Les Principes de 89 et le Socialisme/Livre 3/Chapitre 24

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Les socialistes et le régime fiscal de la Révolution
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CHAPITRE XXIV


Les socialistes et le régime fiscal de la Révolution.



I. L’article 13 de la Déclaration. — Contribution et non impôt. — Proportionnalité. — Dépenses d’intérêt général. — Suppression des impôts indirects. — Caractère des impôts directs. — Les contributions directes. — II. Impôt personnel et impôt réel. — Principe de l’impôt réel. — III. La contribution foncière, la contribution mobilière, la contribution des patentes, impôts réels sur les revenus. — Scrupules fiscaux. — IV. Les principes de 89 et l’impôt. — V. Les socialistes et la question fiscale. — L’impôt personnel et progressif sur le revenu de M. Peytral. — VI. Définition de l’impôt réel. — VII. Dialogue du taxateur et du taxé de l’impôt de M. Peytral. — Qu'est-ce que le revenu. — Les cadeaux de Madame. — Vérification. — Défense d’avoir des dettes. — Les opinions politiques et le fisc. — La religion, la race et la taxe. — VIII. L’impôt socialiste et la liberté du travail. — Un impôt pour deux magasins. — Arguments. — Spécialités et capitations progressives. — IX. Mépris des principes. — Les monopoles. — Les conceptions socialistes de l’impôt sont celles des sociétés autocratiques et oligarchiques. — Supprimer la richesse pour faire rendre plus à l’impôt.


L’article 13 de la Déclaration des Droits de l’homme dit :

« Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable, elle doit également être répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. »

D’après cet article, tous les citoyens sont égaux devant l’impôt : il doit être proportionnel ; l’impôt ne doit être employé qu’à des dépenses d’intérêt général.

L’Assemblée nationale supprime le mot d’« impositions » comme établies par un pouvoir arbitraire et le remplaça par le mot « contributions déterminées par la volonté générale »[1].

Pour assurer la liberté du commerce et du travail, l’Assemblée nationale supprima les impôts indirects, y compris les octrois, sauf les douanes et les droits de timbre et d’enregistrement ; et elle essaya de taxer tous les revenus en imposant les revenus fonciers par la loi du 1er  décembre 1790 ; les revenus mobiliers par celle du 13 janvier 1791 et les revenus industriels et commerciaux par la loi du 2 mars 1791.

Aux principes contenus dans l’article 16 de la Déclaration, elle en ajouta un autre que les États généraux précédents n’avaient cessé de réclamer.


II. — Ils voulaient supprimer les impôts personnels auxquels les privilégiés échappaient en vertu de leur caste, et les bourgeois cherchaient à échapper aussi et par intérêt et comme titre d’anoblissement. Bodin, dans sa République, dès 1577, donne nettement la théorie que réalisa l’Assemblée nationale. « Les charges doivent être réelles et non personnelles, afin que le riche et le pauvre, le noble et le roturier, le prêtre et le laboureur paient les charges des terres taillables. »

Voici comment l’Assemblée nationale appliquait ce principe à la contribution foncière :

« La contribution foncière a pour un de ses principaux caractères d’être absolument indépendante des facultés du propriétaire qui la paye ; elle a sa base sur les propriétés ; on pourrait donc dire, avec justesse, que c’est la propriété qui est seule chargée de la contribution, et que le propriétaire n’est qu’un agent qui s’acquitte pour elle avec une portion des fruits qu’elle donne ».

C’est le principe sur lequel elle repose toujours.

Actuellement, vous avez une maison à Ménilmontant. Elle paye. C’est le numéro tant de la rue X. Elle vous appartient. Mais ni le contrôleur des contributions directes ni l’inspecteur n’ont à s’inquiéter si vous en avez d’autres ailleurs, si vous avez des actions, des obligations, ou de la rente sur l’État. Le contrôleur des contributions directes n’additionne pas sur votre tête tous les revenus que vous pouvez tirer de diverses sources, y compris votre industrie, votre commerce ou votre salaire.

III. — La contribution foncière fut basée sur le revenu net de la terre, calculé d’après un nombre d’années déterminé.

L’Assemblée nationale voulut atteindre également les revenus mobiliers, mais sans les astreindre à une déclaration : cette contribution devait aussi être réelle et non personnelle. Elle essaya de déterminer la faculté mobilière d’un contribuable d’après le taux du loyer et elle fixa la contribution à un sou pour livre (ou 5 %) du revenu mobilier présumé d’après le loyer.

