elle n’était pas. Certaines conditions des milieux ambiants ont été nécessaires pour qu’elle se montrât tout à coup, sans que rien l’eût annoncée. Mais ce qui prouve irrésistiblement que la vie ne dépend pas de ces conditions exotériques, c’est que ces conditions, bien qu’elles restent, à cette heure, les mêmes qu’à l’origine, sont impuissantes à produire la vie ; et que, depuis la création des êtres animés, aussi loin que la science peut remonter ou descendre dans ces abîmes, tout être vivant, sans qu’il y ait à cette loi une seule exception, a tenu, avant de vivre, à un corps de la même forme que le sien, et vivant avant lui.

Ainsi que le dit Cuvier, l’être animé a tenu à un parent ; ou, selon la formule aristotélique : « L’homme engendre l’homme ». Il y a donc eu « un moment créateur, » selon la belle expression de Littré. Mais depuis ce moment unique, qui recule et se perd dans un inaccessible lointain, la vie ne s’est jamais produite une seconde fois dans sa condition primordiale ; elle a été simplement transmise, dans des organismes qui étaient aussi parfaits à l’origine qu’ils le sont aujourd’hui, et dont la succession imperturbable nous confond de plus en plus d’étonnement et d’admiration. L’on sent partout la vie ; nulle part, pas même en nous, on ne peut la saisir directement et la soumettre à l’observation continue et méthodique, comme on y soumet l’organisation matérielle. On ne la surprend que dans ses manifestations, qui trop souvent sont douteuses, et qui changent sans cesse, en nous révélant plus ou moins clairement le principe qu’elles cachent sous leurs multiples apparences.

C’est sans doute cette insurmontable ignorance qui aura porté la physiologie à se faire une science expérimentale, au lieu de se borner à être une science d’observation, comme le sont l’anatomie et la zoologie descriptive. L’expérimentation a de très grands avantages ; mais elle a aussi ses dangers, que la sagesse de Cuvier a signalés plus d’une fois. « Dans quelques sciences, disait-il, on examine des phénomènes dont on peut à l’avance régler toutes les circonstances ; mais il y a d’autres sciences, notamment la physiologie, où les phénomènes se passent dans des conditions qui ne dépendent pas de celui qui les étudie. Dans ces sciences, il n’est pas permis de soustraire successivement les phénomènes à chaque condition et de réduire le problème à ses éléments, comme le fait l’expérimentateur. » On est contraint de prendre le problème tout entier avec toutes ses conditions à la fois ; et on ne peut l’analyser que par la pensée. Ceci est vrai surtout quand on essaie d’isoler les phénomènes complexes dont se compose la vie d’un animal ; car si un seul de ces phénomènes est supprimé, la vie entière s’anéantit. Cuvier ne proscrivait pas, pour cela, les expériences, ni peut-être même la vivisection ; mais il avertissait les savants que ces procédés sont périlleux, et il les mettait en garde contre l’abus. A-t-on respecté suffisamment ces prudents avis ? Nous ne savons, mais ce qu’on peut croire, c’est qu’il est toujours hasardeux de préparer soi-même une réalité factice, parce qu’on est trop disposé à la substituer à la réalité initiale qu’on n’a pas pu comprendre. C’est le fait d’une circonspection bien rare de ne pas voir dans l’expérience qu’on a imaginée plus qu’elle ne contient, et de la circonscrire scrupuleusement au cas réservé.

Du reste, la vie ne se trouve pas exclusivement dans les animaux, elle est aussi dans les plantes ; et de là vient que, considérée à la fois dans les deux règnes, elle donne lieu à une science appelée d’un nom aussi nouveau qu’elle, la Biologie. On peut apercevoir déjà quelques linéaments de cette science dans le Traité de l’Ame d’Aristote, qui est une théorie du principe vital chez tous les êtres animés. Mais la physiologie botanique n’apporte que très-peu de secours à la physiologie générale, et quoique les plantes aient des fonctions communes avec les animaux, il ne faudrait pas forcer des ressemblances qui embarrasseraient la science, loin de lui être utiles.

Pour toutes les parties de l’histoire naturelle, comme pour les autres sciences, nous possédons aujourd’hui cent fois plus de ressources que n’en avaient les siècles qui nous ont précédés. Le nombre des observateurs est beaucoup plus grand qu’il n’a jamais été, et il s’augmente continuellement ; les communications libérales qu’ils se font mutuellement leur sont aussi profitables que faciles. On peut s’entendre d’un bout à l’autre de la terre en un temps aussi rapide que la pensée ; une découverte de quelque valeur est instantanément connue de ceux qu’elle peut intéresser. Les Académies, les corps savants de toute sorte dans tous les pays civilisés, rivalisent de zèle et de publicité ; les collections publiques et privées s’accumulent pour chacune des branches du savoir ; les instruments les plus ingénieux ajoutent leur coopération docile et sûre à toutes les facultés de l’intelligence. En un mot, les richesses surabondent de tous côtés. Mais si l’on peut s’en applaudir, on peut aussi craindre l’excès de tant de moyens d’information. Les détails se multiplient avec une telle profusion qu’il est à redouter que l’esprit ne s’y perde et ne succombe sous un poids toujours accru. C’est un écueil de plus en plus menaçant, qui cause l’inquiétude de bien des naturalistes. On peut espérer que la science finira par éviter cet écueil, qui est trop réel, comme Buffon le lui conseillait, voilà déjà plus d’un siècle ; mais pour le moment, et peut-être pour assez longtemps encore, elle risque de s’y attarder et de s’y affaiblir. C’est une activité un peu aveugle, une anarchie qui provoquera plus tard un remède, et la dictature de quelque nouveau système. On se fatiguera de tant de diversions minutieuses qui détournent nos regards sur des points très-secondaires, et qui nous empêchent de saisir l’ensemble des choses, qui, en définitive, est seul digne de nos labeurs et de notre raison, puisque la science ne vit que de généralités. Sans doute, il est excellent de limiter l’observation pour la rendre plus exacte, et pour lui assurer les conséquences et l’autorité qu’elle doit avoir ; mais, afin que la spécialité même acquière tout son prix, il faut toujours qu’elle se rattache à quelque chose de plus compréhensif.

Cette nécessité s’impose en histoire naturelle peut-être plus encore que dans aucune autre science. Ce sont uniquement des genres — et des espèces que la zoologie considère ; ce ne sont jamais des individus, et il n’y a pas de biographies dans le royaume de l’animalité. Voilà comment, lorsqu’on parle de zoologie descriptive, d’anatomie, de physiologie il est toujours sous-entendu qu’il s’agit de la classification générale de tous les animaux, ou de leur anatomie comparée, ou de leur physiologie comparée. L’étude de l’homme, de sa physiologie et de son anatomie particulières, est fort intéressante, parce qu’elle nous touche immédiatement, et surtout parce qu’elle éclaire, à tous les degrés, l’étude des organisations inférieures. La science doit, selon nous, commencer par l’homme ; mais elle ne peut se borner à l’homme et s’y renfermer, puisque la nature ne s’y borne pas.

A la fin de notre siècle, le monde savant est hanté par deux théories, ou plutôt par deux erreurs, qui peuvent être fort nuisibles, et dont il devrait se défendre prudemment : le transformisme d’une part, et d’autre part, l’athéisme, qui en est sorti fatalement. Ces entraînements désastreux dévoient la science et lui font perdre un temps précieux, en attendant qu’elle sache s’y soustraire pour revenir a la vérité trop méconnue.

Plus haut, on a cité les objections qu’Agassiz oppose au transformisme ; il les emprunte toutes à la zoologie. Mais il en est d’autres qui ne sont pas moins fortes, et qu’on peut soulever au nom de la méthode et de la logique. Est-il un fait plus frappant et moins niable que la fixité présente des espèces ? Ces espèces ont-elles changé d’une façon appréciable depuis quatre mille ans qu’on les observe ? En remontant aux témoignages les plus anciens, en interrogeant les poètes, les historiens, les naturalistes ; en interrogeant, comme des témoins encore plus irrécusables, les débris fossiles que garde le sol, ou les ossements conservés par la piété humaine, découvre-t-on la moindre dissemblance entre les animaux qui vivent côte à côte avec nous, et les animaux de même espèce qui vivaient aux époques les plus reculées ? La sélection pratiquée par l’homme dans quelques circonstances modifie des détails d’organisation ; mais de ces altérations superficielles et peu persistantes, conclure que les espèces peuvent se transformer les unes dans les autres, et que, par exemple, des quadrupèdes pourraient devenir, ou peuvent avoir été, des mollusques, c’est une rêverie, qu’on ne serait pas trop surpris de rencontrer dans un conte de fées ; mais dans la science, dont les fondements ne sont que l’observation et l’analyse, ces fantaisies, imitées des Mille et une Nuits, ne sont pas très-sérieuses, et l’on n’aurait pour elles que du dédain, si elles ne portaient point des conséquences aussi redoutables que fausses.

Ce qu’il y a de vrai dans la théorie de la cellule, surtout depuis les beaux travaux d’Ernest de Baër (1827), c’est que, chez tous les mammifères, l’embryon, fécondé par l’union des sexes, débute par une molécule à peu près imperceptible, germe de tous les développements ultérieurs. C’est une cuticule, c’est un ovule, qui, comme l’œuf des oiseaux, porte en soi tout ce qui rend possibles les progrès de la vie et la nutrition du jeune. Ce fait, qui a été si bien démontré pour les mammifères, s’étend aux autres animaux supérieurs, et, si l’on veut même, à toute l’animalité, bien que ce ne soit pas encore prouvé pour les espèces hermaphrodites ou gemmipares. Mais si l’on concède ce premier point aux partisans de la cellule, ils doivent en retour avouer que les cellules ont beau être d’apparence identique, « Elles n’en sont pas moins essentiellement différentes dans leur contenu, quel qu’il soit, puisque l’évolution en fait sortir les êtres les plus dissemblables. Notez que ce second fait n’est pas moins incontestable que le premier. A quoi bon, dès lors, identifier, dans une promiscuité imaginaire, les espèces actuellement si distinctes, puisqu’on est forcé de différencier tout aussi profondément les cellules elles-mêmes ? Que gagne-t-on à nier d’abord la différence, puisqu’il faut ensuite la reconnaître et la subir ? Si nos faibles regards pouvaient pénétrer dans l’enceinte ultra-microscopique des cellules, sarcode ou protoplasma, ils y verraient le même spectacle qui nous éblouit dans l’organisme actuel des êtres visibles. Les cellules, à quelque degré de ténuité qu’on veuille les réduire, nous offriraient, si elles s’ouvraient pour nous, les mêmes diversités, les mêmes ordres, les mêmes familles, et, en descendant toujours, les mêmes espèces. Seulement le phénomène se produirait comme dans le ciron de Pascal, sur une échelle moindre, et tellement insaisissable qu’il faudrait renoncer à toute observation un peu positive. Le transformisme pourrait-il se soustraire à cette extrémité, où la science disparaît ? Et ce néant est-il le but auquel il aboutit ?

Ainsi, présence de la vie venue dans les cellules les plus informes par voie de transmission, et dissemblance radicale entre les cellules, tout aussi prononcée pour elles qu’entre les adultes les plus complètement formés, voilà deux évidences, qu’on peut braver obstinément, mais qu’on ne détruit pas.

Le transformisme n’est donc qu’une de ces idées à priori qu’on a tant reprochées à la métaphysique, et dont la science prétend s’abstenir avec la plus légitime réserve. Elle fait très-bien de vouloir fuir l’a priori et de le répudier ; mais, à son insu, elle s’en sert peut-être plus fréquemment qu’elle ne le pense. Dans la métaphysique, ou philosophie première, si bien définie par Aristote, qui l’appelle de son vrai nom, la science des causes, certains principes universels, c’est-à-dire des axiomes, sont indispensables ; et on ne les proscrit que faute de comprendre leur rôle nécessaire pour les démonstrations de tout ordre. Mais dans les sciences spéciales, les idées à priori doivent être soigneusement éliminées, pour céder la place à de simples généralités, résultant de l’observation qu’elles résument. Bien des fois cependant, la science s’est méprise, et elle a laissé de côté le réel, pour conférer à des préventions et à des hypothèses une faveur qu’elles ne méritent pas. Là mode peut régner dans les sciences aussi bien que dans des régions moins éclairées et moins sévères ; elle y fait plus de mal ; mais heureusement elle n’y est pas beaucoup plus durable.

Elle y est même d’autant plus inconstante que la science recherche avant tout la vérité, et que, si elle s’en éloigne pour quelque temps, elle y est bientôt ramenée par sa propre nature, par tous ses penchants instinctifs, et par la réalité. Le transformisme, quand on le prend pour l’explication de l’origine des êtres, est une de ces modes, qui n’a eu déjà que trop de durée, mais qui disparaîtra comme d’autres, séduisantes et frivoles autant que lui.

Un des torts les moins pardonnables du transformisme, c’est donc de substituer, au monde qui est sous nos yeux, la chimère d’un monde entièrement faux. Il semble que le spectacle que l’homme contemple ici-bas pendant son éphémère existence, est par lui-même assez beau et assez vaste, non-seulement pour suffire à notre passion de savoir, mais aussi pour dépasser de beaucoup toutes les énergies de notre intelligence. L’étonnement causé à nos esprits par les phénomènes naturels n’est pas moins vif aujourd’hui que quand jadis Aristote y trouvait la source première de la philosophie et de la réflexion. Mais le transformisme est venu changer tout cela ; au lieu de la nature qui subsiste immuablement devant nous, et qu’on étudie depuis quelques milliers d’années, parce qu’on a foi dans sa stabilité, il nous propose une nature qui échapperait à toute observation, à toute étude, à toute science, si elle était aussi variable et aussi fuyante qu’il veut la faire. N’est-ce pas remonter, par une autre voie, jusqu’à ces antiques systèmes qui admettaient le flux universel des choses et la perpétuelle mobilité de tout ce qui est ?

Le vieil Héraclite soutenait qu’on ne peut se baigner deux fois dans la même eau du fleuve qui s’écoule. Le transformisme contemporain ne met plus la mobilité dans l’eau courante, qui se dérobe, en se jouant de nous ; il la met dans ces formes et ces constitutions des êtres qui nous semblent, à bon droit, être fixées pour toujours, et que nul œil humain n’a jamais vues autrement qu’elles ne sont présentement. En allant plus loin encore qu’Héraclite, n’est-ce pas faire concurrence à ces élucubrations de l’Inde, qui confondent tous les êtres dans un être unique, et qui imaginent des métempsychoses sans fin, mêlant indistinctement toutes les existences, par l’impuissance d’en discerner réellement aucune ? Est-ce donc une gloire enviable pour la science du XIXe siècle que de se mettre au niveau des Bouddhistes de l’immobile Orient ? Les Bouddhistes n’ont pas inventé la cellule ; mais ils ont poussé le rêve des transformations jusqu’à la limite extrême que les promoteurs les plus audacieux du Darwinisme n’ont pas encore franchie ; ils ont tout englobé dans cette masse confuse et sans forme des trois règnes identifiés et amalgamés, où le monde animal ne se reconnaît même plus, et où il sombre comme tout le reste. Est-ce bien la peine que le Darwinisme recueille tant de faits, tant d’observations, tant de renseignements précieux et savants, pour en étayer une conception que les plus ignorants des hommes avaient trouvée cinq ou six siècles avant notre ère, et sur laquelle ils ont bâti leurs doctrines abstruses et extravagantes ? Le transformisme s’enorgueillit d’être un immense progrès. N’est-il pas, tout au contraire, un déplorable recul vers des insanités qui pouvaient sembler à jamais mortes et réprouvées ?

L’arrière-pensée que caresse le transformisme, c’est de faire sortir la vie du concours fortuit et inconscient d’éléments purement matériels. A l’en croire, quelques-uns des corps simples, qui sont l’étude de la chimie, se seraient un jour rencontrés, on ne nous dit pas par quelle cause, disparue depuis cette époque ; et de leur contact fécond, aurait jailli tout à coup l’étincelle inextinguible. Mais s’il en a été ainsi, si en effet la vie a surgi par hasard du rapprochement de forces physiques, pourquoi ces forces auraient-elles cessé leur action, après cet instant pour toujours évanoui ? Pourquoi n’agissent-elles plus à cette heure, devant nous, comme elles agissaient alors ? C’est la question que faisait Agassiz, il y a vingt ans ; on n’y a pas répondu, parce qu’on ne peut pas y répondre, si ce n’est par des hypothèses inacceptables. L’analyse spectrale, découverte tout récemment, pour l’honneur de notre siècle, est venue apporter aux arguments d’Agassiz une confirmation inattendue. Il n’est plus permis de supposer que les forces et les éléments physiques aient été à l’origine autres qu’ils ne sont à cette heure, soit sur notre globe, soit sur les autres corps qui font aussi leurs révolutions dans l’espace. La vie est donc une force, sut generis, essentiellement différente des forces physiques ; elle ne vient pas de ces forces, et elle les créerait bien plutôt qu’elle ne serait créée par elles.

Or, n’est-il pas excessivement difficile, ou disons mieux, n’est-il pas absolument impossible, de découvrir la moindre intelligence dans les forces physiques, réduites à elles seules ? S’il est une conclusion qui résulte des théories les plus solidement établies de la science et de ses observations les plus irréfragables, c’est que l’intelligence se manifeste à tous les degrés, sous toutes les formes, à tous les moments, dans l’univers entier, et excellemment dans les êtres animés, que nous pouvons le plus directement observer, et que nous connaissons le plus sûrement, sans parler de nous-mêmes. Qu’est-ce, en effet, que l’intelligence ? Quand nous voyons un but atteint successivement par une suite de moyens appropriés ; quand ces moyens, agissant chacun dans leur sphère, se subordonnent régulièrement les uns aux autres pour produire un résultat dernier, n’est-ce pas là une preuve éclatante d’intelligence et de volonté ? N’est-ce pas le comble de la déraison que de se refuser à cette confession irrésistible ? N’est-ce pas une abdication et un suicide de l’esprit, qui, par une sorte de délire, se méconnaît jusqu’à ce point de ne plus voir dans la nature extérieure, sous une forme infinie, la force dont il est doué lui-même intimement, bien que dans une moindre mesure.

Une raison saine peut-elle douter, pur exemple, que la reproduction des êtres, perpétuant les espèces, ne soit préparée par la nutrition, qui, à son tour, est le terme d’une série de phénomènes sans lesquels elle n’aurait pas lieu ? Cet enchaînement de faits liés entre eux pour aboutir à une fin préconçue qui se réalise, n’est-ce plus là ce qui s’appelle de l’intelligence ? Ce qu’on dit de la reproduction et de la nutrition ne peut-on pas l’appliquer non moins justement à tout le jeu de l’organisation animale ? Le rôle des os, des muscles, des tendons, des ligaments, des nerfs, des vaisseaux, des viscères de tout ordre, n’est-il donc pas aussi évident ? La solidité des unes, la flexibilité des autres, la circulation des fluides, les absorptions, les sécrétions, n’ont-elles plus d’objet ? Le suprême honneur de l’esprit de l’homme ne consiste-t-il pas à démonter tous ces rouages délicats, pour y surprendre, pièce à pièce, les mystérieux desseins d’une pensée intelligente, devant laquelle la nôtre se sent comme anéantie ? Le bon sens ne s’écrie-t-il plus avec Voltaire :

« L’univers m’embarrasse, et je ne puis songer

« Que cette horloge existe et n’ait pas d’horloger ? »

On a vraiment quelque honte de tant insister sur des vérités si simples ; et cela, à la fin de notre XIXe siècle, au milieu des découvertes accumulées dont la science se glorifie ! Mais comment se peut-il que l’intelligence humaine, qui s’enivre si aisément de ses succès, ne voie pas qu’elle aussi n’est qu’une partie de la nature ? N’y-a-t-il plus au monde quelque chose d’intelligible ? Et l’intelligible ne suppose-t-il pas nécessairement l’intelligent ? Cet univers est-il une énigme sans mot ? Que devient la science, lorsque, fîère de comprendre quelques vains détails, elle refuse au tout, que ces détails composent, ce qu’elle accorde à d’infimes parties ? L’orgueil, d’un côté, ne compense pas la défaillance, de l’autre ; et c’est trop de se montrer tout à la fois si présomptueux et si inconséquent. Anaxagore, Socrate, Platon, Aristote, le judaïsme, la chrétienté, et, plus près de nous, Descartes, Linné, Buffon, Cuvier, se sont-ils donc trompés ? Notre jugement, ou plutôt le jugement de quelques savants de nos jours, l’emporte-t-il sur celui de ces puissants esprits, appuyé sur tant de génie, sur tant de réflexion et de sagesse, sur tant d’observations, confirmant de sublimes instincts, qui n’ont rien eu d’un aveugle enthousiasme ?

CLXXIII La science redoute les causes finales ; et c’est parfois un louable scrupule qui les lui fait craindre. Oui, sans doute, on en a abusé. Mais est-ce là un motif pour les repousser dans tous les cas ? Si l’on invoque l’intervention de la Providence à tout propos, pour résoudre les difficultés les plus vulgaires ; si, devant un phénomène qu’on n’a pu tout d’abord expliquer, on se décourage, et qu’immédiatement on ait recours au Deus ex machina du poète, ce n’est qu’une faiblesse ; et la science doit se l’interdire. Elle peut se fier à sa virilité ; et en ceci du moins, elle ne se méprend pas ; car il est donné à l’homme de beaucoup obtenir par de constants efforts et d’apprendre toujours davantage. Mais savoir, n’est-ce pas connaître la cause ? N’est-ce pas connaître la fin de la chose qu’on étudie ? Aristote est le premier, entre tous les penseurs, qui ait proclamé aussi résolument la croyance aux causes finales ; et après tant de siècles, après tant de controverses, elle n’a rien perdu de son importance, ni de son opportunité. Elle est aussi neuve à présent qu’elle le fut jamais ; elle est de celles qui ne vieillissent point. Serait-elle devenue fausse parce que, de jour en jour, elle est plus ancienne, et qu’elle continue de se vérifier ?

Le témoignage d’Aristote doit avoir pour nous une double autorité, que lui confèrent le génie et l’indépendance d’esprit la plus entière. Dans le passé du savoir humain, Aristote tient une place unique ; et selon toute probabilité, l’avenir ne lui donnera pas de rival. On peut ne pas partager toutes ses opinions ; mais aujourd’hui qu’on les apprécie mieux qu’auparavant, on doit reconnaître que jamais un entendement aussi fécond n’a paru dans les annales de la science.

L’influence dominatrice qu’il a exercée sur l’Antiquité, et sur tout le Moyen-âge, a été légitime autant que bienfaisante ; et nous qui en savons beaucoup plus qu’il ne pouvait en savoir, nous n’en sommes que plus pénétrés d’admiration et de gratitude, en voyant ce qu’il a su et ce que nous lui devons. Son histoire naturelle, mieux connue, est faite pour augmenter encore ces sentiments, qu’on éprouve même sans être un partisan du Péripatétisme. Qui se croirait le droit de récuser un tel génie ?

CLXXVI. La nature, qui existait sous ses yeux, n’est-elle pas toujours celle qui existe sous les nôtres ? Pouvons-nous la juger dans son caractère essentiel autrement que lui ? Et quand cet esprit incomparable déclare qu’il la trouve pleine de sagesse, quand il y découvre une providence, irons-nous élever notre voix contre la sienne, qui, d’ailleurs, est d’accord avec les plus grandes voix que le monde ait entendues et écoutées ? Il faudrait, pour se prononcer en sens contraire, une outrecuidance que nous n’avons pas ; et si, sur quelques points, on peut se séparer d’Aristote, sur ce point-là, il faut être à ses côtés et combattre avec lui.

Ajoutons que l’indépendance d’Aristote n’est pas plus douteuse que son génie ; il n’a obéi et ne pouvait obéir qu’à la conviction la plus libre. De nos jours, bien des savants ne s’aperçoivent pas qu’ils dérivent vers l’athéisme, qui est en vogue, par réaction passionnée et par haine rétrospective contre les idées religieuses. Depuis deux mille ans tout à l’heure que le christianisme s’est propagé, l’idée de Dieu, obscurcie dans le monde ancien, a envahi le monde moderne avec une force et une clarté invincibles, amenant d’immenses avantages pour la civilisation et l’humanité, mais en même temps suscitant des abus dont toutes les choses humaines sont entachées. L’intolérance a régné pendant de longs siècles ; et c’est à peine si, dans le nôtre, elle s’est relâchée de ses exigences et de ses rigueurs.

Beaucoup de nobles esprits se sont révoltés héroïquement contre elle ; mais la réaction ne devait pas être moins excessive que la persécution provocatrice. De croyances qui étaient exagérées dans leur application, si ce n’est dans leur principe, on est passé à des croyances tout autres, qui ne sont guère plus modérées et qui ont le malheur d’être fausses. La philosophie du XIXe siècle, grâce surtout à M. Cousin, s’est dégagée de cet abîme creusé par le siècle précédent ; mais la science s’y est aventurée, bien qu’elle n’y fût pas tenue, et que de telles questions ne soient pas de sa compétence. Dans la civilisation grecque, où il n’y a point eu de livres sacrés ni d’orthodoxie, l’âme d’Aristote a été à l’abri de l’oppression et de la licence ; il a vécu dans ces libres et pures régions qui sont l’atmosphère naturelle de la philosophie ; et si jamais homme fut en mesure de voir la vérité et de la dire, c’est bien le précepteur d’Alexandre, et l’auteur de l’Histoire des Animaux. Etendue d’intelligence et perspicacité sans égale, impartialité absolue, voilà les deux qualités qui le recommandent et l’imposent, non pas à la foi du genre humain, qui ne doit accepter d’autre joug que celui de la raison, mais à son attention perpétuelle et bienveillante.

Aristote ne s’est donc pas trompé en professant que l’univers a un sens et que les phénomènes qu’il nous offre ont une fin intelligible ; nous ne nous trompons pas plus que lui en pensant ce qu’il a pensé.

L’idée de Dieu, dont certains savants ont une sorte d’horreur, n’est pas exclusivement religieuse ; elle est surtout philosophique, on peut en croire Descartes ; et, comme dirait Kant, c’est un postulat de la raison, le plus nécessaire de tous les postulats. L’idée de Dieu n’est pas davantage exclusivement chrétienne. La philosophie grecque, dans sa pleine liberté, l’a connue dès ses premiers temps, avec Xénophane, Héraclite et Anaxagore. L’école platonicienne, inspirée par Socrate, et le Péripatétisme l’ont, à certains égards, approfondie autant qu’elle peut l’être ; et ils en ont tiré à peu près toutes les conséquences pratiques qu’elle renferme, soit pour l’explication du monde extérieur, soit pour la moralité humaine. La science contemporaine pourrait donc, sans être suspecte de complaisance pour la superstition, accepter aussi, après de tels garants, l’idée de Dieu, et tout au moins ne pas la combattre, ni directement, ni par voies détournées. Après l’instinct de la conscience, qui, spontanément et dans l’élan de sa foi, croit à un être infini et tout-puissant, au-delà des êtres particuliers, la réflexion, qui n’est que la philosophie même, confirme et éclaircit cette impression, qui est d’abord obscure, tout énergique qu’elle est. Pour achever et pour relier le faisceau de toutes les données éparses de l’observation et de la science, la raison a le besoin impérieux de concevoir une cause universelle et une unité indéfectible à cette variété sans limite ; il faut un point d’arrêt, comme le déclarait Aristote. L’intelligence finie de l’homme est très-loin de tout comprendre, en dépit d’une orgueilleuse présomption, que désavoue la vraie philosophie ; mais elle comprend assez les choses qu’elle atteint pour s’assurer qu’elles viennent d’un auteur qui les a créées, qui les ordonne et qui les maintient, et surtout pour s’assurer que cet auteur de tous les êtres a une infinie puissance. La réflexion dans ce qu’elle a de plus attentif, de plus profond, de plus scientifique, est ainsi en parfaite harmonie avec la spontanéité du genre humain ; et, chaque jour, se vérifie cette sage parole que, si un peu de science éloigne de Dieu, beaucoup de science y ramène.

Ceci ne veut pas dire que les sciences n’ont à faire que des traités Bridgewater, à la louange incessante de la puissance et de la bonté divines. Ce n’est pas là leur objet ; cependant, comme l’intervention de Dieu n’est pas plus méconnaissable dans le détail des phénomènes que dans leur ensemble, la science s’égare quand elle en arrive à des négations particulières qui contredisent l’affirmation universelle.

Ce ne sont plus là, nous le répétons, des questions scientifiques, ce sont des questions de philosophie. S’il est vrai que la science ne peut pas s’en abstenir complètement, du moins ce ne sont plus tout à fait les siennes. Chaque science, dans son domaine spécial, étudie un certain ordre de faits qu’elle a le devoir de recueillir et d’élucider. Mais par cela même, les sciences ne sont, chacune à part, que des fragments du tout, qu’elles décomposent du mieux qu’elles peuvent ; et cette analyse, poussée aussi loin qu’on le suppose, appelle toujours une synthèse, sans laquelle elle n’aurait presque plus de valeur. Aussi les sciences, sauf leur utilité pratique, ne sont, à vrai dire, que des curiosités qui instruisent l’esprit, mais qui ne le satisfont pas pleinement, parce qu’il voit toujours au delà de chacune d’elles le problème total dont elles ne sont que des solutions partielles. L’effroi que la métaphysique cause à quelques savants est vraiment puéril. Aux yeux de la raison, la métaphysique, ou la philosophie générale, est la première de toutes les sciences, bien qu’elle n’ait rien de pratique selon la remarque d’Aristote ; elle est la science des sciences ; et prétendre s’en passer est une tentative aussi vaine que de nier le système du monde et l’ordre universel.

Claude Bernard défendait à la philosophie, non sans amertume ni sans quelque colère, d’entrer dans le ménage de la science ». (Revue des Deux-Mondes, 4865, p. 661.) Le célèbre physiologiste se trompait. La philosophie n’a point à envahir les sciences ; elle n’a point à y pénétrer, en en forçant l’entrée, attendu que, par sa nature même, elle est toujours et nécessairement mêlée au ménage de la science. N’est-ce pas la philosophie qui doit poser et résoudre les questions de méthode ? N’est-ce pas elle qui est chargée d’étudier la part que l’esprit de l’homme apporte toujours dans les édifices scientifiques qu’il construit ?

N’est-elle pas chargée aussi d’étudier certaines idées générales que les sciences admettent et emploient sans examen, et dont elles ne sauraient manquer sans se détruire elles-mêmes ? Par exemple, les idées de substance, de cause, de temps, d’espace ? Quand la zoologie se rend compte de la méthode qu’elle s’astreint à suivre, ainsi qu’Aristote le fait dans le premier livre du Traité des Parties, est-ce là encore de l’histoire naturelle ? La question de la méthode ne se reproduit-elle pas dans toute autre science, avec la même indépendance que dans la science zoologique ? Ne faut-il pas une science occupée spécialement de cette question capitale, qui intéresse au premier chef le domaine scientifique tout entier ? Cette science, distincte de toutes les autres, en ce qu’elle les précède, les enveloppe et les dirige, n’est-ce pas la philosophie ? La bannir des sciences, ne serait-ce pas les condamner à marcher à l’aventure ? En est-il une seule qui consentît à n’avoir point de méthode ?

Ce besoin est si réel, que chaque science, dès qu’elle a fait assez de progrès, se replie sur elle-même, et tente de se faire sa philosophie particulière. Mais alors la science quitte le champ qui lui est propre, et c’est elle « qui entre dans le ménage » de la philosophie, loin que ce soit la philosophie qui entre dans le sien. La philosophie n’a garde de s’en plaindre, parce qu’elle sait de reste ce qu’elle est, ce qu’elle a été et ce qu’elle doit être à jamais. Comme elle vise à embrasser la totalité des choses, dans les limites de notre incurable infirmité, elle n’a point à craindre qu’on la dépouille et qu’on usurpe sur elle. Les ombrages que la science conçoit, sans motif, à son égard, ne l’inquiètent pas. Surtout elle ne les ressent point à son tour ; et au lieu de s’irriter qu’on vienne à son aide, elle provoque et elle accueille tous les concours. Les informations secondaires que les sciences lui apportent rentrent dans son vaste cadre, qui renferme tout, et lui permettent de le remplir de mieux en mieux.

Ce rapport de la philosophie aux sciences est si vrai qu’au début, quand l’esprit humain essaie ses premiers pas, la philosophie comprend toutes les sciences sans exception ; elle est la science unique. L’histoire nous en offre deux exemples, un peu différents, mais également décisifs : celui de la Grèce et celui de l’Inde. Au temps de Thaïes et de Pythagore, l’intelligence grecque ne connaît que la philosophie, réunissant en elle seule tout le savoir des hommes. Bientôt les sciences éclosent de son sein inépuisable ; elles se particularisent de plus en plus, à mesure que l’observation étend ses analyses sur le monde. Déjà en Grèce, les sciences, très-nombreuses, se ramifient du tronc commun. Elles le sont bien davantage chez nous, qui les avons héritées des Grecs ; et elles se multiplient sans cesse par nos labeurs, s’écartant, une à une, de l’unité primitive, mais y tenant toujours par des liens indissolubles. Dans l’Inde, les sciences ont été moins, heureuses ; elles n’ont jamais pu sortir du giron de la philosophie ; elle est restée à toute époque la seule science que l’esprit Hindou ait conçue ; il l’a cultivée avec un zèle dont la Grèce même n’a point dépassé l’ardeur. Les ascètes Brahmaniques n’ont pas eu la force de produire des sciences spéciales ; ils en sont demeurés à la science totale, avec ses inévitables obscurités, qu’accroît encore l’esprit de la race, incapable d’observer quoi que ce soit de la nature extérieure, et s’abîmant dans l’extase, où il s’observe lui-même tout aussi mal. Pour la Grèce, la philosophie a été une mère féconde ; dans l’Inde, elle a été stérile, et n’a rien enfanté qu’elle-même, charmée et enivrée de ses trésors, que d’autres ne sont point venus augmenter. Mais dans la Grèce et dans l’Inde, la philosophie est la source supérieure et la racine de tout savoir. Cette relation de la philosophie aux sciences n’a point changé ; à cette heure, elle est dans notre temps ce qu’elle était dans ces temps reculés, et ce qu’elle sera pour jamais.

Voilà ce que les sciences doivent se dire pour ne point se laisser aller à ces sentiments d’hostilité qu’on cherche quelquefois à leur inspirer contre la philosophie. Cette discorde, qui n’est pas sage, risquerait d’être funeste, soit aux sciences, qui ne sauraient se passer de la philosophie, qui les éclaire, soit à la philosophie, que les sciences complètent si utilement. D’ailleurs, cette prédominance de la philosophie n’a rien d’oppressif. Ce n’est pas davantage une prétention orgueilleuse ; c’est une simple priorité, résultant du rapport nécessaire que Dieu a mis entre l’esprit de l’homme et le monde où il nous a placés. Le premier regard que l’homme jette sur la nature ne peut lui fournir que la vue superficielle de l’ensemble des choses ; c’est une vue totale, qui est confuse, parce que tout y est compris et mêlé. Plus tard, les différences et les distinctions se marquent indéfiniment pour des yeux moins éblouis ; mais l’impression initiale ne s’efface point ; et c’est toujours à la totalité que doit se rattacher l’intelligence de plus en plus instruite, parce que les grands et essentiels problèmes sont là, et que ces problèmes généraux servent à résoudre tous les autres. Ce sont aussi les plus difficiles de tous ; et l’esprit de l’homme, qui se sent si faible devant leur grandeur incommensurable, y reçoit une leçon d’humilité dont la philosophie profite, mais dont les sciences ne profitent peut-être pas toujours autant qu’elle, bien qu’elles en aient le même besoin.

Ces dernières considérations semblent s’adresser surtout au temps présent. Pourtant elles ne sont pas aussi neuves qu’on serait tenté de le croire ; on peut en trouver l’équivalent dans la lecture d’Aristote ; et quand on se rappelle son admiration réfléchie pour les œuvres de la nature, et ses théories sur la philosophie première, on peut supposer sans témérité qu’il pensait et qu’il a dit à peu près tout ce que nous venons de dire. Pour lui aussi, la philosophie est la plus haute des sciences, parce qu’elle est la plus générale. Il en a fait dans sa Métaphysique une austère peinture, à laquelle les Modernes ne peuvent rien ajouter ; et il a décrit la « Perennis quœdam philosophia » aussi clairement que Leibniz a pu le faire, après deux mille ans d’expérience de plus. Aristote a même tellement prisé le savoir permis à l’homme, qu’il soupçonne que les Dieux pourraient en être jaloux, si jamais une basse jalousie approchait de l’âme des Dieux. Mais Aristote ne s’est pas perdu sur ces sommités lumineuses ; et personne dans tout le passé n’a tiré autant d’applications pratiques de la science des principes et des causes. On ne saurait énumérer trop souvent toutes les sciences qu’il a fondées, et que le monde a cultivées après lui : logique, rhétorique, poétique, psychologie, physique, météorologie, métaphysique, histoire naturelle, anatomie, physiologie, etc. Aurait-il créé tant de sciences, s’il ne se fût tout d’abord appuyé sur la philosophie, qui a doublé les forces de son génie, sa profondeur et son exactitude, sa solidité et son étendue ? Dans le champ de la physiologie comparée, on vient de voir ce qu’il a fait ; les germes qu’il a semés à pleines mains ne se sont développés que bien longtemps après lui ; et il a été tellement en avance sur l’esprit humain, qu’il a fallu une vingtaine de siècles pour qu’on se mît enfin à son niveau. Ce serait certainement un enthousiasme aveugle que de nier ses lacunes, et les erreurs qu’il a inévitablement commises. Mais quelque justes critiques qu’on puisse en faire, nous ne devons jamais oublier qu’il a ouvert la carrière ; et qu’ici comme ailleurs, il a été le premier et par cela même le plus grand des physiologistes. Il serait souverainement inique de refuser aux Modernes la gloire qui leur revient ; mais ils n’ont fait que suivre la voie qui leur avait été tracée. Leurs progrès sont considérables ; l’ouvrage même d’Aristote est là pour le prouver ; mais on peut douter que, sans lui, ces progrès eussent été possibles ; et il est équitable de lui faire aussi sa part. Pour des juges non prévenus, cette part peut passer encore pour la plus belle, même au milieu des splendeurs de la science contemporaine.
Paris, Mai 1885.

DISSERTATION SUR LA COMPOSITION ET L’AUTHENTICITÉ DU TRAITÉ DES PARTIES DES ANIMAUX


L’authenticité du traité des Parties des Animaux ne doit pas plus faire de doute que celle de l’Histoire des Animaux. Cependant, cet ouvrage n’est pas mentionné dans le catalogue de Diogène-Laërce. Dans le catalogue d’Hésychius, où il se trouve, il n’a que trois livres, au lieu de quatre, qu’il a dans tous les manuscrits et dans toutes les éditions. Il n’a aussi que trois livres dans le catalogue de l’Arabe, qui ne fait très-probablement que copier la liste d’Hésychius, donnant, comme lui encore, trois livres seulement au Traité de la Génération, qui en a cinq. (Voir M. Chaignet, Psychologie d’Aristote, 1883, p. 98.) Athénée cite souvent un traité des Parties, et il en cite surtout le cinquième livre ; mais, ainsi que l’a constaté M. Heitz, Ecrits perdus d’Aristote, 1865, p. 71, c’est le cinquième livre de l’Histoire des Animaux, et non le traité des Parties, qu’Athénée veut toujours désigner par là ; il est facile de s’en convaincre en rapprochant les passages allégués par lui avec l’ouvrage même du philosophe. C’est ce qu’a reconnu également M. Valentin Rose, Aristoteles pseudepigraphus, page 276.

Il est bien à présumer que Cicéron avait sous les yeux l’Histoire des Animaux et le traité des Parties, pour tout ce qu’il dit de l’intelligence des animaux dans son livre sur la Nature des Dieux, livre II, chapp. XLIX et suiv. Mais ce n’est là qu’une conjecture, assez probable d’ailleurs, puisqu’il nomme Aristote, à propos des grues.

Dans les nombreuses citations que Pline puise aux ouvrages d’Aristote, il n’y en a pas une, à ce qu’il semble, qui se rapporte expressément au traité des Parties, bien que Pline ait fait une étude spéciale des parties dont se compose le corps des animaux. (Livre XI, chapp. XLIV et suivants, édition et traduction E. Littré ; voir aussi la table dressée par Pline lui-même, tome I, p. 24, id. ibid.) Mais si l’on ne peut pas douter que Pline n’eût sous les yeux l’ouvrage d’Aristote, on conçoit sans peine que cette recherche particulière, si profonde et presque toute physiologique, ait offert peu d’intérêt à l’écrivain et au compilateur, qui devait s’appliquer à décrire les animaux dans tout ce qu’ils présentent d’extérieur plutôt qu’à comprendre leur organisation intime. On peut en dire autant de Plutarque, qui paraît ne s’être attaché non plus qu’à l’Histoire des Animaux, quand il reproduit les travaux du naturaliste grec.

Mais à défaut de Pline et de Plutarque, Galien, vers la fin du second siècle et au début du troisième, nous atteste, par une de ses œuvres principales, qu’il possède le traité des Parties des Animaux, qu’il l’étudie à fond, et qu’il s’en inspire pour ses théories les plus importantes. Le traité de « Usu Partium » est sorti tout entier de celui d’Aristote. Galien ajoute beaucoup de développements a la sobriété de son prédécesseur et de son maître ; mais il ne fait, à vrai dire, que reproduire ses idées, en les exprimant à son tour dans un style moins concis. Les Parties dont s’occupe Galien sont exclusivement celles du corps de l’homme ; et sous ce rapport, les vues du médecin sont beaucoup moins étendues que celles du philosophe. Tandis qu’Aristote fait de la physiologie comparée, qui va des animaux les plus élevés aux animaux les plus infimes, Galien se borne à l’organisation humaine, sur laquelle d’ailleurs il en sait beaucoup plus que personne. On voit bien que son génie a profité de toutes les découvertes anatomiques de l’école alexandrine. Il admire ardemment les travaux d’Érasistrate et d’Hérophile. Mais pour sentir tout ce que Galien doit au traité des Parties d’Aristote, on n’a qu’à rapprocher ce qu’il dit de la constitution merveilleuse de la main, de ce qu’Aristote en dit au livre IV (ch. X, § 14, p. 199), en répondant à Anaxagorc. Cet emprunt, que Galien ne cherche pas à dissimuler, n’est pas le seul, tant s’en faut ; et son étude entière, un peu trop prolixe mais partout exacte et intéressante, porte à chaque ligne l’empreinte manifeste des pensées aristotéliques, qu’il adopte le plus souvent, et que parfois il réfute. Voir le Galien de M. Daxemberg, tome I, pp. 113 et suiv.

Ainsi, dans l’Antiquité, il n’y a guère que le témoignage de Galien qui démontre directement que le traité des Parties est authentique : mais ce témoignage seul suffit amplement.

En consultant le traité lui-même, et non plus ses imitateurs, on peut encore mieux écarter toute obscurité et toute hésitation. D’abord, d’un bout à l’autre, la doctrine y est en parfaite concordance avec les doctrines notoires d’Aristote en histoire naturelle. Ce ne serait pas une preuve absolument irrécusable, puisqu’un auteur postérieur aurait fort bien pu s’assimiler les idées aristotéliques, et les continuer en se les appropriant. Mais le traité des Parties est cité dans le traité de la Génération, dont l’authenticité est indubitable. D’autre part, le traité des Parties cite lui-même une foule d’autres ouvrages d’Aristote : et ces références y sont plus nombreuses peut-être que partout ailleurs, ainsi que le comportait le sujet, dont la nature est fort générale, et qui devait nécessairement s’appuyer sur bien des études de détail.

Nous nous occuperons d’abord de ces dernières citations, qui rappellent d’autres ouvrages d’Aristote, et qui sont au nombre de plus de trente. Il convient de les énumérer, si ce n’est toutes, du moins pour la plupart.

Histoire des Animaux. Elle est citée trois fois dans le second livre du traité des Parties, ch. I, § 1, — ch. III, § 10, — ch. XVII, § 5, pour bien marquer tout d’abord le rapport et la différence des deux ouvrages, pour expliquer le système des veines dans le corps humain, et pour rappeler tout ce qui a été dit sur la voix des oiseaux.

Id. Citée deux fois dans le livre III ch. V, § 13, sur les relations des veines entre elles, et ch. XIV, § 8, sur les estomacs des ruminants.

Id. Citée quatre fois dans le livre IV, ch. V, § 16, — ch. VIII, § 8, — ch. X, § 32, — et ch. XIII, § 11, sur l’organisation remarquable des crustacés et des testacés, opposée si celle des mollusques, sur les pinces des homards mâles et femelles, sur les menstrues, sur le sperme et la grossesse, et sur le nombre des branchies dans les poissons.

Dessins Anatomiques ou Descriptions Anatomiques. Cet ouvrage d’Aristote est malheureusement perdu. Le traité des Parties le cite et s’y réfère presque aussi souvent qu’il le fait pour l’Histoire même des Animaux, livre II, ch. III, § 10 ; livre III, ch. IV, § 8, —ch. VI, § 13, —ch. XIV, § 8 ; livre IV, ch. V, § 16, — ch. VIII, § 8, — ch. X, § 32, — ch. XIII, § 11, pour les mêmes sujets a peu près ; c’est-à-dire, pour la répartition des veines, pour le cœur, premier et principal réceptacle du sang, pour les relations des veines entre elles, pour les estomacs des ruminants, pour la constitution des crustacés et des testacés, pour celle des homards, pour la liqueur séminale des animaux mâles et femelles, et pour la variété des branchies dans les poissons de tous genres.

Comme ces références au traité des Descriptions ou Dessins Anatomiques accompagnent presque constamment les références à l’Histoire des Animaux, on peut supposer que les deux ouvrages étaient connexes, l’un étant destiné à suppléer l’autre, afin de compléter, par la vue et la représentation figurative des choses, ce qui pouvait rester d’obscur dans les explications écrites, quelque soin que prît l’auteur pour les rendre claires.

Traité de la Génération des Animaux, cité neuf fois en tout, dont trois fois dans le second livre, une fois dans le troisième, et cinq fois dans le quatrième : livre II, ch. III, § 12, — ch. VII, § 16, —ch. IX, § 17 ; livre III, ch. V, § 6 ; livre IV, ch. IV, § 3, — ch. X, § 32, — ch. XI, § 13, — ch. XII, § 23, — ch. XIV, § 4 ; sur les relations du sang et de la nutrition, sur le sperme et le lait et sur la liqueur séminale, sur les fonctions de l’estomac dans l’alimentation des animaux, sur la génération et ses organes, sur les menstrues, la liqueur séminale et la grossesse, sur le développement des œufs dans certains ovipares, et sur les testicules des oiseaux. Voir aussi la fin du traité des Parties, livre IV, ch. XIV, § 4.

Traité de la Sensation et des choses Sensibles, cité deux fois dans le second livre, ch. Vu, § 11 et ch. X, § 6, sur les rapports du sommeil et de la station droite, et sur le rôle du cœur dans la sensation.

Traité sur le Sommeil, livre II, ch. VII, § 11, cité en même temps que le Traité de la Sensation.

Traité de l’Aliment, ou Traité de la Nutrition, cité dans le livre II, ch. VII, § 16 ; livre III, ch. XIV, § 3, et livre IV, ch. IV, § 3, sur les excrétions produites par les aliments, sur les lieux divers de la nutrition et sur le fluide nourricier. On se rappelle que le Traité de l’Aliment est perdu, comme tant d’autres. Le sujet de la nutrition a été touché plusieurs fois par Aristote d’une manière générale dans quelques-uns de ses ouvrages ; mais son travail spécial sur cette question nous manque ; il eût été bien curieux pour nous.

Traité de la Respiration, cité dans le livre III, ch. VI, § 2, et dans le livre IV, ch. XIII, § 9, sur le refroidissement que les branchies apportent dans la constitution des poissons, et sur la nature et l’organisation des branchies.

Problèmes, cités une fois, livre III, ch. XV, § 2, sur la présure en général et sur celle du lièvre spécialement.

Marche des Animaux, citée trois fois, livre IV, ch. II, § 1 et § 14, et ch. XIII, § 6, sur les flexions et les jointures, et sur les serpents et les poissons, qui, les uns et les autres, sont également dépourvus de pieds.

Traité du Mouvement dans les Animaux, cité une fois dans le livre IV, ch. XIII, § 6, en même temps que le traité de la Marche, ou Locomotion, des Animaux. Ces deux traités, parfois confondus, sont profondément distincts, comme on le peut voir plus loin dans la Dissertation sur la composition de ce dernier traité.

Voilà pour les citations que le traité des Parties des Animaux peut faire des autres ouvrages d’Aristote. Quant aux citations inverses, c’est-à-dire les citations faites du traité des Parties par d’autres ouvrages, il n’y en a que deux ; et même la première n’est qu’une allusion ; mais cette allusion au livre I du traité de la Génération des Animaux, ch. I, § 1, est tellement évidente qu’elle peut compter pour une citation explicite, puisque dans ce passage Aristote résume de la manière la plus exacte l’ensemble des études qui composent le traité des Parties. Le second passage est une citation formelle, livre V, ch. III, § 5, sur la fonction des poils donnés par la nature à certains animaux.

Ainsi, en ce qui regarde les citations dans les deux sens, soit les citations que fait le traité des Parties, soit les citations qui sont faites de ce traité, elles sont d’une concordance parfaite avec toutes les théories d’Aristote. On ne peut pas dire sans doute que les preuves de cet ordre soient absolument décisives ; mais elles fournissent tout au moins une très-forte présomption. Une main étrangère ne saurait être aussi complètement habile ; l’auteur seul était en mesure de se référer si fréquemment et si exactement à sa propre pensée.

Ici, comme pour tous les autres cas où l’on a pu élever aussi quelque doute, il reste toujours une question à se poser ; et la réponse est péremptoire, bien qu’elle soit indirecte. Si le traité des Parties des Animaux n’est pas d’Aristote, de qui est-il ? Quel naturaliste dans l’Antiquité eût été assez savant pour le composer à sa place ? Comment le nom de cet homme éminent serait-il demeuré inconnu ? Comment les détracteurs d’Aristote, qui n’ont pas plus manqué chez les Anciens qu’ils n’ont manqué lors de la Renaissance, n’ont-ils pas découvert et signalé cette gloire nouvelle, venant obscurcir celle du philosophe si vivement combattu par eux ? Bacon lui-même ne s’est pas avisé de cette critique ; il a négligé une si ingénieuse attaque contre cette renommée universelle dont il était tant offusqué. La conclusion à tirer de ce silence est bien simple : le traité des Parties des Animaux, si admirable par lui-même, malgré quelques défauts, et si bien en harmonie avec les autres théories d’Aristote, est de lui et ne peut être que de lui seul. Au pis aller, ce serait un homme de génie de plus qu’il faudrait introduire dans le passé scientifique de la Grèce, génie jusqu’à présent ignoré, bien qu’il n’eût pas été moins grand que celui auquel on l’adjoindrait gratuitement.

On peut ajouter enfin une autre preuve de nature plus délicate, mais non moins sûre. Le style des Parties des Animaux est le style d’Aristote avec toutes ses qualités ordinaires. Les juges compétents ne peuvent pas s’y tromper ; et il n’y a pas de faussaire assez adroit pour pousser l’imitation à ce point. Il lui eût été mille fois plus facile d’écrire en son nom personnel que de contrefaire à ce degré étonnant l’auteur qu’il aurait voulu supplanter.

Cette dernière démonstration nous paraît plus puissante qu’aucune de celles qui précèdent ; et à elle seule, elle vaut toutes les autres.

Une dernière question, en ce qui regarde le Traité des Parties, ne touche plus à l’authenticité, mais à la composition. Le premier livre de ce traité, qui établit la méthode à suivre dans l’exposition de l’histoire naturelle, est-il bien à sa place ? Par la nature même du sujet, ce livre, qui contient une théorie si générale et si essentielle, ne devrait-il pas être placé en tête de l’Histoire des Animaux ? Ne devrait-il pas servir de préambule à tout ce qu’Aristote avait à dire de la nature animée ? Peut-il être conservé là où il est encore actuellement, et le déplacement n’est-il pas aussi nécessaire que facile ?

On doit repousser absolument cette opinion hasardeuse ; et le premier livre doit rester à la place qu’il occupe depuis le Moyen-Age, et très-probablement depuis Andronicus.

A la fin du XVIe siècle, le fameux Patrizzi (1581), dans ses Discussions Péripatétiques, avance cette hypothèse que le traité tout entier des Parties doit commencer l’histoire naturelle, et précéder l’Histoire des Animaux. Cette supposition peu sensée ne semble pas faire fortune alors, et elle reste près de deux siècles et demi sans que personne la relève, et surtout ne l’adopte. Mais au début de notre siècle, M. Titze (1819 et 1826) la reprend partiellement ; et il essaie de démontrer, dans deux opuscules devenus célèbres, que, si ce n’est pas le traité complet qu’il faut ainsi déplacer, c’est certainement le premier livre, consacré à une théorie de méthode qui s’étend à toute l’histoire naturelle.

Les raisons par lesquelles on prétend justifier ce déplacement sont spécieuses ; mais elles ne sont pas assez fortes pour qu’on l’accepte ; et même à certains égards, elles sont inexactes.

D’abord, on trouve que l’Histoire des Animaux a besoin d’un préambule général qui lui manque ; elle débute trop brusquement, dit-on, et il est indispensable de lui épargner ce défaut, en lui attribuant une préface qu’elle n’a pas et qu’on croit indispensable. Comme Aristote a toujours le soin, dans ses principaux ouvrages, de les faire précéder de quelques considérations d’ensemble sur le sujet qu’il se propose d’étudier, on se demande : Pourquoi l’Histoire des Animaux n’a-t-elle point une introduction de ce genre ? Pourquoi ne comblerait-on pas cette lacune avec le premier livre du Traité des Parties, qui contient précisément de quoi la combler ?

Il a été démontré ailleurs que cette prétendue lacune n’existe pas, comme on peut le voir dans ma préface à la traduction de l’Histoire des Animaux, tome I, pp. XIV et XLVI, et pp. 1 et 2, note. Sans contredit, cet admirable ouvrage ne commence pas, sous la main d’Aristote, comme le ferait commencer un zoologiste de nos jours ; mais cette sorte d’introduction, qu’on veut lui prêter, manque si peu à l’Histoire des Animaux, qu’elle en remplit tout le premier livre, ou peu s’en faut. En lisant ce livre avec attention, on voit sans peine qu’Aristote s’y trace un plan auquel il est resté constamment fidèle, et qui se déroule dans les neuf livres dont l’œuvre entière est composée.

