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Les Quatre Évangiles (Crampon 1864)/Jean/09

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Traduction par Augustin Crampon.
Tolra et Haton (p. 456-460).
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saint Jean


CHAPITRE IX


GUÉRISON DE L'AVEUGLE-NÉ[1].


Et Jésus vit, en passant[2], un aveugle de naissance. Maître, lui demandèrent ses disciples, est-ce cet homme qui a péché, ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle[3] ? Jésus répondit : Ce n’est point qu’il ait péché, ni ses parents, mais afin que les œuvres de Dieu soient manifestées en lui. Il faut, pendant qu’il est jour, que je fasse les œuvres de celui qui m’a envoyé ; la nuit vient, où personne ne peut agir[4]. Tant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde. Ayant dit cela, il cracha à terre, et ayant fait de la boue avec sa salive, il l’étendit sur les yeux de l’aveugle, et lui dit : Allez vous laver dans la piscine de Siloé (mot qui veut dire envoyé)[5]. Il y alla, se lava, et revint voyant[6].

Les gens du voisinage, et ceux qui l’avaient vu auparavant demander l’aumône, disaient : N’est-ce pas là celui qui était assis et mendiait ? Les uns répondaient : C’est lui ; d’autres : Non, mais il lui ressemble. Mais lui disait : C’est moi. Ils lui disaient donc : Comment vos yeux se sont-ils ouverts ? Il répondit : Cet homme, qu’on appelle Jésus, a fait de la boue, l’a étendue sur mes yeux, et m’a dit : Allez à la piscine de Siloé, et vous y lavez. J’y ai été, je me suis lavé, et je vois. Où est cet homme ? lui dirent-ils. Il répondit : Je ne sais.

13 Alors ils amenèrent aux Pharisiens[7] celui qui avait été aveugle. Or, c’était le jour du sabbat que Jésus détrempa ainsi de la terre et ouvrit les yeux de l’aveugle. Les Pharisiens lui demandèrent donc aussi comment il avait recouvré la vue, et il leur dit : Il m’a mis sur les yeux de la boue, je me suis lavé, et je vois. Sur cela quelques-uns des Pharisiens disaient : Cet homme n’est point de Dieu, puisqu’il n’observe pas le sabbat. Mais d’autres disaient : Comment un pécheur peut-il faire de tels prodiges ? Et ils étaient divisés entre eux. Ils dirent donc de nouveau à l’aveugle : Et vous, que dites-vous de celui qui vous a ouvert les yeux ?. Il répondit : C’est un Prophète[8]. Mais les Juifs ne voulurent pas croire qu’il eût été aveugle et qu’il eût recouvré la vue, jusqu’à ce qu’ils eussent fait venir le père et la mère de celui qui voyait. Ils leur demandèrent : Est-ce là votre fils, que vous dites être né aveugle ? Comment donc voit-il maintenant ? Ses parents leur répondirent : Nous savons que c’est là notre fils, et qu’il est né aveugle ; comment il voit maintenant, et qui lui a ouvert les yeux, nous ne le savons : interrogez-le ; il a de l’âge, qu’il parle de ce qui le regarde. Ses parents parlèrent ainsi, parce qu’ils craignaient les Juifs. Car déjà les Juifs étaient convenus entre eux que quiconque reconnaîtrait Jésus pour le Christ, serait chassé de la synagogue[9]. C’est pourquoi ses parents dirent : Il a de l’âge, interrogez-le. Pour la seconde fois les Pharisiens appelèrent l’homme qui avait été aveugle, et lui dirent : Rendez gloire à Dieu[10] ! Nous savons que cet homme est un pécheur. Il leur répondit : S’il est un pécheur, je ne sais ; je sais seulement que j’étais aveugle, et qu’à présent je vois[11]. Sur quoi ils lui dirent : Que vous a-t-il fait ? Comment vous a-t-il ouvert les yeux[12] ? Il leur répondit : Je vous l’ai déjà dit et vous l’avez entendu : pourquoi voulez-vous l’entendre encore ? Est-ce que, vous aussi, vous voulez devenir ses disciples ? Ils le chargèrent alors d’injures, et lui dirent : Sois son disciple, toi ; pour nous, nous sommes disciples de Moïse. Nous savons que Dieu a parlé à Moïse ; mais celui-ci, nous ne savons d’où il est. Cet homme leur répondit : Il est surprenant que vous ne sachiez pas d’où il est, lui qui m’a ouvert les yeux. Nous savons que Dieu n’exauce point les pécheurs ; mais celui qui l’honore et fait sa volonté, c’est celui-là qu’il exauce. Jamais on n’a ouï dire que personne ait ouvert les yeux à un aveugle-né. Si cet homme n’était pas de Dieu, il ne pourrait rien faire. Ils lui répondirent : Tu es né tout entier dans le péché, et tu nous enseignes ! Et ils le chassèrent dehors.

