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Les aventures de Perrine et de Charlot/6

La bibliothèque libre.
Bibliothèque de l’Action française (p. 33-38).



IV

La fuite


Lorsque la porte de la maison se referme, Perrine frissonne. Quelle tristesse de la quitter ! Le long du chemin, malgré eux, les petits se retournent souvent pour voir Offranville. Il y a des larmes dans les yeux de Perrine. Charlot est sombre, et serre bien fort la main de sa sœur. Ah ! tous deux comprennent à quel coin de terre plein de douceur ils disent adieu. Ils y sont nés, y ont grandi sous l’œil de leurs parents. Ils y ont reçu la bénédiction suprême de leur mère… De temps à autre les enfants font une halte. Il faut se nourrir et se reposer un peu. Vers la fin de l’après-midi, alors qu’ils atteignent le bourg voisin, Charlot entend le roulement d’une voiture. « Perrine, fait-il, c’est la diligence, peut-être ? »

C’est elle, en effet, c’est la voiture publique qui approche. Les petits l’attendent, confiants. Elle avance, soulevant un tourbillon de poussière. Perrine reconnaît son vieil ami le conducteur. Celui-ci, apercevant les enfants, se penche, incertain. « Mais c’est ma petite Perrine, » s’écrie-t-il soudain ! Il tire vivement sur les rênes. La voiture s’immobilise.

le conducteur

Où allez-vous comme cela, mes bons petits ?

perrine

À Dieppe.

le conducteur, surpris.

Pas à pied, sûrement ?

perrine, souriant.

Oh ! nous espérions vous rencontrer.

le conducteur, clignant de l’œil.

Vraiment ? Et alors… ?

perrine

Et alors, que vous nous feriez monter près de vous.

(Elle fait une révérence.)
le conducteur

Bravo, ma colombe. Tu as raison, va, de compter sur le vieil Ephrem. Allons, montez enfants. Et vite, houp ! On s’impatiente là-dedans, je suis sûr.

En effet. Une tête longue, pâle, grimaçante, aux cheveux graisseux s’encadre dans l’une des fenêtres. « Que diable faites-vous ici, l’ami ? » Apercevant les enfants. « Comment pour ces morveux, vous… » Une secousse terrible l’interrompt. Le conducteur, d’un vigoureux coup de fouet, met ses chevaux au galop. Et alors, la tête du vieux monsieur grognon, les sveltes petits corps des mioches, tout cela s’engouffre à la fois dans la voiture. Le vieil Ephrem rit. Le bon tour ! Ah ! Ah !…

Dans l’intérieur du véhicule il y a de la confusion. Perrine et Charlot sont rejetés sur une grosse dame mûre, aux yeux droits, très durs. Elle presse contre son cœur un caniche roux qui



est affreux. Le chien aboie. La dame s’agite et se lamente. Les voyageurs rient en la conspuant.
la grosse dame mûre

N’approchez pas de mon chéri, vilains marmots.

perrine, aimable.

Ne craignez pas, Madame, quoique j’aime beaucoup les toutous, vous savez. Et Charlot aussi. Le vôtre est beau, Madame.

Elle exagère beaucoup la mignonne. C’est qu’elle ne veut pas tenir compte de la mauvaise humeur de la voyageuse. Doucement, elle installe Charlot sur la banquette. Elle l’embrasse pour le rassurer. Le petit est étourdi du choc et s’effraie à la vue de tant de figures nouvelles. Sous les pieds de son frère, elle range ensuite les paniers. Un tabouret, quoi ! Puis, elle s’asseoit et regarde autour d’elle… La bonne pensée lui vient d’amadouer son terrible voisin, le caniche. Elle lui offre un morceau de sucre d’orge. Un autre encore. Le chien happe les friandises. Il pousse de petits grognements satisfaits. Bientôt il appuie son museau sur le bras de Perrine. La grosse dame mûre demeure attendrie de l’attention de l’enfant, et s’étonne de l’apprivoisement rapide de son toutou. « Sûrement c’est une bonne petite fille, pense-t-elle, son "chéri" en juge ainsi. » Elle ne discute plus. Amicalement, elle tapote la joue de Perrine et lui tend une pomme. La paix est conclue. Perrine est heureuse.

Quelques heures plus tard, la petite fille n’est entourée que d’amis. Même le vieux monsieur à la tête de momie. Il ne grimace plus en la regardant. Mais aussi, par deux fois, Perrine a ramassé sa canne à pomme d’or. Elle la lui a tendue avec son plus beau sourire.

Perrine est une petite fille réservée et volontiers silencieuse. Aux nombreuses questions qu’on lui pose, elle répond brièvement. Elle ne se compromet pas. Mais souvenons-nous qu’elle est normande, et que dans son pays l’on est prudent…

La voiture roule, un jour, deux jours. La bonne entente parmi les voyageurs ne diminue en rien. De tous côtés maintenant l’on appelle Perrine. Elle semble heureuse de rendre le plus léger service. On caresse aussi Charlot, mais le petit demeure sombre et se presse contre sa sœur, sans répondre. Enfin, au soir du troisième jour, la voiture entre dans la petite ville de Dieppe. Chacun se secoue ; les colis sont rassemblés ; des poignées de mains s’échangent. Peu à peu les voyageurs descendent. La plupart s’éloignent dans des directions opposées. Et lorsque, enfin, dans la rue principale de la ville, la diligence s’arrête devant l’auberge, le vieil Ephrem n’ouvre la portière qu’à ses deux petits amis.