Les Poliorcétiques — Chapitre 7

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Chapitre 6 Les Poliorcétiques
Apollodore de Damas
Chapitre VII
De la construction des tours
près du rempart
Chapitre 8



§ 1. — Construction de la tour.[modifier]

Si nous avons à construire des tours près des remparts, assez loin de ceux-ci pour n’être pas atteintes par les projectiles de la place, nous les établirons de la manière suivante, avec de petites pièces de bois et montées sur des roues.

On assemble deux pièces de bois équarries, à section rectangulaire,[1] et parallèles dans le sens de la largeur, couchées deux à deux sur l’épaisseur aplanie ; [2] elles auront seize pieds de longueur, un pied et quart (0,39 m environ) de largeur, et une épaisseur de douze doigts (0,23 m).

Si l’on veut construire une tour plus grande, de quarante pieds et plus, il faudra augmenter les longueurs, les épaisseurs et les largeurs.

Ces pièces de bois couchées deux à deux (moises), espacées entre elles de douze doigts, et aux extrémités d’un pied environ,[3] reçoivent deux pièces de bois verticales, qui descendent jusqu’au niveau du sol, d’une longueur de seize pieds, d’une épaisseur de douze doigts,[4] et d’une largeur d’un pied et quart.

À ces dernières pièces de bois sont fixés par des clous des revêtements en planches se recouvrant à écailles, des traverses, et des barres qui les maintiennent verticales ; à chacun de ces montants verticaux, qui sont au nombre de quatre, on accole deux pièces de bois de même largeur et de même épaisseur, d’une hauteur de neuf pieds ; ces pièces, au nombre de huit, sont fixées sur les moises du bas, et elles sont reliées avec des clous entre elles et avec les montants au moyen de règles ; [5] et ainsi chaque montant se compose de trois pièces ; [6] on pose à la partie supérieure des moises semblables et parallèles à celles du bas ; et l’on place encore sur les premières moises inférieures deux traverses par dessus ; [7] près des piliers, de deux en deux, on place d’autres pièces, complétant le carré et achevant la base inférieure ; et on les relie avec des planches en recouvrement et des couvre-joints ; et ainsi les quatre côtés sont achevés.

La longueur des moises supérieures doit être égale à celles des premières, afin que les quatre piliers soient également distants entre eux de tous les côtés.

Dans la partie où les pièces du bas qui reçoivent les montants s’écartent, on place des roues plus élevées que la largeur des moises, dépassant par en bas, élevant de terre les cours de moises, de manière que tout l’assemblage puisse se tourner et se déplacer.

De la même manière, aux moises supérieures qui relient les montants, on fixe des longrines et des traverses comme en bas, pour répéter en haut le même travail qui existe au premier étage. Ces longrines et ces traverses doivent avoir une longueur d’un pied de moins que dans le bas, pour que l’ouvrage entier ait du fruit et de la pente, afin d’éviter les oscillations dues au poids trop grand du haut, et qu’il ait de l’assiette, par suite de la largeur de sa base.[8] Il n’en faut pas moins, dans la partie supérieure, attacher aux angles des cordages, tendus à l’extérieur dans le milieu (des côtés de la tour), qui, par leur disposition même, donnent à la tour une sorte d’assiette plus large ils doivent être amarrés autour de pieux munis de clavettes, ou de clous en fer ou d’organeaux obliques fichés en terre pour obtenir la tension.

Cela fait, les premiers montants centraux se trouveront dépasser du tiers de leur longueur les fourrures latérales ; de la même manière, ceux qui sont à la suite recevront des pièces latérales qui dépasseront celles du milieu, et qui auront une hauteur de neuf pieds. Sur le montant central on en place un autre entre les pièces latérales ; et de même on dispose à chaque étage des longrines et des traverses. Le premier montant central n’est pas égal aux montants latéraux, pour que leurs joints ne se rencontrent pas, mais que tout l’assemblage soit à joints coupés, et prenne de la solidité par l’unité qui existe entre les pièces juxtaposée.[9]

Des échelles, placées diagonalement sur les traverses de chaque côté, recouvriront tout l’ouvrage.

C’est ainsi qu’on peut, avec un petit nombre de pièces de bois de faibles dimensions, faire une grande tour, d’une hauteur égale à celle du rempart ; la figure est représentée ci-dessous.

§ 2. — Tour avec pont-volant.

La tour ainsi terminée, il faut donner aux moises de l’étage supérieur une grande saillie sur les montants centraux, sur la face tournée vers la place ; et elles doivent recevoir entre elles deux pièces de bois droites, d’une épaisseur égale à l’intervalle que les moises laissent entre elles, et de la même largeur que les pièces moisées, avec une longueur de vingt pieds, ou suffisante pour atteindre le mur, en les laissant retomber.

