Les Vacances/2

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Hachette (p. 17-42).


LES CABANES.


Les enfants étaient en vacances, et tous avaient congé ; les papas et les mamans avaient déclaré que, pendant six semaines, chacun ferait ce qu’il voudrait du matin au soir, sauf deux heures réservées au travail.

Le lendemain de l’arrivée des cousins, on s’éveilla de grand matin.

Marguerite sortit sa tête de dessous sa couverture et appela Sophie, qui dormait profondément ; Sophie se réveilla en sursaut et se frotta les yeux :

« Quoi ? qu’est-ce ? Faut-il partir ? Attends, je viens. »

En disant ces mots, elle retomba endormie sur son oreiller.

Marguerite allait recommencer, lorsque la bonne, qui couchait près d’elle, lui dit :

« Taisez-vous donc, mademoiselle Marguerite ; laissez-nous dormir ; il n’est pas encore cinq heures ; c’est trop tôt pour se lever.

MARGUERITE.

Dieu ! que la nuit est longue aujourd’hui ! quel ennui de dormir ! »

Et, tout en songeant aux cabanes et aux plaisirs de la journée, elle aussi se rendormit.

Camille et Madeleine, éveillées depuis longtemps, attendaient patiemment que la pendule sonnât sept heures, et leur permît de se lever sans déranger leur bonne, Élisa, qui, n’ayant pas de cabane à construire, dormait paisiblement.

Léon et Jean s’étaient éveillés et levés à six heures ; ils finissaient leur toilette et leur prière lorsque leurs cousines se levaient.

Jacques avait eu, avant de se coucher, une conversation à voix basse avec son père et Marguerite ; on les voyait causer avec animation ; on les entendait rire ; de temps en temps Jacques sautait, battait des mains et embrassait son papa et Marguerite ; mais ils ne voulurent dire à personne de quoi ils avaient parlé avec tant de chaleur et de gaieté. Le lendemain, quand Léon et Jean allèrent éveiller Jacques, ils trouvèrent la chambre vide.

JEAN.

Comment ! Déjà sorti ! À quelle heure s’est-il donc levé ?

LÉON.

Écoute donc ; un premier jour de vacances on veut s’en donner des courses, des jeux, des promenades. Nous le retrouverons dans le jardin. En attendant mes cousines et nos amies, allons faire un tour à la ferme ; nous déjeunerons avec du bon lait tout chaud et du pain bis.

Jean approuva vivement ce projet ; ils arrivèrent au moment où l’on finissait de traire les vaches. La fermière, la mère Diart, les reçut avec empressement. Après les premières phrases de bonjour et de bienvenue, Léon demanda du lait et du pain bis.

La mère Diart s’empressa de les servir.

« Allons, la grosse, cria-t-elle à une lourde servante qui apportait deux seaux pleins de lait, donne du lait tout chaud à ces messieurs. Passe-le… Plus vite donc ! Est-elle pataude ! Faites excuse, messieurs, elle n’est pas prompte, voyez-vous… Pose tes seaux ;


j’aurai plus tôt fait que toi… Cours chercher un pain dans la huche… Voilà, messieurs ; à votre service tout ce qu’il vous plaira de demander. »

Léon et Jean remercièrent la fermière et se mirent à manger avec délices ce bon lait tout chaud et ce pain de ménage, à peine sorti du four et tiède encore.

« Assez, assez, Jean, dit Léon. Si nous nous étouffons, nous ne serons plus bons à rien. N’oublie pas que nous avons nos cabanes à commencer. Nous aurons fini les nôtres avant que ce petit vantard de Jacques ait pu seulement commencer la sienne.

JEAN.

Hé, hé ! Je ne dis pas cela, moi. Jacques est fort ; il est très-vif et intelligent ; il est résolu, et quand il veut, il veut ferme.

LÉON.

Laisse donc ! ne vas-tu pas croire qu’il saura faire une maison à lui tout seul, aidé seulement par Sophie et Marguerite ?

JEAN.

Je n’en sais rien ; nous verrons.

LÉON.

C’est tout vu d’avance, mon cher. Il fera chou blanc.

JEAN.

Ou chou pommé. Tu verras, tu verras.

LÉON.

Ce que tu dis là est d’une niaiserie pommée. Ha ! ha ! ha ! Un petit gamin de sept ans, architecte, maçon.

