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Les Quatre Évangiles (Crampon 1864)/Luc/01

La bibliothèque libre.
Traduction par Augustin Crampon.
Tolra et Haton (p. 255-262).
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CHAPITRE PREMIER


PROLOGUE. — L’ANGE GABRIEL PROMET UN FILS A ZACHARIE. — ANNONCIATION. — VISITATION. — CANTIQUE DE MARIE. — NAISSANCE DE JEAN-BAPTISTE. — CANTIQUE DE ZACHARIE.


Un grand nombre[1] ayant entrepris de composer l’histoire des choses qui ont été accomplies parmi nous, selon que nous les ont transmises ceux qui les ont vues eux-mêmes dès le commencement, et qui ont été les ministres de la Parole[2] : moi aussi j’ai voulu, après m’être exactement instruit de tout depuis l’origine, vous en donner par ordre[3] le récit, excellent Théophile[4], afin que vous reconnaissiez la vérité de ce qui vous a été enseigné.

5 Aux jours d’Hérode, roi de Judée, il y eut un prêtre nommé Zacharie, de la classe d’Abia[5] ; et sa femme, d’entre les filles d’Aaron, s’appelait Élisabeth. Ils étaient tous deux justes devant Dieu, et si fidèles à marcher dans tous les commandements et ordonnances du Seigneur, qu’il n’y avait rien à reprendre dans leur vie. Ils n’avaient point d’enfant, parce qu’Élisabeth était stérile, et que tous deux étaient avancés en âge. Or il arriva que Zacharie s’acquittant devant Dieu des fonctions sacerdotales dans le rang de sa classe, il lui échut par le sort, selon la coutume observée entre les prêtres, d’entrer dans le temple du Seigneur pour y offrir l’encens[6]. Et toute la multitude du peuple était dehors en prière à l’heure de l’encens. Et un ange du Seigneur lui apparut, debout à droite de l’autel de l’encens. Zacharie, en le voyant, fut troublé, et la crainte le saisit. Mais l’ange lui dit : Ne craignez point, Zacharie, parce que votre prière a été exaucée ; Élisabeth, votre femme, vous donnera un fils que vous appellerez Jean. Il vous sera un sujet de joie et d’allégresse, et beaucoup se réjouiront de sa naissance ; car il sera grand devant le Seigneur. Il ne boira ni vin, ni rien qui enivre, et il sera rempli de l’Esprit-Saint dès le ventre de sa mère. Il convertira beaucoup d’enfants d’Israël au Seigneur leur Dieu ; et il marchera devant lui dans l’esprit et la vertu d’Élie[7], pour faire revivre dans les enfants les sentiments de leurs pères[8], ramener les incrédules à la sagesse des justes, et préparer ainsi au Seigneur un peuple parfait. Et Zacharie dit à l’ange : A quoi reconnaîtrai-je la vérité de ce que vous m’annoncez ? Car je suis vieux, et ma femme est avancée en âge. L’ange lui répondit : Je suis Gabriel, qui me tiens devant Dieu ; j’ai été envoyé pour vous parler et vous apporter cette heureuse nouvelle. Et voici que vous serez muet et ne pourrez parler jusqu’au jour où ces choses arriveront[9], parce que vous n’avez pas cru à mes paroles, qui s’accompliront en leur temps. Cependant le peuple attendait Zacharie, et il s’étonnait qu’il demeurât si longtemps dans le temple. Et étant sorti, il ne pouvait leur parler[10], et ils comprirent qu’il avait eu une vision dans le temple, ce qu’il leur faisait entendre par signes ; et il resta muet[11]. Quand les jours de son ministère furent accomplis, il s’en alla en sa maison. Quelque temps après, Élisabeth, sa femme, conçut, et elle se tint cachée pendant cinq mois, disant : Le Seigneur en a agi ainsi à mon égard, au jour où il m’a regardée pour me délivrer de mon opprobre parmi les hommes.

