Les Seigneurs et premiers censitaires de St-Georges-Beauce et la famille Pozer/Avant-propos

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AVANT-PROPOS

Amateur d’histoire régionale, j’ai employé mes loisirs depuis quelques années à lire et à feuilleter tous les documents qui me sont tombés sous la main, pour en recueillir les menus faits qui composent une partie du passé de la région beauceronne.

Les pages qui suivent sont le fruit d’une partie de ces recherches.

De toutes les paroisses de la Beauce, celle de St-Georges est la plus intéressante au point de vue de la diversité de races et de religions de ses premiers seigneurs et de ses premiers colons.

Tout d’abord, moitié de cette paroisse a été concédée en seigneurie, en 1736, Madame Marie-Thérèse de la Lande Gayon, veuve de Aubert de la Chesnaye, qui appartenait à une des plus nobles familles de la Nouvelle-France. L’autre moitié a été également concédée en 1736, à Nicolas-Gabriel Aubin de L’Isle, l’un des officiers supérieurs de l’administration publique du Roi de France à Québec.

Ces deux seigneuries, situées à soixante milles au sud-est de Québec, sont en 1927 desservies par deux grandes voies de communication : le chemin de fer « Quebec Central Ry » et la route régionale « (Lévis-Jackman) ».

Il n’en était pas de même autrefois, car le chemin depuis la Famine jusqu’à Québec, même en 1875, était impraticable ; excepté l’hiver, il était rempli de fondrières, de troncs d’arbres, de racines ou de cailloux, le plus souvent noyés dans la boue. Il n’est donc pas étonnant que les anciens Beaucerons et leurs petits-fils furent appelés « jarrets-noirs », en arrivant au terme de leur voyage, puisqu’ils étaient couverts de boue jusqu’à la ceinture.

Le régime français disparu, aussitôt nous voyons les grandes seigneuries perdre leur valeur et être morcelées.

Un an après la cession du pays à l’Angleterre, deux braves et courageux habitants de St-Francois, Charles Doyon et Jean Rodrigue devinrent seigneurs dans St-Georges, chacun de territoire assez étendu pour être érigé en fief. Malgré leurs efforts, accablés sous le poids des obligations qu’entraînait autrefois le titre de seigneur, et aussi parce qu’ils n’avaient pas assez d’influence pour attirer des colons dans leurs petites seigneuries, l’un, Jean Rodrigue, céda de bon gré ses droits seigneuriaux à l’honorable J.-G.-C. de Léry ; et l’autre, Charles Doyon, fut dans la pénible nécessité de ne pouvoir développer sa propriété que le shérif vendit à Jonathan Eckart, un Anglais, de Québec.

En 1783, les deux seigneuries Aubert Gallion et Aubin de L’Isle appartiennent à des Anglais, excepté une partie, le fief Ste-Barbe, de 75 arpents sur deux lieues, qui passe aux mains d’un Canadien, l’honorable de Léry.

Le lecteur constatera dans les pages suivantes que ces deux seigneuries, qui couvraient un territoire de deux lieues sur quatre, ne valaient que $265.60 le 31 juillet 1782, si on se base sur le prix ($16.60) payé par l’honorable de Léry, à cette date, pour 21 arpents de front sur 2 lieues, c’est-à-dire pour un seizième des deux seigneuries.

À peine cent cinquante ans se sont écoulés depuis cette époque, et, le 31 décembre 1925, l’évaluation municipale de St-Georges, qui ne couvre qu’une parti des deux seigneuries, était de $1,880,790 et sa population à la même date de 4,790 âmes. En 1782, il n’y avait peut-être pas un seul lot concédé et pas plus de trois ou quatre familles résidaient dans les deux seigneuries.

Comment expliquer cet immense développement inauguré après la résidence dans la seigneurie Aubert-Gallion du seigneur William Pozer, si ce n’est au régime seigneurial canadien qui n’avait rien en lui-même du servage du régime féodal européen. Ce dernier rendait le censitaire quasi esclave de son seigneur, tandis que le censitaire du Canada était traité en homme libre, propriétaire de sa terre et de ses biens, dont il pouvait disposer comme bon lui semblait.