Comme l’Assemblée ne voulait que frapper le revenu mobilier, elle autorisa, pour éviter tout double emploi, les propriétaires fonciers à prouver, par la quittance de leur contribution foncière, que leurs facultés leur venaient, en tout ou en partie, de leurs biens fonds, et, à obtenir, en conséquence, une déduction proportionnelle. Je signale ce fait pour montrer quels scrupules les hommes de 89 apportaient dans l’établissement des contributions.

L’Assemblée nationale voulut ensuite atteindre les revenus provenant du commerce et de l’industrie par la patente, mais en sauvegardant le principe de la liberté du travail : « Liberté pour tous, disait Dallard, dans son rapport, de faire tel métier, tel commerce que bon lui semblera et de cumuler autant de commerces et de métiers qu’il lui conviendra. »

Pour apprécier les revenus commerciaux, sans recherches inquisitoriales, on prit comme bases, l’étendue, l’apparence, le prix du logement de l’entrepreneur et de l’entreprise.

Le système fiscal de l’Assemblée nationale est donc la contribution directe, proportionnelle et réelle sur les revenus présumés des diverses propriétés.

IV. — De l’œuvre de l’Assemblée nationale se détachent nettement les principes suivants :

Égalité des citoyens devant l’impôt ;

Proportionnalité de l’impôt ;

L’impôt doit être réel et non personnel ;

L’impôt ne doit pas gêner la liberté du commerce ;

L’impôt n’est destiné qu’aux services généraux de la nation.

V. — Actuellement, outre les socialistes englobés dans le Quatrième État, la lutte des classes et la Révolution sociale, comment des socialistes qu’ils renient, MM. Peytral et Terrier par exemple, des radicaux à complaisances socialistes, comprennent-ils la question fiscale ?

Nous en avons l’expression dans le projet d’impôt sur le revenu présenté par M. Peytral, comme Ministre des Finances en 1888, et qu’il avait annoncé avoir l’intention de reprendre.

En vertu de ce projet d’impôt sur le revenu, chacun devra déclarer ses revenus au fisc. L’impôt sera personnel. La déclaration pourra être vérifiée par tous les moyens d’inquisition à la convenance du fisc. De plus, l’impôt sera progressif.

Selon les fantaisies du législateur, A paiera 5 %, B 10 ou 20 %, C 20 ou 60 %, D ou F 100 % de son revenu et X devra renoncer au sien pour n’être pas condamné à la prison pour dette.

Ce système, tout à fait au gré des députés comme MM. Guesde, Walter (de Saint-Denis) et autres, transformerait l’impôt en un instrument de vexation et de confiscation.

Un gouvernement, ayant à sa tête M. Guesde excité par M. Drumont, mettrait la main sur les gens riches et croirait, en les ruinant, enrichir le pays.

D’après le système d’impôt personnel sur le revenu, préconisé par M. Peytral, si Pierre a une maison à Paris, une ferme en Bretagne, des actions et des obligations, un salaire ou des bénéfices, on totalise le tout sur sa tête ; et on détermine la quotité de l’impôt d’après ce total.

On exempte le revenu au-dessous d’un certain chiffre et on suit ensuite une progression dont la raison est livrée à l’arbitraire du taxateur.

C’est le système de l’impôt personnel et progressif sur le revenu, réclamé par les socialistes, emprunté à la taille de l’ancien régime opposé au principe de l’impôt réel et proportionnel, posé par l’Assemblée nationale de 89.

M. Peytral m’ayant répondu un jour qu’il ne comprenait pas la distinction entre l’impôt réel et l’impôt personnel, je suppose qu'une démonstration n’est pas inutile pour d’autres personnes.


VI. — Si vous achetez du blé à l’étranger, à la frontière il paie un droit de 5 francs par quintal.

Peu importe qui vous l’a vendu : on ne vous demande pas si c’est M. X ou Z d’Anvers ou de Liverpool, de Londres ou de Chicago, qui vous l’expédie. On ne vous demande pas si votre expéditeur est vieux ou jeune, riche ou pauvre, marié ou garçon. On ne le connaît pas. On l’ignore. La douane ne connaît que le sac de blé. Il passera s’il est déchargé de 5 francs. Il ne passera pas, si les 5 francs ne sont pas acquittés.

La douane ne s’occupe pas de savoir qui les acquitte. C’est vous, A, qui avez acheté ce sac primitivement. Vous l'avez repassé à B, qui l’a repassé à C, qui l'a repassé à D, etc.