Elles doivent être fixées aux moises au moyen de clavettes en fer, et il faut y clouer de chaque côté des planches jusqu’à hauteur d’homme, afin qu’en cas de besoin on puisse les dresser en les manœuvrant avec de petits cordages fixés aux montants centraux, et qu’elles puissent ainsi fournir une sorte de parapet aux hommes qui combattent de l’intérieur de la tour.

En prévision des coups obliques, les deux côtés, entre les montants centraux, qui naturellement sont en saillie, doivent être reliés au moyen de planches et recouverts de peaux lâches.

La figure ci-dessous se rapporte à une grande tour ; mais elle peut de même s’appliquer aux autres.

Quand le moment favorable est venu, on lâche les cordages, les poutres tombent sur le mur, ayant des planches très rapprochées de la tour.[10] Pour rendre ce passage tout à fait facile, on place des espèces de nattes, percées de trous, et munies de cordes formées de petits branchages et ayant la chaîne en corde ………………[11] cela doit nécessairement être ainsi, afin que les nattes, étant sans liaison entre elles, ne tombent pas en dehors dans le mouvement, et qu’étant réunies, en se déroulant elles remplissent le pont, et qu’on puisse facilement les retirer s’il est nécessaire.

§ 3. — Tour supportant un bélier.[modifier]

Puis, si l’on veut, on peut placer sur la tour, sur les faces des montants centraux de la partie supérieure, des mâts quadrangulaires, qui supporteront des systèmes de suspension de béliers.

Ces béliers viendront battre les créneaux, les disloqueront, et feront abandonner leur poste aux défenseurs du rempart ; et, si l’on a soin de réunir par une pièce de bois les extrémités des deux béliers, on pourra renverser ensemble un grand nombre de ceux qui sont sur le mur.

Ces mâts doivent être maintenus au moyen de câbles fixés aux montants latéraux et aux traverses.

La figure est représentée ci-après.[12]

§ 4. — Tour supportant un bélier double qui forme pont-volant.[modifier]

Si l’on veut, en établissant ces béliers, qu’ils puissent aussi servir de pont-volant, voici ce qu’il y a à faire.

Ces béliers parallèles doivent être éloignés du mur, quand ils sont suspendus, afin qu’on puisse difficilement leur nuire par ruse ; mais dans leur mouvement et lors du choc, lorsqu’on les fait avancer, on doit y avoir cloué verticalement des montants parallèles, de quatre doigts de largeur, trois d’épaisseur, et trois pieds de hauteur. Ces montants doivent être reliés au moyen de deux lisses fixées avec des chevilles, ces lisses ayant une longueur égale à la quantité dont s’avance le bélier. Il faut aussi sur le côté de l’autre bélier clouer de la même manière des lisses, pour pouvoir envelopper tous les montants qui se trouvent autour.

Ces montants, quand le bélier vient frapper les créneaux ou leurs défenseurs, sont inclinés sur le corps du bélier ; mais quand on veut passer sur les béliers, ces montants se relèvent et se maintiennent verticaux, la lisse étant tirée de l’extrémité du bélier de manière former une espèce de barrière, qui permet de traverser sans danger ; car, le bélier lancé porte un homme sur le mur, ou même un plus grand nombre, faisant ainsi fonction de pont.

Lorsque les béliers ne fonctionnent pas, il faut les ramener obliquement par côté, pour les éloigner davantage du mur ; trop rapprochés, ils seraient exposés à des tentatives (de la part de l’ennemi).[13]

§ 5. — Tour supportant un fléau ou moulinet.[modifier]

On peut aussi à volonté au haut de la tour, sur la face antérieure des montants centraux supérieurs, placer une traverse, et au milieu de celle-ci et de la traverse inférieure, disposer un axe vertical, susceptible d’un mouvement de rotation, et muni d’une longue perche, amincie d’un bout, et dépassant le niveau du mur ; la partie postérieure de cette perche, tournée du côté de la tour, doit être courte, lourde et épaisse, tandis que celle qui est dirigée vers le mur doit être longue, légère et mince, ayant la forme d’une longue épée, et faire équilibre à l’autre.

Cela fait, il arrivera que ceux qui sont dans la tour, mettant en mouvement la petite partie de la perche, feront aussi mouvoir la longue partie à l’autre extrémité, et abattront tous ceux qui se tiennent sur le rempart, qui seront renversés par la violence du mouvement de rotation ; car l’arc de cercle décrit dépasse et balaie les hommes placés sur le mur.

La figure[14] est représentée, avec l’étage supérieur de la tour décrite plus haut.

Il sera préférable et plus efficace, au lieu de cet axe vertical, de suspendre une perche à la traverse des montants centraux à la manière d’un bélier, et de la fixer de même par le bas à une en taille circulaire, afin que cette espèce de bélier ne vienne pas à vaciller, s’il se mouvait trop librement.

