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Les Quatre Évangiles (Crampon 1864)/Matthieu/24

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Traduction par Augustin Crampon.
Tolra et Haton (p. 141-146).
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saint Matthieu


CHAPITRE XXIV


PROPHÉTIE DE LA RUINE DE JÉRUSALEM ; SIGNES AVANT-COUREURS DE CETTE CATASTROPHE ET DU DERNIER AVÈNEMENT DE JÉSUS-CHRIST (Marc, xiii ; Luc, xxi, 5-36).


1 Jésus, étant sorti du temple, s’en allait, et ses disciples s’approchèrent de lui pour lui en faire remarquer les bâtiments. Mais, prenant la parole, il leur dit : Voyez-vous toutes ces choses ? En vérité, je vous le dis, il n’y sera pas laissé une pierre sur une autre pierre qui ne soit renversée.

3 Lorsqu’il se fut assis sur la montagne des Oliviers, ses disciples s’approchèrent, et, seuls avec lui, lui dirent : Dites-nous quand ces choses arriveront, et quel sera le signe de votre avénement et de la consommation du siècle ? Jésus leur répondit[1] :

5 Prenez garde que nul ne vous séduise. Car plusieurs viendront sous mon nom, disant : Je suis le Christ, et ils en séduiront un grand nombre. Vous entendrez parler de guerres et de bruits de guerre ; n’en soyez pas troublés, car il faut que ces choses arrivent ; mais ce n’est pas encore la fin. On verra s’élever peuple contre peuple, royaume contre royaume, et il y aura des pestes, des famines et des tremblements de terre en divers lieux. Ce n’est là que le commencement des douleurs[2]. Alors on vous livrera aux tortures et on vous fera mourir, et vous serez en haine à toutes les nations, à cause de mon nom. Et alors beaucoup failliront, et les hommes se livreront et se haïront les uns les autres. Et il s’élèvera plusieurs faux prophètes, qui en séduiront un grand nombre. Et parce que l’iniquité sera venue à son comble, la charité d’un grand nombre se refroidira. Mais celui qui persévérera jusqu’à la fin, sera sauvé. Cet évangile du royaume sera prêché dans le monde entier, pour être un témoignage à toutes les nations ; et alors viendra la consommation[3].

15 Quand donc vous verrez l’abomination de la désolation[4], annoncée par le prophète Daniel, présente dans le lieu saint, — que celui qui lit, entende[5], — alors que ceux qui sont dans la Judée s’enfuient sur les montagnes ; et que celui qui est sur le toit ne descende pas pour emporter quelque chose de sa maison[6] ; et que celui qui est dans les champs ne revienne pas pour prendre son manteau. Mais malheur aux femmes enceintes et à celles qui allaiteront en ces jours-là[7] ! Priez pour que votre fuite n’arrive pas en hiver, ni le jour du sabbat[8] ; car alors la tribulation sera si grande, que depuis le commencement du monde jusqu’ici, il n’y en a point eu de semblable, et qu’il n’y en aura jamais. Et si ces jours n’avaient été abrégés, nulle chair ne serait sauvée ; mais, à cause des élus, ces jours seront abrégés[9].

23 Si quelqu’un vous dit alors : Le Christ est ici, ou il est là, ne le croyez point. Car il s’élèvera de faux christs et de faux prophètes, et ils feront de grands prodiges et des choses extraordinaires, jusqu’à séduire, s’il se pouvait, les élus mêmes. Voilà que je vous l’ai prédit. Si donc on vous dit : Le voici dans le désert, ne sortez point ; le voici dans le lieu le plus retiré de la maison, ne le croyez point[10]. Car, comme l’éclair part de l’Orient et brille jusqu’à l’Occident[11], ainsi en sera-t-il de l’avènement du Fils de l’homme. Partout où sera le corps, là les aigles s’assembleront[12].