26 Au sixième mois, l’ange Gabriel fut envoyé de Dieu dans la ville de Galilée appelée Nazareth, à une vierge, qui était fiancée à un homme de la maison de David, nommé Joseph, et le nom de la vierge était Marie[12]. L’ange étant entré où elle était, lui dit : Je vous salue, pleine de grâce[13] ; le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre les femmes. Marie, l’ayant entendu, fut troublée de ses paroles, et elle pensait en elle-même quelle pouvait être cette salutation. L’ange lui dit : Ne craignez point, Marie, vous avez trouvé grâce devant Dieu. Voilà que vous concevrez en votre sein, et vous enfanterez un fils[14], et vous lui donnerez le nom de Jésus. Il sera grand, et sera appelé[15] le Fils du Très-Haut, et le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père ; et il régnera éternellement sur la maison de Jacob, et son règne n’aura point de fin. Marie dit à l’ange : Comment cela se fera-t-il, car je ne connais point d’homme[16] ? L’ange lui répondit : L’Esprit-Saint surviendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre. C’est pourquoi le fruit saint qui naîtra de vous sera appelé le Fils de Dieu[17]. Voilà qu’Élisabeth, votre parente[18], a conçu, elle aussi, un fils dans sa vieillesse, et ce mois est le sixième de la grossesse de celle qu’on appelle stérile : car rien n’est impossible à Dieu[19]. Marie dit alors : Voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon votre parole[20]. Et l’ange la quitta.

39 En ces jours-là, Marie se levant, s’en alla avec hâte vers les montagnes, en une ville de Juda[21]. Et elle entra dans la maison de Zacharie, et salua Élisabeth. Et lorsqu’Élisabeth entendit la salutation de Marie, il arriva que l’enfant tressaillit dans son sein, et Élisabeth fut remplie de l’Esprit-Saint. Et élevant la voix, elle s’écria : Vous êtes bénie entre les femmes, et le fruit de vos entrailles est béni. Et d’où me vient ce bonheur, que la mère de mon Seigneur vienne à moi ? Car votre voix, lorsque vous m’avez saluée, n’a pas plus tôt frappé mon oreille, que mon enfant a tressailli de joie dans mon sein. Heureuse êtes-vous d’avoir cru, car les choses qui vous ont été dites par le Seigneur s’accompliront[22]. Et Marie dit :


47 Mon âme glorifie le Seigneur,
Et mon esprit tressaille de joie en Dieu, mon Sauveur,

48 Parce qu’il a regardé la bassesse de sa servante ;
Et voilà que désormais toutes les générations m’appelleront bienheureuse.

49 Car il a fait en moi de grandes choses,
Celui qui est puissant,
Dont le nom est saint,
50Dont la miséricorde se répand d’âge en âge sur ceux qui le craignent.

51 Il a signalé la force de son bras ;
Il a dissipé ceux qui s’enorgueillissaient dans les pensées de leur cœur.

52 Il a renversé de leurs trônes les puissants,
Et il a élevé les petits.

53 Il a rempli de biens les affamés,
Et renvoyé vides les riches.

54 Il a pris soin d’Israël, son serviteur,
Se ressouvenant de sa miséricorde,
55 — Selon la promesse qu’il en a faite à nos pères, —
De sa miséricorde envers Abraham et sa race pour toujours.


56 Marie demeura avec Élisabeth environ trois mois, et elle s’en retourna en sa maison.

57 Cependant le temps d’Élisabeth étant venu, elle enfanta un fils. Ses voisins et ses parents ayant appris que le Seigneur avait signalé en elle sa miséricorde, l’en félicitaient. Le huitième jour, ils vinrent pour circoncire l’enfant, et voulaient le nommer Zacharie, du nom de son père. Non, dit sa mère, mais il sera nommé Jean. Ils lui répondirent : Il n’y a personne dans votre famille qui soit appelé de ce nom. Et ils demandaient par signe à son père comment il voulait qu’on le nommât. S’étant fait apporter des tablettes, il écrivit : Jean est son nom[23] ; et tous furent dans l’étonnement. Au même instant sa bouche s’ouvrit, sa langue se délia ; et il parlait, bénissant Dieu. Tous leurs voisins furent remplis de crainte, et le bruit de ces merveilles se répandit dans tout le pays des montagnes de Judée. Tous ceux qui en entendirent parler les recueillirent dans leur cœur, et ils disaient : Que pensez-vous que sera cet enfant ? Car la main du Seigneur[24] était avec lui. Et Zacharie, son père, ayant été rempli de l’Esprit-Saint, prophétisa, en disant :

