Les Travaux publics de la ville de Londres

La bibliothèque libre.
Revue des Deux Mondes tome 52, 1882
Arthur Raffalovich

Les travaux publics de la ville de Londres


LES
TRAVAUX PUBLICS
DE
LA VILLE DE LONDRES

I. Rapports du Metropolitan Board of works. — II. Municipal London, par M. Firth. — III. Local Government and Taxation in the United Kingdom (publication du Cobden Club).

Au nombre des promesses que renferme le programme des libéraux anglais figure la réforme du gouvernement municipal de Londres. Il n’y a pas la moindre chance, croyons-nous, que le parlement ait à discuter un projet de loi réorganisant l’administration de la capitale pendant la session actuelle : les affaires d’Irlande et les Irlandais absorberont le temps que la besogne législative courante laissera libre. Une commission parlementaire siège en ce moment afin d’examiner une fois de plus la question et de se prononcer sur le Government of London Bill.

Les membres du cabinet ont pris des engagemens ; l’an dernier, M. Gladstone exprimait à Guildhall, au centre même de la cité, l’espoir qu’on verrait une application plus efficace et plus large du principe du self government municipal à la métropole. Sir William Harcourt et M. Bright ont proclamé l’urgence d’une réforme qui est exigée par les radicaux et par les politiciens de profession, mais qui n’est nullement réclamée par la majorité des intéressés, les habitans de Londres ; la vaste population sur laquelle on veut expérimenter ne se plaint pas du régime sous lequel elle vit, et elle ne suggère pas de remède à des maux dont elle n’a pour ainsi dire pas conscience. L’agitation est artificielle : lorsque vous prenez en main les rapports de la Ligue pour la réforme municipale de Londres, vous arrivez vite à la conviction que vous avez devant vous un petit groupe de réformateurs obstinés, qui veulent façonner l’administration de la capitale sur le modèle des grandes villes de province sans tenir compte de différences fondamentales. Ces radicaux ont sous les yeux l’exemple de Birmingham, où leurs coreligionnaires politiques exercent une sorte de monopole ; ils espèrent infuser un esprit semblable à la capitale et contrecarrer l’influence conservatrice des clubs et des salons du West-End. Ils voudraient mettre la main sur l’ensemble des départemens qui constituent l’administration de Londres et qui sont détachés aujourd’hui les uns des autres, comme la voirie, les écoles, les hôpitaux, ou bien qui dépendent de l’état, comme la police, ou de compagnies particulières, comme le gaz et l’eau.

« Une plus grande confusion de gouvernement n’a jamais existé en temps de paix dans aucune grande ville du monde, » disait en 1881 M. Bright à la chambre des communes[1]. Ce jugement a un. fond de vérité : l’administration de Londres est un enchevêtrement de juridictions indépendantes. La capitale n’est pas soumise à une autorité municipale unique, — ce qui est l’idéal des radicaux, — mais à un grand nombre d’autorités dont aucune n’est élue directement par les contribuables. Ces juridictions se croisent si bien que, si l’on traçait une carte de Londres et que l’on coloriât les divers districts des diverses autorités, on trouverait plus de trois cents subdivisions. Considérez seulement ce qu’on est convenu d’appeler les fonctions municipales, et vous les trouverez réparties entre le School Board of London, qui a le contrôle de l’éducation, — le Local Government Board, qui applique la loi des pauvres, — le ministre de l’intérieur, de qui dépend la police, — les Conservancy Boards, qui ont soin des rivières. A côté de ces pouvoirs isolés, il y a la juridiction spéciale du Bureau des travaux publics, qui embrasse les grands égouts, les ponts, la voirie, les parcs, etc. ; celle-ci s’étend à toute la capitale, à l’exception d’une portion excessivement restreinte, la cité, qui a conservé ses richesses et ses privilèges, qui se complaît dans son isolement et qui redoute toute ingérence dans ses affaires. Le lord-maire de la cité passe pour le représentant officiel de la capitale ; il n’en représente en réalité qu’une très petite fraction ; le véritable maire de Londres est un personnage moins connu à l’étranger, qui n’a ni robe de parade, ni voiture de gala, ni état-major pompeux ; nous voulons parler du président du Metropolitan Board of works.

Londres souffre d’une décentralisation excessive, d’un éparpillement des services municipaux. La façon dont le gouvernement y est organisé rappelle une mosaïque. Les frais en sont augmentés ; en centralisant les services, en les rattachant les uns aux autres, on économiserait quelques centaines de mille livres par an, on simplifierait le mécanisme, mais on s’exposerait à d’autres inconvéniens, notamment à celui de créer une institution trop puissante et qui, à un moment donné, pourrait devenir dangereuse.

Au point de vue théorique, il existe en Angleterre des anomalies plus flagrantes ; que cette distribution défectueuse du self governing power, dans la capitale, quand ce ne serait que le pouvoir arbitraire de magistrats non électifs dans les districts ruraux. En pratique, il reste à prouver que Londres soit plus mal gouverné par la corporation de la cité, le Metropolitan Board of works et les vestries, que ne le sont les villes et les bourgs par leur councils.

Les réformateurs demandent que l’œuvre de réorganisation soit entreprise sur-le-champ. La seule solution qui leur donnerait satisfaction serait la constitution d’une municipalité unique, directement élue, qui concentrerait dans ses mains le contrôle de toutes les matières municipales. Ils ne veulent plus de bourgs confédérés, pourvus chacun d’une administration locale et nommant un conseil suprême : c’était la combinaison proposée par Stuart Mill. Elle n’est plus assez radicale ; c’est toutefois celle qui a le don de plaire aux magnats de la cité, parce que de la sorte leurs privilégies pourraient rester intacts ; la cité serait le premier des nouveaux bourgs.

La cité dispose d’une grande influence ; elle a réussi à déjouer tous les desseins hostiles. Les radicaux s’en rendent compte, et afin de se concilier les sympathies de cette corporation puissante, ils veulent étendre son organisation à toute la capitale, sacrifier le Board of works et créer une constitution sur le modèle de celle de la cité ; Ils espèrent par là diviser leurs adversaires et, en flattant la cité, l’empêcher de faire cause commune avec le Metropolitan Board et les vestries. Il n’est pas sûr qu’ils y parviennent.

La réforme est des plus difficiles. Le gouvernement qui l’entreprendra est certain de se heurter à des obstacles et de se créer des inimitiés. C’est une œuvre utile, mais en l’accomplissant il faut renoncer à l’espoir d’une récompense. Depuis 1863, tous les cabinets se sont abstenus de toucher à cette question, si urgente qu’en ait pu être la solution.

C’est une besogne ingrate. On n’est soutenu que par une minorité bruyante, — la majorité des habitans de Londres est indifférente ou hostile, la province n’a pas d’enthousiasme pour cette réforme, qui doit profiter uniquement à la capitale. Il y a des intérêts puissans que toute tentative effarouche. La cité n’a pas de sympathie pour M. Gladstone, qui menace l’ascendant de la ploutocratie ; elle redoute toute innovation qui pourrait avoir pour résultat de rendre aux citoyens le contrôle de leurs affaires. Les nestries disposent de milliers de petits fonctionnaires qui craindront d’être dépossédés. Les conservateurs de toute catégorie ont une peur instinctive de toute réforme qui éveillerait la vie populaire dans la grande capitale et qui compromettrait l’influence qu’ils prétendent avoir. L’aristocratie, qui possède des rues et des quartiers, aura des inquiétudes : un conseil municipal avec des opinions avancées peut vouloir imposer des charges autrement lourdes que celles qui pèsent aujourd’hui sur la grande propriété foncière métropolitaine. Ils craindront qu’il n’arrive à Londres ce qui se passe à New York, où la taxation municipale, imposée par une majorité qui ne paie pas de taxes, est intolérablement lourde.

D’autre part, on ne peut se figurer jusqu’où va l’apathie des habitans de Londres pour ce qui touche à la vie municipale. Cet état d’esprit se comprend lorsqu’on pense à l’énormité de la population, aux distances. Londres est une expression géographique, ce n’est pas une chose vivante. Pendant huit mois de l’année, le West End est à moitié vide d’habitans ; les grands marchands de la cité et même les plus aisés d’entre les boutiquiers résident à une certaine distance de leurs bureaux ou de leurs magasins. Tout ce monde ne s’intéresse guère aux affaires métropolitaines. Un habitant de Birmingham ou d’Edimbourg qui vient vivre à Londres perd tout sentiment municipal, — les gens nés dans la capitale ne l’ont jamais éprouvé. Londres leur est toujours apparu comme une collection de paroisses, ils ont été déroutés par la quantité de diverses autorités et ils ont peu songé aux avantages personnels qu’une réorganisation du gouvernement municipal pourrait avoir pour eux. Les élections parlementaires se font à Londres au milieu d’une absence d’esprit public, qui est encore bien plus marquée lorsqu’il s’agit de voter pour les vestries. Il n’est guère probable qu’une modification dans la législation existante puisse faire naître ce sentiment civique.

Un conseil municipal, élu directement par une ville aussi immense, représentant près de 4 millions d’habitans, disposant d’un budget de 150 millions de francs, semble une assemblée bien puissante ; il peut vouloir s’arroger des fonctions politiques. Est-ce que Londres réorganisé ne sera pas trop fort pour le bon ordre du pays ? Londres n’est pas, par ses traditions, un état dans l’état comme Paris, il ne ressemble pas non plus à une ville manufacturière, dominée par une classe dangereuse. Londres est trop vaste, formé d’élémens trop divers pour qu’on ait à y redouter des émotions populaires. En tout cas, quelque tapage que fassent les radicaux, il ne saurait être question pour le gouvernement de se dessaisir de la police ; celle-ci forme un corps de 10,000 hommes bien disciplinés qu’on ne mettra pas sous les ordres d’un conseil municipal. Un autre danger, c’est la richesse de la nouvelle municipalité. Que Londres tombe entre les mains d’une commune, comme Paris, cela semble peu probable. On craint plutôt de voir se produire des faits comme ceux qui ont donné un si mauvais renom à New-York. On n’a pas oublié que la corporation démocratique de cette ville a poussé la corruption et la concussion à un degré inouï.

Les radicaux espèrent adoucir l’opposition en proposant de créer un ministère spécial qui aurait pour mission de s’occuper des affaires de la capitale et d’être l’intermédiaire entre le parlement et la municipalité. Des libéraux vont plus loin : ils voudraient armer le ministre de l’intérieur d’un droit de veto et permettre au cabinet de suspendre, par un ordre en conseil, l’exercice des privilèges municipaux de la capitale.

Cette nouvelle tentative qu’on fait pour réformer l’administration de Londres aura-t-elle un meilleur sort que les précédentes ? L’avenir le montrera. En attendant, il nous a paru opportun de décrire en détail l’un des organes les plus importans du Londres actuel, — le Metropolitan Board of works, — dont l’existence est menacée par les radicaux.


