Aller au contenu

Les Peaux-rouges (Duplessis)/Une exécution en Amérique

La bibliothèque libre.
Alexandre Cadot (p. 287-311).


UNE EXÉCUTION EN AMÉRIQUE.














I

La ville de Cosala, située à plus de quatre cents lieues de Mexico, et enfouie, pour ainsi dire, dans les vastes déserts du département de Silnava, joue néanmoins un grand rôle dans le commerce du Mexique par ses mines d’or et d’argent. Rien de si curieux que le contraste de ses misérables habitations avec l’or que l’on voit ruisseler de toutes parts. Rien de si terrible et de si original à la fois que les mœurs de ses habitants, qui, enfouis presque toujours dans les entrailles de la terre, signalent généralement leur sortie des mines par d’incroyables orgies et par des prodigalités devant lesquelles pâlit l’imagination de pirates en train de dévorer une part de prise. Très-peu soucieux de la justice qu’ils bravent, grâce au refuge que leur offrent leurs mines, où elle ne peut les atteindre, les mineurs cosaltecos considèrent généralement le vol comme une affaire, et l’assassinat comme un passe-temps sans conséquence.

Je crois que j’ai assisté au seul exemple de fermeté qu’ait donné la justice de Cosala depuis les guerres de l’indépendance ; car du temps de la domination espagnole, les lois étaient si terribles et si énergiquement appliquées, qu’il n’y avait presque jamais de coupables.

Un an avant mon arrivée à Cosala, c’est-à-dire en 1839, un jeune homme nommé Antonio V***, appartenant à l’une des plus riches et des plus puissantes familles de la ville, avait été étranglé par des compagnons de débauche Les meurtriers, au nombre de cinq, prirent la fuite aussitôt après la consommation de cet assassinat, qui fut accompagné d’horribles circonstances.

Traqués par des dragons payés à cet effet et par des serviteurs armés, quatre succombèrent, et l’on aurait entièrement oublié cette sanglante histoire, sans les exploits du dernier survivant, qui, devenu voleur de grandes routes, exploitait à main armée, avec autant d’intrépidité que de bonheur, les environs de Cosala et des mines.

Cependant ce bonheur eut un terme, car lorsque j’arrivai à Cosala, ce bandit, — nommé Joachim Pacheco, — venait d’être arrêté depuis quelques jours, il n’était question que de cette arrestation, et la prison de Cosala, située au bout de la Plaza, du côté de l’église, était devenue un but de promenade universelle. Chacun voulait voir le fameux Joachim Pacheco, et chacun se trouvait servi à souhait, car la prison, composée d’une seule pièce, placée de plain-pied sur la Plaza, et fermée par un grillage, laissait ses hôtes exposés à tous les regards.

Joachim Pacheco portait une de ces bonnes et franches figures qui appellent de prime-abord l’intérêt. Il avait l’air parfaitement calme, fumait fort dignement une mince cigarette, et ne paraissait pas remarquer la curiosité populaire dont il était l’objet. Le lendemain était le jour du jugement et je me promis d’y assister.

Un juez de Letras[1], que je comptais parmi mes connaissances, composait tout le personnel de la justice cosalteca. Je me rendis donc chez lui le lendemain vers midi, heure à laquelle, m’avait-on dit, devait comparaître Joachim Pacheco. En effet, lorsque j’arrivai, le bandit venait de faire son entrée, et se trouvait devant son juge. Jamais, certes, tribunal ne fut moins imposant. L’ameublement de la pièce se composait d’un hamac suspendu à deux poutres du plafond, de deux espèces de fauteuils en bambous, d’une table en bois brut d’acajou placée devant le hamac, sur un sol inégal et pierreux qui la faisait boiter, et d’une natte en jonc jetée par terre devant la porte d’entrée.

Dans le hamac se tenait, à moitié couché, le bras appuyé sur son coude et la tête sur la main, un petit vieillard, tout sec et tout ridé, dont les vêtements débraillés ne décelaient aucun caractère officiel ; c’était le juez de Letras ; sur la table se trouvait un brazero garni de poussier enflammé, à l’usage des fumeurs ; près du brazero un paquet de cigarettes à moitié défait ; puis, à côté des cigarettes, un encrier couvert de poussière, avec une plume toute jaune et toute maculée, plantée dans un de ses becs ; il n’y avait pas de papier. Enfin Joachim Pacheco, se balançant mollement dans l’un des fauteuils dont nous avons parlé, tournait le dos aux deux dragons qui l’avaient escorté chez le juez de Letras, et qui, accroupis sur la natte de jonc, leurs carabines placées entre leurs jambes, s’occupaient à confectionner des cigarettes en attendant la fin de l’interrogatoire.

