Les Quatre livres/Entretiens de Confucius/19

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Traduction par Séraphin Couvreur.
Imprimerie de la mission catholique (p. 283-292).
ENTRETIENS DE CONFUCIUS


CHAPITRE XIX. TZEU TCHANG.


1. Tzeu tchang dit : « Celui-là est un vrai disciple de la sagesse, qui, en face du péril, expose sa vie, en face d’un avantage à recueillir, consulte la justice, dans les cérémonies en l’honneur des esprits, a soin d’être respectueux et, dans le deuil, ne pense qu’à sa douleur. »

2. Tzeu tchang dit : « Celui qui entreprend de pratiquer la vertu, mais dans des limites étroites, qui croit aux principes de la sagesse, mais avec hésitation, doit il être compté pour quelque chose ? doit il être compté pour rien ? »

3. Les disciples de Tzeu hia ayant interrogé Tzeu tchang sur l’amitié, Tzeu tchang leur demanda ce qu’en disait Tzeu hia. « Il dit, répondirent ils, qu’on doit faire société avec les hommes dont l’amitié peut être utile, et qu’il faut repousser les autres. » Tzeu tchang répliqua : « Ce principe ne s’accorde pas avec les enseignements que j’ai reçus. Le sage honore les hommes vertueux, et ne rejette personne ; il encourage par des éloges ceux qui sont avancés dans la vertu et a compassion de ceux qui sont encore faibles. Suis je un grand sage ? Quel est l’homme que je devrai repousser ? Suis je dépourvu de sagesse ? Les hommes sages me repousseront ! Convient il de repousser quelqu’un ? » Le principe de Tzeu hia est trop étroit. Tzeu tchang a raison de le blâmer. Mais ce qu’il dit lui-même a le défaut d’être trop large. Sans doute le sage ne rejette personne ! mais il doit repousser toute amitié nuisible.

4. Tzeu hia dit : « Les métiers, les arts, même les plus humbles (comme la culture des champs ou des jardins, la médecine, la divination), ne sont nullement à mépriser. Mais si quelqu’un les exerçait en vue de plus grandes choses (pour se perfectionner lui-même et les autres), cette occupation lui serait peut être un obstacle, au lieu d’être un secours. Pour cette raison le sage n’exerce pas ces métiers. »

5. Tzeu hia dit : « Celui qui chaque jour examine, étudie ce qu’il n’a pas encore pu comprendre ou pratiquer parfaitement, et qui chaque mois examine s’il n’a rien oublié ou négligé de ce qu’il a appris, celui-là désire vraiment apprendre. »

6. Tzeu hia dit : « Étendez vos connaissances et ayez une volonté ferme ; interrogez sur les choses pratiques (et non sur celles qui sont purement curieuses et inutiles) ; pensez aux choses qui vous touchent de près (et non à celles qui vous sont étrangères). Là se trouve la vertu parfaite. »

7. Tzeu hia dit : « Les artisans demeurent constamment dans leurs ateliers sur la place publique, afin (de ne pas distraits dans leurs travaux et) de faire des ouvrages parfaits. De même, le disciple de la sagesse apprend et s’exerce assidûment, afin de rendre sa vertu parfaite. »

8. Tzeu hia dit : « L’homme vulgaire colore toujours d’une belle apparence les fautes qu’il a commises. »

9. Tzeu hia dit : « L’apparence du sage est sujette à trois changements. Vu de loin, il paraît grave et sérieux ; vu de près, il paraît affable ; quand il parle, il paraît inflexible dans ses principes. »

10. Tzeu hia dit : « Il faut qu’un officier gagne la confiance de ceux qui sont soumis à son autorité, avant de leur imposer des charges. Sinon, ils croiront qu’il veut les vexer. Il faut qu’il se concilie la confiance de son prince, avant de lui adresser des remontrances. Sinon, le prince le considérera comme un homme qui l’accuse faussement. »

11. Tzeu hia dit : « Celui qui dans les grandes choses ne dépasse pas les limites peut dans les petites choses aller au delà ou rester en deçà, sans grand dommage pour sa vertu. »

12. Tzeu iou dit : « Les disciples de Tzeu hia savent très bien arroser et balayer la terre, répondre à ceux qui les appellent ou les interrogent, avancer ou se retirer. Mais ce sont des choses accessoires. Ils ignorent les plus importantes. Peut on les considérer comme de vrais disciples de la sagesse ? »

Ces paroles ayant été rapportées à Tzeu hia, il dit : « Ah ! Ien Iou (Tzeu iou) est dans l’erreur. Qu’est ce que le sage met au premier rang et enseigne à ses disciples ? Qu’est ce qu’il met au dernier rang et néglige ? Les disciples sont comme les plantes, dont chaque espèce exige une culture particulière. Est ce que le sage se permettrait de tromper ses disciples (en négligeant de leur enseigner les choses les plus nécessaires) ? Le sage par excellence, n’est ce pas celui qui embrasse toutes choses, non pas à la fois, mais par ordre ? »

13. Tzeu hia dit : « Que celui qui est en charge remplisse d’abord les devoirs de sa charge ; puis, s’il a du temps et des forces de reste, qu’il étudie. Que celui qui étudie apprenne d’abord parfaitement ; puis, si ses forces le lui permettent, qu’il exerce une charge. » Celui qui se livre à une occupation doit d’abord faire parfaitement tout ce qui s’y rapporte, et il peut ensuite étendre ses soins à d’autres choses. Pour un officier, l’exercice de sa charge est la chose importante, et l’étude n’est pas absolument nécessaire ; il doit donc avant tout remplir les devoirs de sa charge. Pour un étudiant, l’étude est la chose principale, et l’exercice d’une charge n’est pas nécessaire ; il doit donc avant tout étudier parfaitement. Toutefois, un officier trouve dans l’étude un moyen d’établir ses ouvres plus solidement ; et un étudiant trouve dans l’exercice d’une charge un moyen de confirmer et d’étendre ses connaissances.