La seconde raison pour placer le premier livre du traité des Parties en tête de l’histoire naturelle, c’est, dit-on, le début même du second livre de ce traité, qui résume les théories de l’Histoire des Animaux, sans tenir le moindre compte de ce livre qui le précède. Ceci encore n’est vrai qu’en partie ; et le sens de ce passage n’est pas celui qu’on lui donne. Aristote ne dit ici qu’un mot de son autre ouvrage, et c’est pour marquer nettement en quoi le second, c’est-à-dire le traité des Parties, en diffère, l’un des deux ayant constaté les faits, et le suivant étant destiné à rechercher les causes de ces faits et leurs fins. Rien n’empêche donc, qu’entre ces deux sujets si distincts, l’auteur ne place des considérations sur la méthode qu’il recommande à l’histoire naturelle, et qu’elle garde encore de nos jours. Ces considérations remplissent le premier livre du traité des Parties, depuis le commencement jusqu’à ce merveilleux chapitre V, où l’auteur exprime, en termes magnifiques et profonds, les sentiments que lui inspirent le spectacle de la nature et l’étude de toutes ses œuvres, périssables sans doute et passagères, mais d’une sagesse et d’une perfection inouïes et divines. En y regardant de près, on reconnaîtra que ces nobles pages sont mieux placées encore en tête du traité des Parties qu’elles ne le seraient à l’entrée de l’Histoire des Animaux. Le sujet du traité des Parties est beaucoup plus philosophique et beaucoup plus étendu. C’est une théorie de physiologie et d’anatomie comparée, comme, on l’a très bien dit ; et c’est précisément pour préparer ces vastes aperçus sur la nature animée, qu’une exposition de la méthode était surtout nécessaire, ainsi qu’elle est un hommage à la puissance infinie dont on allait scruter les mystères et dévoiler les secrets, autant qu’il est donné à l’intelligence humaine de les pénétrer.

En troisième lieu, on cite le chapitre V du livre V de l’Histoire des Animaux, édit, et trad. de MM. Aubert et Wimmer, p. 456, § 17, id. ibid., p. 133 de ma traduction, où Aristote renvoie « à ce qu’il a dit précédemment de la différence des parties dans les animaux ». Mais ce passage ne se rapporte pas, comme on le suppose, au traité des Parties ; il se rapporte simplement à ce que l’auteur a dit dans le premier livre même de l’Histoire des Animaux, p. 242, § 86, de MM. Aubert et Wimmer, et p. 96 de ma traduction. Sur ce point, il ne peut y avoir aucune obscurité ; Aristote ne fait allusion qu’à ce qu’il a exposé un peu plus haut dans le même ouvrage, et non dans un ouvrage différent.

Les arguments en faveur du déplacement du premier livre du traité des Parties ont été défendus par M. le docteur A. de Frantzius, qui a donné une édition et une traduction de ce traité, 1853. Ils ont été également acceptés par M. le docteur Ph. H. Külb, dans sa traduction allemande, 1857. Mais quelles que fussent à cet égard les convictions des éditeurs ou des traducteurs, aucun n’a osé jusqu’à présent retrancher le premier livre des Parties pour le transporter à l’Histoire des Animaux, dont il aurait formé l’exorde. L’hypothèse, plus ou moins fondée, qu’on s’était permise n’a pas eu les conséquences pratiques qu’on pouvait craindre, et M. le docteur de Frantzius lui-même s’est contenté d’appeler le second livre le Ier, le troisième le IIe, et le quatrième le IIIe. De cette façon, le premier livre reste à sa place, bien qu’il semble, pour le savant éditeur, tout à fait séparé du reste.

Pour notre part, nous ne changeons rien à la tradition vénérable qui nous a transmis les quatre livres du traité des Parties dans l’ordre que tout le monde connaît. Le premier livre est tout aussi bien à sa place que les trois qui le suivent. Nous pouvons l’y laisser jusqu’à nouvel ordre ; et selon toute apparence, le classement est définitif ; l’avenir, croyons-nous, le respectera tout aussi bien que le passé l’a respecté.

M. Langkavel, dernier éditeur du traité des Parties, Leipsig, 1868, n’a pas même cru devoir discuter la question du déplacement du premier livre ; et selon nous, il a bien fait de s’abstenir et de conserver les quatre livres dans l’ordre qu’ils ont toujours eu.

Quant à la composition même du traité des Parties et à la succession des matières qu’il comprend, nous ne faisons aucune difficulté de convenir qu’elle laisse beaucoup à désirer. Ces études sont infiniment précieuses, si on les considère chacune à part ; mais elles ne forment pas un ensemble aussi méthodique et aussi régulier qu’on pouvait l’attendre, même dès ces débuts de la science physiologique, de l’auteur de l’Histoire des Animaux et du fondateur de la logique. Mais il faut ici, comme dans bien d’autres cas, se rappeler le destin des manuscrits d’Aristote et la mort prématurée du grand homme. Il n’a pas pu mettre la dernière main à la rédaction du traité des Parties, non plus qu’à bien d’autres œuvres, restées inachevées ou en désordre, ainsi que celle-là. On peut avoir des regrets ; mais ces regrets ne doivent diminuer en rien l’admiration ; et le traité des Parties demeure, pour l’histoire de la physiologie comparée, non seulement le premier et le seul essai dans toute l’Antiquité, mais encore un des essais les plus remarquables dont la science biologique puisse s’honorer.

Nous avons, du reste, touché plus longuement ces diverses questions de style et de méthode dans notre Préface, à laquelle nous nous permettons de renvoyer le lecteur. L’examen le plus attentif et le plus sévère ne pourra que grandir encore la gloire scientifique d’Aristote, loin de la diminuer.

LIVRE PREMIER


CHAPITRE PREMIER

Du jugement des ouvrages d’esprit ; de la méthode à suivre en histoire naturelle : il faut étudier les fonctions communes plutôt que chaque espèce en particulier ; de la recherche des causes et spécialement de la cause finale ; nécessité absolue, nécessité hypothétique ; citations de divers ouvrages de l’auteur ; il faut d’abord recueillir les faits pour en expliquer ensuite les causes ; erreur d’Empédocle ; l’être précède le germe qu’il produit ; la cause matérielle est subordonnée à la cause finale, dans la nature aussi bien que dans l’art ; erreur de Démocrite sur la figure et la couleur ; supériorité de l’âme sur la matière ; supériorité de l’homme sur les animaux ; ordre admirable de l’univers ; désordre relatif de notre monde ; définition de la nature ; la nécessité n’y a qu’une place très-limitée ; citation des livres Sur la philosophie ; Empédocle ; mérite de Démocrite et de Socrate ; résumé sur la méthode en histoire naturelle.

§ 1[1]. Toute étude intellectuelle, toute exposition méthodique, la plus humble aussi bien que la plus haute, peut être considérée sous deux faces différentes. L’une de ces faces peut s’appeler proprement la science même de la chose ; l’autre n’exige qu’une sorte d’instruction générale. § 2[2]. En effet, quand on a reçu une éducation convenable, on doit être en état de juger pertinemment, quant à la forme, si celui qui parle d’un sujet l’expose bien, ou s’il l’expose mal. C’est même à ce signe que nous reconnaissons l’homme instruit ; et c’est là ce qui nous fait penser de quelqu’un qu’il a été généralement bien élevé, l’instruction consistant surtout à pouvoir faire une distinction de ce genre. La seule différence qui reste alors entre ces deux personnes, c’est que l’une, bien qu’elle ne soit toujours qu’un seul et même individu, numériquement parlant, nous semble capable de prononcer sur toutes choses, tandis que l’autre ne nous paraît compétente que sur une matière définie et limitée ; ce qui n’empêche pas que cet autre individu ne puisse, tout en s’occupant d’un objet particulier, avoir aussi l’instruction dont on vient de parler.

§ 3[3]. De ces considérations, il résulte évidemment que, pour l’histoire de la nature, il est bon de poser également certains principes supérieurs, auxquels on devra se reporter pour juger de la forme adoptée dans l’exposition qu’on en fait, indépendamment de la question de savoir si c’est bien la vérité, et si la chose est réellement de telle façon ou de telle autre. Par exemple j’entends que pour cette étude il s’agit de savoir s’il faut, en prenant chaque être substantiel à part, ne le considérer absolument qu’en lui-même, que ce soit d’ailleurs la nature de l’homme, celle du lion, celle du bœuf, ou celle de tel autre être étudié isolément ; ou bien, s’il ne faut pas plutôt réunir en une exposition commune les phénomènes communs que présentent tous ces animaux. § 4[4]. Il est en effet beaucoup de fonctions qui sont identiquement les mêmes pour des genres d’êtres qui sont fort différents les uns des autres ; telles sont les fonctions qu’on nomme le sommeil, la respiration, la croissance, le dépérissement, la mort ; et, à côté de celles-là, une foule d’autres fonctions et d’autres phénomènes organiques, que nous croyons devoir omettre pour le moment, parce que nous ne pourrions en parler à cette heure que d’une façon obscure et indécise. § 5[5]. Il est bien clair en effet que, si nous parlions successivement de chaque animal en particulier, nous aurions à répéter à tout instant les mêmes choses dans bon nombre de cas, puisque chacune des fonctions que nous venons d’énumérer se retrouve, et dans le cheval, et dans le chien, et dans l’homme. Par conséquent, si l’on allait pour chacun de ces animaux parler de toutes ces fonctions successivement, on serait exposé à des redites sans fin, toutes les fois que l’on traite de fonctions qui sont identiques dans des êtres de genres très-divers, et qui n’offrent entre elles aucune différence appréciable pour chacun d’eux. § 6[6]. Il se peut aussi fort bien que telle fonction, qui a reçu une dénomination toute pareille, présente néanmoins une énorme différence sous le rapport de l’espèce et de la forme. Telle est la locomotion dont les animaux sont doués. Formellement et spécifiquement, la locomotion n’est point une, puisqu’il y a une différence évidente entre le vol, la natation, la marche, et la reptation.

§ 7[7]. Il importe donc de se bien rendre compte du procédé qu’on doit adopter dans cet examen ; et ce que je veux dire, c’est qu’on doit bien savoir s’il faut tout d’abord étudier par genre les fonctions communes, et analyser ensuite toutes les fonctions propres et particulières à chaque espèce d’animal, ou bien s’il faut étudier sur-le-champ chaque animal considéré isolément. C’est là un point qui n’est pas encore fixé, non plus que cet autre point que nous devons également indiquer : A l’exemple des mathématiciens, dans leurs démonstrations d’astronomie, ne faut-il pas, dans l’étude de la nature, constater d’abord tous les faits relatifs aux animaux, et en expliquer ensuite le pourquoi et les causes ? Ou bien est-il par hasard quelque autre méthode qu’on doive adopter ?

§ 8[8]. De plus, comme il y a, ainsi que nous pouvons le voir, bien des causes diverses pour tout ce qui se produit dans la nature entière, et par exemple, la cause du pourquoi, la cause initiale du mouvement, etc., faut-il s’occuper aussi de ces causes, et examiner quelle est la première d’entre elles, quelle est la seconde, etc. ? On peut croire que la première de toutes les causes est celle que nous nommons la cause du pourquoi, la cause finale ; car elle est la raison dernière des choses ; et la raison est un principe. Sous ce rapport, il en est tout à fait de même des productions de l’art et de celles de la nature. C’est après avoir déterminé les choses, ou par la réflexion ou par la simple observation sensible, que le médecin, pour la santé, l’architecte pour la maison, expliquent l’un et l’autre les raisons et les causes de ce qu’ils ont fait pour chacune, et pourquoi ils devaient faire les choses ainsi qu’ils les ont faites.

§ 9[9]. Mais la cause finale, le bien de la chose, se manifeste dans les œuvres de la nature bien plus encore que dans celles de l’art. C’est que, même dans les choses naturelles, la nécessité ne s’applique pas identiquement à toutes sans exception ; et ceux qui cherchent à ramener toutes les raisons des choses à la raison unique de la Nécessité, ne se sont pas donné la peine d’analyser toutes les acceptions où peut se prendre le mot de Nécessaire. Absolument parlant, Nécessaire ne s’applique qu’aux choses éternelles ; mais le nécessaire résultant d’une hypothèse se montre dans toutes les choses qui sont sujettes à naître et à devenir, comme le sont les produits de l’art, tels que la maison, ou tout autre objet de cette sorte, indistinctement. § 10[10]. Ainsi, il y a nécessité qu’on emploie une matière d’une certaine espèce, si l’on veut bâtir une maison, ou si l’on se propose tel autre objet analogue ; il y a nécessité que là tout d’abord telle chose existe préalablement, ou qu’elle soit mise en mouvement de telle ou telle façon, pour qu’à la suite, il se produise telle autre chose ; et pour que, de cette manière on atteigne sans interruption la fin qu’on poursuit, et le résultat pour lequel a lieu et existe chacune des choses que l’on fait.

§ 11[11]. Il en est absolument de même pour les phénomènes naturels ; seulement la forme de la démonstration et de la nécessité change pour la science de la nature, et elle est autre que pour les sciences purement théoriques. Mais c’est là une question que nous avons traitée dans d’autres ouvrages. Ainsi, le principe, le point de départ pour l’étude de la nature, c’est ce qui est, tandis que pour l’art, c’est ce qui doit être. Par exemple, la santé, ou l’homme, étant telle ou telle chose, il y a nécessité que préalablement telle autre chose existe ou se soit réalisée ; mais de ce que cette autre chose existe ou a été produite, il ne s’ensuit pas qu’elle soit ou qu’elle doive être de toute nécessité. § 12[12]. Or il n’est pas possible non plus de rattacher à l’éternel la nécessité que suppose une démonstration de ce genre, de manière à pouvoir dire : Puisque telle chose est, telle autre chose est aussi. Du reste, ce sont là des questions que nous avons également approfondies ailleurs ; nous y avons indiqué les choses auxquelles la nécessité s’applique et celles auxquelles elle est inapplicable ; et nous avons montré la cause de cette différence.

§ 13[13]. Mais un point qu’il ne faut jamais perdre de vue, c’est de savoir s’il faut procéder comme les philosophes antérieurs l’ont fait dans leurs théories, et s’il convient de rechercher avec eux comment les choses se sont naturellement produites au début, plutôt que d’observer comment elles sont maintenant. Ces méthodes ne diffèrent pas médiocrement l’une de l’autre. Quant à nous, il nous semble, ainsi que nous l’avons déjà dit, qu’il faut d’abord recueillir les faits dans chaque genre de choses, et que c’est seulement ensuite qu’on peut en dire les causes et remonter à leur origine. § 14[14]. Cet ordre, il est vrai, se montre encore plus clairement dans certaines choses, par exemple dans la construction d’une maison. La forme essentielle de la maison étant telle chose, ou la maison elle-même étant telle chose aussi d’un certain genre, il est clair qu’elle doit être construite dans telles conditions, puisque la production des choses dépend de ce que ces choses sont essentiellement, et que leur essence ne dépend pas du tout de leur production.

§ 15[15]. Aussi, Empédocle s’est-il bien trompé quand il a prétendu qu’une foule de choses dans les animaux sont par cette seule raison qu’elles ont été comme elles sont dès leur origine : par exemple, que les animaux ont la colonne vertébrale faite telle que nous la voyons en eux, parce qu’en se tournant sur elle-même il lui est arrivé de se briser. En ceci, Empédocle a oublié et méconnu deux choses : d’abord qu’il faut que le germe constitutif existe avec une puissance relative à son objet ; et en second lieu, il a oublié que l’agent qui a fait la chose devait exister antérieurement au produit, non pas seulement au point de vue de la pure raison, mais aussi dans le temps. Car c’est l’homme qui engendre l’homme ; et c’est parce que l’homme est constitué de telle manière qu’il en résulte que l’être qu’il produit est constitué également de telle manière déterminée. § 16[16]. On peut penser que, pour les choses qui semblent se produire d’une façon toute spontanée, il en est identiquement de même que pour les productions de l’art, puisqu’il y a certaines choses qui se produisent spontanément, toutes pareilles à celles que l’art produit, la santé, par exemple ; mais pour les productions naturelles, il y a préalablement un producteur semblable à l’être produit, comme il y en a un dans la sculpture ; car il n’y a dans la sculpture rien de spontané. L’art y est la raison de l’œuvre sans la matière ; et il en est de même pour les choses que le hasard produit, puisque tel est l’art, telle est l’œuvre produite. § 17[17]. Il faut donc affirmer à plus forte raison que, l’essence de l’homme devant être ce qu’elle est, c’est là ce qui fait que les choses aussi sont ce qu’elles sont, puisqu’il n’est pas possible que l’homme existe sans ces organes et ces conditions. Si toutes ces conditions ne sont pas remplies, c’est du moins celles qui s’en rapprochent le plus qui doivent l’être ; elles sont, ou absolues parce qu’il est impossible qu’il en soit autrement, ou tout au moins elles sont ce qu’elles sont, parce qu’il est bien qu’il en soit comme il en est. Ce sont là des conséquences inévitables. Du moment qu’un être quelconque est ce qu’il est, il y a nécessité que sa production ait lieu de telle ou telle manière, et qu’elle soit ce qu’elle est. Même c’est là ce qui explique que telle partie de l’animal se produit la première de toutes, et que telle autre ne peut venir qu’à la suite.

§ 18[18]. Voilà donc bien ce qui se passe uniformément pour tous les êtres que la nature organise. Les anciens philosophes qui, les premiers, ont étudié la nature, n’ont regardé qu’au principe de la matière et s’en sont tenus à la cause matérielle ; ils ont recherché ce que cette cause est en elle-même, quelles qualités elle a, comment l’univers entier en est sorti, et ils ont recherché ensuite quel en a été le principe moteur. Ils ont supposé que c’est la Discorde, par exemple, ou l’Amour, ou l’Intelligence, ou le Hasard. Mais ils admettaient toujours que cette matière, fond de tout le reste, a, de toute nécessité, telle ou telle nature définie : par exemple, la nature chaude du feu, ou la nature froide de la terre, légère avec l’un, pesante avec l’autre. § 19[19]. Du moment que ces philosophes forment de cette façon le monde lui-même, ils expliquent semblablement la production des animaux et la production des plantes. Ainsi, ils prétendent que l’eau, venant à couler dans le corps, il s’y est produit une cavité destinée à être le réceptacle commun de la nourriture et des excrétions ; que le souffle traversant le corps, les narines se sont formées par rupture ; ils en concluent que l’air et l’eau sont la matière de tous les corps sans exception ; car c’est de corps ainsi formés que tous ces philosophes entendent composer la nature entière.

§ 20[20]. Mais si l’homme et les animaux existent dans la nature, les parties dont ils sont formés n’existent pas moins ; et dès lors, il convient de parler de la chair, des os, du sang et de toutes les parties similaires. Il faut également parler des parties qui ne sont pas similaires, telles que le visage, la main, le pied, et expliquer ce que sont chacune de ces parties en elles-mêmes et la fonction que remplit chacune d’elles. Il ne suffirait pas de nous dire de quels éléments ces parties sont formées, et si, par exemple, elles sont formées de feu ou de terre ; car en supposant que nous ayons à parler d’un lit ou de tel autre meuble semblable, nous nous attacherions à en définir l’idée et la forme bien plutôt que la matière, que cette matière soit de l’airain ou du bois ; et si nous ne donnions pas cette définition même, nous donnerions au moins la définition du tout et de l’ensemble qui compose le lit. C’est qu’en effet le lit est essentiellement telle chose dans telle chose, ou une chose faite de telle ou telle façon ; et, par conséquent, il faudrait toujours parler de sa forme et dire quelle en est la figure idéale.

§ 21[21]. Cela tient à ce que la nature résultant de la forme est bien supérieure à la nature matérielle. Si donc chaque animal, comme toutes ses parties, ne consistait que dans sa figure et sa couleur, Démocrite aurait pleine raison ; car il semble que voici sa doctrine : « Il est clair pour tout le monde, dit-il, que l’homme est ce qu’il est par la forme dont il est doué, comme si l’on ne reconnaissait l’homme qu’à sa figure et à sa couleur. » On peut répondre qu’un cadavre a aussi la même forme apparente, et que pourtant le cadavre n’est pas un homme. § 22[22]. On peut répondre encore qu’il n’est pas moins impossible qu’une main soit réellement une main dans une combinaison quelconque, par exemple si elle est en airain ou en bois. Il n’y a là qu’une homonymie, comme serait celle d’un médecin en peinture. La main ne pourrait pas alors accomplir son œuvre propre, pas plus que des flûtes en pierre n’accompliraient la leur, non plus que le médecin peint dans un tableau n’accomplirait la sienne. Semblablement à tous ces cas, il n’est pas une des parties du cadavre qui soit encore une partie véritable du corps, par exemple, l’œil, la main, etc., etc.

§ 23[23]. Toutes ces explications des philosophes antérieurs sont par trop simples ; et elles ressemblent beaucoup à celle que nous donnerait un maçon qui nous dirait que, pour son travail, il se sert d’une main de bois. Ce n’est pas autrement que nos naturalistes nous entretiennent des origines et des causes de la figure des êtres. Il est bien vrai que les origines et les causes ont dû être le résultat de l’action de certaines forces ; mais l’ouvrier pourrait nous parler de sa hache et de sa vrille, tout comme le philosophe nous parle d’air et de terre. Seulement l’ouvrier expliquerait encore mieux les choses ; car il ne se contenterait pas de nous dire qu’avec son outil dirigé et tombant de telle ou telle façon, il se produit tantôt un trou, et tantôt une surface plane. Il nous dirait de plus pourquoi il a donné tel coup de son instrument, et quel a été son but ; enfin, il ajouterait l’explication de la cause qui fait que son ouvrage prend telle forme, ou bien telle autre forme, à son gré. § 24[24]. Il est donc certain que nos philosophes se trompent, et qu’il faut dire d’abord que c’est de tel animal qu’on entend parler ; et ensuite, après l’avoir indiqué, il faut expliquer ce qu’il est en lui-même et quelles sont ses qualités ; il faut en faire autant pour chacune de ses parties, comme on le faisait pour expliquer la forme du lit. § 25[25]. Si donc c’est l’âme ou une partie de l’âme qui constitue réellement l’animal, ou que du moins l’animal ne puisse pas exister sans l’âme, puisque l’âme une fois disparue, il n’y a plus d’animal, et qu’aucune de ses parties ne demeure plus la même, si non en apparence, comme dans la mythologie certains êtres sont changés en pierres ; si, dis-je, la chose est bien ainsi, le naturaliste doit parler de l’âme et bien savoir ce qu’elle est. S’il n’a pas à étudier l’âme tout entière, il doit l’étudier tout au moins dans ce point de vue spécial qui sert à expliquer ce qu’est précisément l’animal ; il doit connaître ce qu’est l’âme ou cette partie spéciale, avec toutes les conditions, qui à cet égard, constituent son essence. Le philosophe doit prendre ce soin avec d’autant plus d’attention que le mot de Nature se présente sous deux aspects, et qu’elle peut être considérée, soit comme matière, soit comme essence, de même qu’elle peut encore être étudiée, et comme cause initiale du mouvement, ou comme but final. C’est bien là le rapport de l’âme tout entière à l’animal, ou du moins le rapport d’une partie de l’âme.

§ 26[26]. Il faut donc que le philosophe qui observe et contemple la nature se préoccupe de l’âme plus que de la matière ; et il y est tenu d’autant plus étroitement que la matière ne peut devenir la nature d’un être que grâce à l’âme, bien plutôt qu’à l’inverse l’âme ne deviendrait nature que grâce à la matière, puisqu’en effet le bois n’est le lit ou le trépied qu’autant qu’il est l’un et l’autre en puissance.

§ 27[27]. Il est vrai qu’on peut se demander, à l’encontre de ce que nous venons de dire, si c’est le devoir de l’histoire naturelle d’étudier l’âme dans toute sa généralité, ou seulement d’étudier une certaine partie de l’âme. Si c’est de l’âme dans sa totalité, alors il ne reste plus aucune place à la philosophie en dehors de la science de la nature. Comme l’intelligence fait partie des intelligibles, le domaine de la science naturelle s’étendrait à tout sans exception ; car c’est à une seule et même science qu’il appartient de considérer l’intelligence et les intelligibles. L’intelligence et les intelligibles sont réciproquement en rapport ; et ce doit être une seule et même étude qui s’applique à toutes les choses qui ont ce rapport de réciprocité. Ainsi, par exemple, c’est une seule et même étude qui s’applique à la sensation et aux choses sensibles. § 28[28]. Ou bien, ne doit-on pas dire que ce n’est pas toute l’âme qui est le principe du mouvement, non plus que ne le sont toutes ses parties, sans distinction ; mais que tantôt c’est une de ses parties qui est le principe de la croissance, et c’est celle qui agit aussi dans les plantes ; que telle autre est le principe de l’altération, et que c’est la partie sensible de l’âme ; que le principe de la locomotion est encore une autre partie, mais que ce n’est pas la partie intellectuelle qui cause ce phénomène, puisque la locomotion se voit dans bien d’autres animaux que l’homme, tandis que la pensée et l’intelligence ne se trouvent dans aucun autre être que lui ?

§ 29[29]. Il est donc bien clair que le naturaliste n’a point à étudier l’âme tout entière ; car ce n’est pas l’âme entière qui constitue la nature de l’animal ; c’est une de ses parties uniquement, ou peut-être plusieurs de ses parties. Ce qui est tout aussi certain, c’est que l’histoire naturelle n’a jamais à étudier des choses abstraites, puisque la nature fait tout ce qu’elle fait en vue d’une fin spéciale. Il semble en effet que de même qu’au fond des productions de l’art, il y a toujours l’art, de même aussi dans les choses mêmes de la nature, il doit y avoir quelque autre cause, quelque autre principe de même genre que nous tirons du Tout, par abstraction, comme nous en tirons la chaleur et le froid. § 30[30]. Ce serait donc à une telle cause qu’il faudrait vraisemblablement rapporter l’origine du monde, s’il a toutefois une origine, bien plutôt que lui rapporter l’origine des êtres mortels. L’ordre et la stabilité immuablement définis éclatent dans les choses du ciel beaucoup plus fortement que dans ce qui nous entoure. Pour les choses mortelles, ce qui se manifeste surtout, c’est le changement perpétuel des choses, qui fait qu’elles sont tantôt d’une façon, tantôt d’une autre, et qu’elles vont au hasard. Nos philosophes disent bien que chaque animal existe ou naît grâce à la nature ; mais ils soutiennent que le monde s’est constitué tel que nous le voyons au hasard et spontanément, le monde, où rien cependant ne semble être jamais dû au hasard et où rien n’est sujet au désordre.

§ 31[31]. Quant à nous, nous affirmons qu’une chose a lieu en vue d’une autre chose partout et toutes les fois que se montre une fin vers laquelle se dirige et s’accomplit le mouvement, si aucun obstacle ne vient l’arrêter. Il est donc de toute évidence que c’est bien quelque chose de ce genre que nous appelons la Nature. Certes, ce n’est pas un être quelconque que le hasard fait sortir de chacun des germes ; mais toujours de telle chose, c’est précisément telle autre chose qui sort ; pas plus que ce n’est au hasard que de tel corps il sort tel germe indifféremment. § 32[32]. Sans doute, le germe est un principe, et c’est bien lui qui fait l’être qui vient de lui. Tout cela est dans la nature, puisque c’est du germe que cela sort. Pourtant, il n’en faut pas moins avouer que ce dont vient le germe est encore antérieur au germe même ; le germe n’est qu’un produit qui se développe, et c’est l’être substantiel qui est le but et la fin. Bien plus, ce dont vient le germe lui-même existe antérieurement aux deux, c’est-à-dire d’abord au germe, et ensuite à l’être que le germe produit ; car le germe peut être considéré en deux sens, en premier lieu, dans l’être d’où il vient lui-même, et en second lieu, dans l’être dont il est le germe. C’est qu’en effet le germe est à la fois le germe de l’être d’où il vient, par exemple, le germe qui vient d’un cheval ; mais il est aussi le germe de l’être qui viendra de lui, par exemple, du mulet. Ce n’est pas, si l’on veut, de la même manière ; mais l’expression de Germe s’applique également à l’un et à l’autre. § 33[33]. Ajoutons que le germe n’est qu’en simple puissance, et nous savons quel est le rapport de la puissance à la réalité complète, à l’entéléchie.

§ 34[34]. Nous devons aussi savoir qu’il y a deux causes qu’il faut distinguer : l’une qui a une fin en vue, et l’autre qui vient de la nécessité ; car il y a beaucoup de choses qui arrivent uniquement parce qu’elles sont nécessaires. Mais quand les philosophes parlent de nécessité, on peut se demander de quelle nécessité ils entendent parler positivement. Des deux faces de la nécessité qui ont été définies par nous dans nos livres sur la Philosophie, aucune en histoire naturelle n’est possible. § 35[35]. Mais il y a une troisième espèce de nécessité qui se trouve dans les choses sujettes à naître et à devenir. En ce sens nous disons de la nourriture qu’elle est nécessaire, sans que ce soit dans aucun de ces deux premiers sens, mais uniquement parce que, sans elle, il ne serait pas possible de vivre. Cette nécessité-là est donc comme une nécessité hypothétique ; car, de même que pour couper quelque chose avec une hache, il faut que la matière de la hache soit dure et qu’en tant que dure, elle peut être en airain ou en fer ; de même aussi, le corps n’étant qu’un instrument, attendu que chacune de ses parties comme le corps entier lui-même a un certain but, il y a nécessité que le corps soit fait de telle façon, et qu’il soit composé de tels éléments, pour que cet instrument puisse remplir son office particulier. § 36 La notion de cause a donc deux nuances diverses ; et quand on parle de cause, on doit tenir le plus grand compte de toutes les deux. Si l’on ne prend pas ce soin, il faut au moins essayer de les mettre en évidence ; et tous ceux qui n’éclaircissent pas ce point ne nous apprennent rien, pour ainsi dire, sur la nature des choses, quoique la nature soit un principe bien plus que ne l’est la matière. Parfois, Empédocle lui-même, entraîné par la force de la vérité, est obligé de retomber sur ce principe et contraint de dire que la substance et la nature des êtres sont le rapport des éléments entre eux. C’est ce qu’il fait, par exemple, dans sa définition de l’os ; car il ne dit pas que l’os soit un des éléments, ni deux, ni trois, ni la réunion de tous les éléments ; mais il dit précisément que c’est le rapport de leur mélange. Il est clair que la même explication s’appliquerait également à la chair et à chacune des autres parties du corps analogues à celle-là. § 37[36]. Ce qui a pu empêcher nos prédécesseurs d’arriver à la découverte de la vérité, c’est qu’ils n’étaient pas en état de définir l’essence et la substance qui font que la chose est ce qu’elle est. Ce fut Démocrite qui, le premier, l’essaya, bien qu’on ne crût pas que ce fût nécessaire à l’étude de la nature ; mais il fut arraché à cette erreur par la réalité même. Grâce à Socrate, cette direction nouvelle se développa ; mais, du même coup, l’étude de la nature se ralentit, et ceux qui faisaient alors de la philosophie penchèrent vers l’étude des vertus utiles et de la politique.

§ 38[37]. En résumé, le mode de démonstration qu’il faut adopter est celui-ci : en supposant, par exemple, qu’il s’agisse de la fonction de la respiration, il faut démontrer que, la respiration ayant lieu en vue de telle fin, cette fonction a besoin, pour s’exercer, de telles conditions, qui sont indispensablement nécessaires. Tantôt, donc, Nécessité veut dire que, si le pourquoi de la chose est de telle façon, il y a nécessité que certaines conditions se réalisent ; et tantôt Nécessité signifie simplement que les choses sont de telle manière et que telle est leur nature. Ainsi, l’on voit que, pour la respiration, il est nécessaire que la chaleur sorte du corps et qu’elle y rentre de nouveau par répercussion, pour que l’air puisse s’introduire et circuler. C’est là une nécessité évidente ; grâce à la chaleur intérieure qui résiste au refroidissement et qui le compense, l’air venu du dehors peut entrer et sortir.

§ 39[38]. Tel est donc le procédé de la méthode que nous suivrons ; tel est le nombre et la nature des objets dont nous aurons à rechercher les causes.


CHAPITRE II

De la méthode de division ; son insuffisance ; elle disloque tous les genres et sépare les animaux les plus semblables pour les réunir aux plus dissemblables.

§ 1[39]. Quelques naturalistes prétendent arriver à la connaissance de l’individu en divisant toujours le genre en deux différences. Mais c’est là un procédé qui tantôt n’est pas très facile, et qui tantôt est impraticable. Certains cas ne présentent qu’une seule et unique différence, et alors tout le reste est parfaitement inutile. C’est, par exemple, quand on dit : Animal pourvu de pieds, animal pourvu de deux pieds, animal pourvu de pieds fendus, animal dépourvu de pieds ; il n’y a que cette dernière différence qui soit importante. Si l’on ne s’y tient pas, on se voit forcé de faire nécessairement bien des répétitions de la même chose. § 2[40]. De plus, il conviendrait de ne pas disloquer les genres, et, par exemple, celui des oiseaux, en plaçant ceux-ci dans telle division, et ceux-là dans telle autre. Or, c’est là ce que font les divisions qu’on en a tracées, où l’on voit tels oiseaux divisés et rangés parmi les animaux aquatiques, et tels autres oiseaux classés dans un genre tout différent. D’abord, d’après une ressemblance quelconque, on attribue à l’animal le nom d’oiseau ; puis, d’après une autre ressemblance, on en fait un poisson. § 3[41]. D’autres divisions sont restées sans nom, et l’on peut citer celle des animaux qui ont du sang et des animaux qui n’ont pas de sang, puisqu’il n’y a pas de nom unique et commun applicable à chacun des deux. Si donc c’est un principe de ne jamais séparer les êtres homogènes, la division par deux, la dichotomie, peut paraître absolument vaine ; car, en divisant les choses par ce procédé, on ne peut nécessairement que les séparer et les disloquer ; et c’est ainsi que, parmi les polypes, les uns se trouvent classés avec les animaux terrestres, tandis que les autres le sont avec les animaux aquatiques.


CHAPITRE III

Suite de la critique de la méthode de division ; cette méthode ne peut s’appliquer à la privation ; elle ne peut pas descendre jusqu’aux individus, ni les définir ; conditions générales de la classification des êtres selon leurs espèces ou selon leurs fonctions ; il est impossible de faire la division par deux, quand l’espèce possède à la fois les deux, qualités que l’on divise ; exemples divers ; il faut revenir aux anciennes méthodes et étudier les animaux par genres ; et alors les privations même peuvent fournir des différences ; condamnation absolue de la méthode de division.

§ 1[42]. On doit ajouter qu’on est nécessairement amené, avec cette méthode, à faire les divisions sous forme négative et par privation ; et c’est bien là, en effet, le procédé des partisans de la division par deux. Mais la privation, en tant que privation, ne présente plus de différences, puisqu’il est bien impossible de trouver des espèces dans ce qui n’existe pas ; par exemple, dans la classe des animaux sans pieds ou dans la classe des animaux sans ailes, comme on en trouve dans la classe des animaux qui ont des ailes ou dans la classe des animaux qui ont des pieds. Il n’y a qu’une différence générale qui puisse avoir des espèces. § 2[43]. S’il en était autrement, comment pourrait-il y avoir des espèces pour des universaux et n’y en aurait-il pas pour les individus ? Il y a des différences qui sont générales et universelles, et alors elles ont des espèces, comme, par exemple, la qualité d’être ailé ; car on peut diviser l’aile en aile fendue, en aile non fendue, de même, que pour la qualité d’avoir des pieds, on peut distinguer le pied qui a plus de deux divisions, le pied qui a deux divisions, comme l’ont les animaux à pied fourchu ; et aussi le pied non divisé et non fendu, comme l’ont les solipèdes. § 3[44]. Il est déjà assez difficile de bien diviser, même par celles des différences qui ont des espèces, de façon à ce que, après avoir classé un animal dans une de ces différences, on ne répète pas le même animal dans plusieurs autres classes, en le faisant tout à la fois ailé et sans ailes ; car le même animal peut avoir les deux qualités à la fois, comme la fourmi, la lampyre et quelques autres.

§ 4[45]. Mais quand on fait une classe des animaux qui n’ont pas de sang, la division est bien autrement difficile ou même impossible ; car nécessairement chaque différence doit s’appliquer à une des espèces particulières ; et la différence opposée ne s’y applique pas moins. Mais s’il n’est pas possible qu’une seule espèce de substance, indivisible et une, appartienne à des êtres d’espèce différente, et s’il doit y avoir toujours entre eux une différence, comme il y en a une, par exemple, de l’oiseau à l’homme ; car la qualité d’être bipède est autre et toute différente pour ces deux genres d’animaux, on aura beau faire de l’homme et de l’oiseau des animaux qui ont du sang, c’est alors le sang qui devrait être la différence entre eux ; mais ne faut-il pas reconnaître que le sang n’a rien à faire dans l’essence des êtres ? § 5[46]. Si le sang ne peut être pris pour différence, il ne restera plus que la seule et même différence pour les deux. Il faut donc conclure de ceci qu’il ne se peut pas que la privation constitue une différence. Les différences seront au même nombre que les individus-animaux ; et s’ils sont indivisibles, et que les différences le soient ainsi qu’eux, il n’y a plus de différence commune. § 6[47]. Mais s’il n’est pas possible qu’une différence commune soit en même temps indivisible, il est évident que, sous le rapport tout au moins de cette différence commune, certains animaux, tout en étant d’espèce différente, seront compris dans la même classe. Une conséquence nécessaire, si les différences sous lesquelles tombent toutes les espèces individuelles leur étaient particulièrement applicables, c’est qu’aucune de ces différences ne pourrait être commune. Sinon des animaux, tout en étant autres, rentreraient dans la même différence. Or, il ne faut ni qu’un être qui reste le même et qui est indivisible puisse aller d’une différence à une autre différence dans les divisions que l’on fait, ni que des êtres différents rentrent dans la même division ; mais il faut que tous soient compris dans ces différences sans distinction.

§ 7[48]. On voit donc clairement qu’on ne peut atteindre les espèces indivisibles avec la méthode qui consiste à diviser toujours par deux les animaux, ou tout autre genre d’objets ; car selon cette méthode, il faut nécessairement que les dernières différences soient en un nombre égal à celui de tous les animaux qui sont spécifiquement indivisibles. Ainsi, un certain genre étant donné dont les différences premières seraient la blancheur de certains êtres, l’un et l’autre membre de la division ayant encore d’autres différences, et ce procédé étant poussé ainsi jusqu’aux individus eux-mêmes, les dernières différences seront au nombre de quatre, Ou en tel autre nombre, en doublant toujours à partir de l’unité. Les espèces aussi seraient donc également nombreuses. § 8[49]. Mais la différence n’est que l’espèce dans la matière, puisque aucune partie de l’animal ne peut exister sans matière, pas plus que la matière ne peut exister toute seule. Un animal ne peut pas exister en ayant un corps fait au hasard et d’une façon quelconque, non plus qu’aucun de ses organes ne peut existera cette condition, ainsi que nous l’avons répété bien souvent. § 9[50]. Il faut encore que la division porte sur les éléments compris dans l’essence même et non pas sur de simples attributs de la chose en soi ; et par exemple, si ce sont les figures géométriques qu’on divise, il faut dire que les unes ont leurs angles égaux à deux droits, et que les autres les ont égaux à plus de deux ; car ce n’est qu’un attribut accidentel du triangle d’avoir ses angles égaux à deux angles droits. § 10[51]. On peut encore diviser par les opposés ; car les opposés sont différents les uns des autres, comme le sont le blanc et le noir, le droit et le courbe. Si tous les deux sont différents, l’opposé peut servir à la division ; mais l’on ne pourrait pas diviser si l’un des opposés était, par exemple, la natation, et que l’autre fût la couleur.

§ 11[52]. Il faut dire en outre que les êtres animés ne peuvent pas être classés selon les fonctions qui sont communes au corps et à l’âme, ainsi qu’on le fait dans les divisions qui viennent d’être indiquées, quand on les classe en êtres qui marchent sur le sol et en êtres qui volent ; car il y a des genres où ces deux organisations se réunissent, et qui sont à la fois pourvus d’ailes et privés d’ailes, comme l’est le genre des fourmis. § 12[53]. Mais on peut encore moins diviser les animaux en animaux sauvages et en animaux privés ; car ici encore on semblerait séparer et diviser des espèces qui pourtant sont les mêmes, puisque tous les animaux privés peuvent tous à peu près se trouver aussi à l’état sauvage : hommes, chevaux, bœufs, chiens de l’Inde, porcs, chèvres, moutons. Chacun d’eux a beau recevoir un nom homonyme, il n’a pas cependant été classé séparément, et s’ils ne forment réellement qu’une seule espèce, le sauvage et le privé ne peuvent constituer une différence.

§ 13[54]. Voilà les conséquences où l’on aboutit nécessairement en ne divisant une différence quelconque qu’une seule fois. Ce qu’il faut essayer de faire au contraire, c’est de prendre les animaux genre à genre, comme le fait le vulgaire, qui se contente de distinguer, par exemple, le genre de l’oiseau et le genre du poisson. On reconnaît alors dans l’un et dans l’autre des différences nombreuses, sans recourir à la dichotomie. En suivant cette méthode, ou l’on ne pourra pas du tout arriver à classer les êtres, parce que le même animal se trouvera rangé dans plusieurs divisions, et que les contraires rentreront dans la même division ; ou bien, il n’y aura plus qu’une seule et unique différence ; et cette différence elle-même, qu’elle soit simple ou qu’elle soit complexe, formera l’espèce dernière. Comme l’on ne peut pas faire une différence de différence, il y aura une autre nécessité : à savoir, que de même que, dans une phrase on constitue l’unité par une conjonction qui enjoint les parties, de même ici il faudra rendre la division continue par un procédé analogue. § 14[55]. Je veux dire que c’est là ce qu’on fait, quand après avoir divisé un genre en non-ailé et en ailé, on divise ensuite le genre ailé en sauvage et en domestique, ou bien encore en blanc et en noir. La différence du genre ailé n’est pas le genre domestique, pas plus que ce n’est le Blanc ; c’est le principe d’une tout autre différence, et ici ce n’est qu’un pur accident. Aussi est-ce par plusieurs différences qu’il faut distinguer tout d’abord, ainsi que nous le prétendons, l’être unique dont il s’agit, parce qu’alors les privations mêmes peuvent fournir une différence, tandis qu’elles n’en fournissent pas dans la division par deux, dans la dichotomie.

§ 15[56]. Qu’il soit impossible d’atteindre aucune espèce individuelle quand on ne fait que diviser le genre en deux, comme se le sont imaginé quelques philosophes, c’est ce que prouvent encore d’autres arguments. D’abord, il ne se peut pas qu’il n’y ait qu’une seule différence pour les espèces ainsi divisées, soit qu’on les prenne séparément, soit qu’on les prenne réunies. Par Séparément, j’entends qu’elles n’aient point de différences, par exemple les fissipèdes ; et par Réunies, j’entends qu’elles ont une différence comme celle qui distingue l’animal dont le pied a plusieurs divisions de l’animal dont le pied n’en a qu’une seule. § 16[57]. C’est là ce qu’exige en effet la continuité des différences sorties du genre par voie de division, de manière à ce que le tout forme une unité véritable. Mais en dépit de ce que l’on énonce, il semble bien qu’il ne reste plus absolument que la dernière différence toute seule, par exemple, celle d’animal dont le pied a plusieurs divisions, ou celle de bipède ; et alors, les distinctions d’animal Pourvu de pieds et d’animal à plusieurs pieds deviennent tout à fait inutiles. Il est évident qu’il ne peut pas y avoir plusieurs différences de ce genre ; car en avançant toujours sur cette route, on arrivera bien à une différence extrême, mais ce n’est pas encore, ni la différence dernière, ni l’espèce. Cette différence dernière est la seule distinction d’animal à Pieds divisés ; ou la complexité totale, s’il s’agit de la division relative à l’homme, comme, par exemple, si l’on faisait cette accumulation : Pourvu de pieds, Pourvu de deux pieds, Pourvu de pieds divisés. § 17[58]. Si l’on disait simplement : L’homme est un animal dont les pieds sont divisés, ce serait bien alors la différence unique de l’homme, et ce serait ce qu’on cherche. Mais comme ce n’est pas ce qu’on fait ici, il faut nécessairement qu’il y ait plusieurs différences, mais qui ne rentrent plus sous une seule division ; or, il n’est pas possible que sous une seule division par deux, il y ait plusieurs différences pour une seule et même chose ; mais il ne peut y en avoir qu’une pour une.

§ 18[59]. Ainsi, en résumé, il est de toute impossibilité, avec la division par deux, d’atteindre un être particulier quelconque.


CHAPITRE IV

De la véritable méthode en histoire naturelle ; les genres se constituent par les simples différences en plus et en moins ; les différences de simple analogie séparent et isolent les genres ; exemples divers ; la classification ne peut pas descendre jusqu’aux individus ; importance de la configuration des parties et du corps entier ; importance relative des dimensions plus ou moins grandes. — Résumé sur la méthode à suivre en histoire naturelle.

§ 1[60]. On peut se demander comment il se fait que les hommes n’aient pas tout d’abord, et dès longtemps, renfermé et compris sous un seul nom, tout un genre qui aurait embrassé à la fois les animaux aquatiques et les animaux volatiles ; c’eût été possible, parce que ces deux ordres d’animaux ont entre eux quelques propriétés communes, comme en ont aussi tous les autres animaux. § 2[61]. Néanmoins, la division ordinaire est bien faite, et elle est régulière telle qu’elle est ; car tous les genres qui ne diffèrent entre eux que par une certaine quantité, c’est-à-dire en plus et en moins, sont réunis sous un seul genre supérieur ; mais ceux qui n’ont que des rapports d’analogie sont essentiellement séparés. Je veux dire, par exemple, qu’un oiseau ne diffère d’un autre oiseau que du plus au moins, ou par une supériorité de grosseur, puisque l’un peut en effet avoir des ailes plus larges et que l’autre peut les avoir plus courtes. Au contraire, les poissons diffèrent des oiseaux par des rapports d’analogie ; et par exemple ce qui est la plume pour l’un est l’écaille pour l’autre. § 3[62]. Mais il n’est pas toujours facile de faire cette distinction, parce que l’analogie se trouve être la même pour un très-grand nombre d’animaux. En effet, comme les espèces dernières sont des substances individuelles, et que ces substances ne présentent plus entre elles de différences spécifiques, par exemple, Socrate, Coriscus, etc., il devient nécessaire d’exprimer en premier lieu leurs attributs universels ; ou bien, l’on s’exposerait à des répétitions sans fin, ainsi que nous l’avons déjà dit. Les termes universels sont des termes communs, puisque nous appelons du nom d’universaux les attributs applicables à plusieurs objets. § 4[63]. Le seul doute en ceci, c’est de savoir comment il convient de procéder. Comme c’est l’être qui est indivisible spécifiquement qui est substance, le mieux serait de pouvoir étudier à part chacun des êtres particuliers et des êtres indivisibles spécifiquement, aussi bien pour le genre oiseau, par exemple, que pour le genre homme ; car le genre oiseau a de nombreuses espèces. § 5[64]. Mais étudier à part une individualité spécifique d’oiseau quelconque, le moineau, la grue ou tel autre oiseau, ce serait s’exposer à se répéter bien souvent en étudiant la même fonction, parce qu’elle peut être l’attribut commun de plusieurs espèces d’animaux. Il est donc assez peu raisonnable et bien long de traiter séparément ce qui concerne chaque espèce d’animaux. Peut-être, la méthode la meilleure c’est de traiter les propriétés communes de chaque genre, en acceptant tout ce que les hommes en ont pu en dire d’exact, et de réunir les êtres qui ont une seule et unique nature commune, et qui ont des espèces où les êtres sont peu distants entre eux, comme en ont l’oiseau et le poisson. On appliquerait la même méthode à telle autre propriété qui serait encore anonyme, mais qui en genre comprendrait également des espèces. Tout ce qui n’est pas cela est individuel et isolé, comme l’est un individu, l’homme, ou tel autre être pris individuellement.

§ 6[65]. C’est presque uniquement d’après la configuration des parties et d’après celle du corps entier, du moment qu’il y a ressemblance, qu’on peut classifier les genres, comme par exemple le genre des oiseaux les uns par rapport aux autres, ou le genre des poissons, des mollusques et des crustacés. Dans chacun de ces genres, les parties ne diffèrent pas parce que la ressemblance n’y est que de l’analogie, comme, dans l’homme comparé au poisson, l’os diffère de l’arête ; mais la différence ne porte bien plutôt que sur de simples modifications corporelles, la grandeur et la petitesse, la mollesse et la dureté, la surface lisse ou rugueuse, et telles autres qualités de cet ordre ; en un mot, la différence n’est qu’entre le plus et le moins.

§ 7[66]. On doit donc voir maintenant quelle est la méthode qu’il convient d’adopter pour l’étude de la nature, et quelle est la marche à la fois la plus directe et la plus facile pour observer les phénomènes. Nous avons montré aussi, pour la méthode de division, qu’on peut en tirer un parti utile, en sachant l’appliquer ; mais nous avons prouvé comment la dichotomie, ou la division par deux, est, tantôt impossible, tantôt absolument vaine. Ces points une fois fixés, passons à d’autres considérations qui sont la suite de ce qui précède, et remontons pour les exposer à un principe que nous allons indiquer.


CHAPITRE V

Des choses éternelles et des choses passagères ; difficulté et grandeur des premières ; facilité et intérêt des secondes ; ces deux études sont également admirables ; de l’étude de l’histoire naturelle ; il y a toujours à admirer dans la nature ; mot d’Héraclite sur la présence des dieux partout ; rien n’est à dédaigner dans l’étude de la nature, toujours prévoyante et toujours intelligente ; de la méthode à suivre dans l’histoire naturelle ; constater d’abord les faits et essayer ensuite de remonter à leurs causes ; qualités communes à tous les animaux ; qualités spéciales à quelques-uns ; définition de quelques expressions dont l’emploi devra être fréquent en histoire naturelle. — Résumé de cette introduction.

§ 1[67]. Ce principe nouveau, c’est que, parmi les substances dont la nature se compose, les unes, étant incréées et impérissables, existent de toute éternité, tandis que les autres sont sujettes à naître et à périr. Quelque admirables et quelque divines que soient les choses impérissables, nos observations se trouvent, en ce qui les regarde, être bien incomplètes. Pour elles, nos sens nous révèlent excessivement peu de choses qui puissent nous les faire connaître, et répondre à notre ardent désir de les comprendre. § 2[68]. Au contraire, pour les substances mortelles, plantes et animaux, nous avons bien plus de moyens d’information, parce que nous vivons au milieu d’elles ; et que, si l’on veut appliquer à ces observations le travail indispensable qu’elles exigent, on peut en apprendre fort long sur les réalités de tout genre. § 3[69]. D’ailleurs ces deux études, bien que différentes, ont chacune leur attrait. Pour les choses éternelles, dans quelque faible mesure que nous puissions les atteindre et y toucher, le peu que nous en apprenons nous cause, grâce à la sublimité de ce savoir, bien plus de plaisir que tout ce qui nous environne, de même que, pour les choses que nous aimons, la vue du plus insignifiant et du moindre objet nous est mille fois plus douce que la vue prolongée des objets les plus variés et les plus beaux. Quant à l’étude des substances périssables, comme elle nous permet tout ensemble de connaître mieux les choses et d’en connaître un plus grand nombre, elle passe pour être le comble de la science ; et comme, d’autre part, les choses mortelles sont plus conformes à notre nature et nous sont plus familières, cette dernière étude devient presque la rivale de la philosophie des choses divines. Mais, ayant déjà traité de ce grand sujet et ayant exposé ce que nous en pensons, il ne nous reste plus ici qu’à parler de la nature animée, en ne négligeant, autant qu’il dépendra de nous, aucun détail, quelque bas ou quelque relevé qu’il soit. § 4[70]. C’est qu’en effet, même dans ceux de ces détails qui peuvent ne pas flatter nos sens, la nature a si bien organisé les êtres qu’elle nous procure, à les contempler, d’inexprimables jouissances, pour peu qu’on sache remonter aux causes et qu’on soit réellement philosophe. Quelle contradiction et quelle folie ne serait-ce donc pas de se complaire à regarder de simples copies de ces êtres, en admirant l’art ingénieux qui les produit, en peinture ou en sculpture, et de ne point se passionner encore plus vivement pour la réalité de ces êtres que crée la nature, et dont il nous est donné de pouvoir comprendre le but !

§ 5[71]. Aussi, ce serait une vraie puérilité que de reculer devant l’étude des êtres les plus infimes. Car dans toutes les œuvres de la nature, il y a toujours place pour l’admiration, et l’on peut leur appliquer à toutes sans exception le mot qu’on prête à Héraclite, répondant aux étrangers qui étaient venus pour le voir et s’entretenir avec lui. Comme en l’abordant, ils le trouvèrent qui se chauffait au feu de la cuisine : « Entrez sans crainte, entrez toujours, » leur dit le philosophe, « les Dieux sont ici comme partout. » § 6[72]. De même, dans l’étude des animaux, quels qu’ils soient, nous ne devons jamais détourner nos regards dédaigneux, parce que, dans tous indistinctement, il y a quelque chose de la puissance de la nature et de sa beauté. Il n’y a jamais de hasard dans les œuvres qu’elle nous présente. Toujours ces œuvres ont en vue une certaine fin ; et il n’y a rien au monde où le caractère de cause finale éclate plus éminemment qu’en elles. Or la fin en vue de laquelle une chose subsiste ou se produit, est précisément ce qui constitue pour cette chose sa beauté et sa perfection.

§ 7[73]. Que si quelqu’un était porté à mépriser comme au-dessous de lui l’étude des autres animaux, qu’il sache que ce serait aussi se mépriser soi-même ; car ce n’est pas sans la plus grande répugnance qu’on parvient à connaître l’organisation de l’homme, sang, chairs, os, veines et tant d’autres parties du genre de celles-là. De même il faut encore penser, quand on s’occupe d’une partie du corps ou d’un organe quelconque, qu’on ne doit pas seulement faire mention de la matière et ne songer qu’à elle, mais qu’on doit s’attacher à la forme totale de l’être qu’on étudie, de même qu’à l’occasion on parle de la maison tout entière, et non pas uniquement des moellons, du ciment et des bois qui la composent. C’est ainsi qu’en étudiant la nature, il faut s’occuper de la composition totale des êtres et de toute leur substance, et non pas uniquement de ces attributs qui ne sauraient subsister séparément de leur substance même. § 8[74]. Le premier soin doit donc être de discerner et d’exposer pour chaque genre d’animaux les conditions qui s’appliquent en soi et essentiellement à tous les animaux en général, et de ne songer qu’ensuite à scruter les causes de tous ces faits. Antérieurement, nous avons dit que beaucoup de choses sont communes à une foule d’animaux, tantôt d’une manière absolue comme les pieds, les ailes, les écailles, ainsi que tant d’autres modifications semblables ; et tantôt les choses communes ne le sont que par simple analogie. § 9[75]. J’entends par Analogie que certains animaux ont, par exemple, un poumon, tandis que certains autres animaux n’en ont pas, mais qu’ils ont un autre organe à la place du poumon qu’ont les premiers. De même encore, ceux-ci ont du sang ; ceux-là ont un liquide analogue, qui remplit le même rôle que le sang chez les animaux qui en ont. Nous devons dire encore de nouveau qu’on s’exposerait à de fréquentes répétitions, si l’on traitait séparément de chaque phénomène dans chaque genre particulier, puisque nous avons à parler de tous les organes essentiels, et que les mêmes organes se retrouvent chez un grand nombre d’animaux.