— Eh bien ! mon garçon, dit enfin le juez en s’adressant à Joachim, nous allons donc te juger ?

— Avec votre permission, Seigneurie, dit Joachim qui, se levant de son fauteuil sans répondre au juge, se dirigea vers la table où était placé le brazero, et y alluma une cigarette qu’il tenait entre ses doigts.

— Ne te gêne pas, mon garçon… fumer est une des grandes occupations de la vie, je le sais ; seulement, depuis que le gouvernement à affermé la régie, le tabac est devenu détestable.

— Mais il y a encore de braves enfants qui savent faire le coup de fusil avec les douaniers, et si Votre Seigneurie veut s’en convaincre, elle n’a qu’à accepter ce paquet de cigarettes.

— Volontiers, dit le juge, qui, s’emparant du paquet, en retira une cigarette qu’il alluma aussitôt. Caramba ! reprit-il après avoir humé avec délices quelques bouffées, tu as raison ; c’est délicieux ; il n’y a plus vraiment que les travailleurs des grandes routes qui fument d’excellents cigares. Mon cher garçon, ajouta-t-il d’une voix pleine de douceur et de bienveillance, je compte sur ton amitié pour faire parler de moi à l’estimable contrebandier qui t’a fourni ces cigarettes. Ce sera une fort bonne affaire pour ce garçon, Car, outre la marchandise que cela lui fera vendre, peut-être bien un jour ma protection lui sera-t-elle de quelque utilité. Mais poursuivons cet interrogatoire. Pourquoi donc, diable ! as-tu tué ce pauvre don Antonio V*** ?

— Je ne me suis jamais bien rendu compte de cette action, répondit l’assassin avec sang-froid. Je devais avoir probablement, ce jour-là, les nerfs agacés.

— Ceci est une excuse, j’en conviens, mais elle n’est que secondaire, et je ne puis l’admettre. À propos, combien vend-il une rueda de cigarettes, ton ami le contrebandier ?

— Douze réaux, et chaque rueda se compose de trente-deux paquets.

— Ce que le gouvernement nous fait payer deux piastres ou seize réaux ! s’écria le juez de Letras avec indignation ; ce qui est un vol, un vol manifeste et honteux. Mais bah ! ne me parlez pas des gouvernements ; ils sont tous plus voleurs les uns que les autres.

— J’en conviens, dit Joachim d’une voix pateline. Seulement on ne les fusille pas.

— À propos, tu m’y fais penser, mon garçon ; la cause est entendue et j’ai ma sentence à rendre.

Le juez de Letras, en disant ces paroles, voulut prendre la plume qui, attachée au fond de l’encrier par l’encre depuis longtemps séchée, résista à ses efforts.

— Caramba ! dit-il, j’ai oublié de me procurer du papier timbré ; comment faire ?

Puis, comme inspiré par une idée subite, il se tourna vers les deux dragons :

— Mes enfants, leur dit-il, à défaut de papier pour écrire mon jugement, je vous prends à témoin que je condamne Joachim Pacheco, l’assassin de don Antonio V***, à être fusillé dans les quarante-huit heures, à l’endroit même où il a commis son crime. Reconduisez-le en prison.

Au moment où le condamné allait franchir le seuil de la porte, le juez de Letras, s’élançant vers lui, l’arrêta par le bras.

— Mon pauvre Joachim, lui dit-il, j’espère que tu ne me gardes pas rancune de la petite formalité que j’ai été obligé de remplir à ton égard, et que cela ne t’empêchera pas de me recommander, ainsi que tu me l’as promis, à ton ami le contrebandier qui vend de si bon tabac.

Les quarante-huit heures d’existence qui restaient encore à Joachim Pacheco étant écoulées, on le fit sortir de la chapelle ardente, cette terrible antichambre de l’échafaud, pour le conduire au supplice. Alors seulement le commandant de place se souvint qu’il avait disposé la veille, pour faire escorter un convoi d’argent, de toute la garnison de Cosala, c’est-à-dire de six dragons, et que, pour le moment, lui et son épée étaient les seuls représentants de la force militaire.