I

La dernière proclamation royale, interdisant la construction de nouvelles maisons à Londres, date de 1674. Depuis cette époque, la royauté anglaise n’a plus élevé d’obstacles ni d’objections à l’agrandissement de la capitale. Les Tudors et les Stuarts avaient des motifs de jalousie, d’inquiétude, de crainte que l’histoire justifie. Le nombre des habitans, la grandeur de la ville, relativement aux autres villes du royaume, étaient bien plus considérables alors qu’à présent. De plus, la cité exerçait aux XVIe et XVIIe siècles une influence marquée sur les affaires politiques de l’Angleterre, à peu près la même influence que Paris exerce aujourd’hui en France. Les bourgeois de Londres intervenaient activement, par des émeutes, dans la conduite du gouvernement ; leur hostilité avait déterminé, en partie, la chute de Charles Ier. Il était naturel que son fils s’efforçât de prendre des précautions ; c’était d’autant plus naturel qu’il avait une dette de reconnaissance envers ces mêmes habitans ; fatigués de la tyrannie militaire de Cromwell, ils avaient facilité la restauration et, par là même, ils avaient fait sentir leur force. Toutes ces mesures restrictives n’avaient jamais eu grande efficacité et, dix ans après la dernière ordonnance royale dont nous parlions plus haut, Davenant, dans son Essay on ways and means of supplying the war, combattait déjà l’idée que l’extension de Londres fût un mal. Vouloir arrêter l’essor de la capitale était peine perdue au XVIIIe siècle[2]. L’agrandissement de Londres a été rapide, soudain ; il est l’œuvre des cent cinquante dernières années. Le développement des institutions municipales n’a pas marché parallèlement. Il en est résulté qu’en dehors de la cité de Londres, de Westminster et de Southwark, le reste de l’agglomération de maisons et d’habitans était abandonné à lui-même, sans lois générales, sans organisation.

Londres n’a pas grandi d’une manière systématique. La capitale n’avait pas qu’un seul centre autour duquel elle se développait. En dehors de la cité, qui était le noyau véritable, il y avait Westminster, doté d’une organisation à part, à demi ecclésiastique, qui subsiste encore aujourd’hui d’une façon nominale ; il y avait les villages adjacens, qui se sont étendus, qui se sont donné la main pour former un ensemble.

Dans les temps anciens, la cité, enfermée dans ses murailles, semble avoir été regardée comme la capitale, mais à mesure que la population dépassait ses étroites limites, les districts connus aujourd’hui sous le nom de quartiers extérieurs (outer wards) étaient incorporés à la cité. Lorsque le district de l’autre côté de la rivière, au pied du pont de Londres, se peupla davantage, il fut aussi annexé à la ville mère. La cité, siège du commerce, possédait un gouvernement municipal d’une haute antiquité. Westminster, où se trouvaient les habitations de la royauté et du parlement, était administré en vertu de chartes anciennes. De temps immémorial, la cité, Southwark et Westminster avaient envoyé des représentans à la chambre des communes, mais la ville nouvelle ne comptait pas aux élections.

Les cités de Londres et de Westminster avaient commencé par être séparées l’une de l’autre ; il y avait eu entre elles des terrains vagues, sans maisons ; dans les premières années du XVIIe siècle, elles étaient pleinement réunies l’une à l’autre, en partie, dit-on grâce au grand nombre d’Écossais qui avaient suivi à Londres Jacques Ier et qui s’étaient établis le long du Strand (la rue qui suit le cours de la Tamise de Charing Cross à Temple Bar). Jusqu’en 1680, Sainte James square, Pall Mall, servaient de pâturages. Au début du XVIIIe siècle, Hackney, Nevrington, Marylebone, étaient des villages dans la campagne fort éloignés de la capitale. Marylebone était le plus proche, mais, jusqu’aux premières maisons de Londres, il y avait bien un bon mille de champs. C’était vers l’ouest, là où se trouvaient les demeures des gens riches et de l’aristocratie, que la ville s’étendait. Lord Burlington, sous Charles II, avait construit son grand palais dans Piccadilly, afin de n’avoir pas de maisons au-delà de son habitation et d’être à la limite extrême de la ville. Moins de cinquante ans après, Burlington house était au cœur même du West End, entouré de rues nouvelles de toutes parts. A l’exception de quelques villages épars, au XVIIe siècle, l’espace occupé par les quartiers de Belgravia, de Chelsea, de Kensington, de Saint John’s Wood, était une plaine couverte de champs et de jardins. C’était en quelque sorte une collection de villes qui avaient poussé au hasard, sans plan fondamental, sans unité de dessein, sans cohésion ; elles avaient grandi l’une à côté de l’autre, sur les deux rives de la Tamise, de Battersea jusqu’à Blackwall. Aujourd’hui que Londres forme un tout compact, sans espaces vides intermédiaires, la ville ne cesse de grandir, mais l’augmentation de population se fait d’une façon entièrement périphérique. Au centre, il existe une dizaine de districts qui forment comme un noyau ; — la population y diminue constamment par suite de la substitution des magasins et des bureaux aux logemens d’habitation. Dès que la nuit tombe, les négocians et leurs commis émigrent et retournent au logis. Pour ne parler que de la cité, le nombre des habitans est tombé de 129,000 en 1853, à 74,000 en 1881.

Autour de ce centre qui s’appauvrit, il existe un cercle de districts formant partie de Londres et qui tous voient augmenter leur population d’une manière plus ou moins rapide ; — cette augmentation est d’autant plus grande qu’on s’éloigne davantage du centre. En dehors de ce cercle, séparée de la capitale seulement par une ligne arbitraire, vous trouvez une autre zone dont le développement est encore plus prompt ; — en vingt ans, la population présente une augmentation de 104 pour 100.

Il peut paraître étrange que les habitans de la cité de Londres n’aient pas eu l’ambition d’étendre au fur et à mesure leur corporation à la ville qui naissait autour d’eux. L’autorité de leur administration se bornait à la cité même, aux quartiers extérieurs, à Southwark enfin, qui s’était créé à l’autre bout de London Bridge. En ce qui concernait le gouvernement intérieur, l’administration des affaires locales reposait sur des bases qui assuraient aux habitans une représentation suffisante de leurs intérêts et de leurs besoins. Mais ces avantages étaient restreints à l’étendue étroite qui jouissait de la vieille chante municipale. La cité renonça vite-au désir de réglementer les faubourgs ; elle y fut forcée peut-être par la jalousie de la couronne. Repliée sur elle-même, elle se contenta de maintenir en vigueur ses privilèges concernant les marchés, de prélever les péages sur les routes, d’encaisser les droits sur le charbon, le vin, le blé : c’était taxer le Londres nouveau au profit d’une corporation opulente au sein des laquelle il n’était pas représenté.

La jeune ville, était abandonnée à elle-même. Il n’existait pas d’autorité centrale qui s’occupât de s’administrer. Les districts nouveaux n’avaient pas d’organisation municipale ; pour la plupart, ils étaient sans connexion entre eux ; Le seul lieu commun, c’était une institution qui datait de 1562, — un système de registres de l’état civil connu sous le nom de bills of mortality qui fonctionnait dans une certaine étendue. Les limites de la métropole ne furent jamais déterminées par une loi spéciale ; de temps à autre, un acte du parlement, voté en vue d’un objet particulier, définissait ce qu’il fallait entendre par là. Pendant longtemps, la capitale, dans son acception la plus large, fut identique à celle des bills of mortality. Les secrétaires des paroisses recueillaient la liste des naissances et des enterremens ; le tableau d’ensemble en était publié annuellement. À mesure que la ville s’agrandissait, on englobait les nouvelles paroisses. En dernier lieu, 148 paroisses coopéraient aux bills of mortality. Mais la publication de ces listes était toute volontaire ; quelques paroisses, vers 1823, se dispensèrent d’y prendre part. On avouerai que, comme lien commun, c’était assez peu de chose que cette association des secrétaires des paroisses.

Vers 1832, à l’époque où l’attention se portait avec ardeur du côté des réformes intérieures, un véritable chaos régnait dans l’administration de Londres. Trois cents autorités différentes, sous des noms variés et avec la plus grande diversité de fonctions, prétendaient au droit d’imposer des taxes locales soit en vertu de la coutume, soit en vertu de lois modernes. Plus de 10,000 personnes, en qualité de vestrymen, commissioners, guardians, members of manorial courts, magistrales of quarter sessions, se partageaient le soin de gouverner la ville. Aussi la condition de la plus grande partie de la métropole, sous le rapport des services de voirie et d’hygiène, laissait beaucoup ai désirer. Les rues étaient pas pavées ; elles étaient mal éclairées et mal balayées.

Quelques-unes des paroisses, qui avaient une constitution représentative, étaient administrées bien et économiquement, mais la plupart étaient soumises à des corporations, self elected, irresponsables. Dans quelques districts, des dettes considérables avaient été contractées ; — dans fort peu, les devoirs d’une municipalité intelligente étaient remplis par les vestrymen. Le mode d’élection, la qualification électorale de ceux-ci, variaient d’une paroisse à l’autre. A Hackney, il fallait habiter une maison évaluée à 40 livres sterling (1,000 fr.) par an ; à Bloomsbury, on perdait ses droits si on avait des locataires. A Saint Paul’s Shadwell, le cens électoral n’était que de 10 livres sterling ; à Saint George in the East, il tombait à 24 shillings.

Il y avait une multiplicité étonnante de commissions de pavage et d’éclairage. De Charing-Cross jusqu’à Temple-Bar, sept autorités différentes se partageaient le soin d’entretenir la voirie. Ordinairement il y avait brouille entre elles, et cela n’augmentait pas les facilités du trafic. Parfois la chaussée dépendait d’une commission, le trottoir d’une autre, l’éclairage d’une troisième. Les habitans des paroisses naissantes étaient encore plus malheureux. Lorsqu’un grand domaine était divisé en lots à bâtir, le vendeur influent faisait passer au parlement une loi particulière à laquelle personne ne prenait la peine de faire opposition. Les clauses de cette loi assuraient invariablement l’autonomie complète du nouveau district sans s’inquiéter comment elle affectait les quartiers voisins.

En 1855, dans la paroisse Saint-Pancras, dix-huit commissions distinctes exerçaient une juridiction sur les rues et les maisons. Chacune avait été instituée en vertu d’une loi séparée, les clauses de ces lois n’étaient pas les mêmes. Deux districts, dans le sein de cette paroisse, n’étaient soumis au contrôle d’aucune autorité : ils restaient sans éclairage, les routes étaient défoncées ; dans une autre partie de cette même paroisse, on laissait volontairement tomber en désuétude les pouvoirs conférés par le parlement. Trois fois de suite les habitans s’entendirent afin d’obtenir des chambres un acte général qui s’appliquât à toute la paroisse ; leurs efforts échouèrent ; les droits et les privilèges particuliers l’emportèrent.

En 1817, le Metropolitan general paving Act, connu sous le nom de loi de Michel-Ange Taylor, consolida et systématisa les provisions relatives au pavage et à la voirie contenues dans des lois spéciales. Seulement les effets de cet acte étaient limités aux rues et places publiques de la cité de Londres, de Westminster, du bourg de Southwark, des paroisses de Saint Pancras et de Marylebone.