§ 10[76]. Voici donc comment on peut résoudre cette difficulté. Comme tout organe a certain but, et que chacune des parties du corps a son but également, lequel but est une fonction d’un certain genre, il en résulte évidemment que le corps tout entier a été constitué en vue d’une certaine fonction qui comprend toutes les autres. En effet le sciage, par exemple, n’est pas fait en vue de la scie qui l’opère ; mais tout au contraire c’est la scie qui est faite en vue du sciage, puisque le sciage n’est que l’emploi pratique de la scie. § 11[77]. De même, le corps a été fait on peut dire en vue de l’âme, et les parties sont faites pour les fonctions qu’elles remplissent d’après la règle que la nature a établie pour chacune d’elles. Il s’ensuit qu’en premier lieu il faut parler des fonctions qui sont communes à tous les animaux, puis des fonctions propres au genre, et enfin des fonctions propres à l’espèce. Par fonctions communes, j’entends celles qu’accomplissent tous les animaux sans exception ; les fonctions propres au genre sont toutes celles où nous n’observons que des différences plus marquées chez les uns, moins marquées chez les autres ; et par exemple, je prends l’oiseau considéré dans son genre, et l’homme considéré dans son espèce, avec tout ce qui ne présente plus la moindre différence, sous le rapport de la définition générale de l’être.

§ 12[78]. Puis, tels animaux n’ont rien de commun entre eux que par analogie ; d’autres sont communs en genre ; d’autres le sont en espèce. Lors donc que les fonctions ont un autre but, il est clair que les êtres qui accomplissent ces fonctions sont éloignés les uns des autres de la même distance que le sont les fonctions elles-mêmes. Pareillement encore, si certaines fonctions sont antérieures à certaines autres, et si elles ont d’autres fonctions pour objet, les parties diverses dont ces fonctions relèvent doivent être dans le même rapport entre elles ; et toutes ces conditions étant réalisées, il en sort nécessairement ce troisième résultat, que l’animal peut vivre. § 13[79]. J’entends par les modifications et les fonctions de l’animal celles-ci par exemple : la naissance, le développement, l’accouplement, la veille, le sommeil, la locomotion, et tant d’autres phénomènes de cet ordre qui se retrouvent chez les animaux. Par parties, j’entends le nez, l’œil, le visage entier, chacune pouvant d’ailleurs recevoir le nom de membre. Mêmes remarques sur tout le reste.

§ 14[80]. Tel est l’exposé de la méthode que nous comptons suivre ; avec elle, nous allons essayer d’expliquer les causes de tous ces faits, soit en traitant des propriétés communes, soit en traitant des propriétés spéciales ; et nous commencerons tout d’abord par les premières, ainsi que nous l’avons indiqué déjà.


LIVRE II


CHAPITRE PREMIER

Citation de l’Histoire des Animaux ; après avoir constaté les faits, il faut en expliquer les causes ; des quatre éléments primitifs des choses ; leur première combinaison ; la seconde forme les parties similaires, et la troisième forme les parties non-similaires ; rapports de la substance et de la génération ; de la matière et de la forme ; du rôle des parties similaires et non-similaires dans l’organisation des animaux ; fonctions des unes et des autres ; simplicité des parties similaires ; complexité des parties non-similaires ; erreur des physiologues ; explication de la sensibilité ; importance du sens du toucher ; siège unique de la sensation, de la locomotion et de la nutrition ; rôle supérieur du cœur ; rôle secondaire de tous les organes internes, dépendants du cœur.

§ 1[81]. Nous avons exposé dans l’Histoire des Animaux plus clairement que nous ne pourrions le faire ici quelles sont les parties qui composent tout animal et quel est le nombre de ces parties ; notre but maintenant doit être de rechercher en vue de quelles fins chacune de ces parties ont été organisées comme elles le sont ; et nous isolerons ces détails spéciaux de tous les faits déjà consignés dans cette Histoire. § 2[82]. Les combinaisons des choses pouvant être de trois genres différents, on pourrait admettre que la première combinaison est celle des matières que certains philosophes ont appelées les éléments, c’est-à-dire, la terre, l’air, l’eau et le feu. Peut-être même serait-il préférable d’étudier les propriétés et les forces de chacun de ces éléments, non pas cependant toutes leurs propriétés, mais en bornant notre étude, comme nous l’avons fait ailleurs et antérieurement ; en effet le liquide et le sec, le chaud et le froid, sont la matière de tous les corps composés. § 3[83]. Les autres différences que les corps présentent ne sont que les conséquences de celles-là : par exemple, la pesanteur et la légèreté, l’épaisseur et la minceur, le rude et le poli, et tous les autres phénomènes de même genre qu’on peut remarquer dans les corps. La seconde combinaison de ces premiers éléments est, dans les animaux, celle des parties similaires, telles que l’os, la chair et les parties semblables à celles-là. Enfin, la troisième et dernière combinaison, numériquement parlant, est celle des parties non-similaires, par exemple le visage ou la main, et les parties qui y ressemblent.

§ 4[84]. Il faut bien savoir que la production des choses et l’essence des choses sont contraires entre elles. Les choses qui sont postérieures sous le rapport de leur génération sont antérieures en nature ; et le premier en nature est le dernier à se produire et à naître. La maison n’est pas faite pour les poutres et les pierres ; mais ce sont au contraire les pierres et les poutres qui sont faites pour la maison ; et cette même observation s’appliquerait également à toute autre espèce de choses. § 5[85]. Mais ce n’est pas l’induction seule qui nous démontre qu’il en est bien ainsi ; c’est en outre la raison qui nous l’atteste. En effet, tout ce qui naît et se produit provient de quelque chose et tend à quelque chose ; il va d’un principe à un principe ; il part d’un premier principe qui le met en mouvement, et qui a déjà lui-même une certaine nature, pour arriver à une certaine forme, ou à telle autre fin de ce genre. L’homme produit l’homme, la plante produit la plante, selon la matière qui fait le fond de chaque chose. § 6[86]. Chronologiquement, c’est la matière et la production des choses qui nécessairement sont antérieures ; mais en raison, c’est l’essence et la forme de chacune d’elles. Ceci devient évident si l’on prend la peine de définir ce que c’est que la production. Ainsi, la définition de la construction d’une maison suppose la définition de la maison ; mais la définition de la maison ne suppose pas celle de la construction. Ceci s’appliquerait encore aussi bien à toute autre chose. § 7[87]. Il en résulte que la matière des éléments est faite nécessairement en vue des parties similaires, parce que les parties similaires ne se produisent que postérieurement aux éléments, de même que les parties non-similaires sont postérieures à elles. A leur tour, celles-ci sont la limite et la fin de tout le reste, n’atteignant leur composition définitive qu’en troisième lieu par ordre numérique, de la même façon que, dans bien des cas, s’achèvent aussi d’autres productions.

§ 8[88]. Les animaux se composent donc de ces deux espèces de parties ; et si les parties similaires sont faites en vue des non-similaires, c’est que ce sont ces dernières qui accomplissent les fonctions et les actes : par exemple, les fonctions de l’œil, du nez, du visage entier, du doigt, de la main, du bras pris dans sa totalité, etc. Comme les actes et les mouvements des animaux sont excessivement variés, soit pour le corps entier, soit pour les parties dont on vient de parler, il est de toute nécessité que les éléments qui les constituent aient aussi des forces non moins dissemblables. § 9[89]. Pour certaines parties, c’est de la mollesse qu’il faut ; pour d’autres, c’est de la dureté ; les unes doivent pouvoir se tendre ; d’autres, pouvoir se fléchir. Aussi, les parties similaires ont-elles été douées partiellement de puissances et de propriétés de ce genre. L’une est molle ; l’autre est sèche ; celle-ci est visqueuse ; celle-là est cassante. Les parties non-similaires ont aussi des fonctions et des forces très-diverses, combinées entre elles de cent façons. En effet, telle de ces forces permet à la main de serrer les choses ; telle autre lui permet de les saisir. § 10[90]. Les parties qui forment les organes sont composées d’os, de nerfs, de chairs et d’autres matières analogues, tandis que ces dernières parties ne sont pas composées de parties organiques. C’est donc en vue d’une certaine fin qui doit être atteinte par cette cause que ces dernières parties sont faites, comme on vient de le dire. Que si l’on cherche à savoir encore comment il est nécessaire que les choses soient ce qu’elles sont, on voit évidemment qu’elles étaient nécessairement dès le début dans ces rapports réciproques. Il se peut que les parties non-similaires soient formées de parties similaires, soit de plusieurs de ces parties, soit même d’une seule, comme on le voit pour quelques viscères. § 11[91]. Mais bien que ce soit d’un seul corps similaire qu’elles soient composées, absolument parlant, elles diffèrent par la variété infinie de leurs formes. D’ailleurs, il est impossible que les parties similaires soient composées de celles-là ; car alors le similaire serait le résultat d’une foule de choses non-similaires.

§ 12[92]. C’est par ces causes que certaines parties du corps dans les animaux sont simples et similaires, tandis que d’autres parties sont composées et non-similaires. Comme il y a des parties qui sont des organes et d’autres qui sont des sens dont les animaux ont besoin, toute partie formant un organe est non-similaire, comme je viens de l’indiquer. Mais dans tous les animaux, la sensation a lieu dans des parties similaires, parce qu’une sensation, quelle qu’elle soit, n’est jamais que d’un seul et unique genre, et que chaque organe des sens est fait pour recevoir les impressions des choses sensibles qui le concernent.

§ 13[93]. Ce qui n’est qu’en puissance subit et souffre l’influence de ce qui est réellement en acte, de telle sorte que c’est une même chose qui, sous le rapport du genre, est tout ensemble et l’objet sensible et la sensation. Voilà comment, pas un seul physiologue n’a osé dire que la main, le visage ou telle autre partie de cet ordre soit de la terre, ou de l’eau, ou du feu, tandis qu’ils accouplent chacun de nos sens avec chacun des éléments, affirmant que tel sens est de l’air, et que tel autre est du feu. § 14[94]. Comme la sensation est dans les parties simples, il est tout à fait rationnel que le toucher se trouve surtout dans un sens similaire, mais non point seulement dans un sens simple et absolu. C’est le toucher en effet qui se montre le plus varié de tous les sens ; et le sensible auquel il s’applique présente le plus grand nombre d’oppositions et de contrariétés, le chaud et le froid, le liquide et le sec, et cent autres oppositions de cette sorte. L’organe qui reçoit toutes ces sensations, la chair, et ce qui correspond à la chair, est le sens qui tient le plus de place dans le corps entier.

§ 15[95]. Comme il n’est pas possible qu’un animal existe sans la sensibilité, il en résulte que nécessairement les animaux doivent avoir certaines parties similaires, parce que la sensibilité réside dans ces parties ; mais les actes auxquels les animaux se livrent ne leur sont possibles qu’à l’aide des parties non-similaires. La faculté de sentir, la faculté qui meut l’animal, et la faculté nutritive étant toutes trois dans la même portion du corps, ainsi que nous l’avons dit antérieurement dans d’autres ouvrages, il est indispensable que la partie qui contient primitivement de tels principes, en tant qu’elle peut recevoir l’impression de tous les objets sensibles, soit une partie simple ; mais en tant que motrice et active, elle doit être une partie non-similaire. § 16[96]. Voilà comment, dans les animaux qui n’ont pas de sang, c’est la partie correspondante au cœur qui joue ce rôle, et comment c’est le cœur dans les animaux qui ont du sang. Le cœur en effet se divise en éléments similaires, comme se divisent aussi tous les autres viscères ; mais par sa configuration et sa forme, il est une partie non-similaire. Tous les organes qu’on appelle des viscères sont dans le même cas que le cœur ; et ils se composent de la même matière que lui. La nature de tous ces viscères est sanguine, parce qu’ils sont posés sur des vaisseaux veineux et sur leurs ramifications. § 17[97]. Semblables au limon d’une eau courante, tous les autres viscères sont comme les embranchements du courant du sang s’écoulant dans les veines ; mais le cœur, qui est le principe des veines et qui renferme en lui l’initiative et la faculté première d’élaborer le sang, doit, par une suite inévitable, être formé lui aussi de la même nourriture que celle qu’il reçoit. On voit donc pourquoi les viscères doivent, sous le rapport de leur forme, être sanguins, et pourquoi ils sont, tantôt similaires et tantôt non-similaires.

CHAPITRE II.

De la nature des diverses parties dans les oiseaux ; parties similaires, parties non similaires ; rôle des liquides et des solides ; rôle des parties sèches et des parties molles ; du sang et de son importance dans l’organisation ; les qualités du sang influent beaucoup sur la force et sur l’intelligence ; pour expliquer la nature du sang, il faut savoir ce que c’est que le chaud et le froid ; contradictions des philosophes sur cette question ; Parménide et Empédocle ; des acceptions diverses du mot de Chaud ; sens nombreux où l’on dit qu’une chose est plus chaude qu’une autre ; exemples divers de l’eau bouillante et du feu, de l’huile et de la graisse ; de la chaleur étrangère aux objets chauds ; de la chaleur propre de certains objets ; le froid a sa nature spéciale et n’est pas une simple privation ; action du froid ; le froid et le chaud en puissance ou en réalité. — Résumé.

§ 1[98]. Entre les parties similaires qu’on observe dans les animaux, il y en a qui sont molles et liquides, tandis que d’autres sont dures et solides. Les parties liquides, ou le sont complètement, ou le sont dans la mesure que leur nature exige. Tels sont : le sang, la lymphe, la graisse, le suif, la moelle, la liqueur séminale, la bile, le lait dans les animaux qui en ont, la chair, et toutes les matières analogues à celles-là. § 2[99]. Les animaux n’ont pas tous sans exception été pourvus de toutes ces parties ; et certains animaux n’ont que des parties correspondantes à quelques-unes d’entre elles. Les parties sèches et solides sont similaires, comme le sont l’os, l’arête, le nerf, la veine. Mais la division des parties similaires présente des différences. Ainsi, pour quelques cas, la partie porte le même nom que le tout, et par exemple, la partie d’une veine est une veine ; mais la partie peut encore n’être pas homonyme, pas plus, par exemple, qu’une partie du visage n’est du tout un visage.

§ 3[100]. D’abord, il y a, en ce qui regarde les parties liquides et les parties solides, plusieurs nuances dans la cause pour laquelle elles sont ce qu’elles sont. Les unes en effet sont comme la matière des parties non-similaires ; elles composent chacun des organes auxquels il faut des os, des nerfs, des chairs et tant d’autres éléments constitutifs, dont les uns contribuent à former la substance de l’animal, et les autres, à rendre ses fonctions possibles. D’autres parties qui servent à la nourriture des organes sont liquides ; car toujours, c’est du liquide que les êtres tirent leur développement. § 4[101]. C’est aussi des liquides et des solides que viennent les excréments, qui sont le résidu de la nourriture sèche, et le résidu de la nourriture liquide, dans les animaux qui ont une vessie. Les différences de tous ces éléments les uns relativement aux autres n’ont pas d’autre but qu’une meilleure disposition des choses ; et sans parler d’autres parties, c’est là le rapport du sang relativement au sang. Tel sang en effet est plus léger ; tel autre est plus épais ; celui-ci est plus pur ; celui-là est plus boueux. En outre, tel sang est plus froid ; tel autre, plus chaud, non pas seulement pour les parties d’un même animal, où ces différences peuvent être remarquées dans les parties supérieures comparativement aux inférieures, mais aussi d’un animal à un autre.

§ 5[102]. Dans l’ensemble des animaux, les uns ont du sang ; les autres ont, à la place du sang, une sorte de liquide qui y ressemble. Un sang plus épais et plus chaud donne plus de vigueur ; un sang plus léger et plus froid donne à la fois plus de sensibilité et d’intelligence. On peut observer les mêmes différences dans les liquides qui correspondent au sang. C’est ainsi que les abeilles et les animaux de cette espèce sont de nature beaucoup plus intelligente que bien des animaux qui ont du sang ; et parmi les animaux qui ont du sang, ceux dont le sang est froid et léger sont plus intelligents que ceux dont le sang est tout le contraire. Les plus distingués de tous sont ceux dont le sang est chaud, léger et pur ; car les natures de ce genre sont les mieux douées en fait de courage et de pensée.

§ 6[103]. C’est là aussi d’où vient la différence qu’on peut trouver entre les parties hautes et les parties inférieures du corps, et encore entre le mâle et la femelle, et entre les parties de droite et les parties de gauche. Par suite, on peut admettre que cette même différence existe aussi pour toutes les autres parties de cette espèce, et pour les parties non-similaires également. De ces différences, les unes se rapportent directement aux fonctions et à la substance des animaux ; les autres ne se rapportent qu’au mieux ou au pis. C’est ainsi qu’entre deux espèces qui ont des yeux, les unes les ont durs ; les autres les ont liquides ; ceux-ci n’ont pas de paupières, tandis que ceux-là en ont, pour que la vision soit plus puissante.

§ 7[104]. Afin de bien démontrer que nécessairement les animaux doivent avoir du sang, ou tout autre liquide de même nature que lui, et pour expliquer la nature propre du sang, nous commencerons par traiter du chaud et du froid ; et nous examinerons ensuite les causes qui font que le sang est ce qu’il est. La nature de bon nombre d’animaux se rattache à ces principes ; et parmi les philosophes, on dispute beaucoup pour savoir quels animaux sont chauds ou froids, et quelles parties sont chaudes ou froides. Les uns prétendent que les animaux aquatiques sont plus chauds que les animaux terrestres, attendu, disent-ils, que la chaleur de leur nature doit contrebalancer la froideur du lieu où ils vivent. § 8[105]. On ajoute encore que les animaux qui n’ont pas de sang sont plus chauds que ceux qui en ont, et que les femelles ont plus de chaleur que les mâles. C’est ainsi que Parménide et quelques autres ont avancé que les femmes ont plus de chaleur que les hommes, attendu que les évacuations féminines ne tiennent qu’à la chaleur et à l’abondance du sang. Empédocle soutient absolument le contraire. De plus, d’autres naturalistes, sans faire aucune distinction, disent que toute espèce de sang ou de bile est plus chaude ; d’autres soutiennent que ces liquides sont froids.

§ 9[106]. Si le chaud et le froid donnent lieu à de telles controverses, que doit-ce être pour les autres qualités des éléments, puisque celles-là sont les plus claires de toutes, à cause de la perception que nos sens nous en donnent ? Ce qui peut provoquer ces discussions, c’est que le mot de Plus chaud peut se prendre dans des acceptions nombreuses. Chacun semble avoir de son côté quelque raison, quoique en disant tout le contraire. § 10[107]. Aussi doit-on bien se rendre compte, quand on parle des composés naturels, de ce qu’on entend par Chauds et par Froids, par Secs et par Liquides, puisque évidemment ce sont ces qualités qui sont presque les seules causes de la mort et de la vie des êtres. Ce sont aussi les causes du sommeil et de la veille, de la vigueur, de la virilité, de l’affaiblissement, de la vieillesse, de la maladie et de la santé. Mais ce ne sont pas ces qualités qui font que les choses sont rudes ou polies, qu’elles sont lourdes ou légères, ni qu’elles ont aucune autre des qualités de cet ordre, pour ainsi dire. § 11[108]. Ceci est tout à fait conforme à la raison ; car, ainsi que nous l’avons déjà dit dans d’autres ouvrages, les principes, des éléments naturels sont précisément le chaud et le froid, le sec et le liquide. Est-ce que, quand on dit Chaud, on entend quelque chose d’absolu ? Ou bien le mot de Chaud n’a-t-il pas des acceptions diverses ? Pour répondre à cette question, il faut voir d’abord le résultat que produit une chaleur plus grande, et combien il y a de ces résultats, s’il y en a plusieurs.

§ 12[109]. On dit donc en un sens qu’une chose est plus chaude quand elle peut échauffer davantage ce qui la touche. En un autre sens, une chaleur plus grande est celle qui donne une sensation plus vive, quand on la perçoit par le toucher, surtout si cette impression est accompagnée de douleur. Parfois, cette impression peut n’être qu’une erreur ; car parfois c’est la disposition où l’on est qui fait que la sensation nous est douloureuse. Une chaleur plus grande est encore celle qui dessèche davantage ce qui peut être desséché, et celle qui brûle davantage ce qui peut être brûlé. D’autres fois, on entend aussi par Plus chaud que la même chose, pouvant être tantôt plus grande tantôt plus petite, plus grande, elle est plus chaude que quand elle est plus petite. § 13[110]. En outre, de deux choses que l’on compare, celle qui ne se refroidit pas promptement, mais peu à peu, passe pour plus chaude que celle qui se refroidit très-vite, de même qu’on dit encore qu’une chose qui s’échauffe plus rapidement est d’une nature plus chaude que celle qui ne s’échauffe que lentement, comme si nous pensions que l’un est contraire parce qu’il est éloigné, et que l’autre nous parût semblable parce qu’il est proche. Si ce ne sont pas là des acceptions absolument différentes, ce sont tout au moins des nuances qu’il faut distinguer, quand on dit qu’une chose est plus chaude qu’une autre. § 14[111]. Seulement, il est impossible que toutes ces nuances se réunissent à la fois dans le même objet. Ainsi, l’eau bouillante échauffe plus que la flamme, quoique la flamme puisse brûler et dessécher ce qui est combustible et desséchable, et quoique l’eau ne fasse rien de pareil. On peut dire encore que l’eau bouillante est plus chaude qu’un petit feu ; mais l’eau chaude se refroidit plus vite et plus complètement qu’un feu faible, puisque le feu ne devient jamais froid, et que l’eau devient entièrement froide. Au toucher, l’eau bouillante est plus chaude que l’huile ; mais elle refroidit et gèle plus vite qu’elle. Quand on touche le sang, on le trouve plus chaud que l’eau et que l’huile ; mais il gèle plus vite. Les pierres, le fer et tant d’objets analogues, s’échauffent moins vite que l’eau ; mais une fois échauffés, ils brûlent bien davantage.

§ 15[112]. Il faut ajouter que, parmi les choses qu’on appelle chaudes, la chaleur des unes leur est étrangère, tandis que la chaleur des autres leur est propre. Pour la chaleur, il y a une extrême différence à ce qu’elle soit de l’une ou de l’autre de ces deux façons. Car l’un des deux est bien près alors de n’avoir qu’une chaleur purement accidentelle et de n’être pas essentiellement chaud. C’est comme si, d’une personne qui a la fièvre et qui est en outre musicienne, on allait dire que le musicien a plus de chaleur que celui qui n’a que la chaleur de la santé. § 16[113]. Comme on peut distinguer ce qui est chaud par soi-même et ce qui n’est chaud qu’accidentellement, ce qui en soi est chaud se refroidit plus lentement ; mais ce qui l’est par accident a souvent davantage de chaleur, d’après la sensation qu’il nous cause. Réciproquement, ce qui est chaud en soi brûle davantage, comme la flamme qui brûle plus que l’eau bouillante, tandis que l’eau bouillante, qui n’est chaude qu’accidentellement, a plus de chaleur quand on la touche. § 17[114]. Tout ceci suffit à faire voir que, juger entre deux choses laquelle est la plus chaude des deux, ce n’est pas si simple ni si absolu qu’on pourrait le croire. Telle chose sera plus chaude à un certain point de vue ; et, à un point de vue différent, ce sera une autre chose qui le sera. Il y a même de ces objets dont on ne saurait dire d’une manière absolue, ni qu’ils sont chauds, ni qu’ils ne le sont pas. Tel objet, quand il est seul, et qu’il est ce qu’il est, n’est pas chaud ; réuni à un second, il devient chaud. C’est ainsi qu’on peut appliquer le nom de chaud soit à l’eau, soit au fer ; et c’est de cette façon que le sang est chaud.

§ 18[115]. On peut voir encore, par tous ces exemples, que le froid est bien une nature d’une certaine espèce, et non pas une simple privation, toutes les fois que l’on considère un objet qui ne devient chaud que par une modification qu’il subit. La nature du feu, pour prendre cet exemple, montre bien sur-le-champ ce qu’elle est. Supposons que l’objet à considérer soit de la fumée ou un charbon. L’un des deux est toujours chaud, puisque la fumée est une évaporation du feu ; mais l’autre, le charbon, une fois éteint, devient froid. L’huile et la poix aussi le deviennent également. § 19[116]. Presque toutes les matières brûlées par le feu ont de la chaleur, par exemple, la poussière et la cendre, ainsi que les déjections des animaux, et, dans les excrétions, la bile, parce que ces matières ont été brûlées par le feu, et qu’il leur en est resté quelque chose. Sous un autre rapport, la poix et les graisses sont chaudes, parce qu’elles se changent bien vite en un véritable feu. Il semble aussi que la chaleur coagule et dessèche. Les matières qui sont simplement aqueuses se coagulent par le froid, et c’est le feu qui coagule les matières uniquement terreuses. Entre les objets chauds, ceux qui sont plus terreux se coagulent vite par le froid ; et alors ces matières ne sont plus solubles ; mais celles qui sont purement aqueuses peuvent redevenir solubles. § 20[117]. Du reste, nous avons expliqué tout cela plus clairement dans d’autres ouvrages, et nous avons indiqué les matières qui se coagulent, et par quelles causes elles peuvent se coaguler. Mais comme, en parlant d’une chose qui est chaude et d’une autre chose qui a une chaleur plus forte, on peut exprimer ces nuances de bien des manières, ce ne sera pas de la même manière qu’elles se présenteront dans tous les objets ; et il faudra toujours bien spécifier que telle chose est chaude en soi, et qu’une autre ne l’est souvent que d’une façon tout accidentelle.

§ 21[118]. Ce qu’il faut bien distinguer encore, c’est la chaleur en puissance, ou la chaleur effective ; et que tel objet est de telle façon, parce qu’il échauffe davantage notre organe du toucher, tandis que tel autre est d’une façon différente, parce qu’il fait de la flamme et brûle comme le feu. § 22[119]. Il va sans dire que, le chaud étant pris sous ces acceptions diverses, le froid sera pris sous autant d’acceptions, et par la même raison.

§ 23[120]. Voilà ce que nous avions à exposer concernant le chaud et le froid, et l’excès de l’un ou de l’autre.

CHAPITRE III.

Du sec et de l’humide ; considérations générales ; application à l’étude du sang ; il n’est pas chaud par lui-même, mais il peut le devenir comme il peut devenir froid ; rapports du sang et de la nourriture ; accroissement venant toujours de la nourriture ; rôle des racines dans les végétaux, tirant de la terre une nourriture tout élaborée ; fonction de la bouche, première phase de la digestion ; fonctions successives des autres viscères ; l’estomac et le ventre ; rôle des veines ; citations des Dessins anatomiques et de l’Histoire naturelle ; le sang n’a pour objet que de nourrir les animaux ; l’élaboration en est insensible comme celle de toutes les excrétions ; il est renfermé dans le cœur et les veines ; citation du Traité de la Génération. — Résumé.

§ 1[121]. Comme suite à ce que nous venons de dire, nous étudierons aussi le sec et l’humide. Ces termes se prennent en plusieurs sens, selon qu’on les considère en puissance et en acte. La glace et tout liquide qui est gelé, est sec en réalité et par accident, bien qu’en puissance et essentiellement ces corps soient liquides. La terre et la cendre mêlées à un liquide sont en acte et accidentellement liquides aussi, quoique en soi et en puissance ce soient des corps secs. § 2[122]. Quand les matières se sont séparées, les parties aqueuses, qui font remplissage, sont en acte et en puissance des liquides ; et toutes les parties dites terreuses sont sèches. § 3[123]. C’est en ce sens principalement qu’on dit d’une chose qu’elle est sèche d’une manière spéciale et absolue. De même pour les liquides, on les appelle proprement et absolument des liquides par la même raison, comme on l’a fait plus haut pour les corps chauds et les corps froids.

§ 4[124]. Ces points une fois fixés, il est clair que le sang n’est chaud que dans le sens où l’est aussi ce qui le fait être du sang. En effet, il en est de même pour le sang que quand nous exprimons d’un seul et unique mot ce qu’est l’eau bouillante ; l’objet quel qu’il soit qui devient du sang, n’est pas davantage chaud par lui-même ; et si, d’une part, il est chaud réellement, d’autre part, il ne l’est pas. La chaleur ne sera comprise dans la définition du sang que dans la mesure où la blancheur est comprise dans la définition de l’homme blanc. En tant que le sang peut être affecté d’une certaine façon, il est chaud ; mais il n’est pas chaud en soi et essentiellement. § 5[125]. Nous en pouvons dire autant du sec et de l’humide. Aussi en ce qui concerne la nature des corps liquides ou secs, les uns sont chauds et liquides, bien que, lorsqu’ils sont isolés ils se congèlent et paraissent froids, comme le sang ; d’autres sont chauds et deviennent épais, comme la bile. Mais quand on les isole de la nature des corps qui les contiennent, ils se présentent sous l’aspect contraire, c’est-à-dire qu’ils se refroidissent et se liquéfient. Le sang alors devient plus sec, tandis que la bile jaune devient plus liquide. Ainsi, participer aux opposés en plus et en moins doit être regardé comme une propriété de ces deux corps. § 6 C’est donc là à peu près tout ce qu’on peut dire pour expliquer comment le sang est chaud et liquide, et comment sa nature peut participer des qualités contraires.

§ 7[126]. Nécessairement tout être qui se développe et s’accroît doit prendre de la nourriture, et toute nourriture ne peut venir que d’une matière liquide et d’une matière sèche. La digestion et le changement des deux ne peuvent avoir lieu que par la puissance de la chaleur. Tous les animaux, toutes les plantes doivent nécessairement pour cette cause, si ce n’est pour d’autres causes encore, avoir un principe de chaleur naturelle, qui se trouve dans plusieurs parties de leur organisation, de même que les élaborations successives de la nourriture s’accomplissent également dans plusieurs parties du corps. § 8[127]. La première opération nutritive qui se manifeste clairement chez les animaux, c’est celle qui s’accomplit par la bouche, et par les différentes parties de la bouche, dont la nourriture a besoin pour être divisée. La bouche elle-même n’est pour rien dans la digestion proprement dite ; mais elle prépare plutôt une bonne digestion. La réduction de la nourriture en petites parcelles rend l’élaboration plus facile à la chaleur ; mais l’action de la cavité supérieure et de la cavité inférieure achève la digestion, avec l’aide de la chaleur naturelle. § 9[128]. De même que la bouche est le conduit de la nourriture non encore élaborée, et que cette partie attenante à la bouche qu’on appelle l’œsophage va jusqu’à l’estomac dans les animaux qui ont cet organe, de même il faut encore que d’autres principes agissent pour que le corps entier puisse prendre la nourriture, comme dans une crèche, en la recevant de l’estomac et des autres viscères, selon leur nature. Les végétaux, par leurs racines, puisent leur nourriture tout élaborée dans la terre, d’où ils la tirent ; et c’est là ce qui fait que les végétaux n’ont pas d’excrétions, parce que la terre et la chaleur qui est en elle leur tiennent lieu d’estomac.

§ 10[129]. Mais tous les animaux presque sans exception, et bien manifestement ceux qui marchent, ont en eux-mêmes la cavité de l’estomac, qui est pour eux une sorte de terre ; c’est de l’estomac que, comme les végétaux par leurs racines, ces animaux doivent, au moyen de quelque organe, tirer leur nourriture, jusqu’à ce que la digestion qui en est la suite soit achevée et complète. Le travail de la bouche transmet les aliments à l’estomac, et c’est de l’estomac qu’un autre organe doit nécessairement les prendre encore. § 11[130]. Du reste, c’est bien ainsi que les choses se passent ; et les veines se dirigent partout à travers le mésentère, commençant d’en bas pour aller jusqu’au ventre. On peut voir cette disposition des veines d’après les dessins Anatomiques et d’après l’Histoire naturelle. Mais comme il faut un organe qui reçoive toute la nourriture et les excréments qui en résultent, et que les veines sont en quelque sorte le vase du sang, il est clair que le sang est la nourriture définitive des animaux qui ont du sang, et que c’est la partie qui tient lieu du sang pour ceux qui n’en ont pas. § 12[131]. De là vient que le sang diminue dans les animaux qui ne prennent pas de nourriture, et qu’il augmente au contraire chez ceux qui en prennent. Si la nourriture est saine, le sang l’est aussi ; si elle est mauvaise, le sang ne vaut pas mieux. De ces considérations et de celles qu’on pourrait y joindre, on doit conclure que le sang, dans les animaux qui en ont, n’a pour objet que de les nourrir. § 13[132]. C’est là ce qui fait que, même en étant touché dans les organes, il n’y cause pas de sensation, non plus qu’aucune des autres excrétions. En ceci, la nourriture n’est pas comme la chair, puisque celle-ci, quand on la touche, ne manque pas de causer une sensation ; mais le sang n’est pas en contact avec la chair ; il n’y est pas mêlé ; et il est comme renfermé en un vase, que forment pour lui le cœur et les veines. Comment les diverses parties du corps tirent-elles du sang leur développement et leur croissance ? Qu’est-ce que c’est en général que la nutrition ? Ce sont là des questions qui seront étudiées plus convenablement dans le traité de la Génération des Animaux, et ailleurs. Pour le moment, ce qui précède doit suffire, puisque c’est tout ce qui peut nous servir ici, et nous savons maintenant que le sang a pour but de nourrir l’animal dans sa totalité et de nourrir ses parties diverses.

CHAPITRE IV.

Des fibres et de leur rôle ; le sang n’en a pas toujours ; il en a plus ou moins ; les fibres sont terreuses ; influence de la composition du sang sur l’intelligence et la nature des animaux ; les taureaux et les sangliers ; effet de la présence ou de l’absence des fibres dans le sang ; effets de la chaleur ou de la froideur du sang ; la lymphe.

§ 1 Tel sang contient ce qu’on appelle des fibres ; tel autre sang en est privé, comme l’est celui des cerfs et des chevreuils. Cette absence de fibres empêche ce dernier sang de se coaguler ; car la partie aqueuse du sang est plutôt froide, et c’est ce qui fait qu’il ne se coagule pas. Mais la partie terreuse se coagule, par suite de l’évaporation de la partie liquide, et les fibres sont terreuses essentiellement. § 2[133]. Il y a des animaux qui ont une intelligence plus brillante que d’autres, non pas à cause de la froideur du sang, mais bien plutôt parce qu’il est léger et pur. Le terreux n’a ni l’une ni l’autre de ces qualités. Les animaux qui ont des humeurs plus légères et plus pures ont aussi la sensibilité plus vive et plus mobile. § 3[134]. De là vient que même certains animaux qui n’ont pas de sang ont cependant l’âme bien plus intelligente que d’autres qui en ont, ainsi que nous l’avons dit antérieurement ; telles sont l’abeille, la fourmi, et telle autre espèce rapprochée de celles-là. Les animaux où le sang est trop aqueux sont plus timides, parce que la peur refroidit ; et les animaux chez qui cette mixtion humide qui est dans le cœur est ainsi faite sont prédisposés à la crainte. Comme l’eau se coagule par le froid, les animaux privés de sang sont en général plus craintifs que les animaux qui en ont ; dans leur terreur, ils restent sans mouvement ; d’autres laissent partir leurs excréments, et il y en a qui changent de couleur.

§ 4[135]. Mais ceux qui ont beaucoup de fibres dans le sang, et des fibres épaisses, sont d’une nature plus terreuse ; leur caractère est plus courageux, et ils se laissent emporter davantage à leur colère. C’est que la colère produit de la chaleur, et que les solides une fois échauffés produisent plus de chaleur que les liquides ; or les fibres sont solides et terreuses. Elles sont en quelque sorte des étuves dans le sang, et elles causent dans les cœurs un véritable bouillonnement. § 5[136]. De là vient que les taureaux et les sangliers sont pleins de courage et d’emportements furieux. Leur sang est celui qui a le plus de fibres ; et c’est le sang du taureau qui se coagule le plus rapidement de tous. Si l’on enlève les fibres du sang, il ne se coagule plus ; et de même que, lorsqu’on enlève d’une masse de boue la partie terreuse, l’eau ne se solidifie plus, de même le sang ne se coagule pas davantage, parce que les fibres sont de la terre. Mais si l’on n’enlève pas les fibres, le sang se coagule, comme la terre liquéfiée se solidifie par le froid. La chaleur étant expulsée par le froid, la partie liquide s’évapore en même temps, ainsi qu’on l’a déjà dit, et le liquide se coagule, desséché, non par la chaleur, mais bien par le froid.

§ 6[137]. Il n’y a d’humidité dans les corps des animaux que grâce à la chaleur qui est en eux. La nature particulière du sang cause de nombreuses modifications dans le caractère des animaux et dans leur sensibilité. Cela se conçoit sans peine puisque le sang est la matière du corps tout entier ; car la nourriture est la matière du corps, et le sang en est la nourriture définitive. Il est donc tout simple que le sang produise de notables différences, selon qu’il est chaud ou froid, léger ou épais, bourbeux ou pur. La lymphe est la partie aqueuse du sang, soit que cette partie ne soit pas encore bien digérée et bien cuite, soit qu’elle soit corrompue ; et par conséquent, dans le premier cas, c’est nécessairement de la lymphe ; dans le second, elle appartient au sang.

CHAPITRE V.

De la graisse et du suif ; leurs rapports avec le sang ; les animaux qui n’ont pas de sang n’ont ni graisse ni suif ; animaux qui ont plus particulièrement du suif et de la graisse ; utilité et danger de ces matières dans l’organisation animale ; les animaux gras vieillissent plus vite ; ils sont plus souvent impuissants. — Résumé sur le sang et les autres matières.

§ 1[138]. La graisse et le suif diffèrent entre eux selon la différence même du sang. L’un et l’autre en effet ne sont que du sang cuit et mûri par l’abondance de nourriture, mais qui, dans l’animal, n’a pas été converti en cette portion qui fait sa chair, et qui n’en est pas moins bien mûr et bien nourricier. L’éclat dont ils brillent le prouve bien, puisque l’éclat brillant des liquides est un mélange d’air et de feu. § 2[139]. Ce qui fait que les animaux qui n’ont pas de sang n’ont jamais de graisse ni de suif, c’est précisément parce que le sang leur manque. Parmi les animaux qui ont du sang, ceux dont le sang a beaucoup de corps ont plus de suif ; car le suif est terreux ; il se coagule comme la matière fibreuse, et comme les agglomérations liquides qu’elle forme, et qui ont peu d’eau et beaucoup de terre. § 3[140]. Aussi, les animaux qui n’ont pas les deux rangées de dents et qui portent des cornes ont-ils du suif. Ce qui prouve bien que leur nature est pleine de cet élément, c’est qu’ils ont des cornes et des osselets, attendu que leur nature à tous est terreuse et sèche. Au contraire, les animaux qui ont les deux rangées de dents, qui n’ont pas de cornes et dont les pieds sont à plusieurs divisions, ont de la graisse au lieu de suif ; leur graisse ne se coagule pas ; et elle ne s’égrène pas en séchant, parce que sa nature n’est pas terreuse.

§ 4[141]. Quand ces matières n’entrent qu’en quantité mesurée dans les organes des animaux, elles leur sont profitables. Elles n’empêchent en rien les sensations, et elles contribuent à donner de la santé et de la force. Mais si elles sont par trop abondantes, elles nuisent et elles sont funestes. Si tout le corps n’était que graisse et que suif, il périrait infailliblement. L’animal consiste surtout dans sa partie sensible ; et c’est la chair, ou la matière correspondante, qui est douée de la sensibilité. Le sang, comme on l’a dit un peu plus haut, n’est pas sensible, non plus que la graisse et le suif, qui ne sont que du sang cuit et mûri. Par conséquent, si le corps entier devenait suif et graisse, il n’aurait plus la moindre sensibilité.

§ 5[142]. De là vient que les êtres trop gras vieillissent vite ; ils ont peu de sang, parce que leur sang s’est dépensé en engraissement ; et la diminution du sang est un acheminement vers la destruction, qui n’est elle-même qu’un sang appauvri, et qui amène la presque insensibilité à toute espèce de froid ou de chaleur. Par la même cause, les animaux gras sont aussi moins féconds ; car cette portion du sang qui devrait tourner en liqueur séminale et en sperme passe tout entière en graisse et en suif. Le sang mûri par la coction devient l’une et l’autre de ces matières, de telle sorte que, dans les animaux organisés ainsi, ou il n’y a aucune excrétion, ou bien il n’y en a que très-peu.

§ 6[143]. Voilà ce que nous pouvons dire sur le sang, la lymphe, la graisse et le suif, pour expliquer la nature de chacune de ces matières et les fonctions pour lesquelles elles sont faites.

CHAPITRE VI.

De la moelle ; elle est une modification du sang ; observation sur les animaux tout jeunes ; nature diverse de la moelle ; tous les animaux en ont presque sans exception ; le lion ; l’arête dans les animaux aquatiques renferme la moelle ; ils n’ont que la moelle du rachis ; mais cette moelle est différente. — Résumé de ces explications sur la moelle.

§ 1[144]. La moelle est une certaine nature de sang ; et elle n’est pas du tout, comme on le suppose quelquefois, la force spermatique de la semence. On peut s’en convaincre en observant les très-jeunes animaux. Toutes leurs parties étant formées de sang et le sang étant la seule nourriture des embryons, la moelle que contiennent alors les os est aussi toute sanguine ; mais en grandissant et en mûrissant, les viscères changent de couleur, ainsi que toutes les autres parties ; or, dans les jeunes sujets, les viscères sont tous excessivement sanguins. § 2[145]. La moelle ne change pas moins. Dans les animaux gras, elle est onctueuse, et elle ressemble tout à fait à la graisse. Ceux où elle n’est pas pareille à de la graisse, mais chez qui le sang paraît, en mûrissant, devenir du suif, ont aussi la moelle comme du suif. Dans les animaux à cornes, et qui n’ont pas les deux rangées de dents, elle est suiffeuse ; mais elle est plutôt graisseuse dans ceux qui ont les deux rangées de dents et les pieds à plusieurs divisions. § 3[146]. Ce n’est pas là du tout ce qu’est la moelle du rachis, puisqu’elle doit être continue et parcourir tout le rachis divisé en vertèbres. Si cette moelle était onctueuse ou suiffeuse, elle ne serait pas aussi tenace qu’elle doit l’être, et elle serait ou friable ou liquide. Il y a d’ailleurs très-peu d’animaux, s’il vaut la peine d’en parler, qui n’aient pas de moelle ; ce sont ceux dont les os sont très-forts et compacts comme ceux du lion. Ses os n’ayant aucune marque particulière de moelle semblent n’en avoir pas du tout.

§ 4[147]. Comme il est indispensable que les animaux aient des os ou la partie correspondante aux os, l’arête par exemple dans les animaux aquatiques, il n’est pas moins nécessaire que, dans quelques animaux, il se forme de la moelle par l’absorption simultanée de la nourriture qui produit aussi les os. On vient de dire que, dans tous les animaux, la nourriture est du sang ; et l’on doit voir que, par suite, il est tout simple que la moelle devienne suiffeuse ou graisseuse. Le sang se cuit par la chaleur qui se développe en étant renfermée dans les os. La coction du sang est en soi du suif et de la graisse.

§ 5[148]. On conçoit donc bien que, dans ceux qui ont les os compacts et très-forts, tantôt il n’y ait pas du tout de moelle, et que tantôt il y ait très-peu de ces animaux qui en aient, parce que la nourriture est absorbée dans les os. Dans ceux qui au lieu d’os ont une arête, il n’y a que le rachis qui ait de la moelle. Comme ils ont naturellement peu de sang, l’arête seule du rachis est creuse, et c’est dans cette arête que la moelle se produit. Il n’y a que dans elle en effet qu’il y ait la place suffisante, et seule aussi elle a besoin d’un lien qui unisse ses divisions. § 6[149]. Voilà pourquoi, dans les arêtes, la moelle est tout autre, ainsi qu’on l’a déjà dit ; et comme elle y joue le rôle de boucle, elle est visqueuse et nerveuse afin qu’elle puisse recevoir la tension nécessaire.

§ 7[150]. On voit donc comment les animaux ont de la moelle, quand ils en ont ; et en résumant tout ceci pour savoir ce qu’est la moelle, on peut dire que, dans la nourriture sanguine qui se répartit aux os et aux arêtes, la moelle est l’excrétion qui y est renfermée et qui est cuite et digérée.

CHAPITRE VII

Du cerveau ; erreurs sur les rapports du cerveau et de la moelle épinière ; nature propre de l’encéphale ; c’est dans le cerveau que probablement l’âme est placée ; nécessité de la chaleur pour la vie de l’animal ; il n’y a d’encéphale que chez les animaux qui ont du sang ; c’est le cerveau qui produit le sommeil ; explication du sommeil par le refroidissement ; citations du Traité de la Sensation et du Traité du Sommeil ; l’homme, entre tous les animaux, a le cerveau le plus considérable ; station droite de l’homme ; humidité et froideur du cerveau ; la fontanelle. — Résumé : citation du Traité des Aliments et citation du Traité de la Génération.

§ 1[151]. Une suite assez naturelle de ce qui précède, c’est de parler du cerveau. Bien des naturalistes s’imaginent que le cerveau est de la moelle, ou du moins qu’il est le principe et l’origine de la moelle, parce qu’ils voient que la moelle de l’épine dorsale est le prolongement du cerveau. Mais on pourrait dire sans exagération que le cerveau est tout le contraire de la moelle. De toutes les parties du corps, le cerveau est certainement la plus froide, tandis que la moelle est naturellement chaude, comme le prouve son luisant et sa nature graisseuse. § 2[152]. Si la moelle du rachis est le prolongement du cerveau, c’est que toujours la nature dispose, contre l’excès d’un objet quelconque, le secours et le voisinage de l’objet contraire au premier, afin que l’un puisse compenser l’excès de l’autre. Une foule de faits démontre bien que la moelle est chaude, tandis que la froideur du cerveau est manifeste, rien qu’à y toucher. De plus, le cerveau est de toutes les parties liquides du corps celle qui contient le moins de sang, puisqu’il n’en a pas du tout par lui-même ; et il est la plus exsangue de toutes. § 3[153]. Le cerveau n’est pas une excrétion, et il n’est pas un de ces organes qui sont continus à d’autres ; mais il est d’une nature qui n’est qu’à lui, et on comprend bien qu’il en soit ainsi. Il suffit du plus simple coup d’œil pour voir qu’il n’a point la moindre connexité avec les parties qui servent à sentir ; et il n’est pas moins évident que, quand on le touche, il ne sent rien, non plus que ne sentent, ni le sang, ni les excrétions quelconques des animaux. Mais dans l’animal il est chargé de conserver tout ce que l’animal est par sa nature entière. § 4[154]. Il y a des philosophes qui prennent l’âme de l’animal pour du feu ou pour telle autre force du même genre ; c’est là une hypothèse grossière. Il est peut-être bien préférable de supposer que l’âme est placée dans un corps pareil au cerveau. Ce qui doit faire admettre cette opinion, c’est que la chaleur est, de tous les corps, celui qui est le plus utile aux actes de l’âme. Or, l’œuvre propre de l’âme, c’est de nourrir et de mouvoir l’animal, et ces fonctions sont remplies à peu près exclusivement par l’action de cette force. Donc supposer que l’âme est du feu, c’est tout comme si l’on prétendait que la scie et la tarière sont l’ouvrier lui-même ou l’art de l’ouvrier, sous prétexte que l’œuvre ne s’accomplit que par le contact étroit de l’un avec l’autre.

§ 5[155]. Que la chaleur soit absolument nécessaire aux animaux, ce qui le prouve, c’est que toutes les choses ont besoin d’un contrepoids contraire pour arriver à la juste mesure et au milieu, qui seuls donnent l’essence et le rapport vrai des choses, tandis qu’aucun des deux extrêmes pris à part ne les peut donner. De là vient que, vers la région du cœur et pour compenser la chaleur qui s’y trouve, la nature a organisé le cerveau ; c’est pour atteindre ce résultat que cette partie existe dans les animaux et qu’elle y présente la double et commune nature de l’eau et de la terre. § 6[156]. C’est là aussi ce qui fait que tous les animaux qui ont du sang ont un cerveau, tandis qu’aucun autre animal, pour ainsi dire, n’en a un, à moins que ce ne soit une simple analogie, comme dans le polype. Tous ces animaux ont peu de chaleur précisément à cause qu’ils n’ont pas de sang. Le cerveau tempère et domine la chaleur et le bouillonnement qui sont dans le cœur. § 7[157]. Pour que cet organe n’eût aussi qu’une chaleur moyenne, les veines secondaires parties de chacune des deux veines, c’est-à-dire la grande veine et celle qu’on appelle l’aorte, se terminent à la méninge qui enveloppe le cerveau ; et de peur que la chaleur ne vînt à nuire, au lieu de grosses veines en petit nombre, ce sont des veines nombreuses et très-fines qui l’entourent ; au lieu d’un sang abondant et épais, c’est un sang léger et pur. § 8[158]. Aussi, les fluxions qui ont lieu dans les corps partent-elles originairement de la tête, toutes les fois que les parties qui environnent le cerveau sont plus froides que ne l’exigerait la température convenable. La nourriture venant à s’évaporer en haut par les veines, l’excrétion, refroidie par la force particulière à cette région du corps, produit les flux du phlegme et de la lymphe. On peut supposer, en comparant, il est vrai, une petite chose à une grande, qu’il en est de ceci comme de la production de la pluie : la vapeur qui sort et qui s’élève de la terre est portée par sa chaleur dans les parties supérieures, et quand elle arrive dans l’air froid qui est au-dessus de la terre, elle se condense et se change en eau, sous l’action du refroidissement, pour retomber de nouveau sur la terre.

§ 9[159]. Mais c’est dans l’étude des phénomènes d’où viennent les maladies qu’il sera convenable de traiter ce sujet, du moins dans cette mesure où la philosophie naturelle peut avoir à s’en occuper.

§ 10[160]. Dans les animaux qui ont un cerveau, c’est cet organe aussi qui produit le sommeil ; et dans ceux qui n’en ont pas, c’est l’organe correspondant. En refroidissant l’afflux du sang venu de la nourriture, ou peut-être encore par d’autres causes semblables, le cerveau alourdit cette région du corps ; et c’est là ce qui explique comment, lorsqu’on a sommeil, on a la tête lourde et pesante. De plus, il chasse la chaleur en bas avec le sang. La chaleur s’accumulant dans les parties basses amène le sommeil ; et en même temps disparaît la faculté de se tenir debout, pour tous les animaux auxquels la station droite est naturelle ; et pour les autres, cesse la position droite de la tête. § 11[161]. Du reste, nous avons spécialement traité cette question et dans nos ouvrages sur la Sensation, et dans le livre sur le Sommeil.

§ 12[162]. Que le cerveau soit un composé d’eau et de terre, voici quelques faits qui le prouvent. Si l’on fait cuire le cerveau, il devient sec et dur ; il ne reste plus que la partie terreuse, l’eau ayant été vaporisée par la chaleur, comme il arrive quand on brûle des légumes et d’autres fruits, où la plus forte partie n’est que de la terre, une fois qu’en est sorti le liquide qui y était mêlé. Ces résidus de combustion deviennent durs et tout à fait terreux.

§ 13[163]. C’est l’homme qui, de tous les animaux, a le cerveau le plus fort comparativement à sa grandeur ; et, dans l’espèce humaine, les hommes ont un cerveau plus gros que les femmes, parce que, dans l’homme, la région qui comprend le cœur et le poumon est plus chaude et plus sanguine que dans tout autre animal ; voilà pourquoi aussi l’homme est le seul des animaux qui se tienne tout droit. La nature de la chaleur qui le fortifie fait, en suivant sa propre direction, que le développement part du centre et du milieu. § 14[164]. C’est donc à un excès de chaleur que s’opposent des excès d’humidité et de froideur plus énergiques ; et, grâce à leur abondance, l’os du cerveau, que parfois on nomme la Fontanelle, se solidifie le dernier de tous, parce que la chaleur s’en empare encore longtemps, tandis qu’on ne remarque rien de pareil chez aucun des autres animaux qui ont du sang. § 15[165]. L’homme est aussi l’animal qui a le plus de sutures à la tête ; et, par la même raison, les mâles en ont plus que les femelles, afin que ce lieu puisse bien respirer et que le plus gros cerveau soit aéré davantage. Trop humide ou trop sec, il n’accomplirait plus sa fonction propre ; mais il ne se refroidira pas, ou ne se resserrera pas, au point de causer des maladies, des dérangements d’esprit et la mort ; car la chaleur et le principe qui sont dans le cœur sont très-sympathiques ; ils ressentent, avec une rapidité extrême, les changements et les modifications du sang qui est près de l’encéphale.

§ 16[166]. Nous avons parlé à peu près de tous les liquides qui se trouvent dans les animaux dès leur naissance ; quant aux liquides qui ne viennent que plus tard, les uns sont les excrétions de la nourriture, le dépôt qui se forme dans la vessie et celui du ventre, et, outre ces deux matières, la semence et le lait dans les animaux naturellement faits pour avoir des liquides de ce genre. Les excrétions et résidus de la nourriture sont étudiés d’une façon toute spéciale dans l’examen et la théorie des Aliments, où l’on explique quels sont les animaux qui en ont et à quelles fins ces résidus leur ont été donnés. Quant au sperme et au lait, il en a été question dans le Traité de la Génération ; car l’un de ces liquides est le principe même de la génération, et l’autre est fait pour elle.

CHAPITRE VIII

De la chair ; de son rôle essentiel comme siège du toucher, le premier des sens ; importance du toucher ; tous les autres sens sont faits en vue de celui-là ; organisation diverse des animaux ; rôle des os et des parties correspondantes ; les crustacés et les testacés ; organisation toute contraire des insectes et des mollusques ; leur constitution spéciale ; les seiches, les teuthides, les polypes ; organisation toute particulière des insectes ; ils n’ont pas d’os ; c’est leur corps entier qui est dur.