La douane ne connaît ni C, ni B, ni A. Elle ne s’occupe ni de leur situation de fortune ni de leur famille. Un de ces anonymes est le caissier du sac de blé. Il paie les 5 francs. Le sac est quitte. Voilà tout.

Dans cette opération, le fisc ne connaît pas la personne : l’impôt n’est donc pas personnel ; il a pour assiette la chose ; et il est appelé réel — du latin res, chose.

Chaque fois que vous passez à l’octroi, vous pouvez vous apercevoir de ce caractère de l’impôt. Avez-vous des poulets, du beurre, des perdreaux ? vous déclarez vos poulets, votre beurre, vos perdreaux. On ne vous demande pas votre nom. Vous êtes un anonyme, le simple caissier du perdreau, du poulet, du beurre. Vous payez. Vous passez. Êtes-vous riche ? êtes-vous pauvre ? l’employé d’octroi ne s’en est pas occupé. Il ignore votre personne.

Il en est exactement de même pour toutes les contributions indirectes, et c'est là leur principale circonstance atténuante. Par qui sera consommé ce vin, cette eau-de-vie, ce café ? peu importe : l’hectolitre de vin ou d’alcool, le quintal de café doivent tant. Voilà tout. L’impôt est proportionnel à la quantité de la marchandise. C’est la chose qui paye.

Colbert et les ministres des finances de la monarchie avaient un penchant pour les contributions indirectes, parce que, grâce à leur caractère réel, les privilégiés, les membres de la noblesse et du clergé ne pouvaient s’y dérober, tandis qu’ils se faisaient exempter de la taille qui était un impôt sur le revenu personnel.

Nous avons vu avec quelle fermeté l’Assemblée nationale avait maintenu le principe de l’impôt réel pour les contributions directes.

VII. — Voici, au contraire, ce que vous dirait M. Peytral, s’il était jamais chargé d’appliquer l’impôt qu’il promet aux socialistes.

M. PEYTRAL. — Monsieur, combien de maisons ? Combien de terres ? Dans quels endroits ? Avez-vous des rentes ? Combien d’actions ? d’obligations ?

LE CONTRIBUABLE. — Mais je vous ferai observer que certaines ne rapportent pas de revenus. J’ai du Panama, par exemple.

M. PEYTRAL. — Ce n’est pas la question. Que gagnez-vous ?

LE CONTRIBUABLE. — Cela dépend.

M. PEYTRAL. — Ce n’est pas une réponse. Il faut me dire un chiffre. Quel est votre moyenne des trois dernières années ?

LE CONTRIBUABLE. — Mais je ne suis établi que depuis un an.

M. PEYTRAL. — Ne dissimulez rien, ou prenez garde, la police correctionnelle ! Et votre femme ? Sa dot ? Mais ne reçoit-elle pas de cadeaux de son père, de sa mère, d’aïeuls ou… d’amis ?

LE CONTRIBUABLE. — Insolent !

M. PEYTRAL. — Prenez garde. Vous irez en police correctionnelle. Les cadeaux habituels font partie des revenus. Faites-moi votre déclaration.

LE CONTRIBUABLE. — Mais je suis médecin ; je ne sais pas si la maladie donnera ou ne donnera pas l’année prochaine.

M. PEYTRAL. — Faites votre évaluation plus haute que moins, dans votre intérêt ; car autrement vous seriez frappé d’une amende considérable. Il faut que nous soyons impitoyables.

LE CONTRIBUABLE. — Largement compté, j’estime que tout compris, je pourrai peut-être me faire un revenu de 6.000 francs.

M. PEYTRAL. — C’est votre déclaration.

LE CONTRIBUABLE. — Oui.

M. PEYTRAL. — Signez-la, je l’enregistre. Maintenant montrez-moi des pièces qui la justifient.

LE CONTRIBUABLE. — Mais, et ma déclaration ?

M. PEYTRAL. — Nous vous la demandons afin qu’elle nous serve de base et pour vous frapper d’une amende, si nous la trouvons inexacte. Mais nous n’y croyons pas.

LE CONTRIBUABLE. — Alors vous me traitez de menteur.

M. PEYTRAL. — Nous n’avons pas confiance. Donnez-moi votre correspondance avec votre notaire, vos factures, le livre de compte de votre cuisinière, le carnet de votre blanchisseuse, les notes de votre tailleur, de la couturière, de la modiste, de l’épicier, du boucher et du boulanger, pour voir si cela concorde.