La réforme parlementaire de 1832 donna des droits politiques aux habitans de Londres qui n’étaient compris ni dans la cité, ni dans Westminster, ni dans Southwark. Cinq bourgs nouveaux furent constitués. C’était un bienfait politique, qui ne changeait rien au chaos dans lequel se débattait l’existence municipale.

En 1835, un grand nombre des villes les plus importantes d’Angleterre furent dotées d’institutions municipales représentatives. Aujourd’hui on trouve de semblables institutions partout dans le royaume, excepté à Londres (en dehors de la cité). La loi établissant ces institutions fut votée à la suite du rapport présenté par les commissaires nommés en 1833. S’ils avaient été en mesure de soumettre leur rapport sur Londres en même temps que leur rapport sur les autres corporations municipales, sans aucun doute Londres aurait été comprise au nombre des villes appelées à profiter de la nouvelle législation.

L’adresse de la chambre des communes, votée au commencement de la session de 1835, faisait ressortir l’utilité de placer les corporations municipales sous un contrôle populaire vigilant ; on ne suggéra pas l’idée que la cité de Londres dût être traitée d’une façon différente ni plus douce que les autres. En 1837, les commissaires finirent par présenter leur rapport sur la corporation de Londres. Leurs vues relativement à la nécessité de réformes immédiates étaient absolues et concluantes. « Nous ne trouvons, disaient-ils aucun argument justifiant la ligne de conduite adoptée à l’égard d’autres villes, qui ne s’appliquerait pas avec autant de force à Londres, à moins que la grandeur du changement ne soit considérée comme transformant une difficulté pratique en une objection de principe. » Ils étaient opposés à l’idée d’établir des municipalités séparées, indépendantes, idée qui a paru à certains réformateurs présenter une solution possible de la difficulté. Dix-huit ans devaient s’écouler avant que l’autorité centrale, dont ils recommandaient l’établissement, fût instituée.

Lorsque le rapport fut soumis à la chambre des communes, une modification s’était produite dans les relations des partis, l’ardeur pour la réforme municipale s’était calmée, et d’autres questions attiraient l’attention des esprits : la mesure séparée que lord John Russell avait annoncée touchant l’administration de Londres ne fut jamais présentée ; l’influence de la cité s’exerça afin de l’empêcher, et s’exerça avec succès. La menace de la défection des représentais de la cité, menace dont un ministère qui n’avait que quelques voix de majorité était obligé de tenir compte, et l’élection de lord John Russell comme l’un des membres pour la cité, retardèrent indéfiniment la réforme du gouvernement de Londres. La manière dont l’influence de la cité fut mise en œuvre provoqua l’indignation de lord Brougham ; il la dénonça en 1843 d’une manière très énergique ; il proposa une adresse à la reine demandant à Sa Majesté de prendre en considération le rapport des commissaires relativement à un projet de loi réformant l’organisation de Londres. Il exprima l’opinion que beaucoup de mois ne s’écouleraient pas avant que la réforme fût aussi appliquée à cet abus gigantesque, la corporation de Londres. Il se trompait. Aucune réforme vraiment sérieuse n’a été introduite dans la constitution de la cité depuis cette époque jusqu’à aujourd’hui.

Des tentatives réitérées ont été faites sans succès. Une commission chargée d’une enquête sur la condition de la corporation de Londres a fait un rapport en 1854 ; elle recommandait une trentaine de réformes dans le gouvernement intérieur de la cité ; on n’a pas fait attention à ces recommandations. Les autorités de la cité ont réussi à repousser tous les assauts parlementaires dirigés contre elle. Elles sont parvenues à entraver l’intention avouée de lord John Russell d’introduire un bill en 1837, à faire échouer le police bill de 1839, à écarter le reform bill de lord Grey en 1856, à se débarrasser de celui de 1858. Elles ont usé de leur influence en 1859, 1863, 1867, 1868, 1869, 1870, 1875.

Ainsi, d’un côté, la cité non réformée, s’abritant derrière ses chartes, vivant pour elle-même, ne demandant que la prolongation du statu quo ; de l’autre, des agglomérations de maisons et d’habitans, sans lien organique, sans autorité supérieure qui s’occupât des questions d’un intérêt général.

La nécessité de réorganiser la police et de substituer des agens disciplinés aux veilleurs de nuit fit faire un premier pas à la question, il y a près de cinquante ans, lorsque sir Robert Peel organisa la police de la métropole. L’horreur que la cité avait de toute ingérence étrangère ne permit pas d’établir une seule police pour toute la capitale ; la police de la cité demeura distincte, au détriment de la sécurité commune. La législation inaugurée par sir Robert Peel en 1829 amena la fixation d’une superficie (area) métropolitaine fort étendue. ; elle embrassait un rayon de 12 milles autour de Charing Cross.

Le gouvernement municipal de Londres est fort incomplet aujourd’hui encore. Ce qui en existe est le résultat de nécessités hygiéniques. La santé publique était compromise par le régime en vigueur, ou d’une question d’égouts est sorti le Metropolitan Board of works.

Pendant quelques années avant 1847, les questions affectant la santé générale avaient absorbé une grande partie de l’attention publique. En 1843, les Poor Law Commissioners nommés pour faire une enquête sur la condition sanitaire des classes ouvrières firent remarquer l’état défectueux des égouts et de l’écoulement des eaux dans la métropole ils attirèrent les regards sur l’insuffisance des lois existantes. Les rapports des commissaires parurent en 1844, ils indiquaient le danger inhérent à un drainage défectueux, le péril résultant d’un manque de propreté et de ventilation, ainsi que du défaut d’eau. La commission chargée d’examiner les moyens d’améliorer la salubrité de la capitale en 1847, recommanda, entre autres choses, que l’application des lois sur les égouts fût confiée à une commission unique pour toute la métropole, au lieu de rester entre les mains d’autorités indépendantes. On n’était plus au temps où un millier de personnes, la plupart nommées ex officio, possédant une juridiction mal définie, s’occupaient de cette branche si importante de l’administration locale ; elles s’en acquittaient fort mal, et pour remédier à leur incapacité, leur nombre avait été considérablement réduit, sans améliorer beaucoup la situation.

En 1848, au mois de septembre, fut voté le Metropolitan Sewers Act, autorisant la reine à instituer une seule commission pour remplacer celles qui existaient auparavant. On lui attribuait le territoire, dans un rayon de 12 milles autour de la cathédrale de Saint-Paul. La durée de la loi était limitée à deux ans. Un acte ultérieur étendit les pouvoirs de la commission des égouts et donna force obligatoire aux règlemens qu’elle élaborait. Elle fut autorisée à emprunter 600,000 livres sterling. Les mesures prises par elle ne furent pas toutes couronnées de succès ; elles amenèrent cependant une amélioration notable. Un des travaux les plus utiles qui marquèrent son activité fut la levée de plans sans lesquels l’établissement d’un système efficace d’égouts eût été impossible et dont profitèrent ses successeurs. Le mode qui avait présidé à l’institution de cette commission avait un défaut : il ne tenait aucun compte du rapport constitutionnel entre la taxation et la représentation ; les contribuables n’avaient pas voix pour élire ceux qui administraient leurs affaires.

Le système de canalisation souterraine présentait ainsi une uniformité relative, puisqu’il était entièrement sous le contrôle de commissaires nommés par la couronne. Il n’en était pas moins dans une condition fort imparfaite. Nombre d’égouts collecteurs, dans les districts suburbains, n’étaient que d’anciens ruisseaux et cours d’eau qui avaient été transformés peu à peu en réceptacles et qui coulaient à ciel ouvert, empestant l’air et infectant la ville. De plus, la Tamise, pendant son parcours à travers la capitale, recevait la décharge de tous les égouts. Le fleuve avait perdu ce caractère de pureté et de limpidité qui faisait l’admiration d’un ambassadeur espagnol deux ou trois siècles auparavant. Il charriait dans ses ondes les immondices de toute la ville, et le résidu des fabriques bâties sur ses rives. La rapidité du courant avait longtemps paru suffire pour entraîner jusqu’à la mer les impuretés déversées dans le fleuve. Il n’en était plus ainsi : chaque année l’empoisonnement de la Tamise allait en croissant. Durant l’été brûlant de 1854, les membres du parlement (on sait que le palais gothique où ils siègent côtoie la Tamise) commencèrent à se sentir sérieusement alarmés ; — leur santé personnelle courait des dangers. Une atmosphère infecte, chargée d’exhalaisons meurtrières, les enveloppait. Coûte que coûte, il fallait purifier la rivière, empêcher que les égouts y aboutissent dans l’intérieur de Londres. Des canaux souterrains qui recueilleraient tout le sewage de la métropole et le porteraient vers la mer, au-dessous de Londres, furent déclarés indispensables. Il s’agissait de constituer une autorité métropolitaine qui exécutât ce programme. Voilà comment est né le Metropolitan Board of works ; il doit son origine à une nécessité hygiénique.

Nous avons fait allusion plus haut au chaos administratif qui régnait à Londres, en dehors de la cité. Londres seul n’avait pas été appelé à profiter des bienfaits de la réforme municipale. Le besoin s’en faisait sentir bien vivement. En juin 1853, une commission royale, composée de M. Labouchère, de sir John Patteson et de M. Cornewall Lewis, fut chargée de faire une enquête sur la corporation de Londres ; elle était munie de pouvoirs aussi étendus que ceux attribués à la commission de 1883. Les commissaires avaient le droit de faire déposer sous la foi du serment, de requérir tous les documens qu’ils désireraient, etc. Leur rapport fut dûment présenté aux deux chambres.

Les commissaires y constatent qu’aucune réforme systématique n’a été entreprise depuis la publication du rapport de la commission de 1833. Celle-ci s’était prononcée en faveur d’une seule autorité municipale pour l’ensemble de Londres ; mais, se bornant à cette suggestion, elle n’indiquait pas comment il fallait procéder. En 1854, on préconisait un autre système. L’importance du changement, l’absence d’intérêts communs entre les extrémités de la capitale, le défaut de connaissances locales, la difficulté d’administrer une si vaste machine, parurent autant d’objections contre une corporation municipale unique. La réforme municipale avait eu les plus heureux effets en Angleterre, les commissaires le reconnaissaient ; ils proposaient de l’appliquer à Londres, mais d’une manière particulière. On ne toucherait pas à la cité, on en détacherait toutefois le bourg de Southwark, on diviserait le reste de la capitale en districts municipaux distincts, identiques comme nombre et étendue avec les bourgs parlementaires. Chaque district aurait son propre conseil local, et au-dessus de ces conseils, on créerait un Metropolitan Board of works, composé d’un nombre limité de membres, députés par le conseil, de chaque bourg municipal, y compris la cité. Ce Metropolitan Board contrôlerait l’exécution des travaux publics d’un intérêt général. Les commissaires recommandaient de remettre au Board la gestion du produit total de la taxe sur les charbons, y compris le droit de 4 deniers que la cité réclamait spécialement comme sa propriété. Ils proposaient en outre de donner à cette autorité centrale le droit de lever une taxe sur la capitale en prévision d’entreprises d’une utilité générale (grands travaux de voirie, ponts, etc.) Leur rapport reçut un assez bon accueil, bien que leurs argumens contre une municipalité unique ne parussent pas convaincre tout le monde ; malheureusement il arrivait à un moment où l’attention des chambres était absorbée par la politique étrangère ; la guerre d’Orient ne permettait guère qu’on s’occupât d’une question de réforme intérieure aussi ingrate et aussi complexe.

