Les Tableaux vivants/00

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Les Tableaux vivants (1870)
Éditions Blanche (p. Avertissement-12).



ANECDOTES VÉRIDIQUES TIRÉES DE MES AMOURS AVEC NOS LIBERTINES
ILLUSTRES ET NOS FOUTEUSES DE QUALITÉ.














PRÉFACE

— Comment traiter aujourd’hui ton petit bijou, duchesse ? Dois-je seulement faire frétiller le bout de ma langue agile sur ce frais clitoris que l’eau de violette a parfumé ?

Veux-tu que je le prenne entre mes lèvres, où je le roulerai comme une praline fabriquée chez le confiseur à la mode ? Je lui ferai sentir l’affre de mes dents prêtes à croquer la chair vive. Ne faut-il pas plutôt que cette langue libertine entre tout entière dans la fente ? Tu en tiendras toi-même les lèvres rouges écartées, et tandis que mon doigt frottera lentement le bouton des amours, elle ira chercher une goutte de rosée au fond du calice.

— Rien de tout cela, me dit ma maîtresse. Dis-moi seulement ton poème sur notre mère Ève, et raconte-moi tes anciennes amours.

Je suis poète, vous le voyez bien, ma chère lectrice. Je suis aussi un homme sans préjugés. C’est ce que vous verrez également tout à l’heure. Je me nomme Richard de la Brulaye. Vingt-huit ans, riche, joli cavalier, bonne lame et beau jeu, prêt à aimer beaucoup de femmes et à caresser toutes celles que je n’aime pas et qui sont belles.

À votre service et toujours prêt… Je ferme cette parenthèse.

Assis aux pieds de ma duchesse, la tête sur ses genoux,

je commençai le chant qu’elle désirait entendre :

LE GLAND
OU NOTRE MÈRE ÈVE

On a dit que l’esprit du mal était jadis apparu à notre mère Ève sous la forme d’un serpent.

Ne croyez point cela. Satan ne se plaira jamais à [ne] prendre que la forme humaine, parce que c’est sous cette forme qu’il fait le plus de mal. Il se présentera donc à notre mère sous la forme d’un beau jeune homme.

Ce qu’il lui présenta n’était pas une pomme, c’était un gland.

Ève trouva ce fruit d’amour poli, doux et brillant. De plus, il lui semblait énorme. Elle le jugea de tous points supérieur à celui d’Adam, qui aimait trop à se coucher dans l’herbe et dont les agréments virils étaient toujours un peu crottés.

Satan s’aperçut sans peine de l’impression qu’il produisait sur cette âme naïve. Aussitôt il en abusa.

Il porta ce gland au visage d’Ève et lui dit :

— Baise-le.

Ce qu’elle fit.

Ses lèvres, guidées par la nature, s’escrimèrent si bien que le jus en sortit.

Alors elle reconnut que cet objet précieux n’avait pas moins de saveur que de charme. C’est ce que, dans son ingénuité ordinaire, elle confessa sans détour au séducteur, qui lui dit :

— Attends un peu.

Ce ne serait pas la peine d’être le diable si l’on n’avait point une vigueur diabolique.

Satan jeta donc notre mère sur le gazon et le lui fit à l’épicière.

Il la retourna et le lui fit en levrette.

Il la pria de se coucher sur lui et ce fut elle qui le lui fit en gamin.

Après quoi, n’étant pas encore satisfait, il la retourna pour la seconde fois et le lui fit à la Grecque.

— En cul, madame, ne vous en déplaise, comme à Sodome.

Ève cria bien un peu, mais le trouva bon. »

Ainsi donc elle avait tâté du gland par tous les bouts, humé par toutes les bouches la liqueur divine qui en sort.

Comme cette histoire est difficile à raconter aux enfants, on leur dit que ce gland était une pomme.

C’était bien un gland.

Ma duchesse m’écoutait en riant.

— Voilà une amusante fantaisie, me dit-elle. Maintenant passons aux bonnes histoires. Je veux jusqu’à demain jouir par les oreilles.

Elle me fit asseoir auprès d’elle ; j’avais les deux mains sous ses jupes. La duchesse tenait entre ses doigts roses le