29 Aussitôt après ces jours d’affliction[13], le soleil s’obscurcira, la lune ne donnera plus sa lumière, les étoiles tomberont du ciel, et les Vertus des cieux[14] seront ébranlées. Alors apparaîtra dans le ciel le signe du Fils de l’homme[15], et toutes les tribus de la terre se frapperont la poitrine, et elles verront le Fils de l’homme venant sur les nuées du ciel avec une grande puissance et une grande majesté. Et il enverra ses anges rassembler, au son éclatant de la trompette, ses élus des quatre vents de la terre, depuis une extrémité du ciel jusqu’à l’autre. Écoutez une comparaison prise du figuier. Quand ses rameaux sont tendres[16], et qu’il pousse ses feuilles, vous savez que l’été est proche. Ainsi, lorsque vous verrez toutes ces choses, sachez que le Fils de l’homme est proche, qu’il est à la porte. En vérité, je vous le dis, cette génération[17] ne passera point que toutes ces choses n’arrivent. Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point[18].

36 Le jour et l’heure, nul ne les connaît, pas même les anges du ciel, mais le Père seul. Comme aux jours de Noé, ainsi sera l’avénement du Fils de l’homme. Car, comme les hommes, aux jours qui précédèrent le déluge, mangeaient et buvaient, se mariaient et mariaient leurs filles, jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche, et qu’ils n’ouvrirent point les yeux jusqu’à ce que le déluge survint et les emporta tous : ainsi en sera-t-il de l’avènement du Fils de l’homme. Alors de deux hommes qui seront dans un champ, l’un sera pris et l’autre laissé[19] ; de deux femmes qui moudront ensemble, l’une sera prise et l’autre laissée. Veillez donc, car vous ne savez pas à quelle heure votre Seigneur doit venir. Mais sachez que si le père de famille savait à quelle heure le voleur doit venir, il ne manquerait pas de veiller et ne laisserait pas percer sa maison. Vous aussi, tenez-vous donc prêts ; car le Fils de l’homme viendra à l’heure que vous ne pensez pas.

45 Quel est le serviteur fidèle et prudent que son maître a établi sur les gens de sa maison, pour leur distribuer leur nourriture en son temps[20] ? Heureux ce serviteur que son maître, à son retour, trouvera faisant ainsi ! En vérité, je vous le dis, il l’établira sur tous ses biens. Mais, si ce serviteur est méchant, et que, disant en son cœur : Mon maître n’est pas près de venir, il se mette à battre ses compagnons, à manger et à boire avec des gens adonnés au vin, le maître de ce serviteur viendra au jour où il ne l’attend pas, et à l’heure qu’il ignore, et il le fera couper en morceaux, et lui assignera sa place parmi les hypocrites : là seront les pleurs et les grincements de dents[21].