14. Tzeu iou dit : « Le deuil est parfait, si le cœur éprouve une affliction parfaite ; tout le reste est secondaire. »

15. Tzeu iou dit : « Mon compagnon Tchang fait des choses qu’un autre ferait difficilement. Cependant, sa vertu n’est pas encore parfaite. »

16. Tseng tzeu dit : « Que Tchang est admirable dans les choses extérieures ! Mais il est difficile dé pratiquer avec lui la vertu parfaite. » Tzeu tchang donnait son principal soin aux choses extérieures. Hautain dans ses manières, il ne pouvait ni être aidé ni aider les autres dans la pratique de la vraie vertu.

17. Tseng tzeu disait : « J’ai entendu dire à notre maître que, quand même les hommes ne feraient pas tout leur possible dans les autres circonstances, ils devraient le faire à la mort de leurs parents. »

18. Tseng tzeu dit : « Au sujet de la piété filiale de Meng Tchouang tzeu, j’ai entendu dire à notre maître qu’on pouvait aisément imiter tous les exemples de ce grand préfet, hormis celui qu’il a donné en ne changeant ni les serviteurs ni l’administration de son père. »

19. Iang Fou, ayant été nommé directeur des tribunaux par le chef de la famille Meng, demanda des conseils à son maître Tseng tzeu. Tseng tzeu lui dit : « Ceux qui dirigent la société s’écartant du droit chemin, depuis longtemps le peuple se divise (et la discorde amène beaucoup de crimes). Si vous reconnaissez la vérité des accusations portées devant les tribunaux, ayez compassion des coupables, et ne vous réjouissez pas (de votre habileté à les découvrir). »

20. Tzeu koung dit : « La scélératesse de l’empereur Tcheou (a été grande, mais elle) n’a pas été si extrême qu’on le dit. Le sage craint beaucoup de descendre le courant et de s’arrêter dans l’endroit où toutes les eaux de l’empire se déversent, c’est à dire de tomber enfin si bas qu’on lui impute tous les crimes de l’univers, comme il est arrivé au tyran Tcheou. »

21. Tzeu koung dit : « Les fautes involontaires d’un prince sage sont comme les éclipses du soleil et de la lune. Quand il s’égare, tous les yeux le voient. Quand il se corrige, tous les regards le contemplent. »

22. Koung suenn Tch’ao (grand préfet de la principauté) de Wei demanda à Tzeu koung de quel maître Confucius tenait ses connaissances. Tzeu koung répondit : « Les institutions de Wenn wang et de Ou wang ne sont pas encore tombées dans l’oubli ; elles vivent toujours dans la mémoire des hommes. Les hommes de talent et de vertu en ont appris (et en comprennent) les grands principes. Les hommes ordinaires en ont appris quelques principes particuliers. Les enseignements de Wenn wang et de Ou wang subsistent encore partout. De quelle source mon maître n’a-t-il pas tiré quelque connaissance ? Et quel besoin avait-il de s’attacher à un maître déterminé ? »

23. Chou suenn Ou chou (grand préfet dans la principauté de Lou) dit aux grands préfets réunis dans le palais du prince : « Tzeu koung est plus sage que Confucius. » (L’un d’entre eux) Tzeu fou King pe rapporta cette parole à Tzeu koung. Tzeu koung répondit : « Permettez moi d’employer une comparaison tirée d’une maison et de son mur d’enceinte. Mon mur d’enceinte ne s’élève qu’à la hauteur des épaules d’un homme. Chacun peut regarder et voir du dehors tout ce que la maison a de beau. Le mur du Maître est plusieurs fois plus haut que la taille d’un homme. A moins de trouver la porte du palais et d’y entrer, on ne voit pas la magnificence du temple des ancêtres ni l’appareil pompeux des officiers. Peu savent en trouver la porte. L’assertion de Chou suenn Ou chou n’est elle pas contraire à la vérité ? »

24. Chou suenn On chou dépréciait Confucius. Tzeu koung dit : « Toutes ses paroles n’auront aucun effet. La détraction ne saurait diminuer la réputation de Tchoung gni. La sagesse des autres hommes est comme une colline ou un monticule qu’il est possible de gravir. Tchoung gni est comme le soleil et la lune ; personne ne peut s’élever au dessus de lui. Quand même on se séparerait de lui en rejetant sa doctrine, quel tort ferait on à celui qui brille comme le soleil et la lune ? On montrerait seulement qu’on ne se connaît pas soi-même. »

25. Tch’enn Tzeu k’in dit à Tzeu koung : « C’est par modestie que vous mettez Tchoung gni au dessus de vous. Est ce qu’il est plus sage que vous ? » Tzeu koung répondit : « Une parole d’un disciple de la sagesse suffit pour faire juger qu’il est prudent ; une parole dite inconsidérément suffit pour faire juger qu’il manque de prudence. Il faut faire attention à ses paroles. (Ce que vous venez de dire ne paraît pas assez réfléchi). Personne ne peut égaler notre maître, de même que personne ne peut s’élever jusqu’au ciel avec des échelles. Si notre maître avait eu un État à gouverner, il aurait, comme on dit, pourvu à la nourriture du peuple, et le peuple aurait trouvé la nourriture ; il aurait dirigé le peuple, et le peuple aurait marché en avant ; il aurait procuré la tranquillité au peuple, et le peuple l’aurait aimé et respecté ; il aurait excité le peuple à la vertu, et le peuple aurait vécu en bonne intelligence ; il aurait été honoré pendant sa vie, et pleuré après sa mort. Qui peut l’égaler ? »