Un axe ne présentera pas les mêmes avantages que ce système de suspension, en ce que cet axe solide ne permet à la perche qu’un seul mouvement, c’est-à-dire la position qu’on lui a donnée dès le principe ; tandis que la suspension permet de l’élever ou de l’abaisser au besoin.

§ 6. — Base artificielle en terrain accidenté.[modifier]

Lorsque le sol qui se trouve sous la tour n’est pas plan, mais qu’il présente des flâches, on construira pour la tour un bâti qui la supportera, en enchevêtrant les pièces de bois de la même manière que pour la tour, de façon à s’appliquer aux déclivités du sol, et à former une base large pour y placer la tour.

§ 7. — Précautions contre l’incendie.[modifier]

Voici comment on préservera la tour du danger d’incendie.

Il faut fixer des planches tout à l’entour, et y suspendre des peaux recouvrant les planches, sans être cousues après ces dernières, de manière à envelopper tout l’espace et amortir les traits ; elles doivent être fixées au moyen de clous à tête plate présentant une saillie, et il faut remplir d’argile grasse l’intervalle entre les clous.

Pour les parties exposées aux projectiles incendiaires, il convient d’avoir, pour faire fonction de tuyaux, des boyaux de bœufs, qui portent l’eau à la partie supérieure ; à l’extrémité de ces boyaux, on place des outres pleines d’eau, qui étant pressées, élèvent l’eau.

Dans le cas où quelqu’une des parties supérieures, difficile à atteindre, viendrait à prendre feu, si l’on n’a pas de ces instruments connus sous le nom de siphons,[15] on se servira également de roseaux percés, comme ceux des oiseleurs, que l’on disposera dans les points où il est nécessaire de leur faire conduire l’eau ; et, au moyen d’outres pleines que l’on presse, on la lancera à travers les roseaux jusqu’au point incendié.


  1. Littéralement à quatre faces d’épaisseur différente ; le sens que nous indiquons est confirmé par les dimensions spécifiées plus bas : un pied et quart de largeur, et douze doigts d’épaisseur.
  2. Il s’agit évidemment ici de moises horizontales, formant le bâti inférieur de la tour.
  3. C’est-à-dire que les moises, espacées de douze doigts, soit environ 0, 23 m, doivent être, à leurs extrémités, en dehors des poteaux d’angle, légèrement entaillées, de manière à présenter entre elles un espace libre d’environ un pied (0,30 à 0,32 m), qui permette l’insertion et le jeu d’une roue.
  4. Épaisseur égale à l’épaisseur des moises, dans lesquelles s’encastrent les montants.
  5. Il s’agit ici sans doute de couvre-joints.
  6. Les montants n’auraient pas, en effet, une résistance suffisante, s’ils étaient d’une seule pièce, à moins d’employer des bois d’une dimension difficile à se procurer et d’un emploi peu pratique en campagne ; aussi l’auteur conseilla avec raison de les faire en plusieurs pièces accolées.
  7. Pour compléter le carré, l’auteur ne nous ayant encore parlé que des deux faces comprenant les incises.
  8. C’est-à-dire que les étages successifs de la tour doivent être en retrait les uns sur les autres. Il est cependant à remarquer que les divers manuscrits d’Apollodore n’indiquent nullement, dans les figures qui y sont insérées, cette disposition, d’ailleurs parfaitement rationnelle : la figure ci-contre qui la donne, est empruntée à Héron de Constantinople.
  9. Cette disposition, absolument logique, est en contradiction avec un passage précédent, où il est dit que l’ouvrage doit avoir du fruit, au moyen de retraites à chaque étage ou tout au moins de distance en distance ; mais elle concorde avec la recommandation vue plus haut de maintenir le parallélisme des montants, il semble que, par suite de l’imperfection des manuscrits, il y ait une sorte de mélange de description de deux types de tours, l’une absolument droite, et l’autre avec étages en retraites successives.
  10. Formant plancher dans la partie en saillie des moises supérieures.
  11. Ces nattes ont, comme texture, une certaine analogie avec les stores en bois employés de nos jours. Il existe ici dans les manuscrits grecs une lacune, qui semble peu importante.
  12. Voir la figure suivante, celle qui est annoncée n’existant pas à cette place dans les manuscrits.
  13. Cette figure s’applique également à la tour avec bélier ordinaire.
  14. La figure, qui, dans les manuscrits, est rejetée à la fin du chapitre des tours, donne, au lieu de cette disposition, celle qui est décrite plus bas, et dans laquelle la perche est suspendue à la manière d’un bélier.
  15. Il s’agit sans doute ici de pompes. Héron, d’Alexandrie, dans ses Pneumatiques, donne une description très complète de la pompe aspirante et foulante, aussi parfaite en principe sinon dans les détails d’exécution, que celles dont on fait usage aujourd’hui.