35 Jésus apprit qu’ils l’avaient ainsi chassé, et l’ayant rencontré, il lui dit : Croyez-vous au Fils de Dieu ? Il répondit : Qui est-il, Seigneur, afin que je croie en lui ? Jésus lui dit : Vous l’avez vu[13] ; celui qui vous parle, c’est lui-même. Je crois, Seigneur, dit-il, et, se jetant à ses pieds, il l’adora. Alors Jésus dit : Je suis venu dans ce monde pour exercer le jugement, afin que ceux qui ne voient pas, voient, et que ceux qui voient, deviennent aveugles[14]. Quelques-uns d’entre les Pharisiens qui étaient là, ayant entendu ces paroles, lui dirent : Sommes-nous donc aussi des aveugles ? Jésus leur répondit : Si vous étiez aveugles, vous n’auriez point de péché ; mais maintenant vous dites : Nous voyons ; votre péché demeure[15].

  1. Saint Jean raconte ce miracle pour montrer que Jésus est la lumière du monde.
  2. Devant les édifices du temple, près desquels étaient toujours assis des pauvres et des estropiés pour demander l’aumône aux passants. Ceci arriva le sabbat qui suivit la fête des Tabernacles.
  3. Beaucoup de Juifs étaient imbus de la fausse opinion que tout mal physique était la peine d’un péché personnel. Les rabbins enseignaient aussi qu’un enfant pouvait pécher dès le sein de sa mère.
  4. Le jour, c’est le temps de la vie mortelle du Christ. La nuit, c’est la mort, dont la nuit est l’image.
  5. La fontaine de Siloé était située au pied de la montagne du temple, au sud-est de Jérusalem, en dehors des murs ; il s’en échappait deux ruisseaux qui alimentaient deux piscines, l’une appelée piscine de Salomon, l’autre piscine de Siloé (comp. vii, 38). Cette dernière existe encore aujourd’hui ; et aujourd’hui encore, comme aux temps de Josèphe et de saint Jérôme, la source ne coule qu’à de certains intervalles. Quoique environnée du respect de toutes les nations, elle n’en sert pas moins aux usages profanes de la vie, et les femmes des environs y viennent emplir leurs urnes et laver leur linge.
  6. Ni la boue, ni l’ablution n’avaient en soi la vertu de produire la guérison d’un aveugle ; mais Jésus se servit de ces moyens extérieurs, soit pour éprouver la foi et l’obéissance de cet homme, soit pour apprendre aux Juifs qu’il était permis, le jour du sabbat (vers. 14), de porter aux malades des secours effectifs, soit enfin pour signifier que, dans son royaume (l’Église), les grâces intérieures seraient communiquées et produites par des signes extérieurs, les Sacrements.
  7. Membres du Sanhédrin… afin qu’ils examinassent si Jésus avait violé le sabbat ; car les rabbins enseignaient qu’il n’était pas permis ce jour-là d’oindre avec de la salive l’œil d’un malade.
  8. Un envoyé de Dieu.
  9. L’exclusion de la synagogue (des assemblées religieuses), véritable excommunication, était temporaire ou perpétuelle.
  10. Formule en usage chez les Juifs pour adjurer quelqu’un de dire la vérité.
  11. Pour constater un miracle, il n’est nullement nécessaire, au moins dans la plupart des circonstances, d’avoir une longue habitude des recherches scientifiques. Il suffit de pouvoir attester deux faits à la portée de tous, par exemple, de pouvoir dire comme cet aveugle : J’étais aveugle et maintenant je vois. « Langage plein de raison ! Vous me demandez à moi, homme du peuple, comment s’est opéré le miracle ? Je n’en sais rien, et je n’ai ni obligation, ni besoin de vous le dire. Je me borne à attester deux faits qui se sont succédé, et je les atteste de manière à défier toute espèce de démenti. Liez-les comme il vous plaira, c’est votre affaire ; pour moi, je les maintiens comme indubitables à travers toutes vos explications, et par là même que je les fais demeurer debout, il vous est impossible d’échapper au miracle. » Lacordaire.
  12. Ils interrogent encore une fois cet homme, espérant surprendre dans un nouveau récit quelque contradiction qui justifie leur incrédulité.
  13. Guéri par lui, vous avez pu le voir !
  14. Pour exercer le jugement, pour faire le discernement ou la séparation de ceux qui croient d’avec les incrédules. — Afin que ceux qui reconnaissent humblement leur ignorance soient éclairés de la lumière de ma doctrine, et que ceux qui, pleins de confiance en leur propre sagesse, repoussent mes enseignements, soient frappés de cécité spirituelle. Il ne faut pas presser la conjonction afin que L'on sait qu’elle indique souvent dans la Bible, non pas l’intention, mais l’événement ou le résultat.
  15. Vous demeurez dans votre péché d’incrédulité.