Ce ne fut qu’en 1855 que le gouvernement se décida à tenir compte de quelques-unes des recommandations de la commission. Le soin de préparer un projet de réforme et d’en assurer le vote par la chambre des communes fut confié à sir Benjamin Hall, président du General Board of health. Au lieu d’une mesure radicale, sir B. Hall s’arrêta à un compromis : il ne créa pas de nouvelles corporations municipales, il respecta la cité, il s’en tint aux divisions territoriales de la loi des pauvres[3]. On lui reproche d’avoir cédé à des scrupules d’ordre religieux, de n’avoir pas été assez indépendant de l’influence de l’église ; autrement il n’aurait pas conservé le système à demi ecclésiastique de paroisses qui sert de base à l’organisation actuelle des vestries. On sait, en effet, qu’en vertu de la loi de 1855, les 23 plus grandes paroisses de Londres furent dotées d’administrations indépendantes (vestries) ; les autres paroisses et localités furent groupées en districts et administrées par des bureaux de district. Le curé et les marguilliers font partie du vestry. Afin de former le Metropolitan Board of works, sir B. Hall avait recours à une double élection : il en faisait élire les membres par les vestrymen et les district boards, qui devaient représenter les contribuables.

La division territoriale de Londres, maintenue par le président du Board of health, fut amèrement critiquée. Les membres représentant Southwark, Lambeth et Marylebone exprimèrent très haut dans la chambre des communes leur désapprobation : les nouveaux districts n’étaient pas investis de fonctions municipales suffisantes ; un pareil système serait plus coûteux que celui qui aurait consisté à créer une dizaine de bourgs municipaux. L’élection indirecte parut une nouveauté en Angleterre et fut peu goûtée. On a beaucoup discuté le mode d’élection des membres du Metropolitan Board of works ; l’opinion s’établit de plus en plus que l’élection directe par les contribuables serait préférable. La commission parlementaire de 1861 s’est exprimée nettement dans ce-sens ; elle reconnaît la compétence du board, mais elle ajoute qu’une plus grande autorité serait attachée aux délibérations si les membres étaient élus directement. La qualité des membres n’en deviendrait peut-être pas meilleure ; en tout cas, cela leur assurerait une plus grande indépendance d’action.

Le Metropolitan Board est l’émanation directe des vestries. En 1855, on se berçait d’un espoir qui ne s’est jamais réalisé ; on supposait que les vestries deviendraient de véritables assemblées représentatives, où l’on verrait siéger les plus compétens parmi les habitans du quartier. Le Metropolitan Board étant élu par les vestries et les district boards, on croyait qu’il serait composé de l’élite des contribuables, grâce à cette double élection ; mais il n’en est pas ainsi. Les élections des vestrymen se font dans la plus grande obscurité et au milieu de l’indifférence générale. Les habitans des paroisses sont supposés se réunir par quartier dans le dessein de nommer les membres du vestry. Ces réunions se tiennent fréquemment dans les cabarets, excepté là où il y a des vestry halls. Aucun avis n’est donné en dehors de l’affiche placée sur la porte de l’église. Fort peu de gens y assistent ; il y a rarement cinquante contribuables présens sur plusieurs milliers. Une fois, un district populeux distribue trois mille avis : combien d’électeurs se trouvèrent réunis le jour du vote ? Six : à savoir le vestry clerk, un marguillier de la paroisse, un collecteur d’impôts et trois vestrymen. Si un scrutin est demandé, il a lieu le lendemain. Les habitans l’ignorent, l’infime minorité vote. Le public se montre absolument indifférent ; personne pour ainsi dire ne veut perdre son temps à venir voter. Excepté dans deux ou trois districts, il est impossible de déterminer des hommes vraiment capables à poser leur candidature. Personne, en dehors de petits boutiquiers et de cabaretiers, ne considère comme un honneur de siéger dans le vestry et la conséquence naturelle, c’est que l’administration locale de la métropole est tombée entre les mains d’une classe inférieure d’individus, qui, à leur tour, choisissent les membres du conseil chargé des affaires générales de la capitale. Pour tout Londres, il y a environ 2,500 vestrymen, et c’est d’eux que dépend le choix des membres du Metropolitan Board of works. Comme on s’est plu à le dire, le Metropolitan Board est un « vestry vestrifié jusqu’à la puissance n. » -Cela n’empêche pas qu’il a accompli de très grandes choses et rendu d’énormes services à la population de Londres.

En 1355, le parlement a donc voté le Metropolis Local Management Act, divisant la métropole en trente-neuf paroisses et districts, dont les affaires locales sont gérées par des bureaux locaux (vestries ou district boards), élus par les contribuables du district. Le Metropolitan Board était établi comme autorité centrale afin d’exercer sa juridiction sur toutes les matières concernant la capitale dans son ensemble. Il est composé de représentans de la cité de Londres, de toutes les paroisses et (districts de la métropole ; les bureaux locaux nomment chacun un ou deux membres suivant l’étendue et l’importance du district. La corporation de la cité de Londres nomme seule trois membres. Il vaut la peine de remarquer que la corporation est un des élémens constitutifs du Metropolitan Board, et que les intérêts que la cité a en commun avec les autres parties de Londres, intérêts qui doivent être soumis à une administration unique, sont confiés au board ; les affaires locales de la cité restent entre les mains de la corporation.

Depuis la loi de 1855, beaucoup d’autres lois ont été votées par le parlement, conférant des devoirs et des pouvoirs au Metropolitan Board comme à la seule autorité municipale pour l’ensemble de la métropole. A mesure que surgissait la nécessité d’accomplir quelque devoir municipal concernant la totalité de Londres, le board était considéré comme le seul corps auquel l’exécution pût être confiée.

Au début, on ne destinait pas le board à exercer des fonctions municipales, il était créé en vue de certains travaux spéciaux. Avec le temps, lorsque le parlement trouva nécessaire d’assigner certains devoirs à une autorité locale dans la métropole, comme il n’y en avait pas d’autre que le board, c’est à celui-ci qu’ont été confiés les nouveaux services. Il est chargé de besognes étrangement diverses, depuis la protection des jeunes nourrissons jusqu’à la démolition de logemens malsains. Aussi, si l’on ne considérait que le nom sous lequel le board a été constitué, c’est-à-dire Board of works (bureau des travaux), et que les fonctions relativement réduites dont on l’a investi en 1855, il pourrait sembler simplement destiné à exécuter de grands travaux publics, mais si l’on passe en revue les nombreuses lois votées depuis et les fonctions multiples dont on l’a chargé, on voit que l’administration du board s’étend à peu près à tous les départemens de l’administration municipale.

La manière dont le board est élu le rend impuissant à contrôler les vestries ; il n’a pas d’autorité sur ceux qui l’élisent, et la loi ne lui fournit aucun moyen efficace d’obliger les vestries à s’acquitter de leurs devoirs administratifs. Les circonscriptions électorales présentent la plus grande diversité en étendue et en richesse. Si l’on prend la moyenne, on trouve que chacun des 46 membres représente une valeur imposable de 12,500,000 francs et une population de 80,000 habitans. Cependant il y a la plus étonnante inégalité entre l’étendue et la valeur imposable des districts représentés. Par exemple, la valeur imposable de Kensington est de 32 millions de francs, celle de Woolwich de 2 ou 3 millions. La différence est encore plus frappante si l’on compare six grands districts avec six petits. Il y a six membres représentant chacun 1 million de livres, et six qui représentent à peine 200,000 livres chacun.

Voici la composition du Metropolitan Board : le common council de la cité élit 3 membres ; chacune des trois grandes paroisses, 2 membres ; chacune des autres, 1 membre. En tout, 45 membres élus pour trois ans. Le renouvellement se fait par la sortie annuelle d’un tiers ; les sortans sont rééligibles. Le président[4] est élu par les membres, il peut être choisi en dehors du board) ce qui porte le nombre des membres à 46, comme c’est le cas aujourd’hui. Depuis la mort de sir John Thwaites en 1870, sir James M’Garel Hogg a été réélu annuellement.

Le Metropolitan Board a été constitué par la loi de 1855 comme corporation avec succession perpétuelle, ayant un sceau spécial et la faculté de posséder des immeubles. Il choisit et contrôle ses propres fonctionnaires, nomme des commissions, tient procès-verbal de ses séances, etc.

Le board se réunit en séance générale une fois par semaine, le vendredi à midi, excepté pendant les vacances. Le nombre de membres présens exigé par la loi pour que les délibérations soient valables est de 9. En 1881, il y a eu 42 séances du board auxquelles ont assisté en moyenne 33 membres. Le public est admis, mais il profite peu de ce privilège, et en dehors des membres du board, il n’y a guère dans la salle que quelques reporters qui prennent des notes. Comme la politique est strictement bannie, les questions discutées dans la salle de Spring Gardens n’ont pas grand intérêt pour la masse. Le board n’a jamais songé à sortir de ses attributions, il n’a jamais voulu dire son mot sur la politique courante, donnant par sa conduite un démenti aux craintes qu’avait exprimées lord Ebrington en 1855. Celui-ci avait attiré l’attention de la chambre des communes sur le danger qu’il y avait à constituer un parlement local qui discuterait des questions politiques au lieu de s’occuper des égouts et qui pourrait avoir l’ambition de devenir une sorte d’imperium in imperio. Ces inquiétudes étaient vaines. On ne saurait dire que le board soit sorti en 1881 de sa réserve habituelle en votant à l’unanimité une résolution exprimant son horreur et son indignation de l’assassinat barbare et cruel de l’empereur de Russie. Une grande partie de la besogne du board se fait par les commissions et sous-commissions ; quelques-unes se réunissent chaque semaine, d’autres tous les quinze jours. Il y a onze commissions permanentes. Deux, — celle des works and general purposes et celle des appeals, — sont formées de l’ensemble des membres ; les autres comptent ordinairement 15 membres. Il y a eu, en 1881, 377 réunions de commissions.

Les membres du board ne sont pas payés ; la plupart d’entre eux sont dans les affaires[5]. Il faut donc rendre hommage à l’assiduité avec laquelle ils s’acquittent de leurs fonctions, surtout quand on se rappelle qu’ils n’ont pas la notoriété pour compensation. Faillite, banqueroute ou intérêt personnel dans un contrat, excepté comme actionnaire d’une compagnie (dans ce cas, le membre actionnaire n’a pas le droit de voter sur le contrat), rendent le siège vacant. Si le membre qui a perdu le droit de voter n’en tient pas compte, il est passible d’une amende de 50 livres sterling pour chaque contravention.