§ 1[167]. Il faut étudier maintenant les autres parties similaires, et d’abord la chair, dans les animaux qui ont des chairs, ou la partie correspondante dans ceux qui n’en ont pas. La chair est essentiellement le principe et le corps des animaux. C’est ce qu’on peut voir, ne serait-ce que d’après la plus simple définition. En effet, nous définissons l’animal en disant qu’il est un être doué de sensibilité. § 2[168]. Le sens qu’a premièrement l’animal, c’est le premier des sens, c’est-à-dire, le toucher. L’organe du toucher est dans le corps une partie de même ordre, c’est-à-dire, la première, comme la pupille est la première partie de la vision, et la partie par où passe tout ce que la vision contient, comme si l’on pouvait rapporter tout le diaphane à la seule pupille. Pour les autres sens, il était impossible et peut-être n’était-il pas indispensable à la nature de les faire ; mais le sens du toucher était absolument nécessaire. Seul de tous les sens, ou du moins plus que tous les autres organes des sens, celui-là est corporel. § 3[169]. Il est d’une évidence sensible que toutes les autres parties sont faites pour celle-là : je veux dire, les os, les nerfs, la peau, les veines, les cheveux, les ongles et toutes les autres parties du corps, s’il en est d’autres du même genre, ainsi, les os ont été faits pour soutenir et protéger la partie molle du corps ; par leur nature propre, ils sont durs dans les animaux qui en ont ; et dans ceux qui n’ont pas d’os, c’est la partie correspondante ; par exemple, chez les poissons, c’est l’arête pour les uns et le cartilage pour les autres. § 4[170]. Certains animaux ont ce ferme appui de leur corps à l’intérieur ; quelques-uns de ceux qui n’ont pas de sang l’ont au dehors, comme toutes les espèces de crustacés, telles que les langoustes et les crabes ; et de même pour les espèces des testacés, telles que ceux qu’on appelle des huîtres. Dans toutes ces espèces, la partie charnue est au dedans ; la partie qui contient et qui protège est au dehors ; c’est la partie terreuse. § 5[171]. Pour maintenir et préserver leur consistance, ces animaux ayant peu de chaleur parce qu’ils n’ont pas de sang, la coquille, placée tout autour comme une sorte de four, garde la chaleur qui est leur foyer intérieur. La tortue et le genre des hémydes paraissent organisés de la même manière, tout en étant d’une espèce différente.

§ 6[172]. Quant aux insectes et aux mollusques, ils sont précisément tout le contraire de ces animaux ; et entre eux, leur constitution n’est pas moins opposée des uns aux autres. Il ne semble pas qu’ils aient rien d’osseux, ni aucune partie terreuse, qu’on puisse distinguer, pour ainsi dire. Mais les mollusques sont presque entièrement charnus et mous ; et pour que leur corps ne fût pas par trop destructible, comme le sont les matières purement charnues, leur nature tient le milieu entre la chair et le tendon. Elle est molle, comme la chair ; et elle a une certaine rigidité, comme le tendon. Leur chair n’est pas divisible en ligne droite ; mais on peut la partager par bandes circulaires. C’est cette disposition qui pouvait contribuer le mieux à leur donner quelque force. § 7[173]. Ces animaux ont une partie qui répond aux arêtes des poissons. Dans les seiches, c’est ce qu’on appelle l’os de la seiche ; dans les teuthides, c’est ce qu’on appelle leur épée. Il y a des polypes qui n’ont rien de cela, parce que la partie que l’on nomme en eux la tête forme une cavité trop petite ; d’autres l’ont très-large. Aussi, pour qu’ils pussent rester droits et qu’ils ne pliassent pas, la nature leur a dessiné cette organisation, comme, à certains des animaux qui ont du sang, elle a donné des os ; et qu’à d’autres de ces animaux, elle a donné l’arête. § 8[174]. Les insectes, ainsi qu’on vient de le dire, ont une organisation toute contraire à ces derniers, et à celle des animaux qui ont du sang. Ils n’ont pas une partie déterminée de leur corps qui soit dure ou molle ; c’est le corps tout entier qui est dur, et cette dureté est calculée de façon qu’elle soit plus charnue que l’os, en même temps qu’elle est plus osseuse et plus terreuse que la chair, pour que leur corps ne fut pas trop susceptible de se déchirer et de se rompre.

CHAPITRE IX

Des os et des veines ; ressemblances et différences des uns et des autres ; il n’y a pas d’os isolé, non plus qu’une veine isolée ; les os se rattachent au rachis, leur principe commun, de même que les veines se rattachent au cœur ; système osseux ; son organisation générale en vue des flexions et des mouvements, mais surtout en vue de la solidité et de la conservation du corps ; rapports des cartilages aux os qu’ils relient les uns aux autres ; nature spéciale du cartilage ; de la dureté plus ou moins grande des os ; os du lion ; os des oiseaux ; arêtes des poissons ; matières analogues aux os, ongles, soles, pinces, cornes, becs ; leurs emplois ; étude de ces matières et de quelques autres renvoyée à des ouvrages ultérieurs et plus spéciaux ; citation des Recherches sur la Génération.

§ 1[175]. La nature des os et celle des veines se ressemblent en certains points. L’une et l’autre partent d’une seule origine et se développent sans discontinuité. Pas un seul os n’est séparé et isolé des autres ; et tout os est ou une partie d’un autre os qu’il continue et prolonge, ou il y touche et y est rattaché, pour que la nature puisse s’en servir à la fois comme s’il était seul et continu, et comme s’il y avait deux os qui ne fussent séparés que pour faciliter la flexion. De même non plus, il n’y a pas une seule veine qui soit isolée et indépendante des autres ; mais toutes, sans exception, font partie d’une seule et unique veine. § 2[176]. Si un os quelconque eût été séparé des autres os, il n’aurait pas pu d’abord remplir la fonction à laquelle est destinée la nature des os, puisqu’il n’aurait pas pu procurer ni une flexion, ni un redressement quelconque, n’étant pas continu à d’autres et faisant lacune ; et en second lieu, il aurait pu nuire comme une épine ou une flèche pénétrant dans les chairs. § 3[177]. De même, si une veine quelconque eût été séparée, au lieu d’être continue à son origine et à son principe, elle n’aurait pu retenir et conserver le sang qui est en elle ; car la chaleur qu’elle cause empêche qu’il ne se coagule. Et de plus, tout ce qui est séparé tend évidemment à se gâter. § 4[178]. Le principe des veines, c’est le cœur ; le principe des os, c’est ce qu’on nomme le rachis, qui se retrouve dans tous les animaux qui ont des os ; et c’est au rachis que se rattachent tous les autres os, sans aucune interruption ; car l’objet propre du rachis, c’est de conserver aux animaux toute leur grandeur et leur rectitude. Mais comme il faut nécessairement, quand l’animal se meut, que son corps s’infléchisse, le rachis est tout à la fois un, parce qu’il est continu, et divisé en parties nombreuses, par la multiplicité de ses vertèbres.

§ 5[179]. Dans les animaux pourvus de membres qui se rattachent au rachis, c’est du rachis que viennent leurs os ; alors les os sont en harmonie avec le rachis, en ce sens que les membres s’infléchissent, en étant reliés entre eux par des nerfs, et que leurs extrémités se combinent régulièrement, l’une étant creuse et l’autre étant ronde ; ou même les deux extrémités étant creuses à la fois, elles sont du moins reliées au reste par leur milieu comme un coin et un osselet, afin que l’inflexion et l’extension puissent avoir lieu. Autrement, les os auraient été absolument incapables de produire ce mouvement ; ou du moins, ils ne l’auraient produit que très-imparfaitement. § 6[180]. Quelques os, dont l’un a son commencement au point où un autre os se termine, lui sont joints par des nerfs. Entre les jointures et les flexions, il y a des parties cartilagineuses, qui, comme la synovie, empêchent que les os ne s’usent et ne se choquent l’un contre l’autre. Les chairs sont placées autour des os et sont retenues par des liens légers et fibreux. C’est pour les chairs que les os sont faits. Car de même que les artistes, pour modeler un animal quelconque avec de la terre glaise ou avec quelque autre substance humide, ont soin de mettre dessous quelque corps solide sur lequel ils adaptent la matière dont ils se servent, de même c’est avec les chairs que la nature a construit l’animal. § 7[181]. Sous les autres parties qui sont charnues sont placés les os. Quand certaines de ces parties se meuvent par flexion, c’est en vue de cette flexion même ; quand les parties sont immobiles, c’est en vue de les préserver ; telles sont, par exemple, les côtes qui enveloppent et ferment la poitrine, pour garantir les viscères qui se trouvent autour du cœur. Dans tous les animaux, les parties du ventre sont dépourvues d’os, d’abord pour que rien ne gêne le gonflement que cause nécessairement la nourriture quand les animaux la prennent, et ensuite, pour que, dans les femelles, rien ne gêne le développement des embryons qu’elles nourrissent.

§ 8[182]. Les animaux qui sont vivipares soit en eux-mêmes, soi au dehors, ont à peu près également la charpente des os forte et solide. Toutes les espèces ont ces parties beaucoup plus grandes que les animaux qui ne sont pas vivipares, du moins relativement à la dimension de leurs corps. C’est qu’il y a des pays où il se trouve une foule de grands vivipares, comme il y en a en Libye et dans les régions chaudes et desséchées. § 9[183]. Pour ces grands êtres, il faut des appuis plus forts et plus grands, en même temps que plus durs, et surtout pour les plus féroces de ces animaux. C’est là pourquoi les os des mâles sont plus durs que ceux des femelles, et que ceux des carnassiers le sont également, parce qu’ils ne peuvent se nourrir que par la lutte et le combat. Tels sont les os du lion ; ils sont naturellement si durs qu’en les frappant on en fait jaillir des étincelles, comme on en tire des cailloux. Le dauphin a aussi des os et non des arêtes, parce qu’il est vivipare. § 10[184]. Dans les animaux qui ont du sang, mais qui ne sont pas vivipares, la nature a fait une déviation légère. Ainsi, pour les oiseaux, elle leur a donné des os, mais des os plus faibles. Les poissons ovipares ont une arête. La nature des os des serpents est assez semblable à l’arête, si ce n’est dans les très-grandes espèces, parce que ces dernières espèces ont, par les mêmes raisons que les vivipares, besoin d’appuis plus forts, afin d’avoir la vigueur indispensable. § 11[185]. Les animaux appelés les Sélaciens ont une nature qui tient du cartilage et de l’arête. Il faut en effet de toute nécessité que leur mouvement soit plus souple ; et par conséquent, le mouvement de leurs points d’appui ne doit pas être trop rigide, mais plus mou également ; pour eux, la nature a dépensé toute la partie terreuse sur leur peau, parce que la nature ne peut pas répartir à la fois sur une foule de points la même exubérance de matière.

§ 12[186]. Les vivipares ont également beaucoup d’os qui ne sont que cartilagineux ; ce sont toutes les fois qu’il importe que la partie solide soit assez molle et assez spongieuse pour ménager la chair qui les environne. C’est ce qui se produit, par exemple, pour les oreilles et pour le nez, parce que les matières trop dures sont bien vite usées dans les parties qui s’avancent. La nature du cartilage est la même que celle de l’os ; entre eux, il n’y a qu’une différence du plus au moins. Ainsi, ni l’un et l’autre, une fois coupés, ne repoussent. § 13[187]. Dans les animaux terrestres, les cartilages n’ont pas de moelle, en ce sens qu’ils n’ont pas de moelle séparée ; mais la partie qui pourrait être de la moelle séparée, se répartit dans le tout, où elle fait que la composition du cartilage est molle et gluante. Pourtant, dans les sélaciens, le rachis est cartilagineux ; et il n’en a pas moins de la moelle ; car pour eux, cette partie du corps doit tenir la place des os.

§ 14[188]. Il y a dans le corps des matières qui, au toucher, se rapprochent beaucoup des os, telles que les ongles, les soles, les pinces, les cornes et les becs chez les oiseaux. Les animaux ont reçu ces organes pour leur défense ; car les corps entiers qui sont formés de ces matières et qui, dans leur ensemble, portent le même nom que leurs parties, comme c’est le cas pour la sole entière ou pour la corne entière, sont destinés dans chaque animal à le protéger et à assurer sa conservation. On peut encore ranger dans cette classe tout ce qui regarde l’organisation des dents, qui tantôt n’a qu’un seul objet, à savoir le travail des aliments, et qui tantôt, comme dans les animaux dont les dents sont en scie ou sont saillantes, ont d’abord cette disposition, et en outre ont pour but de leur permettre la lutte contre leurs ennemis.

§ 15[189]. Nécessairement, toutes ces matières sont de nature terreuse et solide ; car c’est là précisément la force qu’une arme doit avoir. Aussi, toutes ces conditions se réunissent-elles plus particulièrement dans les quadrupèdes vivipares, parce que tous ces animaux ont une nature plus terreuse que l’homme. § 16[190]. Du reste, tous ces détails, avec ceux qui en sont la conséquence, et qui concernent la peau, la vessie, les membranes, les poils, les plumes, et les parties qui les remplacent, et d’autres s’il en est qu’on puisse encore citer, trouveront leur place plus tard, et seront expliquées en même temps que nous étudierons les parties non-similaires, et que nous montrerons comment et pourquoi chaque espèce d’animal en est pourvue. Il est indispensable de constater les fonctions et les faits pour connaître ces nouvelles parties, aussi bien que les autres. Mais comme ces parties ont reçu le même nom que le tout où elles sont comprises, c’est ce qui nous a porté à leur donner place ici dans l’étude des parties similaires ; car les principes de toutes ces parties similaires et non-similaires, ce sont toujours l’os et la chair. § 17[191]. C’est encore ainsi que nous avons laissé de côté l’étude de la liqueur séminale et du lait, en traitant des liquides et des parties similaires, parce que ces considérations viennent plus convenablement dans les Recherches sur la Génération. L’une de ces deux matières est en effet le principe même des animaux, et l’autre devient leur nourriture, une fois qu’ils sont nés.

CHAPITRE X

Nouvelles considérations plus générales ; les trois parties essentielles des animaux, à l’exclusion des plantes ; annonce d’études sur les végétaux ; la sensibilité est une vie supérieure ; privilège de l’homme ; sa supériorité sur le reste des êtres ; sa station droite ; organisation de sa tête, qui n’est pas charnue ; erreurs à ce sujet ; citation du Traité de la Sensation ; répartition des cinq sens ; c’est le cœur qui est le principe des sensations, surtout de celle du toucher et des saveurs ; l’ouïe et la vue sont dans la tête ; l’une à la circonférence, et l’autre en avant ; admirable disposition de tous les sens ; ils sont tous doubles, excepté le toucher ; fonction spéciale des narines pour la respiration.

§ 1[192]. A cette heure, reprenons les choses comme si nous les recommencions dès le principe, en étudiant premièrement les premières et les plus importantes. Tous les animaux, quand ils sont complètement formés, ont deux parties qui leur sont les plus indispensables de toutes, la partie par laquelle ils prennent leur nourriture, et la partie par laquelle ils doivent rejeter les excréments. Sans la nourriture, ils ne pourraient ni vivre ni croître. Les plantes, quoique, selon nous, elles soient bien vivantes aussi, n’ont pas d’organes pour expulser les résidus devenus inutiles. Elles empruntent à la terre leur nourriture toute digérée ; et au lieu d’excréments, elles donnent les graines et les fruits. § 2[193]. Dans tous les animaux, il y a enfin une troisième partie qui est placée entre les deux autres et qui renferme le principe même de la vie. La nature des plantes étant d’être immobiles, ne présente pas beaucoup de combinaisons des parties non-similaires ; pour des fonctions peu nombreuses, il n’y a besoin que d’organes aussi peu nombreux qu’elles. Nous aurons à étudier à part la nature qui leur est propre. § 3[194]. Mais dans les êtres qui, outre la vie, possèdent encore la sensibilité, les choses se présentent sous des formes bien plus diverses. Les uns ont des rapports plus nombreux et beaucoup plus compliqués les uns que les autres, quand leur nature comporte non pas la vie seulement, mais la vie dans toutes ses perfections. L’espèce humaine jouit de cet avantage, puisque, de tous les êtres à nous connus, l’homme seul participe du divin, ou du moins il en participe plus que tous les autres êtres. Ainsi, par ce premier motif, et en même temps par cet autre motif que l’homme nous est plus connu que tout autre dans la forme de ses parties extérieures, c’est par lui qu’il convient de débuter.

§ 4[195]. Il est le seul être chez qui les parties mêmes dont la nature l’a formé sont précisément dans l’ordre naturel ; le haut dans l’homme est dirigé vers le haut de l’univers, et l’homme, entre tous les animaux, est le seul qui se tienne droit. D’après ce que nous avons dit du cerveau, on doit voir que l’homme devait nécessairement avoir une tête qui ne fût pas chargée de chair. Ce n’est pas, comme quelques-uns le prétendent, que, si la tête eût été charnue, la vie de notre espèce eût été plus longue ; ce n’est pas non plus, comme on l’affirme, que la tête doive être dépourvue de chair pour faciliter la sensation ; car on prétend que, comme c’est par le cerveau que nous sentons, des parties par trop charnues ne serviraient pas bien à la sensibilité. § 5[196]. Aucune de ces deux explications n’est exacte. Mais ce qui est vrai, c’est que, si la région du cerveau avait été surchargée de chair, le cerveau aurait fonctionné d’une façon toute contraire à la fonction pour laquelle il a été donné aux animaux. Du moment qu’il aurait été trop chaud lui-même, il eût été hors d’état de refroidir l’organisation ; et il n’est cause d’aucune espèce de sensations, parce qu’il est absolument insensible, comme le sont d’ailleurs toutes les autres excrétions. § 6[197]. Mais ne découvrant pas la cause qui a fait que quelques sens sont, chez les animaux, placés dans la tête, et voyant que la tête est plus propre que toutes les autres parties à les recevoir, les naturalistes ont réuni par une simple conjecture le cerveau et la sensibilité l’un à l’autre. Dans nos ouvrages sur la Sensation, nous avons antérieurement démontré que c’est la région du cœur qui est le principe des sensations, et qu’il y a deux sens qui évidemment dépendent du cœur, le sens des choses tactiles, et le sens des saveurs. L’odorat est, entre les trois premiers sens, un sens intermédiaire. Quant à l’ouïe et à la vue, ces deux sens sont surtout dans la tête, à cause de la nature même de ces organes particuliers ; et c’est dans la tête que la vue est placée chez tous les animaux. § 7[198]. L’ouïe et l’odorat, tels qu’ils sont dans les poissons et autres animaux semblables, prouvent bien la vérité de ce que nous venons de dire. Les poissons entendent et odorent ; et cependant ils n’ont dans la tête aucun organe pour percevoir les objets sensibles de cet ordre. La vue est aussi très-bien placée dans le cerveau pour tous les animaux qui en ont un. Le cerveau est humide et froid. La vue est de la nature de l’eau ; car l’eau est de toutes les matières diaphanes celle qui peut se garder le mieux. § 8[199]. Il faut en outre que les sens les plus délicats le soient encore davantage dans les parties qui ont un sang plus pur. Le mouvement causé par la chaleur qui est dans le sang fait obstacle à l’action de la sensibilité, et c’est pour ces différentes causes que les organes de ces sens sont placés dans la tête.

§ 9[200]. Non seulement le devant de la tête doit être dégarni de chair ; mais il faut en outre que le derrière le soit également, parce que, chez tous les animaux qui ont une tête, il faut que cette partie soit la plus droite possible. Or rien de ce qui porte un trop lourd fardeau ne peut être bien droit ; et si la tête était charnue, cette partie ne pourrait se redresser. Ce qui montre bien encore que ce n’est pas en vue de la sensibilité du cerveau que la tête est dénuée de chair, c’est que le derrière n’a pas de cerveau, et que cette partie est sans chair également. § 10[201]. La raison comprend très-bien aussi que, chez quelques espèces d’animaux, l’ouïe soit placée dans la région de la tête. En effet, ce qu’on appelle le vide est rempli d’air ; et nous disons que le sens de l’ouïe dépend de l’air. Les conduits qui partent des yeux vont aboutir aux veines qui environnent l’encéphale. De même, le canal qui part des oreilles aboutit également au derrière de la tête. Aucun organe privé de sang n’est sensible, pas plus que ne l’est le sang lui-même ; mais ce qui est sensible, c’est une des matières qui en viennent, et c’est parce que dans les animaux qui ont du sang, aucune partie privée du sang n’est sensible, que le sang lui-même ne l’est pas davantage ; car il n’est pas une partie des animaux. § 11[202]. Tous les êtres qui ont un cerveau l’ont dans la portion antérieure de leur corps, parce que c’est en avant que se présente l’objet que l’on sent, que la sensation vient du cœur qui est aussi en avant, que la sensation ne se produit que grâce aux parties du corps qui ont du sang ; et que la cavité postérieure de la tête est dépourvue de veines. La nature a rangé dans un ordre admirable les organes des sens, en plaçant le sens de l’ouïe vers le milieu de la circonférence ; car on n’entend pas uniquement en ligne droite ; on entend de toutes parts. Au contraire, la vue a été placée en avant, parce que la vue s’exerce toujours en ligne directe ; et comme le mouvement qu’on fait a lieu en avant, il faut voir d’avance l’objet vers lequel le mouvement se dirige.

§ 12[203]. C’est avec non moins de raison que le sens de l’odorat a été placé entre les yeux. Chaque sens en effet est double, parce que le corps est double aussi, puisqu’il a la droite et la gauche. Cette disposition ne se voit plus dans le sens du toucher. La cause paraît en être que l’organe initial du toucher n’est pas la chair uniquement, ni telle partie analogue à la chair, mais que ce sens est tout intérieur. § 13[204]. Pour le sens dont la langue est l’organe, c’est moins clair que pour d’autres sens ; mais ce l’est plus que pour le toucher ; car ce sens lui-même est aussi une espèce de toucher. Cette duplicité d’organes est cependant visible pour la langue elle-même, qui paraît aussi divisée en deux. Mais pour les autres sens, la sensation est partagée en deux d’une manière plus évidente. Ainsi, il y a deux oreilles ; il y a deux yeux ; et la disposition des narines est double également. Placé d’une autre manière et séparé en des lieux différents, comme l’est l’ouïe, le nez ne remplirait pas son office, non plus que l’organe dans lequel il est posé ; car c’est pour la respiration que l’organe de l’odorat a été donné aux animaux qui ont des narines ; et cet organe a dû être placé au milieu et dans les parties antérieures. § 14[205]. La nature a donc réuni les narines au milieu des trois autres sens, comme si elle eût voulu établir une règle unique pour le mouvement que cause la respiration. Ces sens d’ailleurs sont aussi merveilleusement disposés dans les animaux autres que l’homme, selon la nature propre de chacun d’eux.

CHAPITRE XI

Des oreilles dans les quadrupèdes ; leur position apparente et réelle ; leur utilité.

§ 1[206]. Les quadrupèdes ont les oreilles toutes dressées, et, au-dessus des yeux, du moins à ce qu’il semble ; mais en réalité les oreilles ne sont pas plus hautes ; ce n’est qu’une apparence, venant de ce que les animaux ne sont pas droits et qu’ils baissent la tête. § 2[207]. Comme les animaux se meuvent le plus ordinairement dans cette position, les oreilles leur sont d’autant plus utiles qu’elles se dressent et peuvent se mouvoir ; car en se tournant en tous sens, elles recueillent bien mieux tous les bruits qui surviennent.

CHAPITRE XII

Les oiseaux n’ont pas d’oreilles et pourquoi ; les quadrupèdes ovipares et à écailles n’en ont pas non plus ; exception pour le phoque parmi les vivipares.

§ 1[208]. Les oiseaux n’ont pas d’oreilles ; ils n’en ont que les conduits, parce que leur peau est trop dure, et qu’au lieu des poils qu’ils n’ont pas, ils ont des plumes. Il n’y a pas là une matière que la nature aurait pu employer à faire des oreilles. Parmi les quadrupèdes, ceux qui sont ovipares, et qui ont des écailles, sont dans le même cas, et la raison est aussi la même pour eux. Cependant, parmi les vivipares, le phoque n’a pas d’oreilles, et il n’a non plus que les conduits auditifs ; ce qui tient à ce qu’il n’est qu’un quadrupède imparfait.

CHAPITRE XIII

De la vue et des appareils qui la protègent chez l’homme et certains animaux ; organisation de l’œil et de la pupille ; les paupières ; différences du jeu des paupières chez les différentes espèces d’animaux ; les oiseaux à vol pesant ont la vue peu longue ; vue excessivement perçante des oiseaux de proie ; élévation prodigieuse de leur vol ; yeux des poissons et des insectes ; dureté de leurs yeux ; mobilité des yeux dans les insectes ; les poissons et les insectes n’ont pas de paupières ; merveilleuse prévoyance de la nature, qui ne fait jamais rien en vain.

§ 1[209]. L’homme, les oiseaux, les quadrupèdes vivipares et ovipares, ont tous des appareils protecteurs pour la vue. Les vivipares ont deux paupières, qui leur servent à fermer les yeux. Les oiseaux à vol pesant et quelques autres, ainsi que les quadrupèdes ovipares, ferment les yeux par la paupière inférieure. Les oiseaux ordinaires clignent par des membranes qui viennent des coins de l’œil. Ce qui fait que les yeux ont besoin d’être protégés, c’est qu’ils sont liquides, et la nature les a faits ainsi pour que la vue soit perçante. § 2[210]. Si les yeux avaient eu une peau un peu dure, ils eussent été sans doute moins exposés au mal que peuvent leur faire en y tombant les objets extérieurs ; mais ils n’auraient pas constitué une bonne vue. C’est pour cela que la peau qui revêt la pupille est excessivement mince. Les paupières sont faites pour protéger et défendre les yeux ; et c’est pour cette raison que tous les animaux, et spécialement l’homme, peuvent les cligner. C’est pour repousser les objets qui pourraient tomber dans les yeux que tous les animaux peuvent les cligner. Ce mouvement ne dépend pas d’eux, et c’est la nature qui le fait ; mais si l’homme cligne les yeux plus souvent que tout autre animal, c’est qu’il a cette peau plus mince que ne l’ont tous les autres. § 3[211]. La paupière est entourée de peau ; et c’est ce qui fait que, ni la paupière, ni le prépuce, ne repoussent jamais, parce que ce sont de simples peaux sans chair. Tous les oiseaux qui ferment leurs yeux par la paupière inférieure et les quadrupèdes ovipares, ne les ferment de cette façon qu’à cause de la dureté de la peau qui environne leur tête. Chez les oiseaux à vol pesant, précisément parce qu’ils volent peu, la croissance des plumes tourne à épaissir et à durcir la peau ; et de là vient qu’ils ferment aussi les yeux par la paupière d’en bas. Les pigeons et les oiseaux de cette espèce ferment les yeux par les deux paupières à la fois.

§ 4[212]. On a vu que les quadrupèdes ovipares ont des écailles ; et ces écailles sont toujours plus dures que les poils, de sorte que leur peau est aussi plus dure que la peau ordinaire. La peau de leur tête est dure comme le reste ; et ce n’est pas de cette peau que peut être formée leur paupière. Au contraire, celle d’en bas est charnue, de façon que leur paupière est tout à la fois mince et extensible. Les oiseaux à vol pesant ferment les yeux, non pas avec la paupière, mais par une membrane. C’est que le mouvement de la paupière eût été trop lent et qu’il faut au contraire qu’il soit très-rapide ; or, c’est précisément ce que peut faire une membrane nictitante. § 5[213]. C’est à partir du coin de l’œil, qui est près du nez, qu’ils ferment leurs yeux, parce qu’il est mieux que cette organisation naturelle vienne en eux d’un seul et unique principe. Aussi a-t-elle pour point de départ l’excroissance qui est auprès du nez ; et ce qui est en avant et direct est plus principe que ce qui est oblique et de côté. § 6[214]. Les quadrupèdes ovipares ne ferment pas les yeux de la même manière, parce qu’il n’est pas nécessaire aux quadrupèdes d’avoir la pupille liquide, ni d’avoir une vue très-longue, attendu qu’ils vivent sur la terre. Mais pour les oiseaux, c’est absolument nécessaire, parce qu’ils ne peuvent employer leur vue que de très-loin. C’est là ce qui fait que les oiseaux armés de serres ont tous une vue excessivement longue. C’est de très-haut qu’ils peuvent apercevoir la proie qui est leur nourriture. Aussi sont-ils de tous les oiseaux ceux dont le vol s’élève de beaucoup le plus haut. Les oiseaux de terre qui volent mal, comme le coq et les espèces semblables, n’ont pas une bonne vue ; car ils n’en ont pas un besoin absolu pour rechercher leurs aliments.

§ 7[215]. Les poissons et les insectes et les animaux à peau dure ont des yeux fort différents ; mais aucune de ces espèces n’a de paupières. D’abord, ceux qui ont la peau des yeux dure n’en ont pas du tout. L’usage de la paupière exige un acte rapide, qui demande une peau pour pouvoir s’accomplir. Aussi, au lieu de cette protection qui leur manque, tous ont les yeux durs, comme s’ils voyaient au travers d’une paupière adventice. Mais comme, à cause de la dureté même de cette partie, ils ne peuvent nécessairement avoir qu’une vue obtuse, la nature a donné aux insectes des yeux mobiles, et surtout à ceux qui ont la peau des yeux dure, tout de même qu’elle a donné des oreilles à certains quadrupèdes. Ces insectes peuvent ainsi beaucoup mieux voir en tournant les yeux vers la lumière, et en recevant la clarté indispensable à la vision. § 8[216]. Les poissons ont des yeux liquides, attendu que, pour les animaux qui font beaucoup de mouvements, l’emploi de la vue est utile de loin. Les animaux de terre peuvent voir aisément au travers de l’air ; mais pour les poissons, l’eau s’oppose à ce qu’ils voient bien. Comme elle ne présente pas, ainsi que l’air, une foule d’objets qui peuvent gêner et offenser la vue, les poissons n’ont pas de paupières ; car la nature ne fait rien en vain ; et c’est à cause de l’épaisseur de l’eau que les poissons ont les yeux liquides.

CHAPITRE XIV

Des cils et de leur rôle ; l’autruche ; l’homme est le seul animal à avoir des cils aux deux paupières ; pas un quadrupède n’a de cils à la paupière inférieure ; de la queue des animaux ; leurs crinières ; longueur de la queue en raison inverse de celle des poils qui la garnissent ; intelligence de la nature ; la tête de l’homme est couverte de poils, et pourquoi ; l’auteur s’excuse de cette digression à propos des cils.

§ 1[217]. Tous les animaux qui ont des poils ont des cils aux paupières. Les oiseaux et les animaux à écailles n’en ont pas, parce qu’ils n’ont pas de poils non plus. Nous parlerons plus tard du moineau de Libye ; et nous expliquerons la cause de son organisation ; car cet oiseau a des cils. § 2[218]. Parmi les animaux qui ont des poils, l’homme est le seul à avoir des cils aux deux paupières. En général, les quadrupèdes n’ont pas de poils dans les parties inférieures qui forment le dessous du corps ; ils en ont bien plutôt dans les parties supérieures et le dessus. Les hommes, tout au contraire, en ont plus dans le dessous du corps que dans les parties supérieures. Les poils servent comme de rempart et de couverture aux animaux qui en sont pourvus ; et, dans les quadrupèdes, ce sont surtout les parties de dessus qui ont besoin d’être protégées et couvertes, plus que le dessous du corps. Les parties du devant sont les plus importantes ; et elles sont dégarnies en vue de la courbure et de la flexion. Mais dans l’homme, comme le devant du corps est en cela parfaitement semblable au derrière, à cause de sa station droite, la nature s’est surtout occupée de prêter secours aux plus nobles parties ; car toujours elle produit ce qu’il y a de mieux, avec les matériaux dont elle dispose. § 3[219]. Voilà comment pas un quadrupède n’a de cils à la paupière inférieure ; et si, chez quelques-uns, il y a sous cette paupière des poils peu nombreux et rares, il n’y en a jamais, ni sous les aisselles, ni au pubis, comme il y en a chez l’homme. A la place de ces derniers poils, quelques animaux sont velus sur le dessus du corps tout entier, comme les chiens ; les autres ont un toupet de crins, comme les chevaux et les animaux de cet ordre. D’autres enfin sont pourvus d’une crinière, comme le lion mâle. § 4[220]. Dans les espèces qui ont des queues de quelque longueur, la nature a orné ces queues de crins, qui sont longs quand la queue a peu de portée, comme dans les chevaux, et qui sont très-courts quand au contraire la portée est étendue, le tout s’accordant d’ailleurs avec le reste du corps. Car toujours la nature, lorsqu’elle veut favoriser un côté, prend une compensation sur l’autre côté. Là où elle a fait un corps très-velu, elle diminue l’ampleur de la queue, qui se réduit comme on le voit sur les ours.

§ 5[221]. L’homme est, de tous les animaux, celui dont la tête est la plus velue. C’était nécessaire par suite de l’humidité du crâne, et aussi à cause de ses sutures ; car là où il y a beaucoup de liquide et de chaleur, il faut nécessairement que là aussi il y ait beaucoup de végétation ; et les cheveux sont destinés à protéger et à conserver l’animal, en le couvrant et en le garantissant des excès du froid et de la chaleur. L’encéphale de l’homme, étant le plus gros, est aussi le plus humide de tous ; et il a par suite plus besoin de protection que tout le reste. Ce qui est le plus humide peut tout à la fois s’échauffer et se refroidir le plus ; ce qui est dans l’état contraire est bien moins susceptible d’être affecté.

§ 6[222]. Nous nous sommes laissé entraîner à cette digression sur un sujet qui fait suite à la question des paupières et des cils, parce que ces études se tiennent de fort près. Mais nous saurons nous rappeler, en temps convenable, ce qui peut encore nous rester à dire sur ces sujets.

CHAPITRE XV.

Des sourcils ; comparaison de leur destination avec celle des cils ; épaisseur des sourcils dans la vieillesse ; les sourcils sont des prolongements des os ; les cils sont au bout de petites veines ; usage principal des sourcils pour arrêter les gouttelettes de sueur qui descendent de la tête dans les yeux ; la nature les destine peut-être encore à quelque autre fonction.

§ 1[223]. Les sourcils, aussi bien que les cils, n’ont pour but que de protéger les yeux. Les sourcils les préservent contre les liquides qui y descendent, et leur font comme une toiture qui les défend contre les sueurs venant de la tête. Les cils sont faits pour écarter les objets qui peuvent tomber dans l’œil, comme les haies qu’on met parfois en avant des remparts.

§ 2[224]. Les sourcils se rapprochent de la composition des os ; et souvent dans la vieillesse, ils deviennent si épais qu’il faut absolument les couper. Les cils sont au contraire au bout de petites veines ; car là où la peau finit, là aussi les veinules terminent leur parcours. § 3[225]. Par conséquent, il était nécessaire d’arrêter les gouttelettes qui sortent de la tête et qui sont toutes matérielles, si aucun autre besoin ne vient à empêcher cette œuvre de la nature ; et ce motif suffisait pour que, dans cet endroit du corps, il dût se trouver nécessairement des poils destinés à cet usage.

CHAPITRE XVI

Du nez chez les animaux, du nez de l’éléphant ; son organisation toute particulière ; sa trompe lui sert de main ; c’est par elle qu’il respire quand il est dans l’eau ; des pieds de l’éléphant ; du nez chez les reptiles et les oiseaux ; de la respiration chez les poissons et les insectes ; des lèvres ; leur destination pour protéger les dents ; de l’organisation particulière des lèvres chez l’homme ; elles servent à deux fins, la conservation des dents, et la parole ; de la langue de l’homme, pouvant à la fois percevoir les saveurs et servir au langage ; partage des articulations du langage entre la langue et les lèvres ; mollesse des chairs de l’homme.

§ 1[226]. Dans la plupart des quadrupèdes vivipares, l’organe de l’odorat ne diffère en quelque sorte que très-peu des uns aux autres ; mais ceux qui ont des mâchoires allongées, et resserrées étroitement, ont aussi, dans ce qu’on appelle leur museau, la partie des narines organisée comme elle peut l’être d’après leur conformation. § 2[227]. Dans les autres animaux, cette partie est plus rapprochée du long des joues. Mais l’éléphant présente, entre tous les animaux, l’organisation la plus singulière de cette partie, qui a chez lui une longueur et une force étonnantes. C’est par son nez, dont il se sert comme d’une main, qu’il saisit sa nourriture et la porte à sa bouche, que cette nourriture soit ou sèche ou liquide ; c’est avec sa trompe qu’il entoure les arbres et qu’il les arrache, comme sa main, s’il en avait une, pourrait le faire. Par sa nature, il est tout à la fois un animal qui peut vivre dans les marécages et sur terre ; et par conséquent, comme il peut tirer sa nourriture de l’eau, il fallait qu’il pût y respirer, en tant qu’animal terrestre qui a du sang, et qu’il ne fût pas forcé de passer trop vite, par un brusque changement, du liquide au sec, comme le font quelques-uns des vivipares, qui ont du sang et qui respirent. § 3[228]. D’autre part, quoiqu’il soit d’une extrême grosseur, il n’était pas moins nécessaire qu’il pût vivre dans l’eau aussi bien que sur terre. De même que les plongeurs savent parfois se faire des instruments pour respirer et pouvoir rester longtemps au fond de la mer, et tirer par ce moyen l’air qui est en dehors de l’eau, de même la nature a donné une aussi grande dimension au nez de l’éléphant pour qu’il en fît un usage analogue. Quand les éléphants ont à faire route dans l’eau, ils élèvent leur nez au-dessus de l’eau, et ils respirent ainsi ; car la trompe des éléphants, avons-nous dit, est leur nez. § 4[229]. Or, il était bien impossible qu’un nez de cette forme ne fût pas mou et qu’il ne pût pas être flexible. Sa longueur aurait empêché que l’animal pût prendre sa nourriture qui est au dehors, comme on dit que les cornes gênent certains bœufs qui sont obligés de paître à reculons, et qui, à ce qu’on assure, ne peuvent manger qu’en reculant pas à pas. § 5[230]. La trompe de l’éléphant étant ce qu’elle est, la nature, selon son habitude, emploie ici les mêmes organes à plusieurs fonctions, et la trompe supplée au service des pieds de devant. Les quadrupèdes polydactyles ont les pieds de devant à la place des mains, et ils ne les ont pas seulement pour supporter le poids de leur corps. Les éléphants sont polydactyles et n’ont, ni pieds fendus en deux, ni pieds à sole unique. Mais comme l’animal est très-grand et que le poids de son corps est énorme, les pieds ne sont faits absolument que pour le soutenir ; ils ne pourraient servir à quoique ce soit, si ce n’est à cela, à cause de la lenteur de leur marche, et à cause de leur inaptitude naturelle à fléchir.

§ 6[231]. L’éléphant a donc un nez pour respirer, comme doivent le faire tous les animaux qui ont un poumon. Mais comme il doit vivre dans l’eau et que le mouvement est très-lent pour lui dans le liquide, sa trompe peut se replier et elle est fort longue. L’usage des pieds lui ayant été refusé, la nature emploie, en compensation, cet organe pour suppléer au secours que les pieds auraient pu donner.

§ 7[232]. Au contraire, les oiseaux, les serpents et tous les quadrupèdes ovipares qui ont du sang ont les conduits du nez en devant de la bouche ; et ce sont des narines uniquement, peut-on dire, à cause de leurs fonctions ; mais ce ne sont pas des narines visiblement articulées ; et c’est à peine si, en parlant des oiseaux, on peut dire qu’ils ont des nez. Cela vient de ce qu’au lieu de mâchoires, ils ont ce qu’on appelle leur bec. § 8[233]. C’est la nature de l’oiseau, faite comme elle l’est, qui est cause de ces différences. Ayant deux pieds et des ailes, il fallait nécessairement que le poids du cou fût très-faible, ainsi que celui de la tête, et que la poitrine fut étroite. Aussi, les oiseaux ont-ils un bec osseux pour pouvoir s’en servir à se défendre et à prendre leur nourriture, et étroit, à cause de la petitesse de leur tête. D’ailleurs, ils ont les conduits de l’odorat dans le bec ; mais il était bien impossible qu’ils eussent un nez.

§ 9[234]. Quant aux autres animaux qui ne respirent pas, nous avons expliqué plus haut pourquoi ils n’ont pas de narines, et comment ils sentent les odeurs les uns par des branchies, les autres par un évent, les insectes, par le corselet ; et comment tous se meuvent en quelque sorte par le souffle que reçoit leur corps dès leur naissance, souffle qui se trouve dans tous les animaux, sans qu’ils aient à l’emprunter au dehors pour le faire entrer en eux.

§ 10[235]. Au-dessous des narines, se trouvent naturellement les lèvres chez tous les animaux qui ont du sang et des dents. Dans les oiseaux, comme nous venons de le dire, le bec est osseux, en vue de la nourriture et de la défense. Le bec peut se réunir en une seule pièce et tenir lieu de dents et de lèvres, comme si sur l’homme on enlevait les lèvres, qu’on joignît en une masse séparée les dents d’en haut, et qu’on avançât celles d’en bas, en donnant à chaque côté un prolongement qui irait en se rétrécissant. Cette transformation constituerait un bec dans le genre de celui des oiseaux. § 11[236]. Chez tous les autres animaux, les lèvres sont faites à la fois pour protéger les dents et pour les conserver. Voilà pourquoi autant les dents sont régulières et belles, ou sont le contraire, autant cette partie chez ceux qui en sont pourvus est bien articulée. Mais l’homme a des lèvres molles et charnues, qui peuvent s’ouvrir et se séparer, destinées à la fois à préserver les dents, comme chez le reste des animaux, et faites bien plus encore dans une vue de bien et de perfection ; ainsi, les lèvres de l’homme peuvent en outre servir à la parole.

§ 12[237]. De même que la nature a donné à l’homme une langue qui ne ressemble pas à celle des autres animaux et qu’elle a destine cette langue à deux usages, comme elle le fait d’ailleurs dans une foule de cas ainsi que nous l’avons dit, de même elle a fait notre langue à la fois pour percevoir les saveurs et pour parler, et les lèvres, pour parler et pour préserver les dents. § 13[238]. Le langage que forme notre voix se compose de lettres ; si la langue n’était pas ce qu’elle est, et si les lèvres n’étaient pas humides, nous ne saurions prononcer la plupart des lettres, parce que les lettres ne sont que des percussions de la langue, ou des contractions des lèvres. Mais c’est aux maîtres de métrique de nous apprendre toutes les différences que ces organes présentent, la qualité, le nombre et la nature de ces diversités. § 14[239]. Par suite, il était nécessaire que chacune de ces deux parties fussent convenablement disposées en vue de l’usage qu’on vient de dire, étant propres à leurs fonctions et ayant la nature que nous leur voyons. De là vient qu’elles sont charnues ; car la chair de l’homme est la plus molle de toutes ; et c’est cette organisation qui fait de lui le plus sensible de tous les animaux, en ce qui concerne le sens du toucher.

CHAPITRE XVII

De la langue ; sa position chez la plupart des animaux ; la langue de l’homme ; son double usage ; son organisation ; bégaiement et bredouillement ; de la langue des oiseaux et des quadrupèdes ; les petits oiseaux sont ceux dont la voix est la plus variée ; les oiseaux communiquent entre eux ; citation de l’Histoire des Animaux ; langue des ovipares ; langue bifurquée des serpents et des lézards ; et pourquoi ; de la bouche et de la langue des poissons ; de la langue des crocodiles ; elle est soudée à la mâchoire inférieure, qui, chez eux par exception, est immobile ; pourquoi la langue est à peine sensible chez les poissons ; désir général de la nourriture dans les animaux ; de la bouche des mollusques, des crustacés, des testacés, des insectes ; de la trompe des mouches et leur dard. — Résumé.

§ 1[240]. La langue des animaux est placée dans leur bouche sous le palais ; dans presque tous les animaux qui vivent sur la terre, la disposition de la langue est la même ; mais chez quelques-uns cette disposition est différente, soit entre les individus dans une même espèce, soit entre d’autres espèces. C’est l’homme qui a la langue la plus mobile et la plus molle. § 2[241]. Elle est aussi la plus large pour pouvoir servir à ses deux fonctions. D’abord, elle doit percevoir les saveurs, puisque l’homme est de tous les êtres celui qui les perçoit le mieux ; et que, si sa langue est molle, c’est pour qu’elle puisse le mieux possible toucher les choses, le goût n’étant qu’une sorte de toucher. En second lieu, la langue doit servir à l’articulation des lettres ; et il fallait pour le langage qu’elle fût molle et large. § 3[242]. C’est surtout en étant telle qu’elle est et en étant mobile, qu’elle pouvait le mieux émettre des sons de tout genre et les combiner de toute manière. On le voit bien clairement chez les personnes qui n’ont pas la langue assez détachée ni assez libre ; elles bégaient et elles bredouillent, parce qu’il leur manque de pouvoir, former certaines lettres. En même temps que la langue est large, elle peut aussi se rétrécir ; car le petit peut se trouver dans le grand, tandis que le grand ne peut pas se trouver dans le petit. § 4[243]. C’est là ce qui fait que, parmi les oiseaux, ceux qui peuvent le mieux prononcer certaines lettres sont aussi ceux qui ont la langue la plus large. Les quadrupèdes qui ont du sang et qui sont vivipares n’ont qu’une articulation très-peu étendue de la voix, parce que leur langue est dure, peu détachée et épaisse. Quelques oiseaux ont une forte voix, et ceux qui ont des serres ont en général une langue plus large. § 5[244]. Les oiseaux les plus petits ont aussi le plus de chant. Tous les oiseaux se servent de la voix qu’ils ont pour se faire comprendre les uns des autres ; mais il y en a qui sont mieux doués que d’autres sous ce rapport. Il y a même des espèces où il semble qu’ils s’instruisent mutuellement entre eux. Du reste, on a traité ce sujet dans l’Histoire des Animaux.

§ 6[245]. Dans la plupart des animaux terrestres, qui sont ovipares et qui ont du sang, la langue est absolument inutile pour la fonction de la voix ; chez eux, elle est liée et dure. Quant à la perception du goût et des saveurs, les serpents et les lézards ont une langue longue et partagée en deux. Les serpents l’ont tellement longue qu’ils peuvent l’étendre peu à peu fort loin. Ils l’ont double, et le bout en est mince comme un cheveu, parce que, de leur nature, ils sont très-friands, et ils ont le plaisir de goûter deux fois les saveurs, comme ayant un double sens du goût. § 7[246]. Les animaux qui sont privés de sang, aussi bien que tous ceux qui en ont, sont pourvus de l’organe des saveurs ; car ceux même qui passent vulgairement pour ne pas l’avoir, par exemple quelques poissons, l’ont cependant dans une certaine mesure incomplète, à peu près comme l’ont aussi les crocodiles de rivières.

§ 8[247]. Ce qui fait croire que la plupart des poissons ne possèdent pas ce sens spécial, c’est une très-bonne raison ; car dans tous ces animaux, l’endroit de la bouche a quelque chose de la nature de l’arête ; et comme les animaux aquatiques ne peuvent jamais percevoir les saveurs que très-peu d’instants, il en résulte que, de même que chez eux l’usage de ce sens est très-rapide et très-court, de même la conformation de la langue est tout aussi écourtée. Le passage des aliments à l’estomac est d’une extrême rapidité, et il leur est impossible de rester longtemps à déguster les saveurs, parce que l’eau leur entrerait dans la bouche. C’est si vrai qu’à moins de tenir leur bouche très-inclinée, on ne croirait pas même que cette partie est distincte et détachée, tant cette région ressemble à la nature de l’arête ; en effet, elle est formée de la superposition des branchies, qui sont tout à fait de la consistance que les arêtes peuvent avoir.

§ 9[248]. Ce qui contribue à rendre chez les crocodiles cette partie plus imparfaite encore, c’est l’immobilité de leur mâchoire inférieure. Leur langue est attachée à la mâchoire d’en bas, avec laquelle elle se confond ; et c’est en haut qu’ils ont la mâchoire d’en bas ; ce qui est un complet renversement, puisque, chez tous les autres animaux, c’est la mâchoire supérieure qui est immobile. Ils n’ont pas cependant une langue qui touche à la mâchoire supérieure, parce qu’alors elle aurait contrarié l’introduction des aliments. Mais leur langue est attachée à la mâchoire d’en bas, puisque celle d’en haut est, en quelque sorte, hors de place. § 10[249]. Il faut ajouter que le crocodile, tout en étant un animal terrestre, vit cependant de la vie des poissons ; et c’est à cause de cela que, dans son organisation, il fallait qu’il eût cet organe sans aucune articulation.

§ 11[250]. Beaucoup de poissons ont le palais charnu ; et, dans les rivières, quelques espèces l’ont excessivement chargé de chair et mou, comme les poissons qu’on appelle les carpes. C’est à ce point que, si l’on n’y regarde pas de très-près, il semble qu’ils ont là une langue. Mais, par la raison qu’on vient de dire, si les poissons ont une langue, l’articulation de cette langue n’est pas très-distincte. Comme le sens des saveurs ne s’exerce qu’en vue de la nourriture qu’elles renferment, cette partie doit avoir l’apparence d’une langue, non pas cependant dans toute son étendue, mais principalement à son extrémité. C’est là comment, chez les poissons, il n’y a que cette partie extrême qui soit bien déterminée.

§ 12[251]. Tous les animaux sans exception ont le désir et l’appétit de la nourriture, parce qu’ils sentent tous le plaisir qu’elle cause, le désir s’attachant toujours à ce qui peut plaire. Mais l’organe par lequel ils perçoivent la sensation de la nourriture est loin d’être le même dans tous ; dans les uns, cet organe est détaché et libre ; dans les autres, il est soudé ; et ce sont les animaux où la voix n’a rien à faire. Chez ceux-ci, il est dur ; chez ceux-là, il est mou et charnu. Aussi, dans les crustacés, tels que les crabes et les animaux de cet ordre, et chez les mollusques, comme les seiches et les polypes, cette partie est-elle à l’intérieur de la bouche. Dans quelques insectes, cette partie est également au dedans, comme dans les fourmis, et, en outre, dans beaucoup de testacés. D’autres l’ont en dehors comme une espèce de dard ; et alors la nature en est spongieuse et creuse ; et c’est par là que, tout à la fois, ces animaux goûtent et attirent leur nourriture. § 13[252]. C’est ce qu’on peut bien voir sur les mouches, les abeilles et tous les insectes analogues, et aussi chez quelques crustacés. Dans les pourpres, cette partie a une telle force qu’ils traversent et percent de part en part la coquille de certains testacés, tels que les escargots, avec lesquels les pêcheurs les amorcent. Les taons et les grosses mouches percent tantôt la peau de l’homme, et tantôt la peau d’autres animaux. Dans toutes ces petites bêtes, la nature de leur langue en fait comme un équivalent de la trompe de l’éléphant. Dans l’éléphant, la trompe est une utilité et une défense pour l’animal ; et dans les insectes, la langue tient la place d’un aiguillon.

§ 14[253]. La langue est donc organisée chez tous les animaux, comme nous venons de le dire.