M. Peytral emporte le tout qu’il livre à l’indiscrétion de ses bureaux. Au bout de quelques jours. M. Peytral revient :

M. PEYTRAL. — Nous avons vérifié. Vous avez dépensé plus que vous ne m’avez déclaré ; il y a des dettes. Ces dettes ne sont-elles point des prétextes à dissimulation ? Si je vous ménageais, on m’accuserait de faiblesse et de complaisance ; peut-être dirait-t-on qu’elles ne sont pas désintéressées.

LE CONTRIBUABLE. — Alors pour m’aider à payer mes dettes, vous allez me frapper d’une amende. Et maintenant, qu’est-ce que j’ai à payer ?

M. PEYTRAL. — Vous connaissez le principe de l’impôt sur le revenu : exempter les petits, faire payer les gros. Si vous avez un revenu de moins de 2.000 fr., vous n’avez rien à payer. Vous en avez 6.000. Mais d’abord quelles sont vos opinions ?

LE CONTRIBUABLE. — Qu’est-ce qu’elles ont à faire ?

M. PEYTRAL. — Elles n’avaient rien à faire, quand l’impôt était réel : mais maintenant qu’il est personnel, elles ont une importance considérable. Notre devoir est de favoriser les amis du gouvernement et de ruiner les autres pour supprimer l’opposition.

LE CONTRIBUABLE. — Je suis républicain.

M. PEYTRAL. — Mais de quelle nuance ? Si vous n’êtes qu’un modéré, cela ne compte pas ; un simple radical est suspect. Êtes-vous au moins radical-socialiste ?

LE CONTRIBUABLE. — Oui.

M. PEYTRAL. — C’est bien heureux. Mais je vous préviens entre nous que cela ne suffira plus d’ici quelque temps. Pour échapper à la surcharge, il faudra être socialiste-révolutionnaire. Je l’avais prévu, mais cela ne m’effraye pas.

LE CONTRIBUABLE. — Enfin, pour le moment…

M. PEYTRAL. — De quelle race et de quelle religion êtes-vous ?

LE CONTRIBUABLE. — Mais qu’est-ce que cela a à faire ?

M. PEYTRAL. — Répondez d’abord.

LE CONTRIBUABLE. — Je suis juif.

M. PEYTRAL. — Alors, c’est 50 % de plus, en vertu d’un amendement dont je n’étais pas partisan, mais que les amis de Drumont ont fait passer et que j’ai dû accepter. Je n’y ai pas vu grand mal, car il y a beaucoup de juifs qui sont riches ; et l’impôt sur le revenu, c’est l’exemption des pauvres et la restitution de ceux qui ne possèdent pas, de ceux qui ont épargné…

LE CONTRIBUABLE. —… à ceux qui ont dilapidé. — Et combien dois-je payer ?

M. PEYTRAL. — Nous avons établi une sage progression, nous avons fait la part du nécessaire. Il n’y a que les gens réellement riches qui soient sérieusement atteints ; pour le moment vous aurez à payer 25 % : si vous aviez un revenu de 25.000 francs, vous payeriez 100 % ; et au-dessus, il y a une progression qui s’étend de 120 à 150, à 175, à 200, à 300, etc. %, selon les revenus.

LE CONTRIBUABLE. — Mais 120 %, c’est plus que le revenu ! C’est une confiscation.

M. PEYTRAL. — Non, je vous l’ai déjà dit, une restitution : du moment qu’on exempte les petits, il faut bien faire payer les gros. Je reconnais que la progression est un peu forte. Je ne voulais pas aller si vite ni si loin. Mais Millerand a déposé un amendement, Guesde en a déposé un autre qui en a élevé le taux ; Vaillant voulait la confiscation pure et simple de tous les capitaux, de toutes les propriétés. Comme, à aucun prix, je ne pouvais consentir à cette dernière mesure, j’ai accepté l’amendement de Guesde.

Ce dialogue est non pas une charge, mais le développement logique du système de l’impôt personnel et progressif sur le revenu réclamé par M. Peytral.