Voici la liste sommaire des attributions du board : maintenir en état les égouts principaux, faire exécuter les travaux afin d’empêcher les matières de couler directement dans la Tamise et afin de les transporter à une certaine distance de la métropole ; construire de grandes artères de circulation, exécuter des travaux d’amélioration, comme les quais sur la Tamise ; surveiller et contrôler la formation de nouvelles rues, les établissemens d’égouts locaux, la construction des maisons, la nomenclature des rues et le numérotage des maisons ; créer et entretenir les parcs, préserver les espaces ouverts, les jardins publics ; protéger la vie et la propriété contre l’incendie ; contrôler la construction des tramways et des ponts de chemins de fer ; surveiller les services du gaz et de l’eau, la vente et l’emmagasinage du pétrole et des autres substances inflammables. Il exerce une juridiction en vertu de l’Infant Life Protection Act de 1872, c’est-à-dire qu’il s’oblige à tenir un registre de toutes les maisons dans lesquelles on reçoit pour les nourrir des enfans de moins d’un an ; en vertu d’une loi de 1875 (Explosives Act), il règle la vente et la fabrication de la poudre et des autres matières explosibles. Il a charge d’empêcher la propagation de maladies contagieuses parmi les animaux dans la capitale. Il a droit de faire des avances remboursables à certaines corporations publiques. Il est à Londres l’autorité locale chargée de veiller à l’exécution de l’antizans dweelings Act de 1875, qui à pour objet de procurer des habitations salubres aux classes ouvrières.


II

Le board tire les fonds nécessaires à ses opérations : 1° par voie d’impôt direct, d’une taxe sur la métropole, connue sous le nom de metropolitan consolidated rate ; 2° par voie d’impôt indirect, d’une portion (9/13) du droit payé sur le charbon importé à Londres et sur le vin amené dans le port de Londres ; cette source de revenu lui a été attribuée pour couvrir les dépenses des quais de la Tamise et de quelques autres grands travaux ; 3° quant au capital requis pour l’exécution des grands travaux, il se le procure par voie d’emprunts en émettant des titres appelés metropolitan consolidated stock. Les vestries et district boards sont les agens pour la perception des taxes municipales ; ils encaissent par l’entremise des over-seers, le metropolitan consolidated rate pour compte -du Board of works.

L’histoire financière du board nous fait assister au développement graduel de l’institution. Le début est modeste, les pouvoirs attribués au conseil des travaux sont restreints. Lorsqu’un plan d’amélioration exige une dépense supérieure à 125,000 fr., le board est tenu d’obtenir la sanction des commissioners of public works and buildings. En 1858, un acte du parlement l’émancipe de cette tutelle.

Dès l’origine, pour couvrir ses dépenses, le board était autorisé à lever une taxe métropolitaine et à contracter des emprunts dont cette taxe assurerait le paiement des intérêts et l’amortissement. Il déterminait annuellement la somme dont il avait besoin et il la répartissait entre les paroisses et districts, en ayant égard, d’une part, au revenu net annuel des biens imposables de chacun de ces ressorts, et, en ce qui touche les dépenses du drainage, à l’avantage qui devait résulter des travaux pour chaque fraction de la métropole. Comme base de la répartition, il devait prendre le revenu qui sert d’assiette à la taxe de comté.

En 1858, le parlement décida la construction du main drainage (égouts principaux). Le board fut autorisé à emprunter 75 millions de francs sous la garantie de l’état. Afin de se créer les ressources nécessaires au service des intérêts et de l’amortissement, il devait lever pendant quarante ans une taxe spéciale de 4 pence par livre de revenu, sur les biens de la métropole, le revenu étant évalué d’après les bases de la taxe de comté. Le produit de la taxe, et les autres recettes opérées pour le même objet devaient être versés à la Banque d’Angleterre, où un compte spécial était ouvert.

En 1869, la loi connue sous le nom de Metropolitan Board, of works loans act modifia profondément les pouvoirs financiers du board, elle les étendit et en facilita l’exercice. A l’avenir, le conseil des travaux était requis de lever une taxe unique, metropolitan consolidated rate, au lieu et place de celles qu’il percevait jusque-là[6].

Le board émet des mandats revêtus de son grand sceau (precepts) sur la cité de Londres, les vestries et les districts boards pour obtenir le paiement du contingent imposé par lui à chaque arrondissement. Il n’a pas à s’occuper de la rentrée de la taxe ; cette besogne est dévolue aux autorités locales. Celles-ci sont requises de verser par moitié, le 1er juillet et le 1er décembre, le montant demandât à la London and Westminster Bank, qui sert de trésorier au board.

En 1882, le revenu annuel de la propriété imposable dans la métropole est évalué à 684,650,000 francs. La taxe métropolitaine sera levée à raison de 6 1/4 pence par livre sterling ; on estime le rendement à 17,870,000 francs. En 1875, le revenu annuel de la propriété imposable n’était que de 577 millions ; c’est donc une augmentation de plus de 100 millions de francs. En 1856, il ne dépassait pas 282 millions. Grâce à cette augmentation progressive, la taxe annuelle levée par le bureau des travaux ne s’élèvera pas au-dessus de 6 pence et une fraction par livre sterling jusqu’en 188S, date à laquelle expire son privilège d’encaisser une partie des droits sur le charbon et le vin.

Nous avons dit que la seconde branche de revenus du board était une portion, du droit levé sur les charbon et le vin par la cité de Londres, L’histoire de cet impôt est assez intéressante. Le lord-maire et les aldermen de la cité étaient par droit coutumier gardiens et tuteurs des orphelins et administrateurs des biens-laissés par les freemen morts. Ils avaient aussi l’habitude de recevoir de l’argent en dépôt, sur lequel ils bonifiaient 4 pour 100 d’intérêt. Sous le règne de Charles II, la cité de Londres, avait placé ces capitaux, plus de 700,000 livres, en titres de la trésorerie royale. Par la fermeture de l’Échiquier, ces titres perdirent toute valeur, et ce ne fut qu’en 1694 que le dommage occasionné par la banqueroute de Charles II fut réparé. La corporation de Londres présenta une pétition au parlement exposant que, par suite de circonstances adverses, elle était hors d’état de payer les sommes dues aux orphelins de la cité[7]. Les comptes de la cité ayant montré aux chambres qu’elle était insolvable, une loi convertit la dette en une annuité perpétuelle à 4 pour 100 ; elle établissait un fonds des orphelins et affectait divers revenus au paiement des intérêts, entre autres le produit d’un droit perpétuel de 4 shillings par tonne sur le vin importé dans la cité, d’un droit perpétuel de 4 deniers par tonne sur le charbon importé et d’un droit temporaire (cinquante ans) de 6 deniers sur le charbon.

En 1748, le droit de lever ces 6 deniers étant expiré, le parlement le prolongea pour trente-cinq nouvelles années ; en 1767, il le continua pour quarante-six années, ordonnant que le produit en serait employé à construire Blackfriars-Bridge, rebâtir Newgate, réparer la Bourse et améliorer les rives de la Tamise. En 1804, nouvelle prolongation pour six ans. En 1807, un penny supplémentaire fut ajouté à la taxe, afin de couvrir les frais d’établissement d’un marché aux charbons. En 1829, le fonds fut converti en un nouveau fonds nommé London Bridge Approach Fund et grevé d’une somme de 25,000,000 francs en vue de travaux destinés à faciliter l’accès du pont de Londres. Le fonds était prolongé jusqu’en 1852. En 1831, le droit de 6 et 4 deniers fut réduit à 8 deniers, qui devaient être payés au gouvernement en vue d’améliorations dans la métropole. En outre, la cité prélevait un droit de mesurage de 4 pence par tonne de charbon ; elle s’était substituée, en 1875, aux mesureurs assermentés et encaissait le droit à leur place. En 1834, cent quarante ans après la création du fonds des orphelins, la dette de la cité était liquidée, mais l’impôt trop précieux pour être aboli.

Avec le denier imposé pour l’établissement du marché aux charbons, cela faisait 13 deniers (1 shilling 1 denier) que la tonne de charbon, coke ou fraisil, importée par terre ou par mer dans un rayon de 20 milles (24 kilomètres) du Post-Office de Londres devait acquitter. Sur ces 13 pence, 4 étaient la propriété imprescriptible de la cité, qui avait, en outre, le privilège de percevoir l’impôt. Au moment de la création du Metropolitan Board of works, le droit sur le charbon (9 pence sur 13) devait expirer en 1858. Lorsqu’il s’agit de fournir au board les ressources nécessaires à la construction des quais de la Tamise, il était tout naturel qu’on mît la main sur la partie des droits sur le charbon qui n’était pas la propriété perpétuelle de la cité. En 1861, un acte du parlement, connu sous le nom de Coal and wine duties continuance Act 1861 maintient pour dix ans les droits sur le charbon et le vin, levés par la corporation de Londres. Le produit du droit sur le vin et 9 des 13 pence du droit sur le charbon doivent être versés à la Banque d’Angleterre en un compte spécial au nom des lords de la trésorerie, sous le nom de Thames Embankment and Metropolis Improvement Fund, pour être employé à des travaux d’utilité publique. Les 4 deniers appartenant à la corporation doivent être consacrés à des améliorations locales. En 1863 et en 1868, de nouvelles lois sont venues prolonger les droits. L’Act de 1868 en autorise la levée jusqu’au 5 juillet 1889. Le dernier exercice (celui de 1889), reçoit une destination spéciale, il sera affecté au rachat des péages sur certains ponts de la Tamise et de la rivière Lee, hors de la métropole, mais dans les limites de l’étendue soumise aux droits.

Afin de couvrir les dépenses du Thames Embankment, le board était autorisé à emprunter en hypothéquant le produit du droit sur le vin et sa part de celui sur le charbon. L’état accordait en outre sa garantie. Avant 1869, le produit total des sommes versées par la cité[8] à la Banque d’Angleterre, au crédit du Thames Embankment Fund était employé par la Trésorerie à payer les intérêts et à amortir le capital. En 1869, le board opéra une conversion de cette dette en Consolidated stock, excepté la somme de 23,200,000 francs. Les droits sur le charbon et le vin donnent une somme supérieure à celle qu’exige le service de ce reste de dette ; aussi, depuis 1869, le gouvernement paie-t-il la différence au board of works.

En 1881, le board à reçu de la Trésorerie la somme de 4,539,025 fr. sur le produit des coal and wine duties, tandis que 2,600,000 fr. étaient affectés par le gouvernement à couvrir le service des emprunts qu’il avait garantis. Cette source de revenus a donc valu au board plus de 7 millions. En 1870, elle ne donnait que 5 1/2 millions.

Si le revenu que le bureau des travaux trouve dans les droits sur le charbon et le vin venait à être supprimé, cette suppression exigerait l’addition de 3 pence au moins à la taxe métropolitaine.