JEAN.

C’est bon ! Tu riras après ; en attendant, viens chercher nos cousines ; il va être huit heures.

Ils coururent à la maison, allèrent frapper à la porte de leurs cousines, qui les attendaient, et qui leur ouvrirent avec empressement. Ils se demandèrent réciproquement des nouvelles de leur nuit, et descendirent pour courir à leur jardin et commencer leur cabane. En approchant, ils furent surpris d’entendre frapper comme si on clouait des planches.

CAMILLE.

Qui est-ce qui peut cogner dans notre jardin ?

MADELEINE.

C’est sans doute dans le bois.

CAMILLE.

Mais non ; les coups semblent venir du jardin.

LÉON.

Ah ! voici Marguerite ; elle nous dira ce que c’est.

Au même instant, Marguerite cria très-haut : « Léon, Jean, bonjour ; Sophie et Jacques sont avec moi.

— Ne crie donc pas si fort, dit Jean en souriant, nous ne sommes pas sourds. »

Marguerite courut à eux, les arrêta pour les embrasser tous, puis ils prirent le chemin qui menait au jardin, en tournant un peu court dans le bois.

Quelle ne fut pas leur surprise en voyant Jacques, le pauvre petit Jacques, armé d’un lourd maillet, et clouant des planches aux piquets qui formaient les quatre coins de sa cabane. Sophie l’aidait en soutenant les planches.

Jacques avait très bien choisi l’emplacement de sa maisonnette ; il l’avait adossée à des noisetiers qui formaient un buisson très-épais et qui l’abritaient d’un soleil trop ardent. Mais ce qui causa aux cousins une vive surprise, ce fut la promptitude du travail de Jacques et la force et l’adresse avec lesquelles il avait placé et enfoncé les gros piquets qui devaient recevoir les planches avec lesquelles il formait les murs. La porte et une fenêtre étaient déjà indiquées par des piquets pareils à ceux qui faisaient les coins de la maison.

Ils s’étaient arrêtés tous quatre ; leur étonnement se peignait si bien sur leurs figures que Jacques, Marguerite et Sophie ne purent s’empêcher de sourire, puis d’éclater de rire. Jacques jeta son maillet à terre pour rire plus à son aise.

Enfin Léon s’avança vers lui.

LÉON, avec humeur.

Pourquoi et de quoi ris-tu ?

JACQUES.

Je ris de vous tous et de vos airs étonnés.

JEAN.

Mais, mon petit Jacques, comment as-tu pu faire tout cela, et comment as-tu eu la force de porter ces lourds piquets et ces lourdes planches ?

JACQUES, avec malice.

Marguerite et Sophie m’ont aidé.

Léon et Jean hochèrent la tête d’un air incrédule ; ils tournèrent autour de la cabane, regardèrent partout d’un air méfiant, pendant que Camille et Madeleine s’extasiaient devant l’habileté de Jacques et admiraient la promptitude avec laquelle il avait travaillé.

CAMILLE.

À quelle heure t’es-tu donc levé, mon petit Jacques ?

JACQUES.

À cinq heures, et à six j’étais ici avec mes piquets, mes planches, et tous mes outils. Tenez, mes amis, prenez les outils maintenant, chacun son tour.

LÉON.

Non, Jacques, continue ; nous voudrions te voir travailler, pour prendre des leçons de ton grand génie.

Jacques jeta à Marguerite et à Sophie un coup d’œil d’intelligence et répondit en riant :

« Mais nous travaillons depuis longtemps, et nous sommes fatigués. Nous allons à présent courir après les papillons. »

LÉON, avec ironie.

Pour vous reposer sans doute ?

MARGUERITE.

Précisément, pour nous reposer les mains et l’esprit.

Et ils partirent en riant et sautant.

Léon les regarda s’éloigner et dit :

« Ils ne ressemblent guère à des gens fatigués. »

Au même instant Camille et Madeleine se rapprochèrent avec inquiétude de Léon et de Jean.

CAMILLE.

J’ai entendu les branches craquer dans le buisson.

MADELEINE.

Et moi aussi ; entendez-vous ? On s’éloigne avec précaution.

Pendant que Léon reculait en s’éloignant prudemment du buisson et des bois, Jean saisissait le maillet de Jacques et s’élançait devant ses cousines pour les protéger.

