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Les Quatre Évangiles (Crampon 1864)/Luc/10

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Traduction par Augustin Crampon.
Tolra et Haton (p. 304-308).
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saint Luc


CHAPITRE X


MISSION DES SOIXANTE-DOUZE DISCIPLES ; INSTRUCTIONS QUE JÉSUS LEUR DONNE (Matth. ix, 37 ; x, 10 sv. xi, 20 ; Marc, vii, 12). — RETOUR DES DISCIPLES (ibid.). — LE BON SAMARITAIN. — MARTHE ET MARIE.


Après cela, le Seigneur institua encore soixante-douze[1] autres disciples, et les envoya deux à deux devant lui dans toutes les villes et tous les lieux où il devait venir lui-même. Et il leur disait :

2 La moisson est grande[2], mais les ouvriers en petit nombre. Priez donc le maître de la moisson, qu’il envoie des ouvriers à sa moisson. Allez : voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups. Ne portez ni bourse, ni sac, ni souliers, et ne saluez personne dans le chemin[3]. En quelque maison que vous entriez, dites d’abord : Paix à cette maison. Et s’il s’y trouve un fils de la paix[4], votre paix reposera sur lui ; sinon, elle reviendra à vous. Demeurez dans la même maison, mangeant et buvant de ce qu’il y aura chez eux, car l’ouvrier mérite son salaire. Ne passez point de maison en maison. En quelque ville que vous entriez et où vous serez reçus, mangez ce qu’on vous présentera ; guérissez les malades qui s’y trouveront, et dites-leur : Le royaume de Dieu est proche de vous. En quelque ville que vous entriez, et où l’on ne vous recevra point, allez sur la place publique, et dites : La poussière même de votre ville, qui s’est attachée à nos pieds, nous la secouons contre vous ; sachez cependant que le royaume de Dieu est proche. Je vous le dis, il y aura, en ce jour, moins de rigueur pour Sodome que pour cette ville. Malheur à toi, Corozaïn ! malheur à toi, Bethsaïde ! Car si les miracles qui ont été faits au milieu de vous, l’avaient été dans Tyr et dans Sidon, elles eussent depuis longtemps fait pénitence dans le cilice et dans la cendre. C’est pourquoi il y aura, au jour du jugement, moins de rigueur pour Tyr et pour Sidon que pour vous. Et toi, Capharnaüm, qui t’élèves jusqu’au ciel, tu seras abaissée jusqu’aux enfers. Celui qui vous écoute, m’écoute, et celui qui vous méprise, me méprise ; or celui qui me méprise, méprise celui qui m’a envoyé.

17 Les soixante-douze disciples revinrent avec joie, disant : Seigneur, les démons mêmes nous sont soumis en votre nom. Il leur répondit : Je voyais Satan tomber du ciel comme la foudre[5]. Voilà que je vous ai donné le pouvoir de marcher sur les serpents et les scorpions, et sur toute la puissance de l’ennemi, sans que rien puisse vous nuire. Cependant ne vous réjouissez pas de ce que les esprits vous sont soumis ; mais réjouissez-vous de ce que vos noms sont écrits dans les cieux.

21 En ce moment, il tressaillit de joie par un mouvement de l’Esprit-Saint, et il dit : Je vous bénis, mon Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents, et les avez révélées aux petits. Oui, je vous bénis, mon Père, parce qu’il vous a plu ainsi. Toutes choses m’ont été données par mon Père ; et personne ne sait qui est le Fils, que le Père, et qui est le Père, que le Fils, et celui à qui le Fils voudra le révéler. Et, se tournant vers ses disciples, il dit : Heureux les yeux qui voient 24. ce que vous voyez l Car, je vous le dis, beaucoup de prophètes et de rois ont désiré voir ce que vous voyez, et ne l’ont point vu, d’entendre ce que vous entendez, et ne l’ont point entendu.

25 Alors se leva un Docteur de la Loi, qui lui dit pour le tenter : Maître, que ferai-je pour posséder la vie éternelle ? Jésus lui dit : Qu’y a-t-il d’écrit dans la Loi ? Qu’y lisez-vous ? Il répondit : « Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toutes tes forces et de tout ton esprit, et ton prochain comme toi-même[6]. » Jésus lui dit : Vous avez bien répondu, faites cela, et vous vivrez. Mais cet homme, voulant faire paraître qu’il était juste, dit à Jésus : Et qui est mon prochain[7] ? Jésus reprit : Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho[8] ; il tomba entre les mains des voleurs qui le dépouillèrent et, l’ayant chargé de coups, le laissèrent à demi mort. Or, il arriva qu’un prêtre descendait par le même chemin ; il vit cet homme et passa outre. De même un lévite[9], ayant été amené là, le vit et passa outre. Mais un Samaritain, qui était en voyage, vint près de lui, et, le voyant, fut touché de compassion. Il s’approcha, banda ses plaies, après y avoir versé de l’huile et du vin, et le mettant sur son cheval, il le conduisit à une hôtellerie, et prit soin de lui. Le lendemain, tirant deux deniers, il les donna à l’hôte et lui dit : Ayez soin de cet homme, et tout ce que vous dépenserez de plus, je vous le rendrai à mon retour. Lequel de ces trois vous semble avoir été le prochain[10] de l’homme qui tomba entre les mains des voleurs ? Le Docteur répondit : Celui qui a pratiqué la miséricorde envers lui. Et Jésus lui dit : Allez, et faites de même[11].