Ces deux chapitres, — droit sur le vin et le charbon, taxe consolidée, — ne représentent pas les seules recettes du board. En 1881, il a reçu 3,690,000 francs de diverses autorités locales auxquelles il avait avancé de l’argent pour l’execution de travaux publics. L’intérêt sur les sommes se trouvant chez les banquiers du board a produit 575,000 francs. Le gouvernement contribue pour 250,000 francs aux dépenses de la brigade de pompiers ; les compagnies d’assurance ont versé 550,000 francs, c’est-à-dire 35 livres sterling par million de livres assuré. De la location des terrains et immeubles lui appartenant, le bureau des travaux a retiré plus de 2 millions et demi. En vertu d’acts du parlement, il touche près de 250,000 francs comme honoraires de services rendus (essayage de gaz, patentes pour la vente du pétrole).

En 1881, les recettes ordinaires (annual income) ont été de 31 millions et demi ; à ces recettes ordinaires viennent se joindre des ressources extraordinaires, emprunts, remboursemens de prêts faits par le board, si bien qu’on arrive à un budget total de 104,800,000 fr.

Les dépenses du board comprennent tout d’abord le service des intérêts sur les emprunts : 18,100,000 francs (le metropolitan consolidated stock absorbe 15,800,000 francs) ; l’entretien des égouts, 1,620,000 francs ; des quais* 350,000 francs ; la brigade de pompiers, 2,600,000 francs ; les ponts, 260,000 francs ; les frais de bureau, honoraires, appointemens, 1,100,000 francs. Ces dépenses annuelles font un total de 24,956,250 francs. Les dépenses extraordinaires venant s’y joindre, nous arrivons à un chiffre. de 4 millions de livres sterling (100 millions de francs).

Avant de parler de la dette du board, il nous faut dire qu’il sert de banquier à certaines autorités locales. Divers actes du parlement, votés depuis 1869, autorisent le board, avec le consentement du gouvernement, à prêter aux vestries et district boards, ainsi qu’à certaines autres institutions représentatives de la capitale, l’argent nécessaire pour des travaux d’un caractère permanent (construction d’immeubles, travaux d’égout, achats de terrains). Le board se procure les sommes requises en émettant du metropolitan consolidated stock, qui rapporte 3 et demi et 3 pour 100. Le taux qu’il se fait payer par les emprunteurs est un peu plus élevé ; la différence est destinée à couvrir les frais d’administration.

Les institutions auxquelles il est autorisé à faire des avances sont les directeurs des asiles métropolitains, le bureau des écoles de Londres, les vestries, les boards of guardians, bref, les autorités locales qui ont le privilège de lever des taxes et de contracter des emprunts. En 1881, le board a consenti à avancer 19,300,000 fr.

Le remboursement se fait, dans un délai plus ou moins long, variant de 7 à 50 ans- ; c’est là un véritable bienfait pour les autorités locales d’une importance secondaire. Le crédit du Metropolitan Board est coté très haut et, par son intermédiaire, les vestries, etc. obtiennent de l’argent à un taux bien autrement avantageux que celui auquel ils pourraient emprunter. Au 31 décembre 1881, le chiffre des prêts faits par le board s’élevait à 114,500,000 francs sur lesquels il lui a été remboursé 18 millions 950,000 francs environ. En 1881, ces remboursemens ont atteint le chiffre de 3 millions. Le 31 décembre, il était créancier de 99,700,000 francs.

Le board contribue aux dépenses exigées par des améliorations locales lorsque ces améliorations lui paraissent d’une utilité générale assez grande pour mériter son concours. Il fournit ordinairement la moitié de la dépense. Les vestries peuvent contracter des emprunts en donnant le produit de leurs taxes comme gage, mais il faut l’approbation du board. Depuis sa création, il a contribué pour près de 20 millions de francs aux améliorations exécutées par des autorités locales ; de cette somme environ la moitié a été votée par le board en faveur de la cité de Londres.

Le board a eu recours à des emprunts afin de se procurer le capital nécessaire à l’exécution des grands travaux d’amélioration. Les premiers emprunts, avant la loi de 1809, qui a créé un type unique de dette, ont été faits pour rembourser l’ancienne dette des commissaires des égouts. Ils ont été réalisés avec la garantie du gouvernement dans des conditions spéciales.

Au 31 décembre 1881, la dette du board s’élevait à 505,925,000fr., dont 470,500,000 francs de metropolitan consolidated stock.

Le board possède un actif composé des sommes qu’on lui doit (3,982,027 liv. sterl.) et de propriétés immobilières (2,808,715 liv. sterl. ) ; ensemble près de 170 millions de francs. Déduisant cet actif du chiffre de la dette du board, on voit qu’au 31 décembre 1881, les obligations de celui-ci s’élevaient à plus de 335 millions de francs.

La loi de 1869, en créant le metropolitan Consolidated stock 3 1/2 pour 100, en imposait l’amortissement en soixante années. Celles-ci comptent à partir de la date de la loi et non pas à partir du jour d’émission des emprunts successifs. Les comptes de ce fonds métropolitain sont tenus par la Banque d’Angleterre et administrés par elle absolument dans les mêmes conditions que la dette de l’état. Les frais d’administration ont été de 144,600 francs. Le metropolitan stock jouit des mêmes privilèges que les consolidés anglais. Au mois de mai 1880 a eu lieu la neuvième émission. Le chiffre de dette créé a été de 43,750,000 francs, pour lequel le board a reçu 44,682,000 francs. Le mode d’émission employé est par adjudication. Le prix minimum auquel les demandes pouvaient être acceptées était le pair. Le public a porté des demandes pour cinq fois le montant au taux de 102 liv. 2 sh. 7 d. La première émission de ce 3 1/2 pour 100 s’était faite en 1869 au cours de 94 3/4 ; depuis lors, le crédit du board s’est si bien établi que le pair a été dépassé dès 1876.

Le board est obligé chaque année de venir demander au parlement de sanctionner par un vote le chiffre des sommes qu’il compte emprunter. Au commencement de 1881 (mars), le Metropolitan Board profita de la situation du marché monétaire pour créer une nouvelle forme de titres de dette, notamment du 3 pour 100. Avec l’autorisation de la trésorerie, il résolut d’emprunter les 61,250,000 francs, dont il avait besoin en 1881, en émettant des obligations rapportant 3 pour 100 et amortissables en soixante ans (1941). L’émission eut lieu le 11 mars dans les bureaux de la Banque d’Angleterre par soumission (tenders) ; le prix minimum que le board avait fixé était 90. Le crédit dont il jouit sur le marché amena des demandes pour 257,000,000 de francs ; le prix moyen auquel les obligations furent cédées aux souscripteurs a été 94 liv. 19 sh. 4 d., le prix le plus bas 94 liv. 17 sh. A l’époque de l’émission, le 3 1/2 pour 100 metropolitan Consolidated stock était coté 105. Le 3 pour 100 nouveau est, depuis l’émission, arrivé aux environs du pair.


III

Le board n’existe que depuis vingt-cinq ans, et quelques reproches qu’on puisse lui adresser, on ne saurait méconnaître sans injustice les grands services qu’il a rendus. Il a fait beaucoup pour l’assainissement et même pour l’embellissement de Londres. Il a transformé certains quartiers de la métropole ; là où il avait pleine liberté d’action, il a exécuté des travaux qui ont un caractère de véritable grandeur et qui resteront comme marque de son activité bienfaisante, entre autres la canalisation souterraine, qui emporte au loin les eaux et les impuretés de Londres, et les quais qui garnissent la Tamise. La charte de la cité a été octroyée au lendemain de la conquête de l’Angleterre par les Normands ; l’Act du parlement instituant le Metropolitan Board of works a été voté en 1855. En huit cents ans, la cité a moins fait que son jeune rival en vingt-cinq ans pour la santé et la beauté de Londres.

Le board a dépensé jusqu’au 1er janvier 1881 137 millions de francs afin d’établir des égouts qui empêchent le sewage de tomber dans la Tamise près de la capitale et qui le conduisent à plusieurs milles au-dessous de la ville, pour que le courant l’entraîne facilement vers la mer. C’est ce que l’on connaît sous le nom de main drainage system. Ce système de canalisation souterraine porte au loin le sewage de 4 millions d’habitans, répartis sur un espace de 32,000 hectares.

Avant 1815, il était défendu, sous des peines diverses, de décharger le house drainage dans les égouts, qui ne servaient qu’à l’écoulement des eaux. Les vidanges étaient soigneusement amoncelées dans des fosses sous les maisons. Le sol devint tellement imprégné de sewage que maladie et mort s’ensuivirent. En 1847, la commission métropolitaine des égouts ordonna la destruction des fosses (en six ans, 30,000 furent détruites) et imposa l’obligation de drainer les maisons dans les égouts[9]. Les égouts, qui n’avaient reçu jusque-là que les eaux pluviales, durent charrier les impuretés qui y étaient précipitées des maisons. Ils les amenaient dans les ruisseaux et cours d’eau qui aboutissaient à la Tamise dans Londres. En 1849, la Tamise était remplie de sewage ; à chaque marée haute, les eaux infectes étaient refoulées dans leur réseau irrégulier ; à chaque marée basse, elles venaient se déverser dans le fleuve en formant une vase immonde. Personne ne s’approchait volontiers des bords de la Tamise ; on avait même agité la question de transporter loin de la rivière le palais du parlement. Comme plusieurs compagnies des eaux puisaient leur eau dans la Tamise, la presse commença une campagne en faveur de l’assainissement du fleuve. Les épidémies qui sévirent en 1831-1832, 1848-49, 1853-54, et dont la dernière avait emporté 20,000 personnes, devinrent d’impérieux argumens. Nous avons expliqué comment le Metropolitan Board of works fut institué pour remédier à cet état de choses. Le Metropolitan Board s’arrêta à un plan qui détournait de la Tamise le sewage. Sur chaque rive du fleuve, trois grands collecteurs ramassent les eaux d’égout ; ils les transportent à une distance de 23 kilomètres de London Bridge. Dans ce système, la plus grande partie du sewage s’écoule par l’effet de la pesanteur ; mais lorsque la pente fait défaut, de puissantes machines à vapeur l’aspirent à une élévation suffisante pour qu’il puisse se décharger à Barking-Creek ou à Crossness au moment de la marée haute.

On se fera une idée de l’importance de cette canalisation souterraine par la longueur des égouts principaux (main intercepting sewers) ; elle est de 80 milles.

En outre, le board a reconstruit, approfondi et couvert beaucoup de lignes d’égouts qui auparavant étaient des cours d’eau coulant à ciel ouvert. La longueur de celles-ci est de 165 milles. Plus de 12 millions de francs, ont été dépensé à ces travaux d’amélioration. Le board a également examiné les plans et approuvé la construction de près de 950 milles d’égouts locaux. Il a pris ses précautions pour que le niveau de ces égouts secondaires soit, en harmonie avec le plan général. Celui-ci a été tracé et exécuté par l’habile ingénieur du board, Bazalgette, qui a joué un rôle actif dans tous les grands travaux de Londres, depuis la création du Metropolitan Board of works.

Lorsqu’on arrive le soir à Londres et que le train passe sur l’un des ponts de chemins de fer, on aperçoit une ligne brillamment éclairée : ce sont les quais de la Tamise, qui sont l’œuvre du board. Il y a peu de quais aussi magnifiques que le Victoria Embankment, et tandis que l’œuvre souterraine du board est cachée aux regards, ou peut admirer les quais qu’il a édifiés le long de la Tamise.