FIN DU TOME PREMIER
  1. Toute étude….. toute exposition méthodique… La règle que donne ici Aristote est tout à fait générale ; elle s’applique à tout ouvrage d’esprit, quel qu’il soit ; et elle est aussi pratique aujourd’hui qu’elle pouvait l’être chez les Grecs. Il est toujours possible de juger la forme indépendamment du fond ; et l’on peut très-bien ne rien savoir en histoire naturelle et apprécier cependant à coup sûr la valeur d’un ouvrage de zoologie, si l’on se borne à rechercher s’il est bien ou mal composé. Il suffit alors, comme le dit Aristote, d’avoir reçu une bonne éducation, qui vous a inculqué les règles essentielles de la logique et du goût.— Deux faces différentes. C’est le fond et la forme ; cette dernière est justiciable de tout esprit éclairé ; l’autre, c’est-à-dire le fond, ne l’est que des juges compétents et des savants spéciaux. — La science même de la chose. C’est le fond. — D’instruction générale. J’ai ajouté ce dernier mot pour rendre toute la force du mot grec, qui se rapporte plus particulièrement à l’instruction donnée à la jeunesse.
  2. Quant à la forme. Cette idée est implicitement comprise dans l’expression dont se sert le texte ; il m’a semblé indispensable de la préciser. — C’est même à ce signe. Aujourd’hui encore, nous n’avons pas imaginé de meilleur critérium pour juger si quelqu’un est instruit, on s’il ne l’est pas. — Numériquement parlant. C’est la traduction exacte du texte ; mais l’expression peut paraître un peu singulière ; il n’était pas besoin de la préciser autant. — Avoir aussi l’instruction dont on vient de parler. Cette pensée est juste ; mais elle n’est peut-être pas dans le texte aussi nette que j’ai dû la faire dans ma traduction.
  3. Si c’est bien la vérité. C’est la question de fond, à côté de la question de forme. — De telle façon ou de telle autre, l’expression peut paraître un peu De telle façon ou de telle autre. Ceci est spécialement le devoir du naturaliste. — Par exemple. En effet la question posée ici par Aristote est fort claire et peut servir d’exemple. — Chaque être substantiel. Le texte dit : « Chaque substance ». — Absolument qu’en lui-même. Sans tenir compte de ce que cet être peut avoir de commun avec les êtres dont l’organisation est semblable à la sienne, ou du moins est très-voisine de la sienne. — En une exposition commune. C’est à cette méthode que se sont arrêtés tous les grands naturalistes, Cuvier tout le premier, comme on peut le voir dans son Anatomie comparée. Il se décide pour l’exposition générale et commune des organes et de leurs fonctions, étudiant successivement les organes du mouvement, os et muscles, les nerfs, les sens, la digestion, la circulation, la respiration, la voix, et enfin la génération. On peut dire, sans rien exagérer, que l’ordre suivi par Cuvier et par tant d’autres est l’ordre même que traçait Aristote deux mille deux cents ans avant lui. Cuvier n’a pas consulté le naturaliste grec sans doute ; mais en face de la réalité, il a résolu le problème agrandi, comme Aristote le résolvait dans des limites plus étroites.
  4. . Beaucoup de fonctions. C’est là un fait de toute évidence ; les fonctions qu’Aristote énumère sont en effet communes à tous les animaux. — Une foule d’autres fonctions. L’étude de ces autres fonctions remplira les trois livres suivants du Traité des Parties ; Aristote a même consacré à quelques-unes d’entre elles des ouvrages spéciaux ; voir les Parva naturalia, Opuscules psychologiques, dans ma traduction, où se trouvent les traités du Mouvement dans les Animaux, de la Veille et du Sommeil, de la Vieillesse et de la Mort, de la Respiration, etc., etc. — Omettre pour le moment. Comme étrangers au présent traité, mais auxquels Aristote a pris soin de revenir plus tard. — D’une façon obscure et indécise. Nouvelle preuve, après tant d’autres, de l’excellente méthode qu’Aristote s’était tracée, et qu’il a toujours rigoureusement suivie.
  5. . Répéter à tout moment les mêmes choses. Ce serait en réalité un inconvénient insupportable, et la science proprement dite ne serait pas possible, parce que la science ne se constitue que par la généralité de ses observations. Voir le début de la Métaphysique, sur les conditions de la science et de l’art. Voir aussi Cuvier, Ire Leçon d’Anatomie comparée, page 10, édit. de l’an VIII ; et l’Introduction au Règne animal, pages 17 et 47, édit. de 1829. — Entre elles. Le texte n’est pas tout à fait aussi précis.
  6. La locomotion. Toute la première partie de l’Anatomie comparée de Cuvier est consacrée à l’étude du mouvement et des organes par lesquels le mouvement se produit dans toute la série animale. — Entre le vol. Ce sont les oiseaux. — La natation. Ce sont les poissons. — La marche. Ce sont les quadrupèdes. — La reptation. Ce sont les reptiles. Mais d’une manière générale ce n’est que la fonction du mouvement, variant selon les milieux et les organisations. Voir Cuvier, Anatomie comparée, vue leçon.
  7. Étudier par genre les fonctions communes. C’est la méthode qu’Aristote adopte ; et c’est aussi celle de Cuvier, qui, après avoir décrit la fonction générale, la considère ensuite dans l’homme, dans les mammifères, dans les oiseaux, dans les reptiles, dans les poissons, mollusques, crustacés, insectes, zoophytes, etc., etc. — Chaque animal considéré isolément. Voir plus haut, § 5, où cette méthode est déjà repoussée. Un point qui n’est pas encore fixé. Au § 5, ce point de théorie paraît entièrement décidé. — Que cet autre point… Le texte n’est pas aussi précis ; mais le sens n’est pas douteux. — Dans leurs démonstrations d’astronomie. Au temps d’Aristote, l’astronomie avait déjà fait de grands progrès ; et le XIIe livre de la Métaphysique, chap. VIII, §§ 10 et 12, de ma traduction, suffirait seul à le prouver. Quant à la méthode des mathématiciens, dont Aristote paraît faire si grand cas, on doit s’en rapporter à lui, excellent juge en ces matières. Il paraît d’ailleurs que la méthode vantée ici par lui n’est au fond que la sienne ; et c’est la vraie : Observer d’abord les faits le plus complètement possible, et fonder la théorie sur l’observation. — Constater d’abord tous les faits. Aristote n’a jamais fait autre chose ; et les Modernes, qui ont cru découvrir la méthode d’observation, se sont trompés. Elle avait été comprise et pratiquée admirablement deux mille ans avant Bâcon, son inventeur soi-disant. — Expliquer ensuite le pourquoi et les causes. La science qui ne va pas jusque-là manque son véritable but, qui est de comprendre les choses ; elle se réduit alors à n’être qu’un savant recueil de faits curieux ou de faits matériellement utiles ; elle n’est plus qu’une recherche industrielle ou puérile. Aujourd’hui, il est de mode de proscrire les causes finales ; on reviendra de cette profonde erreur, que les grands esprits de notre temps n’ont pas partagée. Cuvier a cru toujours aux causes finales aussi fermement qu’Aristote lui-même ; il n’est pas une page de son Anatomie comparée, où il ne revienne à ce grand et infaillible principe : « La Nature ne fait rien en vain ». Voir aussi l’ouvrage de M. Paul Janet, sur les Causes finales.
  8. Bien des causes. Il y a selon Aristote quatre causes, bien qu’ici il n’en énumère que deux ; voir la Métaphysique, livre I, ch. VII, § 67, de ma traduction. — Faut-il s’occuper aussi de ces causes. Aristote répond affirmativement à cette question. — La première de toutes les causes… la cause finale. Ceci ne fait pas de doute, puisque la fin des choses est ce pour quoi tout le reste est fait. — La raison est un principe. Cette proposition est aussi évidente que l’autre. — Des productions de l’art… celles de la nature. Le rapprochement est fort juste ; et dans l’art, qui est l’œuvre de l’homme, c’est à la cause finale que tout le reste est subordonné, aussi bien que dans les œuvres de la nature. — La réflexion… la simple observation sensible. C’est toujours l’opposition de la théorie et de la réalité matérielle. — Le médecin….. l’architecte. Ce sont des exemples fort clairs, auxquels Aristote se plaît à revenir souvent.
  9. Se manifeste….. bien plus encore. La remarque est profonde, et il y a ici toute la différence entre les ouvriers : d’une part, l’homme ; et d’autre part, le fini et l’infini. — La nécessité ne s’applique pas… le mot de Nécessaire. Voir, dans la Métaphysique surtout, la distinction qu’Aristote fait toujours des deux nuances du Nécessaire : le Nécessaire absolu et le Nécessaire hypothétique, Métaphysique, liv. V, ch. V, p. 108, de ma traduction. — Résultant d’une hypothèse. Une fin étant posée, il est nécessaire de remplir certaines conditions pour l’atteindre. Pour arriver à construire une maison, il est nécessaire d’avoir des matériaux d’une certaine espèce ; sans quoi, la maison ne peut se réaliser ; mais si les matériaux sont nécessaires pour construire la maison, on ne peut pas dire que la maison elle-même soit nécessaire.
  10. La fin qu’on poursuit… le résultat. Il n’y a rien d’absolument nécessaire dans l’un ni dans l’autre ; mais les moyens à employer sont nécessaires pour atteindre le but qu’on se propose.
  11. Pour les phénomènes naturels. Pour les faits de la nature, il y a également une nécessité hypothétique, c’est-à-dire que, la nature se proposant une certaine fin, il faut qu’elle emploie nécessairement certains organes et certains procédés, pour l’atteindre ; c’est ce que Cuvier a si bien appelé les Conditions d’existence ; voir ma Préface à l’Histoire des Animaux, tome I, p. CXXIV. — Dans d’autres ouvrages. C’est sans doute la Métaphysique que l’auteur veut désigner, loc. cit., et aussi la Physique, liv. II, ch. VIII, p. 58 de ma traduction. Mais l’indication est bien vague, et on aurait pu préciser davantage. — Ce qui est. En d’autres termes, l’observation de la réalité. Dans l’art, au contraire, l’homme est le créateur secondaire, et il lui est donné de produire quelque chose en sous-ordre. — Il ne s’ensuit pas… La pensée n’est pas aussi nette qu’on pourrait le désirer.
  12. De rattacher à l’éternel. Ici encore la pensée n’est pas assez développée ; il est vrai que l’auteur renvoie à d’autres ouvrages, où elle l’était peut-être davantage ; voir plus haut § 9. Les choses éternelles sont nécessaires aussi d’une manière absolue, tandis que, dans les choses périssables, la nécessité n’est qu’hypothétique. — Ailleurs. Voir le § précédent. — Nous y avons indiqué… Ceci peut se rapporter a la Métaphysique, et a la Physique également ; mais c’est surtout à ce dernier ouvrage, liv. II, ch. IX, p. 61 et suiv. de ma traduction.
  13. Les philosophes antérieurs. C’est donc une réforme qu’Aristote veut recommander ; et en histoire naturelle, il a tenu le plus grand compte des opinions de ses devanciers, aussi bien que dans tout le reste. — Au début… maintenant. Le texte n’est pas tout à fait aussi précis ; mais le sens des mots que j’ai ajoutés est impliqué dans l’expression grecque. Comment elles sont. Ce sont là des faits qu’on peut observer, tandis que l’origine des choses, accessible à notre raison en une certaine mesure, échappe absolument à notre observation, puisqu’elle est à jamais disparue. — Ces méthodes ne diffèrent pas médiocrement. Il y a entre elles toute la distance de la théorie à la réalité, de l’esprit de l’homme à l’œuvre actuelle de la nature. — Ainsi que nous l’avons déjà dit. Voir plus haut § 7, où cette pensée est déjà exprimée, et dans une foule de passages d’autres traités d’Aristote. — D’abord recueillir les faits. Il est impossible de s’exprimer plus nettement sur ce point capital ; et aujourd’hui nous ne saurions dire mieux. — En dire les causes. Ou en d’autres termes : En faire la théorie et en donner l’explication.
  14. Dans la construction d’une maison. Voir plus haut, § 10. — La production des choses. L’exemple de la maison est de la dernière évidence. L’idée de la maison, conçue par l’esprit de l’architecte, ne peut être réalisée qu’à certaines conditions, qui sont dès lors nécessaires. — De ce que ces choses sont essentiellement. Au fond, cette théorie se rapproche beaucoup de la théorie des Idées platoniciennes. — Leur essence ne dépend pas du tout de leur production. L’idée de la maison n’en subsiste pas moins, que la maison soit faite, ou qu’elle ne soit pas faite réellement.
  15. Empédocle. Ce passage est le seul où Aristote parle de cette opinion d’Empédocle sur la formation des vertèbres. Il faisait d’ailleurs assez grand cas du philosophe sicilien, comme on peut le voir dans la Physique, liv. II, ch. VIII, pages 52 et suiv. de ma traduction, et dans la Métaphysique, liv. I, ch. VII, et suiv. Plus loin, Empédocle est encore cité deux fois dans le premier livre du Traité des Parties, et dans le premier chapitre § 36, et liv. II, ch. II, § 8. Empédocle est très fréquemment nommé dans le Traité de la Génération, notamment dans le second et le quatrième livres. — Dès leur origine. Cette théorie générale d’Empédocle est rappelée et critiquée dans la Physique, liv. I, ch. V, § 8, et liv. II, ch. VIII, § 3. — Parce qu’en se tournant sur elle-même. On pourrait comprendre encore que c’est l’animal qui aurait tourné sur lui-même, et non la colonne vertébrale, ou râchis. — Oublié et méconnu. Il n’y a qu’un mot dans le texte. — Avec une puissance relative à son objet. C’est là encore l’objection qu’on pourrait faire de nos jours aux partisans de l’évolutionnisme, et de la cellule ou Monère. Voir la Préface à l’Histoire des Animaux, p. CXXX. — Dans le temps. C’est-à-dire substantiellement et matériellement. — C’est l’homme qui engendre l’homme. Formule fréquemment employée par Aristote, pour affirmer que l’être complet existe avant le germe qu’il produit, et qui doit donner plus tard un être semblable et aussi développé. Voir l’Histoire des Animaux, liv. V, ch. XII, § 16.
  16. D’une façon toute spontanée… les productions de l’art. Voir, sur cette opposition, la Physique, liv. II, ch. VIII, pages 52 et suiv. de ma traduction. La pensée de l’auteur n’est pas d’ailleurs très-claire ; elle n’est pas assez développée. La comparaison entre les produits de l’art, et les accidents même heureux que le hasard peut amener, ne semble pas très-juste. — Un producteur semblable à l’être produit. C’est là un principe que la zoologie moderne admet généralement, aussi bien que l’admettait Aristote ; la vie, dans l’état actuel des choses, vient toujours de la vie ; c’est un être vivant qui la transmet à un autre. Voir la Préface à l’Histoire des Animaux, page CIV. Voir aussi Cuvier, Anatomie comparée, première leçon, page 6, édit. de l’an VIII, et Règne animal, tome I, page 15, deuxième édit. — Comme dans la sculpture. Où l’artiste précède nécessairement l’œuvre qu’il produit. — De même pour les choses que le hasard produit. Ceci ne se comprend pas, et il semble qu’il y a là quelque contradiction avec ce qui précède, à moins que l’on ne suppose, sous le hasard apparent, l’action cachée, mais toujours intelligente, de la nature.
  17. L’essence de l’homme. Il y a encore dans cette théorie aristotélique quelque chose de la théorie Platonicienne des Idées. — Sans ces organes et ces conditions. Il n’y a qu’un seul mot dans le texte. On peut comparer, à ces considérations d’Aristote, celles de Cuvier saur le principe des conditions d’existence ; voir le Règne animal, t. I, p. 5, 20 édit. Voir la Préface à l’Histoire des Animaux, p. CXXIV. — Ait lieu de telle… Voir un peu plus haut la fin du § 15. — La première de toutes. Selon Aristote, c’est le cœur, qui est le premier de tous les organes à se montrer, et l’embryologie contemporaine est, à cet égard, d’accord avec lui.
  18. . Les anciens philosophes… au principe de la matière. La même critique se retrouve avec beaucoup plus de développements dans la Métaphysique, liv. I, ch. VII, p. 70 et suiv. de ma traduction. — La Discorde… l’Amour. C’est Empédocle. — L’intelligence. C’est Anaxagore. — Le Hasard. C’est peut-être Démocrite. Voir la Métaphysique, liv. I, ch. IV, p. 37 et suiv. de ma traduction.
  19. . Ces philosophes. Il est regrettable que ces philosophes ne soient pas ici désignés plus précisément. — Le monde lui-même. Dans cette théorie, la matière des êtres animés est la même que celle de l’univers. C’est la combinaison des quatre éléments qui forme tout ce qui est. — La production des animaux et des plantes. La chimie contemporaine retrouve à peu près les mêmes éléments, ou plutôt les mêmes corps simples, dans l’organisation des animaux et des plantes. Il n’y a que les rapports qui varient entre le carbone, l’hydrogène, l’oxygène et l’azote et quelques autres corps simples analogues. — L’eau, venant à couler. Ces théories nous semblent sans doute bien grossières ; mais une partie de la science de nos jours y revient ; et elle s’efforce de prouver que la vie est née du concours fortuit de molécules chimiques, agissant mécaniquement les unes sur les autres. — L’air et l’eau… Ce sont les deux systèmes de Diogène d’Apollonie, d’Anaximène, et de Thalès ; voir la Métaphysique, liv. I, ch. III, §§ 14 et 17 de ma traduction.
  20. Les parties similaires. Voir sur cette expression l’Histoire des Animaux, liv. I, ch. I, § 1. — Qui ne sont pas similaires. Id., ibid. — De quels éléments. Purement matériels ; s’en tenir à cette combinaison des éléments, ce serait ne rien expliquer, pas plus que de nos jours on n’expliquerait ce que sont les animaux, chacun en particulier, si l’on se bornait à énumérer les éléments chimiques dont ils sont composés. — De feu ou de terre. L’analyse nécessairement imparfaite des Anciens n’allait pas plus loin que ces distinctions superficielles. — L’idée et la forme. Il n’y a qu’un seul mot dans le texte ; mais il a les deux sens. — Bien plutôt que la matière. La pensée est fort juste ; et la manière dont elle est exprimée est d’une clarté parfaite. — Du tout et de l’ensemble. Il n’y a encore ici qu’un seul mot dans le grec. On pourrait définir le lit en joignant à l’indication de son idée celle de la matière dont il est fait ; mais cette seconde indication n’est pas du tout nécessaire ; car le lit est toujours un lit, qu’il soit en bois, en airain, ou même en pierre. — Le lit est essentiellement. C’est à cela que doit se borner en effet la définition du lit lui-même. — Dans telle chose. Ou peut-être aussi : « Dans telle matière ». — Sa forme… la figure idéale. J’ai dû ajouter cet adjectif pour rendre toute la force du texte. Cuvier, Règne animal, t. I, p. 11, éd. de 1829, établit aussi que dans le corps vivant la forme est plus essentielle que la matière. Voir plus loin, § 37.
  21. La nature résultant de la forme. J’ai conservé la tournure même du texte, qui est très-claire et qui a l’avantage d’être concise. La forme se confond ici avec la figure idéale, en d’autres termes, avec l’idée essentielle que la définition essaie de réaliser dans ses formules. — La nature matérielle. A laquelle seule s’étaient arrêtés presque tous les philosophes antérieurs. — Il semble que voici sa doctrine. Il faut remarquer cette réserve et cette hésitation d’Aristote ; il n’est pas très-sûr que ce soit bien là l’opinion de Démocrite ; il l’induit sans doute de quelques théories peu précises. — Dit-il… on peut répondre. Le texte n’est pas aussi net ; mais le sens ne peut être douteux.
  22. On peut répondre encore. Même remarque. — Une main soit réellement une main. Exemple dont Aristote se sert très-souvent, et qu’il paraît affectionner. Cet exemple est d’ailleurs décisif. Il n’y a là qu’une homonymie. Voir le début des Catégories, ch. II, § 1. — Une des parties du cadavre. Voir plus haut, § 21, où ce qui est dit de l’animal entier doit s’appliquer également à chacune de ses parties. On peut voir dans Cuvier, première leçon de son Anatomie comparée, des idées analogues à celles-ci, exprimées dans un langage admirable, pour faire comprendre et définir ce que c’est que la vie. Quelques physiologistes ont cru devoir critiquer, mais bien à tort, ce morceau digne de tout éloge.
  23. Par trop simple.. Il y a dans le mot du texte comme une nuance de dédain, que j’ai conservée sans vouloir l’accentuer davantage. Ceci est tout à fait conforme à ce que l’auteur a dit de la philosophie antérieure à Anaxagore, quand il en trace l’histoire dans les premiers chapitres de la Métaphysique. — Pour son travail. Le texte n’est pas aussi explicite. On pourrait le comprendre encore en ce sens que l’ouvrier ferait une main de bois, et nous en parlerait comme d’une main véritable. Les deux sens sont également acceptables. Le texte dit simplement : « Comme l’ouvrier parlerait d’une main en bois ». — Il est bien vrai. Le texte est moins précis. — Le philosophe. Le texte n’a qu’un simple article ; il est probable que ceci s’adresse à Démocrite. — Quel a été son but. De même qu’en étudiant la nature, le philosophe doit arriver, non sans peine, à comprendre quel a été son but dans tout ce qu’elle fait.
  24. Nos philosophes. Le texte n’a qu’une expression tout à fait vague. — De tel animal… chacune de ses parties. Voir plus haut, § 21 et 22. La même méthode s’applique au corps entier de l’animal d’abord, et ensuite à chacune de ses parties, les unes après les autres.
  25. Si donc c’est l’âme. Ici le mot d’âme doit être compris dans le sens de principe vital, de vie, comme il l’est dans le Traité de l’Arne, qu’Aristote a spécialement consacré à cette grande question. Voir le début de l’Anatomie comparée de Cuvier, sur l’idée qu’il faut se faire de la vie, et sur les conditions nombreuses qui la rendent possible et la manifestent actuellement. — Ou une partie de l’âme. Puisque l’animal consiste surtout dans la sensibilité, qui le distingue des plantes. — L’âme une fois disparue. C’est bien la vie dont il s’agit ici. — Aucune de ses parties ne demeure plus la même. Voir la description frappante des transformations hideuses que subit le corps dès que la vie l’a quitté ; Cuvier, loc. cit.Certains êtres. Niobé, par exemple. — Si, dis-je. J’ai conservé cette longue période telle qu’elle est dans le texte, tout en m’efforçant de la faire aussi claire que possible.— Le naturaliste doit parler de l’âme. En d’autres termes : « de la vie ». — Ce point de vue spécial. C’est-à-dire la sensibilité, qui constitue essentiellement l’animal, et qui est la première de toutes ses qualités. — Cette partie toute spéciale. A savoir la sensibilité, qui constitue en effet l’essence de l’animal. — Le mot de Nature. Voir dans la Métaphysique, liv. V, ch. IV, la définition du mot de Nature, p. 102 de ma traduction. — Matière… essence.., mouvement.., but final. Les quatre causes, ou les quatre principes que reconnaît Aristote.
  26. Qui observe et contemple, il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — De l’âme plus que de la matière. Ce principe est excellent dans sa généralité, et la science zoologique l’a trop souvent négligé. — Bien plutôt qu’à l’inverse. Le texte s’arrête là, et j’ai cru devoir ajouter ce qui suit, comme développement nécessaire d’une expression trop concise. — L’un et l’autre en puissance. D’où il suit que la matière n’est l’animal qu’en puissance, et que l’âme seule réalise et complète l’animal, qu’elle constitue essentiellement.
  27. Il est vrai qu’on peut se demander. La forme du texte n’est peut-être pas aussi déterminée, — A l’encontre. Le texte dit simplement : « En regardant à ce qu’on vient de dire ». — Dans toute sa généralité. C’est l’objet de la psychologie, et spécialement du Traité de l’Ame, parmi les ouvrages d’Aristote. — Une certaine partie. La sensibilité, à l’exclusion des autres parties. — Comme l’intelligence fait partie des intelligibles. C’est-à-dire que l’intelligence peut se prendre elle-même pour objet de ses études, comme elle peut prendre aussi à cette fin tous les objets extérieurs à elle. — De la science naturelle. En d’autres termes, l’étude de la nature. — L’intelligence et les choses intelligibles. Voir le Traité de l’Ame, liv. III, ch. IV, § 3, pp. 291 et suiv. de ma traduction.
  28. Ce n’est pas toute l’âme. Mais simplement une partie de l’âme, celle qui répond à la volonté, et qui, mettant les muscles en mouvement par l’intermédiaire des nerfs, détermine les mouvements du corps. — Qui est le principe de la croissance. C’est l’âme nutritive, qui se manifeste dans les plantes elles-mêmes. — La partie intellectuelle. Qui est la partie supérieure de l’âme, la faculté de la pensée et, de la réflexion, dont Aristote fait le privilège de l’homme. — La locomotion. Qui appartient indistinctement à la plupart des animaux. Toute la première partie de l’Anatomie comparée de Cuvier est consacrée aux organes du mouvement, comme la seconde l’est aux organes des sensations. — Dans aucun autre être que lui. Voir le début de l’Histoire des Animaux, liv. I, ch. I, § 26, p. 49, de ma traduction.
  29. Qui constitue la nature de l’animal. Le texte dit simplement : « qui est nature ». J’ai cru devoir préciser davantage les choses, et rapporter ceci au sujet même de ce Traité des Parties, c’est-à-dire, la nature spéciale et propre de l’animal. La suite de la pensée semble exiger cette interprétation. — Des choses abstraites. Cette théorie est parfaitement vraie, et la science de l’histoire naturelle se fonde avant tout et exclusivement sur l’observation ; voir la Préface à l’Histoire des Animaux, p. CXIV. — La nature… en vue d’une fin spéciale. Aristote n’a jamais hésité sur ce grand principe des causes finales ; et il l’a répété sous toutes les formes. Cuvier l’a soutenu non moins constamment ; voir encore la Préface à l’Histoire des Animaux, p. CLIX. — Il y a toujours l’art. Plus haut, § 16, Aristote a dit que l’art est la raison de l’œuvre sans la matière. — Quelque autre cause. La cause même de l’univers, que nous induisons de l’observation des choses prises et étudiées dans leur totalité.
  30. L’origine du monde. Voir dans la Métaphysique, liv. XII, ch. VII, § 5, p. 184, et ch. X, p. 209, de ma traduction. — L’origine des êtres mortels. On peut ici n’être pas d’accord avec Aristote ; et il semble en outre qu’il n’est pas tout à fait d’accord avec lui-même, puisque dans la Métaphysique, liv. XII, ch. X, § 2, p. 210, il déclare que tout dans l’univers est soumis à un seul et unique principe, et que tous les êtres mortels, poissons, volatiles et plantes, font partie d’un seul et même ordre. — C’est le changement. Opinion profondément vraie ; elle n’a plus rien de neuf pour nous ; mais du temps d’Aristote, elle devait paraître très-nouvelle et très-frappante. — Nos philosophes. Le texte est un peu plus vague. — Grâce à la nature. C’est prêter à la nature une indépendance qu’elle n’a pas. Dans les animaux aussi bien que dans tout le reste, la nature est soumise à une loi supérieure. — Le monde s’est constitué… au hasard. Aristote a toujours combattu cette explication de l’origine des choses ; et voilà pourquoi il a tant admiré Anaxagore, plaçant l’Intelligence au-dessus de tous les principes purement matériels que les philosophes invoquaient avant lui. — Rien n’est sujet au désordre. Sous une autre forme, c’est le « Cœli enarrnnt gloriam Dei ». Le sens commun est en ceci d’accord avec la philosophie ; et la science est bien aveugle quand elle se met en opposition avec cette unanimité du genre humain et des sages. Voir la Préface à l’Histoire des Animaux, p. CLXVII
  31. Quant à nous. Le texte est un peu moins formel. — Quelque chose de ce genre. Il est difficile de définir la nature mieux qu’elle n’est définie dans ce passage. Soit dans le règne animal, soit dans le règne végétal, l’organisme présente toujours un but qui est atteint par des moyens qui varient, mais qui sont toujours également ingénieux. Il est impossible de méconnaître une intention intelligente, arrivant presque toujours infailliblement à la fin qu’elle se propose. L’œil est fait pour voir ; l’oreille est faite pour entendre ; et ainsi du reste. Supposer que tant de merveilles sont dues au hasard, et qu’elles se produisent fortuitement, c’est sacrifier la raison humaine tout entière et s’insurger follement contre la vérité. Voir l’admirable ouvrage d’Agassiz : De l’espèce et des classifications. — De chacun des germes… de tel corps il sort tel germe. C’est le fondement même de la perpétuité des espèces, si légèrement niée de nos jours. De tel corps, il provient toujours tel germe ; et de ce germe, provient toujours tel être parfaitement déterminé ; autrement, c’est revenir au chaos, imaginé par les premiers philosophes, qui croyaient à la confusion primordiale de toutes choses.
  32. Sans doute, le germe en principe Aujourd’hui nous ne saurions mieux dire ; et les deux aspects sous lesquels on peut envisager le germe sont parfaitement exacts. Le germe produit un certain être ; mais lui-même a été produit par un être antérieur. — Pourtant, il n’en faut pas moins avouer. Le texte n’est pas aussi explicite. — N’est qu’un produit. Peut-être faudrait-il traduire : « N’est qu’un devenir », par opposition au but final, qui répond à un être complet et parfaitement développé. — Aux deux. Le texte ne va pas plus loin. J’ai ajouté la paraphrase qui suit, pour que la pensée fût aussi claire que possible. — Le but et la fin. Il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — En deux sens. La remarque est très-juste ; et elle est très-nettement exprimée.
  33. N’est qu’en simple puissance. Relativement à l’être qui sort de lui, et qui se développe ensuite complètement, selon son essence. — Nous savons. Voir la Métaphysique, liv. V, ch. XI, § 19. Aristote a d’ailleurs traité très-fréquemment ce sujet ; voir spécialement dans la Métaphysique, liv. IX, ch. III, § 7 et aussi, ch. VI, § 2, et ch. IX, § 5. — La réalité complète. C’est à peu près la paraphrase du mot d’Entéléchie, qui a toujours pour nous quelque chose d’assez étrange.
  34. L’une qui a une fin en vue. C’est une cause intelligente et libre. — Qui vient de la nécessité. Dans le sens, indiqué plus bas, d’une nécessité résultant d’une hypothèse, laquelle n’est pas elle-même nécessaire, mais dont les conséquences le sont. — Dans nos livres sur la Philosophie. Aristote mentionne encore cet important ouvrage dans la Physique, liv. II, ch. II, § 13, p. 16 de ma traduction. Selon Diogène de Laërte, cet ouvrage était en trois livres, liv. V, ch. I, p. 118, édit. Didot. Quelles sont les deux faces de la nécessité dont Aristote y parlait ? C’est à la Métaphysique, loc. cit., qu’il faut demander une réponse, d’ailleurs plus ou moins directe, à cette intéressante question.
  35. . Une troisième espèce de nécessité. C’est la nécessité qu’Aristote appelle très-justement Hypothétique, ou en d’autres termes. Conditionnelle. Cette nécessité résulte de l’hypothèse qu’on s’est posée, et qui exige certaines conditions pour être remplie. Ainsi quand on veut construire une maison, il y a certaines conditions absolument nécessaires pour qu’elle puisse être construite ; mais la maison elle-même n’est pas nécessaire, et l’on peut ne pas la construire. — De la nourriture. On peut dire de la même façon que la nourriture est nécessaire à l’animal, puisqu’il ne peut pas vivre sans elle ; mais l’animal n’est pas plus nécessaire que la maison. L’exemple de la hache et de la vrille donné un peu plus bas s’explique de la même manière. Il n’est pas nécessaire de couper du bois ; mais si l’on se propose d’en couper, il faut nécessairement un instrument de matière dure. — Il y a nécessité que le corps soit fait… C’est la théorie de Cuvier sur les conditions d’existence ; voir la Préface à l’Histoire des Animaux, p. CXXIV. 36. Deux nuances diverses. Ces deux nuances sont celles qui viennent d’être indiquées : telle cause est nécessaire d’une manière absolue ; telle autre ne l’est qu’hypothétiquement. — On doit tenir le plus grand compte. Excellent conseil de méthode, que l’auteur a, pour sa part, toujours essayé d’appliquer. — Sur la nature des choses. Le texte dit simplement : « Sur la nature ». Peut-être serait-il encore mieux de traduire : « Sur la nature des êtres », puisqu’il s’agit d’histoire naturelle. — La nature… la matière. Il est clair que ceci se rapporte plus particulièrement aux animaux. — Empédocle. Voir plus haut, § 15. — Entraîné par la force de la vérité. C’est une expression qui paraît plaire beaucoup à Aristote, et qu’il a employée plus d’une fois ; elle montre bien toute l’importance qu’il attachait à l’observation, méthode recommandée sans cesse par lui. — Le rapport des éléments. Et non plus la matière même de ces éléments. Le rapport proportionnel suppose toujours l’intervention d’une intelligence se proposant un but et réglant le rapport. — Sa définition de l’os. Aristote cite les vers d’Empédocle sur la composition des os dans le Traité de l’Ame, liv. I, ch. V, § 6, p. 150 de ma traduction. — Le rapport de leur mélange. Au lieu de Rapport, on pourrait traduire aussi : « La Raison de leur mélange ». Quelques commentateurs ont même compris qu’il s’agissait ici de l’Idée, qui préside au mélange et qui en mesure la proportion. — À la chair. Aussi bien qu’à l’os, dans les théories d’Empédocle.
  36. Démocrite. Voir dans la Métaphysique, liv. 1, ch. IV et suiv., ce qu’Aristote dit de Démocrite, à qui il ne fait pas une part aussi belle qu’ici. — Grâce à Socrate. Voir la Métaphysique, liv. I, ch. VI, § 3, p. 59 de ma traduction. Dans ce passage, Aristote dit de Socrate à peu près ce qu’il en dit ici, bien que sous une autre forme. Il fait une gloire à Socrate de s’être occupé surtout des définitions. Cette préoccupation se retrouve en effet et éclate dans la plupart des Dialogues platoniciens. D’ailleurs, cette importance supérieure de la forme comparée à la matière est reconnue après Aristote par Cuvier, s’exprimant dans les mêmes termes : « La forme du corps vivant lui est plus essentielle que sa matière » ; Règne animal, tome I, p. 11, 1829. Voir plus haut, § 20.
  37. Qu’il faut adopter. Sous-entendu : « En histoire naturelle ». — Qui sont indispensablement nécessaires. Il n’y a donc ici, comme on l’indiquait un peu plus haut, qu’une nécessité hypothétique. La respiration en elle-même n’est pas nécessaire plus que l’animal qu’elle fait vivre ; mais du moment qu’elle existe, elle ne peut exister qu’avec des conditions qui sont nécessaires absolument, puisque sans elles la respiration ne serait pas possible. — Tantôt… tantôt. Voilà les deux nuances de nécessité dont il est parlé plus haut, § 36. L’une est simplement hypothétique ; l’autre est absolue. — Pour la respiration. Il faut se rappeler qu’Aristote a fait un traité fort curieux sur la Respiration ; voir les Opuscules, pages 349 et suiv. de ma traduction. Il y réfute tout au long les théories antérieures à la sienne ; et les principes qu’il y expose sont tout à fait d’accord avec ceux qu’il résume ici.
  38. De la méthode que nous suivrons. Peut-être le sens du texte n’est-il pas tout à fait aussi général ; et peut-être faut-il le borner à l’étude des deux nuances de la nécessité. La méthode de l’histoire naturelle n’est pas exposée tout entière dans ce premier chapitre ; et elle sera complétée dans les chapitres suivants, jusqu’à la fin de ce livre.
  39. De l’individu. C’est l’expression même du texte ; on doit entendre par là les espèces dans lesquelles le genre se divise. — En deux différences. La première, qui est positive ; la seconde, qui est toujours une négation. Cette méthode de division par deux, la Dichotomie, est essentiellement Platonicienne, et l’on en peut voir des spécimens dans le Sophiste, et dans le Politique. — Tantôt…. tantôt. Voilà les deux objections principales qu’Aristote oppose à la méthode de division, sans compter d’autres objections, moins importantes, qui trouveront place au chapitre suivant. — Tout le reste… L’exemple qui suit éclaircit bien le sens de ces mots. — Cette dernière différence Ceci doit se rapporter à : « Dépourvu de pieds » ; il y a des commentateurs qui ont supprimé cette petite phrase ; elle me semble indispensable ; car c’est le contraire de Pourvu de pieds ; et sans elle, l’opposition serait incomplète. Tous les intermédiaires : Pourvu de deux pieds. Pourvu de pieds fendus, etc., sont inutiles.
  40. De ne pas disloquer les genres. Cette objection est très-grave ; et la méthode de division ne peut pas éviter cet inconvénient. — Par exemple, celui des oiseaux. Il semble bien, d’après ce passage, qu’Aristote avait directement en vue certaines classifications où le genre des oiseaux se trouvait entièrement disloqué ; mais nous ne savons pas précisément si ces classifications appartenaient à l’Ecole Platonicienne, ou à toute autre. — Parmi les animaux aquatiques. Parce qu’en effet il y a des oiseaux qui vivent dans l’eau, ou sur le bord de l’eau ; et cependant, on ne saurait les classer parmi les poissons, comme le faisaient sans doute, ou tendaient à le faire, les classifications critiquées par Aristote. — On en fait un poisson. Il est donc probable que les nomenclatures obtenues par la Dichotomie conduisaient à ce résultat bizarre, qui était en contradiction flagrante avec la réalité.
  41. Sont restées sans nom. Cette objection n’est pas fort grave ; car il serait toujours possible de trouver des noms nouveaux pour des divisions nouvelles ; mais il semblerait que cette critique d’Aristote se rapporte à des lacunes dans les classifications tentées avant lui. Si, en effet, ces classifications, quoique très-imparfaites, ont existé, ce serait un détail fort curieux pour l’histoire de la zoologie. — Qui ont du sang… qui n’ont pas de sang. Cette division suffisait à la Dichotomie ; et l’unité de désignation résultait de ce que les uns et les autres sont des animaux. — La division par deux. C’est la traduction du mot grec, que j’ai reproduit sous sa forme même, en guise de paraphrase. — Les uns se trouvent classés… Nouvel indice d’essais de classification avant celle d’Aristote.
  42. Sous forme négative et par privation. Il n’y a qu’un seul mot dans le texte grec ; celui de Privation ne m’a pas semblé pouvoir suffire par lui seul. — Et c’est bien là, en effet… Dans la division par deux, le premier membre affirme ; et le second nie ce que le premier a affirmé : « Animal qui a des ailes : Animal qui n’a pas d’ailes », etc., etc. — Des espèces dans ce qui n’existe pas. Dans la négation qui constitue toujours le second membre de la division. — Une différence générale. Et affirmative.
  43. . Comment pourrait-il y avoir des espèces… Le texte est plus vague, et j’ai cru devoir le préciser. Si en effet il y avait des espèces pour une différence qui ne serait pas générale, on finirait par trouver des espèces même dans une différence purement individuelle. Le contexte qui suit semble confirmer cette interprétation. — Générales et universelles. Il n’y a qu’un seul mot dans le grec. — Être ailé. C’est là une différence générique, qui s’applique à toutes les espèces d’oiseaux, et qui les distingue de tout autre genre. — On peut diviser l’aile. C’est en effet le procédé de la zoologie ; et sans que les ailes soient le seul caractère qui distingue l’oiseau, on en tire cependant des distinctions très réelles entre les espèces d’oiseaux. — L’aile non fendue. C’est par exemple celle des chauve-souris, qui est une membrane et non une plume. Sur les plumes, voir Cuvier, Anatomie comparée, XIVe leçon, p. 604 et suiv, édit. de 1800. — Pied fourchu… solipèdes. Voir Cuvier, id. ibid, Ve leçon, p. 388 et suiv.
  44. Il est déjà assez difficile. La remarque est parfaitement juste, et les zoologistes de nos jours sentent cette difficulté tout autant que pouvait la sentir Aristote. La nature est si diverse et si féconde dans ses œuvres qu’il est impossible à l’homme de les classer toutes sans exception dans un ordre systématique. — La fourmi… L’observation est exacte ; dans la première famille des Hétérogynes, les fourmis neutres n’ont point d’ailes, tandis que les mâles en ont, ainsi que les femelles ; voir Cuvier, Règne animal, tome V, pp. 306 et 308, édit. 1829. — La lampyre… C’est le ver-luisant. Dans cette espèce des Malacodermes, il y a des femelles qui n’ont point d’ailes ; voir Cuvier, id. ibid., tome IV, p. 463. Les mâles en général sont ailés. Au lieu d’ailes, les femelles ont deux petites écailles ; voir la Zoologie descriptive de M. Claus, p. 637.
  45. Des animaux qui n’ont pas de sang. C’est le second membre de la dichotomie, où la division ne repose que sur une privation, ou négation. — Même impossible. Par la raison qui a été dite plus haut, § 1. La privation ne peut pas contenir de différences. — à une des espèces particulières. Contenues dans cette division générique d’Animaux qui n’ont pas de sang. — La différence opposée ne s’y applique pas moins. La pensée reste obscure à force de concision ; et la suite ne sert pas davantage à Péclaircir. Ce que l’auteur veut prouver, c’est que la division par deux ne peut pas donner une classification qui réponde à la réalité des choses ; mais les arguments dont il se sert pour cette réfutation sont bien difficiles à saisir. — S’il n’est pas possible… La phrase grecque est fort longue ; et j’ai dû en conserver l’allure dans ma traduction. — Une seule espèce de substance, indivisible et une. Par exemple, d’avoir du sang, comme pour l’homme et l’oiseau, cités un peu plus bas. L’homme et l’oiseau n’en sont pas moins d’espèces différentes, bien qu’on les classe tous deux parmi les animaux bipèdes. — Des animaux qui ont du sang. C’est exact ; mais ce caractère qui les unit ne suffit pas pour distinguer leurs espèces, qui sont pourtant fort différentes. — Qui devrait être la différence. Le texte n’est pas aussi net.
  46. La seule et même différence. C’est d’être l’un et l’autre des animaux qui ont du sang. — Il faut donc conclure… C’est bien là en effet le but que l’auteur se propose, et l’on voit qu’il repousse formellement et avec toute raison la dichotomie, qui ne mène pas à une classification vraie ; mais la force des objections nous échappe. — Au même nombre… Le texte ne peut pas offrir un autre sens ; et cependant on ne voit pas bien comment les différences se réduisent à être purement individuelles. — Que les individus-animaux. C’est la traduction littérale ; mais elle exigerait une explication, que l’auteur ne donne pas.
  47. En même temps. J’ai ajouté ces mots, dont le sens me semble implicitement compris dans l’expression du texte. — Indivisible. Il est clair que du moment que la différence est commune, elle se divise nécessairement entre toutes les espèces auxquelles elle s’applique. — De cette différence commune. Présentée sous forme négative. — Tout en étant d’espèce différente. Par exemple, dans la classe des animaux sans pieds, il pourra se trouver tout à la fois des reptiles et des poissons. — Une conséquence nécessaire. Ceci est en partie la répétition de la fin du § 5. — Puisse aller d’une différence à une autre différence. C’est la traduction mot à mot du grec. La théorie est juste ; mais il faudrait prouver en outre que, dans la méthode de division par deux, cet inconvénient est inévitable et qu’elle arrive à faire figurer le même animal dans plusieurs classes. Ce qui est certain, c’est qu’elle confond dans une même classe des animaux d’espèces fort différentes.
  48. Atteindre les espèces indivisibles. Il est difficile de comprendre ce que l’auteur entend par cette expression ; les espèces indivisibles se réduisent aux individus, au delà desquels il n’y a plus rien. — Ou tout autre genre d’objets. On peut voir en effet, par les dialogues de Platon, le Sophiste et le Politique, que la dichotomie peut s’appliquer à tout autre chose que l’histoire naturelle, bien qu’elle s’y applique mieux que partout ailleurs. Les dernières différences. Celles qui caractérisent les individus et qui dès lors n’ont plus rien de commun ; elles sont purement individuelles. — La blancheur de certains êtres. Le texte ne va pas plus loin ; mais il semble, d’après ce qui suit, qu’il faudrait ajouter le Noir au Blanc, de manière que, dans chaque membre de la division première, il y eût encore une grande division par deux, et de manière à ce qu’en effet les dernières divisions fussent au nombre de quatre.
  49. . La différence n’est que l’espèce dans la matière. Définition ingénieuse et profonde. — Sans matière. Puisque le corps de l’animal est toujours nécessairement matériel. — Ne peut exister toute seule. Il faut que l’âme se joigne à la matière pour former l’Entéléchie du corps. — Au hasard et d’une façon quelconque. Il n’y a qu’un seul mot dans le texte ; j’ai cru devoir préciser davantage les choses dans ma traduction. — Nous l’avons répété bien souvent. La nature se proposant toujours un but dans tout ce qu’elle fait, il s’ensuit qu’il y a certaines conditions indispensables pour atteindre ce but ; c’est la nécessité hypothétique.
  50. Sur des éléments compris dans l’essence même. Il aurait fallu citer des exemples pour rendre ceci plus clair. — De simples attributs. Le texte dit précisément : « Des attributs en soi », des attributs essentiels. — Les unes… les autres. Ceci est exact évidemment ; mais c’est retomber dans la méthode dichotomique, critiquée plus haut. — Un attribut accidentel du triangle. Il semble au contraire que ce soit l’essence même du triangle, comme son nom l’indique ; mais on peut dire aussi que l’essence du triangle c’est d’avoir trois côtés, l’égalité des angles à deux droits n’étant qu’une conséquence nécessaire de la première propriété.
  51. Par les opposés. Voir dans les Catégories, ch. X, p. 109 de ma traduction, la différence des Opposés et des Contraires, ch. XI, p. 121. — Le blanc et le noir. Voir plus haut, § 7. — Si tous les deux sont différents. Il faut sous-entendre : « Dans le même genre », comme le prouve l’exemple qui suit. — La natation… la couleur. Ce ne sont pas de vrais opposés ; ce sont simplement des choses différentes.
  52. Selon les fonctions qui sont communes… Comme les exemples cités plus bas, où l’on divise les animaux en animaux sauvages et animaux privés. Le caractère des animaux tient en partie à leur organisation ; et comme il varie d’un individu à un autre, il ne peut servir à les classifier. — Qui viennent d’être indiquées. Le texte est moins formel. — Où ces deux organisations se réunissent… le genre des fourmis. Ceci a déjà été dit un peu plus haut, § 3.
  53. Mais on peut encore moins. Quelques commentateurs ont voulu introduire ici une négation dans le texte ; elle est en effet indispensable ; mais elle est dans la phrase précédente, et elle agit également sur celle-ci, sans qu’il soit nécessaire de l’y intercaler de nouveau. — Séparer et diviser. Il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Se trouver aussi à l’état sauvage. Ceci est vrai, mais n’empêche pas l’histoire naturelle de pouvoir faire une distinction très-réelle entre les animaux sauvages et les animaux domestiques, comme l’a particulièrement fait Buffon. Il y a bien quelques espèces, comme celles que cite Aristote, qui peuvent présenter les deux caractères, et, selon les individus, être sauvages ou privées. Mais il y a, en outre, des espèces qui ne sont jamais que sauvages et qui ne peuvent pas être autrement, quels que soient les efforts de l’homme pour les modifier à son usage. — Le sauvage et le privé… Ceci est exact d’une manière générale, et ce caractère ne sert pas en effet à former des classifications en histoire naturelle.
  54. Qu’une seule fois. C’est-à-dire, par une affirmation et une négation : « Pourvu de pieds, sans pieds ». — Comme le fait le vulgaire. C’est en effet la méthode que doit adopter l’histoire naturelle, en essayant de classifier tous les genres le plus systématiquement possible. — Sans recourir à la dichotomie. On peut sentir dans cette objection une sorte d’ironie contre la méthode de division. — L’on ne pourra pas du tout… L’objection est très-forte, et la dichotomie n’a qu’une rigueur apparente ; au fond, elle confond une foule d’êtres sous une négation, qui peut faire connaître ce qu’ils ne sont pas, mais non ce qu’ils sont. — L’espèce dernière. C’est-à-dire qu’elle ne peut se subdiviser en d’autres espèces. — Comme l’on ne peut pas faire… Cette phrase entière peut sembler n’être qu’une interpolation, et arrêter quelque peu la suite des pensées ; mais elle est nécessaire, comme le prouve le contexte, puisque l’auteur l’explique en détail. Il veut prouver que les différents éléments que donne la dichotomie ne forment pas un tout régulier, et qu’on est obligé de les joindre par un rapprochement factice, comme on joint les diverses parties d’une proposition par une conjonction, qui unit les mots sans unir les pensées.
  55. Je veux dire… C’est là ce qui justifie la phrase précédente. — Non-ailé et en ailé. C’est la dichotomie ordinaire. — Sauvage… privé… blanc… noir. Divisions qui n’ont plus aucun rapport avec la première, et qui ne peuvent y être jointes qu’arbitrairement, et par un lien de pure forme. — Le principe d’une tout autre différence. Soit une différence de caractère, soit une différence de couleur.
  56. Quelques philosophes… C’est évidemment l’École de Platon qu’Aristote veut désigner ici. — Encore d’autres arguments. Ces nouveaux arguments pour repousser la dichotomie ne sont pas plus clairs que les précédents ; et il est toujours fort difficile de suivre la pensée de l’auteur. — Soit qu’on les prenne séparément. C’est-à-dire, soit qu’on prenne chacune des espèces comprises sous la négation générale en la considérant seule, soit en la réunissant à toutes les autres espèces que comprend également la négation. — J’entends. L’explication que prétend donner Aristote n’éclaircit pas davantage sa pensée. — Par exemple les fissipèdes. On considère que les fissipèdes forment un genre en opposition aux animaux qui sont solipèdes ; il n’y a entre les fissipèdes pris dans leur ensemble aucune différence, puisqu’ils ont tous le pied fendu ; mais il y a dans ce genre bien des nuances ; car les divisions du pied peuvent être plus ou moins nombreuses, et outre ce caractère général, il peut y en avoir une foule d’autres qui suffisent à constituer des espèces particulières, dont la dichotomie ne tient aucun compte. — Par réunies. L’exemple qui suit est suffisamment clair. Au lieu d’indiquer un seul caractère, on en énoncerait plusieurs qui se compléteraient mutuellement par leur opposition même ; les solipèdes seraient opposés aux fissipèdes.
  57. C’est là ce qu’exige en effet… Pour faire de chacune des parties de la dichotomie une sorte de tout, qui embrasse de part et d’autre toutes les espèces comprises dans l’affirmation, et toutes celles qui le sont dans la négation. — En dépit de ce que l’on énonce. Le texte n’est pas aussi précis ; mais le sens ne peut être douteux. — La dernière différence. C’est à cela que tend toujours la dichotomie ; mais elle parcourt diverses nuances inutiles avant d’arriver au caractère essentiel, qui sépare les espèces les unes des autres. — Pourvu de pieds… à plusieurs pieds. Nuances intermédiaires, qui ne servent à rien, et qui ne font qu’embarrasser la classification ; voir le chapitre n, § I, où se trouve la même critique. — Une différence extrême… différence dernière. La nuance n’est pas assez marquée dans le texte ; et ma traduction n’a pas pu la marquer davantage. — À pieds divisés. C’est la seule différence qui s’applique alors dans sa généralité aux espèces les plus dissemblables, depuis l’homme jusqu’aux oiseaux, en passant par tous les ordres de mammifères et de fissipèdes. — Pourvu de pieds… de deux pieds… de pieds divisés. Il n’y a que cette dernière division qui ait réellement de l’importance.
  58. Si l’on disait simplement. Pour définir l’homme. — Et ce serait ce qu’on cherche. Le texte n’est pas tout à fait aussi précis. — Ce n’est pas ce qu’on fait ici. Puisque chaque degré de la dichotomie ajoute toujours une différence de plus, il faut ensuite réunir toutes ces différences par un lien factice, pour en constituer la définition totale que l’on cherche.
  59. Il est de toute impossibilité… C’est la conclusion définitive de la discussion précédente contre la méthode de dichotomie. — Un être particulier quelconque. Ou bien encore : « Aucune espèce particulière ». L’expression du texte est indéterminée. Dans la science actuelle, on fait deux grandes classes d’animaux, les vertébrés et les invertébrés ; c’est encore de la dichotomie.
  60. On peut se demander. La question ne laisse pas que d’être curieuse ; mais il ne semble pas qu’elle soit ici bien à sa place, ni qu’elle soit suffisamment amenée. — Les animaux aquatiques. Peut-être il ne s’agit ici que des oiseaux qui vivent sur l’eau, et non pas d’une manière générale des animaux qui vivent dans l’élément liquide ; ce qui comprendrait évidemment les poissons. La question alors ne pourrait plus guère se poser ainsi, puisqu’il est impossible d’appliquer une dénomination unique aux oiseaux et aux poissons simultanément, ni de les confondre, comme on peut confondre toutes les espèces de poissons, ou toutes les espèces d’oiseaux, sous les dénominations génériques de poissons et d’oiseaux. — Ces deux ordres d’animaux. Les oiseaux aquatiques et les oiseaux de terre.
  61. La division ordinaire. C’est-à-dite la division vulgairement reçue, qui distingue les poissons des oiseaux, malgré les analogies que peuvent présenter à certains égards ces deux ordres d’animaux. — Est bien faite, et elle est régulière. Le texte est moins développé. — Par une certaine quantité. Ce caractère est fort bien choisi ; et cette différence dans la masse du corps ne constitue pas un genre, quand d’ailleurs toutes les autres conditions restent semblables. — Des rapports d’analogie. On en citera des exemples à la fin du §. — Des ailes plus larges… plus courtes. C’est une simple différence de grosseur ; ce n’est pas une différence d’espèce. — La plume pour l’un… l’écaille pour l’autre. Ce rapprochement est aussi exact qu’ingénieux ; et Cuvier l’a reproduit dans son Anatomie comparée, XIVe leç., art. 7, où il traite successivement, en décrivant la peau, des poils, des plumes, des cornes, des ongles et des écailles. « Les écailles, dit-il, ont avec les poils, les plumes, les cornes et les ongles, les plus grands rapports », p. 618, édit. de l’an VIII.
  62. De faire cette distinction. Le texte n’est pas aussi précis, et l’expression qu’il emploie est plus vague. — L’analogie se trouve être la même. Il eût été bon de citer quelques exemples. — Des substances individuelles. Le texte dit simplement : « Des substances »; mais la suite prouve qu’il s’agit des individus, qui sont en effet les substances dernières, c’est-à-dire les moins étendues. — Nous l’avons déjà dit. Voir plus haut, ch. I, § 7. — Universels… communs. Au fond, c’est la même chose. — À plusieurs objets. Ou, « A plusieurs êtres ».
  63. . Comment il convient de procéder. Voir plus haut, ch. I, § 7, cette question déjà traitée. — Indivisible spécifiquement. C’est l’individu ; et d’après l’exemple cité un peu plus haut, Socrate, Coriscus, etc. — De pouvoir étudier à part. Mais alors on serait conduit à des répétitions interminables ; et par conséquent, ce n’est pas le meilleur procédé. — Pour le genre homme. Puisqu’on vient de parler un peu plus haut d’individus de l’espèce humaine.
