Aller au contenu

Les Quatre Évangiles (Crampon 1864)/Matthieu/02

La bibliothèque libre.
Traduction par Augustin Crampon.
Tolra et Haton (p. 37-41).
◄  Ch. 1
Ch. 3  ►
saint Matthieu


CHAPITRE II


ADORATION DES MAGES. — FUITE DE JÉSUS EN ÉGYPTE. — MASSACRE DES SS. INNOCENTS. — RETOUR D’ÉGYPTE.


1 Jésus étant né à Bethléem de Juda, aux jours du roi Hérode[1], voilà que des Mages[2] vinrent d’Orient à Jérusalem, disant : Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? Car nous avons vu son étoile en Orient et nous sommes venus l’adorer. Ce qu’ayant appris le roi Hérode, il fut troublé et tout Jérusalem avec lui[3]. Et assemblant tous les Princes des prêtres et les Scribes du peuple, il s’enquit d’eux où devait naître le Christ. Ils lui dirent : À Bethléem de Juda, selon ce qui a été écrit par le Prophète : « Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n’es pas la moindre parmi les principales villes de Juda, car de toi sortira le Chef qui doit régir Israël, mon peuple[4]. » Alors Hérode, ayant fait venir secrètement les Mages, les interrogea avec soin sur le temps où l’étoile leur était apparue. Et, les envoyant à Bethléem, il leur dit : Allez, informez-vous exactement de l’Enfant, et lorsque vous l’aurez trouvé, faites-le moi savoir, afin que moi aussi j’aille l’adorer. Ayant entendu les paroles du roi, ils partirent. Et voilà que l’étoile qu’ils avaient vue en Orient allait devant eux[5] jusqu’à ce que, venant au-dessus du lieu où était l’Enfant[6], elle s’y arrêta. À la vue de l’étoile, ils se réjouirent d’une grande joie. Et entrant dans la maison[7], ils trouvèrent l’Enfant avec Marie, sa mère, et, se prosternant, ils l’adorèrent ; puis, ouvrant leur trésor, ils lui offrirent pour présents de l’or, de l’encens et de la myrrhe[8]. Mais ayant été avertis en songe de ne point retourner vers Hérode, ils regagnèrent leur pays par un autre chemin.

13 Après leur départ, voici qu’un ange du Seigneur apparut à Joseph pendant son sommeil, et lui dit : Levez-vous, prenez l’Enfant et sa mère, fuyez en Égypte, et n’en partez pas que je ne vous le dise ; car Hérode va rechercher l’Enfant pour le faire périr[9]. Joseph se leva, et, la nuit même, prenant l’Enfant avec sa mère, il se retira en Égypte[10]. Et il y resta jusqu’à la mort d’Hérode, afin que s’accomplît ce qu’avait dit le Seigneur par son Prophète : « J’ai rappelé mon fils de l’Égypte[11]. » Alors Hérode, voyant que les Mages l’avaient trompé, entra dans une grande colère, et il fit tuer tous les enfants qui étaient dans Bethléem et dans les environs, depuis l’âge de deux ans et au-dessous, selon le temps dont il s’était enquis auprès des Mages[12]. Alors fut accompli ce qu’avait annoncé le prophète Jérémie. « Une voix a été entendue dans Rama, des plaintes et des cris lamentables : Rachel pleurant ses enfants ; et elle ne veut pas être consolée, parce qu’ils ne sont plus[13]. »

19 Hérode étant mort[14], voici qu’un ange du Seigneur apparut en songe à Joseph dans la terre d’Égypte, et lui dit : Levez-vous, prenez l’Enfant et sa mère, et allez dans la terre d’Israël, car ceux qui en voulaient à la vie de l’Enfant sont morts. Joseph s’étant levé, prit l’Enfant et sa mère, et vint dans la terre d’Israël. Mais apprenant qu’Archélaüs régnait en Judée à la place d’Hérode, son père[15], il n’osa y aller, et, averti en songe, il se retira dans la Galilée et vint habiter une ville nommée Nazareth, afin que s’accomplit ce qu’avaient dit les prophètes : « Il sera appelé Nazaréen[16]. »