Ils écoutèrent quelques instants et n’entendirent plus rien. Léon alors dit d’un air mécontent :

« Vous vous êtes trompées ; il n’y a rien du tout. Laisse donc ce maillet, Jean ; tu prends un air matamore en pure perte ; il n’y a aucun ennemi pour se mesurer avec toi.

MADELEINE.

Merci, Jean ; s’il y avait eu du danger, tu nous aurais défendues bravement.

CAMILLE.

Léon, pourquoi plaisantes-tu du courage de Jean ? Il pouvait y avoir du danger, car je suis sûre d’avoir entendu marcher avec précaution dans le fourré, comme si on voulait se cacher.

LÉON, d’un air moqueur.

Je préfère la prudence du serpent au courage du lion.

JEAN.

Il est certain que c’est plus sûr.

Camille, qui pressentait une dispute, changea la conversation en parlant de leur cabane. Elle demanda qu’on choisît l’emplacement ; après bien des incertitudes, ils décidèrent qu’on la bâtirait en face de celle de Jacques. Ensuite, ils allèrent chercher des pièces de bois et les planches nécessaires pour la construction. Ils firent leur choix dans un grand hangar où il y avait du bois de toute espèce. Ils chargèrent leurs planches et leurs piquets sur une petite charrette à leur usage ; Léon et Jean s’attelèrent au brancard, Camille et Madeleine poussaient derrière, et ils partirent au trot, passant en triomphe devant Jacques, Marguerite et Sophie, qui couraient dans le pré après les papillons ; ceux-ci allèrent se ranger en ligne au coin du bois et leur présentèrent les armes avec leurs filets à papillons, tout en riant d’un air malicieux. Jean, Camille et Madeleine rirent aussi d’un air joyeux ; Léon devint rouge et voulut s’arrêter ; mais Jean tirait, Camille et Madeleine poussaient, et Léon dut marcher avec eux.

Bientôt après, la cloche du déjeuner se fit entendre ; les enfants laissèrent leur ouvrage et montèrent pour se laver les mains, donner un coup de peigne à leurs cheveux et un coup de brosse à leurs habits.

On se mit à table. M. de Traypi demanda des nouvelles des cabanes.

« Marchent-elles bien, vos constructions ? Êtes-vous bien avancés, vous autres grands garçons ? Quant à mon pauvre Jacquot, je présume qu’il en est encore au premier piquet. Hé, Léon ?

LÉON, d’un air de dépit.

Mais non, mon oncle ; nous ne sommes pas très-avancés ; nous commençons seulement à placer les quatre piquets des coins.

M. DE TRAYPI.

Et Jacques, hé, où en est-il ?

LÉON, de même.

Je ne sais pas comment il a fait, mais il a déjà commencé comme nous.

MARGUERITE.

Dis donc aussi qu’il est bien plus avancé que vous autres, grands et forts, puisqu’il cloue déjà les planches des murs.

M. DE TRAYPI.

Ha ! ha ! Jacques n’est donc pas si mauvais ouvrier que tu le craignais hier, Léon ?

Léon ne répondit rien et rougit. Tout le monde se mit à rire ; Jacques, qui était à côté de son père, lui prit la main et la baisa furtivement. On parla d’autres choses ; de bons gâteaux avec du chocolat mousseux mirent la joie dans tous les cœurs et dans tous les estomacs. Après le déjeuner, les enfants voulurent mener leurs parents dans leur jardin pour voir l’emplacement et le commencement des maisonnettes, mais les parents déclarèrent tous qu’ils ne les verraient que terminées ; ils firent alors ensemble une petite promenade dans le bois, pendant laquelle Léon arrangea une partie de pêche.

« Jean et moi, dit-il, nous allons préparer les lignes et les hameçons ; en attendant, allez, je vous prie, mes chères cousines, demander des vers au jardinier ; vous les ferez mettre dans un petit pot pour qu’ils ne s’échappent pas. »

Camille et Madeleine coururent au jardin où leurs cousins ne tardèrent pas à les rejoindre ; en quelques minutes, le jardinier leur remplit un petit pot avec des vers superbes, et ils allèrent à la pièce d’eau, où ils trouvèrent Jacques, Marguerite et Sophie, qui avaient préparé un seau pour mettre les poissons et du pain pour les attirer.

