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Les Quatre Évangiles (Crampon 1864)/Luc/12

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Traduction par Augustin Crampon.
Tolra et Haton (p. 314-319).
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saint Luc


CHAPITRE XII


DIVERSES INSTRUCTIONS ADRESSÉES AUX DISCIPLES ET A LA FOULE : NE CRAINDRE QUE DIEU ; SE GARDER DE L’AVARICE ET D’UNE SOLLICITUDE EXCESSIVE POUR LES BESOINS DE LA VIE ; VEILLER ; ÊTRE PRÊT POUR L’AVÈNEMENT DU MESSIE (POUR LES VERS. 1-21, voy. Matth. x, 17 sv. POUR LES VERS. 22-38, voy. Matth. vi, 19 sv. POUR LES VERS. 39-59, voy. Matth. xxiv, 43 sv.}.


Le peuple s’étant assemblé en si grand nombre autour de Jésus, qu’ils se foulaient les uns les autres, il commença à dire à ses disciples : Gardez-vous du levain des Pharisiens, qui est l’hypocrisie. Car rien de secret qui ne soit révélé, rien de caché qui ne soit connu[1]. Ainsi, ce que vous avez dit dans les ténèbres, on le dira au grand jour ; et ce que vous avez dit à l’oreille, dans l’intérieur de la maison, sera publié sur les toits. Je vous dis donc, à vous qui êtes mes amis : Ne craignez point ceux qui tuent le corps, et après cela ne peuvent rien faire de plus. Mais je veux vous apprendre qui vous devez craindre : craignez celui qui, après avoir tué, a le pouvoir de jeter dans la géhenne : oui, je vous le dis, craignez celui-là. Cinq passereaux ne se vendent-ils pas deux oboles ? et pas un d’eux n’est en oubli devant Dieu. Les cheveux mêmes de votre tête sont tous comptés. Ne craignez donc point, vous êtes de plus de prix que beaucoup de passereaux. Or, je vous le dis, quiconque m’aura confessé devant les hommes, le Fils de l’homme aussi le confessera devant les anges de Dieu ; mais celui qui m’aura renié devant les hommes, sera renié devant les anges de Dieu. Et quiconque parle contre le Fils de l’homme, il lui sera remis ; mais à celui qui aura blasphémé contre l’Esprit-Saint, il ne sera point remis. Lorsqu’on vous conduira dans les synagogues, et devant les magistrats et les puissances, ne vous mettez point en peine de ce que vous répondrez ou direz, ni comment.

13 Alors, du milieu de la foule, quelqu’un lui dit : Maître, dites à mon frère de partager avec moi notre héritage. Mais Jésus lui répondit : Homme, qui m’a établi pour vous juger, ou pour faire vos partages ? Et s’adressant au peuple : Gardez-vous avec soin, leur dit-il, de toute avarice ; car, dans l’abondance même, la vie d’un homme ne dépend pas des biens qu’il possède.

16 Puis il leur dit cette parabole : Il y avait un homme riche dont le champ avait rapporté beaucoup. Et il s’entretenait en lui-même de ces pensées : Que ferai-je je ? car je n’ai point où serrer ma récolte. Voici, dit-il, ce que je ferai. Je détruirai mes greniers, et j’en ferai de plus grands, et j’y amasserai tout le produit de mes terres et tous mes biens[2] ; et je dirai à mon âme : Mon âme, tu as beaucoup de biens en réserve pour plusieurs années ; repose-toi, mange, bois, fais bonne chère. Mais Dieu lui dit : Insensé ! cette nuit même on te redemandera ton âme, et ce que tu as amassé, pour qui sera-t-il ? Il en est ainsi de celui qui thésaurise pour soi, et qui n’est point riche selon Dieu. Et il ajouta en s’adressant à ses disciples : C’est pourquoi je vous dis : Ne vous mettez point en peine pour votre vie, de ce que vous mangerez ; ni pour votre corps, de quoi vous le vêtirez. La vie est plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement. Considérez les corbeaux : ils ne sèment ni ne moissonnent ; ils n’ont ni cellier ni grenier, et Dieu les nourrit. Combien n’êtes-vous pas de plus de prix qu’eux ? Qui de vous pourrait, avec tous ses soins, ajouter une coudée à sa taille ? Si donc les moindres choses dépassent votre pouvoir, pourquoi vous inquiétez-vous des autres ? Considérez les lis, comment ils croissent ; ils ne travaillent ni ne filent, et, je vous le dis, Salomon dans toute sa pompe n’était pas vêtu comme l’un d’eux. Or, si l’herbe qui est aujourd’hui dans les champs et demain sera jetée au four, Dieu la revêt ainsi, combien plus le fera-t-il pour vous, hommes de peu de foi ! Ne vous mettez donc pas en peine de ce que vous mangerez ou de ce que vous boirez, et ne flottez point en de vains soucis. Car ce sont les nations du monde qui s’inquiètent de toutes ces choses ; mais votre Père sait que vous en avez besoin. Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît. Ne craignez point, petit troupeau, car il a plu à votre Père de vous donner son royaume[3]. Vendez ce que vous avez, et le donnez en aumône. Faites-vous des bourses que le temps n’use point, un trésor qui ne s’épuise pas dans les cieux, où les voleurs n’ont point d’accès, et où les vers ne rongent point. Car où est votre trésor, là sera aussi votre cœur.