VIII. — Non seulement l’impôt socialiste viole les principes, établis par l’Assemblée nationale de 1789, mais il méprise la liberté du travail, il veut en faire un instrument de privilège pour les uns et d’oppression pour les autres. Nous l’avons bien vu dans la loi sur les patentes, adoptée par le Parlement, sur le rapport de M. Terrier, devenu ensuite Ministre du Commerce. Toute sa thèse porte sur les points suivants :

Qu’il y a deux grands magasins qui ont pris un trop grand développement ;

Que des commerçants s’en plaignent et que, par conséquent il faut faire une loi spéciale pour arrêter le développement de ces deux grands magasins et les ruiner au besoin ;

Que cette loi spoliatrice se justifie au point de vue de l’ordre public, parce que ces deux grands magasins sont immoraux, en appelant un trop grand nombre de clients et en les poussant à la dépense, et sont une cause de trouble dans les ménages ;

Qu’au point de vue moral, elle est nécessaire, car leurs séductions vont jusqu’à provoquer au vol des malheureuses dont les désirs ne sont pas proportionnés aux ressources ;

Qu’au point de vue économique, la loi doit encore intervenir, car ces deux grands magasins avilissent les prix, en vendant à trop bon marché.

Et alors on soutient, et la Chambre adopte une loi établie sur la considération que le devoir du gouvernement est d’établir un système de taxes qui essaye d’empêcher ces deux magasins de se développer, et d’en éloigner la clientèle, en la faisant payer des surtaxes.

Pour obtenir ces résultats, on établit un impôt progressif sur les spécialités, au nombre de 16, d’après la commission, élevées à 70 dans un projet de M. Naquet, à 102 dans un amendement de M. Leveillé.

Non seulement l’impôt frappant des marchandises jusqu’à la confiscation devient un obstacle à la liberté du commerce, mais on établit une taxe de capitation progressive sur les employés selon leur nombre[2].


IX. — Cette loi représente le mépris du principe de la proportionnalité de l’impôt et le mépris de cet autre principe que l’impôt n’est destiné qu’aux services généraux de la nation.

On veut en faire un instrument de direction du consommateur. On veut le placer comme une barrière devant certains magasins afin d’en détourner le client et de le rejeter vers d’autres magasins : et que devient le principe de l’égalité des citoyens devant l’impôt ? le fisc n’est-il pas transformé en un instrument de spoliation et de privilège ? et que devient le principe de la liberté du travail ?

Ce principe, les socialistes n’en ont cure : au contraire, ils ne cessent de protester de leur mépris pour lui. Ils réclament en France le monopole de l’alcool et en Suisse, le monopole du commerce des denrées alimentaires.

Dans leur conception, l’impôt, non seulement, par la manière dont il est perçu, n’est plus uniquement destiné à pourvoir aux services généraux de la nation : mais d’après les socialistes, même mitigés, il doit être destiné à encourager telle ou telle industrie, telle ou telle culture, tel ou tel syndicat ; à subventionner des établissements comme la Bourse du travail, à rémunérer les ouvriers en grève et les travailleurs en révolution sociale.

Les socialistes de bonne marque, comme nous en voyons dans certains Conseils municipaux, ne se donnent même plus la peine de colorer leurs demandes de certains prétextes hypocrites ; ils disent hautement, conformément du reste aux doctrines que leur prêchent les marxistes, qu’il s’agit de marcher au pillage par tous les moyens, légaux ou illégaux, selon les moments et les circonstances, et que toute prise, sur la société capitaliste par un membre du Quatrième État, est de bonne guerre. Ils ne considèrent pas l’impôt comme destiné à pourvoir aux services généraux de la nation, mais comme un instrument de domination et un moyen d’acquérir la richesse.

Dans la Rome conquérante, l’impôt était l’exploitation des peuples conquis par leurs conquérants. Sous le régime de l’absolutisme royal, l’impôt était l’exploitation du peuple par le roi.

Sous le régime féodal, l’impôt était l’exploitation des classes opprimées par les classes oppressives.

Les socialistes, dont nous reconnaissons la logique dans la régression, veulent rendre à l’impôt son caractère de tribut : c’est le pillage régularisé, légalisé, avec la complicité, lâche ou naïve, de ceux qui doivent en être victimes, et, par son moyen « faire rendre gorge » à tous ceux contre qui ils ont déchaîné l’envie des moins riches ou des plus pauvres. Ils braquent contre eux une loi comme une escopette. De justice dans l’impôt, ils n’ont cure ; et dans leur ignorance et leur mépris des faits, ils ne se sont même pas donné la peine d’étudier les moyens fiscaux de faire rendre le plus possible à l’impôt sans en tarir la source. Dans leur brutalité stupide de pillards, ils vont jusqu’à supprimer la richesse pour en obtenir plus.


  1. Adresse aux Français. Juin 1791. — Voir Yves Guyot. Rapport sur l’impôt sur le revenu. 1887.
  2. Discours prononcé par Yves Guyot. Chambre des députés, 18 février 1893.