La pêche fut bonne ; vingt et un poissons passèrent de la pièce d’eau dans le seau qui était leur prison de passage ; ils ne devaient en sortir que pour périr par le fer et par le feu de la cuisine.

La pêche était déjà bien en train, et l’on ne s’était pas encore aperçu que Jacques s’était esquivé furtivement. Madeleine fut la première qui remarqua son absence, mais elle ajouta :

« Il est probablement rentré pour arranger ses papillons.

— Les papillons qu’il n’a pas pris, » dit Marguerite en riant, à l’oreille de Sophie.

Sophie lui répondit par un signe d’intelligence et un sourire.

« Qu’est-ce qu’il y a donc ? dit Léon d’un air soupçonneux. Je ne sais pas ce qu’elles complotent, mais elles ont depuis ce matin, ainsi, que Jacques, un air riant, mystérieux, narquois, qui n’annonce rien de bon.

MARGUERITE, riant.

Pour vous ou pour nous ?

LÉON.

Pour tous ; car si vous nous jouez des tours à Jean et à moi, nous vous en jouerons aussi.

JEAN.

Oh ! ne me craignez pas, mes chères amies ! jouez-moi tous les tours que vous voudrez, je ne vous les rendrai jamais.

MARGUERITE.

Que tu es bon, toi, Jean ! dit Marguerite en allant à lui et lui serrant les mains. Ne crains rien, nous ne te jouerons jamais de méchants tours.

SOPHIE

Et nous sommes bien sûres que vous nous permettrez des tours innocents.

JEAN, riant.

Ah ! il y en a donc en train ? Je m’en doutais. Je vous préviens que je ferai mon possible pour les déjouer.

MARGUERITE.

Impossible, impossible ; tu ne pourras jamais.

JEAN.

C’est ce que nous verrons.

LÉON.

Voilà près de deux heures que nous pêchons, nous avons plus de vingt poissons ; je pense que c’est assez pour aujourd’hui. Qu’en dites-vous, mes cousines ?

CAMILLE.

Léon a raison ; retournons à nos cabanes, qui ne sont pas trop avancées ; tâchons de rattraper Jacques, qui est le plus petit et qui a bien plus travaillé que nous.

JEAN.

C’est précisément ce que je ne peux comprendre. Sophie, toi qui travailles avec lui, dis-moi donc comment il se fait que vous ayez fait l’ouvrage de deux hommes, tandis que nous avons à peine enfoncé les piquets de notre maison.

SOPHIE, embarrassée.

Mais… je ne sais… je ne peux pas savoir.

MARGUERITE, vivement.

C’est tout bonnement parce que nous sommes très-bons ouvriers, très-actifs, que nous ne perdons pas une minute, que nous travaillons comme des nègres.

MADELEINE.

Savez-vous, mes amis, ce que nous faisons, nous autres ? Nous ne faisons rien et nous perdons notre temps. Je suis sûre que Jacques est à l’ouvrage pendant que nous nous demandons comment il a fait pour tant avancer.

— Allons voir, allons voir, s’écrièrent tous les enfants, à l’exception de Marguerite et de Sophie.

— Il faut d’abord ranger nos lignes et nos hameçons, dit Sophie en les retenant.

— Et porter nos poissons à la cuisine, dit Marguerite.

LÉON, d’un air moqueur et contrefaisant la voix de Marguerite.

Et puis les faire cuire nous-mêmes, pour donner à Jacques le temps de finir.

JEAN, riant.

Attendez, je vais voir où il est.

Et il voulut partir en courant, mais Sophie et Marguerite se jetèrent sur lui pour l’arrêter. Jean se débattait doucement en riant ; Camille et Madeleine accoururent pour lui venir en aide. Marguerite se jeta à terre et saisit une des jambes de Jean.