Or, comme Joachim Pacheco devait être fusillé, le cas ne laissait pas que d’être embarrassant.

Les autorités, afin de sortir de ce mauvais pas, décidèrent que l’on louerait immédiatement trois hommes pour remplacer les dragons absents.

Cette résolution était plus facile à prendre qu’à exécuter, car il fallut plus de deux heures pour parvenir à trouver trois gaillards, non pas pleins de bonne volonté, mais ayant à eux des carabines ; tous ceux qui étaient assez favorisés par le sort pour posséder des armes à feu, s’en servaient alors sur les grandes routes.

Cependant, après deux heures de recherches, l’alcade qui avait été chargé de la négociation, revint accompagné des trois exécuteurs improvisés. Seulement, il n’y en avait que deux qui eussent accepté les conditions du marché ; le troisième, grand Indien cuivré, marchandait encore.

— Quoique ce soit bien peu de quatre réaux pour payer la mort d’un homme, disait-il, je me conformerais cependant à ce taux, s’il s’agissait de tout autre ; mais Joachim Pacheco est mon ami… mon intime ami même… et je ne le fusillerai jamais à moins de six réaux… C’est là mon dernier prix.

Comme l’heure fixée pour l’exécution était déjà passée, l’alcade, sans se laisser arrêter par cet incident, ordonna le départ du cortège. La foule se mit en mouvement, et bientôt après apparut le condamné lui-même, suivi d’un moine chargé de l’exhorter à ses derniers moments.

— Mon fils, disait ce dernier en s’adressant à Pacheco et en lui présentant un Christ d’argent, tu es un heureux mortel, car ce soir, grâce à l’absolution que je te donnerai, tu es sûr de souper en compagnie de notre divin Sauveur.

— Merci, padre, répondit doucement le pauvre Pacheco qui semblait assez résigné ; merci de vos bonnes paroles, mais je ne suis pas un égoïste, et puisque vous comprenez si bien le bonheur qui m’attend, prenez ma place… et surtout pas de remercîments, je vous l’offre de bon cœur.

— Cela ne se peut, répondit le moine, que cette proposition ne sembla pas réjouir ; tu as tué ton prochain et tu dois mourir ; ainsi le veut la société.

— Ce qui est stupide ! s’écria Pacheco.

— Ce qui est juste, dit le moine.

— Stupide ! je le répète.

— Bien fait.

— Ridicule !

— D’un bon exemple.

— D’une profonde immoralité, vociféra enfin Pacheco hors de lui ; car, répondez à ce que je vais vous dire : Un homme vole un cheval, et dès ce moment on peut l’appeler voleur ; mais voilà qu’un autre lui vole ce même cheval : comment nommera-t-on ce second voleur ?

— Parbleu, comme tu viens de le dire toi-même, un voleur, répondit le moine en acceptant la discussion.

— Très-bien, padre, nous sommes d’accord, poursuivons. Comment donc à présent nommez-vous un homme qui tue son semblable ?

— Un assassin !

— De mieux en mieux ; et ceux qui tuent ce même homme, que sont-ils donc ?

Le padre réfléchit un moment avant de répondre, puis s’écria :

— Au fait, je suis bien bon de discuter avec toi. Tu es condamné justement, cela suffit ; tu es un ignorant, et j’ai chez moi quatre volumes des Œuvres de saint Augustin, qui certainement doit être de mon avis sur la peine de mort.

— Ça ne fait rien, murmura le condamné peu satisfait ; saint Augustin lui-même perdrait son temps, s’il voulait me convaincre de la justice de ma mort.

À ces paroles irrévérencieuses, le moine brandit le lourd crucifix qu’il portait, et le laissa pesamment retomber sur les épaules de Pacheco, qui poussa un hurlement de douleur.

— Le Christ pardonne et ne frappe pas, dit Joachim d’une voix sourde.

— Soit ; mais en tous cas, tu n’auras pas mon absolution, répondit le moine.

Ces simples paroles produisirent un grand effet sur le condamné ; de railleur et d’impudent qu’il était d’abord, il devint humble et soumis.