  64. Une individualité spécifique. Ou « Une espèce particulière », comme l’indiquent les exemples qui suivent. — Ce serait s’exposer. Ceci a été déjà dit ; mais la remarque n’en est pas moins juste. — La même fonction. Dans chaque espèce étudiée séparément ; voir plus haut, ch. I, § 5. — Chaque espèce d’animaux. L’expression du texte est plus vague ; mais le sens ne peut être douteux. — Les propriétés communes de chaque genre. C’est la méthode que Cuvier a suivie dans son Anatomie comparée ; et c’est la seule qui puisse convenir à la science ; voir la Préface à l’Histoire des Animaux, p. CXXIII voir aussi le Manuel d’Anatomie comparée de M. Gegenbauer, et d’autres ouvrages de même composition. — Tout ce que les hommes. Voir plus haut, § 1. Il est certain qu’avant toute science et toute observation méthodique, l’instinct de l’humanité a su distinguer quelques-unes des différentes classes d’êtres dont s’occupe l’Histoire naturelle. Les grandes divisions frappent les regards les moins attentifs ; et les êtres se classent immédiatement selon leurs affinités ou leurs dissemblances ; voir la Préface à l’Histoire des Animaux, p. CIXX. — Individuel et isolé. Il n’y a qu’un seul mot dans le texte.
  65. La configuration des parties… C’est en effet le caractère le plus général, qui rapproche ou éloigne les animaux les uns des autres. — Et celle du corps entier. Même remarque. Qu’on peut classifier les genres. La zoologie moderne a pu aller plus loin ; et sans négliger les ressemblances de formes partielles ou totales, elle s’est attachée plus particulièrement à l’anatomie et à l’organisation générale ; voir Cuvier, Règne animal, t. I, pp. 48 et suiv., édit. de 1829 ; voir aussi la Préface à l’Histoire des Animaux, p. CXV. — La ressemblance n’y est que de l’analogie. On voit nettement la différence de l’analogie et de la ressemblance. — Sur de simples modifications corporelles. Dans une même espèce, il n’y a guère que des modifications de peu d’importance. — La grandeur et la petitesse. L’espèce canine offre des exemples frappants de ces différences considérables.
  66. La méthode qu’il convient d’adopter. Quelques commentateurs se sont plaints qu’Aristote n’eût pas de méthode ; on peut voir que cette critique est sans fondement. Sa méthode est bien claire : Accepter d’abord les grandes divisions que l’instinct de l’humanité a établies à première vue, entre les animaux ; puis, étudier les fonctions communes aux diverses espèces, et ne pas descendre aux individus, parce qu’alors il faudrait se répéter sans cesse. — Observer les phénomènes. C’est une règle qu’Aristote n’a jamais négligée pour sa part, et qu’il a toujours recommandée à ses successeurs. — La méthode de division. Prise dans toute sa généralité, et non pas seulement la division par deux, la dichotomie, qu’Aristote proscrit absolument. — Tantôt impossible, tantôt absolument vaine. Voir plus haut, ch. II, § 1. — Que nous allons indiquer. Dans le chapitre qui suit, un des plus importants de toute la zoologie Aristotélique, et l’on pourrait dire, dans toute l’histoire de la science, par la grandeur et la vérité des aperçus.
  67. Ce principe nouveau. Le texte n’est pas aussi formel. — Incréées et impérissables. L’expression est très-noble ; mais elle n’est peut-être pas très-juste. Il n’y a d’incréé que le Créateur ; il n’y a d’impérissable que ce qui n’est pas né. Sans doute, Aristote veut appliquer ces deux épithètes solennelles aux grands corps célestes ; mais ils ne sont pas plus impérissables que tout le reste ; et il n’y a que l’Eternel qui le soit, c’est-à-dire, Dieu. — Sujettes à naître et à périr. Ce sont les substances qui sont le plus à notre portée. — Nos observations… beaucoup moins complètes. Ou, Moins nombreuses. Ceci est parfaitement exact ; et quoique nous en sachions sur les mondes beaucoup plus que n’en pouvaient savoir les Anciens, notre science est surtout étendue et précise en ce qui regarde notre terre et le monde particulier où nous sommes placés. — Nos sens nous révèlent… La puissance merveilleuse des instruments dont la science se sert aujourd’hui n’a pas beaucoup changé l’état des choses ; et quelques progrès que l’homme puisse faire dans l’étude de l’infini, son savoir se réduira toujours à bien peu de chose en comparaison de ce qui lui restera à connaître.
  68. Plantes et animaux. Aristote avait essayé d’embrasser la nature entière ; et s’il n’a pas fondé lui-même la botanique, il est certain que c’est lui qui l’a fait faire par son disciple Théophraste ; voir la Préf. à l’Histoire des Animaux, p. Clxxiv. Il faut se rappeler qu’il n’a jamais isolé l’étude des plantes de l’étude des êtres vivants, les plantes ayant comme les animaux la faculté nutritive. Il a insisté souvent sur ce point de ressemblance, notamment dans le Traité de l’Ame, liv. II, ch. III, § 2, p. 181 de ma traduction. — Bien plus de moyens d’information. Ceci est de toute évidence. — Le travail indispensable qu’elles exigent. C’est ce que font les siècles en accumulant sans cesse les observations et les faits. — On peut en apprendre fort long. C’est là ce qui constitue le progrès de la science ; et Aristote le pressentait, aussi bien que personne a pu le sentir après lui.
  69. Ces deux études. Le texte est plus vague. — Ont chacune leur attrait. On ne saurait mieux dire ; et les raisons qu’en donne l’auteur sont d’une solidité inébranlable. — Les atteindre et y toucher. Il n’y a qu’un seul mot dans le grec. — Grâce à la sublimité de ce savoir. Voilà la vraie raison ; et de là, vient la solennité particulière du Timée de Platon, malgré les imperfections qui le déparent. — Pour les choses que nous aimons. On pourrait entendre aussi les « personnes » au lieu des choses ; l’expression du texte se prêterait également à cette interprétation. — Du plus insignifiant et du moindre objet. L’idée est gracieuse, et elle n’en est pas moins juste. Aristote ne cherche jamais ces éclats de style ; mais il ne les repousse pas, quand ils sortent du fond même du sujet. — De connaître mieux les choses. L’observation est directe ; et si elle est suffisamment attentive, elle peut être très-féconde. — Un plus grand nombre. Ceci était déjà vrai du temps d’Aristote ; ce l’est de jour en jour davantage ; aujourd’hui le nombre des faits bien connus est prodigieux, et l’avenir ne peut que l’accroître sans limite. — Pour être le comble de la science. C’est surtout de nos jours que cette remarque est exacte ; mais elle l’était dès le temps d’Aristote, qui ne semble pas partager cette prédilection peu fondée pour les sciences naturelles. — La rivale de la philosophie des choses divines. Dans notre siècle, ce sont les sciences physiques et mathématiques qui tiennent la première place ; et la Métaphysique, ou philosophie première, est accablée de dédain ; ce qui ne l’émeut guère et ne la diminue pas, si ce n’est aux yeux de la foule, qui la juge sans la connaître. — Ayant déjà traité de ce grand sujet. Sans doute ceci fait allusion à la Météorologie, au Traité du Ciel, et aussi à la Métaphysique. — De la nature animée. C’est-à-dire des animaux particulièrement, bien que les plantes soient comprises aussi dans la nature animée. — Aucun détail. Précepte excellent et très-pratique. Aristote n’a pas cessé de l’appliquer dans toutes ses recherches zoologiques.
  70. Qui peuvent ne pas flatter nos sens. Ceci est vrai ; et parmi les animaux, s’il y en a beaucoup qui nous plaisent, il y en a aussi beaucoup qui nous répugnent, par leurs formes souvent hideuses, par leurs odeurs insupportables, ou par telles autres conditions également repoussantes. La dissection même des plus beaux êtres a quelque chose qui révolte nos sens et notre instinct. Il faut que le naturaliste brave tous ces inconvénients. — D’inexprimables jouissances. — Il est clair qu’Aristote ne fait que traduire ici ses impressions personnelles ; mais tous les vrais naturalistes éprouvent des impressions de même genre ; voir la Préface à l’Histoire des Animaux, p. LXXVIII. — Quelle contradiction… Cette forme d’exclamation n’est pas dans le texte ; mais l’expression qu’il emploie n’est pas moins vive. — De simples copies. L’idée est très juste, quelque différence qu’il y ait entre l’art et la nature, l’un où l’homme se reconnaît, et l’autre où il n’est pour rien. — De comprendre le but. Le texte dit précisément : « Les causes ».
  71. Le mot qu’on prête à Héraclite. Le mot qu’Aristote nous a conservé est superbe, et l’application en est d’une justesse parfaite. Sur Héraclite, voir M. Zeller, Philosophie des Grecs, tome 1, pp. 550 et suiv. 3e édit., et trad. franç., tome II, pp. 149 et suiv. L’empreinte divine est et se retrouve dans la nature entière, et elle éclate dans les moindres détails. La nature, comme Aristote l’a dit, est quelque chose de divin. C’est le « Coeli enarrant » du Psalmiste ; c’est même le mot du malheureux Vanini devant ses bourreaux.
  72. . Il n’y a jamais de hasard. C’est un principe qu’Aristote a formulé le premier, et qui inspire toute sa science zoologique. La science contemporaine ferait bien d’imiter le philosophe grec, dans la mesure où ces idées générales peuvent intervenir et être utiles. — Où le caractère de cause finale. Le texte n’est pas aussi développé. Sa beauté et sa perfection. Ceci est incontestable ; mais c’est revenir, en partie et sous une autre forme, à la théorie des Idées Platoniciennes, qu’Aristote a toujours combattue, et qu’il approuve ici sans peut-être s’en apercevoir.
  73. Que si quelqu’un… L’argument est très-fort, et il aurait aujourd’hui autant de valeur qu’au temps d’Aristote. — La plus grande répugnance… Le mot grec peut signifier simplement aussi : « difficulté » ; mais la nuance que j’ai préférée donne encore plus de force à l’argumentation, et elle est plus d’accord avec le contexte. — De la matière… C’était ce qu’avait fait surtout l’École Ionienne. — À la forme totale. Principe très-bon, et que Cuvier appliquait en grand dans ses classifications du Règne animal. — De l’être qu’on étudie. Le texte n’est pas aussi formel.
  74. Les conditions… en soi et essentiellement. C’est aussi ce que fait la science moderne, quand elle est méthodique et qu’elle se rend compte de ses procédés ; voir Cuvier, Règne animal, Introduction, pp. 111 et suiv. — À scruter les causes. La vraie méthode est en effet de recueillir d’abord les faits, et de les expliquer ensuite. Voir plus haut, ch. I, § 7. — Antérieurement. Voir plus haut, ch. II, § 3. — Par simple analogie. Voir l’Histoire des Animaux, liv. I, ch. I, § 8, p. 6 de ma traduction.
  75. J’entends par Analogie. L’analogie consiste surtout dans la ressemblance plus ou moins complète des organes remplissant les mêmes fonctions, quoique sous des formes diverses. C’est une sorte d’équivalence ; les branchies dans les poissons remplissent, on peut dire, le rôle du poumon chez les Mammifères. — Un liquide analogue. Les animaux à sang blanc au lieu de sang rouge. — De fréquentes répétitions. C’est ce que l’auteur a déjà dit en effet, plus haut, ch. I, § 5.
  76. Le corps tout entier a été constitué. Sous une autre forme, c’est la théorie de Cuvier sur les conditions d’existence. Tout dans l’organisation de l’animal concourt à un but unique, qui est l’entretien de la vie, dans tous les détails que la vie comporte et suppose. — Le sciage. En d’autres termes, l’action pratique de scier, et le résultat que cette action produit. L’exemple n’est peut-être pas très-bien choisi.
  77. . Le corps… en vue de l’âme. Sans ce principe fondamental, il est impossible de rien comprendre à la nature de l’homme, à sa nature intellectuelle, aussi bien qu’à sa nature morale ; ce principe est essentiellement Platonicien. — Des fonctions qui sont communes… C’est le début nécessaire de la science zoologique ; et aucun des grands naturalistes n’y a manqué, Buffon et Cuvier entre autres. Il faut définir ce qu’on entend par animal, avant de traiter des animaux particuliers, et de leurs espèces. — Plus marquées… moins marquées. Par les différences de plus et de moins, ou par des différences plus importantes et moins matérielles.
  78. Que par analogie. Voir plus haut, §§ 8 et 9. — Les fonctions ont un autre but. Par exemple, on ne peut pas confondre le mouvement et ses organes avec la digestion et tous les organes préparatoires, ou successifs, qui la rendent possible et qui la complètent. — Que l’animal peut vivre. C’est le résultat dernier auquel tendent toutes les opérations ultérieures.
  79. La naissance, le développement… Ce sont là des fonctions communes à tous les animaux. Aristote a consacré des études spéciales à quelques-unes d’entre elles, notamment la veille, le sommeil, le mouvement, etc., etc. Voir les Opuscules psychologiques, complétant le traité de l’Ame. — Le nom de membre. Voir l’Histoire des Animaux, liv. I, ch. I, § 2 de ma traduction.
  80. . L’exposé de la méthode… On ne conçoit pas qu’en présence de telles déclarations, on ait pu soutenir qu’Aristote n’avait pas de méthode. Dans ces assertions tranchantes, qui sont tout au moins inexactes, il entre beaucoup d’orgueil ; et si des savants modernes nient que les Anciens aient appliqué la méthode d’observation, c’est pour se parer eux-mêmes de cette gloire, qu’ils font remonter à Bacon, et qu’ils croient partager avec lui. Rien n’est plus faux. Voir la Préface à l’Histoire des Animaux, pp. XIII et CXIV, et aussi la Préface à la Logique, p. 111 et suiv. de ma traduction. — Des propriétés communes. A toute l’animalité. — Des propriétés spéciales… A quelques genres d’animaux, à l’exclusion de certains autres. — Par les premières. Ce serait alors les fonctions communes ; mais je ne suis pas très-sûr de ce sens ; et il est bien possible qu’Aristote veuille dire simplement qu’il commencera par les premiers principes ; formule qui lui est assez habituelle et qui rend bien sa pensée.
  81. Dans l’Histoire des Animaux. Ainsi, l’Histoire des Animaux vient la première, selon l’intention de l’auteur, aussi bien que dans l’ordre logique ; elle donne les faits observés ; le Traité des Parties expose les causes et les fins d’une manière générale ; en définitive, le traité de la Génération est consacré à cette fonction, qui est le but dernier de toutes les autres. C’est ainsi que notre grand Cuvier a exposé d’abord le Règne animal ; puis ensuite, dans son Anatomie comparée, il a exposé les diverses fonctions auxquelles l’anatomie s’applique, et il a terminé son admirable ouvrage par l’étude de la Génération. C’est absolument la marche du philosophe grec, au début de la science, il y a vingt-deux siècles. — Nous isolerons ces détails spéciaux. En effet, c’est de l’anatomie et de la physiologie comparée que l’auteur va faire dans le Traité des Parties, tandis que l’Histoire des Animaux devait, avant tout, être descriptive. La science actuelle distingue encore la partie descriptive de la partie anatomique et physiologique.
  82. Les combinaisons des choses… de trois genres. Ces trois sortes de combinaisons sont exposées dans les §§ qui suivent. Aujourd’hui, la chimie organique a reconnu des combinaisons plus exactes. Les éléments généraux du corps animal sont le carbone, l’hydrogène, l’oxygène et l’azote ; ces éléments et quelques autres se trouvent en grande partie dans le sang, qui est le fluide nourricier, et qui contient en outre de la fibrine, de la gélatine, de l’albumine, de la chaux, du phosphore, du fer, etc. C’est la proportion de ces éléments qui varie ; mais les éléments ne changent guère. Voir Cuvier, Règne animal, Introduction, p. 23, 2e édition. — Certains philosophes. C’est surtout à Empédocle qu’on attribue la théorie des quatre éléments. — La terre, l’air, l’eau et le feu. Cette analyse, toute insuffisante qu’elle est, a été généralement acceptée jusqu’au seizième siècle tout au moins. — Les propriétés et les forces. Il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Ailleurs et antérieurement. Parmi les ouvrages d’Aristote auxquels ce passage fait allusion, on pourrait citer plus particulièrement la Météorologie, liv. I, ch. III, § 14 de ma traduction ; la Physique, liv. III, ch. VII, §§ 7 et suiv. id. ; Traité du Ciel, liv. IV, ch. IV, §§ 1 et suiv. id. — La matière de tous les corps composés. Peut-être le mot de Matière n’est-il pas très-juste. Il vaudrait mieux dire : Propriétés ; mais le texte est formel, et il ne peut avoir un autre sens.
  83. Les conséquences de celles-là. On ne doit pas s’étonner de ce qu’il y a d’incorrect et de vague dans ces théories. — La seconde combinaison. Voir plus haut, § 2. — Celle des parties similaires. Voir l’Histoire des Animaux, liv. I, ch. I, § 1. — La chair et les parties semblables. La chair se divise toujours en chair, l’os en os, le nerf en nerf, etc. — Des parties non-similaires. Voir l’Histoire des Animaux, loc. cit. Les exemples que donne Aristote sont d’ailleurs parfaitement clairs.
  84. Il faut bien savoir… Aristote a traité le même sujet d’une manière très-étendue dans un ouvrage spécial : de la Production et de la Destruction des choses ; voir ma traduction passim. La distinction faite ici entre l’essence, qui est antérieure, et la production, qui ne vient rationnellement qu’après l’essence, est une des théories les plus importantes du système d’Aristote. Il revient par cette voie, et sans peut-être en avoir conscience, à la théorie Platonicienne des Idées. — Sont contraires entre elles. Dans la mesure qu’Aristote indique un lieu plus bas ; mais l’opposition n’est pas absolue ; et l’essence et la génération ne se comprennent pas l’une sans l’autre. — Postérieures sous le rapport de la génération. L’essence de la chose n’est notoire qu’après que la chose a été réalisée. — Le premier en nature… J’ai conservé la formule du texte dans toute sa généralité. — La maison. Exemple dont Aristote se sert très-souvent, sans doute à cause de sa vulgarité, qui le rend parfaitement clair. Il est répété un peu plus loin, § 6.
  85. L’induction. C’est-à-dire le raisonnement général appliqué aux faits particuliers que l’on a observés. — La raison. L’opposition entre la raison et l’induction consiste à peu près uniquement en ceci que la raison se passe presque entièrement des faits et les suppose déjà connus, sans pouvoir cependant s’en passer d’une manière absolue. — Provient de quelque chose. C’est ainsi que la vie suppose toujours la vie ; et que, selon la formule péripatéticienne, répétée un peu plus bas : « L’homme engendre l’homme ». Sur cette grande question, voir la Préface à l’Histoire des Animaux, p. CIV. — Qui a déjà lui-même une certaine nature. De là, la perpétuité de l’espèce qu’Aristote a si bien établie et que la science de nos jours conteste si étrangement, égarée par le Transformisme. — La plante produit la plante. Le chêne est avant le gland, comme la poule est avant l’œuf, etc., etc. — Selon la matière, qui varie avec les différents êtres.
  86. Chronologiquement… en raison. L’opposition est aussi nette que possible. Dans le temps, la production est la première ; mais au point de vue de la raison, c’est l’essence de la chose, ou son Idée, qui est antérieure. Sans la notion essentielle de la maison, l’architecte ne saurait construire la maison ; et en la construisant, il ne fait que réaliser la notion préalable, ou l’essence. — La définition de la construction. Opposée à la définition de la maison elle-même. La définition ne représente au fond que l’idée.
  87. La matière des éléments. Voir plus haut, § 2. — En vue des parties similaires. Voir plus haut le § 3, et l’Histoire des Animaux, liv. I, ch. I, § 1. — Postérieurement aux éléments. En supposant que les parties similaires se composent des quatre éléments combinés de certaines manières, il est évident qu’elles ne peuvent venir qu’après eux, de même que les parties non-similaires supposent l’existence préalable des parties similaires. La science moderne emploierait d’autres expressions pour représenter d’autres faits ; mais elle procède aussi de la même manière, en commençant par les éléments chimiques dont le corps des animaux est formé. — En troisième lieu. D’abord les quatre éléments ; puis les parties similaires que forment leurs diverses combinaisons ; et en troisième lieu, les parties non-similaires, qui forment le couronnement de tout ce qui les précède.
  88. De ces deux espèces de parties. La distinction est exacte ; et la science de nos jours pourrait encore s’en servir utilement. — Qui accomplissent les fonctions et les actes. L’expression grecque a cette nuance que les fonctions ne regardent en quelque sorte que l’organisation intérieure des animaux, tandis que les actes sont surtout extérieurs. — De l’œil, du nez, etc. Chacun de ces organes ou de ces membres contient beaucoup de parties diverses, qui se résolvent définitivement en parties similaires. — Du bras pris dans sa totalité. Le bras, en tant que membre, présente plusieurs parties très-diverses, le haut du bras, l’avant-bras, le poignet, la main, les doigts, les phalanges, etc., chacune de ces parties étant formée elle-même d’éléments non moins divers. — Excessivement variés. C’est surtout en étudiant l’anatomie comparée, dans Cuvier, par exemple, qu’on peut vérifier combien cette vue d’Aristote est juste ; sans doute, il ne savait encore que peu de choses sur les fonctions et les actes des animaux ; mais il en savait assez déjà pour être émerveillé de leur nombre et de leur diversité. — Des forces. C’est le mot même du texte ; on pourrait dire aussi : « Des propriétés ».
  89. C’est de la mollesse… Toutes ces observations sont profondément vraies. — De puissances et de propriétés. Il n’y a qu’un seul mot dans le texte. L’une est molle. La chair, par exemple. — L’autre est sèche. Comme les os. — Les parties non-similaires… Ces parties ont les mêmes variétés que les parties similaires, parce qu’elles en ont également besoin pour accomplir leurs mouvements et leurs fonctions complexes. — À la main. L’exemple est parfaitement choisi. Il faut se reporter au liv. IV, ch. X, §§ 14 et suiv. pour voir jusqu’à quel point Aristote admire l’organisation de la main de l’homme, tout en réfutant Anaxagore, qui croit que c’est à la main que l’homme doit son intelligence ; voir aussi la Préface à l’Histoire des Animaux, p. CXXXVI. — Telle autre lui permet de les saisir. Voir Cuvier, Anatomie comparée, Ive leçon, article IX, des os de la main ; article X, des muscles de la main, etc.
  90. Les parties qui forment les organes. Le texte dit simplement : « Les parties organiques ». Ce sont, par exemple, les membres avec toutes les divisions particulières qu’ils comportent. — D’os, de nerfs, de chairs… Ce sont les parties similaires ; voir l’Histoire des Animaux, liv. I, ch. I, § 1. — En vue d’une certaine fin. Application particulière du grand principe des causes finales, qu’Aristote a proclamé le premier ; voir la Préface à l’Histoire des Animaux, p. CLIX. — Comme on le voit pour quelques viscères. Ceci répond à des théories anatomiques qu’acceptait Aristote, mais que nous ne connaissons pas.
  91. Par la variété infinie de leurs formes. Cette observation est fort exacte ; et la forme seule suffit pour établir de profondes différences, en supposant que la matière reste la même. — Soient composées de celles-là. C’est-à-dire des parties non-similaires. La chose est tellement évidente qu’il semble assez inutile de la dire.
  92. C’est par ces causes. On peut trouver ceci un peu trop vague. — Simples et similaires… Composées et non-similaires. Voir le début du premier livre, ch. II, § 1. — Des organes… des sens. La distinction aurait pu être plus fortement indiquée, puisque les sens sont aussi des organes. Mais le mot d’Organes, ou instruments, a un sens plus large, et il comprend aussi les membres et les viscères. — Dont les animaux ont besoin. J’ai dû développer un peu le texte pour rendre toute la force de l’expression grecque. — Est non-similaire. C’est-à-dire, composée de matériaux de diverses espèces et de plusieurs parties qui ne se ressemblent pas. — La sensation a lieu dans des parties similaires. L’observation est profonde ; et la raison qu’Aristote en donne est très-solide. L’anatomie comparée de nos jours ne peut qu’approuver cette théorie. — Chaque organe des sens. Ceci revient à dire que la rétine seule peut voir, que la pulpe auditive est la seule qui puisse entendre, etc. Sur tous ces détails, voir le Traité de l’Ame, liv. II, ch. XII, et liv. III, ch. I et II, pp. 247 et suiv. de ma traduction.
  93. Ce qui n’est qu’en puissance…. Ceci ne s’applique qu’à la sensation, qui résulte à la fois de l’organe et de l’objet extérieur auquel il répond. — Et l’objet sensible et la sensation. Voir le Traité de l’Ame, liv. III, ch. II, § 1, p. 264 de ma traduction. — Physiologue. J’ai conservé le mot grec ; on pourrait traduire aussi : « Naturaliste ». — La main, le visage… Parce que ce sont des parties non-similaires. — Tel sens est de l’air. Voir le Traité de l’Ame, liv. II, ch. VII, § 5, p. 214 de ma traduction. — L’air… du feu. Id., ibid., liv. III, ch. I, § 2, p. 255.
  94. Est dans les parties simples. Ou Similaires ; voir le § 12. — Simple et absolu… Il n’y a qu’un seul mot dans le texte. Ceci veut dire sans doute que le toucher n’a pas un organe spécial comme les autres sens, l’œil, l’oreille, etc., etc. ; mais qu’il est répandu dans le corps entier. — Le plus varié de tous les sens. Le texte dit mot à mot : « Qui a le plus de genres ». — Le sensible auquel il s’applique. J’ai conservé la formule même du texte, parce qu’elle est très-claire, quoique un peu étrange. — Ce qui correspond à la chair. Dans les animaux qui n’ont pas de chair proprement dite, par exemple les insectes. — Qui tient le plus de place. Ou pour mieux dire, qui est répandu dans le corps entier.
  95. Sans la sensibilité. Puisque c’est la sensibilité qui constitue essentiellement l’être animé, l’animal proprement dit, et le distingue de la plante. Voir le Traité de l’Ame, liv. II, ch. II, § 4, p. 174 de ma traduction, où cette distinction de l’animal et de la plante est exposée longuement. — Dans ces parties. Et particulièrement dans la chair, où se ramifient les nerfs de la sensibilité. Aristote ne pouvait pas connaître ces détails anatomiques et physiologiques, qui n’ont été découverts que dans notre siècle ; mais sa théorie générale n’en est pas moins juste. — Mais les actes. L’expression dont se sert le texte est peut-être moins large ; et elle s’applique particulièrement aux actes intérieurs de l’organisme plus encore qu’aux actes proprement dits. — À l’aide des parties non-similaires. Et spécialement à l’aide des membres, instruments indispensables à l’activité extérieure. — Dans la même portion du corps. Dans le Traité de l’Ame, auquel il est fait allusion ici, c’est l’âme et non une partie du corps qui est le siège des facultés de nutrition, de sensibilité, de locomotion et de pensée ; voir le Traité de l’Ame, liv. II, ch. II, § 6, p. 175 de ma traduction ; et liv. III, ch. XII pp. 341 et suiv. — Dans d’autres ouvrages. Ce ne peut être que le Traité de l’Âme. — Une partie simple, et similaire. — Une partie non-similaire. Parce que la volonté a besoin d’organes et de membres pour déterminer le mouvement.
  96. La partie correspondante au cœur. C’est dans l’anatomie comparée qu’il faut étudier l’organisation du cœur, ou des organes qui le remplacent dans toute la série animale. — C’est le cœur. Il semblerait donc que le cœur est, dans la théorie d’Aristote, la portion du corps qui est le siège des trois facultés de la sensibilité, de la locomotion et de la nutrition, dont il est parlé au § précédent. — Il est une partie non-similaire. Le cœur est formé en effet d’éléments nombreux, et il ne se peut pas diviser en plusieurs cœurs, ce qui serait le propre d’une partie similaire ; voir l’Histoire des Animaux, liv. I, ch. 1, § 1, p. 1, de ma de ma traduction. — De la même matière que lui. L’erreur est ici de toute évidence ; et les viscères tels que le foie, la rate, le pancréas, etc. sont formés d’une tout autre matière que le cœur ; mais Aristote les assimile au cœur parce que tous les viscères reçoivent du sang, qui les nourrit et les entretient. Cette généralité, à ce point de vue, n’est pas fausse ; mais elle n’autorise pas à dire que la matière des viscères soit identique à celle du cœur. — Posés sur des vaisseaux veineux. C’est la traduction littérale du texte ; mais cette théorie ne répond pas à la réalité des faits.
  97. Semblables au limon d’une eau courante. Aristote fait rarement des comparaisons de ce genre ; et celle-ci n’est pas très-exacte ; mais l’anatomie et la physiologie des viscères sont si difficiles et si délicates qu’il n’y a pas à s’étonner qu’au début des observations, on ait pu commettre de ces erreurs et imaginer de telles théories. Voir l’Anatomie comparée de Cuvier, tome IV, Ire édit., p. 181 et suiv. 24e leçon, article 2. — Le principe des veines. Voir l’Histoire des Animaux, liv. III, ch. II, pp. 215 et suiv. de ma traduction. — L’initiative et la faculté première. Il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — D’élaborer le sang. C’est plutôt le poumon qui élabore le sang en le mettant en contact avec l’air ; mais c’est le cœur qui donne au sang le mouvement indispensable à la circulation et à la vie. — Être sanguins. C’est la traduction littérale du texte ; mais l’expression n’est pas très-claire ; et, peut-être faudrait-il entendre que les viscères sont pleins de sang, comme l’est le cœur. — Tantôt similaires et tantôt non-similaires. Ce résumé partiel ne représente peut-être pas très-bien ce qui précède.
  98. . Entre les parties similaires. Le sang, 1 os, le nerf, la bile, etc. ; voir l’Histoire des Animaux, liv. I, ch. I, § 1. — Molles et liquides…. Dures et solides. Les exemples suivent, bien qu’ils ne concernent guère que les parties molles ou liquides. — Les matières analogues, Ou, équivalentes.
  99. .. Les animaux n’ont pas tous…. L’organisation des animaux de tout ordre est variée à l’infini, bien qu’au fond le but poursuivi par la nature soit le même, et soit toujours atteint malgré des diversités innombrables, comme le démontre l’anatomie comparée. — Des parties correspondantes. Par exemple, les branchies des poissons correspondent aux poumons des vertébrés. — Le nerf, Ou, le muscle. — La division des parties similaires. Comparées sans doute aux parties non-similaires ; la pensée n’est pas douteuse ; mais l’expression n’est pas suffisamment exacte. — Pour quelques cas. Il semble que, pour les parties similaires, la règle est générale, puisque ce sont celles où la partie ressemble toujours au tout : une goutte de sang est toujours du sang, aussi bien que la masse du sang dans le corps entier. — N’être pas homonyme. Ceci ne s’applique qu’aux parties non-similaires, qui peuvent être même des membres. — Une partie du visage Voir le même exemple dans l’Histoire des Animaux, liv. I, ch. 1, § 1, p. 2 de ma traduction.
  100. Plusieurs nuances dans la cause. Cela revient à dire que les parties liquides et solides ont plusieurs destinations, et qu’elles servent dans le corps à plusieurs objets. Ainsi, la bile n’a pas le même objet que le sang ; la lymphe, le suc gastrique, ont chacun aussi leur objet particulier ; l’os ne remplit pas les mêmes fonctions que les muscles ou les cartilages, etc. — Comme la matière des parties non-similaires. Les parties non-similaires ne se composent que de parties similaires dans des proportions diverses. — Substance de l’animal… ses fonctions. La distinction est très-juste. — Sont liquides, Ou, fluides. — C’est du liquide…Voir des idées tout à fait analogues dans Cuvier, Anatomie comparée, Ire leçon, Economie animale, Fonctions organiques, pp. 15 et suiv., Ire édit. C’est ainsi que Thalès avait fondé son système, qui rapportait tout à l’action de l’eau et du liquide. Voir la Métaphysique, liv. I, ch. III, § 12, p. 28 de ma traduction.
  101. Le résidu. C’est-à-dire, la partie qui n’a pas pu être employée à la nutrition. — Dans les animaux qui ont une vessie. Ceci ne se rapporte qu’à l’excrétion liquide et aux animaux qui ont une vessie ; mais l’idée d’excréments est plus générale ; et tous les animaux en ont sous une forme ou sous une autre, quelle que soit d’ailleurs leur organisation. — Une meilleure disposition des choses. Le texte dit simplement : Le mieux. — C’est là le rapport. C’est-à-dire qu’il y a du sang meilleur ou moins bon, comparativement à tel autre sang. — Plus boueux. C’est l’expression du texte. — Comparativement aux inférieures. Je ne sais pas si la physiologie moderne a fait des observations spéciales sur ce point. — D’un animal à un autre. La différence alors est bien plus sensible.
  102. Les uns ont du sang… un autre liquide qui y ressemble. La science moderne reconnaît également ces deux grandes classes d’animaux qui ont du sang rouge, et d’animaux qui ont du sang blanc ou incolore. C’est toujours un fluide qui les nourrit les uns et les autres, comme le dit Aristote. — Plus léger et plus froid… Toutes ces observations sont dignes d’attention, en supposant même qu’elles ne soient pas toutes parfaitement exactes. La science moderne n’a peut-être pas fait assez de recherches sur ces variétés du sang, dans ses rapports avec l’intelligence ou l’instinct. Un fait qui paraît assez constant c’est que, dans les hommes les plus intelligents, la circulation est très-lente, et que les pulsations du pouls sont relativement très-faibles. — Les abeilles. Il n’est pas probable que l’intelligence des abeilles tienne à ce qu’elles n’ont pas de sang. Beaucoup d’autres insectes en sont privés comme elles, ou plutôt ont comme elles un sang blanc ; et cependant ils n’ont pas leur intelligence. — Chaud, léger et pur. Il est difficile de savoir par quels procédés Aristote avait pu constater ces variations dans la nature du sang.
  103. La différence qu’on peut trouver. Il est évident qu’on avait dû faire des observations directes sur la chaleur relative du sang, selon les diverses parties du corps où on l’observe, et selon les sexes. — Les autres parties. Du corps, soit intérieures, soit extérieures. — Non-similaires. Il y a sans doute des différences de température dans les parties non-similaires, comme il y en a dans les parties similaires. — De ces différences. Le texte est moins précis. — Au mieux ou au pis. J’ai conservé la concision et la tournure du texte. Le mieux et le pis sont des dispositions qui contribuent plus ou moins au bien-être, à la santé, ou même à la beauté de l’animal. — Les unes les ont durs. Comme certains insectes — Les autres les ont liquides. Comme les mammifères et les poissons, etc., etc. Voir l’Anatomie comparée de Cuvier, XIIe leçon, tome II, pp. 364 et suiv. — De paupières. Id. ibid. Article II, pp. 428 et suiv. — Plus puissante. Le texte dit précisément : Plus exacte.
  104. Afin de bien démontrer. On voit avec quelle méthode et avec quelle régularité procède Aristote. — Ou tout autre liquide de même nature. Pour remplir des fonctions analogues, dans l’organisation de chaque espèce. — Du chaud et du froid. La recherche était intéressante et curieuse ; mais, les Anciens ne connaissant pas le thermomètre, il leur était bien plus difficile de faire des observations exactes, pour servir de fondement à leurs théories. — Nous examinerons ensuite les causes. D’abord les faits positifs, et après la constatation des faits, les explications qu’on peut en donner. — Qui font que le sang est ce qu’il est. Ou plutôt : En vue des actions que le sang doit exercer et des fonctions qu’il doit entretenir. — Parmi les philosophes. Il est à regretter qu’Aristote ne les ait pas nommés ; mais cette indication suffit pour montrer qu’il n’était pas le seul à s’occuper de ces questions, qui, de son temps, étaient encore fort neuves. — Les animaux aquatiques sont plus chauds. Cette opinion n’est pas exacte ; et la raison qu’on en donne ici est purement abstraite. Je ne crois pas que la science moderne ait fait des observations très-étendues sur la chaleur comparative des animaux. Cuvier n’en dit que quelques mots, Anatomie comparée, leç. xxvi
  105. On ajoute encore. C’est une nouvelle erreur, que du reste Aristote ne partage pas plus que l’autre. Comme c’est le sang qui porte la vie et la chaleur dans toutes les parties du corps, il semble qu’il était plus naturel que les animaux exsangues fussent moins chauds que les autres. — Les femelles… les mâles… La remarque est générale ; et quelques lignes plus loin, elle est restreinte, d’après Parménide, aux femmes et aux hommes. — Parménide… Empédocle. Voir, sur ces deux philosophes et leurs travaux physiologiques, la Préface à l’Histoire des Animaux, p. LVIII. — D’autres naturalistes. Il est regrettable qu’ils ne soient pas désignés nominativement. — De sang ou de bile est plus chaude. Cette opinion est la plus vraie.
  106. Si le chaud et le froid… Critique fort juste. La température des êtres animés ou inanimés est en effet une des sensations les plus distinctes que nous puissions avoir. Les Anciens n’avaient pas comme nous des instruments précis pour la mesurer ; mais ils l’observaient avec soin, comme l’atteste tout ce passage. — Plus chaud… La discussion qui va suivre peut paraître un peu longue ; mais elle prouve avec quel soin Aristote cherchait à éclaircir les questions, en déterminant le sens des mots le plus exactement possible. Il sent bien que c’est l’équivoque qui fait le plus souvent le fond de toutes les controverses.
  107. Se rendre compte. On voit quelle importance s’attache à la question, puisque c’est de la chaleur plus ou moins grande que dépendent la vie et la mort. — Des composés naturels. J’ai pris cette expression générale, qui rend fidèlement le texte ; mais la suite montre qu’il s’agit surtout des animaux que forme la nature. — Ce sont aussi les causes. L’action de la chaleur s’étend en effet aussi loin ; et Aristote n’exagère rien en lui donnant cette puissance. — Du sommeil et de la veille. Voir le traité spécial qu’Aristote a consacré à cette question, Opuscules psychologiques, pp. 145 et suiv., et spécialement, ch. 12, p. 164. — Virilité… vieillesse. Voir les mêmes Opuscules psychologiques. — Ce ne sont pas ces qualités.. Ceci ne paraît pas une suite bien régulière de ce qui précède.
  108. . Conforme à la raison. C’est une formule qu’Aristote aime à employer souvent ; et il oppose ainsi la raison à l’observation, et la réalité à la théorie. D’ailleurs, à son point de vue optimiste, l’esprit de l’homme n’a guère qu’à approuver la nature, en s’efforçant de la comprendre dans tout ce qu’elle a d’admirablement sage. — Déjà dit dans d’autres ouvrages. Voir plus haut, ch. I, § 2, et surtout la Météorologie, liv. IV, ch. I, p. 273 et suiv. de ma traduction ; le IVe livre est consacré presque tout entier à la question de la chaleur et du froid, telle qu’on la posait dans ces temps reculés. — Est-ce que, quand on dit chaud… Voir plus haut, § 9. — Une chaleur plus grande… Sans doute, parce que les effets de la chaleur sont d’autant plus évidents qu’elle est plus grande.
  109. En un sens… Les distinctions qui suivent peuvent paraître un peu subtiles ; mais elles ne sont pas fausses. — Échauffer davantage ce qui la touche. Il n’y avait pour les Anciens que la sensation qui pût servir de témoignage et de mesure ; nous avons aujourd’hui le thermomètre, qui sent à notre place et qui sent mieux que nous ne pourrions le faire. — Une sensation plus vive. Nous avons toujours ce moyen d’information. — Accompagnée de douleur. C’est vrai en partie ; mais quand la sensation est trop forte et trop douloureuse, on ne sait pas tout d’abord si elle vient du chaud ou du froid. Les températures excessives causent le même effet. Il n’y a que les sensations moyennes que l’on perçoive bien. — Qu’une erreur. Remarque fort juste. La sensation du froid et du chaud dépend pour beaucoup de la disposition où est le corps qui l’éprouve. — Une chaleur plus grande… Autre distinction, qui est exacte, mais qui n’est pas très-nécessaire. — La même chose. Autre remarque non moins vraie, la quantité de chaleur dépendant souvent de l’étendue de l’objet échauffé ou refroidi ; car la même remarque s’applique au froid aussi bien qu’au chaud.
  110. Que l’on compare. Le texte n’est pas tout à fait aussi précis ; mais le duel qu’il emploie implique une idée de comparaison. — Passe pour plus chaude. Et elle l’est en réalité. — L’un est contraire… l’autre semblable. J’ai dû conserver dans la traduction l’indécision du texte ; mais le sens n’est pas douteux, quoique l’expression ne soit pas aussi claire qu’on pourrait le désirer. Contraire, Eloigné, Semblable, Proche, se rapportent à la disposition actuelle de notre sensibilité, quand nous percevons ces impressions diverses. — Des acceptions absolument différentes. Le texte n’est pas aussi formel. — Des nuances qu’il faut distinguer. Ceci est vrai ; mais il faudrait montrer comment la question se rattache à l’organisation animale.
  111. À la fois. J’ai ajouté ces mots, qui me paraissent nécessaires pour compléter la pensée. — Échauffe plus que la flamme. C’est l’expression du texte ; on peut la trouver bien vague ; et la comparaison entre la chaleur de l’eau bouillante et celle du feu pouvait être expliquée plus nettement. Peut-être faudrait-il traduire par « Plus chaude » au lieu de dire : « Échauffe plus ». — Est plus chaude qu’un petit feu. Le texte a changé ici d’expression, comme ma traduction le fait. — Le feu ne devient jamais froid. Cet argument n’est pas très-fondé. — L’eau bouillante est plus chaude que l’huile. Ce détail et ceux qui suivent peuvent paraître ne se rattacher que de très-loin à la question de la chaleur animale. L’huile dont se servaient les Grecs n’avait pas sans doute les mêmes qualités que les huiles dont nous nous servons. L’eau se congèle à 0° ; et il y a des huiles qui ne gèlent qu’à — 4°, et même au-dessous. L’huile grecque se congèle, à ce qu’on croit, même avant que la température soit à 0°. — Ils brûlent bien davantage. C’est l’expression même du texte.
  112. Il faut ajouter. La digression continue ; et tous ces détails sont un peu prolixes. — Étrangère…. propre. Ceci se rapproche davantage de la question relative aux animaux. L’eau n’est pas chaude par elle-même ; le feu, au contraire, est essentiellement chaud, bien que sa chaleur puisse dans certains cas être moins durable que celle de l’eau. — C’est comme si…. La comparaison peut paraître assez singulière, bien qu’elle ne soit pas fausse.
  113. Par soi-même… accidentellement. La distinction est très-juste, comme le prouvent tous les exemples qui viennent d’être cités. — D’après la sensation qu’il nous cause. J’ai dû développer un peu le texte. — A plus de chaleur quand on la touche. Ceci ne paraît pas exact ; mais le texte ne peut offrir un autre sens.
  114. Laquelle est la plus chaude. La remarque d’Aristote est juste, si l’on considère les ressources de la science au temps où il écrivait. Aujourd’hui, les instruments dont nous disposons nous permettent de comparer la chaleur relative des différents corps. — À un certain point de vue… à un point de vue différent. C’est ce que la science actuelle peut vérifier dans ses expériences de chaque jour. — Il y a même de ces objets. Les exemples qui suivent, de l’eau et du fer, expliquent clairement la pensée.
  115. . Est bien une nature d’une certaine espèce. Le fait est incontestable ; et grâce au thermomètre, le froid commence pour nous à zéro, de même que la chaleur commence au-dessus. Chez les Anciens, la limite n’était pas aussi facile à déterminer. — De la fumée ou un charbon. La fumée est chaude par nature comme le feu, tandis que le charbon ne devient chaud que comme le deviennent le fer et l’eau, cités plus haut. — L’huile et la poix. Exemples analogues. Ces deux matières ne deviennent chaudes qu’à la façon de l’eau par le contact du feu. De plus, la poix se liquéfie sous l’action de la chaleur.
  116. La poussière et la cendre. La cendre vient du feu sans doute ; mais elle se refroidit tout aussi bien que l’eau, et elle n’a pas de chaleur par elle-même ; la poussière en a encore moins. — Les déjections des animaux… Il semble, d’après ce passage, qu’Aristote a pressenti la grande théorie moderne qui, dans la respiration et l’entretien de la vie, voit une combustion, qu’alimente sans cesse l’oxygène tiré de l’air extérieur. Cuvier, Anatomie comparée, leçon XXIVe, pp. 172 et suiv., Ire édit. et XXVe leçon, pp. 296 et suiv. — Et qu’il leur en est resté quelque chose. Le texte n’est pas plus précis. — La poix et les graisses… Qui se liquéfient d’abord par l’action du feu, et qui ensuite deviennent brûlantes, comme l’eau bouillante. — La chaleur coagule et dessèche. Cette action de la chaleur varie avec les divers objets auxquels elle s’applique ; et selon ce qu’ils sont par eux-mêmes. — Aqueuses… terreuses. Il faut se rappeler que, pour les Anciens et spécialement dans les théories d’Aristote, il n’y a que quatre éléments, à l’aide desquels on essaie d’expliquer la composition de tous les corps, vivants ou bruts. Aujourd’hui, les éléments ou corps simples de notre chimie sont infiniment plus nombreux et surtout plus réels, parce que l’analyse a été poussée beaucoup plus loin.
  117. Dans d’autres ouvrages. Voir la Météorologie, liv. IV, ch. X, pp. 340 et suiv. de ma traduction. — Les matières qui se coagulent. Ou, « qui gèlent ». Id. ibid., liv. IV, ch. VII, VIII, IX et X. — Exprimer ces nuances de bien des manières. Ces déterminations ne pouvaient Jamais être que très-vagues, en l’absence d’instruments qui permissent de les préciser. — Chaude en soi… d’une façon tout accidentelle. C’est là en effet une distinction qu’il faut toujours faire.
  118. La chaleur en puissance.., effective. Ces distinctions, qui sont surtout métaphysiques dans Aristote, ne sont pas ignorées de la physique et de la chimie modernes, où l’on pourrait trouver, sous une autre forme, des théories analogues.
  119. . Il va sans dire… Le froid étant l’opposé de la chaleur, il s’ensuit que tout ce qui est dit de la chaleur peut, en sens inverse, s’appliquer au froid également. Les choses sont plus ou moins froides, de même qu’elles sont plus ou moins chaudes, etc., etc.
  120. Ce que nous avions à exposer… On peut trouver que l’explication a été un peu longue ; mais elle était nécessaire pour bien comprendre ce qu’est la chaleur du sang, qui est le véritable objet de toute cette digression. Du reste, la question est une des plus importantes que la biologie générale puisse se proposer. Il suffit pour s’en convaincre de lire ce qu’en dit Cuvier, à propos de la respiration, dans son Anatomie comparée, leçons XXIVe et XXVIe, pp. 167 et 296.
  121. Comme suite… Après le froid et le chaud, Aristote doit étudier l’action du sec et de l’humide, puisque ces quatre qualités sont celles des quatre éléments. Ces théories se tiennent ; et Aristote les a toujours jointes dans ses recherches cosmologiques ; voir la Météorologie, liv. II, ch. IV, § 1, p. 141 de ma traduction, et surtout liv. IV, ch. I, p. 273. — En puissance et en acte. Distinction qui est très-réelle en toutes choses, mais qui l’est particulièrement ici, comme plus haut pour la chaleur et le froid. — La glace et tout liquide L’exemple est d’une clarté parfaite. — La terre et la cendre… Toutes ces observations, plus ou moins exactes, se trouvent déjà dans la Météorologie, liv. II, ch. III, § 29, p. 133 de ma traduction, et liv. IV, ch. II, §§ 2 et 3, p. 349, même traduction.
  122. Quand les matières se sont séparées. C’est-à-dire, la terre et la cendre, se séparant de l’eau à laquelle elles ont été mêlées, chacune retourne à sa nature propre, l’une sèche, l’autre liquide.
  123. C’est en ce sens… C’est-à-dire quand les choses ont en elles-mêmes une qualité naturelle qui leur est propre, et qu’elles ne perdent qu’accidentellement pour la reprendre quand les circonstances viennent à changer. — Plus haut. Voir plus haut, ch. § 10.
  124. . Ces points une fois fixés. La discussion, après ces théories préliminaires, en revient au sang, dont il faut expliquer la chaleur. L’explication donnée ici n’est pas bonne sans doute ; mais c’était déjà beaucoup que d’essayer de la donner. — Ce qui le fait être du sang. Ou bien « L’élément quelconque qui devient du sang ». Quant à la question même de la chaleur communiquée au sang, il aurait fallu, pour la résoudre, connaître la circulation pulmonaire, et l’action spéciale de l’air introduit par les bronches dans le poumon. Cette belle découverte était réservée à Harvey et au XVIIe siècle. — Dans la définition de l’homme blanc. C’est-à-dire, d’une manière tout à fait accidentelle. L’exemple d’ailleurs peut sembler assez étrange et assez obscur. — Il n’est pas chaud en soi. C’est la conclusion de cette discussion, qui aurait pu être plus concise.
  125. Nous en pouvons dire autant du sec et de l’humide. C’est-à-dire qu’il y a des corps qui sont essentiellement secs ou humides, et qu’il y en a d’autres qui ne le sont qu’accidentellement. — Lorsqu’ils sont isolés. C’est-à-dire, quand ils sont dans leur état naturel, et qu’ils n’ont pas subi une action extérieure, comme celle du feu. — Comme le sang… comme la bile. Entre le sang et la bile, il n’y a pas cette différence de température qu’Aristote croit y voir. — Ils se refroidissent et se liquéfient. Ils redeviennent ce qu’ils sont par nature, froids et liquides. — Plus sec. Le sang finit par se dessécher complètement, par suite de l’action de l’air, à laquelle on l’expose. — La bile jaune… Par cette épithète donnée à la bile, Aristote semblerait en distinguer plusieurs espèces ; ce qui ne serait pas exact. Voir Cuvier, Anatomie comparée, tome IV, pp. 35 et suiv., Ire édit. 6. A peu près tout ce qu’on peut dire. On peut trouver que ce que dit ici Aristote n’est pas suffisant pour expliquer la nature du sang ; mais il ne faut pas perdre de vue que la science en est à ses premiers pas. — Participer des qualités contraires. En ce sens qu’il peut être tantôt froid et tantôt chaud. Mais le sang, considéré dans son état naturel, qui est de circuler dans les artères et les veines, est essentiellement chaud, puisque dans le corps humain, il est toujours à plus de 35°, au-dessus de zéro.
  126. Nécessairement… Toutes les considérations qui suivent sur la nutrition et la chaleur sont très-justes, bien que peu précises ; nous en savons aujourd’hui bien davantage ; mais au temps d’Aristote, les notions qu’il donne étaient bien neuves. — Se développe et s’accroît.. Il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Doit prendre de la nourriture. De là vient que la fonction de la nutrition est générale dans toute la nature animée, dans les plantes aussi bien que dans les animaux. — Liquide et… sèche. Il aurait mieux valu dire : Ou, au lieu de Et. L’alimentation se fait nécessairement sous l’une de ces deux formes, ou sous les deux à la fois. — La digestion, Ou, la Coction, le mot grec a les deux sens ; et la digestion est bien en fait une sorte de cuisson des aliments. — La puissance, Ou, la Force. — Tous les animaux, toutes les plantes… La théorie est juste et irréfutable ; mais on ne sait rien pour ainsi dire de la digestion et de la coction chez les plantes, tandis que l’on connaît assez bien ces deux fonctions chez les animaux, — Un principe de chaleur naturelle. C’est le résultat de l’action du cœur et de la circulation chez les animaux supérieurs. — Plusieurs parties de leur organisation. Il aurait fallu désigner quelques-unes de ces parties. — Les élaborations. Ce mot est le mot même du texte ; j’ai ajouté l’épithète de Successives. Voir dans Cuvier, Anatomie comparée, tome III, Ire édit., le préambule de la XVIe leçon sur les organes de la digestion.
  127. . La première opération… par la bouche. C’est également ainsi que Cuvier commence l’étude de la digestion. Cet ordre est nécessaire, et il résulte évidemment de la nature des choses ; mais Aristote a le mérite de l’avoir appliqué le premier. — Pour être divisée. Cette fonction est accomplie dans la bouche par les dents, dont les formes diverses répondent aux diverses phases de cette première élaboration. Plus loin, liv. III, ch. I, Aristote reviendra longuement sur ce rôle des dents et de la bouche. — La bouche… n’est pour rien… elle prépare. Nous ne saurions mieux dire aujourd’hui. — Une bonne digestion. C’est un point d’hygiène incontestable ; et de là, l’importance que tous les médecins et les grands zoologistes ont attachée à l’étude des mâchoires et des dents ; voir l’Anatomie comparée de Cuvier, qui y a consacré trois leçons entières, XVIe, XVIIe et XVIIIe — En petites parcelles C’est l’effet de la mastication. — Plus facile à la chaleur. Ceci n’est pas faux ; mais c’est surtout l’action de l’estomac qui est facilitée par la première élaboration des dents. — La cavité supérieure… inférieure. La cavité ici, c’est d’abord la bouche, et ensuite l’estomac, qui l’un et l’autre sont creux et forment une cavité. Peut-être faut-il aussi comprendre l’estomac et le conduit intestinal, l’estomac étant considéré comme la partie supérieure, et l’intestin comme la partie inférieure ; mais le sens que je donne dans la traduction me semble préférable, à cause de ce qui précède.
  128. Le conduit, Ou, le Passage. — Non encore élaborée. Au moment de l’introduction, les aliments ne sont pas élaborés ; mais ils subissent dans la bouche une première transformation, qui vient non seulement des dents, mais aussi des glandes salivaires et du liquide qu’elles secrètent. Voir Cuvier, Anatomie comparée, tome III, XVIIIe leçon, pp. 203 et suiv., 1re édit., et aussi pp. 362 et suiv., sur le suc gastrique. — Attenante à la bouche. Ce n’est pas faux ; mais l’analyse n’est pas cependant assez exacte. — L’œsophage. Voir Cuvier, Id. ibid. XXe leçon, p. 366. — D’autres principes. Ceci est très-vrai ; et, parmi ces autres principes qu’Aristote ne nomme pas, on peut citer les canaux lymphatiques. — Comme dans une crèche. Cette métaphore est à remarquer dans Aristote, qui prend bien rarement de ces formes de style. — Et des autres viscères. Cette généralité est encore très-vraie, quoique un peu vague. — Les végétaux. Aristote ne manque jamais de rapprocher les plantes des animaux, toutes les fois qu’il en trouve l’occasion. — Les végétaux n’ont pas d’excrétions. Il faudrait ajouter : « Matérielles et apparentes », bien qu’il fût facile de supposer que les végétaux, se nourrissant, devraient avoir aussi quelques résidus de la nutrition. — La terre et la chaleur qui est en elle. L’explication est plus ingénieuse que vraie ; mais même aujourd’hui on ne sait pas encore d’une manière bien précise comment les végétaux se nourrissent. — Leur tiennent lieu d’estomac. Ceci encore est fort ingénieux.