35 Ayez aux reins la ceinture[4], et dans vos mains la lampe allumée : semblables à des hommes qui attendent que leur maître revienne des noces, afin que, dès qu’il arrivera et frappera à la porte, ils lui ouvrent aussitôt. Heureux ces serviteurs, que le maître, à son retour, trouvera veillant ! En vérité, je vous le dis, il se ceindra, il les fera mettre à table, et s’empressera pour les servir. Qu’il vienne à la deuxième veille, qu’il vienne à la troisième, s’il les trouve ainsi, heureux ces serviteurs ! Mais sachez que si le père de famille savait à quelle heure le voleur doit venir, il veillerait et ne laisserait point percer sa maison. Et vous aussi tenez-vous prêts, parce qu’à l’heure que vous ne pensez pas, le Fils de l’homme viendra.

41 Alors Pierre lui dit : Est-ce à nous que vous adressez cette parabole, ou à tous ? Le Seigneur lui répondit : Quel est le dispensateur fidèle et prudent que le maître a établi sur ses serviteurs, pour donner à chacun sa mesure de froment en son temps ? Heureux ce serviteur, que le maître, à son retour, trouvera faisant ainsi[5] ! Je vous le dis en vérité, il l’établira sur tous les biens qu’il possède. Que si ce serviteur dit en lui-même : Mon maître n’est pas près devenir ; et qu’il se mette à battre les serviteurs et les servantes, à manger, à boire et à s’enivrer, le maître de ce serviteur viendra au jour où il ne l’attend point, et à l’heure qu’il ne sait point, et il le fera couper en morceaux, et lui donnera son lot parmi les serviteurs infidèles. Le serviteur qui aura connu la volonté de son maître, et n’aura ni rien tenu prêt, ni agi selon sa volonté, recevra un grand nombre de coups ; mais celui qui, ne l’ayant pas connue, aura fait des choses dignes de châtiments, recevra moins de coups : car on demandera beaucoup à celui à qui l’on a beaucoup donné ; et plus on aura confié à quelqu’un, plus on exigera de lui.

49 Je suis venu jeter le feu sur la terre[6], et que désiré-je, sinon qu’il s’allume ? Je dois être baptisé d’un baptême, et quelle angoisse en moi jusqu’à ce qu’il s’accomplisse[7] ! Pensez-vous que je sois venu apporter la paix sur la terre ? Non, je vous le dis, mais la division. Car désormais cinq personnes dans une maison seront divisées, trois contre deux et deux contre trois : le père contre son fils, et le fils contre son père ; la mère contre sa fille, et la fille contre sa mère ; la belle-mère contre sa belle-fille, et la belle-fille contre sa belle-mère.

54 Il disait encore au peuple : Lorsque vous voyez un nuage se former au couchant, vous dites aussitôt : La pluie vient, et cela arrive ainsi. Et quand vous voyez que souffle le vent du midi, vous dites : Il fera chaud, et cela arrive ainsi. Hypocrites, vous savez reconnaître les aspects du ciel et de la terre : comment donc ne reconnaissez-vous point les temps ou nous sommes ? Comment encore ne discernez-vous pas ce qui est juste par ce qui vous arrive à vous-mêmes ? Lorsque vous allez avec votre adversaire devant le magistrat, tâchez de vous dégager de sa poursuite pendant le chemin, de peur qu’il ne vous traîne devant le juge, et que le juge ne vous livre à l’appariteur, et que l’appariteur ne vous mette en prison. Je vous le dis, vous ne sortirez point de là que vous n’ayez payé jusqu’à la dernière obole[8].

  1. Mais la vérité ne peut être opprimée ; la perversité de leur cœur et la sainteté de ma doctrine éclateront au grand jour.
  2. Argent, habits, meubles, etc.
  3. Tous les biens spirituels de l’Église militante, royaume de Dieu sur la terre, et plus tard la gloire et le bonheur du ciel.
  4. Les Orientaux portant des habits amples et longs, doivent les relever au moyen d’une ceinture avant de se livrer au travail ou de se mettre en route. Avoir aux reins la ceinture est donc un signe de vigilance et d’activité.
  5. Réponse indirecte qui fait comprendre à saint Pierre que la responsabilité des Apôtres surpasse celle des simples fidèles, et qu’en recommandant à tous la vigilance, Notre-Seigneur avait plus spécialement en vue les pasteurs.
  6. Il n’est pas certain que Notre-Seigneur ait prononcé ce qui suit immédiatement après ce qu’on vient de lire ; car saint Luc, ainsi que les autres Évangélistes, rapporte quelquefois à la suite les uns des autres des discours que Jésus prononça en différentes occasions. — Dans les Écritures, le feu a une signification symbolique multiple, il figure l’amour, les épreuves et la guerre. Il a ici ces diverses significations ; il désigne d’abord la charité que Jésus-Christ, par son divin Esprit, a allumée sur la terre ; ensuite il marque le feu de la contradiction et des souffrances, conséquence nécessaire de cette ardente charité. Allioli.
  7. Le baptême de ses souffrances et de sa passion. — L’angoisse du désir et de l’impatience.
  8. Vous savez, par un accord à l’amiable, vous dégager des mains de votre adversaire avant la sentence du juge que vous prévoyez vous être défavorable ; faites de même dans le cas présent, et prévenez, pendant qu’il en est temps, la condamnation du souverain Juge, dont les signes avant-coureurs paraissent déjà. Bornemann.