68 Béni soit le Seigneur, le Dieu d’Israël, de ce qu’il a visité et racheté son peuple, et nous a suscité un puissant Sauveur dans la maison de David, son serviteur, — selon ce qu’il a dit par la bouche de ses saints prophètes aux siècles passés, qu’il nous sauverait de nos ennemis et des mains de tous ceux qui nous haïssent : — pour accomplir la miséricorde promise à nos pères, et se souvenir de son alliance sainte ; serment qu’il a juré à Abraham notre père, de nous faire cette grâce, qu’étant délivrés des mains de nos ennemis nous le servions sans crainte, dans la sainteté et la justice en sa présence, tous les jours de notre vie. Et toi, enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut ; car tu marcheras devant la face du Seigneur pour lui préparer les voies ; pour donner à son peuple la science du salut, afin qu’il obtienne la rémission de ses péchés par les entrailles de la miséricorde de notre Dieu, selon lesquelles le Soleil levant[25] est venu nous visiter d’en haut, pour éclairer ceux qui sont assis dans les ténèbres et l’ombre de la mort, et pour diriger nos pieds dans la voie de la paix.

80 Or l’enfant croissait et se fortifiait en esprit[26], et il demeurait dans le désert[27] jusqu’au jour où il devait paraître devant Israël.