  129. Une sorte de terre. L’expression est très-remarquable, à la fois parce qu’elle est fort juste et parce que les métaphores de ce genre sont excessivement rares dans Aristote. On trouvera dans Cuvier des idées tout à fait analogues, revêtues aussi d’un langage admirable, Anatomie comparée, Ire leçon, pp. 12 et suiv., Ire édit. Après avoir parlé des végétaux qui sont attachés au sol, il ajoute : « Les animaux, au contraire, qui ne sont pas fixés, et qui changent souvent de lieu, devaient pouvoir transporter avec eux la provision de sucs nécessaires à leur nutrition. Aussi ont-ils reçu une cavité intérieure dans laquelle ils placent les matières qui doivent leur servir d’aliments, etc., etc. » Puis, Cuvier répète l’expression énergique de Boerhaave, qui voit dans les vaisseaux absorbants des viscères « de véritables racines intérieures ». Il était possible, comme le montre notre texte, de remonter jusqu’au naturaliste grec pour lui faire honneur de cette image, que les plus grands physiologistes seraient heureux d’avoir trouvée. — Tirer leur nourriture. C’est ce que font les vaisseaux lymphatiques, pompant successivement le liquide nourricier dans le canal intestinal, pour le répartir dans toutes les parties du corps. — Transmet les aliments à l’estomac. C’est bien l’ensemble du phénomène dans sa partie essentielle ; mais les progrès de l’anatomie et de la physiologie ont permis à la science moderne de pousser l’analyse beaucoup plus loin. Il faut lire dans l’Anatomie comparée de Cuvier tout ce qui concerne la digestion, lec. XVIe et suivantes, depuis les dents jusqu’aux excrétions. — Un autre organe. Ceci est trop vague pour expliquer tout ce travail qui se fait dans les intestins après celui de l’estomac ; Aristote ne connaissait pas les vaisseaux chylifères et lymphatiques.
  130. Les veines se dirigent partout… Il est difficile de voir à quels faits anatomiques Aristote veut faire allusion, bien qu’il eût pris la peine de joindre des dessins à sa description. — Jusqu’au ventre. On pourrait traduire aussi : Jusqu’à l’estomac ; le mot grec a les doux sens. Mais il est impossible de se rendre compte clairement du trajet « des veines partant d’en bas ». — Des dessins Anatomiques. On sait que c’est Aristote qui a pensé le premier à cet ingénieux procédé. Voir M. Emile Heitz, Les écrits perdus d’Aristote, 1865, p. 71. — L’Histoire naturelle. C’est l’expression même du texte ; et c’est évidemment l’Histoire des Animaux, qui se trouve désignée ainsi, liv. III, ch. III, § 2 et IV, § l, de ma traduction. — Le sang est la nourriture définitive. C’est le sang que la science moderne appelle le fluide nourricier ; au fond, elle adopte la pensée du naturaliste grec, ou plutôt elle constate le même fait. — Qui tient lieu du sang. Par exemple, chez les insectes et chez tous les animaux à sang blanc ; voir la Préface à l’Histoire des Animaux, pp. XXXII et suiv.
  131. Diminue. Ou peut-être : Manque. — Qui ne prennent pas de nourriture. La privation absolue de nourriture amène la mort ; il ne s’agit sans doute ici que d’une privation relative, qui réduit la quantité du sang et l’altère. — Chez ceux qui en prennent. Le fait est évident dans cette généralité ; le point le plus délicat, ce serait de fixer le rapport de la quantité du sang à la quantité de la nourriture ; mais je ne sais si des calculs de ce genre ont jamais été faits. — N’a pour objet que de les nourrir. Cuvier, Anatomie comparée, tome III, de la digestion en général, p. 4, dit : « Tous les aliments se décomposent et se confondent par l’acte de la digestion, en un fluide homogène, d’où chaque partie reçoit les aliments qui la doivent nourrir, les attire à elle par une espèce de choix, et les combine entre eux dans les proportions convenables. C’est l’emploi de ce fluide nourricier qui constitue la nutrition proprement dite. »
  132. Même en étant touché dans les organes… Le texte semble dire que le sang quand on le touche ne cause pas de sensation ; ce qui n’aurait pas un sens très-clair ; j’ai préféré l’interprétation que je donne à cause de ce qui suit ; mais je reconnais que le texte ne s’y prête pas beaucoup. Le sang, pourrait-on dire encore, n’est pas plus sensible qu’aucune des autres sécrétions du corps, tandis que la chair, par exemple, est très-sensible, dès qu’on la touche. Ce rapprochement de la chair et du sang n’est pas très-exact ; mais cette observation se réduit à ceci que le sang et les autres excrétions du corps ne sentent pas, comme la chair sent dans le corps entier. — N’est pas en contact avec la chair. Ceci n’est pas exact ; et par la ramification des vaisseaux de plus en plus ténus, le sang se mêle à la chair et la nourrit. Mais au temps d’Aristote, l’analyse anatomique ne pouvait pas être poussée aussi loin. — En un vase. C’est l’expression même du texte, que la science moderne conserve en grande partie, quand elle nous parle du « système vasculaire ». — Et les veines. Nous ajouterions : « Et les artères » ; mais Aristote ignorait cette distinction. — Leur développement et leur croissance. Il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Le traité de la Génération des Animaux. Voir cet ouvrage spécial, liv. III, p. 222, de l’édition et traduction de MM. Aubert et Wimmer. — Et ailleurs. Aristote a parlé souvent de la nutrition ; il avait fait un ouvrage particulier sur ce grand sujet ; mais cet ouvrage est malheureusement perdu.
  133. Une intelligence plus brillante… Ces considérations sur le rapport du sang à l’intelligence sont fort ingénieuses ; et l’on peut regretter que, dans la science moderne, on ne les ait pas reprises et poussées plus loin. — À cause de la froideur du sang. Il semblerait plutôt que c’est la chaleur qu’il faudrait dire. Toutefois il semble constaté par de récentes recherches qu’en général les hommes de génie et de haute intelligence ont le pouls très-faible et extrêmement lent ; ce qui rentrerait dans la théorie d’Aristote, croyant que la froideur du sang contribue à aiguiser l’esprit. — Le terreux. J’ai conservé la formule même du texte, qui d’ailleurs est très-claire. — Des humeurs. Le grec dit mot à mot : L’humidité.
  134. Qui n’ont pas de sang. Ce sont les insectes, selon les théories ordinaires d’Aristote. — Antérieurement. Voir plus haut, ch. I, § 16, et ch. II, §§ 4 et suivants. — L’abeille, la fourmi… Il faut voir la longue étude qu’Aristote a consacrée aux abeilles dans l’Histoire des Animaux, liv. IX, ch. XXVI et XXVII de ma traduction ; voir aussi la Préface à cet ouvrage, p. XII. — Le sang est trop aqueux. Ceci atteste que les observations d’Aristote sur le sang étaient exactes et profondes. La trop grande liquidité du sang est une cause d’affaiblissement très-réel ; et chacun de nous peut sans trop de peine en faire l’expérience. L’anémie, dont on parle tant de nos jours, n’a pas très-souvent d’autre cause. — Sont plus timides. Ceci n’a rien d’impossible. — Cette mixtion humide qui est dans le cœur. Le texte n’est pas plus précis. — Prédisposés à la crainte. Il est certain que la frayeur nous cause un refroidissement subit, et parfois même, quand elle est trop forte, elle arrête la circulation du sang et la vie. Tous les phénomènes qu’Aristote décrit sont d’une parfaite exactitude ; et ce sont des observations qu’il est facile de vérifier sur les animaux qui vivent autour de nous. — Sans mouvement… leurs excréments… changent de couleur. Ce sont là des faits certains, qui se renouvellent fréquemment.
  135. . Beaucoup de fibres… épaisses. Cette généralité est fort exacte ; et c’est bien la fibrine, en effet, qui donne au sang sa consistance. — Plus terreuse. C’est-à-dire, plus solide ; c’est le caillot, qui peut se séparer du sérum, qui est la partie liquide du sang. — Leur caractère est plus courageux. Ces études ne semblent pas avoir été poursuivies par la science moderne, toutes curieuses qu’elles sont. Quelle influence la composition du sang peut-elle avoir sur le caractère des animaux ? Quel est le rapport de l’une à l’autre ? — La colère produit de la chaleur. Ceci encore est incontestable. — Plus de chaleur que les liquides. Voir plus haut la théorie sur les degrés de calorique dans les différents corps, liv. II, ch. II, §§ 11 et suivants. — Sont solides et terreuses. C’est bien là la différence du sérum et du caillot ; c’est le caillot qui est solide, et, pour prendre le langage aristotélique, qui est terreux. La fibrine est dissoute dans le sérum, qui est liquide. — Des étuves dans le sang. Ceci est justifié par ce qui suit. — Un véritable bouillonnement. Ce n’est pas l’état habituel du sang ; mais cette ardeur du sang est très-réelle dans les cas exceptionnels de vives émotions ou de fièvres.
  136. Les taureaux et les sangliers. Le caractère prêté ici aux sangliers et aux taureaux est bien le leur ; ce caractère tient-il à la composition du sang ? C’est là une question difficile, que la science moderne aurait sans doute grand’-peine à résoudre. — Celui qui a le plus de fibres. Le fait serait facile à vérifier. La chimie actuelle a constaté que le sang se compose de globules, rouges et blancs, en quantité prodigieuse, d’albumine, de fibrine, d’eau et de substances diverses, dans des proportions qui sont par ordre, 127, 70, 3, 790 et 10, pour une quantité totale de 1,000. — Qui se coagule le plus rapidement. Le fait paraît exact. — Ne se coagule plus. La science actuelle a constaté le fait, qui est absolument indubitable. C’est la fibrine seule qui se coagule dans le sang ; mais on ne sait pas encore comment elle se coagule. Ce n’est pas le froid qui produit la coagulation, puisqu’elle est plus rapide si le sang est maintenu à la température ordinaire du corps. — D’une masse de boue. La comparaison peut paraître assez singulière ; mais elle n’est pas fausse, et il est certain que, si d’une masse de boue, on sépare l’eau et la terre, l’eau reste liquide et ne se solidifie pas, comme lorsqu’elle est mêlée à la partie terreuse. — Ne se solidifie pas. Comme la terre en se desséchant ; le froid ne joue ici aucun rôle. — Sont de la terre. Voir plus haut, § 4. — Si l’on n’enlève pas les fibres. Ceci prouve qu’Aristote avait fait de nombreuses expériences sur la composition du sang, aussi curieusement qu’on pouvait en faire de son temps. — Ainsi qu’on l’a déjà dit. Voir plus haut, § 1 ; il serait d’ailleurs difficile de savoir à quoi se rapporte précisément cette référence. Mais bien par le froid. Ce n’est pas exact.
  137. . Il n’y a d’humidité… Ces théories peuvent nous paraître aujourd’hui contestables et fausses ; au temps d’Aristote, elles étaient neuves, et elles devaient paraître fort avancées. — Dans le caractère des animaux. Voir le § précédent. — La matière du corps tout entier. Ceci est exagéré ; la fonction du sang est de nourrir le corps en le développant jusqu’à un certain point, et en le nourrissant ; mais on ne peut pas dire qu’il en soit absolument la matière. — La nourriture définitive. Ceci est exact, bien qu’Aristote n’ait pas pu savoir, sur la formation du chyle et l’action des vaisseaux lymphatiques, tout ce qu’on en sait aujourd’hui. Voir l’Anatomie comparée de Cuvier, XXIVe lec., tome IV, pp. 166 et suiv., Ire édition ; voir aussi M. Edmond Perrier, Anatomie et Physiologie animales, pp. 410 et suiv., édit. 1882. — La lymphe est la partie aqueuse. Nous dirions le sérum, que l’on distingue de la lymphe proprement dite. La lymphe est liquide, incolore, et elle circule dans les vaisseaux dits lymphatiques, à peu près comme le sang circule dans les artères et dans les veines. — Elle soit corrompue. La lymphe n’a rien de corrompu ; elle a seulement une nature spéciale, qui n’a été analysée que dans ces derniers temps. — Dans le premier cas. C’est-à-dire, quand elle n’est pas encore bien digérée, comme parle Aristote, et n’est pas arrivée à toute sa perfection. — Dans le second. C’est-à-dire, quand elle est complètement formée. — Elle appartient au sang. Ou peut-être : « Elle n’existe qu’en vue du sang ». Ceci pourrait également s’appliquer, soit à la lymphe, soit au sérum. On ne sait pas encore si les globules lymphatiques se convertissent en globules sanguins, bien que ce soit assez probable.
  138. La graisse et le suif. La science actuelle étudie aussi la composition des substances graisseuses, après celle du sang. La graisse joue un rôle très-important dans l’organisme général des animaux, soit terrestres, soit surtout aquatiques, chez lesquels la graisse est huileuse. Dans les animaux terrestres, la graisse est solide à des degrés divers. Le suif est la graisse particulière de certains animaux, et spécialement de l’espèce ovine et bovine. « La graisse, dit Buffon, diffère du suif, en ce qu’elle reste toujours molle, tandis que le suif durcit en se refroidissant » ; Quadrupèdes, tome I, p. 248, citation de Littré, Dictionnaire, article Suif. — En cette portion qui fait sa chair. On peut accepter cette définition de la graisse. — Bien mûr et bien nourricier. La fonction réelle de la graisse est bien celle-là. C’est le tissu cellulaire qui sécrète aussi la graisse ; seulement cette sécrétion spéciale reste dans les cellules, au lieu d’en être expulsée, comme l’urine et les fèces. — L’éclat dont ils brillent. Peut-être l’expression est-elle un peu forte, surtout pour le suif ; elle est plus exacte pour la graisse. Observées au microscope, les gouttelettes et les gouttes de graisse ont une vive réfringence. — L’éclat brillant des liquides. En réalité, les liquides font l’effet de miroirs quand la lumière les frappe. — Un mélange d’air et de feu. Ce sont les théories qui sortaient nécessairement de la théorie des quatre éléments.
  139. N’ont jamais de graisse ni de suif. Précisément parce que le suif et la graisse ne proviennent que des matières charriées par le sang, dans l’acte de la nutrition. — A beaucoup de corps. C’est l’expression même du texte. Le corps du sang est formé par le caillot, qui lui donne sa consistance et qui vient de la fibrine. — Les agglomérations liquides. Le sens exact du mot grec est assez obscur. — Peu d’eau et beaucoup de terre. Peut-être ceci pourrait-il se rapporter directement au suif, composé, selon les théories de cette époque, de beaucoup de terre et d’une petite quantité d’eau.
  140. Qui n’ont pas les deux rangées de dents. Ce sont en général les ruminants, qui n’ont d’incisives qu’à la mâchoire inférieure. Voir l’Anatomie comparée de Cuvier, XVIIe leçon, tome III, p. 142, 1re édition. — Ont-ils du suif. Le fait est exact ; mais l’explication qui en est donnée ici ne l’est pas autant. — Pleine de cet élément. C’est-à-dire, de l’élément terreux, dans les théories d’Aristote. — C’est qu’ils ont des cornes et des osselets. Ceci encore est exact ; et Aristote suppose que les cornes et les osselets, qui sont des conditions spéciales de ces animaux, ne peuvent provenir que de l’élément terreux. — Qui ont les deux rangées de dents. Ce sont les mammifères en général, sauf les ruminants, et les édentés, qui ont plus d’un rapport avec les ruminants. Voir Cuvier, Règne animal, tome I, p. 224, édit. de 1829. — Ne se coagule pas. Voir plus haut, § 1. — Ne s’égrène pas. C’est le sens exact du mot grec, et l’expression répond bien au fait. — Sa nature n’est pas terreuse. Comme celle du suif ; elle est plutôt aqueuse.
  141. . En quantité mesurée. L’observation est fort juste ; et la santé s’arrange mieux en effet d’un état moyen qui n’est, ni trop d’embonpoint, ni trop de maigreur. — Elles sont funestes. Observation non moins exacte que la précédente. Ce sont là des faits certains que l’expérience de chaque jour nous permet de vérifier, sans parler d’une observation personnelle. — Il périrait infailliblement. Parce que les fonctions les plus importantes ne pourraient s’accomplir. — L’animal consiste surtout… C’est en effet la sensibilité qui distingue essentiellement l’animal de la plante et du minéral. — La chair. Voir plus haut, ch. I, § 12 et § 15. — Un peu plus haut. Ch. III, § 12, Aristote a établi que le sang, non plus que les excrétions diverses du corps, n’est pas sensible, sans dire d’ailleurs par quel procédé il a constaté le fait qu’il affirme. — Cuit et mûri. Il n’y a qu’un seul mot dans le texte. Voir plus haut § 1. — Il n’aurait plus la moindre sensibilité. Ceci paraît également exact.
  142. Vieillissent vite. Il ne semble pas que la science moderne ait étudié ce sujet d’une manière particulière ; mais on peut croire que la théorie d’Aristote est vraie ; et qu’en effet les personnes grasses vieillissent en général plus vite que les personnes maigres. — La diminution du sang. Ceci peut se comprendre à la fois sous le rapport de la quantité, et aussi de la qualité. Le sang diminue de volume, et il est profondément altéré. — Un acheminement vers la destruction. Cette remarque est juste comme toutes les précédentes, et l’expression est ingénieuse. — Moins féconds. Ceci est encore facile à vérifier. — En liqueur séminale et en sperme. Les deux mots sont dans le texte, bien qu’ils signifient tous les deux la même chose, si ce n’est que peut-être le second s’applique plutôt à l’homme qu’au reste des animaux. — Aucune excrétion. Sous-entendu : Spermatique.
  143. . Le sang, la lymphe Résumé des chapitres précédents, à partir du second. Voir l’Anatomie comparée de Cuvier, tome V, dernière leçon, des Sécrétions, pp. 201 et suiv.
  144. La moelle… Il semble que la zoologie moderne ait donné peu d’attention à la moelle, ou du moins elle ne lui en a pas donné autant que le naturaliste ancien ; voir l’Anatomie comparée de Cuvier, IIe leçon, pp. 107 et 111, première édit.; et IXe leçon, t. Il, p. 188. — Une certaine nature de sang. C’est la traduction exacte du texte ; mais cette théorie n’est peut-être pas fort exacte. La moelle est très-différente du sang, bien que les artères et les veines soient fort nombreuses dans la moelle ; elle est recouverte de membranes, et quand on les lui enlève, elle se liquéfie presque aussitôt ; elle est composée de substance blanche, venant de l’encéphale par le grand trou occipital ; le cerveau et le cervelet y contribuent. Les membranes du cerveau se prolongent dans le canal vertébral et recouvrent la moelle épinière. — La force spermatique de la semence. Ce qui a pu donner lieu à cette théorie, c’est que souvent la consomption dorsale, si bien décrite par Hippocrate, tient à l’excès des plaisirs vénériens. Aristote d’ailleurs aurait dû nommer les naturalistes auxquels il prête l’opinion qu’il combat. Voir aussi le Manuel d’anatomie comparée de M. Gegenbaur, p. 695. — Toute sanguine. Cette appréciation ne paraît pas fort exacte ; mais elle prouve cependant avec quel soin Aristote avait étudié cette question. — En mûrissant. C’est l’expression même du texte ; la maturité ne signifie que le développement complet de l’animal ; voir plus loin, liv. III, ch. IV, § 3.
  145. Elle est onctueuse. Comme l’est la graisse, dont elle se rapproche par l’apparence. — À la graisse… comme du suif. Voir plus haut, le chapitre précédent sur la graisse et le suif. — Qui n’ont pas les deux rangées de dents. Les bœufs et les moutons. — Suiffeuse…. graisseuse. Suiffeux n’est pas français ; mais j’ai cru devoir risquer ce barbarisme, pour reproduire autant que possible le parallélisme du texte grec.
  146. La moelle du rachis. La moelle épinière n’est qu’un prolongement de l’encéphale, formé par les appendices du cervelet et du cerveau. Sa grosseur varie dans les différents points du canal vertébral ; c’est vers la partie inférieure du col qu’elle est la plus grosse, parce que c’est là que les vertèbres ont leur plus fort diamètre. A l’extrémité du canal vertébral, elle n’est guère plus qu’un filet. — Il y a…. très-peu d’animaux. En général, la zoologie moderne s’est surtout occupée de la moelle chez l’homme ; mais elle n’a pas étendu ses recherches à la série animale tout entière. — Comme ceux du lion. Voir l’Histoire des Animaux, liv. III, ch. XV, § 3, et ch. VII, § 8, p. 300 de ma traduction. Aucune marque particulière de moelle. Le texte n’est pas aussi développé.
  147. . Que les animaux aient des os. Cette généralité, si on la prenait dans toute son étendue, ne serait pas exacte, puisqu’il y a beaucoup d’animaux qui n’ont pas d’os ; il s’agit surtout des animaux supérieurs et des vertébrés. — Par l’absorption simultanée… Il serait difficile de savoir comment la moelle se forme ; mais il est à croire qu’elle a la même origine que les os, en partie du moins, quand on dit d’une manière générale que les os sont formés par l’absorption de la nourriture. C’est là en effet la condition uniforme et indispensable du développement de toutes les parties du corps. — La nourriture est du sang. C’est là un fait indiscutable pour tous les animaux, soit à sang rouge, soit à sang blanc. — Se cuit par la chaleur. La digestion et la nutrition qui produisent le sang ne sont qu’une combustion d’un certain genre ; et il est exact que c’est de là que vient la chaleur naturelle. — En étant renfermée dans les os. Cette théorie n’est pas exacte ; et la chaleur n’est dans les os que très-indirectement.
  148. . Il y ait très-peu de ces animaux qui en aient. Il semble que la suite naturelle de ce qui précède, ce serait de dire que certains animaux n’ont que très-peu de moelle ; mais le sens du texte est celui que j’ai donné, et il n’est pas douteux malgré sa singularité, aucun manuscrit n’offrant de variante. — Ont une arête. Ce sont les poissons. Je ne crois pas que la zoologie moderne se soit particulièrement occupée de la moelle dans les arêtes des poissons, où il y en a cependant pour quelques espèces. — La place suffisante. Les vertèbres des poissons s’unissent par des surfaces remplies de cartilage ; et l’axe de la vertèbre est un canal qui les fait communiquer entre elles ; voir Cuvier, Règne animal, tome II, p. 124.
  149. Ainsi qu’on l’a déjà dit. Il est difficile de citer précisément le passage auquel ceci se rapporte ; c’est peut-être au § 2 ci-dessus. — De boucle. C’est la suite de ce qui vient d’être dit sur la conformation de l’arête des poissons, dont la moelle semble unir les diverses vertèbres. — La tension nécessaire. L’explication peut ne pas sembler suffisante.
  150. . Voilà donc… Ce résumé ne s’applique pas très-bien aux considérations précédentes, où l’on n’a pas indiqué la cause de la moelle dans les animaux. La question est d’ailleurs fort obscure ; et personne, parmi les naturalistes modernes, ne l’a expliquée plus qu’Aristote. — Cuite et digérée. Il n’y a qu’un seul mot dans le texte.
  151. . Du cerveau. Il semble qu’il eût été plus naturel de parler du cerveau avant de parler de la moelle épinière et de la moelle des os, puisque la moelle épinière n’est qu’un prolongement de la matière cérébrale et de la moelle allongée. — Bien des naturalistes. Il eût été curieux de savoir les noms de ces zoologistes qu’Aristote réfute. C’est à tort qu’il les combat, car, en effet, la moelle épinière vient du cerveau, qui peut en être considéré comme l’origine ; elle en est bien le prolongement ; voir Cuvier, Anatomie comparée, IXe leçon, article 12, p. 188, 1re édition. — Est tout le contraire de la moelle. L’erreur continue ; et si la moelle diffère du cerveau par la forme, elle s’en rapproche beaucoup par la matière. — La plus froide… naturellement chaude. Ce ne sont pas des différences suffisantes pour séparer la moelle aussi complètement de la substance encéphalique.
  152. Si la moelle… Aristote semble revenir ici à l’opinion qu’il combattait tout à l’heure. — Toujours la nature dispose… Témoignage nouveau de l’admiration d’Aristote pour la sagesse de la nature. — La moelle est chaude. Il est difficile de voir comment Aristote a pu s’assurer de la température de la moelle ; et de celle du cerveau. Il ne suffit pas d’y toucher, comme il le croit, puisque ce n’est jamais qu’après la mort qu’on peut y porter le doigt, ainsi qu’à la moelle. Durant la vie, aucune expérience n’est possible, ni sur l’encéphale, ni sur la moelle des os. — De toutes les parties liquides. On ne peut pas dire que le cerveau soit liquide, bien qu’il soit très-loin d’être aussi compact et aussi solide que les os. — Le moins de sang… par lui-même. Dans l’Histoire des Animaux, liv. I, ch. XIII, § 2, p. 73 de ma traduction, Aristote dit encore que le cerveau est humide, ou liquide ; id. ibid. § 5, p. 74, il répète que l’encéphale n’a pas de sang et qu’il n’a point de veines. — La plus exsangue. Le grec dit précisément : La plus sèche ; voir l’Histoire des Animaux, liv. III, ch. III, § 13, p. 236 de ma traduction.
  153. N’est pas une excrétion. Il semble que ceci est d’une évidence telle qu’il n’y avait aucun besoin de le dire. — Continus. Ou Contigus. Mais de quelque façon qu’on traduise, ceci n’est pas très-exact, puisque l’encéphale tient à la moelle allongée et à la moelle épinière. — Il est d’une nature qui n’est qu’à lui. Ceci est plus exact. — Avec les parties qui servent à sentir. Ceci encore n’est pas exact, et il semble que bien des passages dans le Traité de l’Ame et dans les différents ouvrages d’histoire naturelle, supposent tout le contraire. Le moindre coup d’œil, comme le dit l’auteur, pouvait montrer que la vue, l’ouïe, l’odorat doivent avoir des rapports avec l’encéphale, puisque les « conduits » de ces divers sens pénètrent dans la tête et dans l’encéphale. — Il ne sent rien. Au contraire, c’est lui seul qui sent tout ; mais Aristote ne pouvait pas connaître le véritable rôle des nerfs. Pour le cerveau, voir l’Histoire des Animaux, liv. III, ch. XIV, p. 2. p. 293 de ma traduction, où la même chose est dite du sang et des excrétions des intestins. — De conserver tout ce que l’animal… Ceci semble un peu contredire ce qui vient d’être dit. La contradiction semble encore plus forte dans le paragraphe qui suit. § 4. Il y a des philosophes. Il eût été à propos de les nommer. — L’âme de l’animal pour du feu. Ceci pourrait se rapporter à l’école d’Héraclite, qui donnait tant d’importance à l’élément du feu. Voir le Traité de l’Ame, liv. I, ch. V, § 18, p. 156 de ma traduction, et aussi, liv. III, ch. 1er, § 3, p. 256, où est discuté le rapport de l’âme aux éléments. — Dans un corps pareil au cerveau. C’est là en effet l’opinion la plus naturelle et la plus probable, parce que c’est au cerveau que semblent aboutir tous les sens, et toutes les facultés qui constituent l’âme dans ses parties les plus élevées. — La chaleur est, de tous les corps… L’argument n’est pas très-fort ; et si la chaleur est indispensable à l’âme, elle a moins besoin du cerveau que de tout autre organe, puisque dans les théories d’Aristote, le cerveau est essentiellement froid. — De nourrir et de mouvoir l’animal. Ce sont bien là des facultés qu’Aristote prête toujours à l’âme ; mais c’est surtout la sensibilité qui distingue et fait l’animal ; et c’est l’âme qui le rend sensible. — Supposer que l’âme est du feu. Ainsi, selon Aristote, l’âme se servirait du feu et de la chaleur ; mais elle ne serait elle-même ni chaleur ni feu. Il ne faut pas plus confondre l’âme avec le feu dont elle se sert qu’on ne doit confondre l’ouvrier et son outil.
  154. .— Qui ne viennent que plus tard. Par exemple la semence et le lait, que l’animal n’apporte pas dès sa naissance, comme il apporte le sang, et qui ne sont produits que postérieurement, quand l’organisation est complète. — L’examen et la théorie des Aliments. Il est bien probable que c’est là le titre de quelque ouvrage sur la nutrition ; est possible aussi que ce soit une simple indication générale de cette question souvent discutée dans d’autres ouvrages, comme le traité de la Génération. — Au sperme et au lait. Voir le Traité de la Génération, liv. I, ch. X et suiv., liv. II, ch. III, et passim.
  155. Absolument nécessaire aux animaux. Le fait est évident par lui-même ; et l’explication qu’en donne Aristote n’est pas assez démonstrative, parce qu’elle est trop abstraite. — D’un contrepoids… Voir plus haut § 2. — La nature a organisé le cerveau. Le cerveau ne fait pas équilibre au cœur, en étant froid tandis que le cœur est chaud. Dans toutes ces théories Aristotéliques, on peut trouver comme un reste des théories platoniciennes, telles qu’elles sont exposées dans le Timée.
  156. Tous les animaux qui ont du sang ont un cerveau. L’observation ici est exacte, surtout quand on se rappelle que la classe des animaux qui ont du sang est très-limitée dans la zoologie d’Aristote ; il est clair qu’il a surtout en vue les animaux vertébrés. — Comme dans le polype. L’expression est bien générale ; mais appliquée aux mollusques, il est certain que leur cerveau n’est qu’une masse médullaire, un peu plus grosse que d’autres masses analogues dispersées, en différents points du corps. Ce prétendu cerveau est situé en travers de l’œsophage, qu’il enveloppe d’un collier nerveux ; voir Cuvier, Règne animal, tome III, p. 2, édition de 1830. Il est bien remarquable qu’Aristote ait déjà vu qu’on pouvait assimiler cet organe à un cerveau. — Le cerveau domine et tempère… Ce n’est pas là du tout la fonction du cerveau. Il semble que la fonction supérieure du cerveau, c’est d’être le centre de la sensibilité et l’organe de la pensée et de l’instinct, chez l’homme et chez les animaux.
  157. . Pour que cet organe… Ici encore on peut trouver la trace des théories platoniciennes, telles qu’elles sont exposées dans le Timée, pp. 213 et suiv. traduction de M. Victor Cousin. — À la méninge… Dans l’Histoire des Animaux, liv. I, ch. XIII, § 3, Aristote reconnaît deux méninges, ou membranes du cerveau. Une anatomie plus attentive reconnaît aujourd’hui trois membranes au lieu de deux. — De peur que la chaleur ne vînt à nuire. Cette explication est la conséquence des précédentes ; mais si elle est fausse, elle peut du moins paraître ingénieuse. — Un sang léger et pur. Il ne semble pas que le sang qui se rend au cerveau ait des qualités particulières.
  158. Aussi, les fluxions. Cette théorie pourrait bien venir d’Hippocrate, qui plaçait dans la tête l’origine de nombreuses fluxions ; voir le Traité des Lieux dans l’homme, t. VI, p. 294, édit. et traduction Littré. Les fluxions de la tête, ou plutôt du nez, des oreilles et des yeux sont les plus apparentes de toutes ; et voilà comment elles ont du être observées les premières. — La nourriture venant à s’évaporer. Cette singulière physiologie peut nous étonner aujourd’hui ; elle était fort avancée au temps d’Aristote. — La force particulière à cette région du corps. Voir plus haut, § 2. — Les flux du phlegme et de la lymphe. Par ces mots, les Anciens n’entendaient pas précisément ce que les Modernes peuvent entendre. La nature de la lymphe proprement dite n’a été connue que depuis la découverte des vaisseaux lymphatiques. — Comme de la production de la pluie. La théorie de la froideur du cerveau étant donnée, la comparaison doit paraître ingénieuse, si, comme le dit Aristote, on peut comparer une petite chose à une grande. — La chaleur qui sort… Cette théorie de la pluie est très-exacte, et l’on peut s’en étonner quand on songe à l’époque où Aristote la conçoit. Voir la Météorologie, liv. I, ch. II, §§ 1 et suiv., p. 61 de ma traduction.
  159. Les maladies. C’est sous ce rapport seulement que la météorologie peut intéresser la zoologie, parce que la santé des animaux dépend beaucoup du climat et de la température où ils vivent. Aristote a traité des maladies des animaux dans l’Histoire des Animaux, liv. VIII, chap. XX et XXI, pp. 86 et suiv. de ma traduction. C’est sans doute à cette étude qu’il se réfère ici.
  160. Qui produit le sommeil. C’est la même théorie qu’on retrouve dans le traité spécial du Sommeil et de la Veille, ch. III, § 16, p. 170 de ma traduction. Dans ce passage, se retrouve aussi la comparaison avec la formation de la pluie, à peu près dans les mêmes termes. — L’organe correspondant. Voir plus haut, § 6. — D’autres causes semblables. On voit qu’Aristote ne se flatte pas d’avoir expliqué complètement ce singulier phénomène du sommeil, ch. III, § 15. Il a bien vu la difficulté. — La tête lourde et pesante. Le fait est très-exact. — Il chasse la chaleur. Ici encore c’est absolument la même théorie que dans le traité du Sommeil. Cette ressemblance prouve l’authenticité des deux ouvrages. — Dans les parties basses. Ceci n’est pas assez clair ; et l’on ne sait si ce sont les parties basses du corps entier, ou seulement du cerveau. — La faculté de se tenir debout. Ceci s’applique à peu près exclusivement à l’homme. — Pour tous les animaux. Bien des oiseaux dorment en gardant leur station habituelle.
  161. Sur la Sensation. On ne trouve rien qui puisse se rapporter à ceci dans le Traité de la Sensation et des Choses sensibles, tel que nous l’avons aujourd’hui. — Dans le livre sur le Sommeil. Voir le traité spécial, loc. cit.
  162. Un composé d’eau et de terre. Il faut toujours se rappeler que, pour les Anciens, il n’y avait que quatre éléments qui entraient dans la composition matérielle des corps. Comme le cerveau a une certaine humidité et une certaine consistance, on en concluait qu’il était formé d’eau et de terre. Cette théorie, quelque fausse qu’elle fût, a subsisté depuis Aristote jusqu’au XVIe siècle, tout au moins. — Si l’on fait cuire le cerveau. C’est là une preuve nouvelle que les Anciens et Aristote en particulier savaient faire des expériences, en même temps que des observations. — Sec et dur. Ceci n’est peut-être fort exact, à moins qu’en faisant cuire le cerveau, on aille jusqu’à le brûler entièrement et à le carboniser. — Des légumes et d’autres fruits. Même remarque. — N’est que de la terre. Dans le sens des théories de la chimie de l’Antiquité. — Ces résidus de combustion. Quand on pousse la combustion au point extrême où la chose se carbonise.
  163. C’est l’homme… qui a le cerveau le plus fort. Voir sur cette théorie l’Histoire des Animaux, liv. I, ch. XIII, § 3, p. 73. — Que les femmes. Le fait est exact ; et les hommes ayant en général des têtes plus grosses que les femmes, l’encéphale est aussi plus volumineux. — La région qui comprend le cœur et le poumon. C’est toute la cavité thoracique. — Est plus chaude. Ceci n’est peut-être pas très-exact. On ne comprend pas d’ailleurs comment les Anciens auraient pu mesurer la chaleur relative des divers animaux ; ils ne pouvaient à cet égard que faire des suppositions. — Qui se tienne tout droit. Voir l’Histoire des Animaux, liv. I, ch. XII, § 2, p. 69 de ma traduction. La raison qu’Aristote donne ici de la station droite de l’homme n’est pas très-exacte ; et selon toute apparence, la chaleur n’entre pour rien dans cette partie de notre conformation. — Le développement part du centre. Ceci peut être vrai si l’on regarde spécialement à l’action du cœur.
  164. Excès de chaleur… excès d’humidité. Voir plus haut § 5, où cette équipollence a été déjà indiquée, comme une des lois de la nature. — La Fontanelle. Voir l’Histoire des Animaux, liv. I, ch. XIII, § 5 et la note. Le mot grec est dans ce dernier passage comme dans celui-ci : Bregma ; quelques traducteurs n’ont fait que le reproduire ; j’ai cru pouvoir aller plus loin ; et le contexte justifie mon opinion. Aristote semble hésiter lui-même sur le sens du mot qu’il emploie, et qu’il ne s’approprie qu’en se conformant à l’usage. — Le dernier de tous. C’est exact, bien que l’explication ne soit pas bonne. Voir Cuvier, Anatomie comparée, VIIIe lec., art. II, pp. 15 et suiv. Ire édition. Voir aussi l’Histoire des Animaux, liv. VII, ch. IX, § 8, p. 448 de ma traduction.
  165. . Le plus de sutures à la tête. Le crâne de l’homme a huit os reliés entre eux par les sutures qui les unissent, pour en former une boîte osseuse. Les quadrupèdes ont également huit os ; mais dans les quadrupèdes, les os se soudent d’assez bonne heure, de manière que la trace des sutures disparaît presque complètement, bien que les connexions soient à peu près les mêmes que dans l’homme ; voir Cuvier, Anatomie comparée, VIIIe lec., p. 22, Ire édit. — Les mâles en ont plus que les femelles. Peut-être vaudrait-il mieux dire les Hommes et les Femmes ; mais j’ai conservé la forme même du texte. Le fait d’ailleurs n’est pas exact ; et chez la femme les sutures sont les mêmes que dans l’homme. — Puisse bien respirer. Cette théorie est assez étrange. — Très-sympathiques. Ce mot est pris ici dans son sens propre ; et la sympathie entre les organes consiste surtout à ressentir en même temps les mêmes impressions de bien ou de mal. — Du sang qui est près de l’encéphale. Ceci semble en contradiction avec ce qui a été dit plus haut, § 1, sur la froideur de l’encéphale.
  166. De tous les liquides. Résumé des chapitres II à VII ; voir particulièrement le ch. II,
  167. Les autres parties similaires, Voir plus haut, ch. I et ch. II, § 1. Les parties similaires comprennent, entre autres ihaticres, le sang, les libres, la moelle, dont il a été question plus haut. La chair est une des parties similaires les plus importantes. — Dans ceux qui n’en ont pas. Notamment les insectes. — Un être doué de sensibilité. C’est là une des théories les plus solides d’Aristote. La sensibilité distingue essentiellement l’animal de la plante ; voir le Traité de l’Ame, liv. II, ch. II, § 4, p. 174 de ma traduction.
  168. Le toucher. Aristote a bien des fois rappelé ce grand principe, que la zoologie moderne a pleinement adopté. Cuvier, Règne animal, tome I, p. 30, édit. de 1829, met la sensibilité au premier rang des fonctions animales ; et il fait du toucher le sens le plus général. Le goût et l’odorat ne sont, suivant lui, que des touchers plus délicats. Le toucher ne manque jamais chez les animaux. — La pupille est la première partie de la vision. Voir sur la théorie de la vision, résumée ici. le Traité de l’Ame, liv. II, ch. VII, pp. 208 et suiv. de ma traduction. — Tout le diaphane. Pour le diaphane, voir le Traité de l’Ame, id. ibid., § 2 et suiv. — N’était-il pas indispensable à la nature… En effet, il y a des animaux qui n’ont qu’un seul sens, qui est toujours le toucher, et d’autres qui n’en ont que quelques-uns. — Corporel. J’ai conservé la formule du texte, quoique l’expression ne soit pas très-claire. Le toucher est sans doute plus matériel que la vue, puisqu’il y a l’impression des objets eux-mêmes d’une part, et que d’autre part il n’y a que leur image ; mais, pour le goût, il y a également le contact matériel, tout aussi bien que pour le toucher. L’odorat et l’ouïe sont, avec la vue, les moins matériels des sens, ou, comme dit Aristote, les moins corporels.
  169. Il est d’une évidence sensible. C’est le sens le plus naturel qu’offre le texte ; mais on pourrait traduire aussi : « En ce qui regarde la sensibilité. » — Sont faites pour celle-là, C’est-à-dire que toutes les autres parties sont sensibles et concourent à former le sens général du toucher. — Pour soutenir et protéger la partie molle. Cuvier exprime à peu près les mêmes pensées sur le squelette des animaux. Il fallait, dit-il, à ces corps, des parties solides pour en assurer la forme, et des parties fluides, pour y entretenir le mouvement, etc., etc.; Règne animal, tome I, p. 12, édit. de 1829. — C’est l’arête pour les uns et le cartilage pour les autres. Ceci établit dans la classe des poissons deux grandes divisions, dont la nomenclature moderne a conservé quelque chose ; voir Cuvier, Anatomie comparée, Ve leçon, art. XI, Des os des poissons, p. 399, édit. de l’an VIII.
  170. Certains animaux. Ce sont tous les animaux supérieurs, à commencer par les mammifères ; le squelette est toujours intérieur. — Les espèces de testacés. On sait que la zoologie moderne n’admet pas la classe des testacés, distincte des crustacés. Cuvier, dans son Règne animal, t. III, p. 117, édit. de 1829, fait des testacés le premier ordre des mollusques acéphales. La première famille des testacés est composée des ostracés, parmi lesquelles sont les huîtres, dont Aristote parle ici. — La partie charnue est en dedans. Le caractère spécial des mollusques est de n’avoir point de squelette articulé. Voir Cuvier, loc. cit. p. 1, sur l’organisation générale des Mollusques. — La partie terreuse. Voir plus haut, ch. II, § 19.
  171. La coquille, placée tout autour. Cette destination de la coquille n’est peut-être pas très-certaine ; mais la théorie est ingénieuse. — Comme une sorte de four. Je crois que c’est le sens le plus probable du mot grec, et ce sens est bien d’accord avec le reste du contexte. D’ailleurs, Aristote se borne à parler de la coquille de certains mollusques ; mais il aurait pu parler aussi du manteau, qu’ils ont presque tous. — Le genre des hémydes, ou Émydes. Le mot grec a, ou n’a pas, l’esprit rude indifféremment. Dans la classification moderne, les Emys sont surtout les tortues d’eau douce ; voir Cuvier, Règne animal, t. II, p. 10. Les tortues forment le premier ordre des reptiles, ou Chéloniens. — D’une espèce différente. Ceci est exact, puisque les tortues sont des reptiles, et que les animaux ci-dessus nommés ne sont pas des reptiles.
  172. Quant aux insectes et aux mollusques. Le rapprochement entre les insectes et les mollusques peut paraître assez singulier ; mais il n’est pas faux sous le rapport spécial où il est fait ici. — Les mollusques sont presque entièrement. Peut-être, pourrait-on traduire : « Presque tous les mollusques. » — Le milieu entre la chair et le tendon. Je ne vois pas que la zoologie moderne ait discuté cette question. — Par bandes circulaires. Même remarque. Voir, sur les mollusques en général, outre Cuvier, M. Gegenbaur, Anatomie comparée, p. 446, traduction française. Les téguments des mollusques se séparent nettement en épidémie et en derme, et la contractilité est très-grande ; mais il ne semble pas que l’indication donnée ici par Aristote soit fort exacte. Il est probable cependant qu’il avait fait lui-même l’expérience dont il parle. — C’est cette disposition… En vertu du principe du mieux, que le philosophe reconnaît dans toute la nature.
  173. C’est ce qu’on appelle l’os de la seiche. Ce n’est pas un os, à proprement parler ; c’est la coquille, qui est composée d’un très-grand nombre de lames calcaires, jointes ensemble par des milliers de petites colonnes creuses, perpendiculaires entre les lames. Cette structure la rend friable ; on l’emploie pour polir de petits ouvrages, et on la donne aux petits oiseaux pour qu’ils s’aiguisent le bec ; voir Cuvier, Règne animal, t. III, p. 16, édit. de 1829. La seiche fait partie des Céphalopodes, et forme un genre divisé en plusieurs espèces. Voir aussi l’Anatomie comparée de Cuvier, IIe leçon, t. I, p. 120. — Les teuthides. On ne peut pas identifier très-précisément ce mollusque ; mais c’est un calmar, ou le grand calmar qui se nomme aussi Loligo sagittata, ou le petit calmar, dont le sac se termine en pointe aiguë. C’est sans doute ce que les Anciens appelaient son épée ; voir Cuvier, Règne animal, tome III, p. 15, édit. de 1829. — Des polypes. Ce sont des Céphalopodes, sans doute ceux qu’on nomme les Polypes d’Aristote ; voir Cuvier ; foc. cit. p. 12. — La tête. Dans les Céphalopodes, la tête sort du sac ; elle est ronde et pourvue de deux grands yeux ; elle est couronnée par des pieds ou bras, charnus, plus ou moins longs et très flexibles. Ces mollusques nagent la tête en bas, et le corps en haut. — Une cavité. Le sens du mot grec n’est pas très-bien défini. Au lieu d’une cavité, c’est peut-être le Manteau qu’il faudrait dire. — Leur a dessiné. C’est l’expression même du texte ; mais la pensée de l’auteur n’est pas assez développée, et l’on ne voit pas bien ce qu’il a voulu dire. Il est probable qu’il s’agit des pieds ou bras de ces mollusques, qui leur servent à nager, à marcher, et à saisir les objets avec grande force. — Des os… l’arête, qui jouent des rôles analogues dans les différents animaux.
  174. Ainsi qu’on vient de le dire. Voir plus haut, § 6. — C’est le corps tout entier qui est dur. Ceci n’est peut-être pas très-exact pour tous les insectes. Leurs téguments sont tantôt durs et tantôt mous ; mais leurs muscles sont toujours attachés à l’intérieur ; voir Cuvier, Règne animal, t. T, p. 50, édit. de 1829. — Plus charnue. C’est-à-dire plus semblable à la chair. — Plus osseuse et plus terreuse. Ceci doit être compris dans le sens de la théorie des quatre éléments. Voir plus haut, ch. II, § 19. — De se déchirer et de se rompre. Il n’y a qu’un seul mot dans le texte.
  175. Se ressemblent en certains points.. La restriction est utile ; car on ne voit pas bien quelle ressemblance il peut y avoir entre les veines et les os. — Partent d’une seule origine. Les os se rattachent au rachis, comme les veines se rattachent au cœur ; le rachis et le cœur sont censés les points de départ. — Pas un seul os n’est séparé. Ceci n’est pas absolument exact, bien que les os qui composent le squelette soient tous articulés de manière à former un ensemble dont toutes les parties sont liées ; voir Cuvier, Anatomie comparée, IIe leçon, art. 5, t. I, p. 144, 1re édition. Mais il y a quelques os isolés comme celui de la rotule, et les sésamoïdes, dans l’homme ; voir l’Anatomie descriptive de M. Jamain, p. 8. — Est ou une partie d’un autre os. C’est trop dire ; les os ne sont pas des parties les uns des autres. — Et y est rattaché. Ceci est exact ; et les os tiennent les uns aux autres par des articulations, des sutures, des ligaments, des emboîtements, etc. ; voir l’Anatomie comparée de Cuvier, IIe leçon, article 3, Des jonctions des os et de leurs mouvements, pp. 123 et suiv. — Pour que la nature puisse s’en servir. Ceci est un nouveau fait, avec tant d’autres, à l’appui de la théorie des causes finales, telle que la comprend Aristote. — Une seule veine. Ceci confirme le début du paragraphe ; mais il est parfaitement exact qu’il n’y a pas de veine séparée, tandis que l’os peut être isolé.
  176. Si un os quelconque… Ces théories sont ingénieuses ; mais le fait sur lequel elles s’appuient est en partie inexact. — Ni une flexion, ni un redressement quelconque. Ceci est au contraire d’une parfaite vérité. — Une épine ou une flèche. Il était possible que l’os fût arrondi comme il l’est en effet à ses extrémités ; et sous cette forme il ne devrait plus déchirer les chairs.
  177. Si une veine quelconque. Suite de la comparaison du système des os et du système des veines. — La chaleur qu’elle cause. Le texte dit précisément : « La chaleur qui est en elle. » La chaleur ne vient pas des veines ; mais elle vient du poumon, où se fait l’espèce de combustion qui constitue l’hématose et la respiration dans les vertébrés. — Tout ce qui est séparé. Peut-être faut-il restreindre à la veine cette maxime par trop générale.
  178. C’est le cœur. Voir pour cette théorie l’Histoire des Animaux, liv. III, ch. § 2, p. 228 de ma traduction. — Ce qu’on nomme le rachis. Il paraîtrait, d’après cette formule, que le mot de Rachis, appliqué à la colonne vertébrale, était encore assez récent au temps d’Aristote. — Dans tous les animaux qui ont des os. Aujourd’hui nous dirions : « Dans tous les vertébrés ». — Sans aucune interruption. Ceci est exact ; et les os tiennent ou médiatement ou directement à la colonne vertébrale, qui peut seule en effet donner à l’animal toute sa grandeur, et sa station droite ou horizontale. — Tout à la fois un…. divisé en parties nombreuses. Le nombre des vertèbres varie selon les espèces. Cuvier en a dressé un long tableau, loc. cit. pp. 155 et suiv., depuis l’homme jusqu’au dauphin et au marsouin.
  179. . De membres qui se rattachent au rachis. Ce sont les bras et le ; jambes chez l’homme ; et les membres antérieurs et postérieurs chez les quadrupèdes. — Par des nerfs. Le terme de Nerfs, qu’emploie Aristote, est trop général, et il comprend une foule de choses qu’il aurait fallu distinguer, muscles, tendons, aponévroses, ligaments, etc.; mais la langue zoologique dont se sert Aristote est encore lieu avancée, parce qu’elle en est à ses débuts. — Par leur milieu. Ceci n’est pas assez clair, non plus que ce qui suit. — Afin que l’inflexion et l’extension. C’est bien là l’objet des fonctions des os entre eux ; mais l’explication n’est pas suffisante. Voir Cuvier, Anatomie comparée, IIe leçon, pp. 124 et suiv., où se trouve une longue étude sur les jonctions des os, et sur les diverses espèces d’articulations.
  180. Lui sont joints par des nerfs. Voir la remarque ci-dessus sur le mot de Nerfs. — Des parties cartilagineuses. Les ligaments de toute sorte, qui unissent les os d’une foule de manières, que les zoologistes modernes ont étudiés avec le plus grand soin. — La synovie. C’est l’humeur sécrétée par les membranes qui tapissent les cavités articulaires. Le mot du texte indique une sorte de distillation et de filtration, qui représente assez bien le procédé par lequel se forme la synovie. La fonction de la synovie est bien celle que lui attribue Aristote ; elle lubrifie les articulations ; et quand elle manque, les os se choquent en effet et font entendre un bruit très-reconnaissable. — Les chairs sont placées autour des os. L’observation est juste, bien que l’expression soit trop générale. — De même… que les artistes… La comparaison est frappante ; et ce détail donné par Aristote sur les procédés de la sculpture de son temps nous prouve que ces procédés n’ont guère changé jusqu’au nôtre. — Avec les chairs. Il semble qu’il aurait fallu dire plutôt : « Avec les os », au lieu des chairs, puisque les os répondent à la partie solide que les sculpteurs mettent dans leur maquette. Voir le paragraphe suivant.
  181. C’est en vue de cette flexion même. Sous-entendu : « que les os sont disposés comme ils le sont ». — Les côtes. On ne peut pas dire que les côtes soient absolument immobiles, puisqu’elles s’élèvent et s’abaissent selon les besoins de la respiration ; mais elles sont très-peu mobiles, et ce ne sont guère que les fausses côtes qui le sont. — Autour du cœur. L’expression est trop restreinte, puisque les côtes protègent aussi en partie les viscères placés sous le diaphragme. — Le gonflement que cause… la nourriture. Cette première cause est vraie ; mais on peut croire que cette organisation favorise aussi l’acte de la respiration dans bien des cas. — Le développement des embryons. Ceci s’applique à l’organisation des femelles, mais ne s’applique plus à celle des mâles ; voir plus loin. liv. IV, ch. X, § 30.
  182. Qui sont vivipares. Observation ingénieuse ; il est certain que les vivipares ont besoin d’une charpente osseuse très-solide, pour préserver pendant la gestation le fruit qu’ils portent et nourrissent. — En Libye et dans les régions chaudes. Sur la Libye, voir l’Histoire des Animaux, liv. VIII, ch. XXVII. § 4, p. 115 de ma traduction ; et Traité de la Génération, liv. II. ch. VII, § 119, p. 198, édit. et trad. Aubert et Wimmer. La Libye offrait aux Anciens un vaste champ de récits fabuleux et légendaires, bien qu’elle fût, sans doute, connue par eux mieux que nous ne la connaissons aujourd’hui. D’ailleurs, l’observation sur la grandeur des vivipares dans les climats chauds est très-juste ; l’éléphant, la girafe, le chameau, l’hippopotame, le rhinocéros, etc. en sont des preuves.
  183. Les plus féroces. La raison en est qu’ils ne vivent que de proie. — Les os des mâles sont plus durs. Je ne crois pas que ceci soit très-exact. — Les os du lion. Les mêmes détails sont donnés sur les os du lion, presque dans les mêmes termes. Histoire des Animaux, liv. III, ch. VII, § 8, p. 259 de ma traduction. — Le dauphin… Voir encore le même passage de l’Histoire des Animaux sur le dauphin, cité également après le lion. Pour le dauphin, voir Cuvier, Règne animal, tome I, p. 287, édit. de 1829.
  184. Une déviation légère. Sous-entendu : « Au plan qu’elle a suivi pour les autres animaux ». — Pour les oiseaux. Les os des oiseaux sont en effet fort remarquables ; et le vol eût été presque impossible si les oiseaux avaient des os du genre de ceux des mammifères ; voir sur cette organisation des oiseaux, Cuvier, Anatomie comparée, IIe leç., p. 111, Ire édit. — Plus faibles. Ceci n’est pas exact ; et Cuvier trouve au contraire que les os des oiseaux, qui sont toujours sans moelle et qui sont pleins d’air, réunissent la force et la légèreté. — Des os des serpents. Sur les os des reptiles et sur leurs vertèbres, voir Cuvier, Anatomie comparée, IIIe leçon, pp. 172 et suivantes, Ire édition.
  185. Appelés les Sélaciens. Voir sur les sélaciens, l’Histoire des Animaux, liv. III, ch. I, § 21, page 210 de ma traduction. — Une nature qui tient du cartilage. Voir la description des sélaciens par Cuvier, Règne animal, tome I, p. 383, édit. de 1829. Les sélaciens forment la première famille des chondroptérygiens, comprenant les squales, roussettes, requins, lamies, marteaux, scies, raies, etc., etc., torpilles, pasténagues, lamproies, etc. — Plus souple. Le texte dit précisément : « Plus humide, plus liquide ». — Ne doit pas être trop rigide. L’explication ne paraît pas très-satisfaisante. — Toute la partie terreuse sur leur peau. Même remarque.
  186. Que cartilagineux. Les os ne doivent pas être confondus avec les cartilages ; mais bien que les os ne soient pas cartilagineux, ils ne sont pas également durs dans tout le squelette ; ou plutôt il y en a qui se terminent en cartilages, comme le sternum par exemple ; et c’est sans doute ce qu’Aristote aura voulu dire. Cuvier traite des tendons en même temps que des os ; Anatomie comparée, IIe leçon, p. 133. — Pour les oreilles et pour le nez. L’exemple est bien choisi. — Qui s’avancent. Comme le nez plus particulièrement, et aussi comme les oreilles, qui, dans l’homme particulièrement, se détachent beaucoup de la tête. — Est la même que celle de l’os. Ceci n’est pas très-exact. Le cartilage se distingue de l’os en ce qu’il est flexible, tandis que l’os n’a pas la moindre élasticité ; voir Anatomie et Physiologie animales de M. Ed. Perrier, p. 231. — Une fois coupés, ne repoussent. Je ne sais pas si la science actuelle ratifie cette ressemblance prétendue entre l’os et le cartilage, bien que l’un et l’autre paraissent composés d’une matière analogue.
  187. Les cartilages n’ont pas de moelle…. Cette explication de la nature du cartilage est ingénieuse ; mais il est douteux que la physiologie comparée puisse l’admettre. — Molle et gluante. C’est bien là en effet la nature du cartilage, telle qu’elle se présente à première vue. — Le rachis est cartilagineux. Je ne vois pas que la science moderne se soit prononcée sur ce point ; mais en général les os des poissons, et leurs vertèbres chez ceux qui en ont, sont d’une nature plus molle que chez les quadrupèdes. Voir l’Anatomie comparée de M. Gegenbaur, p. 627 et 632.
  188. Se rapprochent beaucoup des os. C’est exact dans une certaine mesure ; et Aristote a soin de faire une réserve en disant : « Au toucher »; ce qui n’implique qu’une ressemblance superficielle. — Les soles, les pinces… Selon la diversité des espèces. — Le même nom que leurs parties. Ceci n’est pas assez clair, bien que le sens ne puisse être douteux ; un morceau de corne s’appelle de la corne aussi bien qu’une corne entière. Mais cette observation, quoiqu’elle soit vraie, ne se rapporte pas assez directement à la pensée générale de ce passage, qui signifie seulement que toutes ces parties de l’animal sont faites pour sa défense. — L’organisation des dents. Ce sujet spécial a été traité assez longuement dans l’Histoire des Animaux, liv. II, ch. III, § 12, p. 126 de ma traduction ; voir l’étude complète des dents dans l’Anatomie comparée de Cuvier, XVIIe leçon, tome III, p. 103 et suiv., Ire édition. — Le travail des aliments… la lutte. Même chez l’homme, les dents peuvent servir à ces deux usages. Voir plus loin, liv. III, ch. I.
  189. Terreuse et solide. Ceci est tout à fait conforme aux opinions générales d’Aristote, d’après la théorie des quatre éléments reconnus pour la matière de tous les corps. — Une arme doit avoir. Il faut en effet qu’une arme soit solide pour pouvoir agir ; ce qui n’empêche pas que, dans certains animaux, des liquides ne puissent avoir la même action que les solides les plus résistants ; témoin le venin de certains reptiles. — Plus terreuse que l’homme. Même remarque qu’au début du paragraphe.