La première idée de former un quai continu sur la rive septentrionale de la rivière semble avoir été conçue par sir Christopher Wren à l’occasion de la reconstruction de la capitale après le grand incendie de 1666. Divers projets ayant le même objet en vue ont été élaborés depuis lors ; on peut citer entre autres ceux, de sir Fred. French et du peintre Martin.

Plusieurs commissions parlementaires s’étaient occupées de la question. Le seul ouvrage de quelque importance accompli dans cet ordre d’idées, avant que le board prît la chose en main, avait été la construction d’un quai, d’un mille de longueur environ, s’étendant de Vauxhall Bridge à l’extrémité de l’hôpital de Chelsea. Ce quai, n’avait aucune prétention architecturale.

Ce sont les nécessités de la canalisation souterraine qui ont hâté l’établissement des quais. Une commission parlementaire le recommandait comme devant améliorer le lit de la Tamise, faciliter la construction de l’égout collecteur le long de la rivière, en même temps qu’une chaussée sur le quai dégageait les rues où le trafic était devenu trop considérable. Celles qui étaient le plus encombrées étaient parallèles à la rivière. La création d’une route, large de 30 mènes, de Blackfriars jusqu’à Westminster, est venue en aide au Strand et à Fleet-street.

Le premier quai construit par le board a été le Victoria Embankment. Il a 2 kilomètres de long. Les travaux, commencés en février 1864, furent achevés en six années. L’inauguration en a été faite par la reine "Victoria le 13 juillet 1870. Quinze hectares de terrain ont été gagnés sur la rivière, une partie en a été employée à l’établissement d’une chaussée de 30 mètres de large, le reste, a été dessiné en jardins. Dans l’intérieur du quai, sous le trottoir du côté de la Tamise, passe le grand égout collecteur connu sous le nom de low level intercepting sewer. Le Victoria Embankment a été utilisé pour faire passer une portion du chemin de fer souterrain. Les dépenses pour la construction du quai se sont élevées à 36,390,000 francs ; par la vente de terrains on a regagné 5,920,000 francs.

L’Albert Embankment, d’une longueur de 1,300 mètres, a été commencé en 1865 et ouvert en 1868. Il a coûté 28,000,000 francs, les ventes de terrain ont rapporté 3,250,000 francs.

Le Chelsea Embankment, inauguré le 9 mai 1874, est le troisième quai construit par le Metropalitan Board of works. Il est né de la nécessité de trouver une place pour la canalisation souterraine du niveau inférieur (low level), après qu’on eut abandonné l’idée de décharger le drainage de Fulham dans la rivière près de Cremorne. Il a une longueur de 1,287 mètres. La construction en a coûté 8 millions de francs. Ces quais, qui forment un splendide boulevard, ont rectifié le cours de la rivière et purifié l’air des émanations des bancs de boue, que la marée descendante laissait à découvert. Ils sont en outre d’un avantage incomparable pour la rapidité des communications dans l’intérieur de la capitale. Les 112 millions de francs qu’ils ont coûtés ont été dépensés avec profit.

Une commission parlementaire a tracé en 1855 à grands traits le programme des améliorations qui devaient faciliter la circulation des piétons et des voitures. Elle a formulé certaines règles qui ont guidé le board et le parlement dans la série des travaux qui ont embelli et assaini la capitale.

En 1880, le board a achevé le rachat des droits de péage sur les ponts de la Tamise dans l’intérieur de la capitale. Il avait été chargé de cette opération en vertu d’une loi votée en 1877 (Metropolitan Toll Bridges Act). Les ponts étaient classés en trois catégories. Dans la première étaient compris Waterloo Bridge, et la partie du pont de Charing Cross, réservée aux piétons (1878). Dans la seconde division se trouvaient Lambeth Bridge, Vauxhall Bridge, Chelsea Bridge, Albert Suspension Bridge, Battersea Bridge (1879).

En 1880, le board Tacheta Wandsworth Bridge, Putney Bridge, Hammersmith Bridge et Deptford Creek Bridge. Le rachat a coûté près de 37 millions de francs.

A peine entré en possession, le board a dû songer à mettre les ponts en état de supporter l’accroissement de trafic qui allait suivre l’abolition du péage. Deux ponts, ceux de Battersea et de Putney, doivent être reconstruits à grands frais.

En dehors des quais et des ponts, il est encore chargé, en vertu d’une loi votée en 1879 (Thames river prévention of floods Act) de protéger les bords de la Tamise contre les débordemens du fleuve lorsque les marées sont extraordinairement hautes. Le parlement l’a investi du pouvoir nécessaire pour forcer les riverains à faire les travaux indispensables et le board a préparé des plans pour une étendue de 66 kilomètres.

La juridiction du board ne s’étend pas autrement sur la Tamise ; il doit veiller toutefois à maintenir le cours du fleuve libre de toutes les obstructions qui pourraient résulter de l’écoulement des égouts et qui gêneraient la navigation. Des bancs s’étant formés au-dessous de Barking, les conservateurs de la Tamise, à qui est confiée la protection de la navigation, s’adressèrent au board pour qu’il fit enlever ces bancs, dont l’origine était due, suivant eux, aux matières charriées par les égouts. Le Metropolitan Board étant d’un avis contraire, le litige fut porté devant trois arbitres dont la décision fut en faveur du board. L’état de la rivière, depuis la construction des égouts, s’était certainement amélioré et la navigation devenue plus facile.

Le Metropolitan Board of works a dépensé 167 millions à améliorer le système des rues et voies de communication dans la capitale (metropolitan street improvements). Le parlement lui a confié le soin de percer des rues nouvelles comme Garrick street, Southwark street, Queen Victoria street, Northumberland Avenue, etc., ou bien d’élargir les voies existantes, comme Kensington High-street. Ces travaux profitant à la ville tout entière, il fut décidé en principe que chaque quartier de la capitale y contribuerait pour sa quote-part. L’une des plus grandioses améliorations a été sans contredit Queen-Victoria-street ; c’est la continuation du Victoria Embankment et elle réunit le centre de la vie politique, le palais du parlement, et le cœur de la cité commerçante, Mansion-House. Depuis Blackfriars-Bridge, Queen-Victoria-street a près de 1 kilomètre de long ; quiconque pénètre de ce côté dans la cité aura été frappé de la largeur de la rue et du caractère imposant des maisons. Le percement de cette voie entraînait la démolition de nombre d’immeubles, — l’expropriation en a coûté près de 50 millions de francs, — mais par la vente des terrains expropriés une partie de la dépense a pu être couverte. Les fonds nécessaires à l’exécution ont été fournis par des emprunts garantis par le revenu des taxes sur le vin et le charbon. Queen-Victoria-street est presque une rue modèle ; elle a été utilisée afin de recouvrir tout un réseau de voies souterraines. Immédiatement au-dessous du sol, il y a les subways pour le gaz et les conduits d’eau, puis viennent les égouts, plus bas le tunnel du chemin de fer souterrain, enfin le grand égout collecteur du système inférieur. C’est un enchevêtrement de colonnes, de conduits qui commence à 0m,45 de la surface et va jusqu’à 9 mètres sous terre. Le board a tout un programme tracé de rues nouvelles, seulement une difficulté l’arrête. La 33e section de la loi de 1877, Metropolitan street improvement, interdit au board de prendre possession, sans le consentement d’un secrétaire d’état, de 15 maisons occupées par des personnes appartenant à la classe ouvrière, jusqu’à ce qu’il ait été prouvé au susdit ministre que l’on a pourvu ailleurs au logement de ces personnes. Cette interdiction forme une barrière insurmontable à l’établissement de toute rue autorisée par la loi de 1877 lorsqu’il faut abattre des maisons habitées par des ouvriers, le board n’étant pas en mesure de fournir des logemens ailleurs. Il a essayé d’obtenir des facilités du ministre de l’intérieur, celui-ci a répondu qu’il appréciait les difficultés contre lesquelles le board avait à lutter, mais qu’il ne pouvait oublier que lui, il était chargé de protéger ceux qui ne peuvent se protéger eux-mêmes et qu’il devait veiller à ce qu’il n’y eût pas de déplacement considérable de personnes de la classe ouvrière, tant que l’on n’avait pas le moyen de les loger ailleurs.

La question des logemens insalubres a occupé l’attention de la législature anglaise à diverses reprises. La nécessité d’y porter remède a trouvé son expression dans la loi connue sous le nom d’Artizans’ dwellings improvement Act. Cette loi, due à sir Richard Cross, a pour objet de combattre les inconvéniens d’une trop grande accumulation d’habitans ainsi que la mauvaise hygiène dans les quartiers pauvres des grandes villes. Pour la ville de Londres, en dehors de la cité, le Metropolitan Board est l’autorité chargée de l’application de l’Artizans dwelling Act. Seulement cette application est lente et coûteuse. Le prix payé pour les immeubles expropriés est trop élevé, la mise en œuvre de la loi entraîne des sacrifices considérables pour les contribuables. La différence entre le prix payé parle board pour les immeubles expropriés et les sommes qu’il a réalisées sur la vente de ces terrains s’élève aujourd’hui à près de 20 millions de francs, si bien qu’il a cessé d’agir dans cette direction. En 1880, la question a été renvoyée à une commission parlementaire.

Dès la première année de son existence, des députations des vestries sont venues demander au board d’augmenter l’étendue des jardins et des parcs publics. Le board a créé deux nouveaux parcs, l’un à l’extrême nord de la capitale, Finsbury Park, et l’autre au sud-ouest, Southwark Park. Il a considérablement augmenté l’étendue de Victoria Park et assuré au public la jouissance durable d’espaces libres dans les limites de la capitale (commons and open spaces). — En dehors de leurs beautés naturelles, beaucoup de ces endroits offrent un intérêt historique. On peut citer Hampstead Heath, Blackheath, Clapham common, Tooting common Shepherds Bush.

Dans les attributions du board se trouve encore le service des pompiers. Depuis l’année 1865, île soin de protéger Londres contre l’incendie lui est dévolu, en vertu d’une loi connue sous le nom de Metropolitan Fire Brigade Act. Auparavant les marguilliers des paroisses comprises dans les bills of mortality étaient obligés, par une loi votée dans la quatorzième année du règne de George III, d’entretenir une pompe à incendie, avec tuyau, échelles, etc. Avant 1832, quelques-unes des compagnies d’assurance contre l’incendie entretenaient à leurs frais des pompes et des pompiers. En 1832, ces corps indépendans furent fusionnés en un seul nommé London Pire Brigade. La dépense de la nouvelle brigade s’éleva la première année à 200,000 fr., — elle était composée d’environ quatre-vingts pompiers. Dépenses et effectif ne tardèrent pas agrandir. En 1865, il y avait cent-trente pompiers, vingt postes et un budget annuel de 625,000 francs. Les compagnies d’assurances ne s’occupaient que du sauvetage de la propriété ; une société s’était constituée sous le nom de Royal Society for the protection of life from fire ayant pour but de sauver les personnes. Cette société, soutenue par des contributions charitables, dépensait environ 175,000 fr. par an[10].

