Les Ruines/Lebigre, 1836/Chap22 6

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§ VI. Sixième système. Monde animé, ou culte de l’univers sous divers emblêmes.


« Tandis que les peuples s’égarèrent dans le labyrinthe ténébreux de la mythologie et des fables, les prêtres physiciens, poursuivant leurs études et leurs recherches sur l’ordre et la disposition de l’univers, arrivèrent à de nouveaux résultats, et dressèrent de nouveaux systèmes de puissances et de causes motrices.

« Long-temps bornés aux simples apparences, ils n’avaient vu dans les mouvements des astres qu’un jeu inconnu de corps lumineux, qu’ils croyaient rouler autour de la terre, point central de toutes les sphères ; mais alors qu’ils eurent découvert la rondeur de notre planète, les conséquences de ce premier fait les conduisirent à des considérations nouvelles ; et, d’induction, en induction, ils s’élevèrent aux plus hautes conceptions de l’astronomie et de la physique.

« En effet, ayant conçu cette idée lumineuse et simple, que le globe terrestre est un petit cercle inscrit dans le cercle plus grand des cieux, la théorie des cercles concentriques s’offrit d’elle-même à leur hypothèse, pour résoudre le cercle inconnu du globe terrestre par des points connus du cercle céleste ; et la mesure d’un ou de plusieurs degrés du méridien donna avec précision la circonférence totale. Alors, saisissant pour compas le diamètre obtenu de la terre, un génie heureux l’ouvrit d’une main hardie sur les orbites immenses des cieux ; et par un phénomène inouï, du grain de sable qu’à peine il couvrait, l’homme embrassant les distances infinies des astres, s’élança dans les abîmes de l’espace et de la durée : là se présenta à ses regards un nouvel ordre de l’univers ; le globe atome qu’il habitait ne lui en parut plus le centre : ce rôle important fut déféré à la masse énorme du soleil ; et cet astre devint le pivot enflammé de huit sphères environnantes, dont les mouvements furent désormais soumis à la précision du calcul.

« C’était déjà beaucoup pour l’esprit humain, d’avoir entrepris de résoudre la disposition et l’ordre des grands êtres de la nature ; mais non content de ce premier effort, il voulut encore en résoudre le mécanisme, en deviner l’origine et le principe moteur ; et c’est là qu’engagés dans les profondeurs abstraites et métaphysiques du mouvement et de sa cause première, des propriétés inhérentes ou communiquées de la matière, de ses formes successives, de son étendue, c’est-à-dire de l’espace et du temps sans bornes, les physiciens théologues se perdirent dans un chaos de raisonnements subtils et de controverses scolastiques.

« Et d’abord l’action du soleil sur les corps terrestres leur ayant fait regarder sa substance comme un feu pur et élémentaire, ils en firent le foyer et le réservoir d’un océan de fluide igné, lumineux, qui, sous le nom d’éther, remplit l’univers et alimenta les êtres. Ensuite, les analyses d’une physique savante leur ayant fait découvrir ce même feu, ou un autre parfaitement semblable, dans la composition de tous les corps, et s’étant aperçus qu’il était l’agent essentiel de ce mouvement spontané que l’on appelle vie dans les animaux et végétation dans les plantes, ils conçurent le jeu et le mécanisme de l’univers comme celui d’un tout homogène d’un corps identique, dont les parties, quoique distantes, avaient cependant une liaison intime ; et le monde fut un être vivant, animé par la circulation organique d’un fluide igné ou même électrique, qui, par un premier terme de comparaison pris dans l’homme et les animaux, eut le soleil pour cœur ou foyer.

« Alors, parmi les philosophes théologues, les uns partant de ces principes, résultats de l’observation, « que rien ne s’anéantit dans le monde ; que les éléments sont indestructibles ; qu’ils changent de combinaisons, mais non de nature ; que la vie et la mort des êtres ne sont que des modifications variées des mêmes atomes ; que la matière possède par elle-même des propriétés d’où résultent toutes ses manières d’être ; que le monde est éternel, sans bornes d’espace et de durée ; » les uns dirent que l’univers entier était Dieu ; et selon eux, Dieu fut un être à la fois effet et cause, agent et patient, principe moteur et chose mue, ayant pour lois les propriétés invariables qui constituent la fatalité ; et ceux-là peignirent leur pensée tantôt par l’emblème de Pan (le grand tout), ou de Jupiter au front d’étoiles, au corps planétaire, aux pieds d’animaux, ou de l’œuf orphique, dont le jaune, suspendu au milieu d’un liquide enceint d’une voûte, figura le globe du soleil nageant dans l’éther au milieu de la voûte des cieux ; tantôt par celui d’un grand serpent rond, figurant les cieux où ils plaçaient le premier mobile, par cette raison de couleur d’azur, parsemé de taches d’or (les étoiles), dévorant sa queue, c’est-à-dire rentrant en lui-même et se repliant éternellement comme les révolutions des sphères : tantôt par celui d’un homme ayant les pieds liés et joints, pour signifier l’existence immuable ; enveloppé d’un manteau de toutes les couleurs, comme le spectacle de la nature, et portant sur la tête une sphère d’or, emblème de la sphère des étoiles : ou par celui d’un autre homme quelquefois assis sur la fleur du lotos portée sur l’abîme des eaux, quelquefois couché sur une pile de douze carreaux, figurant les douze signes célestes. Et voilà. Indiens, Japonais, Siamois, Tibétains, Chinois ! la théologie qui, fondée par les Égyptiens, s’est transmise et gardée chez vous dans les tableaux que vous tracez de Brahma, de Beddou, de Sommonacodom, d’Omito : Voilà même, hébreux et chrétiens ! l’opinion dont vous avez conservé une parcelle dans votre dieu, souffle porté sur les eaux, par une allusion au vent, qui, à l’origine du monde, c’est-à-dire au départ des sphères du signe du cancer, annonçait l’inondation du Nil, et semblait préparer la création.