« Arrête-le, arrête-le ; prends-lui l’autre jambe, » cria-t-elle à Sophie. Mais Camille et Madeleine se précipitèrent sur Sophie, qui riait si fort qu’elle n’eut pas la force de les repousser. Marguerite, tout en riant aussi, s’était accrochée aux pieds de Jean, qui, lui aussi, riait tellement qu’il tomba le nez sur l’herbe. Sa chute ne fit qu’augmenter la gaieté générale ; Jean riait aux éclats, étendu tout de son long sur l’herbe ; Marguerite, tombée de son côté, riait le nez sur la semelle de Jean. Leur ridicule attitude faisait rire à larmes Sophie, maintenue par Camille et Madeleine, qui se roulaient à force de rire. L’air grave de Léon redoubla leur gaieté. Il se tenait debout auprès des poissons et demandait de temps en temps d’un air mécontent :

« Aurez-vous bientôt fini ? En avez-vous encore pour longtemps ? »

Plus Léon prenait un air digne et fâché, plus les autres riaient. Leur gaieté se ralentit enfin ; ils eurent la force de se relever et de suivre Léon qui marchait gravement accompagné d’éclats de rires et de gaies plaisanteries. Ils approchèrent ainsi du petit bois où l’on construisait les cabanes, et ils entendirent distinctement des coups de marteau si forts et si répétés qu’ils jugèrent impossible qu’ils fussent donnés par le petit Jacques.

« Pour le coup, dit Jean en s’échappant et en entrant dans le fourré, je saurai ce qu’il en est ! »

Sophie et Marguerite s’élancèrent par le chemin qui tournait dans le bois en criant : « Jacques ! Jacques ! garde à toi ! » Léon courut de son côté et arriva le premier à l’emplacement des maisonnettes ; il n’y avait personne, mais par terre étaient deux forts maillets, des clous, des chevilles, des planches, etc.

« Personne, dit Léon ; c’est trop fort ; il faut les poursuivre. À moi, Jean, à moi ! »

Et il se précipita à son tour dans le fourré. Au bout de quelques instants, on entendit des cris partis du bois « Le voilà ! le voilà ! il est pris ! — Non, il s’échappe ! — Attrape-le ! à droite ! à gauche ! »

Sophie, Marguerite, Camille, Madeleine, écoutaient avec anxiété, tout en riant encore. Elles virent Jean sortir du bois, échevelé, les habits en désordre. Au même instant, Léon en sortit dans le même état, demandant à Jean avec empressement :

« L’as-tu vu ? Où est-il ? Comment l’as-tu laissé aller ?

— Je l’ai entendu courir dans le bois, répondit Jean, mais de même que toi je n’ai pu le saisir ni même l’apercevoir. »

Pendant qu’il parlait, Jacques, rouge, essoufflé, sortit aussi du bois et leur demanda d’un air malin ce qu’il y avait, pourquoi ils avaient crié et qui ils avaient poursuivi dans le bois.

LÉON, avec humeur.

Fais donc l’innocent, rusé que tu es. Tu sais mieux que nous qui nous avons poursuivi et par quel côté il s’est échappé.

JEAN.

J’ai bien manqué de le prendre tout de même ; sans Jacques qui est venu me couper le chemin dans un fourré, je l’aurais empoigné.

LÉON.

Et tu lui aurais donné une bonne leçon, j’espère.

JEAN.

Je l’aurais regardé, reconnu, et je vous l’aurais amené pour le faire travailler à notre cabane. Allons, mon petit Jacques, dis-nous qui t’a aidé à bâtir si bien et si vite ta cabane. Nous ferons semblant de ne pas le savoir, je te le promets.

JACQUES.

Pourquoi feriez-vous semblant ?

JEAN.

Pour qu’on ne te reproche pas d’être indiscret.

JACQUES.

Ha ! ha ! vous croyez donc que quelqu’un a eu la bonté de m’aider, que ce quelqu’un serait fâché si je vous disais son nom, et tu veux, toi, Jean, que je sois lâche et ingrat, en faisant de la peine à celui qui a bien voulu se fatiguer à m’aider ?

LÉON.

Ta, ta, ta, voyez donc ce beau parleur de sept ans ! Nous allons bien te forcer à parler, tu vas voir.

JEAN.

Non, Léon, Jacques a raison ; je voulais lui faire commettre une mauvaise action, ou tout au moins une indiscrétion.

LÉON.

C’est pourtant ennuyeux d’être joué par un gamin.

SOPHIE

N’oublie pas, Léon, que tu l’as défié, que tu t’es moqué de lui et qu’il avait le droit de te prouver…

LÉON.

De me prouver quoi ?

SOPHIE

De te prouver… que… que…

MARGUERITE, avec vivacité.