Une commission parlementaire s’occupa de la question des incendies de Londres et se prononça en faveur de la création d’un corps de pompiers sous la direction de la police métropolitaine ; mais après des négociations avec des délégués des compagnies d’assurance et du Metropolitan Board of works, le ministre de l’intérieur fit voter par le parlement une loi confiant au Metropolitan Board of works l’administration et le contrôle du corps des pompiers, à dater du 1er janvier 1866. Le board est tenu d’entretenir un nombre suffisant de pompiers, de leur fournir les pompes, outils, postes nécessaires. L’état contribue aux dépenses pour une somme qui ne doit pas dépasser 250,000 francs par an. Les compagnies d’assurances, qui ont le plus grand intérêt à ce que le service des pompiers soit efficace, paient au board une redevance à raison de 35 livres par million assuré. Le reste des dépenses est couvert par le board[11]. Dans les derniers temps, l’effectif des pompiers de Londres, s’élevait à 536 hommes, officiers compris. Quand on songe à l’étendue de la ville et au nombre des habitans, on trouve que 536 pompiers pour 3,800,000 habitans, c’est bien peu. Paris, avec une population moitié moindre, compte 1,500 pompiers disposant de 50 pompes à vapeur de plus que Londres ; Saint-Pétersbourg. Compte 1,240 pompiers, Berlin 1,000, Hambourg 789. Il y a à Londres 50 postes fixes, 11 postés mobiles, 121 stations d’appareils de sauvetage, 4 stations flottantes, 60 lignes de télégraphe et téléphone, 3 pompes à vapeur flottantes, 35 pompes à vapeur, 110 pompes à mains, 137 appareils de sauvetage et échelles. La qualité des hommes faisant partie de la brigade des pompiers est excellente : ce sont presque tous d’anciens matelots, robustes et courageux. Il est à regretter qu’ils soient aussi peu nombreux. D’autre part, les conditions particulières dans lesquelles se trouve le service des eaux, dépendant de huit compagnies particulières, sont cause que l’activité des pompiers est parfois entravée.

En 1881, il y a eu à Londres 1,991 incendies, dont 167 étaient dangereux. Dans 107, la vie humaine a été en danger ; dans 29, il y a eu mort d’hommes.

En 1881, il a été dépensé 1,420, 000 francs pour solde et équipement, 325,000 francs pour entretien des stations, 650,000 francs pour entretien des machines et appareils, location de chevaux, etc. ensemble 2,600,000 francs. En outre, 700,000 francs ont été déboursés pour construction de nouvelles stations et achat de nouvelles pompes.

Le board exerce une juridiction fort étendue sur la construction des maisons ; il en réglemente la hauteur, l’alignement, la nature des matériaux, les fondations, si bien que les maisons ne peuvent plus être construites sur les gravats malsains qui avaient remplacé le gravier de bonne qualité. Une fois les maisons construites, il donne des noms aux rues, et des numéros aux maisons.

Pendant les 25 ans de l’existence du board, plus de 2,000 rues ont été tracées et, dans tous les cas, les plans, en ont été soumis au board qui les a examinés. Il a, considérablement amélioré et simplifié la nomenclature des rues et le numérotage des maisons, — ayant dénommé à nouveau, près de 2,000 rues, aboli plus de 5,000 noms accessoires ou inutiles et ordonné le numérotage de près de 140,000 maisons. La nomenclature des rues de Londres laisse toutefois encore à désirer, puisqu’il existe 95 King street, 99 Queen street, 78 Pribce street, 109 George street, 119 John street, 151 Church street, 69 Chapel street, 90 North et South street, 157 York street, etc. Le board a un droit de veto sur le barrage de toute rue par les vestries pour cause de réparation ; mais il n’a pas d’autorité sur les compagnies des eaux et du gaz, si bien que quatre différentes administrations irresponsables ont le droit d’arracher le pavé des rues de Londres, sans parler des lignes télégraphiques souterraines. En vertu du Metropolis Management Act de 1878, aucun nouveau théâtre ou salle de concert ne peut s’ouvrir sans un certificat du board. Celui-ci peut forcer le propriétaire à faire les modifications nécessaires dans la construction de tout théâtre où le public serait exposé au danger d’incendie. Le board donne avis au propriétaire, et si les travaux indiqués ne sont pas exécutés, il y a une amende de 5 livres par jour de retard. Le contrôle de ces différentes matières est entre les mains d’inspecteurs (surveyors) placés sous l’autorité de l’ingénieur en chef.

Nous passerons rapidement sur les autres attributions du board : elles sont nombreuses, puisque le nombre d’Acts du parlement qui s’y rapportent n’est pas moindre que 98, et encore augmente-t-il sans cesse. Il est chargé d’assurer la salubrité de la capitale, et pour cela il réglemente l’exercice des métiers dangereux ou insalubres pour la communauté, la fabrication et le transport de matières explosibles. Il doit en outre protéger Londres contre les épidémies qui sévissent parmi les bestiaux ; il surveille activement, en vertu d’un ordre du conseil privé, les étables et laiteries de la métropole ; il existait en 1880 un millier d’étables et plus de 7,000 laiteries. On voit combien cette surveillance est nécessaire.

Le board est en quelque sorte une bonne à tout faire, a maid of all works, puisqu’il est le protecteur des nourrissons. Ainsi il est illégal de prendre à domicile plus d’un enfant âgé de moins d’un an pour le nourrir loin de ses parens, à moins que la maison n’ait été enregistrée par l’autorité locale. Pour Londres, le board est l’autorité compétente ; il fixe le nombre d’enfans qui peuvent être pris par une seule personne, fait une enquête sur la moralité de celle-ci. 339 inspections ont été faites en 1880, à la suite d’annonces dans les journaux. 354 enfans ont été trouvés dans des maisons non enregistrées : la plupart étaient des enfans illégitimes et étaient abandonnés aux soins de personnes âgées et incapables d’accomplir leur devoir. Le plus souvent les nourrissons étaient mal tenus, et les personnes qui s’en étaient chargées n’avaient pour vivre que les quelques shillings que les parens payaient pour l’entretien de leurs enfans. Il y avait en tout 23 maisons enregistrées, qui ont été visitées 341 fois dans l’année (1880). Le board propose d’étendre le bénéfice de cette protection aux enfans âgés de cinq ans. Le Metropolitan Board of works n’a qu’une autorité restreinte sur le service du gaz et de l’eau, qui est entre les mains de compagnies particulières très riches et très puissantes. On lui reproche d’avoir manqué d’énergie à l’égard des compagnies de gaz et d’avoir montré moins de fermeté que la cité de Londres, qui s’est efforcée de protéger les contribuables contre l’exploitation des compagnies.

Le board n’a pas dans sa compétence l’éclairage des rues de la capitale ; il n’a sous son contrôle direct que les voies qu’il a construites lui-même, c’est-à-dire les quais, et les ponts, à l’ouest de la cité. Il lui revient le mérite de les avoir éclairées à la lumière électrique dès que ce nouveau mode d’éclairage a été reconnu suffisamment pratique. Le Victoria Embankment et le pont de Waterloo sont éclairés par une compagnie française, qui a conclu un contrat de 3 ans, à dater de juin 1880 ; on lui paie 15 centimes par lumière et par heure. Il y a 40 lampes sur le quai et 10 sur le pont. C’est le système Jablochkoff qui est appliqué.

Nous avons exposé aussi brièvement que possible l’organisation et les travaux du Metropolitan Board of works. Ce que nous avons dit suffit à montrer que le board, bien qu’étant en réalité un bureau des travaux, est plus pour la capitale que son nom ne l’indique. C’est une sorte de conseil municipal, représentant toute la ville de Londres et exerçant un pouvoir d’administration, de contrôle et de surveillance sur tout ce qui concerne les intérêts matériels de la métropole. Il fonctionne depuis un quart de siècle, et là où son activité a pu se déployer librement, il a accompli de très grandes choses : il a embelli et assaini Londres. Il ne s’est point mêlé de politique, il n’a pas mis son influence au service d’un parti plutôt que d’un autre, il n’est pas sorti de la sphère que le parlement lui avait assignée. Il n’y a qu’à l’en féliciter. Les radicaux veulent le transformer ou plutôt le remplacer par quelque nouvelle organisation : il est permis de se demander si cette innovation vaudra mieux que ce qui existe.


ARTHUR RAFFALOVICH.


  1. « L’administration municipale de Londres est un chaos en voie de transformation, » a dit ici-même M. Cochin. (Voyez dans la Revue du 1er juin 1870, le Régime municipal des grandes villes.)
  2. Les efforts des Tudors et des Stuarts ne furent imités par aucun des souverains de la maison de Brunswick.
  3. Les Poor Law Commissioners en 1839 avaient fait un grand pas vers la systématisation du gouvernement local de Londres en confiant à 39 bureaux de guardians l’administration de la loi qui auparavant reposait sur les autorités de 200 districts distincts.
  4. Le président du board reçoit des appointemens qui doivent être au moins de 1,500 livres sterling et ne pas dépasser 2,000.
  5. En 1875, parmi les membres du board, on comptait 7 architectes ou entrepreneurs de bâtimens, 5 libraires, éditeurs ou papetiers, 3 marchands de thé, 3 avoués, 1 fabricant de poêles, 1 fabricant de voitures, 1 tailleur, un tapissier, 1 général de l’armée, 1 gas engineer, 1 commissaire-priseur, 1 horloger, 1 pharmacien, 1 boucher, 1 brasseur, etc. Cette composition du board est vue avec mépris par les réformateurs radicaux, sans doute parce qu’il n’y a pas de politiciens de profession qui en fassent partie.
  6. Au nombre des taxes sur la métropole, un demi-penny par livre de revenu était imposé afin de couvrir les dépenses du service des pompiers en vertu de la loi de 1865 (Metropolitan Fire Brigade Act).
  7. Ces circonstances étaient les troubles qui avaient suivi le règne de Charles Ier, le grand incendie de Londres, etc.
  8. La cité prélève une commission pour les frais de perception, en 1874, plus de 125,000 francs. Il faut se rappeler qu’un drawback est accordé aux charbons réexportés de Londres.
  9. Le Metropolitan Board of works est impuissant contre les vestries, et ces autorités locales ne font pas toutes leur devoir. La construction des conduits qui joignent les maisons aux égouts leur est confiée. Il y a lieu de craindre que beaucoup d’habitations ne soient sans communication avec les égouts et que le drainage ne s’en aille dans le sol. Une association sanitaire a constaté que c’était le cas dans 6 pour 100 des maisons qu’elle avait inspectées, et c’est là l’origine de fièvres typhoïdes.
  10. La société pour la protection des personnes contre l’incendie fut incorporée dans la Fire Brigade le 1er juillet 1867.
  11. En 1872, elles ont payé 16,207 livres sterling ; en 1873, 1873, 18,334 livres sterling ; en 1880, 21,464 livres sterling ; en 1881, 22,000 livres sterling.