L’histoire seigneuriale des débuts de St-Georges démontre que les Eckart, Skene et Grant étaient propriétaires dans St-Georges, non dans un but de colonisation mais en vue de spéculation seulement, car ils n’y eurent ni moulin, ni résidence.

Après eux, vint à Saint-Georges Jean Georges Pfotzer, l’auteur de la famille Pozer au Canada, arrivé à Québec en 1785, où il se créa en peu de temps une grande fortune, grâce à ses talents et à ses activités. Type original et d’habitudes plutôt excentriques, il désira devenir seigneur, titre que les marchands de Québec enviaient beaucoup autrefois. Devenu propriétaire des seigneuries Aubert-Gallion et St-Etienne, en homme pratique, il voulut en retirer des revenus. Après son échec de colonisation allemande, il adopta le véritable régime seigneurial en attirant des Canadiens dans ses seigneuries.

Tout d’abord, il se fit construire un manoir à St-Georges, y construisit un moulin à farine, et y installa un de ses fils, William Pozer.

Ce fur le premier membre, à résider à St-Georges, de cette importante famille qui, en plus d’une circonstance, a illustré la paroisse de St-Georges surtout au Parlement, et sur les champs de bataille de la grande guerre, où plusieurs de ses descendants se sont conduits en héros.

Il me semble que les habitants de St-Georges liront avec intérêt l’histoire de la famille Pozer, qui a mérité l’estime et l’affection de ses censitaires, pendant plus d’un siècle. Ils y verront sans doute aussi avec plaisir les noms de leurs ancêtres parmi ceux des premiers colons, laborieux et courageux créateurs des beaux patrimoines qui font actuellement leur bonheur et leur prospérité.

Une des figures mises en relief dans cet ouvrage est l’honorable C. H. Pozer, qui fut le premier libéral élu dans la Beauce et dont les élections furent excessivement orageuses, au milieu de la population beauceronne, si avide de luttes politiques, municipales, scolaires et judiciaires.

Peu d’endroits au Canada offrent un plus bel exemple de bonne entente que la région de la Beauce, et surtout la paroisse de St-Georges. Quoique la très grande majorité y ait toujours été canadienne-française, ses représentants au Parlement ont été pendant de nombreuses années, protestants et d’origine étrangère :

Dunbar Ross, avocat de Québec, fut député du comté de Beauce, de 1854 à 1861, et le sénateur Pozer, de 1867 à 1876.

Sur la liste des maires de cette paroisse, on lit les noms de E. Munkel, M.D., William M. Pozer, David G. Pozer, John A. Pozer, M. David G. Pozer a même été préfet du conseil municipal du comté de Beauce, essentiellement peuplé par des Canadiens-Français.

Je serais bien récompensé de mes heures employées à feuilleter vieux bouquins et vieilles paperasses, si les miettes historiques, réunies en ce volume, pouvaient un jour contribuer à éclaircir quelques points encore obscurs de l’histoire de la province de Québec, ou à être utiles au futur auteur de celle de la région de la Beauce, qui a été colonisée et développée, grâce au dévouement de ses premiers missionnaires, à l’énergie et aux labeurs de ses colons et l’influence bienfaisante de ses seigneurs.

C’est aussi avec une vive reconnaissance que j’offre mes sincères remerciements à M. P.-G. Roy, le savant archiviste de Québec, M. Aegidius Fauteux, l’érudit conservateur de la bibliothèque de Sulpice à Montréal, et à M. William John Pozer, de Winnipeg, qui m’ont aidé avec la plus grande bienveillance dans mes recherches.

J’aime aussi à dire que j’ai puisé un grand nombre de précieux renseignements dans l’"Histoire de la seigneurie de Lauzon" par le plus grand historien régional du Canada, feu Joseph-Edmond Roy.

P. ANGERS