Qu’il a plus d’esprit que toi et qu’il pouvait te jouer un tour innocent, sans que tu aies le droit de t’en fâcher.

LÉON, piqué.

Aussi je ne m’en fâche pas, mesdemoiselles ; soyez assurées que je saurai respecter l’esprit et la sagesse de votre protégé.

MARGUERITE, vivement.

Un protégé qui deviendra bientôt un protecteur.

JACQUES, à Marguerite avec vivacité.

Et qui ne se mettra pas derrière toi quand il y aura un danger à courir.

LÉON, avec colère.

De quoi et de qui veux-tu parler, polisson ?

JACQUES, vivement.

D’un poltron et d’un égoïste.

Camille, craignant que la dispute ne devint sérieuse, prit la main de Léon et lui dit affectueusement :

« Léon, nous perdons notre temps, et toi, qui es le plus sage et le plus intelligent de nous tous, dirige-nous pour notre pauvre cabane si en retard, et distribue à chacun de nous l’ouvrage qu’il doit faire.

— Je me mets sous tes ordres, » s’écria Jacques qui regrettait sa vivacité. »

Léon, que la petite flatterie de Camille avait désarmé, se sentit tout à fait radouci par la déférence de Jacques, et, oubliant la parole trop vive que celui-ci venait de prononcer, il courut aux outils, donna à chacun sa tâche, et tous se mirent à l’ouvrage avec ardeur. Pendant deux heures, ils travaillèrent avec une activité digne d’un meilleur sort ; mais leurs pièces de bois ne tenaient pas bien, les planches se détachaient, les clous se tordaient. Ils recommençaient avec patience et courage le travail mal fait, mais ils avançaient peu. Le petit Jacques semblait vouloir racheter ses paroles par un zèle au-dessus de son âge. Il donna plusieurs excellents conseils qui furent suivis avec succès. Enfin, fatigués et suants, ils laissèrent leur maison jusqu’au lendemain, après avoir jeté un regard d’envie sur celle de Jacques déjà presque achevée. Jacques, qui avait semblé mal à l’aise depuis la querelle, les quitta pour rentrer, disait-il, et il alla droit chez son père qui le reçut en riant.

M. DE TRAYPI.

Eh bien ! mon Jacquot, nous avons été serrés de près ! J’ai bien manqué d’être pris ! si tu ne t’étais pas jeté entre le fourré où j’étais et Jean, il m’aurait attrapé tout de même. C’est égal, nous avons bien avancé la besogne ; j’ai demandé à Martin de tout finir pendant notre dîner, et demain ils seront bien surpris de voir que ton ouvrage s’est fait en dormant.

— Oh non, papa, je vous en prie, dit Jacques en jetant ses petits bras autour du cou de son père. Laissez ma maison et faites finir celle de mes pauvres cousins.

— Comment ! dit le père avec surprise, toi qui tenais tant à attraper Léon (il l’a mérité, il faut l’avouer), tu veux que je laisse ton ouvrage pour faire le sien !

JACQUES.

Oui, mon cher papa, parce que j’ai été méchant pour lui, et cela me fait de la peine de le taquiner, depuis qu’il a été bon pour moi : car il pouvait et devait me battre pour ce que je lui ai dit, et il ne m’a même pas grondé.

Et Jacques raconta à son papa la scène qui avait eu lieu au jardin.

M. DE TRAYPI.

Et pourquoi l’as-tu accusé d’égoïsme et de poltronnerie, Jacques ? Sais-tu que c’est un terrible reproche ? Et en quoi l’a-t-il mérité ?

JACQUES.

Vous savez, papa, que le matin, lorsque nous nous sommes sauvés et cachés dans le bois, Camille et Madeleine, nous entendant remuer, ont cru que c’étaient des loups ou des voleurs. Jean s’est jeté devant elles, et Léon s’est mis derrière, et je voyais, à travers les feuilles, à son air effrayé, que si nous bougions encore, il se sauverait au lieu d’aider Jean à les secourir. C’est cela que je voulais lui reprocher, papa, et c’était très-méchant à moi, car c’était vrai.

M. DE TRAYPI, l’embrassant en souriant.

Tu es un bon petit garçon, mon petit Jacquot ; ne recommence pas une autre fois et moi je vais faire finir leur maison pour être de moitié dans ta pénitence.

