Les Petits poèmes grecs/Pindare/Néméennes/VIII

La bibliothèque libre.

VIII.

À DINIAS, FILS DE MÉGAS,

Vainqueur à la course du stade.

Beauté enchanteresse, qui appelles à la suite les amours immortels enfans de Vénus, ô toi qui brilles sur le front des vierges et dans les yeux des jeunes hommes ! tes attraits inévitables allument dans les cœurs mortels des feux, source de bonheur pour les uns, pour les autres des maux les plus cruels. En amour, comme en toutes choses, il faut saisir l’occasion et n’obéir qu’à des penchans honorables et légitimes. Tels furent ceux qui, sur la couche d’Égine, firent goûter à Jupiter les douces faveurs de Cypris et rendirent Œnone mère d’un roi si renommé par sa sagesse et sa valeur. De toutes parts accoururent vers lui, briguant l’honneur de le voir, la fleur des héros de la Grèce, et ces guerriers qui commandaient dans la pierreuse Athènes et les enfans de Pélops qui régnaient dans Sparte, tous, vaincus sans combat et admirateurs de ses vertus, venaient avec empressement se soumettre à ses lois.

Et moi aussi, divin Éaque, j’embrasse aujourd’hui tes genoux et je t’adresse mes vœux les plus ardens pour ta chère Égine et pour ses habitans. Ma lyre habile à varier la mélodie des accords lydiens, élève en ce jour un trophée en l’honneur du triomphe que, dans les jeux de Némée, viennent de mériter Dinius et son père Mégas à la double course du stade. De tous les biens, les plus durables sont ceux qu’une main divine verse ainsi sur les mortels : tel fut jadis le bonheur de Cyniras que la maritime Cypre vit comblé de tant de prospérités.....

Arrêtons un instant ma course impétueuse ; Cyniras avant nous a été célébré tant de fois. Respirons donc ici avant que d’entonner d’autres chants. Il est si dangereux d’exposer à la critique des hommes les récits de la nouveauté et d’éveiller la noire envie : ce monstre fait sa pâture de nos discours ; il s’attache aux œuvres du génie sans jamais sévir contre la faiblesse et l’ignorance.

C’est lui qui perdit le fils de Télamon, et le porta à tourner contre sa poitrine sa propre épée. Guerrier intrépide, mais peu versé dans l’art de la parole, il vit ses droits méconnus et oubliés des Grecs dans une querelle funeste, tandis que l’astucieux qui savait si bien colorer le mensonge fut honoré du prix de la valeur. Les généraux des Grecs donnèrent en secret leurs suffrages à Ulysse, et l’invincible Ajax, ainsi privé des armes glorieuses d’Achille, se précipita dans les horreurs du trépas.

Cependant quelle différence entre les coups que l’un et l’autre avaient portés aux ennemis, entre leur audace à repousser les bataillons troyens avec la lance meurtrière, soit dans ce combat qui s’engagea sur le corps d’Achille expirant, soit dans ces jours de carnage où tant de guerriers trouvèrent la mort au milieu des fureurs de Mars !

Elle n’était donc pas inconnue autrefois aux mortels cette odieuse éloquence qui, sous les couleurs d’un langage séduisant, sait voiler la perfidie et le mensonge, qui toujours déversa l’opprobre sur le mérite et jeta un éclat trompeur sur l’obscurité et l’infamie. Ah ! loin de moi d’aussi coupables artifices. Fais, ô Jupiter ! que je marche avec franchise dans les voies de la vertu, afin qu’en descendant au tombeau, je lègue à mes fils une gloire sans tache, un nom que rien n’ait avili.

Il est des hommes que dévore la soif de l’or, d’autres qui convoitent d’immenses héritages : pour moi, jusqu’à ce que la terre engloutisse ma dépouille mortelle, je borne mon ambition à plaire à mes concitoyens, à louer ce qui est digne de louanges et à blâmer ce qui est digne de censure. Tel que l’arbuste, nourri par la rosée bienfaisante du ciel, élève dans les airs sa cime verdoyante, ainsi la vertu s’accroît par les justes éloges du sage.

Combien la possession d’amis fidèles est un trésor précieux ! La gloire que nous ont méritée nos travaux acquiert un nouveau lustre par leurs suffrages, et leur cœur n’a pas de plus doux plaisir que de la publier au loin par leurs bienveillans témoignages. Je ne peux, ô Mégas ! le rappeler à la vie : jamais un aussi fol espoir ne saurait s’accomplir. Mais je puis par mes chants dresser à la famille et à la tribu des Chariades un monument aussi durable que le marbre en publiant ta victoire et celle de ton fils à la double course du stade. Quel plaisir je goûte à élever mes hymnes à la hauteur de vos travaux ! Les charmes de la poésie font oublier aux athlètes les plus rudes fatigues ; aussi l’usage de chanter ainsi leurs triomphes était-il déjà consacré chez les peuples longtemps avant les combats d’Adraste avec les enfans de Cadmus.