  1. Saint Matthieu et saint Marc sont-ils compris dans ce grand nombre ? On peut l’admettre de saint Marc, qui ne fut pas témoin oculaire ; Meyer l’admet aussi de saint Matthieu, dont l’Évangile est moins bien ordonné et moins complet que celui de saint Luc. Mais, à notre avis, si ces deux Évangélistes ne sont pas formellement exclus du grand nombre, il est certain, néanmoins, que c’est sur d’autres écrits moins considérables et moins autorisés que se porte la pensée de saint Luc, qui d’ailleurs ne blâme pas autrement ces premiers essais. Comp. p. 4 et 230.
  2. C’est-à-dire les prédicateurs de l’Évangile, les Apôtres.
  3. D’autres, avec suite, ou bien, toute l’histoire.
  4. Sur Théophile et sur l’ensemble de ce Prologue, voyez p. 250 et 253.
  5. David avait distribué tous les prêtres en 24 classes, désignées chacune par le nom de leur chef, nom qu’elles conservèrent plus tard. Elles étaient chargées à tour de rôle, et pendant une semaine, de remplir les fonctions saintes dans le temple.
  6. Deux fois chaque jour, le matin et le soir, on offrait à Dieu de l’encens dans la partie du temple appelé le saint, dont un voile cachait la vue aux assistants.
  7. Il (Jean-Baptiste) sera comme Élie, un prophète puissant en œuvres et en paroles. En outre, de même qu’Élie (Mat. iv, 6) doit venir à la fin du monde préparer le second avénement de Jésus-Christ, ainsi Jean-Baptiste préparera les Juifs à la venue du Messie, lors de son premier avénement ; et cela, dit le Père Patrizzi, par trois moyens : l’annonce du royaume de Dieu, le baptême de pénitence pour la rémission des péchés, et les divers témoignages rendus au Sauveur.
  8. Litt. pour tourner les cœurs des pères vers les enfants, réconcilier les pères avec les enfants, faire cesser l’éloignement que l’on suppose exister entre les patriarches pieux et fidèles et les Juifs dégénérés de l’époque de Jésus-Christ.
  9. En signe de la vérité de mes paroles, et en punition de votre hésitation à croire.
  10. Quand le prêtre revenait après avoir offert l’encens, il devait prononcer des paroles de bénédiction sur le peuple. Zacharie ne put prononcer cette bénédiction.
  11. Et sourd : comp. vers. 62.
  12. En hébr. Miriam, c’est-à-dire élevée, altesse, et par extension, reine ou dame. De même que de din ou doun viennent madon et midian, c’est-à-dire jugement, rixe, dispute, ainsi de roum ou rim (inusité) on a fait marom et miriam, c’est-à-dire élévation, et dans le sens concret, chose ou personne élevée. Cette étymologie du nom de Marie est celle qui satisfait le mieux aux lois de la grammaire.
  13. « Très-agréable à Dieu, remplie de ses dons. » Bossuet.
  14. L’ange se sert des paroles d’Isaïe (vii, 14), annonçant la Vierge mère.
  15. Dans le style biblique, être appelé signifie souvent être. Voy. vers. 33 et 37.
  16. Marie ne doute pas, mais elle représente à l’ange qu’elle a fait vœu de perpétuelle chasteté.
  17. « Fils de Dieu et fils d’une vierge, génération toujours virginale, et dans le sein de son Père et dans celui de sa mère ! Cela nous apprend qu’il n’y a rien de plus incompatible que l’impureté et la religion chrétienne. Élevé parmi des mystères si chastes, qui peut souffrir la corruption dans sa chair ? Le seul nom de Jésus n’inspire-t-il pas la pureté ? Qui peut seulement le prononcer avec des lèvres souillées ? Mais qui peut approcher de son saint corps, l’unique fruit d’une mère vierge, avec des sentiments impurs, ou ne pas consacrer son corps, chacun selon son état, à la pureté après l’avoir reçu ? » Bossuet.
  18. Marie descendait de David, et Elisabeth d’Aaron ; mais on sait que les mariages de tribu à tribu étaient permis et pratiqués, si ce n’est dans le cas d’une femme héritière.
  19. « Au lieu que l’homme corrompt toutes choses, même la maternité, Dieu ne peut descendre nulle part sans y respecter le bien qu’il y trouve et sans y introduire le surcroit de la perfection. Combien donc et combien plus devait-il épargner le sein qu’il avait choisi, et lui laisser, en le fécondant, l’honneur de l’intégrité, afin que cette femme bénie entre les femmes eût en partage éternel toute la pureté d’une vierge, et toute la bonté d’une mère ? » Lacordaire.
  20. La désobéissance d’Eve, notre mère, son incrédulité envers Dieu, sa malheureuse crédulité à l’ange trompeur, était entrée dans l’ouvrage de notre perte : et Dieu a voulu aussi, par une sainte opposition, que l’obéissance de Marie et son humble foi entrât dans l’ouvrage de notre rédemption ; en sorte que notre nature fût réparée par tout ce qui avait concouru à sa perte, et que nous eussions une nouvelle Eve en Marie, comme nous avons en Jésus-Christ un nouvel Adam…, C’est ici le fondement solide de la grande dévotion que l’Église a toujours eue pour la sainte Vierge. » Bossuet.
  21. Hébron, d’après l’opinion commune. Kuinœl, supposant une faute dans le texte, entend la ville de Jutta, nommée Jos. xv, 55. Le savant voyageur Robinson a retrouvé cette Jutta portant encore le même nom, à deux petites lieues au sud d’Hébron.
  22. Patrizzi : d’avoir cru que les choses… s’accompliraient.
  23. Jean signifie agréable à Dieu, objet de la grâce et de la faveur de Dieu.
  24. La main du Seigneur, c’est sa puissance et sa bonté, manifestées dans la naissance miraculeuse de Jean-Baptiste.
  25. C’est ainsi que les Prophètes appellent le Messie la lumière du monde. (Malach. iv, 2).
  26. Il croissait dans les dons de l’âme, la sagesse et la sainteté.
  27. De Judée.