38 Un jour qu’ils étaient en chemin[12], Jésus entra dans un village[13], et une femme, nommée Marthe[14], le reçut en sa maison. Elle avait une sœur nommée Marie, laquelle, assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole. Cependant Marthe s’occupait avec empressement des soins nombreux du service, et, s’arrêtant devant Jésus, elle lui dit : Seigneur, souffrirez-vous que ma sœur me laisse servir seule ? Dites-lui donc qu’elle m’aide. Le Seigneur lui répondit : Marthe, Marthe, vous prenez de l’inquiétude et vous troublez au sujet de beaucoup de choses. Or, une seule est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, qui ne lui sera point ôtée[15].

  1. En grec, soixante-dix. L’expression institua ou élut, indique l’installation solennelle dans une dignité. Ainsi on pouvait distinguer dès lors les degrés d’une hiérarchie nettement accusée parmi les disciples de Notre-Seigneur. Au plus haut degré les douze Apôtres, ayant à leur tête saint Pierre ; au-dessous d’eux les soixante-douze disciples ; enfin, la foule des disciples qui n’avaient aucune mission, aucun ministère. Il n’est donc pas étonnant qu’on trouve ces trois classes de personnes dans les premiers temps de l’Église : des évêques, des prêtres et de simples fidèles. Notre-Seigneur a choisi les nombres douze et soixante-douze, dit Allioli, vraisemblablement à cause des douze chefs des douze tribus d’Israël, et des soixante-douze Anciens que Moïse choisit pour le seconder. Le peuple d’Israël, en effet, était le type de l’humanité entière. Les soixante-douze disciples sont envoyés deux à deux, afin qu’ils puissent s’aider, se consoler et s’exciter mutuellement. De là est venue cette règle, dans les ordres monastiques, qu’en général aucun religieux n’entreprenne un voyage quelconque sans compagnon.
  2. Notre-Seigneur dit la même chose en envoyant les Apôtres (Matth. ix, 37). Plusieurs discours des chap. x-xv sont ainsi répétés ailleurs, dans des circonstances à peu près semblables, mais à l’occasion de faits différents.
  3. Locution hyperbolique, dont le sens est que les disciples, dans l’accomplissement de leur mission, doivent s’affranchir, non des devoirs de la bienséance, mais des vaines cerémonies et des usages mondains.
  4. C’est-à-dire un homme digne de recevoir les biens spirituels que vous apportez.
  5. La foudre est le symbole de la rapidité, et la chute du ciel figure la perte de la domination ; le sens est donc : Oui, j’ai vu Satan subitement précipité du haut de sa puissance.
  6. Deuter. vi, 5.
  7. Les Scribes de ce temps-là enseignaient généralement que, par le prochain il ne fallait entendre que les Juifs, non les païens, et encore moins les Samaritains, ennemis des Juifs.
  8. Jéricho, une des principales villes juives, était située entre Jérusalem et le Jourdain ; pour y arriver, en partant de Jérusalem, il fallait traverser un désert affreux, infesté de brigands.
  9. On appelait ainsi les ministres inférieurs qui servaient les prêtres dans les fonctions sacrées.
  10. (5)
  11. Tous les Pères ont vu dans le bon Samaritain Jésus-Christ, et dans l’homme laissé à demi-mort sur la route l’humanité tout entière. Jésus-Christ nous a rencontrés gisant sur le chemin de la vie, dépouillés, nus, couverts de blessures, chargés de péchés. Pénétré de compassion, il verse l’huile de la grâce dans nos plaies ; il nous confie à l’Église en lui disant : Ayez en soin ! Au bout d’un certain temps, il revient afin de nous introduire entièrement guéris dans le ciel. Allioli.
  12. Pour aller à Jérusalem.
  13. A Béthanie.
  14. Sœur de Lazare.
  15. La seule chose nécessaire, c’est de se sanctifier, afin d’arriver au bonheur éternel. Celui qui s’occupe de cet unique nécessaire, accomplit en même temps toutes les obligations qui lui sont imposées ; il est laborieux et actif, et son activité n’a rien d’inquiet et d’empressé, mais elle est calme et paisible, parce qu’il l’accompagne toujours d’un regard vers Dieu. Suivant le sentiment commun des saints Pères, par la part de Marthe, Notre-Seigneur entend la vie active, qui est bonne, et par celle de Marie, la vie contemplative, qui est meilleure, c’est-à-dire plus excellente, sinon par le mérite, au moins par la dignité. Quant au choix que nous devons faire, c’est celui auquel Dieu nous appelle. Allioli. — L’Église fait lire cet Évangile le jour de l’Assomption, parce que la sainte Vierge, qui a rempli parfaitement envers Jésus les fonctions de Marthe, choisit en même temps, comme Marie, la meilleure part, la virginité, dit saint Ildefonse, et entra ce jour-là dans le ciel, où elle est assise sur un trône qui ne lui sera point enlevé.