  190. Plus tard. Voir plus loin, liv. III, ch. VII, ch. XI, et liv. IV, ch. XII.— Quand nous étudierons les parties non-similaires. C’est l’objet des chapitres qui suivent celui-ci, et l’objet du liv. III. Ce sont des parties non-similaires que les viscères, dont l’étude va succéder à ce qui précède. — Les fonctions et les faits. Il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Comme ces parties ont reçu le même nom. Ceci ne se comprend pas bien ; et en l’absence de toute variante, il est difficile de proposer une conjecture pour éclaircir la pensée. Il semble qu’il y a ici quelque confusion des parties similaires et des parties non-similaires, qu’Aristote a si soigneusement distinguées au début de l’histoire des Animaux ; voir aussi le chapitre précédent, § 1.
  191. Recherches sur la Génération. Voir le traité de la Génération, liv. I, ch. X, § 1, où la même pensée est exprimée presque dans les mêmes termes, sur le sperme et sur le lait. Quant à l’étude particulière sur le lait, elle ne se trouve pas dans le traité de la Génération, bien qu’il soit souvent question du lait, mais toujours en passant ; c’est plutôt dans l’Histoire des Animaux qu’elle se trouve, notamment, liv. VII, ch. VI et X, de ma traduction. — Le principe même des animaux. C’est pour cela qu’Aristote y a donné tant d’attention, ainsi que tous les grands zoologistes. — Leur nourriture. Chez les mammifères.
  192. . Premièrement les premières. Cette tautologie est dans le texte ; et c’est une forme de style assez habituelle à Aristote. — Et les plus importantes. J’ai ajouté ces mots, dont le sens me semble implicitement compris dans l’expression grecque. — Tous les animaux….. ont deux parties. La pensée est parfaitement juste, et la science a conservé cette observation ; mais, dans l’Histoire des Animaux, ces deux parties essentielles à l’animal ne sont pas tout à fait les mêmes qu’ici ; voir ma traduction liv. I, ch. II, § 1, pp. 20 et suiv. Dans ce dernier passage, Aristote semble reconnaître trois parties, qui sont la bouche, l’intestin et l’anus. La division faite ici est à la fois la plus simple et la plus exacte. Voir Cuvier, Règne animal, pp. 34 et 54, édit. de 1829. — Les plantes. Ce rapprochement des plantes et des animaux était très-neuf et très-frappant du temps d’Aristote. — Expulser les résidus. Il n’y a pas dans les plantes d’excréments ; mais il y a une sorte de transpiration qui en tient lieu. — Toute digérée. Ceci n’est pas très-exact, et bien que la terre soit la même pour toutes les plantes dans les différents lieux, elles en tirent toutes une nourriture spéciale, que chacune d’elles élabore. Cette modification des sucs tirés de la terre par les radicules des plantes, est un mystère encore plus obscur peut-être que la nutrition des animaux.
  193. Une troisième partie. Ceci revient à la théorie de l’Histoire des Animaux. La partie qu’Aristote place ici en troisième lieu est en effet indispensable ; mais comme elle se passe dans l’intérieur de l’animal, elle est moins facile à observer que les deux autres. On sait d’ailleurs qu’il y a des animaux, les plus inférieurs de tous, chez lesquels l’intestin n’étant qu’un sac sans issue, les excréments ressortent par la bouche ; voir Cuvier, Règne animal, t. I, p. 34, édit. de 1829. — Le principe même de la vie. C’est la nutrition qui se fait dans l’intestin par les vaisseaux chylifères et lymphatiques. — Nous aurons à étudier à part. Aristote avait fait des travaux personnels sur la botanique ; mais c’est surtout Théophraste, qui, sous sa direction, a exécuté les projets du maître. Diogène de Laërte cite dans son catalogue un ouvrage d’Aristote sur les plantes en deux livres ; mais le traité des Plantes qu’on met quelquefois parmi ses œuvres, est apocryphe.
  194. Possèdent encore la sensibilité. Ce sont les animaux. — Sous des formes bien plus diverses. Les phénomènes de la vie et de la sensibilité se multiplient de plus en plus à mesure que les animaux deviennent plus parfaits. La science moderne ne saurait dire mieux que ce qu’Aristote dit ici. — L’homme seul participe du divin. Ceci est peut-être excessif, et l’homme seul n’est pas marqué au sceau de Dieu ; mais c’est chez lui que l’empreinte est la plus vive. On peut d’ailleurs reconnaître dans ces théories d’Aristote quelque souvenir de celles de son maître, Platon. — Ou du moins… Cette restriction est nécessaire. — C’est par lui qu’il convient de débuter…. Voir l’Histoire des Animaux, liv. I, ch. VI, § 12, p. 41, de ma traduction, et la Préface, p. CXV.
  195. Dans l’ordre naturel. C’est-à-dire dans le sens de l’axe même du monde, et « vers le haut de l’univers. » Ceci est vrai à la lettre, autant du moins élue l’univers nous est actuellement connu ; c’est le pôle qui doit nous servir de point de repère d’abord, puisque notre terre semble tourner autour de lui. — Le seul qui se tienne droit. Voir l’Histoire des Animaux, liv. I, ch. XII, § 2 et suiv., p. 69 de ma traduction. — Ce que nous avons dit. Ceci se réfère sans doute à l’Histoire des Animaux, liv. I, ch. VII, § 2, p. 43. — Quelques-uns le prétendent. On aimerait à savoir à qui Aristote fait allusion. — Comme on l’affirme. Même remarque. — Par le cerveau que nous sentons. Il est certain que la tête est le centre auquel nous rapportons toutes nos sensations, parce qu’elle est le siège exclusif de quatre organes des sens.
  196. N’est exacte. Aristote a raison sans doute contre les théories qu’il vient de rappeler ; mais la sienne ne vaut guère mieux, et il n’est pas du tout prouvé que le cerveau ait pour fonction spéciale le refroidissement du corps, comme il le dit. — Il a été donné aux animaux. Le cerveau est admirablement organisé ; mais il n’est pas facile de savoir quelle est sa fonction principale, sous le rapport purement physiologique. — Trop chaud lui-même. Aristote admet toujours que, par lui-même, le cerveau est essentiellement froid. — Il est absolument insensible. Ceci est inexact. — Toutes les autres excrétions. Voir ce qui est dit du sang et des excrétions en général, Histoire des Animaux, livre III, ch. XIV, § 2, p. 293 de ma traduction. Dans ce dernier passage, Aristote parle aussi de l’encéphale. Mais cette théorie reste toujours assez obscure.
  197. Réuni…. le cerveau et la sensibilité. C’est là, en effet, ce qui semble le plus naturel ; et la sensibilité générale est bien plutôt dans le cerveau, où aboutissent tous les nerfs, par la moelle épinière, que dans le cœur, comme le veut Aristote. — Nos ouvrages sur la Sensation. C’est évidemment le traité de la Sensation et des choses Sensibles qui est indiqué ici ; mais ce n’est pas dans ce traité, c’est dans le traité de la Jeunesse et de la Vieillesse, chap. III, § 7, p. 321 de ma traduction, que le cœur est pris pour le principe des sensations. — Deux sens qui évidemment dépendent du cœur. On ne comprend pas comment on a pu rapporter au cœur les deux sens du toucher et du goût. — Les trois premiers sens. Le toucher, le goût et l’odorat. — Un sens intermédiaire. L’odorat n’est pas précisément intermédiaire entre le toucher et le goût ; il n’est guère plus matériel que l’ouïe et même que la vue. — À cause de la nature…. Cette raison n’est pas suffisante ; ou du moins, il aurait fallu expliquer quelle est la nature particulière de ces deux sens, comparativement aux autres.
  198. L’ouïe et l’odorat… dans les poissons. La science moderne a constaté non seulement que les poissons entendent et odorent ; mais par des dissections fort délicates, elle a reconnu chez eux les organes de l’odorat et de l’ouïe. Il est vrai que ces organes sont en général si cachés et si ténus, qu’il n’y a rien d’étonnant à ce que les premiers observateurs ne les aient pas distingués ; voir l’Anatomie comparée de Cuvier, XIIIe leçon, article 2, pp. 453 et suiv., tome II, 1re édition. La seule partie essentielle du sens de l’ouïe est la pulpe gélatineuse, où aboutissent les extrémités du nerf acoustique. Cuvier a donné des détails sur l’ouïe de l’écrevisse, de la seiche et des poissons à branchies libres et à branchies fixes, id. ibid. pp. 454 et 460. Pour l’odorat chez les poissons, voir Cuvier, id. ibid., leçon XVe, article 3, pp. 648, 655 et 669. — La vue est aussi très-bien placée. Voir la XIIe leçon de l’Anatomie comparée de Cuvier, t. II, pp. 364, 403, 434, etc., etc. — La vue est de la nature de l’eau. Ce qui a pu justifier cette théorie dans l’Antiquité, c’est que le globe de l’œil se compose de plusieurs humeurs, aqueuse, vitrée, etc., en avant et en arrière du cristallin. Voir Cuvier, id. ibid. p. 368. Dans le Traité de l’Âme, Aristote a fait une théorie spéciale de la vision, liv. II, ch. 7, p. 208 de ma traduction ; mais cette théorie est différente de celle qu’il expose ici. — Se garder le mieux. L’expression du texte n’est pas plus précise ; et la pensée reste obscure.
  199. Les plus délicats. Ce sont en première ligne la vue, foule, l’odorat, et, en dernière ligne, le goût et le toucher. Dans les parties qui ont un sang plus pur. Ces parties, dans les théories d’Aristote, sont celles de la tête et du cerveau. — À l’action de la sensibilité. Ce serait plutôt : A l’action de l’intelligence. — Sont placés dans la tête. C’est-à-dire, dans un lieu plus froid et plus calme, d’après les théories Aristotéliques.
  200. Doit être dégarni de chair. Ceci doit s’appliquer au crâne et au front plutôt qu’au visage. — La plus droite possible. Ceci s’applique surtout à l’homme et à l’oiseau ; mais, dans les quadrupèdes, la tête est horizontale : « Pronaque dum spectent…. » — Si la tête était charnue. Voir l’Histoire des Animaux, livre I, ch. VII, page 43 de ma traduction, et ch. XIII, p. 72. — Le derrière n’a pas de cerveau. Il est difficile de comprendre cette erreur anatomique, puisque la botte osseuse du crâne est remplie derrière comme devant par la masse encéphalique et par le cervelet.
  201. L’ouïe. Il y a peut-être ici quelque désordre dans le texte, puisqu’il a été déjà question de l’ouïe, plus haut § 7. Pour la théorie de l’ouïe, voir le Traité de l’Ame, livre II, ch. 8, § 5, p. 219 de ma traduction, où l’explication est la même qu’ici. — Le vide. Ce n’est pas le vide absolu, comme l’entend la science moderne ; les Anciens ne connaissaient pas ce vide ; et, pour eux, le vide n’était guère autre chose que l’air. — Les conduits qui partent des yeux. Nous dirions : Les nerfs optiques. — Le canal qui part des oreilles. C’est-à-dire le conduit auditif. Sur les rapports de la vue et de l’ouïe, voir Cuvier, Anatomie comparée, XIIe et XIIIe leçons, tome II, pp. 364 et 446, et sur le méat auditif, p. 511. — Une des matières qui en viennent. Et par exemple, la chair, que le sang contribue à former. — Il n’est pas une partie des animaux. Ceci est en contradiction avec toutes les théories d’Aristote sur le sang, et M. le docteur de Frantzius soupçonne avec raison que ce passage doit être altéré ; mais les manuscrits ne fournissent rien pour le corriger.
  202. . Dans la portion antérieure. Cette observation est exacte ; mais il ne paraît pas que la science moderne y ait attaché autant d’importance qu’Aristote. Voir Cuvier, Anatomie comparée, IXe leçon, art. 9, tome t. 1, p. 173. — La sensation vient du cœur. Voir plus haut, § 6. — La cavité postérieure de la tête est dépourvue de veines. L’anatomie ne confirme pas cette opinion, bien qu’il y ait moins de veines derrière la tête que devant. — Dans un ordre admirable. C’est un des principes essentiels des théories d’Aristote ; voir la préface à l’Histoire des Animaux, p. LXXVIII. — L’ouïe vers le milieu de la circonférence. C’est bien là, en effet, la position de l’ouïe, placée de chaque côté de la tête. Voir l’Histoire des Animaux, livre 1, ch. XI, § 6, p. 71 de ma traduction. — En ligne droite. Comme la vue, qui a toujours lieu directement, parce que les rayons lumineux venant des objets ne peuvent avoir un autre cours. — A lieu en avant. Dans le cours naturel et nécessaire de nos actes.
  203. Entre les yeux. L’odorat est placé dans le nez, qui est placé entre les yeux. — Chaque sens est double. C’est vrai pour quatre sens, puisqu’on peut aussi trouver une double organisation dans la langue ; mais Aristote exclut avec raison le toucher, qui est simple et répandu par tout le corps — Ne se voit plus dans le sens du toucher. C’est-à-dire que le toucher n’a rien de la double organisation des autres sens. — Tout intérieur. C’est bien vague ; et la physiologie moderne a essayé de déterminer davantage les choses, en constatant que tous les nerfs aboutissent à l’encéphale, qui serait alors le centre du toucher, comme de toutes les autres perceptions.
  204. C’est moins clair. L’observation est exacte ; et celle qui suit ne l’est pas moins. — Une espèce de toucher. C’est aussi l’avis de Cuvier, qui dit que le sens du goût est, de tous les sens, celui qui s’éloigne le moins du toucher ; Anatomie comparée, XVe leçon, p. 676 du tome II, 1re édition ; voir aussi, XVIIIe leçon, tome III, pp. 260 et suiv. — Cette duplicité d’organes… Cette observation semble avoir échappé à l’attention de Cuvier. — Aussi divisée en deux. Il y a du moins une parfaite symétrie entre les deux parties de la langue. — La sensation est partagée en deux. Dans les organes ; mais la perception n’en est pas moins unique pour la vue, l’ouïe, l’odorat. — Le nez ne remplirait pas son office. Cette théorie n’est pas très-juste, puisque les oreilles et les yeux ne remplissent pas moins leurs fonctions, bien que les deux organes soient séparés ; l’odorat aurait pu être disposé de même par la nature. Ici donc le mieux, c’est de s’en tenir au fait tel qu’il est, sans chercher à l’expliquer. Pour la respiration. Le nez contribue à la respiration, sans doute ; mais ce n’est pas lui qui la fait, comme Aristote semble le supposer. — A dû être placé au milieu. C’est une simple affirmation, à l’appui de laquelle on ne donne aucun argument.
  205. Au milieu des trois autres sens. La vue, l’ouïe et le goût. L’expression grecque est littéralement rendue ; et l’observation est ingénieuse, puisqu’en effet les narines sont placées entre les trois sens, sans être à égale distance de tous. — Une règle unique. Les deux narines sont accolées et ne forment qu’un nez. — Aussi merveilleusement disposés… C’est l’admiration habituelle d’Aristote pour la nature.
  206. Ont les oreilles toutes dressées. Ceci n’est pas exact de tous les quadrupèdes, qui ont, dans bien des espèces, les oreilles pendantes et non pas droites, par exemple les chiens, les moutons, les chèvres et tant d’autres. Dans l’homme même, on ne peut pas dire que l’oreille soit au-dessus des yeux. — Ils baissent la tête. L’observation est juste ; et il est certain qu’en redressant la tête d’un animal, au lieu de la laisser horizontale, les oreilles se trouvent placées à peu près au niveau des yeux.
  207. . Dans cette position. Qui est d’avoir la tête basse et tournée vers la terre. — Qu’elles se dressent. Mais seulement dans quelques espèces. Chez l’homme, les oreilles ne se dressent pas. On peut trouver que cette étude sur les organes de l’ouïe est bien concise ; et il semble que, sans pousser l’analyse aussi loin que l’a pu faire la science de nos jours, Aristote aurait pu en dire bien davantage. Le chapitre qui suit celui-ci n’est pas moins insuffisant. Voir l’Anatomie comparée de Cuvier, XIIIe leçon, tome II, pp. 446 et suiv. Ire édit. Cuvier d’ailleurs s’est peu occupé de l’oreille extérieure ; mais il a étudié avec le plus grand soin l’organisation intérieure du labyrinthe, du tympan, des osselets, etc., etc., la distribution des nerfs auditifs ; voir aussi l’Anatomie comparée, de M. Gegenbaur, p. 726, trad franç. La théorie de l’ouïe est peut-être une des moins avancées de toute la science.
  208. Les oiseaux n’ont pas d’oreilles. Sous-entendu : Extérieures, dans le genre du pavillon de l’oreille chez l’homme ou d’autres animaux supérieurs. Voir Cuvier, Anatomie comparée, XIIIe leçon, sur les oiseaux, pp. 464, 481, 505, 531, Ire édit. — Leur peau est trop dure. L’explication peut ne pas paraître très-satisfaisante. — Ils ont des plumes. Il n’y aurait eu rien d’incompatible entre des plumes et une oreille extérieure. — Il n’y a pas là une matière. C’est vrai ; mais rien ne s’opposait à ce que la nature ne fit les choses autrement. — Ovipares, et qui ont des écailles. Ce sont les sauriens, qui forment le deuxième ordre des reptiles. « Leur peau, dit Cuvier, est revêtue d’écailles plus ou moins serrées, ou au moins de petits grains écailleux ; Règne animal, tome II, p. 17, édit. de 1829. Les sauriens comprennent les crocodiles, les gavials, les calmans, les lézards proprement dits, les iguanes, etc., etc., jusqu’aux bipèdes et aux bimanes. — Le phoque. Il ne paraît pas que la science moderne se soit arrêtée à cette particularité, que présente l’organisation du phoque ; voir Cuvier, Règne animal, tome I p. 166, édit. de 1829. — Un quadrupède imparfait. Voir la description du phoque, Histoire des Animaux, liv. II, ch. I, § 12, où Aristote se sert de la même expression qu’il emploie ici. Cuvier dit en parlant des amphibies, Règne animal, tome l, p. 166, édit. de 1829 : « Leurs pieds sont si courts et tellement enveloppés dans la peau, qu’ils ne peuvent, sur terre, leur servir qu’à ramper ; mais comme les intervalles des doigts y sont remplis par des membranes, ce sont des rames excellentes. » Les phoques et les morses sont les deux seuls genres qui forment la troisième et dernière tribu des carnassiers mammifères.
  209. Des appareils protecteurs pour la vue. Voir l’Anatomie comparée de Cuvier, XIIe leçon, tome II, pp. 364 et 428, 1r e édit. — Deux paupières… à fermer les yeux. C’est exact ; mais les paupières ont aussi d’autres fonctions ; si elles couvrent l’œil dans l’état de repos, elles en nettoient la surface par leurs mouvements ; en se fermant subitement, elles en écartent les petits objets qui pourraient l’offenser ; et par le clignotement, elles diminuent la trop grande affluence ou intensité des rayons lumineux ; Cuvier, loc. cit.Par la paupière inférieure. Tous ces détails sont également exacts. — Les oiseaux…. des coins de l’œil. On sait que les oiseaux ont trois paupières, les deux ordinaires, et une troisième qui est verticale, et qui est située dans l’angle nasal de l’œil. C’est surtout la paupière inférieure qui couvre l’œil en s’élevant ; elle est plus grande et plus épaisse que la supérieure ; voir Cuvier, foc. cit. p. 430. — C’est qu’ils sont liquides. L’expression n’est peut-être pas très-juste dans cette généralité ; mais ce qui l’explique en partie, c’est que l’œil en effet a deux humeurs, l’aqueuse en avant du cristallin, et la vitrée en arrière, qui ont toutes deux la densité de l’eau pure, bien que la vitrée soit un peu plus épaisse. — La nature les a faits ainsi. La constitution de l’œil est plus compliquée qu’Aristote ne semble le croire ici, et elle est encore plus admirable qu’il ne le pensait ; mais les observations n’étaient pas de son temps poussées fort loin.
  210. Une peau un peu dure. La première tunique de l’œil est la sclérotique, qui enveloppe tout le globe, sauf à la partie antérieure, où elle laisse un grand vide que ferme la cornée, recouverte elle-même par la conjonctive. C’est la cornée qui forme le blanc de l’œil, en passant sur la sclérotique. La seconde tunique de l’œil est la choroïde. — La peau qui revêt la pupille. Toutes les tuniques de l’œil sont extrêmement minces : sclérotique, cornée, choroïde, uvée, etc., etc. ; voir Cuvier, loc. cit.. pp. 394 et suiv., XIIe leçon. — Les paupières sont faites… C’est bien là l’office des paupières, quoique quelques animaux n’en aient pas, par exemple les reptiles ; la plupart des poissons n’ont pas de paupière mobile. — Ce mouvement ne dépend pas d’eux. En ceci éclate très-sensiblement la prévoyance de la nature. Si ce mouvement protecteur de la vue eût dépendu de la volonté, il ne se serait jamais produit à temps ; au contraire, étant automatique, il est instantané, et salutaire dans presque tous les cas. — Cette peau plus mince. Il n’est pas très-sûr que ceci soit exact.
  211. Entourée de peau. C’est la traduction littérale ; mais la paupière elle-même est une peau. — Ne repoussent jamais. Ce fait paraît exact. — À cause de la dureté de la peau. L’explication n’est peut-être pas aussi satisfaisante que l’auteur le suppose. Il ne semble pas que la dureté ou la mollesse de la peau ait rien à faire en ceci. — Tourne à épaissir et à durcir. Il n’y a qu’un seul mot dans le texte. Il n’est pas certain d’ailleurs que cette explication nouvelle soit plus exacte que les précédentes. — Et de là vient. Il eût sans doute été préférable de se borner à constater le fait sans chercher à l’expliquer. — Les pigeons… Je ne sais pas si la physiologie moderne a reconnu cette organisation de la vue chez les pigeons ; voir Cuvier, Règne animal, tome I, p. 488. — Les oiseaux de cette espèce. C’est-à-dire les gallinacés, qui comprennent tous les oiseaux de basse-cour.
  212. On a vu. La tournure du texte n’est pas aussi précise ; j’ai cru devoir adopter cette forme, pour rappeler que ceci a déjà été dit plus haut, ch. XII, § 1. — Plus dures que les poils. C’est exact ; mais les écailles sont, chez les animaux qui en ont, des espèces de poils. — Ce n’est pas de cette peau…. En effet, cette peau n’aurait pas été assez flexible. — Mince et extensible. Le texte dit plutôt : « Étendue ». — Par une membrane. C’est-à-dire, par la troisième paupière, qui part du coin nasal de l’œil. — Eût été trop lent. L’explication est ingénieuse, en supposant que la peau des paupières soit aussi dure que celle de la tête. — Nictitante. J’ai ajouté ce mot.
  213. Du coin de l’œil. C’est-à-dire, la caroncule, petite excroissance charnue, qui est en coin de l’œil près du nez ; voir l’Anatomie comparée de Cuvier, XIIe leçon, tome II, p. 430, 1ere édition, sur la troisième paupière des oiseaux. Il semble que Cuvier n’attribue pas à cette troisième paupière autant d’importance qu’Aristote ; pour lui, c’est surtout la paupière inférieure qui fonctionne. — D’un seul et unique principe. C’est-à-dire, d’une seule paupière au lieu de deux. — Principe. Sous-entendu : De mouvement. — L’excroissance.. La caroncule, dans l’angle nasal de l’œil. — Ce qui est en avant… oblique. Cette explication métaphysique est peu satisfaisante ; et il semble qu’ici le mouvement, partant de la caroncule, est moins direct que celui des paupières : seulement l’organe est unique, au lieu d’être double. — Et de côté. J’ai ajouté ces mots, qui sont comme une paraphrase.
  214. Les quadrupèdes ovipares. Dans le genre des crocodiles, des tortues, des lézards, etc. — Ne ferment pas les yeux de la même manière. Que les oiseaux dont on vient de parler. Le crocodile et la tortue ont une troisième paupière comme les oiseaux ; les grenouilles en ont également trois ; mais la troisième est horizontale, comme les deux autres ; Cuvier, Anatomie comparée, loc. cit. p. 432. De plus, elle est transparente et elle se meut d’avant en arrière pour couvrir l’œil entier. — La pupille liquide. Ceci se rapporte encore aux diverses humeurs de l’œil ; mais ce n’est pas à proprement parler la pupille qui est liquide. — Une vue très-longue. Il est certain que, comparativement à la vue des oiseaux, celle des animaux terrestres n’est pas très perçante. Pour les oiseaux. Sur l’organisation particulière de l’œil chez les oiseaux, voir l’Anatomie comparée de Cuvier, loc. cit., p. 414.
  215. Les poissons et les insectes. Il n’aurait pas fallu réunir ces deux espèces d’animaux, dont les yeux sont fort différents. — Les animaux à peau dure.. C’est la traduction exacte du texte ; mais l’expression est bien vague, puisqu’elle peut s’adresser à plusieurs classes d’animaux. — Des yeux fort différents. C’est pour cela qu’il fallait séparer l’étude des uns de celle des autres. — N’a de paupières. Ceci est exact, du moins en partie ; la plupart des poissons n’ont pas de paupières mobiles ; voir l’Anatomie comparée de Cuvier, XIIe leçon, article II, p. 434, 1re édition. Le poisson-lune a une paupière, qui se ferme par un sphincter circulaire. — Ceux qui ont la peau des yeux dure. Ceci s’applique surtout aux insectes, qui ont tantôt des yeux dits chagrinés, à cause des tubercules nombreux qui les couvrent, tantôt des yeux simples, et tantôt aussi des yeux chagrinés et simples concurremment ; Cuvier, loc. cit. p. 371, et surtout, p. 442, l’étude spéciale consacrée aux yeux des insectes et des crustacés. La structure de l’œil chez les insectes est très-différente de ce qu’elle est dans les autres animaux. — Au lieu de cette protection qui leur manque. C’est toujours à la prévoyante sagesse de la nature qu’Aristote fait allusion. — Au travers d’une paupière adventice. Les facettes nombreuses de l’œil des insectes forment une sorte de membrane, qui est fort transparente ; et derrière cette membrane, il y a un enduit opaque, qui, malgré sa consistance, ne semble pas devoir empêcher le passage de la lumière, jusqu’au point où l’insecte peut la percevoir ; voir Cuvier, loc. cit. pp. 442 et suiv. — Des yeux mobiles. Ceci n’est pas très-exact. — Ces insectes. Voir, outre Cuvier, la Zoologie de M. P. Gervais, p. 288, 3e édition.
  216. Les poissons. Sur les yeux des poissons, voir l’Anatomie comparée de Cuvier, XIIe leçon, p. 374, 1ere édition. — Des yeux liquides. Voir plus haut, § 1. — L’eau s’oppose… La remarque est fort juste ; et il est de toute évidence que la conformation de l’œil doit varier avec le milieu ambiant où l’animal doit vivre. — Gêner et offenser. Il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — N’ont pas de paupières. Voir le paragraphe précédent.
  217. Les animaux qui ont des poils ont des cils. Aristote semble avoir attaché aux cils plus d’importance que la zoologie moderne, qui s’est peu occupée de ce détail de l’organisation de l’œil. — Parce qu’ils n’ont pas de poils non plus. Le fait est exact, si d’ailleurs on peut contester cette relation étroite des poils et des cils. — Plus tard. Voir plus loin livre IV, ch. XIV. — Du moineau de Libye. J’ai conservé la dénomination grecque ; mais on sait que c’est de l’autruche qu’il s’agit. — Cet oiseau a des cils. Voir livre IV, ch. XIV, § 2.
  218. L’homme est le seul…. L’observation est très-exacte. — Aux deux paupières. Le texte n’est pas aussi précis ; son expression est plus générale, et il dit simplement : « Des deux côtés. » On peut donc entendre tout à la fois et qu’il s’agit des paupières supérieures et inférieures, et qu’il s’agit des parties du corps, antérieures et postérieures, ou des parties hautes et basses. Le premier sens paraît ici le plus vraisemblable ; le second semblerait plus conforme à ce qui suit, si le texte n’en était pas également équivoque. — Qui forment le dessous du corps. Le texte n’est pas aussi développé. — Et le dessus. Même remarque. — Le dessous du corps. Dans l’espèce humaine, le dessous du corps doit s’entendre de la partie antérieure, qui répond en effet au-dessous du corps des quadrupèdes. — De rempart et de couverture. Il n’y a qu’un seul mot dans le texte. — Les parties de dessus. Ce sont en effet ces parties qui sont les plus exposées aux intempéries des saisons, indépendamment des autres accidents de tout genre. — Les parties du devant. Chez les quadrupèdes, c’est le dessous du corps. — Parfaitement semblable. Il y a peut-être quelque exagération dans l’expression, qui, d’ailleurs, ne signifie sans doute, dans la pensée de l’auteur, rien autre chose que l’égalité des deux faces du corps humain relativement à la station droite. — La nature… produit ce qu’il y a de mieux. Nouvelle affirmation de ce grand principe, qui est profondément vrai, et que la philosophie aristotélique a mis en pleine lumière.
  219. N’a de cils à la paupière inférieure. Ceci ne semble pas une conséquence bien rigoureuse de ce qui précède ; voir la fin du § 1. — Ni sous les aisselles. Ceci n’est peut-être pas très-exact pour certaines espèces de singes. — Ni au pubis. Ceci est fort exact. — A la place de ces derniers poils. Le texte est un peu plus vague, et il n’emploie qu’un pronom tout indéterminé. — Velus sur le dessus du corps. Ce sont surtout les chiens à longs poils que l’auteur veut désigner ici. — Un toupet. C’est le mot qui, dans notre langue, me semble répondre le mieux au mot grec. — D’une crinière. On dit aussi dans notre langue la crinière d’un cheval, aussi bien que la crinière d’un lion, bien que ces deux crinières soient fort différentes à quelques égards.
  220. Dans les espèces… La pensée de tout ce paragraphe est très-profonde, et elle mérite d’être remarquée, à la fois pour elle-même, et aussi pour l’étude plus complète de la philosophie naturelle d’Aristote. Ces compensations qu’établit la prévoyance de la nature dans la constitution générale des animaux, sont très-réelles ; et celle que signale ici le philosophe l’est très-particulièrement. L’opposition qu’il observe entre la queue de l’ours et celle du cheval est frappante : l’une est courte, parce que l’animal est très-velu ; l’autre est assez longue, parce quel animal n’a qu’un poil ras. — Peu de portée. Le fait n’est peut-être pas très-exact, à moins qu’on n’applique spécialement l’idée de portée aux vertèbres, qui sont la partie solide de la queue des chevaux. — Sur les ours. En effet, la queue des ours est tout à fait rudimentaire.
  221. Dont la tête est la plus velue. L’observation peut paraître fort exacte ; et il est clair que la nature a eu un but très-nettement défini en donnant à l’homme cette organisation d’une chevelure épaisse. Quel est ce but ? Les explications peuvent varier ; mais celle que donne Aristote est tout au moins fort ingénieuse. Voir sur le cerveau de l’homme, plus haut, ch. VII, § 13 et suiv. — Des excès du froid et de la chaleur. Il ne semble pas que ce soit là précisément la destination des cheveux ; il est bien certain qu’ils protègent la tête ; mais c’est plutôt contre les accidents que contre la température. On peut croire aussi que la nature a voulu donner au visage de l’homme un ornement. Les cheveux sont surtout une parure ; et ce n’est pas là le seul témoignage qui peut faire supposer que la nature ne dédaigne pas de descendre à ces soins secondaires. — Ce qui est le plus humide. Ces généralités sont bien vagues ; et elles supposent toujours que le cerveau est l’organe le plus humide de toute notre organisation ; ce qui n’est pas du tout prouvé.
  222. Nous nous sommes laissé entraîner. Cette réflexion dans la bouche d’Aristote est d’autant plus remarquable que ce retour sur lui-même ne lui est pas habituel. Mais ici il s’aperçoit qu’il a fait une trop longue digression ; et il semble se promettre de ne pas retomber dans cette faute.
  223. Les sourcils. La fonction attribuée aux sourcils n’est pas fausse sans doute ; mais ici encore on peut admettre qu’ils sont une parure du visage. Cicéron a reproduit et imité tout ce passage et emprunté une foule d’idées à Aristote sur la bonté de la nature ; voir le traité De natura Deorum, liv. II, ch. 57, p. 299 et 301, édit. V. Leclerc, in-12. Cicéron avait l’Histoire des Animaux d’Aristote sous les yeux, en écrivant ces pages admirables, où l’enthousiasme pour la nature s’exprime en termes si magnifiques et s’appuie sur des raisons si solides. — Comme les haies. Cette comparaison est également à remarquer, parce qu’Aristote emploie bien rarement ces formes de style.
  224. Se rapprochent de la composition des os. C’est peut-être trop dire, bien que les sourcils soient une espèce de poils dont la nature est à peu près celle des ongles, et que la nature des ongles soit à peu près celle des os. — Ils deviennent si épais. Ceci est fort exact ; mais ce n’est pas une preuve que les sourcils soient composés comme les os. Cuvier n’a rien dit des sourcils dans son Anatomie comparée, et il n’a dit qu’un seul mot des cils. Voir leç. XIV, pp. 596 et suiv. — Au bout de petites veines. Ceci est exact. — Les veinules. Les ramifications des vaisseaux sanguins vont en effet sans cesse en diminuant.
  225. Par conséquent. Cette conséquence n’apparaît pas très-nettement, et elle n’a rien de nécessaire, malgré ce qu’en dit Aristote. — Qui sortent de la tête. C’est la sueur, quand elle est assez abondante pour se former matériellement en gouttelettes ; mais ce n’est pas là un état constant. — Nécessairement des poils… Même remarque que plus haut.
  226. L’organe de l’odorat. Voir l’Anatomie comparée de Cuvier, où la XVe leçon est consacrée tout entière à l’organe de l’odorat et à celui du goût. — Des mâchoires allongées. Ce sont presque tous les animaux autres que l’homme. Sur les mâchoires, et sur leurs mouvements et leurs formes, voir la seizième leçon de l’Anatomie comparée de Cuvier, tome III, pp. 11 et suiv., Ire édition.
  227. Dans les autres animaux. C’est-à-dire, Autres que les quadrupèdes vivipares. — Plus rapprochée du long des joues. Chez les quadrumanes, le nez est plus ou moins proéminent comme il l’est chez l’homme ; mais dans les oiseaux, dans les reptiles, dans les poissons, etc., l’organe olfactif est fixé sur le côté de la tête plus qu’il ne l’est chez les animaux supérieurs. — Mais l’éléphant… Les détails donnés ici sur l’éléphant sont déjà en partie dans l’Histoire des Animaux, liv. II, ch. I, § 4, p. 100 de ma traduction ; mais ces détails sont ici mieux placés puisqu’il s’agit du nez en général, et que celui de l’éléphant est de beaucoup le plus singulier de tous. — Dont il se sert comme d’une main. Aristote emploie les mêmes expressions dans l’Histoire des Animaux, loc. cit.Qu’il entoure les arbres. Même des arbres assez gros. — Il peut tirer sa nourriture de l’eau. Ceci ne paraît pas exact ; car l’éléphant est surtout herbivore. — Quelques-uns des vivipares. Il aurait fallu préciser davantage et citer ces vivipares.
  228. . Vivre dans l’eau aussi bien que sur terre. C’est exagéré ; et c’est par exception que l’éléphant vit dans l’eau. — De même que les plongeurs… Ce détail montre que l’art du plongeur était déjà assez avancé dans l’Antiquité, quoiqu’il dût nécessairement être fort loin de ce qu’il est devenu aujourd’hui dans nos scaphandres. — L’air qui est en dehors de l’eau. Il semble donc que dès cette époque reculée, on avait imaginé des moyens d’emmagasiner l’air extérieur pour en conserver une assez grande quantité au fond de l’eau. — Avons-nous dit. Au paragraphe précédent, et aussi, Histoire des Animaux, liv. I, ch. IX, § 10, p. 55 de ma traduction.
  229. . Ne fût pas mou. L’explication est très-ingénieuse, ainsi que toutes celles qui suivent sur l’éléphant. L’étude étendue qu’Aristote a consacrée à la trompe de l’éléphant est le digne préliminaire des études de la science moderne, sur cet organe merveilleux et unique en son genre. Voir Cuvier, Anatomie comparée, XVe leçon, pp. 664 et suiv., 1re édit.; voir aussi Buffon, t. XVI, pp. 317 et 324, édit. de 1830. — Les cornes gênent certains bœufs… Je ne sais si ce fait est bien exact ; mais Aristote ne le donne que comme un On dit ; il ne le garantit pas.
  230. . Selon son habitude. Cette remarque est très-vraie ; et dans bien des cas, la nature emploie un même organe à plusieurs fins ; mais cependant elle fait en général le contraire, et elle n’emploie un organe qu’à une seule et unique fonction. Aristote l’en loue formellement dans la Politique, liv. I, ch. I, p. 4 de ma traduction, 3e édit. Il y a donc ici une contradiction formelle entre les opinions diverses d’Aristote ; mais ce défaut est bien rare chez lui. — Au service des pieds de devant. Qui pour beaucoup d’animaux, par exemple les carnassiers, leur servent à saisir et à déchirer leur proie. — À la place des mains. Ceci ne veut pas dire que ces pieds puissent absolument remplacer les mains, qui n’ont été données qu’à l’homme dans toute leur perfection, et en partie aux quadrumanes. — Les éléphants sont polydactyles. Voir Buffon, loc. cit., p. 328 et surtout p. 335. L’éléphant a cinq doigts recouverts par la peau et non apparents ; il a généralement aussi cinq ongles. Sa plante du pied est une semelle de cuir aussi dure que la corne et qui déborde tout autour. — Que pour le soutenir. C’est parfaitement exact. — La lenteur de leur marche. Le pas de l’éléphant n’est pas plus rapide que celui du cheval ; mais comme les jambes sont fort longues quoique massives, le pas se trouve proportionnellement beaucoup plus grand. — Leur inaptitude naturelle à fléchir… Ceci est fort exact ; et Buffon, en parlant des jambes de l’éléphant, dit qu’elles ressemblent moins à des jambes qu’à des piliers, ou des colonnes massives, de quinze à dix-huit pouces de diamètre, et de cinq ou six pieds de hauteur ; loc. cit.. p. 338. On conçoit que de pareils membres ne peuvent pas être très-flexibles.
  231. Un nez pour respirer. C’est en effet une des fonctions de la trompe. — Il doit vivre dans l’eau. Ceci est exagéré, comme je l’ai déjà remarqué plus haut. Ce qui est vrai, c’est que l’éléphant peut, grâce à sa trompe qui reste à l’air, nager longtemps entre deux eaux. — Lui ayant été refusé. Sous-entendu : Pour tout autre usage que de le soutenir. — Que les pieds auraient pu donner. S’ils eussent été organisés comme ils le sont chez d’autres quadrupèdes.
  232. Au contraire. Ceci ne tient pas très-directement à ce qui précède ; et c’est plutôt une suite du § 1. — Qui ont du sang. Nous dirions plus précisément : Qui ont du sang rouge. — En devant de la bouche. C’est la traduction exacte du texte ; mais l’expression ne répond pas bien à la réalité, ni sans doute, à la pensée de l’auteur. Le nez est au-dessus de la bouche et non point en avant.— Des narines visiblement articulées… en parlant des oiseaux. Voir l’Anatomie comparée de Cuvier, XVe leçon, p. 646, tome II, Ire édition. — Au lieu de mâchoires, ils ont… leur bec. Voir Cuvier, id. ibid., IIIe leçon, p. 27 et XVIe leçon, pp. 60 et suiv.
  233. . C’est la nature de l’oiseau. Sur la nature de l’oiseau, voir Cuvier, Règne animal, lep. 301 et suiv., édit. de 1829 ; et M. Claus, Zoologie descriptive, lep. 936 et suiv., trad. franç. Les généralités exposées ici par Aristote sont très-exactes, bien que la science moderne ait poussé l’analyse beaucoup plus loin. — Un bec osseux. Dans toute la classe des oiseaux, le bec a nécessairement beau-coup de consistance, parce que autrement il ne pourrait pas remplir son office. — Les conduits de l’odorat dans le bec. Ce détail est fort exact ; et il suffit d’un simple coup d’œil pour le constater. — Il était… impossible. La configuration du bec s’y oppose absolument.
  234. Qui ne respirent pas… Sous-entendu : De la même manière que les animaux dont il vient d’être question ; car tous les animaux respirent ; seulement les appareils sont fort différents, poumons, branchies, peau, etc. — Plus haut. Voir plus haut, ch. X, § 7 ; mais ce passage même ne répond pas très-directement à celui-ci. — Par des branchies. C’est une erreur, à ce qu’il semble ; les poissons n’odorent point par les branchies ; et ils ont un appareil spécial, que Cuvier décrit dans son Anatomie comparée, XVe lec. p. 669, 1re édition. — Par le corselet. Ce n’est pas non plus par le corselet que les insectes sentent les odeurs ; on ne sait pas au juste comment la perception se produit en eux ; mais il paraît probable que c’est par la membrane interne des trachées ; parfois on a cru que c’était par les antennes ; voir Cuvier, loc. cit., p. 675. L’indication donnée par Aristote n’est pas très-éloignée de la vérité. — Souffle qui se trouve dans tous les animaux. Ceci est vrai si l’on entend parler de la chaleur animale et de la vie en général ; mais il est bien certain que tous les animaux ont besoin, à un degré plus ou moins grand, de l’air extérieur pour vivre. — Sans qu’ils aient à l’emprunter au dehors. Au contraire l’emprunt à l’extérieur est indispensable dans une certaine mesure.
  235. Les lèvres. Aristote indique lui-même quelles sont ces limites assez étroites chez les animaux. — Comme nous venons de le dire. Plus haut, § 8. — Tenir lieu de dents et de lèvres. L’observation est très-exacte. — Comme si sur l’homme L’hypothèse est ingénieuse ; et elle fait bien comprendre quels sont les rapports que la conformation de l’oiseau peut avoir, à quelques égards, avec celle de l’homme.
  236. . Chez tous les autres animaux. L’expression est peut-être trop générale, puisqu’elle ne s’applique qu’aux animaux pourvus de lèvres véritables. — Molles et charnues. Ce n’est pas le privilège de l’homme seul ; et chez beaucoup d’autres animaux, les lèvres sont organisées de même. — Servir à la parole. Aristote, on le sait, a été un des premiers à proclamer ce privilège de l’homme ; et personne ne l’a apprécié plus haut que lui, bien qu’il n’ait pas tiré de cette observation toutes les conséquences qu’elle renferme. L’action des lèvres dans le langage articulé est indispensable pour produire certains sons.
  237. . Qui ne ressemble pas à celle des autres animaux. Ceci n’est pas absolument exact ; et dans toute la classe des mammifères, la langue ne diffère pas sensiblement de celle de l’homme. Chez tous sans exception, elle est charnue et flexible dans toutes ses parties, attachée par une portion de sa base à la mâchoire inférieure, et par sa racine à l’os hyoïde ; elle ne diffère d’un animal à l’autre que par la longueur et l’extensibilité de sa partie libre. Voir Cuvier, Anatomie comparée, XVe leçon, pp. 678 et suiv., 1re édition. Mais elle diffère beaucoup, comme le dit Aristote, chez les oiseaux, les reptiles, et les poissons, dont quelques-uns n’en ont pas du tout, comme les chondroptérygiens, chez les mollusques, qui n’en ont pas davantage, et chez les insectes de tout genre. — A deux usages. Le goût et la parole. — Ainsi que nous l’avons dit. Voir plus haut, § 5. — Les saveurs et pour parler. La langue est, en outre, un organe de déglutition. On peut donc dire qu’elle a trois usages et non pas deux.
  238. Le langage. Ce qu’Aristote dit ici de la langue et des lèvres comme instruments de parole, est profondément vrai. Il y a des consonnes linguales et d’autres qui sont labiales ; et sans la langue et les lèvres on ne pourrait prononcer ni les unes ni les autres. — Aux maîtres de métrique Ceci prouve que les études sur l’organe de la voix et ses emplois divers étaient dès lors poussées fort loin. Aujourd’hui même, nous ne les cultivons pas sans doute autant que les Grecs les cultivaient. C’est une lacune de notre éducation.
  239. Chacune de ces deux parties. La langue et les lèvres. — Qu’on vient de dire. Aux paragraphes précédents. — Le plus sensible de tous les animaux. Cuvier dit également que l’homme est de tous les animaux vertébrés celui qui a le toucher le plus parfait. Dans les animaux qui sont réduits au seul sens du toucher, il paraît encore plus exquis que chez l’homme même ; Anatomie comparée, XIVe leçon, p. 538.
  240. La langue des animaux. Ce qui vient d’être dit de la langue s’applique particulièrement à l’homme ; il reste à voir ce qu’est la langue chez les autres animaux. — Dans presque tous les animaux. Voir pour toute la série animale l’Anatomie comparée de Cuvier, loc. cit.Cette disposition est différente. Cette généralité est très-vraie, bien que l’analyse ne soit pas poussée assez loin. — La plus mobile et la plus molle. Voir au chapitre précédent, § 12.
  241. . La plus large. Sous-entendu : Proportionnellement. — Percevoir les saveurs. Voir plus haut, chapitre précédent, § 12, où ceci a déjà été dit. — Qui les perçoit le mieux. Ceci n’est peut-être pas très-exact. — Toucher les choses. Le goût est en effet un toucher spécial, puisqu’il faut toucher les choses sapides pour en avoir la perception, comme l’auteur le dit fort bien. — L’articulation des lettres. Répétition de ce qui vient d’être dit, chapitre précédent, § 13.
  242. . Et en étant mobile. La mobilité était en effet une condition indispensable pour l’accomplissement de la fonction. Sans cette mobilité, ni la parole, ni la déglutition n’eussent été possibles. — On le voit clairement… Observation très-exacte et fort ingénieuse. Peut aussi se rétrécir. Cette observation est également très-juste. — Car le petit peut se trouver dans le grand. C’est la traduction fidèle du texte ; mais la pensée aurait pu être présentée sous une forme plus précise et plus spéciale.
  243. . Ceux qui ont la langue la plus large. Ceci fait sans doute allusion à la langue du perroquet, qui est très-épaisse, charnue et arrondie en devant ; voir Cuvier, Anatomie comparée, XVe leçon, p. 691, 1re édit. La langue des canards est aplatie, large et charnue. — Est dure, peu détachée et épaisse. Ceci n’est pas très-exact pour l’ordre entier des mammifères ; voir au chapitre précédent, § 12. — Une forte voix. Voir Cuvier, Anatomie comparée, XXVIIIe leçon, p. 450, 1re édition ; le grand naturaliste français a commencé ses études sur la voix des animaux, par celle des oiseaux comme la plus simple, et une des plus merveilleuses. Aussi, s’est-il appliqué à l’analyser avec le plus grand soin. La voix des oiseaux est un instrument à vent pur et simple, dans le genre des cors et des trompettes, id. ibid. p. 463 et 491.
  244. Les oiseaux les plus petits. Il suffit de citer le rossignol pour montrer combien cette observation est exacte. — Se faire comprendre les uns des autres. Le fait est incontestable, bien qu’il soit très-difficile de savoir jusqu’où vont ces communications des animaux entre eux. Nous n’avons pas fait de grands progrès dans cette voie ; et il est probable que le mystère nous restera toujours à peu près impénétrable. — Dans l’Histoire des Animaux. Le sujet de la voix des animaux y a été traité tout au long, liv. IV, ch. 9 ; voir spécialement les §§ 13 et 18.
  245. Qui sont ovipares et qui ont du sang. Voir sur les oiseaux l’Anatomie comparée de Cuvier, XXVIIIe leçon, pp. 450 et suiv. — Inutile pour la fonction de la voix. Il faut comprendre qu’il s’agit de la voix articulée comme elle l’est dans l’homme. — Les serpents et les lézards. Toutes ces observations sont exactes, et la science moderne n’a pu que les confirmer. Voir Cuvier, Anatomie comparée, XVe leçon, p. 680, 1reédition. — L’étendre peu à peu fort loin. Cuvier dit aussi que la langue des lézards est singulièrement extensible, comme celle des serpents, et qu’elle se termine par deux longues pointes flexibles demi-cartilagineuses. Celle du chaméléon, qui est cylindrique, peut s’allonger considérablement, grâce à un mécanisme spécial. — Ils l’ont double. Ou plutôt : « Bifide. » — Ils sont très-friands. Le fait est vrai ; mais l’explication est plus ingénieuse que réelle. — Ils ont le plaisir de goûter deux fois les saveurs. Ce n’est peut-être pas impossible.
  246. Privés de sang. Ce sont surtout les insectes qu’Aristote entend désigner par là, et aussi les poissons, comme la suite le prouve. — De l’organe des saveurs. Voir Cuvier, Anatomie comparée, XVe leçon, p. 682 sur les insectes, et pp. 681 et 695 sur les poissons ; voir en outre XVIIIe leçon, pp. 260 et suiv., sur la langue considérée comme organe mobile de déglutition. — Par exemple quelques poissons. Voir l’Histoire des Animaux, liv. IV, ch. VIII, §§ 6 et suiv. sur le sens du goût chez les poissons ; voir aussi Cuvier. Anatomie comparée, XVIIIe leçon, p. 277. — Crocodiles de rivières. Voir l’Histoire des Animaux, liv. II, ch. VI, § 2. Le crocodile n’est jamais que dans les cours d’eau douce, comme est le crocodile du Nil ; le crocodile terrestre n’est pas un vrai crocodile ; c’est un grand lézard, auquel on avait donné le nom de crocodile terrestre dans quelques contrées de la Grèce, où il se trouve ; voir MM. Aubert et Wimmer, Histoire des Animaux, t. I, p. 117. n° 10. On ne comprend pas bien sur quel fondement reposerait cette distinction. C’est à tort qu’Aristote a dit dans ce passage que le crocodile n’a pas de langue ; il en a une ; mais elle est plate et attachée jusque près de ses bords ; voir Cuvier, Règne animal, t. II, pp. 18 et 19, édit. de 1829. Il faut beaucoup d’attention pour discerner cette langue du reste de la bouche.
  247. Ne possèdent pas ce sens spécial. Ainsi, Aristote n’attribue qu’une seule fonction à la langue chez les poissons ; selon lui, cet organe ne sert absolument qu’à la perception des saveurs. — De la nature de l’arête. Cette observation est fort exacte ; et la bouche des poissons a toujours quelque chose de cartilagineux. — Que très-peu d’instants. La raison en est donnée un peu plus bas, puisque les poissons ne peuvent pas rester longtemps la bouche ouverte. Cependant cette raison n’est pas très-bonne ; car la perception du goût peut avoir lieu, quoique la bouche soit fermée. — Très-rapide et très-court. Il n’y qu’un seul mot dans le texte. — Écourtée. J’ai pris ce mot pour reproduire autant que possible la répétition qui est dans le texte. — Est d’une extrême rapidité. Le fait est très-exact ; et d’ordinaire on signale la voracité de la plupart des poissons. L’explication que donne Aristote est peut-être encore la plus plausible. — L’eau leur entrerait dans la bouche. L’eau entre bien dans la bouche des poissons, mais en petite quantité ; et c’est par les branchies qu’ils respirent. La zoologie moderne ne paraît pas avoir étudié spécialement la conformation de la bouche des poissons, bien qu’une classe tout entière s’appelle les cyclostomes, parce que les mâchoires sont soudées en un anneau immobile ; voir Cuvier, Règne animal, tome I, p. 128, édit. de 1829. — Très-inclinée. Afin de mieux voir comment leur langue est faite. — Distincte et détachée. Il n’y a qu’un seul mot dans le texte. On se rappelle que toute la classe des chondroptérygiens est dépourvue de langue ; et dans la plupart des poissons à branchies libres, la langue n’est formée que par la protubérance d’un os, auquel s’articulent ceux qui supportent les branchies ; voir Cuvier, Anatomie comparée, XVe leçon, tome II, p. 681, Ier édition. En général, la langue des poissons est osseuse, et parfois même elle est couverte de dents ; ce qui la rend peu sensible. C’est surtout par la membrane du palais, à ce qu’il semble, que les poissons sentent les saveurs. — Formée de la superposition des branchies. Cette description n’est pas très-exacte, et elle n’est pas non plus très-claire.
  248. . L’immobilité de leur mâchoire inférieure. Il ne semble pas que cette immobilité de la mâchoire inférieure chez les crocodiles soit aussi complète qu’Aristote et les Anciens l’ont cru. — Leur langue est attachée… Cuvier, Règne animal, tome II, p. 17, suppose que les Anciens niaient que le crocodile eût une langue ; on voit par ce passage qu’il n’en est rien. Aristote avait très-bien vu la conformation de la langue du crocodile, qui est plate et attachée, jusque près de ses bords. — C’est en haut qu’ils ont la mâchoire d’en bas. Cette explication est fort ingénieuse, quoique la pensée ne soit pas très-juste. Par suite de la masse énorme d’os que le crocodile a dans la tête, la mâchoire inférieure est lieu mobile ; mais elle l’est dans une certaine mesure, bien qu’elle compte douze pièces osseuses, tandis que celle de l’homme adulte ne présente qu’un seul os, courbé en arc dans son milieu ; voir Cuvier, Anatomie comparée, XVIe leçon, p. 13, 1ere édition ; et Règne animal, t. II, p. 18.
  249. Vit cependant de la vie des poissons. En d’autres termes, le crocodile est un amphibie d’un certain genre. — Sans aucune articulation. Voir plus haut § 8, où l’auteur explique l’organisation particulière de la bouche des poissons.
  250. Ont le palais charnu. L’observation est exacte. — Chargé de chair. Ceci est la répétition de ce qui vient d’être dit ; mais cette répétition est dans le texte. C’est que sans doute l’auteur a d’abord parlé des poissons de mer, et qu’ensuite il leur oppose les poissons d’eau douce. — Les carpes. Le mot du texte est Cyprinoi ; mais l’identification paraît tout à fait certaine ; c’est le Cyprinus carpio de la zoologie moderne ; voir MM. Aubert et Wimmer, Histoire des Animaux, t. I, p. 133, n° 39 du Catalogue des poissons. — Si l’on n’y regarde pas de très-près. Voir plus haut, § 8. — Qu’elles renferment. Il serait plus exact de dire ; « Qui les renferme ; » car les saveurs sont dans les aliments et les aliments ne sont pas dans les saveurs ; mais j’ai dû suivre le texte. — Mais principalement à son extrémité, qui est la seule à être détachée assez nettement pour qu’on la reconnaisse. C’est que, dans les poissons, la langue est assez généralement soutenue par un os ou un cartilage ; cette langue n’a pas toujours de muscles propres ; et elle a très-peu de mouvements ; voir Cuvier, Anatomie comparée, XVIIIe leçon, p. 277. 1ere édition. Il y a cependant quelques poissons, comme le congre, qui ont la langue très-longue.
  251. Le désir et l’appétit. Il n’y a qu’un mot dans le texte. — Le plaisir qu’elle cause. C’est vrai ; mais la vivacité de cette sensation varie avec les diverses espèces, puisque les uns sont voraces et que les autres ne le sont pas. — L’organe… est loin d’être le même. L’observation est exacte ; et la diversité des moyens que la nature emploie pour procurer aux animaux leur nourriture spéciale, est une des parties les plus curieuses de l’anatomie comparée. La revue que fait ici Aristote n’est pas complète sans doute ; mais elle n’en est pas moins louable et digne d’attention. S’il s’occupe peu des animaux supérieurs, c’est que chez eux les faits sont de toute évidence ; et il s’arrête plus particulièrement aux espèces où ils sont beaucoup moins clairs : crustacés, mollusques, insectes, etc. — À l’intérieur. L’expression est bien vague ; et il était possible de préciser les choses davantage. — Comme dans les fourmis. Ici encore il eût été possible de donner plus de détails. — Comme une espèce de dard. Dans quelques insectes, c’est un organe aussi puissant que peut l’être un dard proprement dit, notamment chez certaines espèces de mouches, comme l’auteur l’indique au paragraphe suivant. — Et attirent leur nourriture. En faisant le vide par une aspiration énergique, comme le fait aussi la trompe de l’éléphant, citée également au paragraphe suivant.
  252. Sur les mouches. C’est une observation que tout le monde peut faire sur ces insectes. — Dans les pourpres. Voir les mêmes observations à peu près dans l’Histoire des Animaux, liv. IV. ch. 4, § 11. p. 44 de ma traduction, t. II. — Comme un équivalent de la trompe. Cette conformation est surtout très-marquée dans les mouches, quelque ténus que soient leurs organes. — Une utilité et une défense. Il n’y a qu’un seul mot dans le texte ; mais il a les deux sens que j’ai dû indiquer en le traduisant. — La place d’un aiguillon. Sur les aiguillons des insectes, voir l’Histoire des Animaux, liv. IV, ch. Vu, §§ 5 et suivants, p. 71 de ma traduction.
  253. . La langue est donc organisée… Cette étude sur la langue dans les diverses espèces d’animaux est très-remarquable quoique incomplète. C’est un cadre où la science n’a eu qu’à faire entrer successivement tous les faits qu’elle peut constater. C’est du reste la marche que la science a dû toujours suivre nécessairement depuis l’Antiquité jusqu’à nous ; c’est la marche qu’elle suivra aussi dans l’avenir. Les observations d’Aristote étant en général fort exactes, il n’y a point à les changer ; on ne peut qu’y ajouter ; et les accroissements de la science seront sans limite, comme les faits que la nature livre sans cesse à l’infatigable curiosité de l’homme.