— Je vous demande bien pardon pour toutes ces absurdités, padre… Je reconnais que j’ai eu tort, mais promettez-moi aussi que vous me donnerez l’absolution…

— Certainement, mon fils, répondit joyeusement le moine, enchanté de rester maître du champ de bataille, je te le promets. Du reste, ne crois pas que la contradiction m’irrite, j’aime au contraire à discuter raisonnablement avec mes semblables afin de les éclairer.

Le pauvre Pacheco secoua son épaule toute meurtrie et continua de marcher en silence. Un quart d’heure après, le cortège arrivait à l’endroit désigné pour l’exécution. C’était sur les bords d’un large et limpide ruisseau ombragé par une luxuriante végétation tropicale, et au pied d’un arbre gigantesque, que le malheureux Antonio V*** avait été étranglé. À cette place même s’élevait en ce moment, le pied fixé en terre, une croix en bois haute d’environ quatre pieds et garnie d’une espèce de banquette au tiers de sa hauteur.

Cette croix, attachée ordinairement par une chaîne au mur de la prison et exposée comme épouvantail aux yeux de la foule, avait déjà servi à plus d’une exécution, ainsi que l’attestaient ses extrémités trouées de balles. On fit asseoir Pacheco sur la fatale banquette, et on lui fixa solidement le corps au poteau ; quant à ses bras, on les attacha également aux deux branches de la croix.

Ainsi placé en crucifié et la poitrine bien découverte, Pacheco, préparé à la mort, commença d’une voix assez ferme ses prières des morts.

L’usage établi au Mexique est que, lorsque le condamné arrive au milieu du Credo, le prêtre lui donne l’absolution à haute voix, tandis que l’officier chargé de faire accomplir l’exécution lève son épée ou bien agite un mouchoir pour commander le feu ; cette fois, non-seulement le patient termina son Credo sans être interrompu par la mort, mais il récita même un Confiteor et un acte de contrition.

La cause de cette dérogation inusitée à un usage bien établi, venait de ce que l’un des trois exécuteurs improvisés pour cette circonstance, ce même grand Indien dont nous avons déjà parlé, ne pouvait tomber d’accord avec l’alcade pour le prix.

— Je vous dis et je vous répète, s’écriait-il avec indignation, que je ne fusillerai jamais un ami pour moins de six réaux.

Comme l’alcade s’entêtait de son côté et ne voulait rien changer de sa première offre, on ne peut prévoir quel eût été le terme de ce débat, si le juez de Letras n’y eût pas mis un terme par un acte de dévouement inouï.

— Que quelqu’un coure vite chez moi et en rapporte aussitôt la carabine et la cartouchière de Pacheco, qui se trouvent comme pièces de conviction, suspendues au chevet de mon lit ; cette carabine est une excellente arme que je ne donnerais pas pour trente piastres ; seulement l’exécution terminée, on aura la bonté de me la rendre, car elle fait partie du dossier.

Un homme à cheval partit de suite ventre à terre, et revint quelques minutes après avec la carabine si impatiemment attendue.

— À présent, continua le juez de Letras en chargeant l’arme lui-même, quel est le garçon de bonne volonté qui veut gagner quatre réaux.

Plusieurs leperos[2] s’avancèrent en entendant la proposition.

Le juez choisit parmi eux celui qu’il crut le plus déterminé, un ancien voleur de sa connaissance, il lui remit la carabine et les quatre réaux.

L’alcade, triomphant, ne put s’empêcher de dire à l’Indien qui avait refusé ses propositions :

— Et bien ! José, tu vois que l’on peut se passer de toi ?

— Il y a prix et prix, mais il y a aussi besogne et besogne, répondit José furieux de manquer cette bonne occasion, à l’œuvre on reconnaît l’artisan, nous allons voir.

En effet, le fatal moment était venu ; les trois leperos, armés de carabines, et placés à quatre pas de Pacheco, l’avaient mis en joue et n’attendaient plus que le signal.