  1. Voy. ce mot dans le Vocabulaire.
  2. La patrie des Mages était la Perse ; des peintures très-anciennes les représentent avec une coiffure semblable à celle que portent encore de nos jours les prêtres de ce pays, adorateurs du feu, et appelés aussi mogh, au plur. moghan. Prêtres, astronomes, médecins, conseillers des rois, ils formaient dans le royaume la caste savante et le premier corps politique, comme les mandarins en Chine, et les brahmanes dans l’Inde. 2. Une application trop rigoureuse de quelques passages d’Isaïe et des Psaumes en a fait des rois d’Arabie ; mais ni Hérode ne les traite en rois, ni les plus anciens Pères ne les appellent ainsi. 3. Ils étaient probablement au nombre de trois ; mais les noms qu’on leur a donnés : Gaspar, Balthasar et Melchior, figurent pour la première fois dans un monument du ixe siècle, ce qui n’est pas une garantie historique suffisante. 4. C’est vers le milieu de l’été de l’an de Rome 746, lorsque régnait la paix universelle, qu’un astre, probablement une comète, leur apparut, présage de la venue sur la terre du « Prince de la Paix. » 5. Instruits des antiques traditions, et éclairés intérieurement par l’Esprit-Saint, ils vinrent d’abord à Jérusalem, où il était naturel qu’ils cherchassent le nouveau Roi. Patrizzi.
  3. On devine pourquoi l’usurpateur et le tyran se trouble ; ce qui émeut Jérusalem, c’est l’espérance du Messie que toute la nation attendait alors comme un libérateur.
  4. Les Docteurs de la loi ne citent pas exactement les paroles du prophète ; voici le texte de Michée (v, 1) : « Et toi, Bethléem-Ephrata, tu parais bien petite pour être parmi les chiliades (villes de mille citoyens) de Juda ; cependant de toi sortira, » etc. Le sens général est le même.
  5. Ces mots indiquent qu’ils étaient venus à Jérusalem sans être conduits par l’étoile, mais guidés par la connaissance qu’ils avaient que le Messie devait naître en Judée. Patrizzi.
  6. Après la Purification (2 fév.) la sainte Famille était retournée à Nazareth (Luc, ii, 39). Mais S. Joseph résolut de fixer désormais son domicile à Bethléem, ville de ses pères, où Jésus était né (Papebroch, Propyl. ad Acta Santorum Maii, p. 26, § 6). Il y était arrivé depuis quelques jours, lorsque les Mages vinrent adorer l’Enfant (vers le mil. de févr.). Voilà pourquoi, à son retour d’Égypte, il avait, dit S. Matthieu (ii, 22), l’intention de retourner en Judée. Patrizzi.
  7. Et non dans l’étable où Jésus était né. Les plus anciennes peintures représentent la sainte Vierge dans une maison, assise sur un trône, et tenant Jésus entre ses bras. Patrizzi.
  8. « Ils offrent des présents : jamais les Orientaux ne paraissent devant leur monarque les mains vides. Ces présents ont quelque chose de symbolique : c’est encore le génie de l’Orient. Suivant l’explication commune des Pères, les Mages offrent à Jésus de l’or comme à un roi, de l’encens comme à un Dieu, et de la myrrhe comme à un homme mortel. » Rohrbacher.
  9. « N’y avait-il pas d’autre moyen de le sauver qu’une fuite si précipitée ? Qui le peut dire sans impiété ? Mais Dieu ne veut pas tout faire par miracle, et il est de sa providence de suivre souvent le cours ordinaire, qui est de lui, comme les voies extraordinaires. Le Fils de Dieu est venu en infirmité (Hébr. v, 2). Pour se conformer à cet état, il s’assujettit volontairement aux rencontres communes de la vie humaine ; et, par la même dispensation qui a fait que, durant le temps de son ministère, il s’est retiré, il s’est caché pour prévenir les secrètes entreprises de ses ennemis, il a été aussi obligé de chercher un asile dans l’Égypte. » Bossuet.
  10. Depuis l’époque de la captivité, les Juifs persécutés ou mécontents aimaient à se retirer en Égypte. Sous le règne même d’Hérode, si hostile aux Pharisiens, un grand nombre y avaient cherché un refuge. La tradition nous apprend que la sainte Famille se fixa à Matariéh, la ville des eaux, ainsi nommée à cause de ses sources, près de l’antique Héliopolis, à une lieue et demie du Caire. Pendant ce temps, Joseph se rattacha sans doute à l’une de ces corporations de métiers où chaque émigré juif trouvait du travail et des moyens d’existence. Sepp.
  11. Osée, xi, 1. Ces paroles s’appliquent dans le sens immédiat au peuple juif, que Dieu appelle son fils premier-né (Exod., iv, 22), et, dans le sens typique, à Jésus-Christ, dont ce peuple était la figure.
  12. Cette barbarie n’étonne pas de la part d’Hérode, prince soupçonneux et cruel, dit l’historien Josèphe, quand il s’agissait de son autorité, qui avait ensanglanté sa propre maison par le meurtre de plusieurs de ses enfants et de ses épouses, et dont les défiances croissaient avec l’âge. Au reste, il n’est pas nécessaire de supposer, comme on l’a fait quelquefois, que des milliers d’enfants aient péri dans ce massacre, puisqu’il n’est question que du village ou bourg de Bethléem et de ses environs.
  13. Jérém., xxxi, 15. Dans le sens prochain, mais incomplet, il s’agit des malheurs de la captivité : Rachel, aïeule d’Éphraïm, est représentée comme la mère des dix tribus captives, pleurant ses enfants comme s’ils n’étaient plus. Dans un sens plus éloigné, mais non moins véritable, il s’agit du massacre des SS. Innocents figuré par les persécutions des Israélites : Rachel, qui avait été enterrée près de Rama, localité voisine de Bethléem, se lève de son sépulcre pour mêler ses cris aux cris des mères inconsolables.
  14. Dans la trente-septième année de son règne, au commencement du printemps de l’an de Rome 750. Le séjour de la sainte Famille en Égypte avait duré deux ans.
  15. L’histoire confirme le récit de l’Évangéliste. La Galilée, unie à la Judée sous Hérode, en avait été séparée à sa mort dans le partage qu’il fit entre ses enfants. C’est Archélaüs qui eut la Judée ; et l’historien Josèphe témoigne de sa cruauté, qui finit par soulever contre lui tous les Juifs. Il ne régna que neuf ans, après lesquels Auguste le relégua à Vienne, dans les Gaules, et réunit la Judée à la province romaine de Syrie. Wallon.
  16. Le Messie est souvent annoncé par les Prophètes sous l’image d’un germe qui pousse, d’une fleur, d’un rameau ou rejeton qui s’élève après qu’un arbre est tombé sous la hache, et qu’il ne reste plus de lui qu’un tronçon à fleur de terre dont toute la vie est dans les racines (Is., xi, 1). Ce rejeton ou petit rameau, figure de la faiblesse apparente de Jésus à sa naissance, s’appelle en hébreu nezer, etc. C’est à cette prophétie que S. Matthieu fait ici allusion.