Jacques embrassa bien fort son papa et courut tout joyeux rejoindre ses cousins, cousines et amies, qui s’amusaient tranquillement sur l’herbe.

Le lendemain, quand les enfants, accompagnés cette fois de Sophie et de Marguerite, allèrent à leur jardin pour continuer leurs cabanes, quelle ne fut pas leur surprise de les voir toutes deux entièrement finies, et même ornées de portes et de fenêtres ! Ils s’arrêtèrent tout stupéfaits. Sophie, Jacques et Marguerite les regardaient en riant.

« Comment cela s’est-il fait ? dit enfin Léon. Par quel miracle notre maison se trouve-t-elle achevée ?

— Parce qu’il était temps de faire finir une plaisanterie qui aurait pu mal tourner, dit M. de Traypi sortant de dedans le bois. Jacques m’a raconté ce qui s’était passé hier, et m’a demandé de vous venir en aide comme je l’avais fait pour lui dès le commencement. D’ailleurs, ajouta-t-il en riant, j’ai eu peur d’une seconde poursuite comme celle d’hier. J’ai eu toutes les angoisses d’un coupable. Deux fois j’ai été à deux pas de mes poursuivants. Toi, Jean, tu me prenais, sans la présence de Jacques, et toi, Léon, tu m’as effleuré en passant près d’un buisson où je m’étais blotti.

JEAN.

Comment c’est vous, mon oncle, qui nous avez fait si bien courir ? Vous pouvez vous vanter d’avoir de fameuses jambes, de vraies jambes de collégien.

M. DE TRAYPI, riant.

Ah ! c’est qu’au temps de ma jeunesse, je passais pour le meilleur, le plus solide coureur de tout le collège. Il m’en reste quelque chose.

Les enfants remercièrent leur oncle d’avoir fait terminer leurs maisons. Léon embrassa le petit Jacques, qui lui demanda tout bas pardon. « Tais-toi, lui répondit Léon, rougissant légèrement, ne parlons plus de cela. » C’est que Léon sentait que l’observation de Jacques avait été vraie. Et il se promit de ne plus la mériter à l’avenir.

Il s’agissait maintenant de meubler les maisons ; chacun des enfants demanda et obtint une foule de trésors, comme tabourets, vieilles chaises, tables de rebut, bouts de rideaux, porcelaines et cristaux ébréchés. Tout ce qu’ils pouvaient attraper était porté dans les maisons.

« Venez voir, criait Léon, le beau tapis que nous avons sous notre table.

— Et nous, au lieu de tapis, nous avons une toile cirée, répondait Sophie.

— Venez essayer notre banc ; il est aussi commode que les fauteuils du salon, disait Jean.

— Venez voir notre armoire pleine de tasses, de verres et d’assiettes, disait Marguerite.

— Voyez notre coffre plein de provisions ; il y a des confitures, du sucre, des biscuits, des cerises, du chocolat, disait Camille.

— Et voyez comme nous avons été gens sages, nous autres, disait Jacques ; pendant que vous vous faites mal au cœur avec vos sucreries, nous nous fortifions l’estomac avec nos provisions solides : pain, fromage, jambon, beurre, œufs, vin.

— Ah ! tant mieux, s’écria Madeleine ; lorsque nous vous inviterons à déjeuner ou à goûter, vous apporterez le salé et nous le sucre. »

Chaque jour ajoutait quelque chose à l’agrément des cabanes ; M. de Rugès et M. de Traypi s’amusaient à les embellir au dedans et au dehors. À la fin des vacances, elles étaient devenues de charmantes maisonnettes ; l’intervalle des planches avait été bouché avec de la mousse au dedans comme au dehors ; les fenêtres étaient garnies de rideaux ; les planches qui formaient le toit avaient été recouvertes de mousse, rattachée par des bouts de ficelle pour que le vent ne l’emportât pas. Le terrain avait été recouvert de sable fin ; petit à petit, on y avait transporté les cahiers, les livres, et bien des fois les enfants y prenaient leurs leçons. Leur sagesse était alors exemplaire. Chacun travaillait à son devoir, se gardant bien de troubler son voisin. Quand il fallut se quitter, les cabanes entrèrent pour beaucoup dans les regrets de la séparation. Mais les vacances devaient durer près de deux mois ; on n’était encore qu’au troisième jour et on avait le temps de s’amuser.