L’officier agita son épée, mais un seul coup de feu partit. Joachim Pacheco poussa un cri terrible qui ne lui fut arraché que par la peur, car la balle s’était contentée d’enlever une des sandales qui lui pendaient aux pieds et avait été se perdre dans le ruisseau. Quant aux autres exécuteurs, ils avaient d’excellentes raisons pour n’avoir pas agi : le premier avait cru entendre prononcer son nom derrière lui, et comme c’était un lepero fort poli, il s’était retourné pour répondre à celui qui l’appelait ; le second, au moment d’appuyer le doigt sur la détente, se figura que la pierre de sa carabine était mal taillée, et, prenant aussitôt un briquet dans sa poche, il se mit à la frapper, pour l’ébrécher, avec un louable empressement.

Au second commandement, une seule détonation se fit de nouveau entendre : cette fois encore il n’y avait aucun reproche à faire à personne, car le lepero qui avait fait feu (celui-là même choisi par l’alcade, et qui avait tiré la première fois) arrêtant ses compagnons prêts à l’imiter, s’était précipité vers Pacheco pour voir le résultat de son adresse, et montrait avec orgueil à la foule un éclat de bois enlevé par sa balle au sommet de la croix, à six pouces de la tête du patient.

— Le coup était tout à fait dans la direction, dit-il avec un parfait contentement de lui-même, et en regagnant sa place d’un pas triomphant.

— Eh bien ! seigneur alcade, dit l’Indien José, que pensez-vous des gens qui fusillent au rabais ? Vous auriez mieux fait de me donner six réaux. Mais bah ! je ne suis pas rancunier ; offrez-moi encore la même somme, et je vais terminer cette besogne en un clin d’œil.

— José, répondit gravement l’alcade, apprends que l’autorité ne doit jamais faiblir ; on mettra, s’il le faut, plus de temps à fusiller Joachim Pacheco, mais je n’accepterai jamais ta proposition.

Je passerai sous silence l’affreuse et épouvantable scène qui suivit ce refus. Pendant plus d’une demi-heure, les trois leperos, fort longs à recharger leurs armes, firent feu sur linfortuné Pacheco sans pouvoir, par une incroyable fatalité, l’atteindre mortellement.

Le lepero que le juez de Letras avait choisi parce qu’il le connaissait pour un voleur et un assassin trompa complètement son attente, et ne toucha pas une seule fois Joachim Pacheco.

Le brave magistrat n’avait pas réfléchi que cet homme n’était qu’un voleur à l’arme blanche.

Enfin, l’infortuné Joachim fut obligé de faire trêve à ses hurlements de douleur pour se mêler lui-même de son exécution.

— Es-tu là, José ? s’écria-t-il d’une voix déchirante.

— Me voici, répondit l’Indien en s’avançant de quelques pas.

— Eh bien ! tue-moi, amigo.

— Je ne demande pas mieux, mon cher Pacheco, mais je veux pour cela six réaux que l’alcade se refuse à me donner.

— N’est-ce que cela ? ne t’inquiète pas… fais-moi d’abord sauter la cervelle, et prends ensuite dans ma poche tout l’argent que tu y trouveras…

— Y a-t-il six réaux ?

— Il y a une piastre… mais dépêche-toi… car je souffre… oh ! je souffre tous les tourments de l’enfer…

— Ce pauvre ami, dit l’indien José, qui épaula aussitôt sa carabine et visa attentivement Pacheco, ce pauvre ami, qui a une piastre et qui se laisse fusiller pendant une demi-heure sans rien dire !… Il parlait encore lorsque son coup de carabine retentit. Une immense acclamation, poussée par la foule, y répondit.

La balle avait frappé Joachim entre ses deux yeux et fait jaillir sa cervelle. José, sans perdre de temps, se précipita sur le cadavre de son ami, et fourra avidement ses larges mains dans les poches du pantalon du défunt.

— Deux réaux… quelques cigarettes et un vieux jeu de cartes ! s’écria-t-il avec désespoir en montrant ces divers objets à la foule. Ah ! Joachim ! Joachim ! je ne me serais jamais attendu à cette mauvaise plaisanterie, à cet abus de confiance de ta part ! Le souvenir de ta mort sera pour moi un remords éternel.

Ce récit a pour lui le mérite d’être scrupuleusement fidèle.

FIN.
  1. Le juez de Letras représente à peu près nos anciens lieutenants criminels, et ne peut condamner irrévocablement. La plupart du temps, cependant, et faute de le savoir, les condamnés ne font pas appel à la cour suprême.
  2. Lepero, homme de la plus basse classe du peuple. Le lazarone du Mexique.