  1. Tous les interprètes sont d’accord pour trouver dans ce chapitre une description prophétique des signes avant-coureurs de la ruine de Jérusalem et de la fin du monde. Mais tandis que quelques-uns, surtout parmi les modernes (Kohlgrüber, Patrizzi), partisans d’un sens littéral unique, veuillent distinguer les versets qui s’appliquent à la première de ces catastrophes, et ceux qui s’appliquent à la seconde, comme si N.-S. avait parlé alternativement de l’une et de l’autre ; d’autres (la plupart des Pères, Allioli) pensent que, dans son coup d’œil divin, devant lequel mille ans sont comme un seul jour, Jésus-Christ a rassemblé et rapproché les deux événements, qui sont comme deux parties d’un même fait providentiel, du jugement de Dieu sur les hommes, et les a représentés sous les mêmes expressions, de telle sorte, cependant, que tour à tour l’un des deux domine dans le sens littéral, prochain et complet, tandis que l’autre n’est compris sous les mêmes termes que dans un sens plus éloigné, impropre et imparfait. Se rapportent uniquement (d’après le Père Patrizzi) ou principalement (dans l’autre système) à la fin du monde les vers. 4-14 ; à la ruine de Jérusalem, les vers. 15-22 (Corn. Lapierre : 15-18) ; au 2e avénement de Jésus-Christ, la suite du chap.
  2. Proprement des douleurs de l’enfantement, figure de grandes douleurs en général.
  3. Du siècle, la fin du monde. On voit néanmoins que les vers. 4-14 peuvent s’entendre aussi de ce qui précédera la ruine de Jérusalem.
  4. C’est-à-dire une horrible abomination. Cette abomination, c’est le siège de Jérusalem par les Gentils, l’apparition des aigles romaines et des images des faux dieux dans son enceinte, et les crimes dont les Juifs eux-mêmes se rendirent coupables pendant le siège (Dan. ix, 26, 27).
  5. Cette réflexion paraît être de l’Évangéliste, attirant l’attention sur une catastrophe prochaine.
  6. Mais qu’il s’échappe par l’escalier qui conduit directement dans la rue, ou bien qu’il fuie de toit en toit jusqu’aux murs de la ville.
  7. Parce qu’elles ne pourront fuir que difficilement.
  8. Alors qu’une longue marche est difficile ou défendue. Les Juifs regardaient comme une faute de parcourir plus de deux mille coudées le jour du sabbat (Exod. xvi, 29 ; Jérém. xvii, 22).
  9. Ces jours, c’est-à-dire, l’occupation de la Judée et le siége de Jérusalem par les Romains ; nulle chair, c’est-à-dire aucun Juif ; des élus, c’est-à-dire, des chrétiens déjà sortis, ou qui doivent sortir de la race juive.
  10. Les imposteurs cherchent leur sûreté dans le désert ou cachent dans l’intérieur d’une maison leurs réunions clandestines.
  11. Image d’un événement subit, qui devient en un clin d’œil visible à tous.
  12. Locution proverbiale exprimant la certitude du châtiment, « Où il y a un cadavre, compte sur le vautour », dit Sénèque (Epist. xlvi). Le cadavre, ce sont les Juifs ou tous les hommes ; les aigles, ce sont les Romains, ou le Fils de l’homme venant à la fin du monde exercer sa juste vengeance.
  13. Qui précéderont la fin du monde.
  14. Les astres et les anges de ténèbres, figurés par eux, parce qu’ils occupent dans le ciel une place usurpée, en se faisant adorer par les hommes sous l’emblème des astres : le démon sentira que son règne va finir.
  15. La croix.
  16. Quand la sève monte des racines aux branches.
  17. Le Père Patrizzi, qui applique ce verset à la fin du monde, entend ces mots ou de la race juive, ou de la race humaine tout entière.
  18. Dans le symbolisme de l’année liturgique, de même que l’Avent représente les temps qui ont précédé le premier avénement de Notre-Seigneur, ainsi les dimanches après la Pentecôte figurent tous les siècles qui doivent s’écouler jusqu’au second avénement de Jésus-Christ, lorsqu’il viendra, à la fin du monde, juger les vivants et les morts. Voilà pourquoi l’Église fait lire les vers. 15-35 le 24e ou dernier dimanche après la Pentecôte, qui ferme le cycle de l’année liturgique, comme le jugement général fermera la marche du temps.
  19. Être pris, dit saint Ambroise, c’est être admis parmi les élus ; être laissé, c’est faire partie des réprouvés.
  20. Quel est le serviteur qui, ayant été établi par son maître pour prendre soin de sa maison, peut être considéré comme un serviteur dévoué et prudent ?
  21. Ces derniers mots indiquent qu’il s’agit du supplice de l’enfer, J.-C. passant de la parabole à la réalité. L’usage de couper en deux ou en plusieurs morceaux les corps vivants ou les cadavres des criminels, était connu, non-seulement Juifs, mais des Chaldéens, des Grecs et des Romains. — Les hypocrites sont ici les serviteurs infidèles.